ti' COLLECTION AUTEURS LATINS AVEC LA TllAOUCTlON EN FRANÇAIS HUBLIKE SOUS l.K DIHECTIOIV DE M. NISARD DE L'ACADÉHIE nUNÇAISE INSPECTEUR UÉNÉHAI. HE L'kNSKIGNEIIEIIT gVPÉHIEtll \ p ŒUVRES COMPLÈTES DE SÉNÈOUE LE PHILOSOPHE •'■» "'•An'f'm rA«^. - TïN>cit«i'iiiE DE mnm DjiwT pnÈi »««, riu rt Cl«, RUE urOB, ic ŒUVRES COMPLÈTES DE SÉNÈOUE LE PHILOSOPHE AVEC LA TUADLCTION EN FRANÇAIS PUBLIEES SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE l'aCAOÊHIE française INSPECTEUR CENTRAL DE L'ENSEIGNEMENT SlIPÉRIEUR PARIS CFIEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C", LIBi; AIRES IMPRIMEURS DE l'INSTITUT DE FRANCE ni'E JACOB, 5fi M DCGC LXIII TABLE DES MATIÈRES. fagM* \vM des éditeurs TU Notice sur la vie et les ouvrages d«> Sénèque xi De la CoLÈme, traduction nouTelte par M. Elias Reckaclt ^ U«re I '. Ibid. Livre II 4 fi Livre III ''i\: m CoASOLATK» A HnTiA, tndactioD nouvelle par le même C5 CoKSOLATiox A PoLTR, par ic même 85 GoktOLATioa A HAkOA, par le même 101 De la PaoviDeBCZ , ou pourquoi , s'il y a une pro- vidence , les hommes de bien sont-ils sujets au mal, traduction nouvelle par le même 1^5 Des Biekfàits, traduction nouvelle par le même . . 435 Livre I Ibid. Livre U U8 Livre ni 4gb Livre IV 4 84 Livre V 206 Livre VI , . . . , 225 Livre VII 2<5 De la Co^STAIiCE ntj sage, ou que Tinjure n'atteint pas le sage, traduction nouvelle par le même. . . 205 De la Brièveté de la vie, par le même 281 Dd Kepos et de la Keteaite du sage, par le même, 504 D« LA TiiA«QDiLUTÉ DB l'ame , par le même 505 De la Clémekce , par le même 527 ÏJ"* ï Ibid. limll 348 De la Vie rcdeeose, par le même 553 Facétie sr» la «oet de Claude César, vulgairc- meut appelée Apokolokynlose.trailiiclion nouvelle par M. Uauaéau, auteur de la traduction de la Pharsali- de Lucain 375 Petites pièces de vers, traduction iioavcl!c par M. Baillaed 385 QnESTIO^s batdselles, traduction nouvelle pjr M. Baillaed. . 389 Livre I Ibid. Livre II .4(0 Livre lU .454 Livre IV .455 Livre V 470 Livre VI 480 Livre VII 502 FkacheatS, par le même 52< Fragments tirés de Laclanre, par le même Ibid. Fragments tirets de saint Jérôme, par le même. . . . 525 Epitres a Li'CiLirs , traduites en français par Pin- trel , rfvucs et publiées par les soins de Jean Ln Fontaine 525 ËP. I. Que le temps est précieux et qu'il en faut être bon ménager Ibid Ep. II. Il ne faut pas lire toute sorte de livres; il sufiit de lire les bons. — Le pauvre n'est pas ce- lui qui a peu de chose, mais celui qui désire plus que ce qu'il a 'o'ih Er. III. Il est bon de dclibrrer avant que de faire un ami ; mais quand on l'a fait on ne lui «loit rien cacher !i27 Ep. IV. La véritable joie consiste dans le règlement des passions. — La vie ne peut être tranquille sans le mépris de la mon *)i?S Ep. V. Il faut éviter la singularité, et seconlornicr à la coutume iJZy} Ep. VI. C'est une disposition pour s'amender, que de connaître ses défauts. — La conversation in- struit mieux que les préeepirs 551 It Er. VII. Lu compagnies et les spectacles insinuent facilement le vice Ep. VIII. Il no faut pas liemeurer oisif dans la re- traite. — Les biens de fortune ne sont pas à nous. Ep. IX. Quoique le sage se suffise à lui-même, il est bien aise d'avoir un ami , sans trop s'affliger quand il le perd Ep. X. La solitude n'est propre que pour le sage. — De quelle manière on doit parler à Dieu , et vivre avec tous les hommes. — Il faut se proposer quelque homme d'honneur pour témoin de toutes ses actions Ep. XI. Que l'art ne saurait corriger les défauts qui viennent du tempérament , et que les grands per- sonnages sont sujets à rougir ÊP. XII. Que la vieillesse a ses avantages. — Qu'il faut être à toute heure disposé à la mort Ep. Xlll. Que l'on peut connaître ses forces sans «'être éprouvé contre la fortune. — Que notre mal n'est le plus souvent que dans l'opinion .... Ep. XIV. Qu'il faut aimer son corps, mais sans pré- judice de son honneur. — Que l'on ne doit point se commettre avec les grands, ni se mêler dans le désordre des affaires Ep. XV. Il est plus nécessaire d'exercer l'esprit que le corps. — Les biens de fortune ne sauraient remplir nos amitiés £p. XVI. La sagesse rend l'homme heureux et le dispose à obéir aux or.Ircs de la Providence. . . . Ep. XVII. Il faut acquérir la sagesse par préférence à tous les autres biens. — Les richesses peuvent bien changer les misères et non. les finir Ep. XVm. Il c.«t bon quelquefois de pratiquer la pauvreté volontaire. — Celui qui méprise les ri- chesses est digne de Dieu Ep. XIX. Que l'on ne peut acquérir la sagesse qu'il n'en coiîte quelque chose. — Pour faire des amis , il faut donner avec discernement et non pas à l'aventure £p. XX. Qu'il faut que nos actions s'accordent avec nos paroles. — Que la plupart des hommes ne sa- vent ce qu'ils veulent , qu'au moment qu'ils le veulent Ep. XXI. Que les bons auteurs peuvent immorta- liser le nom de leurs airiis. — Contre ceux qui in- terprètent mal la doctrine d' tpicure Ep. XXII. Le sage doit se retirer de l'embarras des affaires. — La plupart sortent de la vie comme s'ils y venaient d'entrer Ep. XXIII. En quoi consiste la véritable joie. — La volupté tombe par une pente naturelle dans la douleur Ep. XXrV. Qu'il ne faut point se rendre malheu- reux avant le temps. — On doit sép.inr les dis- grâces de la fortune des circonstances extérieures qui les accompagnent Kp. XXV. Ou se peut toujours amender, tandis qu'on a honte de mal faire. — Pour bien vivre, il f.iut être censeur do soi-même TABLE Vag«. 532 954 556 559 540 542 545 54B 549 551 555 557 559 56 1 .iCS oor 5/1 Pages. 5-'. Ep. XXVI. C'est à la mort que h vertu K recon- naît Ep. XXVII. Il est honteux à un vieillard d'avoir encore les désirs d'un enfaut. — Dans l'étude de la sagesse, on n'agit point par procureur 574 Ep. XXVIII. Les voyajjes ne cuérisseni point les maladies de l'âme. — C'est déjà quelque amen- dement que de reconnaître sa faute 575 Ep. XXIX. Il faut reprendre le vice, même quand il est endurci. — Celui qui aime la vertu ne peut êire aimé du peuple 577 Ep. XXX. La vieillesse n'a point de ressource con- tre la mort. — Il n'y a que le sage qui sache bien 579 £p. XXXI. La voix du peuple ni les vœux de nos amis he nous donnent point la sagesse. — . Elle vient du travail qui perfectionne la raison et rend l'homme heureux 58( Ep. XXXII. Que la vie étant si courte, on doitcom- mencer de bonne heure à la régler 585 Ep. XXXIII. Que les livres des Stoïciens sont tous remplis de belles sentences. — Qu'il est honteux de réciter toujours les sentiments d'aatrai et de ne produire jamais les siens 584 Ep. XXXIV. L'homme de bien est celui duquel les paroles et les actions s'accordent ensemble . ... 586 Ep. XXXV. Il n'y a que le sage qui soit véritable- ment ami 587 Ep. XXXVI. La jeunesse est la saison d'apprendre. — L'exercice du sage est le mépris de la mort — Tout meurt, et rien ne périt dans le monde. . . Ibid. Ep. XXXVII. Ce n'est pas un exercice aisé , de se rendre homme de bien. — Tout nous serit sou- mis , si nous nous soumettons à la raison 589 Ep. XXXVIII. La conversation instruit mieux que la dispute. 590 Ep. XXXIX. Les richesses médiocres sont préfé- rables à celtes qui sont excessives. — L'faabiiode au plaisir rend nécessaires les choses qui étaient superflues Ibid. Ep. XL. Les lettres rendent les amis présents. — Il est plus honnête de parler lentement 592 Ep. XLI. Dieu réside au dedans de l'homme. — Les forêts , les fleuves et tous les ouvrages de la nature nous font sentir qu'il y a un Dieu 594 Kp. XLIl. Ou ne devient pas subitement homme de bien. — Le manque Je pouvoir couvre les vices de beaucoup de gens ."iyS Ep. XLIII. Il faut vivre en particulier, comme l'on ferait en public 597 F.p. XLIV. La philosophie ne considère point l'ex- traction. — La noblesse vient de la vertu Ibid. Ep. XLV. On perd trop de temps dans la chicane de l'école. — Il est plus dangereux d'être trompe par les choses que par les paroles 599 Ep. XLVI. Quand on veut écrire , il faut . LXIV. Les bons livrjes nous animent à la vertu. — Il faut révérer les anciens, comme les précep- teurs du genre humain ' Ep. LXV. Du nombre des causes suivant les anciens philosophes. — Quelacontemplalionde l'univers élève et contente l'esprit , ponrvu que l'on ne la riduise point à des questions vainea et frivoles . . MATIÈRES. Pages. m 604 606 008 640 612 6U 646 647 CI9 622 628 632 Ibid. 633 Ibid. G56 637 Ep. LXVI. Que l'on voit quelquefois des grands ' esprits logés dans des corps infirmes. — Que tous les biens sont égaux quoique leur nature et leurs objets soient différents $44 Ep. LXVII. Que la vertu éunt un bien désirable, il s'en suit que la patience dans les tourments est un bien que l'on doit désirer 649 Ep. LXVIU. Qu'il ne faut point affecter la solitude par vanité. ■ — Que l'on doit remédier aux imper- fections de l'âme avec autant de soin qu'aux in- firmités du corps 651 Ep. LXIX. Il n'y a point de vice qui ne promette quelque récompense. — Il faut travailler sérieu- sement à la réformation de ses mœurs et prendre la mort pour sujet de méditation 655 Ep. L\X. Que c'est un avanta(>c non pas de vivre , mais de bien vivre. — De là , suivant l'erreur du paganisme , il conclut qu'il est permis de se pro- curer la mort quand elle est plus avantageuse que la vie, — Il en rapporte plusieurs rxcmples 654 Ep. LXXI. Le souverain bien consiste en ce qui est honnête. — Il se rencontre même dans les tour- ments quand la vertu les rend honnêtes 658 Ep. LXXII. Que l'étendue de la sagesse doit être préférée à toute autre occupation. — Que la joie du sage se forme au dedans et ne peut être trou- blée par ce qui vient du dehors 664 Ep. LXXIII. Que le sage obéit aux lois et révère les magistrats qui ont soin de la tranquillité publia que. — Que l'âme ne peut être bonne si Dieu n'est avec elle 666 Ep. LXXIV. Qu'il n'y a point d'autre bien que ce qui est honnête; et que si le bien consistait dans les richesses, dans la bonne chère et dans la com- pagnie des femmes, l'homme serait plus heureux que Dieu , qui n'a pas l'usage de ces choses-là.. . 668 Ep. LXXV. Que c'est bien parler que de dire ce que l'on pense. — Que dans l'étude de la sagesse il y a trois classes. — Qu'il y a différence entre les maladies et les affections de l'âme 674 Ep. LXXVI. Qu'en tout âge il est saison d'appren- dre. — Il prouve encore qu'il n'y a point d'antre bien que ce qui est honnête. — Que pour con- naître ce qu'un homme vaut il ne faut considérer que son imc 677 Ep. LXXVII. Que personne ne veut mourir , quoi- qu'on sache que c'est une nécessité. — Que l'on ne doit point considérer la durée, mais bien la Cil de la vie 682 Ep. LXXVIII. Que le mépris de la mort est un re- mède à tous les maux . — Que toutes choses dépen- dent de l'opinion, et quelle est la mesure des biens et des maux. Ep. LXXIX. Il prie son ami qui était en Sicile d'al- ler voir le mont Gibel et de faire la description de cette fameuse montagne. — Que la gloire qui est l'ombre de la vertu accompagne les gens de mérite durantlenr vie ouïes suit après leur mort. Ep. LXXX. Que Ton a moins de soin d'exercer l'e»- 685 ««0 IV TABLE frit que le corps. — Que ta véritable liberté te peut acquérir, mais ne se saurait ilonncr 093 Ep. LXXXI. Que l'on ne doit pas s'abstenir de bien faire , de peur de trouver un ingrat. — Que l'on n'est pas quitte pour avoir rendu le bienfait. — Qu'il est dangereux «l'obliger extrêmement une personne C95 "Ep. LXXXIl. Que l'on ne peut conserver le re- pos sans le secours de la philosopliie. — Que la vertu rend glorieuses les choses qui sont indiffé- rentes. — Que les arguments des sophistes sont propres pour surprendre et non pour persuader. 700 Ep. LXXXIII. Que Dieu connaît toutes choses et qu'il est présent dans notre âme. — Description de l'ivro{]nerie et de ses défauts "^04 Ep. LXXXIV. Que pour bien étudier il faut lire , puis recueillir, puis nous former un esprit de tout cela. — Il faut digérer ce que nous avons lu , de même que ce que nous avons mangé , si nous vou- lons qu'il nous profite 709 Ep. LXXXV. Il prouve que la vertu seule peut ren- dre la vie heureuse. • — Que le sage doit être exempt de toute sorte de passions 711 Ep. LXXXVI. Louange de Scipion, avec la descrip- tion de sa maison de campagne. — Il compare les bains des anciens avec ceux de son temps. — La manière do transplanter les arbres et la vigne . . 717 Ep. LXXXVII. Que l'on doit estimer un homme pour «on mérite et non pour sa fortune. — Il prouve encore, par de nouvelles raisons, que le reste suffit pour rendre la vie heurense 7-21 Ep. LXXXVIIL Que les ans libéraux ne peuvent faire un homme de bien , et que lans eux on nv peut acquérir la sagesse 727 Ep. LXXXIX. Quelle différence il y a entre la sa- gesse et la philosophie. — Plusieurs définitions de la sagesse. — Plusieurs divisions et subdivisions de la philosophie 7-34 Cp. XC. Que la philosophie a établi la piété et la ^ justice. — Les premiers hommes vivaient en com- munauté de biens , et les sages étaient les rois de ce temps-là. — Il combat l'opinion de Posidonius, qui attribue à la philosophie l'invention des arts mécaniques 738 Ep. XCI. Il déplore l'incendie de la ville de Lyon. — Qu'il faut se soumettre à la loi du monde. . . . 746 Ep. XCII. Que la félicité de l'homme consiste dans la raison , quand celle-ci est parfaite. — Que le souverain bonheur est incapable d'accroissement et de déchet 750 £p. XCIII. Qu'on a toujours assez vécu quand on a acquis la sagesse 756 Ep. XCIV. Si les instructions générales de la phi- losophie valent mieux que des préceptes particu- liers pour la conduite de la vie. — De la force des sentences, et de la nécessité des lois 758 Ep. XCV. Que les préceptes seuls, sans les maxi- mes générales de la philosophie, ne peuvent rendre la vie heureuse. — La médecine a multiplié les f*tK- 786 '<88 '95 remèdes ù mesure que l'intempérance i multiplié les maladies 770 Ep. XC VI. Il ne faut pas seulement obéir, mais en- core consentir à la volonté de Dieu. — La vie de l'homme est une guerre continuelle 782 Ep. XCVII. Que les siècles passés n'étaient pas moins vicieux que ceux qui leur ont succédé. — Le crime peut bien être hors de péril , mais non hors d'appréhension 783 Ep. XCVIII. L'âme est plus puissante que la for- tune, et se fait une vie heureuse on misérable. — On jouit encore des biens que l'on a perdus, quand on se souvient de l'utilité qu'on en a reçue. Ep. XCIX. Il reproche à un de ses amis le peu de consiancc qu'il a témoignée à la mort de son fils en bas âge, et montre, par de solides raisons, qu'on ne doit point s'affliger en pareille* occa- sions Ep. C. Il parle des livres de Fabianus et àes diffé- rentes manières d'écrire de son temps 795 Ep. CI. Qu'il est ridicule de faire de longs projets, vu l'incertitude et la brièveté de notre vie. — Qu'il faut se défaire do fol amour de la vie, et considérer chaque jour comme s'il était une vie entière Ep. CII. Si la réputation qui nous sait api'ès la mort est un bien. — Quelques discours touchant l'im- mortalité de l'âme 798 Ep. cm. Qu'un homme à tout moment a sujet de se défier d'un autre homme. — Qu'il ne faut point se prévaloir du nom de la philosophie, ni s'éloi- gner des coutumes qui sont reçues Ep. CIV. Que c'est une marque de bonté de vou- loir bien conserver sa vie pour la considération de sesamis. — Les voyages amusent les hommes et ne les changent pas. — Pour se maintenir en li- berté, il fautmépriserlcs voluptés et les richesses Ep. CV. Pour vivre en sûreté, il faut éviter l'éclat et ne faire mal à personne Ep. CVI. Si le bien est un corps. — Nousavons poar tes sciences la même avidité que pour toutes les autres choses 810 Ep. CVII. Les disgrâces prévues sont moins sen- sibles. — Il faut suivre sans murmure les ordres de Dieu 842 Ep. CVIII. Que la philosophie s'apprend aussi bien dans la conversation que dans les livres. — Qu'il faut reporter toute notre lecture à la vie heureuse. Ep. CIX. Si le sage est utile au sage. — Qu'il faut négliger la subtilité des questions inutiles pour s'attacher à l'étude de la vertu Ep. CX. Que le plus grand malheur d'un homme est de n'avoir point la paix avec soi-même. — Que nous craignons, sans examiner ce que nous craignons Ep. CXI. De la différence qui se trouve entre un sophiste et un véritable philosophe Ep. CXII. Qu'il est malaisé de redresser et de cor- riger les longues et les mauvaises habitudes. .. . Ibid, gOS Ibid. 809 845 820 822 826 DES Er. CXUI. Si les vertus sont des itres animés. — Il faat cultiver la vertu sans en espérer de récom- peose Er. CXIV. Le langage des hommes a d'ordinaire du rapport à leurs moeurs. — Le corps étant affai- bli par les dâlices devient incapable de Tusage des plaisirs Er. CXy. Que le discours est le miroir de l'ime. — Que Tàme d'un homme de bien a des beautés surprenantes. — Que Ton a donné trop de crédit à l'or et à l'argent Ev. CXVl. S'il vaut mieux avoir des passions fai- bles que de n'en avoir point du tout Ep. CXVII. Si la sagesse est un bien , et tl ce n'est pas un bien d'être sage. — Que l'on a grand tort de perdre la vie en des questions inutiles , vu que la vie est si courte Ep. CXVIU. Qu'il est plus honnête et plus sur de ne rien demander à la fortune. — Les délioitioDS •lu bien , et en quoi il rnn 11 embia'-sa ensuite sa femme qui san- glottait , et la conjura de modérer sa douleur. Pau- line déilara qu'elle voulait mourir avec lui ; il ap- plaudit à cette résolution , et le même fer ouvrit leurs veines. Le sang ne caulant qu'avec lenteur de son corps , exténué par l'âge et l'abstinence, il lui fit donner des issues nouvelles aux jambes et aux jar- rets. Comme la vue de ses souffrances pouvait abattre le courage de Pauline, il lui persuada de se faire transporter dans une autre partie de la maison. Entouré alors de ses amis cl de ses secrétaires , il dicta un discours que Tacite ne nous a pas trans- mis , parce que , de son temps , il était entre les mains de tout le monde. Pressé de mourir, Sénèque pria son médecin de lui donner de la ciguë ; il en prit en vain : ses organes épuisés et déjà froids ne pouvaient se prêter à l'antivité du poison. Enfin , il se fit porter dan-; un bain chaud ; il jeta , en y en- trant , de l'eau sur ceux de ses esclaves qui étaient le plus près de lui : « J'offre ces libations, dit-il , a Jupiter lib^raimr ; » puis il s'y plongea , et mous VIE DE SÉrsÉQUE. rut , comme il convenait à l'auteur des Èpîtres d Lucitius , l'an (i8 de J.-C, dans la huitième année du règne de Néron. Néron , à peine informé de la résolution de Pau- line , envoya vers elle des soldats chargés d'arrêter le sang de ses blessures ; mais la pâleur de son visage et son extrême maigreur témoignèrent, tout le reste de sa vie , combien elle avait été près de la perdre. Outre tous les ouvrages qui sont renfermés dans ce volume , on a longtemps attribué à Sénèque le philosophe l'Abrégé de l'histoire romaine , dont Florus est aujourd'hui reconnu 1 auteur. Dans ses Étiides sur les poètes latius, M. ISisard établit, par des comparaisons entre plusieurs passages très-si- gnificatifs de ses œuvres en prose et des tirades des tragédies dites de Sénèque, que Sénèque le phi- losophe est l'auteur d'une partie de ces tragédies , dont le recue'd serait un ouvrage de famille , fait en commun, Senecanum opus. D'anciennes éditions de Sénèque contiennent quatorze lettres que ce philo- sophe aurait écrites à saintPaul; mais aujourd'hui ces lettres sont généralement regardées comme apocry- phes , quoique saint Augustin et saint Jérôme les aient citées pour être de Sénèque , et qu'on ait prouvé par des raisons ingénieuses la vraisemblance d'un commerce épistolaire entre le philosophe et l'a- potre, lequel comparut devant le tribunal du frère aine de Sénèque, proconsul d'Achaîe. Quelques écrivains anciens parlent aussi de certains ouvrages de Sénèque , qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. DE L4 COLÈRE. LIVRE PREMIER. I. Tu exiges de moi , Novatus , que j'écrive comment on peut dompter la colère : c'est à bon droit que tu me parais redouter principalement cette passion , de toutes la plus hideuse, la plus cITrënce. Les autres, en eiïet, ont en elles quel- que chose de calme et de paisible : celle-ci est tout agitation , elle est toute à l'impétuosité de son ressentiment, ivre de guerre, de sang, de supplices, transportée de fureurs surhumaines, sans souci d'elle-même, pourvu qu'elle nuise à d'autres, s'élançant au milieu des glaives, et avide de vengeances, qui, h leur suite, entrainent un vengeur. Aussi, quelques sages ont-ils déflni la colère une courte folie. Car non moins im- puissante a se maîtriser, elle oublie toute bien- séance, méconnaît toute affection; elle est opi- niâtre et acharnée à ce qu'elle poursuit, sourde aux conseils de la raison, s'emportant contre des fantômes , inhabile à reconnaître le juste et le vrai, semblable en tout à ces ruines qui se brisent sur ce qu'elles écrasent. Mais, pour le convaincre qu'il n'y a plus de raison chez l'homme dominé par la colère, observe tous ses dehors. Car, de même que la folie a des signes certains, le visage hardi et me- naçant, le front triste , le regard farouche, la dé- marche précipitée, les mains convulsives, le teint changeant, la respiration fréquente ets'échappant avec violence; ainsi l'homme en colère présente les mêmes symptômes. Ses yeux s'enOaiument , étiucellent; un rouge éclatant couvre son visage, le sang bouillonne dans les cavités de son cœur, ses lèvres tremblent, ses dénis se serrent, ses che- veux se dressent et se hérissent , sa respiration est gênée et bruyante , ses articulations craquent en se tordant ; il gérait , il rugit ; sa parole s'em- barrasse de sons entrecoupés; ses mains s'entre- choquentfréquemmenl; ses pieds battent la terre; tout son corps est agité , tous ses gesles sont des menaces : tel est le portrait hideux et repouss;mt LIBER PRIML'S. Exegisti a me, Novalc, nt scriberem quemadmodum posset ira leniri : nec immerito mibi videris hune prsci- pne afTectuin pertimnisse, maiime ei omnibus tetrum ac rabidum. Céleris eoim aliijuid quieti placidique inest; bic lotus concitatus , et in impelu duloris est, armoi-um , •anfiainis, supplicioruni , minime buniana furens cupi- dilate : dum alteri ooceat, sui negligen.s, in ipsa irrucns teld, et uliionis secam ultorem Iractarae avidus. Qui- dam itaque e sapicntibus viris irain dixerunt brevem tnsaniara; sqne enim impotcDS sui cst,decoris ob'.ila, oececsitudioum immemor, inquod cœpit, perlinax et in- tenta, ralioni oonsiliisque prsclusa, vanisagitata cauiis, ad dispectnm ieqni verique inhabilis, rninis simillima , quœ super id, quod oppressere, frangnnlur. Ut autem scias, non cssc sanos, quos ira possedit, ipsum illoruiii babitum intuere. ?iam ut furcntium ccrla indiria suut , audax et minax Tultus, tristis frons, tor^a facics, ciLitus l^dus, inquiéta' manus, color versus, crebra et vehemen- tius acta suspiria : ita irascentium eadem signa sunt. Fla- grant,et niicantoriili, multus nre loto rul)or, exifstuautc ab imis praxordiis sanguine ; labia quatiuntur, den- tés camprimuntur, borrent ac subrigunlur captili ; spirilus coactusac siridens , articulorum se ipsos torquentium s(k DUS, gemitus, mugilus(|ue, et parum explanatis vocilms scrmo pra-ruplus et complosœ $a?plus manus, et pulsata humus pedibus , et totum concitum corpus, magnasquo minas agcns, fœda visu et borrcnda faciès depravanlium 1 de celui que décompose el gonfle la colère. On ne saurait dire si ce vice est plus odieux que difforme. Les autres peuvent se cacher, se nourrir en secret: la colère se révèle, se produit sur le visage; et plus elle est vive , plus elle éclate à découvcit. Ne vois-tu pas chez tous les animaux , dès qu'ils se dressent pour l'attaque, des signes précurseurs? Tous leurs membres sortent du calme de leur alti- tude ordinaire, et leur férocité s'exalte encore. Le sanglier vomit l'écume; il aiguise sa dent con- tre les troncs noueux. De ses cornes le taureau frappe le vide ; ses pieds font voler le sable ; le lion rugit; le cou du serpent irrité se gonfle; le chien, atteint delà rage, a un aspect sinistre. îi n'y a pas d'animal, d'une nature si terrible, simai- faisante, qui ne manifeste, dès que la colère l'a saisi , un surcroît de férocité. Je n'ignore pas que d'autres passions ont aussi peine à se déguiser; l'incontinence, la peur, la témérité portent leurs symptômes, et peuvent être pressenties : car il n'y a nulle pensée intérieure un peu violente qui u'allère en quelque chose le visage. Et quoi donc les dislingue? C'est que les autres sont apparen- tes ; celle-ci est saillante. II. Veux-tu maintenant considérer ses effets et ses ravages? Jamais fléau ne coula plus au genre humain. Je te montrerai les meurtres, les empoi- sonnements, les mutuelles accusations des com- plices, la désolation des villes, la ruine de nations entières, les têtes de leurs chefs vendues ii l'en- can , la torche incendiaire portée dans les maisons , la flamme franchissant l'enceinte des murailles, et is cacdes ac vencna, et reorum nuituas sordes, et urbium clades, et tutaruui exilia gcntium , et principuin sub ci\ill hasta ca- pila veiialia, ctsubjcctas leclis laces, née intra niœuia cocrcitos ignos , sed ingentia spalia rcgionnm bostili Dam- ma relucenlia. Aspice nobilissimarum ciTitatum funda- menta ^ix notabilia : bas ira dejecit; aspice soUtudines, per multa miilia sine habilalione , désertas bas in cxhausit. Aspice lot meraoria! prodilos duces — | niali etempla Tati : j alium ira in cubili suo conf>>dit ; aliuin \a- ter sacra mcnsœ ira percussit; alium inler lepes celcbris- que spectaculum fori lancinavil ; alium filii parricidio dare sangulnem jussit; alium serïili manu regalem apcrire jugulum; alium iucrucesraenibradividerc Etadhucsin- giilorum supplicia narro; quid?tibi si libuerit, relicUs in quos iia viritim esarsit, aspicere caesas gladio concio- nes , el plebem immisso milite contrucidatam , et in per- niciein promiscuam totos populos capilis damna passes ... tanquam aul curam noslram defcren ibus , aut aucturita- tem contenmentibus. Quid ? gladiaioribus quare populus irascitur, el tam inique, ut injuriam putct. quod non li- bcnter pereunt? coutemni se judicat, et \-ullu, gcstu, ardore , de spectalore in adversarium vertitur. Quidquid est, cerlc uou est ira , sed quasi ira : sicut pucroruni, ■ (jui si cecidcrunt, terram vcrberari volunt, et sœpe ae- sciunt quidem, cui irascantur ; sed tantum irascuniur sine causa et sine injuria, non tamen sine aliqua injurua DE LA COLÈRE. tans quelqu'cnvie de punir. Aussi se laissent-ils liomper h des coups simulés; des prières et des larmes feintes les apaisent, et une douleur fausse disparaît devant une fausse vengeance. III. «Souvent, dit-on, l'horames'irrite, non con- tre ceux qui lui ont faittort, mais contre ceux qui doivent lui faire tort; preuve que la colère ne uaîl pas seulement de l'oflcnse. » Il est vrai que nous nous irritons contre ceux q«ii doivent nous faire tort .-mais ils nous font tort par leur pensée mcrne, et celui qui médite une offense déjà la commet. « F.a preuve, dit-on , que la colère n'est pas le dé- sir de cliâlier , c'est que souvent les plus faibles s'irriient contre les plus puissants ; or ils ne dési- rent pas un châtiment qu'ils ne peuvent espérer. • D'abord nous avons dit que la colère était le désir et non la faculté de punir; or, on désire iiiêmc ce qu'on ne peut faire. Ensuite, il n'y a personne de si humble, qu'il ne puisse espérer se venger mcrne de l'homme le plus haut placé : nous som- mes puissants a nuire. I^ définition d'Aristote ne s'éloigne pas beaucoup de la notre; car il dit que la colore est le désir de rendre peine pour peine. II serait trop long d'examiner en délail en quoi celle définition diffère de la nôtre. On objecte h toutes deux que les animaux se mettent en colcre , et cela sans £tre offenses , sans idée de punir ou de causer aucune peine; car, quoiqu'ils fassent, ils ne le méditent pas. Il faut répondre que les animaux , que tout, excepte l'homme, est étranger 'a la colère. Car, bien qu'ennemie de la raison , elle ne se développe que chez l'ùtre capable de raison. Les animaux ont de la violence, de la rage, de la férocité, de la fougue ; mais ils ne connaissent pas plus la colère que la luxure, quoique pour certains plaisirs ils snient plus immodérés que l'homme. 11 ne faut pas croire le poêle , lorsqu'il dit : « Le sanglier ne songe plus à se mettre en co- lère , le cerf ne se fie plus à sa légèreté, les ours n'attaquent plus les troupeaux. » Quand il dit, se mettre en colère, c'est s'exeiler, s'élancer. Car ils ne savent pas plus se mettre en colère, que pardonner. Les animaux muets sont étrangers aux passions humaines, ils n'ont que des impulsions qui y ressemblent. Autrement, si chez eux il y avait de l'amour, il y aurait de la haine ; s'il y avait amitié , il y aurait inimitié; s'il y avait discussion, il y aurait concorde ; toutes choses dont ils offrent bien quelques traces ; mais le bien et le mal sont le propre du cœur humain. A nul autre qu'à l'homme ne furent données la prévoyance, l'observation, la pensée; et non seu- lement ses vertus, mais encore ses vices sont inter- dits aux animaux. Leur intérieur, ainsi que toute leur forme extérieure, diffère de l'homme. Ils ont, il est vrai, celte faculté souveraine , ce prin- cipe moteur, autrement dit, comme ils ont uno voix, mais inarticulée, mais confuse et inhabile à former des mois ; comme ils ont une langue, mais enchaînée, mais non déliée pour se mouvoir en tous sens : de mémo, ce principe moteur a peu de finesse , peu de développement. H perçoit donc l'image et la forme des choses qui l'eiitrainenl au mouvement; mais cette penvption est trouble et obscure. De là la violence de leurs élans , de leurs transports : mais il n'y a chez eux ni crainte , ni specie , nec sine aliqua faax cupiditatc. nctudunlur itn- (|ue imitalioDepIagarum.et siiiiiilalisdeprccaatiuiii lacri- Dii> placautur, et falsa ulàone faUiu dulor lolliiur. III. « Irascimur, inquit, sspc mm illis qui Ijesrnint, • leit his qui Ixsuri «uot : ut ):cias iram D:iD lautum ex • injuria nnsci. • Veruni est, irasci nos Ixsnris : seti ipsa roililalioae nos lo^dunt, et injuriam qui faclurus t'st, jam f;icit. c Ut scias, inquit, non esse iram pœna; cnpidi- I lalcm , inlirmissiini sspe |'.otentissiinis irascuntur : nrc • pa'uain concupiscnnt , quain non tiicrant. > Primuni diiiinus , cupitlilatciu c>sc \xeaiv eiipen la*, non faculta- ^; lem : conrupiscunt aulcm hominos c< qux non possunt. ^ Deinde nenio lam liunii ii est, qui pœiiam velsumnii lio- niinis rperarc non possit ; ad norenduni potenles sumiit. Aristolelis llnilio non multum a nostra abest; aitcnim, iram esse cupidititcn: duloris reponcndi. Quid interoos- Iraiii et hanc flniliononi inters t, cxsequi longuin est. Contra ulramquc dicitur, fras irasci, npc injuria irrita- tas, nec pœnv doloris^c alicni causa. Nara ctiamsi hue eniciunt , Don hoc pctunt. Scd dicenduoi est, feras ii a carere , ctomnia priPtcr homincm. Nam quum sit ininiica raliuiii , nasquam tanicn nascitur, nisi ul)i ralioni locus e»l. Inipctus liabcut fcrx , rabiem , feritatein , incnrsum : iram quidem non magis, quam luiuriani. Et in qua^idam Tolupiates inlemperantiores hominc sunt. ?(oa est quod crcdas iili qui dicil : ^o^ aper irasci rorminK , non fiderc cuna Ccrta uec arœeuUs incurrere furtibus ursi. Irasci dicit, inrilari, impingi. Ira«ci quidem non magis sciunt,qiiam ignoscere. Muta anim;ilia humanit afriK;:!- hus carent : liabent autemsimilcs illis quosdam iinpulius. Ali(K|ui si amor in illis osset , et odium esset; si amicilia , etsimullas; ti di.'sensio, et concordia; quorum aliqua in illis quoque eijilant ncstigia : celerum hiinianorum pecto- riim propria Imna malaque sunl. Nulli nisi homiiii concessa providen:i.'iest,diligeotia,cogitatio: neclanlumvirtu ibus hunianis animalia , sed etiain îitiis prohihila sunt. Tota illurum ut extra , ila inira , forma hunianx dis>imilis est. Ri'giuni illud et principale aliter diclum , ut tox , est qui- dem, st'd non explanabills , et perturbât», et verlwrum inefficai : ut lingiia, sod devincla, nec in niolus yarios soluta; i:a Ipsum principale parum subtile, pnruni ciac- tum. Capit ergo visus speciesque rerum , quibus ad im- pelus cTocctiir, sod turbidas et confusas. Ex eo procursus illanim tumultusqne Tehcmentes sunt : metusantcm , toi- SENÉQUK. sullicitade, ni tristesse, ni culère; ils n'eu ont que les semblants. Aussi, ces impressions tombent bien vite, et font place a des contraires : après les plus violentes fureurs , après les frayeurs les plus vives, les animaux paissent tranquillement; et aux frémissements, aux transports les plus desor- donnés succèdent à l'instantlerepos et le sommeil. IV. 11 a suffisamment été expliqué ce que c'é- tait que la colère : on voit en quoi elle diffère de l'irascibilité; c'est en quoi l'ivresse diffère de l'ivrognerie, la peur, de la timidité. L'bomrae en colère peut n'être pas irascible ; l'homme irascible peut quelquefois n'être pas en colère, j'omettrai les autres termes sous lesquels les Grecs désignent par des noms variés plusieurs espèces de colère ; car ils n'ont pas chez nous leurs équivalents : bien que nous disions un caractère aigre, acerbe, aussi bien que inflammable, emporté, criard, âpre et difficile : ce ne sont là que des nuances de la colère. Tu peux y ajouter le caractère mo- rose, genre d'irascibilité raffinée. Il y a des co- lères qui se soulagent par des cris ; d'autres , non moins opiniâtres que fréquentes ; quelques- unes promptes a la violence, avares de paroles; eelles-ci se répandent en injures et en amères in- vectives; celles -Ta ne vont pas au-del'a de la plainte et de l'aversion : quelques autres sont pro- fondes, graves et concentrées. Il existe mille au- tres formes d'un vice aussi mobile. V. Nous avons chercbé ce qu'était la colère, si elle appartenait "a aucun autre animal qu'à l'homme, en quoi elle différait de l'irascibilité, et quelles étaient ses formes. Voyous maintenant si elle eat selon la nature, si elle est ulile , si, sous quelques rapports , elle doit être maintenue, il est facile de voir si elle est selon la uature , en je- tant les yeux sur l'homme. Quoi de plus doux que lui , tant qu'il reste dans l'habitude ordinaire do son esprit? Quoi de plus cruel que la colère? Quel être plus aimant que l'homme? Quoi de plus hai- neux que la colère? Les hommes sont nés pour une mutuelle assistance ; la colère est née pour la destruction commune. L'homme cherche l'asso- ciation ; la colère , l'isolement : il veut être utile, elle veut nuire : il secourt même les inconnus , elle frappe môme les plus chers amis : l'homme est prêt à se sacrifier aux intérêts des autres, la colère se précipite dans le danger, pourvu qu'elle y eulraîne autrui. Or, peut-on méconnaître da- vantage la nature , que d'attribuer à son œuvro la meilleure, la plus parfaite, un vice aussi sau- vage, aussi funeste? La colère, avons-nous dit, est avide de vengeance; or, qu'un pareil désir entre dans le cœur paisible de l'homme , ce n'est nullement selon sa nature. Car la vie humaine repose sur les bienfaits et la concorde ; et ce n'est pas la terreur, mais la mutuelle affection qui res- serre l'alliance commune des services, a Eh quoil le châtiment n'est-il pas souvent une nécessité? > Siii,s doute ; mais il le faut juste et raisonné. Car il ne nuit pas , mais guérit en paraissant nuire. De même que nous passons au feu , pour les re- dresser, certains javelots tordus , et que nous les comprimons en y adaptant des coins, non pour les briser, mais pour les étendre; ainsi nous corrigeons par les peines du corps et de l'esprit, les difformités licitudinesque, et tristitia, et ira non sunt; sed his qux- dam similia. Ideo cito cadiint , niuLanlur in contrarium : el quum acerrimesa-'vieruut, expaveruntque , pascunlur, et ex tremitu discursuque vesauc statim quies soporque sequitur. IV. Qiiid esset ira, salis explicatum est : quo distet ab iracundia, apparet; quo ebrius ab ebrioso, et liniens a timido. Iralus potest non esse iracundus : iracundus po- test aliquando iralus non esse. Cetera, qua; pluribus apudGrxcos nominibus in sprcies iramdistinguuut, quia apud nos vocabnla sua non habent, praeteribo : etiamsi amarum nos acerbumque dicimus , nec minus stoniacho- tum , rabiosuiu , claniosum , difCcilem , aspcruni : ({ux oinnia iraruin differentia; suut. Inler hos morosum ponas licet, delicalum iracundiae genus. Quasdara enim sunt irae, quœiutia claniorein considant; quœdamnnn minus pertinaces, quam fréquentes, quaidam sxvw manu, ver- bis parciores; quaedani in verborura maledictorumque amaritudinem cffusa; ; qua;dani ultra qucrelas et aversa- liones non exeunt : quœdtuu allai gravesque suut, et in- trorsus versae. îlillc allie species sunt uiali muliiplicis. V. Quid esset ira, quajsllum est : an in ullum aliud animât, quam in homiuem caderet : quoab iiacundia di- otaret, et qux> ejus species sinl; nunc qua.'ramus, an ira secundum naturam sit , et an utilis , atque ex aliqua parte retinenda. An secundum naturam sil, niauiiestuni erit , SI bomiueni inspexerimus : quu quid est niitus, duni in recto animi babilu est? quid autem ira crudelius es: ? Uomine quid aliorum amantius? quid ira Infestius? Homo in adjutoi'ium mutuum generatus est : ira in exitium. Hic congregari vult , illa discedere : hic prodesse , iUa nocerc : hic cliam ignotis succurrere , illa etiam carissimos pcte- re : hic aliorum commodis Tel impendcre se paratus est, ira in periculum , dummodo deducat , descendere. Quis ergo magis naturani rerum ignorai, quam qui optimu ejus operi, et emendalissimo , hoc feruiu ac perniciosum vitium assignat? Ira ,ut diximus, avida pœnae est; cujus cupidinem iuesse pacatissimo bominis pectori , minime secundum ejus naturam est. Beneficiis enim humana Tita consistit, et concordia : nec terrore, sed mutuo amore, in fœdus auxiliumque commune constringitur. < Qu:d » ergo?non aliquando castigationecessaria est? ■ Quidni* sed ha°c sincera , cum ralione; non enim nocet, sed me- detur specie nocendi. Quemadmodum qua^dam hasiilLi detorta, ut corrigamus, adurimus, etadactls cuneis, noo ut frangamus, sed ut expliccmus, elidimus : sic ingénia vitio prava, dolorecorporisanimiquecorriginsus. Neuipe mcdicus primo in Icvibos vitiis tentât non mullnm ex d'un cœur vicieux. Ainsi, dans les maladips légères, le médecin essaie d'abord de quelque niodiflcatiou peu imporlanle dans le régime ordinaire, règle l'or- dre du manger, du boire, des exercices, et cliercLe à raffermir la santé seulement en changeant la ma- nlcre de vivre. Ensuite il surveille la nature du régime. Si ni la nature , ni l'ordre du régime ne réussissent , il en supprime , il en retranclie quel- que chose. Si cela ne répond pas 'a son attente, il iuterdit toute nourriture , et soulage le corps par la dicte. Si tous ces ménagements sont inutiles , il perce la veine, et porte le fer sur les membres qui pourraient corrompre les parties voisines, et propager la contagion : nul traitement ne parait dur si le résultat doit être salutaire. Ainsi, le dé- positaire des lois, le chef d'une cité devra, le plus longtemps possible, n'employer au traite- ment des esprits que des paroles , et des paroles ménagées, qui les persuadent de leurs devoirs, gagnent les cœurs 'a l'amour du juste et de l'hon- nêtc , et fassent comprendre l'horreur du vice et le prix de la vertu. Il passera ensuite 'a un langage plus sévère , qui soit un avertissement et une ré- primande : enlin, il aura recours aux punitions, encore seront-elles légères et révocables : les der- niers supplices ne s'appliqueront qu'aux crimes désespérés, aûnque personne ne meure, que celui qui, en mourant , trouve intérêt même a mourir. VI. La seule différence qu'il y ait du magistrat au médecin, c'est que celui-ci, quand il ne peut donner la vie aux malades, tâche d'adoucir ses derniers moments; celui-l'a appelle sur la mort du condamné l'infamie et la publicité : non qu'il se plaise au châtiment de personne {car le sage est qaotidiana coosaeludinc inflectere, etcibif, polionibus, i exercilatiODibas ordiocm poaere , ac taletudiaeni laolum 1 inatata vilx dispositione firmarc : proiimuni est, ut nio- [ éas proflcial ; si luodas et ordo noa proQcit , suhducit ali- Vqna , et circumcidit ; si ne adbiic quidem respoudel , ia- ftrrdicit ciliis, et atutincnlia corpiLs cioaeral; si frustra ^molliora cesserunl, ferit Tcnam, membrisquc, si adha,'- I renlia nocpnt , et mnrbum ditTuadunt , maniis .ifTcTt : ncc jDlla dura yidetur ciiralin, cujus saliitaris etTectus est. Ita' [legum prailes decurrat : ultima supplicia scclcribus ultiniii ponat, ut ncmo pcrrat, nisi quciu pcrire cliam perrunlis intersit. VI. Hoc nno medentibns eritdissimills , quod illi , qui- bas Titam non poluonint largiri , facilcin piitiim pivTS- : tant : bic damnatum cum dedrcorc et Iraduclionc vila eiicll : non quia delecletur ullius pa>un | procut est rnini ■ upi«Dle tam iobamana feritas], ted nt donimvnluni oin- DK LA COLËIIE. S loin do cette inhumaine cruauté); mais son but est d'offrir un enseignement a tous ; pour que ceux qui , de leur vivant, ont refusé d'être utiles à la chose piibli(|uc, lui proDlent du moins par leur mort. L'homme n'est donc pas naturellement avide de vengeance ; et par conséquent de ce que la colère est avide de vengeance , il ne s'ensuit pas qu'elle soit dans la nature de l'honmie. Je citerai l'argument de Platon ; car qui nous empêche do prendre chez les autres aux endroits où ils se rap- prochent de nous'/ « L'homme de bien, dit-il, ne blesse personne ; or, la vengeance blesse ; doue la veugeauee ne convient pas 'a l'homme de bien , ni la colère non pins, car la vengeance convient à la colère. » Si l'homme de bien ne se plaît pa« 'a la vengeance, il ne se plaira pas non plus h un sentiment qui met sa joie dans la vengeance : doue la colère n'est pas naturelle. VIL Doit-on, quoique la colère ne soit pas na- turelle, l'accueillir, parce que souvent elle a éti utile? Elle exalte, elle excite le cœur; et, dans la guerre , le courage ne fait rien de grand sans elle, s'il ne lui emprunte de ses feux , s'il n'est entraî- né par ce mobile qui lance l'audace ii travers les périls. Aussi , quelques-uns pensent qu'il est bon de modérer la colère, mais non de l'étouffer ; d« retrancher ce qu'elle a de trop, pour la renfermer dans des limites où elle devienne salutaire, d'en retenirsurlout l'énergie , sans laquelle toute action serait languissante, toute vigueur, toute force d'âme s'éteindrait. D'abord , il est plus facile de proscrire les cho- ses pernicieuses que de les gouverner, de ne pas les admettre que de les régler une fois admises. nium sint; et qui vivi noluerunt prodessc, morte rerle eorum respublica utatur. Non est erpo nalura bominis pœn.'e appeleas : et ideo necira quidem sccundum ualu- mui hominis, quia porna* appetcus est. Et Platonis argu- meutum afTeram : quid eaiin probibet alienis uti , e< parte qua nostra sunt? «Virbouus, inquit.non licdili • ixrna la-dit; Ijonocrgo pœna non conveuit : ob boc ne* • ira : quia poena ira; convcnit. • Si Tir bonus pœoa non f;audct , non gaudebit ncc e i quidem alTcctu , cui pana ToUiptati est : ergo non est naturalis ira. VlI.Numquid, quamvis non sit naturalis ira , assti- nnenda est, quia utilis sxpc fuit? F.slullit animns, et In- citai : ncc quid(|uani sine illa inaKulllcuni in bcllo forliludo grrit , nisi bine llamma subdila est, et liinc sliniulus pcr- ORitavit, misitque in pericula audaces. Opiinuim ilaquo quidam pulant, tcniperarc iram, non lollerc, eocpio do- Iraclo qund ciund.nt , ad salularetn mofliun Cdgcrc : id \erorelincre,sine(iuo langudiit aclio, et vis acvigorani- mi rcsolveUir. Pi-imum , fjciliuscsteicluderc pcrniciosa, quamrcgcrc, et non admiltcre, quam adinissa modcrarl. Nam cum se in posscssionn posueruni , potenliora rec- tore suni , ncc rccidi se nilnuive paliuntur. Dcindc ralis ipsa, (ui frcui Iradiinlur, lanidiu potpns cet , (jUanKliu c Dès qu'elles ont pris possession, elles sont plus l)uissantes que la modcralion, el ne soulfrent ni frein, ni restiiclion. Ensuite la raison elle-même, à qui l'on contie les rênes, n'a de puissance que laiit qu'elle est séparée des passions; si elle s'y mêle, si elle se souille de leur conlact, elle ne peut plus réprimer ce qu'elle pouvait éloigner. L'âme une fois ébranlée, une fois hors de son assiette, obéit 'a la main qui la pousse. Il y a certaines cho- ses qui, dans les commencements , dépendent de nous; sont-elles plus avancées, elles nous entraî- nent par leur propre force, et ne permettent pas de retour. L'iiomnie qui s'élance dans un préci- pice n'est plus maître de lui . il ne peut ni empê- cher ni arrêter sa chute; mais un entraînement irrévocable interdit toute volonté, tout repentir : il ne peut plus ne pas arriver où il pouvait ne pas aller : ainsi , l'esprit qui s'est abandonné à la co- lère, à l'amour et aux autres passions, ne peut plus retenir son impulsion : il faut qu'il soit en- traîné jusqu'au bout, précipité de tout son poids sur la pente rapide du vice VIII. Ce qu'il y a de mieux , c'est de repousser sur-le-champ les premières provocations de la co- lère, de l'étouffer dans son germe, et de prendre soin de ne pas s'y exposer. Car si nous lui prêtons le flanc, il est difficile de se sauver d'elle par la re- traite. Eu effet, il n'y a plus de raison, une fois que nous livrons accès a la passion et que nous lui donnons quelque droit par notre volonté. Elle fera ensuite tout ce qu'elle voudra, et non tout ce qu'on lui permettra. Avant tout, je le répète, c'est de la frontière qu'il faut repousser l'ennemi : lorsqu'il «st entré, lorsqu'il a forcé les portes, il ne reçoit SÉNÈQUE. plus la loi du vaincu. Car l'âme ne se tient pas a l'écart et ne veille pas au dehors sur les passions, pour les empêcher d'aller pins loin qu'il ne faut; mais elle-même s'identiGe avec la passion ; et c'est pour cela , qu'elle ne peut plus rappeler à elle cette force utile et salutaire que déj'a elle a trahie et paralysée. Car, ainsi que je l'ai dit, chaque chose n'a pas un siège distinct et sépare ; mais la passion et In raison ne sont que des modilicatious de l'âme en bien ou en mal. Comment donc la raison envahie et subjuguée par les vices, se re- lèvera-t-elle quand elle succombe "a la colère? ou comment se délivrera-l-elle d'une anarchie où domine la confusion du mal? « Mais, dit-on, il y a des hommes qui se contiennent dans la colère. » Est-ce donc en ne faisant rien de ce que la colère leur dicte, ou en l'écoutant en quelque chose? S'ils ne font rien , il est clair que la colère n'est pas nécessaire pour nous pousser "a agir; tau- dis que vous l'invoquiez comme si elle avait quel- que chose de plus puissant que la raison. Ensuite, je vous le demande : est-elle plus forte que la raison , ou plus faible! Si elle est plus forte , com- ment la raison peut-elle lui prescrire des bornes, quand il n'y a que l'impuissance qui soit dans l'habitude d'obéir? Si elle est plus faible, la rai- son peut , sans elle , se suffire , pour arriver à ses fins, et n'a que faire du secours de l'impuissance. « Mais il y a des gens en colère qui se maîtrisent et se contiennent. » Comment? Lorsque déj'a la colère s'est éteinte, et se dissipe d'elle-même; non lorsqu'elle est dans son effervesceucc : car alors elle est souveraine. « Quoi donc ? Ne ren- voie-t-on pas quelquefois sains et saufs ceux que diducta est al) affcctibus : si iniscuit se illis et inquinavit, non potest contineie , quos suhnioverc potuissct. Com- niMta enim semel el excussj mens ci servit, a quo iiiipel- liliir. Quirumdam rerum initia in nosira potcstalc sunl : ulleriora nos sua Ti rapiunt, nec renressuin rclinquuut. Ut in pra'ceps dalis corporilms nuîlum sui arbilrium est, nec rcbislere morarive dejccla potnerunt, sed con- siiiimonine et|KEnitentiani irrevocabilis pra;cipilalio ab- scidit, et non Ilcet eo non pervcnire, quo mm ire lieu s- set : ita aninms si in iram, aniorem, alios(|uese projccit iiffecîus, non pirniit.ihir repriniere impelum; rapiat ilUim oporlet, et ad iniuni agat suum pondus, et villo- rum nalura proclivis. VIII. Optimum est primum irrilamontum \rœ proli- niis spernere , Ipsisque rcpugnarc soniinibus, ctdareope- ram ne incidamus in iram. Kam si cœperit ferre Irans- versos, difficilis ad salulem recursus est. Quoniam nihil rationis est, ubi semel affccîus inductus est, jusque iili aliquod volunlate nostra dalum est. Faciet de celero quan- tum volet, nonqujntum pcrmiseris. In primis, inquam , fluilms hostis arcendus est; nam quiim inlra\it, et portis se intulit, modum a captivis non accipit. IScquo enim se- positus est aninms , et cslrinscciis spcculatur affcclus , ut illns non patiatur ultra qiiam oportet procederc , .«cd in affeclum ipse mulatur : idro()ue non potest ulilcm illani vim et salutarcm , proditam jaui inlirmatamciue , revocare. ÎSon enim, ut dixi , separatis is!a sedes suas diductasquo liabent : sed affccUis et ratio ia niellus pejusipie uiutatlo auinii est. Quomodo crgo raiio occupala et oppressa vi- liis resurgit, quic ira cessit? aut queniadmodum a con- fiisione se liberabit, in qua pejoruni niistura prœvaluit? « Sed quidam, inquit, in ira se conlincut. » Utrum crgo ita, uiliil ut faciant eorum quœ ira dictât, an utaliquidT Si nildl faciunl , apparet non esse ad aetiones rerum ne- cessariam iram , quara vos , quasi fortius aliquid ratione haberet, advocabalis. Denique iutcrrogo, valentior est quam ra.io, au infirmier? Si valentior : quomodo illi modum ratio poierit iniponere, cura parère nisi imbecil- liora non soleanl? Si infirmier est : sine liac pcr se ad rerum cffeclus sulTicit ratio, née desiderat imbccillioris auviUuni. • At irati quidam constant sibi, et se continent • Quomodo? Quum jam ira evanescit, et sua spon'e dccedii, non quum in ipso fervore est : tune enim polentior est. o Quid ergo? non aliquando in ira quoque et dimiltunS » incolumcs inlactosque quos oderunl , et a nocendo abs- » liucnt? « Faciunt. Quomodo? quum aficctus repcixus- DE LA COLÈRE. Ton Lait? ne s'abslient-on pas de leur faire du mal? » Sans doute : Mais quand? Lorsqu'une passion en combat une autre , et que la peur ou la cupidité obtient quel(|ue cbose ; celte raodoratioii n'est pas un bienfait do la raison , mais une trêve funeste et inconstante des passions. IX. Enfin la colère n'a rien en soi d'utile, rien qui excite l'âme aux exploits guerriers. Car jamais la vertu ne s'appuie sur le vice; elle se suffit "a elle-même. Toutes les fois qu'elle a besoin de f;iire effort, elle ne s'irrite pas; elle se lève ; et selon qu'elle le juge nécessaire, elle s'anime ou s'apaise: ainsi, lorsque les traits sont lancés par les ma- ciiines, leur portée dépend de celui qui les dirige. « I.a colère, dit Arislote, est nécessaire; on ne triomphe de rien sanscllc , si elle ne remplit l'âme, si elle n'échauffe le cœur ; elle dnit donc nous ser- vir, non comme chef, mais comme soldat. » Ce qui est faux. Car si elle écoute la raison et qu'elle se laisse guider où on la mène, ce n'est déjà plus la colère, dont le pniprc est la révolte. Si elle résiste, si , emportée par ses caprices et sa présomption , elle ne s'arrête pas quand elle en reçoit l'ordre , elle est pour lâmc un instrument aussi inutile qu'un soldat qui n'obéit pas au signal do la retraite. Si donc elle souffre qu'on lui impose un frein, il faut l'appeler lal)lrs, comme la peur à la co- lère, la colère "a l'inertie, la cupidité à la crainte. X. Epargnons à la vertu le malheur de voir ja- mais la raison avoir recours aux vices. Avec eux , l'âme ne peut goûter un repos durable. Il faut qu'elle soit tourmentée, agitée; si elle n'a d'autre abri que ces maux, si elle ne doit son courage qu'à la colère, son activité qu'à la cupidité, son repos qu'à la crainte, il lui faut vivre dans la tyrannie, et devenir l'esclave de chaque passion. N'a-t-on pas honte de mettre les vertus sous le patronage des vices? Ensuite la raison cesse de pouvoir quelque chose , dès qu'elle ne peut rien sans la passion, dès qu'elle devient son égale et sa pareille. Car, quelle différence y a-t-il si des deux parts la passion est aveugle sans la raison, et la raison impuissante sans la passion? Il y a égalité dès que l'une ne peut exister sans l'autre. Or , comment souffrir que la passion soit ii ise au même rang que la raison? « La colère, dis-tu, est utile si elle est modérée. » Uis plutôt si sa nature est d'être utile; mais si elle est rebelle à l'autorité et à la raison, la seule chose (pi'on obtieimo en la modérant, c'est que moins elle est puissante, moins elle est nuisible. Ainsi donc une passion modérée n'est autre chose qu'un lual modéré. sit arreclnm, et aut metiu.aut cupiditas aliquid impe- travit; non rationis tuac beoeflcio quicvil, sed arrecluum inflila et mata pace. IX. Deniiiue niliil lialiet in le ntile , nec acuit animnm ad rcs l>ellicas. rtest, nisi ï.\h impleatanimum, > et spiritum iccendal. Ijtenduni autem illa est , mm ut > duce , sed ut milite. • Quod est Talsum. Nam si e\nu- dit rationem, et sei;ullur qua ducitur, j.im non est ira , cujus proprium est contuniacia. Si «ero répugnai, et non n'ii jussa est quiescit , seil libidine frrociaquc provcliilur , tani inutilis animi minislcr est, quam miles, qui signum receplui ncgligit. Ilaqiie si mnduni adliil>erc sitii paiitnr, iilio nomineappellanda est : desinit ira esse , quam effre- nrilam indomitamque inlelligo; si non patilur, perniciosa est, nec inter auiilia numeranda. Ita aui iia mm est, .lut inulil'is tsi. Piam si quis pcrnam exigit , non ipsius \«raie atidus, sed quia oportet , non est anoumerandus iralis. Uk crit alilif miles, qui scit parère coosilio. Affeclus quidem lam mali ministri , qnam dures suiit. Mc-o ntm- quimi assumet ratio in adjuloriumimprovidos et viuli'iitos impetus , apud quos niliil ipsa aucloritalis liahent : quos mmqiiam comprimerc possit.nisi pares illis similcsiiue opiiosnerit : ut irœ metum , ioertix iram , liuiori cupi- dilatcMi. X. Alisit hoc a ïirlute malum , ut unquam ralio ad Titia confucial. Non potcst iiic aninms lidele u:ium ca- pere : qualialur necesse est, lluelue!ur roodicum est. ** SEN XI. 0 Mais contre les ennemis, dit-on, la colère est nécessaire. » Jamais elle ne l'est moins : a la guerre, les mouvements ne doivent pas être dé- réglés, mais ordonnés et dociles. Quelle autre cause a rendu les Barbares inférieurs a nous, eux dont les corps sont bien plus robustes, bien plus endurcis aux travaux , si ce n'est la colère, toujours nuisible à elle-même? Le gladiateur aussi, c'est l'art qui le protège, c'est la colère qui l'expose. D'ailleurs, qu'est-il besoin de colère, puisque la raison atteint le même but? Crois-tu que le cbas- seur se mette en colère contre les botes féroces : cependant il les attend quand elles viennent à lui ; il les poursuit dans leur fuite, et la raison fait tout cela sans la colère. D'où vient que tant de milliers de Cimbres et de Teutons, répandus sur les Alpes, furent anéautis par un tel massacre, que , faute d'un messager , la renommée seule porta chez eux la nouvelle d'une si grande dé- faite, si ce n'est que la colère leur tenait lieu de courage ? Si quelquefois elle renverse et détruit tous les obstacles , souvent aussi elle se perd elle- même. Quoi de pins intrépide que les Germains ? quoi de [dus impétueux à l'attaque? quoi de plus passionné pour les armes, au milieu desquelles ils naissent et grandissent, dont ils font leur uni(iuc souci, indifférents à tout le reste. Quoi de plus en- durci "a toute souffrance? eux qui, pour la plu- part ne songent pas a couvrir leur corps, à l'abriter contre les rigueurs perpétuelles de leur climat. De tels hommes cependant sont battus, avant même qu'une légion romaine se montre, par des Espa- gnols, par des Gaulois, par les troupes sans vi- ÈQUE. gueur de l'Asie et de la Syrie : or, nulle autre chose n'en fait une proie facile , que la colère. Mais qu'à ces corps, h ces âmes qui ignorent les délices , le luxe et les richesses , la raison donne la discipline : pour ne rien dire de plus, il nous faudra certainement reveniraux anciennes mœurs romaines. Par quel moyen Fabius ranima- l-il les forces épuisées de l'étal? Il sut temporiser, atten- dre , patienter ; toutes choses que ne sait pas faire l'homme irrité. C'en était fait de l'état, alors sur le penchant de l'abîme , si Fabius eût osé tout ce que lui conseillait la colère. Mais il prit avis de la fortune publique; et calculant ses ressources, dont il ne pouvait plus risquer une seule sans tout ris- quer, il éloigna tout ressentiment, toute ven- geance. Uniquement attentif à proOter des occa- sions, il dompta la colère avant de dompter An- nibal. Que fit Scipion? s'éloignant d'Annibal, de l'armée punique, de tout ce qui devait l'irriter, il transporta la guerre en Afrique avec une lenteur si réfléchie, que l'envie pût l'accuser de mollesse et d'indolence. Que fit l'autre Scipion? ne se tint- il pas, avec une constance persévérante, autour de Numance, supportant avec calme cette dou- leur, autant personnelle que publique, devoir Numance plus lente à succomber que Carthage? Et cependant il entoure, il enferme l'ennemi, et le réduit a tomber sous ses propres coups. XII. La colère n'est donc pas utile même aux combats et a la guerre. Car elle est prompte à la témérité , et ne sait pas éviter le péril où elle veut engager les autres. Le véritable courage est celui qui s'observe beaucoup et longtemps , qui se ga- XI. • Sed pdversiis Iiostes , inquit , necessaria est ira.» Nusqiiaiii minus : ubi non cffusos esse oportet impetu.s , sed temperatos et obcdientes. Quid enim est aliud , quod Barbares tanto robustiores corporibus , lanlo patientiores laborum cnniminuat, nisi ira infestissinia silii? Gladia- tores quoque ars tuetur, ira dénudât. Deinde quid opus est ira, quum idem perficiat ralio ? An tu putas venato- rem irasci foris? Atqui et venienlcs cxcipit, et fiigientes perscquitur : etomnia illa sine ira facit ralio. Quid Cim- brorum , Teutonoruniquc tôt millia snpcrfusa Alpibus ita sustulit, ut lantae claiiis notitiam ad suos nonnunlius, sed fama pertulcrit, nisi quod erat illis ira pro virtute ? quœ ut aliquaudo perculit stravit(|ne obvia , ita saepius sibi esilio est. Gcrmanis quid est animosius? quid ad in- cursuni acrius? quid arniornm cupidius? quibus iunas- cuntur inniilriunturque : quoium unica illis cura est , in aliancgligeiitibus. Quid induralius ad omneni palien- tiara ? Ht (|uibns magna ex p::i'!c non tegumenta corpo- ruin provisa sunt, non snfiugia ai rapi > niatreni. • Non irascelur, led viadicai>it , ted turbllur. Quid autem tiiues,neparuinilli magnus siimiilus, etiani fine ira , pietas sit? Aut die eodem modo : Quid ergn ? quuin viderit sccari patrem suum, niiuinvc, vir Iwnus noo flehit , nec linquetur aninio? qua; acciiiere feininis videmus, quoties illas levis pcriculi suspiciu perculit. OrDcia tua vir bonus eisequltur incorfusus , iiitrepidus : et sic bono viro digna faciet, ut nibi! faciat vire indig- Dum. Pater cxdetur? defeadam; ca'sus est ? eiscquar . quia oporlet, non quia dolet. Quura hoc dicis, Tlico- pbraste , quxris invidiam prxceplis forlioribus , et, rc- Bclo judice,adcoronani venis; quia unusquisque in ejus- uiodi suoruni casu irascitur, putas, judicaturos honiines id ficri dcliere, quod facium. Fcre enim jusium quisque afrcclum indical, qucm agouscit. Irascunlur lioni viri pro tuorum injuriis : ted idem faciunt , si calda non bcuc prxbelur, si vilreum fracliim est, si calceus luto spar- tus est. Non pielas illani iram , »ed infîrmilas inovet ; dcut pueris, qui lam parcntibus amissis llubunt , quam Bunnus. Irasci pro suis, uoa est pii aninii , sed infirnii. lllod pulchrunidigQumque, parcntibus, lil)eris, aniicis. est beau , ce qui est digne , c'est de se montrer défenseur de ses parents, de ses enfants, de ses amis, de ses concitoyens, à la seule voix du de- voir; défenseur volontaire, réfléchi, prévoyant, non aveugle et furieux. Car aucune autre affection n'est, plus que la colère, avide de vengeance, et par cela même, dans sa folle précipitation, plus impuissante a se venger; c'est comme presque toute passion, qui se fait obstacle 'a elle-même dans tout ce qu'elle poursuit. Ainsi donc jamais la co- lère n'est bonne, ni dans la paix ni dans la guerre : car elle rend la paix semblable 'a la guerre; mais, sous les armes , elle oublie que Mars offre des chances communes, et elle tombe au pouvoir d'au- trui, parce qu'elle n'a pas de pouvoir sur elle- même. Au reste, de ce que les vices ont parfois fait quelque bien , ce n'est pas une raison pour en adopter l'habitude ; car la Oèvre guérit certains genres de maladie ; il «'en est pas moins préfé- rable de ne jamais l'avoir eue. C'est un détestable genre de remède, que de devoir la santé 'a la ma- ladie. De même la colère , eût-elle servi quelque- fois par hasard , ainsi que le poison, une chute, un naufrage, ne doit pourtant pas être considérée comme absolument salutaire ; car la peste aussi a quelquefois sauvé. XIII. Ensuite toute qualité qui est comptée parmi les biens est d'autant meilleure, d'autant plus désirable, qu'elle est plus développée. Si la justice est un bien , personne ne dira qu'elle vau- dra mieux si on en sacriflc quelque chose. Si le courage est un bien , personne ne souhaitera qu'on en retranche quelque partie : 'a ce compte, plus la colère serait grande, mieux elle vaudrait. Qui, civibus prodire defcnsorcni , ipso officio ducente : volen- tem , judicanlem , providentein , non inipuisum et rabi- duni. Nullus enim affeclus vindicandi cupidior est quam ira : et ob io ipsum ad vindicandum inliat>ilis , praerapida et aniens : ut oninis fere cupidilas ipsa sibi ia id , io quod properat , oppuoitur. Itaquc nec in pacc , nec in liello , unquani Iwna fuit, l'acein euim similem belli cfDcit : in arniis vero ol)liviscilur , Marlem esse comniunem, ve- oitque in alienam potestateni, dum in sua non est. Deinde non ideo vitia in usum recipieoda sunt, quia aliquando alii|uid bnni elTeccrunt ; n:jni et fcbres quxdam gênera valeludinis levant : nec ideo non ei toto illis caruissenie- lius est. .\l)Oniioandum rcnicdii grnus est , sanitateni de- berc morbo. Simili modo ira , ctiams) aliquando , ut ve- nenum , et prxcipitatio , et naufragium , ei inopinalo profuit, 000 ideo salutaris omuino Judicanda est; tspe enim saluti fuere pcstifera. XIII. Dcindc qua; habcnda sunt in jionis, quo majora, eo ineliora et oplabiliora suot. Si juslilia bommi est , nemo dicct melioreni futurani, si quid dftracluni ei ca fuerit; si fortitudo l)onuin est , nemo illam desidorabit ex aliqna parle deminui ; ergo et ira quo major, lioc me- lior; quis enim ullius boni accessiouau rccusaveril? at- 10 SÉNtQUE. en effet, refuserait 1 accroissement d'un Lien? Or, l'accroissement de la colère est inutile , donc elle- môme est inutile. Cela n'est pas un bien, qui, en se développant , devient un mal. « La colère, dit-on, est utile, parce qu'elle rend plus hardi dans les combats. » il faut donc en dire aillant de l'ivresse. Car elle nous rend insolents et audacieux ; et bien des hommes ont dû leur valeur "a l'intempérance. Il faut dire aussi que la frénésie et le délire sont nécessaires a la force, parce que la folie rend pins vigoureux. Eli quoi! la peur elle-même n'a-t-elle pas quelquefois inspiré l'audace par un sentiment contraire? et la crainte de la mort n'a-t-elle pas précipité les plus lâches au combat? Mais la colère, l'ivresse, la crainte, et tout sentiment de même nature sont des mobiles honteux et précaires; ils ne fortifient pas la vertu, qui n'a que faire des vices, mais par- fois ils relèvent quelque peu un cœur lâche el fai- ble. Nul ne devient plus courageux par la colère, s'il n'était déjà courageux sans elle. Ainsi elle ne vient pas aider le courage , mais le remplacer. Kh quoi! si la colère était un bien, ne la verrait-on pas chez les hommes les plus accomplis? Or, les plus irascibles sont les malades, les vieillards, lesenfanis; et tout être faible est naturellement querelleur. XIV. (I 11 est impossible , dit ïhéopliraste , que l'homme de bien ne s'irrite pas contre les méchants. » A ce compte, plus on sera homme de bien, plus on sera irascible. Vois, si on n'est pas au contraire plus doux, plus libre de toute pas- sion, de toute haine. Et pourquoi haïr ceux qui font mal, puisque c'est l'erreur qui les y en- traine? il n'est point d'un homme sage de haïr ceux qui s'égarent : autrement ce serait se haïr lui-même. Qu'il se rappelle combien de choses il a faites contre la loi du devoir, combien de ses actes ont besoin d'indulgence , el bientôt il s'irri- tera contre lui même. Car un juge équitable ac porte pas dans sa propre cause une autre senicnco que dans une cause ctrang.TC. Non, il ne se trouve personne qui se puisse entièrement absou- dre ; et tout homme qui se dit innocent, invoque le témoignage des autres et non sa conscience. N'est-il pas bien plus humain de témoigner a ceux qui pèchent des sentiments doux et paternels , de les ramener , non de les poursuivre ? Si un homme s'égare dans les champs, parce qu'il ignore sa route, il vautmieuxleremetiredans le bon chemin, que de le chasser. 11 faut donc corriger celui qui pèche, el par les remontrances, el par la force , et [lar la douceur , et par la sévérité ; et il faut le ren- dre meilleur, tant pour lui que pour les autres, nonsans châtiment, mais sans colère. Quel est, eu effet , le médecin qui se fâche contre son malade? XV. « !\Iais ils sont incorrigibles ; il n'y a en eux rien de traitabic , rien qui laisse un espoir d'amendement. » Eh bien retranchez du nombre des vivants ceux dont les crimes passent la me- sure'commune, et mettez-les hors d'clat de faire le mal, par la seule voie possible, mais toutefois sans haine Car, pourquoi donc haïrai-je celui k qui je rends le plus grand service, lorsque je l'arrache a lui-même? Y a l-il quelqu'un qui haïsse ses membres , quand il les fait couper? Ce n'est pas là de la colère , c'est une triste £,uérison. Nous assommons les chiens enragés , nous tuons qui augcri illam inutile est : ergo et esse. Non est lionuni, quod iucrcniciilo iiialum fit. «tUtilis, inquit , ira est , quiii piignaciores facit. » Isto modo et ebrielas. Facit enim prolervos et audaces ; niulliqueraelioresadferrum fuere maie sobrii. Islo modo die et pbrenesim et insa- niam viiibus necessariam : quia sa?pe validiores furor reddit. Quid? non ali(|uolios metus e contrario fccit au- daccui? et mortis limor etiam intrlisslmos excitavit iu prœliuui? Sed ira,ebrietas, limor, aliaque e]usinodi , fœda et caduca irrilamcnla sunl : nec Yirluleni inslruunî, quaînihil vitiis cget, sed segnein aliquando auinium et ignavum paulidum allevanl. Nemo irasccndo (it forlior , nisi qui forlis sine ira non essel. lia non in adjutorium virtutis venit, sed in vicem. Quid quod, si bonum esset ira, perreclissiniuin quemque sequeretur? atqui iracun- dissimi , infantes, senesque , et a'gri sunt; et invaliduni omne natura querulum est. XIV". « Non polest, inquit Thcophiasfus, fleri , nt bonus vir non irascjtnr malis. » Isto modo, quo melior quisque, Iioc iracundior criL? Vide ne conlra placidior, sfllutusque affeclibus , et oui nemo odio sit. Perçantes vero quid lialict cur odcrit, qumn crror illos in liiijus- modi delicta compellatf non est aniem prndenlis , cr < rantes odisse : aliotjuin ipse sibi odio erit. Cogitet, quam multa contra bouum niorem faciut, quam multa ei bis , quœ cgil , vrniam dcsiderent. Jam irascctur etiam sibi ! Neque en m ascidltf non est illa ira , sed misera curatio. Kabidos eflligiiuiis. I DE LA COLEUE. n les taureaux farouches et indomptables; nous égorgeons les brebis malades, de peur qu'elles n'inrecleut le troupeau ; nous étouffons les enfan- tements monstrueux; même les enfants, s'ils sont débiles et difformes, nous les noyons. Ce n'est pas de la colère , mais de la raison , que de séparer des parties saines celles qui peuvent les corrompre. Rien ne sii'd moins que la colère 'a celui qui punit; puisque le cbâtiment n'est eflicace à corriger , qu'autant qu'il est ordonné avec jugement. C'est pour cela que Socrate dit 'a son esclave : f Je le battrais, si je n'étais en colère. • Pour corriger son esclave, il remit 'a un moment plus calme; et en même temps il se corrigeait lui-même. Chez qui la passion serait-elle modérée, puisque So- crate n'osa pas se fiera sa colère? Ainsi donc, pour réprimer l'erreur et le crime , il n'est pas besoin d'un juge irrité. Car, puisque la colère est un délit de l'âme , il ne faut pas qu'un homme qui pèche punisse le péché. XVI. Quoi ! je ne m'emporterai pas contre un voleur ; je ne m'emporterai pas contre un empoi- sonneur. Non , car je ne m'emporte pas contre moi-même , quand je me lire du .sang. Toute es- pèce de châtiment, je l'applique comme remède. Toi , tu n'as encore fait que les premiers pas d:ins l'erreur; tes chutes ne sont pas graves, mais*elles sont fréquentes. J'essaierai de te ramener par des ren:ontrances, d'abord en particulier, ensuite en public. Toi, tu es allé trop loin pour que des paroles puissent te guérir ; la flétrissure te retien- dra. Toi , il te faut un stigmate plus profond , qui le fasse impression ; on l'enverra eu e\il sur des bords inconnus. Chez loi une méehancelé con- sommée veut des remèdes plus violents ; les fers publics et la prison l'attendent. Toi, ton âme est incurable et ta vie un tissu de crimes ; tu n'en es déj'a plus "a être entraîné par l'occasion, qui ne manque jamais au méchant; mais, pour faire le mal , il ne te faut pas d'autre occasion que le mal. Tu as épuisé l'iniquité ; et elle a tellement péné- tré les entrailles, qu'elle ne peut plus s'échapper qu'avec elles. Depuis longtemps, malheureux, tu cherches à mourir ; nous allons bien mériter de toi : nous t'arracherons au vertige qui l'obsède; et , après une vie de souillure pour le malheur des autres et pour le tien , nous te montrerons le seul bien qui le reste , la mort. Pourquoi m'irriterai- je contre celui auquel je rends le plus grand ser- vice'/ Dans certains cas, la meilleure preuve de compassion c'est de donner la mort. Si, médecin habile et expérimenté, j'entrais dans une infirmerie oudans la maison d'un riche, je ne prescrirais pas le même traitement 'a tous ces malades atteints d'affections différentes. Je suis appeléà la guérison d'un peuple ; et dans autant de cœurs je vois au- tant de vices divers; 'a cha(|ue maladie je dois chercher son remède. Je sauverai l'un par la honle , l'autre par l'exil , celui-ci par la douleur , celui-là par la pauvreté, cet autre par le glaive. Si je dois revêtir la robe sinistre du juge , si le clairon funèbre doit convoquer la multitude, je monterai au tribunal, non point eu furieux ou en ennemi, mais avec le front impassible de la loi ; je prononcerai l'arrêt solennel d'une voix plutôt calme el grave qu'emportée ; et jccomman- cancs , tracera atque immansnelum tx>Tem csnlimiis , et [norl>idis pecorilms, ne (rrcgcm pallii.int. ferrum deiiiit- timus , portenlosos Têtus ei.stinguimus , lil)eros quo<|oe , si débiles monstrosique cditi siint, mercimus. ISun ira, sed ratio est, a sanisiaulilia secernere. >il minus, quain irasci , punientem deret : qiium eo magis ad cmeiidalin- nem fwena proliciat, si judicio lata est. Inde est, (;uod Socrates serTO ait: Csderein te, nisi irasccrer; ndino- nitioneni serti in tempos sanius dislulit, illo tniipore se admouuil. Ciijus eril leniperalns arfi-ctus , quum Sucra- l» non sit ausus se ira committcre? Krgo ad cocrcilio- nrm crranlium sccleratorumque initu rasiigatore non opus est. Nam quum ira delicmm animi sit, non oporlet ppccita corrigcre peccanlem. XVI. t Quid erROÎ non irasear lalroni? non irascar • venenco? » Non. ÎJcque cnim mihi irascor, quum sanguinem mit!u. Onine pin- cula pul)lica , et carccr adliihebilur. Tilii insanabiMs aui- mus est, et scelerilius srelera cuntcxens : et jam non causis, qnx nuoijuam malu dcru:uraQ suni, impellcris; sed salis tibi est magna ad pcccanduni causa , peccare. PerbibistI nequitiam, et ila visceribus immiscusti, ut nisi cum ipsis étire non possil. Olim miser moi i ijuaris; l)enc de te mcrebimur : aufiTcmus tibi ist.nni , qiia vexaris, insaniani; et per lua iilienai|ue vulutato suppli- cia, id, quod unum bonuni tibi supcrest repro-senlabi- mus . miirtcm. Quarc irasc r , oui quum niaxinic prn- sum? Intérim optimum misericordia; gcnus est, occi- drre. .Si intrasscm vaicturiinarium eiercilatus et sciens, sut domum ditilis , non idem iinpcrassom omnibus per diversa a-grolantibus. Varia in lot aiiimis villa video, et rivitili curand Fateor. Scnticl levem quemdani , tenucinque motuni. Nam, ut dixit Zeno , in sapienlis quoqne auinio, etiani quum vulnus sanatum est , cicatrii nianet. Senliet itaque Euspicioucs (|uasdura et unibras affectuum : ipsis quideiu carebit. Aristoteles ait, afieclus quosdani, si quis illis bene utalur, pro arniis esse. Quod veruui f.iret, si velut bellica instrumenta sumi deponi'ine possent iuducuûs ar- liitiio. Ha?c arma, qna? Aristotcles ^irtuli dal , ip*a per se pugaant , non exspeclant manum : babent , et noo ha- beatur. IS'U aliis iustrumcntis opus est : satis nos ia- struxit ratioae natura. Use dédit telum , flrniuni , per- peiuum; obsequeus, uec anccps, nec quod in douiiaum rcniitti posset. Non ad providenduni taolum , sed ad res gerendas satis est per se ipsa ratio. Eteoim qoid est stultius, qnaui banc ab iracundia petere praesidium : rem stal)ilem ab incerta , (idelem ab infidj , sanam ab a;gra t Quid , quod ad actiunes quoquc , ia quibus solis opéra iracundiae videtur necessaria , niulto per se raiio fortior est? Nam quum judicavit abquid faciendura, in eo per- sévérât ; nihil enim meiius invenlura est se ipsa , quo niulelur : ideo slat scmel conslilutis. Irara sappe miseri- cordia rétro egit ; baljet enim non solidum robnr, sed vanum tumoreui : violenlisque piincipiis utitur, non tliter quam qui a terra venti surgunt, et fluminibus pa- ludibuscjue concepti , sine peninacia veliementes sunt. Incipit magno iinpetu , deinde déficit ante Icmpus faB- gata : cl qua; nihil aliud quam crudelitatem ac nova gê- nera pœnaruni versaverat , quum animadTerlendum est, ira jaiu fracta lenisque est. Afieclus cilo cadit : aequali» est ratio. Celerum etiam ubi perseveraTerit ira , non.- nunquara si plures sunt, qui ptrire meruerunt, iost DK LA COLEIU;. 13 Ântce, s'il se trouTe plusieurs coupables qui aient mérité la iiiorl, api es le supplice de deux ou trois, elle cesse de frapper. Ses premiers coups sont ter- ribles, deniêineque le venin des serpents est dan- gercui lorsqu'ils sortent de leur antre: mais leurs dents sont inoffensives lorsque de fréquentes mor- sures les ont épuisées. Ainsi, ceux qui ont commis les mômes crimes ne souffrent pas les mûmes peines, et souventceluiqni eu acoinmisle moins, souffre le plus, parce qu'il se trouve exposé à une colère toute fraîche. En tout elle est inégale : tantôt elle va plus loin qu'il ne le faut ; tantôt elle s'arrûte plus tôt qu'elle ne le doit. Car elle se com- plaît en elk-mèine, juge d'après son caprice, ne veut rien écouter, ne laisse pas de place h la dé- fense, satlaclie à l'idée dont elle s'est emparée, et ne souffre pas qu'on efface ses décisions, si mauvaises qu'elles soient. La raison assigne aux deux parties le temps et le lieu : elle se prescrit 'a elle-même un délai , pour avoir le loisir de dis- cuter la vérité : la colère se presse d'agir. La rai- «)n veut décider ce qui est juste; la colère veut qu'on trouve juste ce qu'elle a décide. La raison ne considère que le sujet en litige ; la colère est ru traînée par des circonstances frivoles et hors de la cause. Un air trop assuré, une parole ferme, un discours un peu libre, une mise recherchée, un cortège imposant , la faveur populaire, tout l'exaspère. Souvent , en haine de l'avocat , elle condamne l'accusé : même alors qu'on lui met la vérité sous les yeux, elle aime, elle caresse le mensonge : elle ne veut pas être convaincue; et, engagée dans une mauvaise route, l'opiniâtreté lui semble plus honorable que le repentir. Cnéius Pison fut dans ces derniers temps un homme exempt de beaucoup de vices; mais c'était un esprit faux , qui prenait la dureté pour de la fermeté. Dans un moment de colère, il avait or- donné de conduire au supplice un soldat qui était revenu du fourrage sans son compagnon, l'accu- sant d'avoir tué celui qu'il ne pouvait représen- ter. Le soldat le conjura de lui accorder quelque temps pour aller aux recherches; il refusa. I.o condamné fut donc conduit hors des retranche- ments, etdéj'a il tendait la têlc, quand soudain reparut celui qu'on le soupçonnait d'avoir tué. Le centurion chargé de l'éxecution ordonne au spéculateur ' de remettre son glaive dans le four- reau, ramène le condamné a Pison , pour rendre au juge son innocence; car la fortune l'avait déjà rendue à l'accusé. Une foule immense escorte les doux camarades, qui se tiennent l'un l'autre em- brassés, il la grande joie de tout le camp. Pison s'élance furieux sur son tribunal , et ordonne de les mener au supplice l'un et l'autre, et celui qui n'avait pas tué, et celui qui n'avait pas été tué. Quoi de plus indigne? parce que l'un se trouvait innocent, tous deux périssaient. Pison ajouta une troisième victime : le centurion lui-même, qui avait ramené le condamné , est envoyé "a la mort. Il fut dcHridé que trois hommes périraient au même endroit à cause de l'innocence d'un seul. Ohl que la colère est ingénieuse h iuvenler des prétextes "a sa fureur. Toi , dit-il , je te fais mourir parce que tu as été condanmé; toi , parce que lu as été cause de la condamnation de ton camarade ; toi < Soldil chargé (les «écutioDs capitales tous la directiun du ceoturion. diiornnr triumTe taoguincm , occidcre desinit. Priini ejus klus aores sudI, sicut serpcnliuro venona a cubili re- pralium noccnt : ionoiii dentés sunt, i|uum illos fre- qucns morsus eiliauiit. Ergo noo paria paliuiilur, qui paria conimiserant, et sippe qui minus cummisil, plus p.'itilur, quia reeeotiori irœ ol)jectus est. Et in totum inœqiialis est : niodn ultra qaam oportet, eicurrit , modo cilci'ius debito rcsislit. Silii enim iudulgct , ci llbidine judicat, et aiidire non vull, et |)atrocinio non rclinquit lucum , et ca teoet qus iaïasit , et eripi sibi judicium suuni, etlam si prarum est, non siuit. Ratio nlrique parti locuni dat, et tcmpiis dat. Deindc adTOcationeni etiam sibi petit, ut eiculicndx spatium veriiali babeat : ira fvslisat. Katio id judicari Tult , quud aequum est : ira id a!qunni videri Tult, quod Judicavit. Ratio nibil prxter ipiuin , de quo agitur, spectat : ira vanis et extra causam obTersantibus commOTelur. Vultus illain securior, voi clarior, termo libcrior, cnllus delicatior, advocatio am- biiiosior, favor popularis exaspérai. Sa'pc infesta patrono, reum damnât : etiamsi iogeritur oculis verilas , amat et tuetur errorem : coargui non vult, et in inale cœptis booestior illi pertinacia Tidetur, quam pœnitentia. Cn. Piw fuit incmoria nottra , vir a multii Tilii» integer , ed pravus, et oui placebat pro constanlia rigor. ïs quum iratus duci Jussissct euni , qui ei commealu sine rommi- litODC redlerat , quasi interfecisset quem non eibibcl)at , roganti tenipus allquod ad couquireadum , non dcdit; damnatus eitra valliim ductus est, et jam cervicem por- rigel^at , quum subito apparuit ille conimililo , qui ccci- sus videl>alur. Tune centurio supplicio prspositus, cou- dere gladium speculiitorem juIkI : dainnatumad Pisoneni reducit, reddilurus Pisoui inuocentiam; nam milili for- tuna reddiderat. Ingenticoncursudeducuntur, coraple\i aller allerum, cum magno gaudio castroruDi, comniili- toncs. Coosceudit tribunal furens Piso, ac jubet duci uirumque, et eum mililcm qui non occidcrat, et emu qui non pericrat. Quid boc indignius? quia unus iuno- cens apparuerdt, duo pei'il>anl. Piso adjccit et terliuni. >'am ipsuin centurioncni, qui damnalumreduierat, duci jussit. Constituti suot in eodcm loco pcrituri très , oh unius inuocentiam O quam solers est iracundia ad Tia- gendas causas furoris I Te , inquit , duci jubeo , quia damnatus es: te, quia causa damnationis commilitoni fuisli : te, quia jussus occidere, imperalori non paruisti. KicogitaTit quemadmodum tria crimina faccret, quia uullum ioveoerat. Ual>et, inquam , iracundia boc mali , H SÉiNÈQUE. parce qu'ayant l'ordre de lucr, lu n'as pas obéi 'a ] lout cela n'arrive 'a l'Iiomme libre de toute colère; ton général. Il imagina le moyen de créer trois ' il inflige 'a cliacun la peine qu'il mérite. Souvent crimes, parce qu'il n'en trouvait pas un. La colère , ai-je dit, a cela de mal, qu'elle ne veut pas être gouvernée. Elle s'irrite contre la vé- rilé elIe-inCrae, si la vérité se manifeste contre sa volonté. C'est avec des cris, des vociférations, des mouvements impétueux de tout le corps, qu'elle s'acharne sur ceux qu'elle frappe ; elle y ajoute les outrages et les malédictions. Ainsi n'agit pas la raison : mais, calme et silencieuse, elle ira, s'il le faut , renverser de fond en comble des maisons entières, anéantir des familles dangereuses pour la république , sans épargner femmes ni enfants, détruire même leur demeure, la raser jusqu'au sol, enfin abolir des noms ennemis de la liberté; tout cela sans grincer des dents, sans secouer la tête, sans rien faire d'inconvenant pour un juge, dont le visage doit être calme et impassible , alors surtout qu'il prononce quelque arrêt impor- tant. Aquoi bon, dit lliéronymc, quand lu veux frapper quelqu'un , te mordre d'abord les lèvres. Que serait-ce, s'il eût vu un proconsul s'élan- cer de son tribunal, arracher au licteur ses fais- ceaux , et déchirer ses vêlements , parce (ju'on tardnit ;i déchirer ceux du condamné? Qu'est-il besoin de renverser la table, de briser les verres, de se heurter la tête contre les colonnes, de s'arra- cher les cheveux, de se frapper la cuisse ou la poi- trine? Vois quelle est la violence de celte colère qui, ne pouvant s'exercer sur autrui aussi promp- lemeut qu'elle le désire, se tourne contre elle- même. Aussi est-elle retenue par ceux qui l'envi- ronnent et qui la conjurent de s'épargner : rien de il acquitte celui qu'il a surpris en faute, si le repentir permet d en espérer mieux, s'il dé- couvre que le mal ne vient pas du fond de l'âme, mais s'arrête, comme on dit, 'a la surface. 11 ac- cordera l'impunité, lorsqu'elle ne devra nuire ni il ceux qui la reçoivent, ni a ceux qui la donnent. Quelquefois il punira les grands crimes avec moins de rigueur que les fautes plus légères, si dans ceux-lii il y a plutôt oubli que scélératesse; si dans celles-ci il y a fourberie cachée, couverte et invétérée. Il n'appliquera pas la même peine "a deux crimes dont l'un aura été commis par inadvertance, et l'autre avec le dessein prémédite de nuire. Dans tout châtiment il agira avec la conviction d'un double but "a suivre, ou de cor- riger les méchants, ou de les détruire. Dans les deux cas, ce n'est point le passé, c'est l'a- venir qu'il envisage. Car, comme le dit Platon : « Le sage punit , non parce qu'on a péché , mais pour qu'on ne pèche plus : le passé est irrévoca- ble, 1 avenir se prévient. Aussi fera-t-il mourir publiquement ceux qu'il veut ofirir comme exem- ples de la méchanceté faisant une mauvaise lin ; non pas seulement pour qu'ils périssent eux- mêmes, mais pour empêcher les autres de périr. > Tu vois combien celui auquel il appartient d'ap- précier, de peser ces circonstances, doit être li- bre de toute passion, pour exercer un pouvoir qui exige la plus grande réserve, le droit de vie et de mort. Le glaive est mal placé dans les mains d'un furieux. Ne va pas même l'imaginer que la colère contribue en rien 'a k grandeur d'âme. Car ce non Tult régi. Irascitur veritali ipsi, si contra volunla- tein snaiii apparuerit ; claniore, et tumultu , et lotiiis corporis jaclatlono , (juos deslinavit , insequilur , ad- jeclis coii\iciis nialediciisque. Hoc non facitralio : scd si ila opus est , silens quietaque , totas donios funditus lol- lit, et faiiiilias reipulilicœ pestilcntes cum conjugibus ac lilicris perdit, lecta ipsa diruit, et solo esaoqiiat; et ini- mica lilierlati noniina exslirpnt. lla;c non frendens, Dec caput quassans, nec quidquani indecnrnm judici faciens, ciijus tuni maxime placidiis esse débet et in statu Tnltus , qunm magna pioniuitial. o Qiiid opus est, inquil Hicro- nynius, quum velis cocderc aliqucm , prias tua lal)ia nioidere ? « Quid .si ille vidissel , desilieulem de tiibunali piocnnsnlem , et fasces licioii ai;ferenlem , et sua vesli- nventa scindcnteni , quia tardius scindebantur aliéna ? Quid opus est mcnsani eveitere? quid pocula afdigere ? qnid se in columnas inipingere? quid capillos cvcllere ? fémur peclusque perculere ? Quantam iiam putas, qua; quia non tam tilo in aliuni quani vult ernmpit.insc leverliliir? Tenctur itaque a proxiniis, etrogatur,ut Ipse sibi placclur : quorum niliil facit, quisquis vacims ira ; raeritani cuiquc pmnam iujinigit. DimittiLsa-peeum, cujus pcecatuni deprcbeudit , si pœaitenlia facii spcm bonam pollicetur , si intelligit non ex alto Tcnire nequi- tiam, sed sunimo, q lod aiunt, animo inharere. Uabit inipnnilalem , nec accipientibus nociturani, nec danti- bus. ISonnunquam n}agDa scelera Icvius quam minora compescct, si illa lapsu , non crudelitate commissa sunt; bis iacst latens et uperta , et inTetcrala caltiditas. Idem dcliclum in duobus non codem malo afficiet, si aller per negligentiani adniisit , aller curavit ut nocens esset. Hoc semper in omni animadversionc scrvabit , ni siiat , alle- ram adhiberi, ut emendet mr.los , alteram , ut lollat. In utroque non praelerila, sed futura inluebilur. >ara, ut l'ialo ait : • Nemo prndens punit, quia pcccatum est, sed ne peccelur; revocari enini pralerila non iMssunt, Tutura prohibentur • et qnos volet nequilicB niale cedcnlis esem- pla fieri, palam occidet, non t:mtum ut pereant ipsi , sed ut alios pereundo deterreant.» Haec cui cjpendenda a;s- timandaque sunt , vides quam debeat omni perUnkiiione liber aecedere ad remsunima diligentia tractandani, [lo- teslatem Tila; necisque. Maie irato ferrnni comniititcir. Ne illud quidem judicandum est, aliquid iram ad magni- tudinem aninii confirre. Non est enini illa magniludo; lumorcst : nec, corporibus copia vitiosi humoris inten- sis , morbus incremcntum est, scd pestilens abondantia. DE LA COLÉnE. 15 se n'esl pas là de la granJeur ; ce n est que de Icn- llure : ainsi , dans les corps que gonfle une liu- iiicur viciée , la maladie n'est pas de l'embon- poinl ; c'est une exubérance mortelle. Tous ceux qu'un esprit dépravé emporte au-dcla des pen- sées humaines s'imaginenf qu'ils respirent je ne sais quoi de grand et de sublime : mais l'a- lessous il n'y a rien de solide, et tout édifice ns fondements est prorapt "a crouler. La co- lère ne s'appuie sur rien, elle ne s'élève sur rien de ferme et de durable; elle n'est que vent el fumée, et s'éloigne autant de la grandeur d'àmc , que la témérité du courage , la présomp- tion de la confiance, la tristesse de l'austérité, la cruauté de la sévérité. Il y a, je le répète, une grande différence entre une âme élevée et une âme orgueilleuse. La colère n'entreprend rien de généreux , rien de noble. Je vois au contraire dans celte irascibilité habituelle les symplômes d'une âme usée et stérile qui a la conscience de sa fai- blesse. Semblable "a ces malades couverts d'ulcè- res, qui gémissent au moindre contact, la colère est surtout un >ice de femmes et d'enfants. Ce- pendant les hommes mêmes en sont atteints ; car il y a des honiiiies qui ont des esprits d'enfants et de femmes. « Mais quoi 1 n'y a-l-il pas quelques paroles lancées parla colère, qui, pour ceux qui ignorent la véritable grandeur, semblent émaner d'une grande unie? « l'ar exe iiplc, ce mol affreux, cxtx;rable : « qu'on me haïsse, [>ourvu qu'on me craigne.» Il faut que tu saches qu'il date du siècle de Sylla. Je ne sais lequel est le pire des deux s<)uliails, la haine ou la terreur. Qu'on me haïsse ! Tu vois dans l'avenir les malédictions, lescmbû- clics, l'assassinat. Que vcui-tu de plus? Que les dieux te punissent d'avoir trouvé à la haine uq aussi digne remède! Qu'on me haïsse! Quoi ! pour- vu qu'on t'obéiïse? Non. Pourvu qu'on l'estime? Non. l\Iaisquoi donc? Pourvu que l'on tremble. Je ne voudrais pas môme Otie aimé "a ce prix, l'cnses- tu que ce mot parte d'une grande âme? Tu le trompes : ce n'est pas là de la grandeur, mais de la férocité. Ne va pas le fier aux propos de la colère : elle fait grand bruit, elle menace ; mais au fond son cœur est plein de làchcié. El il ne faut pas croire» vrai ce qu'on lit dans Tile-Live, écrivain d'ailleurs très-éloquent : « Grand honmie, plutôt qu'homme de bien. • On ne saurait séparer ces deux qualités; car ou l'on sera bon, ou l'on ne sera pas grand. En effet, je ne conçois de grandeur d'ànie que celle qui est inébranlable, solide 'a l'intérieur, également ferme dans tout son ensemble, le! le enfin qu'elle ne peut se trouver chez les méchants. Car ils peuvent bien Cire menaçants, impétueux et destructeurs; quant à la grandeur dont la bonté fuit le fondoraent el la force , ils ne l'auront pas. Du reste, leur langage, leurs efforls, tout leur appareil extérieur prend queIqnc!ois un faux air de grandeur : il leur échappera quelque chose d'éloquent, que tu croirais quelque chose de grand. Ainsi, Caïiis César, irrité que le ciel lonnàt sur ses pantomimes, dont il était encore plus l'émule que le spectateur, et que sa représentation fût trou- blée par la foudre , qui , ce jour-là, n'était guère bien dirigée, provoqua Jupiter à un combat à outrance , en vociférant ce passage d'Homère • « Frapjte-moi, ou je te frappe . » Quelle dé- mence! S'imaginer, ou que Jupiter ne pouvait lui nuire, ou qu'il pouvait nuire a Jupiter! Omnes qnos TecorsaDiniut tiipra cogilatioDes eilollit hu- nianas, al:iini quidJam et sul>liiiie .^pirare te crcduut : ce'.erum DJbil solidi sut>cst, tcd in ruliiain prona suiil , qux sine fundamentii crcverc. Non habet ira cui insislal ; Don ei Qrmo inansoroquc orilur, scd veulosa et ioanis r>t : lantuni(|ue abesl a magniludine aiiinii , quantum a forlitudine audacia,a Hducia imolculia , ab austerilate Iristit a , a seteritatecrudelitas. Multum , inquatn , inlcr- est iotcr sul)limeni aoiniuni, el tupcrbuni. tracundia niliil ainpium decorumquc molilur. Contra , mibi vido- tnr feternoMet iafelicis animi, inilKcillilalis sibi conscii, Krpe indolescere. Ut eiulcerala et a-pra corpora ad lac- tas leii.>;iimo« gemunl, ila ira muliebrc maxime el pué- rile Titium est. Al incidit et in virus; nam viris quoque puerilia ac mulirbria ingénia sudI. « Quid ergo ? non aliqua Toc^ ab iralis emiltuntur , qux maguo eniissx videaatnr aninio, Teram ignoranlibus magniludlDcm? qualis iUa dira cl alwminanda : • Oderint, dum nietuant.» isullano scias teculo scnplam. ISescio ulrum s;bi pc- jus optaTeril, ut odio esset, an ut limori. Oderinll Oc- turrit ilti , futurum ut extecrealur , insidicalur , oppri- mant. Quid adj'cil? Dii itii mate facianl, adeo repcrit dicnum odio renicdinni. Odcriul! Quid? dum parcant? non; Dum probcnt? non : Qu d ergo? dnni timeaul. Sic ncc am.-iri quiiiem vclleni. Magno hoc dictum t'pirilu pu- tas ? falleris ; nec cnim niagnitudo isla est, »cd imniani- las. >(m est quod crtdas iriisceiitiimi verbis : quorum stfppiius magni , miuaces sunt, iulus mens pavidissima. Non esl quod eiisliii es veruni esse , quod apud disorti»- simum virum I.ivium dicitur : • Vir ingcnii magni magis quam boni. » Mon |iotrst illud separari : aut cl bonuni eril , aut nec magnum, quia magniludincni aninii incoa- cussam iutelligo, cl inirorsus solidani, ab imo panni flrmamquc, qualis inrsse malis ingeniis mm putesl. Tcr- ribilia en m esse, et luniuluiosa, el cxiliosa possunl : niagniludineni quidcm, cujus (irmnmentuin niburquc lK)uilascsl, ndii baliibunli reltrum sormniie, coiiaUi , et omni e\tra paralu f.xicnt niaguiludiiiii lidcjii. F.lo- quentur allquid, quiid lu niagiii puU's, sicul C. Ca'.'ar, qui iralus cœlo, quod obslrcpcrct panlomimis, qiiosimi- tab;;tur sludioi>ius quam spcclat)al, l't (dainiu , quid tit ira. Nam li iavitii nobis nascilur, nun- qiuiii ration! «uccuint)ct. Omne< enim motus , qui nun Tolunlate nosira (iunt, inTicll , ineviLibilrs «uni, ul, horror frifiida aspe rsi« , ad quo^dam lactus a.'rieunlQr pili , et rubor ad improlia Terba tufTunditur, lequiturqne Tcrtigo praerupla cernen- tei. Quorum quia nihil in nosira poteslalcest , nulla, que aainiu Oant, ralio persuade!. Ira pricceptis fugatur. Eit «nim ToiuDtariuni animi Tilium , non ei bis , qua; condi- tiooe quadam humanii' sortis evcniunt, iden<|ue etiam iipientissimis accidunt : inler quac et primns ille ictns ani ni ponendus est , qui nos post opioioaem injuria: movet. Hic tnbit etiam inter ludicra scens speclacula , et Icctio- ■ei rerum Tetuslarum ; sippe Clodio Ciceronem eipel- leoli, et .Antonio occident!, videmur iraiici. Quis non coatra Marii arma, et contra Sulltiàa est , qua?ad conspeclummi- mici naufragii ciiiilrabit rriintcni : non in.igis i|iiam li- mor, qui ll.iunibale i>ost Cannas mœnia circiimsidente , lectoris prrcuiitanimum : sed omnia isia molu,s suntani- niorum moveri noienlium , nec afTrclus, scd principia pra>ludciitia alTectibus. Sic enim niilitaris viri, in média pacc jam logati , .-^ures tutia suscitât, equosque castrenses erigitcrcpiius armorum. Aleiandrumaiunt, Xenoplianto cancnte , manuni ad arma mi.visse. III. Piibil et bisqua; animuni fnrluilu impcllunt, af- feclus Tocari débet : isa, ut itadicim , pa:itiir magis ani- mus, quam facit. K.rgu aireclus est , non ad ol>laias rerum specics moTeri, sed permiltrrese illis, et hune fortuituni mo:uni penequi. ISam si quis paltorem , et lacrynias pro- cideules, et irrilalionem humori.< obscœni, altunive sus pirium, et oris esse pulsus. Itaque et fort^ssimus plcrumquc Tir, dum annator, cspalluit : et signo pugua^ dato, frrocissimo milili paululum geuua tremuerui.t : et "2 \s SKNEQllK. bler ; le cœur peut battre au plus grand général avant le choc des deux armées; le plus éloquent orateur, lorsqu'il sedispose à parler, sent dresser ses cheveux. Mais la colère ne doit pas seulement être remuée, elle doit se porter en avant; car c'est un élan. Or, il n'y a pas d'élan sans l'assen- timent de l'esprit , et il n'est pas possible qu'il s'agisse de vengeance et de châtiment , a l'insu de l'âme. Un homme se croit lésé ; il veut se venger; une cause quelconque le dissuade, il s'arrête aus- sitôt. Je n'appelle point cela de la colère , mais un mouvement de l'âme qui obéit h la raison. Ce qui est colère , c'est ce qui dépasse la raison et l'entraîne avec soi. Donc ce premier trouble de l'âme que provoque l'apparence de l'injure n'est pas plus de la colère que l'apparence elle-même de l'injure; mais cet élan ultérieur, qui non-seu- lement a perçu l'apparence de l'injure, mais l'a admise, voilà la colère; c'est le soulèvement de l'âme qui marche 'a la vengeance avec volonté et réflexion. Peut-on douter que la peur ne conseille (le fuir , la colère de se porter en avant ! Ne va donc pas croire qu'aucune chose puisse être re- cherchée ou évitée sans l'assentiment de l'esprit. IV. Veux-tu savoir comment les passions nais- sent, grandissent et se déploient? La première impulsion est involontaire ; c'est conmie un pré- lude à la passion : c'est un certain ébranlement. La seconde se fait avec une volonté facile ii dompler; comme lorsque je pense qu'il faut me venger par- ce que j'ai été lésé , ou qu'il faut punir un tel parce qu'il a commis un crime. La troisième est déj'a tyrannique; elle veut se venger, non parce qu'il le faut, mais quand même : elle triomphe de la raison. La première impression de l'âme, nous ne pouvons l'éviter par la raison, pas plus que ces accidents du corps dont nous avons parlé, comme de bâiller en voyant bâiller les autres , de fermer les yeux quand on vous y porte brusque- ment la main. La raison ne peut rien pour les empêcher ; l'habitude peut-être et une constante surveillance en atténuerout les effets. Ce second mouvement qui naît de la réflexion , la réflexion en triomphe ' V. Examinons maintenant cette question : Ceux qui ont l'habitude de la cruauté , qui se plaisent à répandre le sang, sont-ils en colère lorsqu'ils tuent ceux dontilsn'ont reçu aucune injure, dont ils ne croient pas eu avoir reçu? ainsi fut Apollo- dore ; ainsi Phalaris. Ce n'est pas là de la colère , c'est de la férocité. Car elle ne fait pas ie mal parce qu'elle a reçu une injure; elle est même disposée à en recevoir, jiourvu qu'elle puisse faire le mal ; et elle frappe, elle déchire, non pour sa vengeance, mais pour sa volupté. Eh bien! la source de ces crimes est la colère : 'a force de s'exercer et de s'assouvir, elle arrive à l'oubli de la clémence, efface du cœur tout pacte humain , et enOn se transforme en cruauté. Aossi ces hommes, cruels par passe-temps, rient, s'apolau- dissent, s'enivrent d'une profonde volupté, et leur visage est bien loin de ressembler à la colère. On rappoi le (|u'Annibal, "a la vue d'un fossé plein de sang humain, s'écria: «0 le superbe Sf>ec- tacle! > Combien il lui eût semblé plus beau, si le sang avait rempli un fleuve ou un lac? Est-il étonnant qu'un tel spectacle te séduise par-dessus ' Lacune. magno imperatnri, antoqiiam inlor se .'xies arieinreni , cor exsiluil : eî oiatori eloqucnlissiino , dum ad diccn- dum componituf, summa ligiierun!. Ira non moveri l:ui- tum, scd e\cinTerc débet, est enim impelus; nnnqiiam aulein impelus sineassensu mentis est : neque enim ficri potcst, ut de ultione et poena agnfur, animo nescienle. Pula\it se aliquis laesum , yoluit ulcisci : dissuadenle ali- qua causa , stalim rescdit. IJanc iram non toco , scd mo- lum aninii rationi parentem. llla est ira , qu Or, quoi de plus indigne que de faire dépendre de la méchanceté d'autrui les sentiments du sage? Socrale lui-même cessera de pouvoir rapporter à la maison le même visage qu'il en avait emporté. VII. D'ailleurs, si le sage doit s'irriter con- tre les actions honteuses , s'il doit s'émouvoir et s'attrister de tous les crimes , rien ne serait pins amer qne la sagesse. Toute la vie se pas- serait dans la colère et la douleur. Peul-il y avoir un moment où le sage ne voie des choses blâmables? Chaque fois qu'il sortira de chez lui , il lui faudra traverser une foule de scélérats, d'a- vares, de prodigues, de débjucliés, tous heureux de leurs vices : nulle part ne pourront tomber ses yeux sans rencontrer de quoi les indigner. Il ne pourra y sufGi e , s'il fait agir sa colère chaque fois que les circonstances l'exigeront. Ces milliers de plaideurs qui , dès le point du jour, courent au forum , quels infâmes procès ils soulèvent, et par quels avocats plus infâmes encore? L'un ac<"use les pnichrius ilH visotn es!>et , ri Uumra aliquod lacumque compleaset ? Quid mirum.siboc niaiiiue sppctaculo ca- peris , innalus sanf^uini , el al) inruate cus adinotus ? •e(|tielur te furtuiia crudelit;itis lux prr viciuli anans se- cuoda , dabilque oculis tuls gratum uliiquc yfiectaculiini ; videliis istiid et circa l'rasiiiienum, et circaCanaas, et oovissime circa Carttiai^nein tuam. Volesus nuper sub dito AuKustuprnconsiil knix, cuin treceains una die se- curi pcTcussissel/ioceiidcns inter radavera tullu superlK), qnaci maenincuin quiddam coaspicieodumque fecisset , Gnece proclamaTit : G rem reeiain 1 Quid liic rex Tccissel? Non fuit han; ira, (ed majiis raaldm, et iusanabite VI. • Virtu», inc|uit, iit tinnestis rel>us propitia e»t, ita turpiliu.s irata esse deliet. • Quid si dicalur, Tirlii- lem et liumilem et magnam esse délire ? atqui lise dicit , qni illain eitolli Tiilt, et deprimi , quoiiiaiii la-litia ol> recle rectum clara macnificaque est; ira ob alienum pec- catam sordida et aa^usli pectoris est : nec uaquani com- mittet Tirtiu, nt Titia, dum compescit , imiirtur ; ipsam ■ram castigandam habct, qna- nitiilo iiiclii)r est, sspe «tiam I ejor bis delictis , quilms irascitiir. Gaudcre lH?ta- rique, proprinm et naturale firlnlis est : irasci non est ex dif^itate eju», non magis quam mœrere. Atqne ira- diff trislitia cornes est : et in hanc omnis ira vcl poil po-nilctitiani , vel pnsl repulsam revolvilur. El si snpicn- lisesl peccali» irasci, magis ira^cctur niaJoril>us , et sa-pe irasceur; sequiliir, ut non tantuni iratus sit sapiens, sed iracundus. Atqui si ncc m.ignani iram , Dec frequenteni , ia animo sapicntis locum lialierc creitimus , quid est , quare non ei tolo tioc alfrctu illuin lil>ereinus? modus, iuquam , esse non |>olesl, si pro facto cujusquc irasccn- dum est. >'ani aul iniquuseril, si apqualiler irascelur de- lictis ina'qualibus : aul iracnndissimus, si loties excan- ducrit , quolies irani scclera mpiiipriiit. El quid indipiiius, quam sapieulis affcctuiu ri aliéna peadere nrquitia? dc- siiict ille Socratt's posse eunideni Tulluni doniuni referre, queui diiuio eNtuIeral. VII. Atqui si irasi'i sapiens det>et turpitei' factis, it concilari tristari(|uc ol> scclera, uiliil est ieruniousius sapiciite; onmis illi |>er iracuudijui niceroreinque viti Iraosil))!. Qund rniin momeotnm erit , quo non inipru- banda videat? ipioiics processerit domo, per sceleratos illi, avarosque, et prodiges, et impudentes, et ob ista felices, incedeaduni erit : nusquam oculi ejus Qecleutur, ul non , (|uoerantia , (|uani turpes litos , qiiaiiloturpinres adToonlos consciscuni ? aliu» Indicia pr.lri» a) SluNÈ rigueurs du leslamenl paternel , comme si ce n'é- tait pas assez de les avoir méritées : l'autre plaide contre sa mère : celui-ci se fait délateur d'un j crime dont il est ouvertement accusé : celui-là , j choisi pour juge , condamne les crimes qu'il vient de commettre ; et la foule est gagnée 'a la mauvaise cause par les belles paroles d'un avocat. Mais pourquoi entrer dans les détails? Lorsque tu auras vu le forum couvert par la fdulc, l'enceinte du Champ de -Mars inondée par la multitude des ciloyens , et ce CircpiC où s'entasse la plus grande partie du peuple, sache qu'il y a l'a autant de vices (|ue d'hommes. Au milieu de tontes ces toges, il n'y a pas de paix : l'un est prêt 'a sacriDer l'au- tre pour le plus mince intérêt. VIII. Nul ne fait de profit qu'au détriment des autres : on déteste les heureux, on méprise les malheureux ; ceux qne les grands écrasent, écra- sent les pelits ; tous , des passions diverses les ani- ment : pour un faible plaisir , pour un léger butin on voudrait tout bouleverser. C'est une vie de gladiateurs, qui vivent on commun pour combat- tre ensemble. C'est une société de bêtes féroces , oxceplé que celles-ci .sont pacifiques cnlre elles et s'abstiennent de déchirer leurs semblables : I homme s'abreuve du sang de l'homme. En cela seul il se dislingue cles'animaux muets; car ceux- ci déposent leur fureur devant ceux qui les nour- rissent, tandisque la rage de Ihomme dévore ceux qui l'alimentenl. Le sage ne cessera jamais de s'ir- riter, s'il commence une fois. Tout est plein de trimes et de vices; il s'en commet plus qu'on ne peut en guérir par la contrainte. Lne lulle im- QUE. mense de perversité est engagée ; tous les jours grandit l'appétit du mal , tous les jours en dimi- nue la honte. Abjurant tout respect de l'honnèle et du juste , la passion se précipite au gré de ses caprices. Et déjà les crimes ne se cachent plus a l'ombre ; ils marchent 'a découvert : la déprava- tion a pris un tel cours dans le public , elle domine tellement dans tous les cœurs, que l'innocence n'en est plus 'a être rare, mais nulle. Il ne s'agit pas, en effet, de quelques violations de la loi, in- dividuelles ou peu nombreuses. De toutes parts, comme 'a un signal donné, tous les hommes se précipitent pour confondre le bien et le mal. es concremaolia, domiualionesque funesla?, et reguoruiii pul)li(orumque exitiprum clandcsliua con.silia : et pro r'o- ria lial)ita , qua- , quonidiu opprinii possunt . sccleia sunt : raplus ac slupia , et ue os quldem libidini cicoplutu. ni: L\ coLÈi'.E. '2i quand on peut les réprimer; Ifs rapts el les viols, et la débauche n'exteplaiit pas môme la bouciie lie ses souillures. IX. Ajoute maintenant les parjures publics •les nations, les violations de traités, la force fai- sant sa proie de tout te qui ne peut résister . les caplations, les vols, les fraudes, les dénégations (le dépôts, auxquels ne suffisent pas nos trois Fo- rums. Si tu veux que le sage ait de la colère en proportion de l'énorraité des crimes, ce ne sera plus de la colère, ce sera du délire. Crois plutôt «|u'il ne faut pas de colère pour les erreurs. Que dirais- tu si on s'irritait contre ceux qui , dans les ténèbres, font des pas mal assurés, contre les sourds qui n'entendent pas un ordre, contre un esclave qui néglige le soin de ses devoirs pour re- garder les jeux et les sdIs amusements de ses égaux? Que dirais-tu si on voulait s'irriter contre les gens malades, vieux ou fatigués? Parmi les autres infirmités des mortels, il faut mettre l'obs- curcissement de l'esprit ; el il n'y a pas seulen)ont chez nous la nécessité d'errer, mais l'amour de l'erreur. Pour ne pas t'irriler contre (luolques- uns, il faut pardonner à tous; il faut faire grâce au genre humain. Si tu t'irrites contre les jeunes gens et les vieillards , de ce qu'ils pèchent , il faut t'irritcr contre les enfants de ce qu'ils doivent pé- cher. Y a-l-il donc quelqu'un qui s'irrite contre les enfants , dont l'âge ne sait encore rien discer- ner? Or, l'excuse est plus valable, plus légitime pour l'homme que pour l'enfant. Il est dans les conditions de notre naissance d'être exposés a au- tant de maladies de l'âme que du corps : ce n'est |ioint par la faiblesse ou la lenteurde l'intelligence ; mais nous faisons un mauvais usage de ses Quesses, et nous devenons l'un pour l'autre des exemples de vice. Chacun suit celui qui le précède engagé dans une mauvaise roule ; et comment n'a-t-on pas une excuse lorsqu'on s'égare surlavoiepubliquc? X. La sévérité d'un clief d'armée s'exerce con- tre les individus ; mais l'indulgence est nécessjiire lorsque toute l'armée a déserté. Qui désarme la colère du sage? la foule des coupables. Il com- prend combien il est injuste et dangereux de s'ir- riter contre un vice public. Heraclite, toutes les fois qu'il sortait, et voyait autour de lui t-inl de gens si mal vivre ou plutôt si mal mourir, pleu- rait et prenait en pitié tous ceux qu'il rencontrait heureux et contents ; c'était d'un esprit sensible, mais trop faible ; el lui-même était parmi les gens "a plaindre. Démocrile, au contraire, dit-on, ne se trouvait jamais en public sans rire, tant il était loin de considérer coiiime sérieux rien de ce qui se traitait sérieusement. Où y a-l-il ici-bas sujol "a colère? Il faut ou rire ou pleurer de tout. Non, ; le sage ne s'irritera pas contre les fautes. Pour- quoi? parce qu'il sait que personne ne nait sage, mais qu'on le devient , et que, dans tout un I siècle, il ne se produit qu'un petit nombre de ; sages; pai-cc qu'il a devant les yeux la condition ' de la nature humaine : or, aucun esprit sain ne ; s'irrite contre la nature. Ira-l-il s'étonner que des fruits savoureux ne pendetit pas aux buissons des ! forêts? S'élonnera-l-ilque les épines et les ronces ne soient pas chargées de (|uclque pnuluclion utile? Personne ues'irrite contre une imperfection qu'ex- j cuse la nature. Lesagedonc, toujours calme el juste I pour les erreurs, n'est pas entieini, mais censeur IX. Adde Duac publica perjuria (leiiliuin , et rupla Ttr- ilcra, et io pra>dam validinris, quld(|iiid non resistiiiut , iib- cinctum ; circunucriplioaes , furta , fraiulrs, inrulalioiics, qDibus thna non sutTlcIunt fora. Si tanluni irasci \h sa- pientrm , ipiaotuni scclerum iadi;;nlias c\ii;>t; duo ira- liCfDdQm itii, >ed insaniendara est. Illud poiiis cugilahs, non esse irascendum rrroribus; quld cnlm si qiiis lr,-i.sca- Itir in teucbris parum vestigia crrta poncaliltiis? quid si qais surdis, imperia nun etaudientilms ? qu'dsl pucris, ijaod npglecto dispectu officioruni , ad liuus et incp!os tr- (|aaliumjocos$pectent? quid >i illls irasci veiis, qui xgru- tant, Knescant, fatiganlur. Inter cetera mortalilatis In- trommoda , et hsc est caligo mentium : nec tanlum nc- cenitai crrandi , sed errorum amnr. Ne lingulis iratcaris, uuiversis ignnscendum : geoeri bumano venia tribuenda c»t. Si iratceris juvenibu.» senlbiisque , quod peccant : iratcere iofanlibiis, qiind poccalnri sunt. ISum quis ira<- citur paerii , <|uoriini a;t4is nondum novit rerum discri- mina ? major est cicnsalio et justiur, hnniiorm eue , qiiam puerum. Hac condilinoenalisumusanimalia obnoiia non (laucioribai aniaii , quaro corporis morbis : non quidem oMoM Dec tarda , >ed acumine nottro maie uteolia , aller alteri vitiorum eienipla. Quisquc scquitur priores mate iter ingressos; qiiidiii balteant excusationcni quiim pu- blica via erraverint? X. lu singulus scveritas iniperatoris distringilur : al ncT^-ssaria vcnia est, ubi lotus deseruit cicrcilus. Quid tullit irani sapienlis? turba pcccaiitiuni. Iiilclligit quam el iniquiini sit et peiiculosuni , irasci publico \itio. IleracU- tas qiiolies prodierat, et t;'ntiini circa se niale Tivcntiuni, imiiio niale pereunlium viderut, flebat, miserebalur om- nium , qui sibi la>li relices(|ue occurrcbant , miti anime . sed niiiiis iml>rcillu : et ipse inliT dsplorandoserat. De- niocritum conira , aiuiit, uunquam sine risu in publico Tuisse; adco uibil illi vidcbalur serium eorum, quae terio gcrebantur. Ubi istic irae locus est? aut ridenda omnia , aut flenda aunt. Non irascelur sapiens peccantibus. QuareT quia scit ncminem nasci sapirnirm, srd llori, srit paucis- sinios omni idin()si; niuili iii^rati, multf avari, luulli furiis am 'itiunis agitati. Omnia ista tani propitius aspiciet, quam a'grossnos inedicus. ISumquidille.cuius naTigium inultam , undique laiatis conipagil)us , aquam trahit , nan- tis ipsiqne navigio irascilur? occurrit potius, et aliam ejciudit undam, aliam egerit, manifesta furaniina prae- cludit, lalentiliusetcxoccidio sen.inam ducentibus labore conlinuo resislit : nec ideo inlermittit, quia , quantum ei- haustuin esl, subnascilur. Lento adjntoriodpuscstconlra inala continua et fecunda, non ut desiuant, sed ne vincaul. XI. « Ulilis est , iuquit, ira ; quia contemluni elfugit, quia malos terret. » Prinium , iia si quanium ininatui-, valet, ob hoc ipsuni quod terribilis est, et invisa est. Periculosius est aulem tinieri , quam despici. Si vero «ine viribus est , niagis exposita conlemlui esl , et deri- suinnon cffugit; qnid eniniest iracuadia insupepv;icuum tuinultuante frigidius? Deinde non ideo ([ua-riam, quia terribiliora . potiora sunt : nec hoc sapienlis dici velini , quod feras quoque telum est, timeri. Quid 'f non tinietnr febris, podagra, ulcus inaluinVnuniquid ideu qutdquain iu istis boni est ? an contra , omnia despecta et fœda et tur- pia ipso, quod timentnr, sunl? ira per se deformis est, et minime mctuenda : at timctur a pluribus , sicut defor- mis persuna ab infaatibus. Quid , quod semper in aucto- res redundat tJnior, nec quisquam metuitur, ipsc secunis? Occurrat boc loco tibi Labcrianns i!le versus , qui medio civili bello iu theatro dictus, totum in se populum dod aliter convertit , quam si missa esset vox public! affectus : Necessc est mullos timeat , quem mulU timent. Ita natura constituit, ut quod aliène œetu magoum est, a suo non vacet. Leoui quam pavida sunt ad levés sonos pectora : acerrimas fems umbra, vox, et odor iusolitus cxagitiit; quidquid terret, et trépidât. Non estergo. quare concupiscat quisquam sapiens timeri. XII. Nec ideo iram magnum quisquam putet, quia formidini est : quoniam quœdam etiam contenitissinia timentur : venena, et offa morlifcra, et morsus. ISi-cest niirum , quuni maximos feraruni grèges linea penuis di- stincta contmeat , et in insidias agat , ab ipso efleclu dicta formido. Vanis cnim vana terrori sunt. Curriculi motus, rolaiumque vcrsata faciès, leones rcdigit in caveu»; DE LA COLÈRE. peur aux eiifaiils, el les plumes rouges aux bêtes féroces. La colère n'a eu elle-même aucune fer- melc, aucun courage; mais elle intimide les es- prits faibles. « La mécbancetc , dil-on , doit être retranchée de la nature, si tu veux retrancher la colère; or, ni l'un ni l'autre ne peut se faire. » D'abord on peut se préserver du froid, quoique l'hiver soit dans la nature, et de la chaleur quoiqu'il y ait des mois d'été ; soit que, par les avantages du lieu , on se garantisse des intempéries de la saison ; soil que les habitudes du corps triomphent de l'une et l'autre sensation. Ensuite , retourne la proposi- tion : il faut retrancher la vertu del'ârae avant d'y admettre la colère; car les vices ne s'allient pas avec les vertus ; et un homme ne peut pas plus être en même temps colère el sage, que malade et bien portant. « Il est impossible, dit-on , de retrancher entièrement de l'âme la colère; la nature de l'homme de le permet pas. » Cependant il n'est rien de si difficile, de si pénible que l'esprit hu- main ne puisse vaincre, avec quoi ne puisse fa- miliariser un constant exercice; il n'est point de passion si effrénée, si indomptable, qu'elle ne puisse être pliée au joug de la discipline. Tout ce que l'âme se commande, elle l'obtient. Certains hommes sont parvenus "a ne jamais rire; quelqucs- nns se sont interdit le vin, d'autres les femmes, d'autres enGn toute boisson. L'un se contente d'un court sommeil , et prolonge d'infatigables veilles ; d'autres ont appris'a remonter en courant des cor- des déliées, 'a porter des poids énormes, pres- que au-dessus des forces humaines , à plonger a d'immenses profondeurs , et à parcourir les eaux sans reprendre haleine. XIII. 11 est mille autres choses dans lesquelles la persévérance franchit tout obstacle, et prouve que rien n'est difficile , lorsque l'âme elle-même s'est imposée la patience. Quant aux faits que je viens de citer, le prix était nul ou peu digne d'un travail si opiniâtre. Que gagne, en effet, de si magnifique, celui qui s'est étudié "a courir sur la corde tendue? "a charger ses épaules de poids énor- mes, 'a ne soumettre pas ses yeux au sommeil , à pénétrer au fond de la mer? Et cependant, pour un si mince profit, la constance est venue à bout de son œuvre. Et nous, n'appellerons-nous pas" h notre aide la patience qui nous réserve une ré- compense si belle, lecaliiie inaltérable d'une âme heureuse? Quelle victoire d'échappei "a ce mal redoutable , la colère, et en même temps à la rage, h la violence, 'a la cruauté, 'a la fureur et aux au- tres passions qui l'accompagnent! N'allons pas nous chercher une apologie ni le droit de nous excuser en disant : Ou cela est utile, ou cela est inévitable. Carenlin quel vice a jamais manqué d'avocat? Il ne faut pas prétendre que la Colère ne peut être guérie. Les maux qui nous tra- vaillent ne sont pas incurables , el la nature elle- même, qui nous créa pour le bien , nous vient en aide si nous voulons nous corriger. D'ailleurs le chemin de la vertu n'est pas, comme l'ont cru quelques-uns , difficile el escarpé ; on y va de plaiu- pied. Et je ne viens pas vous raconter des chimè- res : la route est facile vers une vie heureuse; commencez seulement sous de bons auspices , el e|p4)baDtes porciaa toi terret. Sic itaque ira metuitur , qucmodo unibra ab infantibus , a feris rulH'ns piona ; non ipsa in «e quidquam baliet fliniurii, aut Tortc, sed vanus animos inuvet. « Nequiiia, inquit, de rerum natura lolltoda ctl , fi \clis imm lollrre : oeuirum autem po- tcsl fleri. • Prinium , poteit aliquis nnnalgpre, quamvis ri rerum nalora hirins sit , et non ies'uare , quamTis ineoses Kilifi sint . aut loci beaeficio adrersus iotcmpe- riem anni tutus est, autpatic ntiacorporis sensum utrius- que per\iocit. Deinde verte Utud : nrcessc est prius rir- (utein et animo tullas , qiiam irarundiain recipias , quo- iiiani cuni tirtutibus Titia non coeunt. Nec magis quls- quam eodem teinpore et iratus po:est esse, et vir boons, quam 9g«r il sanus. • IVon polist, inquit, oninis ei aainio ira tnlli : nec hoc hominis niitura pnlitur. ■ At- qui nibil est tara dirGcile el arduum , quod non humaDa incns iin(%il, et in familiaritatrin pcrducat assidoa medi- tatio : Dollique sunt (ani feri et sui juris alfectus, ut non disciplina perdonientur. Quodcnuque silii imperaTit ani- inus, obt nuit. Quidam, ue unquara ridèrent, consecuti sunt : vino quidam , alii Venere , quidam omni bumore intrrdiicre corporibos. Alius contentus brevi somno vi- fOliam indcfatigabilem eitendit : didicerunt tenuissimis rt ioes audientiuni aninii çoDcitandi sunt, sicut tarde coosurgentes ad cursum equos stimulis, facibusque subditis , escitanius. Aliquando in- cutiendus est l]is inetus , apud quos ratio non proOcit. Irasci quidem non niagis utile est, quam mœrere, quam metuere. « Quid ergo? non incidunt causae, quae iram lacessant? • Sed tune maxime illi opponendae manus sunt : nec est difficile, vincere animum : quum athletae quoque invilissima sui parte occupati, tamen ictus dolo- resquc patiatifur, ut urcscsdentiseibnuriant; nec qunm ira suadet, feriunt,sed qunm occasio. Pyrrhom nuii- mnni praceptorem certaminis gymnici, solitum aiunt bis, qaos eiercebal, praecipere, ne irascerentur. Ira enim perturbât artem : et qua noceat tantum , non qoa caveat,aspicit.S- ruti sunt, indignalique aliquid ex pleaissima libertate de- roinui , servite in sese altraierunt jagum. XV. «Ut scias ^ inqnit, iram liabere in se generosi sliqiiid , libéras Ttdebis gentes qua? iracundissimx sunt, ut Germauo» et Scj thas. » Quod evenit , quia forliora solidaque natura ingénia , antequam disciplina mollianlur, prona in iram sunt. Quaedam enim non nisi melioribus innascnotur ingeniis, sicut valida arbusta etlaeta quam- vis neglecta telius créât : alla secundi soli silva est. Ita- que et ingénia nalura fortia iracundiam ferunt , nihilqoa tenue et exile capiunt, ignea et forvida : sed imperfectus ille vigor est, ut omnibus qna; sine arte, ipsius tantum natin-ae lx>no , cxsurguot; sed nislcito domtta sunt, qua DE LA COI, EH E. quoi I De voit-on pas a la douceur de caractère s'allier des faiblesses analogues , comme la pitié , l'amour, la pudeur? Aussi, je te signalerai un Iwn caractère par ses imperfections mC-mes; mais ce n'en sont pas moins des défauts, quoiqu'ils soient les indices d'un bon naturel. D'ailleurs, tous ces peuples, dans leur liberté sauvage, ressem- blent aux lions et aux loups , qui ne peuvent ni obéir, ni commander. Il n'y a pas chez eux la force de caractère de l'homme , mais l'humeur intraitable des animaux féroces : or, nul ne peut gouverner, s'il ne sait être gouverné, XV(. Aussi, presque toujours l'empire a appar- lonii anxpeu(i|ps des régions tempérées : chez ceux qui habitent les glaces du nord , le caractère est sîiuvage, comme dit le poète, semblable ai tout à leur climat. • On regarde , dit-on , comme les plus géné- reux des animaux ceux qui ont le plus de co- lère. » C'est une erreur d'offrir les animaux en exemple à l'homme; au lieu de raison, ils n'ont que la fougue ; chez l'homme, au lieu de la fou- gue, il y a la raison. El encore ce n'est pas le même mobile qui leur sert 'a tous. I.c lion a pour auxiliaire la colère; le cerf, la crainte; le vau- tour, l'impétuosité; la colombe, la fuite. D ail- leurs, cela même n'est pas vrai, que les animaux les plus irascibles vaillent le mieux. J'avouerai que les bêtes féroces, qui vivent de leur proie , sont d'autant plus puissantes qu'elles sont plus furieuses ; mais je louerai dans le bœuf sa pa- liencc; dans le cheval, sa docilité sous le frein. Mais («urquoi rabaisser l'homme h de si malheu- reuses comparaisons, lorsque tu as devant toi l'univers et Dieu, que seul, de tous les animaux , il comprend, parce que seul il peut l'imiter? « Les hommes emportés , dit-on , passent pour les hommes les plus francs. » C'est qu'on les com- pare aux hommes fourbes et adroits, et ils pa- raissent francs parce qu'ils se mettent 'a décou- vert. Quant à moi, je ne les appellerai p,is francs, mais inconsidérés ; et c'est le nom que nous don- nons aux sols, aux débauchés , aux prodigues et 'a tous les vices peu éclairés. XVII. « Quelquefois, dit-on , l'orateur qui s'em- porte en est plus éloquent. » Dis plutôt , qui feint l'emportement, car les histrions, par leur débit, remuent le peuple non parce qu'ils sont en colère, mais parce qu'ils jouent bien la colère. Ainsi , de- vant les juites, devant l'assemblée du peuple , et partout où il s'agit d'entraîner les esprits à notre impulsion, nous feindrons tantôt la colère, tantôt la crainte, tantôt la pitié, pour l'inspirer aux au- tres; et souveut ce qu'une émotion réelle n'eût pas obtenu , une émotion simulée l'obtiendra. « L'âme est faible , dit-on , si elle reste sans co- lère. » C'est vrai , s'il n'y a en elle rien de plus puissant que la colère. Il ne faut être ni fripon ni dupe, ni compatissant ni cruel ; l'un serait mol- lesse, l'autre dureté de cœur. Que le sage tienne le milieu; et , s'il faut agir avec vigueur, qu'il fasse pregvc d'énergie et uon pas de colère. XVIII. Puisque nous avons ii-aité la question de la colère, passons maintenant aux remèdes. Ils sont 'a mon avis de deux espèces : ceux qui nous préservent de la colère, et ceux qui nous garan- foi titudiiii apta eranl, audac s tementalique consuescual. (^uid? mm mitioribus animii vitia leoioni conjuncta »unt lit niisericordia , amor, et Terecundia '! lta(|ue tibi ta-pe l'onani iadolem a malli quoque suis nstendani , Md non ideo fitia ooo luiit, si naturs niciiiiris iaditia siint. Ui inde mîmes ista- feritale lil)era; gentes , Icomim lii|X)runique ri. Il, ut servira ui>n possiint, ila uec impeiare. Nun cnim tiuninni vim Ingciiii, sed feri et intractabilis bat>eDt : nc- ii'.n autrui regere |>o:esl, n si qui et régi. XVI. Fereit''c|iie imperia pênes eo> fuere populus , qui Il i:inrr cœlo uiunlur : in fngora septemtriunemque \er- (.1 iilibus immaosucb ingénia suot, ut ait poêla, . Siioque simillima cœlo. • Aniiiialia , inquil , gcnerosissiina babcntur, quibns mul- liim incst irae. • Errât, qui ra in eiemplum boininis ad- (liirit , quilius pro ra.ione est impetus : homini pru im- |M-lu ratio est. Sed nec i lis quidem omnibus idem prodest. Iracuodia leooes adjuval , pavor cervos, accipitrem im- petus , rolumbam fuga. Quid quod ne illud quidem verum etl,optima animalia esse iracundisMma? Feras putrm, quibus ei raptu alimenta sunt , meliores , qiio iratiorcs : patieoliam laudafcrim honnm , et cqoorum frenos se- qiKDtiiim. Quid wtem est, car bomiaera ad iam infeli- cia exempta reioccs, quum babras mundum, Deumqiie, quein e\oninit>us animalibus, utsolus imitetur, solus in- telligit? ■ Siniplicissimi, inquil, omnium babentur ira- ciindi. > Fraiidulrntis enim et versutis comparantur : et simplices tidentur, quia eiposili sunt : quos quidem non simplices i!i\erim, sed incaulos. Slultis, luiuriosis, ni'polibusque boc nonien impouimus, et omuibut vitiii parum callidis. XVII. • Oratiir, inquit, iratns aliquando melior est • Immo imitatus iratum ; nam et bistriones in pronuntiando non irati populuni motent, sed iratum bene agentes. Et apud judices itaqiie , et in concione , et ubicuinque alieni animi ad noslrum arbitrium ageodi sunt, modo iram, modo nictum , modo inisericordiam , ut aliis incutiamus , ipsi simulabiiiius : et sxpe id quod veri alTeclus non ef- fecissent, effecit imitalio affectuum. c Languidus, inquit, animus est, qui ira caret. ■ Verum est, si uibil liabet ira valenlius. Net latronem oporlet esse, nec prjpdam, nec misericordem , neccrudelem : illius nimis mollis ani- mus, bujus nimis durus est. Temperatus sit sapiens : et ad res fortius agenda.i non iram, sed viiu adhibeat. XVIII. Quoniam quœ de ira quaerunlur, traclaviinm, accedamus ad remédia ejiis. Duoaulem, utopinor, sunt : oe incidaBiM in iram , et ne io ira reccenus. Vi ia tas- 2(j SÉJNÊQUE. lissent des fautes dans la colère. Comme dans la racdecine du corps, il y a des prescriplions pour le maintien de la santé, d'autres pour son rétablis- sement ; ainsi , pour repousser la colère , les moyens ne sont pas les mêmes que pour la calmer et en triompher. Certains préceptes embrasseront la vie entière , ils se diviseront entre l'éducation , et les âges suivants. L'éducation exige une atten- tion particulière , dont les fruits sont surtout dans l'avenir ; car il est aisé de façomier les esprits en- core tendres ; il est difflcile de déraciner des vices qui ont grandi avec nous. La nature des âmes ar- dentes est d'Être plus accessibles à la colère. Car, comme il y a quatre éléments : le feu , l'eau, l'air et la terre , il y a quatre puissances correspondan- tes, la chaleur, l'humidité, la sécheresse et le froid. C'est donc le mélange des éléments qui forme les variétés de lieux, de races, de lempé- ramenls, de mœurs; et les esprits sont entraînés par chaque penchant, selon que la puissance de chaque élément y domine. C'est pour cela que nous disons que chaque région est humide ou sèche, chaude ou froide. Les mêmes oppositions se rencontrent chez les animaux etchez les hommes. XIX. Ce qui importe, c'est dans quelle me- sure chacun renferme en soi le chaud et l'humide. La proportion dominante de chaque élément dé- terminera les penchants. L'élément chaud fera l'homme irascible ; car le feu est actif et opiniâtre. L'élément froid fait l'homme timide; car le froid engourdit et resserre. Aussi, quelques-uns de nos philosophes veulent que la colère surgisse de la poitrine, lorsque le sang bouillonne autour du cœur. 11 n'y a pas d'autre raison pour assigner de préférence ce siège a la colère, que parce que la poitrine est la partie la plus chaude de tout le corps. Chez ceux où domine le principe humide, la colère croît par degrés, parce que la chaleur en eux n'est pas toute prêle ; elle ne s'acquiert que par le mouvement. Aussi, les colères des en- fants et des femmes sont plutôt vives que profon- des, et sont faibles a leur début. Dans les âges de sécheresse, la colère est violente et soutenue, mais sans accroissement, et faisant peu de progrès, parce que la chaleur, sur son déclin , est bientôt suivie du froid. Lesvieillardssont difficiles et que- relleurs, comme les malades et les convalescents, et ceux chez qui la fatigue ou les pertes de sang ont épuisé la chaleur. Les mêmes conditions se ren- contrent chez ceux qui sont tourmentés par la faim ou la soif, ceux dont le sang est appauvri, dont le corps est affaibli par une mauvaise nourriture. Le vin enflamme la colère , parce que, suivant le tempérament de chacun , il augmente la chaleur. XX. Certains hommes s'échauffent dans l'ivres- se, d'autres ' sont malades. Il n'y a pas d'autre raison pour laquelle les gens les plus irascibles ont les cheveux rouges et le teint animé, eux qui ont naturellement la couleur que la colère a coutume de donner aux autres ; car leur sang a trop de mobilité, trop d'action. Mais, de même que la na- ture produit des tempéraments disposés a la co- lère , de même plusieurs causes accidentelles ont le même pouvoir que la nature. Chez les uns cet effet est produit par la maladie ou les souf- frances du corps; chez d'autres, par le travail, les veilles continuelles, les nuits inquiètes, l'am- < Lacune. porum cura, alla de tuenda valeludiae, alla de resti- tuenda , pra'cepla sunt : ita aliter iram debemus rcpelleie, aliter compescere , ut vincamus. Quaîdam ad universam vitam pertiucnlia praecipienlur : ca in rducationcm, et in sequentia tcmpora dividenlur. Educatio maximam di- ligenliuni, plurimumque profuturamdesiderat; facile est enim, tcnerosadtiuc animos compnnere, difficulter reci- duntur Tilia, qua; nobiscum crevcrunt. Opportunissima ad iracundiam ferridi aninii natura eft; uaiu qiium ele- menta sint quatuor, ignis , ai|ua , aer, et terra : potcstates pares his sunt, frigida, fervida , arida, alque humida. Et locoruni itaque , et animalium, et corporuni , et mo- rum varielates, inixiura elemenlorura facit, et proinde ia aliquos inagis incunibunt ingénia , prout alicujus dé- menti major yis abundavit. Inde quasdam huniidas voca- inus, aridasque regiones, et calidas, etfrigidas. Eadem animalium et tiominuni discrimina sunt. XIX. Refert quanlum quisque humidi in se calidique contineat : cujus in illo elemenli portio pra;valebit, inde mores erunt. Iracundos fervidi mixtura faciet ; est enim actuosus el pcrtinax ignis. Frigidi mixtura timides facit : pigrum est enim contractumque frigus. Volunt itaque qui- dam ex noslris irara in pectore moreri , effervescente circa cor sanguine. Causa cor enim potissimum assigne- tur irse locus , non alia est , quam quod ia toto corpore calidissimum pectus est. Quibus humidi plus inest, eomm paulatim crescit ira , quia non est paratus illis calor, sed molu acquiritur. Itaque puerorum feminarumqne irœ acres magis, quam graves sunt, levioresque dura ind- piunt : siccis «eiatibus vehemens robustaque ira est, sed sine incremento, non muUum sibi adjiciens , quia incli- natum calorem frigus insequitur. Senes difficiles et que- ruli sunt, ut aegri et convalescentes, et quorum aut las- situdine , aut detractione sanguinis eihaustus est calor. In eadem causa sunt siti fameque rabidi , et quibus ex- sangue corpus est, maligneqne alitur et déficit. Viaoïn incendit iram , quia calorem auget pro cujusque natura. XX. Quidam ebrii effervescunl , quidam... saucii sunt. Neque ulla alia causa est, cur iracundissimi sint flavi ru- bentesque , quibus talis natura color est , qualis fieri cé- leris inter iram solet; mobilis enim illis agilatusque san- guis est. Sed quemadmodum natura quosdam procliTes in iram facit , ita mullae incidunt causs, quae idem pos- sint quod natura. Alios morbus aul injuria corponim iu hoc perduiit, alios labor, et continua perTigilia, noctes- que sollicit», et desideria, amoresque : et quidquid aliud DE LA COLÉIlli. '11 bilioD , l'amour ; enfin , toute autre cbosc qui ar- fecie le ("orps ou l'âme, dispose l'esprit malade h devenir querelleur. Mais il n'y a la que des com- inencemcnls et des causes; tout est dans l'Iiabi- lude qui , si elle est profonde, alimente le vice. Il est sans doute diflicile de changer le naturel, et il n'est pas permis de transformer les éléments une fois combinés à la naissance : mais il est bon de savoir qu'aux esprits ardents il faut interdire le vin. Platon pense qu'il faut le refuser aux en- fants , et défend d'animer le feu par le feu. Il ne faut pas non plus les surcharger d'aliments, qui distendent le corps ; car l'esprit se gonfle avec le corps. Que le travail les exerce sans les fatiguer, de manière à ce que leur chaleur diminue sans s'éteindre, et que leur trop grande ardeur jette son écume. Les jeux ont aussi leur utilité; cardes plaisirs modérés délassent et adoucisseut l'esprit. Les tempéraments humides, secs et froids, ne sont pas exposés à la colère; mais ils ont à craindre des défauts plus grands, la poltronnerie, l'hési- tation , le découragement et la méliance. XXI. A de tels caractères il faut donc de la dou- ceur, des cares^ses qui les amènent a la gaité. Et comme on doit employer coniic la colère des remèdes tout autres que contre la tristesse, et parât. Sed ista omnia inilia causxque sunt , pluri- niumque polest consuetudu, quie, si gravis est, alit vi- tiuiii. ^aturam quidein mutare, difIJcile est , nec licet ■enwl mitta oasceatiain eleiiieata cODvcrlere. Sed ia boc no-se profuit, at caleatibus ingeaiis subtralias viaum , (|uod pueris Plato oegandum putat, et igoem vetat igné iocitâri. Nec cibis qiiidem impleadi sunt; disteodeotur eoiin corpora , et aoiini cam corpore tumescent. Labor illns citra las^itudincni eserccat, ut mioualur, ood ut cunsamatur calor, nimiusqueille fervor despumet. Lusus quoque prodeniut ; inndica eoim Toiuptas laiat animof , et tfnipprat. Iluniidioribus , ticcioribus et frig'dis oon est ab ira periculum : sed majora vilia metueada suot , pavor, difUcnlUs , et desperalio, et suspiciones. XXI. Mollienda itaque , roveudaque talia ingénia, et in lielitiam evocanda sunl. Et quia aliis contra iram, aliii contra U-istitiam remcdiis utcndum est, nec diuimilibua lantum ista , sed coatrariis curanda simt , semper ei oc- curremu» , quod incrcrerit. Plurimum , inquam , prode- rit pueroi slaliir salubriter instilui. DifOcilc autem regi- meu est, quia dare debemus operam , ne aut iram in illis nulriamus, aut indulem retundanius. Diligenti observa - iioae res indiget. L'trumque enim et quod eito!lendum, et quod deprimendum est, similibus alitar : facile autem etiam attcndentem similia decipiunt. Crescit licentia spi- ritus, servitute coniniinuitur : assurgil , si l.iudatur, et in speni sui bonam adducilur ; sed eademista insolentiara et iracuadiam générant. Sic ilaque inter ntrumque re- gendus est , ut modo frenis ulamur, modo stimulis : nihil huniile, nihil servile patiatur. Nunquam illi necesse sit rogare suppliciter, nec prosit rogasse : potlus causa; suac, et pnoribus factis , et l>onis in fulunim promissis done- Inr. In certaminibui xquaiium nec vinci illum patiamur, nec irasci ; demus operam , ut familiaris sit bis, cum qui- bus contendere solet, ut in certamine assuescat non no- cere velle, sed vincere. Quoties superaverit, et dignum aliquid laude fecerit, attolli , oon gestire patiamur; gau- dium enim eisultatio, eisuUalionem lumor, et nimia aes- timatio sul tequilur. Dabimus aliquod laïamenlum ; in desidiam vero otiumqne non resolvemus , et prucul a con- tactn delicianim retinebimus. T'iibil enim niagisfacitira- condos , quam educatio mollis et blanda ; ideo uoicis, quo plus indulgetur, pupillisque, quo plus licet, corruptior animus est. Non resistet offensis, cui nibil uuquam nega- lum est, cuilacriroai sollicita semper mater abstersit, cui de pa'dagogo satisraclumest. Non vides, ut majorera quami- que forlunam major ira comitelur? In divitibus DObili- 28 SENÈQUE. un pupille, plus on leur gâte le cœur. Il ne rosis- ' ne fut plus prompt à imiter son père que Platon, terapasa une offense, celui auquel jan.ais rien n'a î Qu'avant tout la nourriture de l'enfant soit fru- été refusé , celui dont une tendre mère a toujours gale, ses vêtements sans luxe, etsa mise semblable essuyé les larmes, qui a toujours eu raison contre : à celle de ses compagnons. 11 ne s'irritera pas de son pédagogue. Ne vois-tu pas que les pi us grandes | se voir comparer à d'autres, si dans le principe tu fortunes sont toujours accompagncesdesplus gran- le fais l'égal du grand nombre. Mais tout cela ne re- des colères? La colère se montre surtout chez i garde que nos enfants. Pour nous, si le hasard delà les riches, chez les nobles, chez les magistrats, ! naissance et l'éducation ne laissent plus de place ni lorsque tout ce qu'il y a de vain et de frivole au : aux vices, ni aux préceptes, nous devons régler cœur se gonfle au souffle de la fortune. La pros- périté nourrit la colère, lorsque la foule des adu- lateurs assiège les oreilles du superbe, et lui crie : « Tune te mesures pas à la hauteur, tu te rabaisses toi-même ,» et d'autres flatteries auxquelles résis- terait 'a peine un esprit sain et affermi de[)uis longtemps dans les bons principes. Il faut donc placer l'enfance loin de toute flat- terie; qu'elle entende la vérité; qu'elle con- naisse quelquefois la crainte , toujours le respect : qu'elle rende hommage "a la vieillesse ; qu'elle n'oblienne rien par la colère. Ce qu'on lui a re- fusé quand elle pleurait, qu'on le lui offre quand elle sera calme ; qu'elle ait les richesses paier- ies jours qui nous restent. Il nous faut donc com- battre les causes premières. La cause de la colère, c'est l'idée cju'on a reçu un affront : il ne faut pas y croire facilement, ni se laisser aller aux choses mûmes qui nous paraissent les plus évi- dentes. Car souvent le faux a les dehors du vrai. Il faut donc toujours s'accorder un délai ; le temps dévoile la vérité. N'ouvrons point aux incrimina- tions une oreille complaisante : connaissons bien, ayons en déflance ce travers de l'humaine nature, qui est de croire volontiers ce qu'il nous fâche d'apprendre, et de nous emporter avant déjuger. XXlll. Que sera-ce si nous nous laissons en- traîner non pas seulement par de faux rapports , nelles en perspective, non en usage; qu'on lui niais parle soupçon; si, interprétant en mal un rfjirocho toute mauvaise action. aii" de visage, un sourire, nous nous irritons XXII. Une chose importanlc sera de choisir contre l'innocence? Il faut donc plaider contre des précepteurs et dos pédagogues d'un carac- nous-mêmes la cause de l'absent , et tenir notre tère doux. La tige encore tendre s'attache aux colère en suspens. Car un châtiment différé peut branches voisines et grandit en se modelant sur s accomplir; accompli , il ne peut se rappeler, elles. L'adolescent reproduit bientôt les mœurs On connaît ce tyraanicide qui , surpris avant d'a- des nourrices et des pédagogues. Un enfant élevé voir consomme son acte, et torturé par Hippias , chez Platon et ramené chez ses parents, voyait pour qu'il déclarât ses complices, indiqua les amis son père s'emporter en criant : — « Jamais, dil-il , du tyran qui se trouvaient autour de lui , et qu'il je n'ai vu cela chez Platon. » Je ne doute pas qu'il savait mettre le plus grand prix "a sa vie. Hippias busqne et magistratibus praecipue apparel, quuiiiquidqnid levé et inane in animo erat, secunda se aura siislulit. Fé- licitas iracundiam nulrit , ubi aures siiperl)as assentato- rum turba circumstelit. Tibi cniin res|)ondeat ; non pro fastigio te tuomeliris : ipsete projicis, et alia.quilmsvii sanae ctab inilio bene fundata; mer.tes resliterint. Longe itaque ab assentatione pueritia reinovenda est : audiat verum, et limeat intérim, verealur semper; majorilms assurgat, niliit per iracundiam exoret. Quod flenti negalum fucrat, quietooffiTHtur;ctdiïitiasparenlum in conspeclu babeat, non in usu. Exprobrentur illi perperam lacla. XXIt. Perlinel)it ad rem, prœceiitorcs paedagogosque pueris placidos dari. Proximis applicatur onmequod le- nerum est, et in eorum similitudinem crescit : nutricum et paedagogorum retnlcrc niox in adolcscenlia mores. Apud Platonem educatus puer, quum ad parentes rclatus, Tociferantem videret palreni, nunquam, inquit, hoc apud Platonem vidi.IS'ondubilcquincitiuspatrcm imitatussit. quam Platouem. Tenuis anle omnia victus , et non pretiosa veitis, et similis cultus cumxqnallbus. Non irascelur ali- quem sibi comparari , qiiem ab initio multis parem fece- lis. Sed ba!c ad lil)cros nosiros pertinent. In nobis siqui- dem sors nascendi et educatio nec vitii locum, npcjam praecepti habet , scquentia ordinanda sunt. Contra pri- mas itaque causas pugnare debemus. Causa iracundiae, opinio injuriae est, cui non facile credendum est, nec aperlis quidem nianifestisque stalim accedendum. Qus- dam enim falsa veri speciem ferunt. Dandum semper est tenipus : Teritatem dies apcrit. ?ie sint aures criminanli- bus faciles ; hoc biimanae nature \itium suspectum nn- tumque nobis sit , quod , qus inviti audimus , lit>entcr credimus, et antequam judicemns , irascinmr. XXIII. Quid, quod non criminationibus tantnra; sed suspiciunibus impellimur, et ex vultu risoque alicno pe- jora iuterpretali , ianoccntibus irascin^ur? Itaque agenda est contra se causa absentis , et in suspenso ira retinenda. Polest enim pœna dilata exigi, non potest eiacta revocari. Notns est ille tyrannicida, qui.imperfecto opère compre- hensus , et ab Hippia tortus , ut conscios indicaret , cir- circumstantes araicos tyranni nomiDavit, quibus quam maxime caram salutem cjus sciebat , et quum ille singu- los, ut nominati eranl, occidi jussisset, interrogaTit, ec- quis superessct? Tu, inquit, soins : neminem enimalium, cui cirus esse.!, reliqui. Effecit ira, ut lyrannus tyranni- DE LA COLÉKE. les ayaol fait mourir l'un après l'autre à mesure qu'ils claient uommés, demanda s'il en restait rncore • Toi seul , répondit-il , car je ne t ai laissé personne d'autre à qui tu lusses cher, b La colère flt que le tyran prêta son bras au tyran- nicide , et frappa ses défenseurs de son propre glaive. Qu'Alexandre fut plus magnanime ! Ayant reçu une lettre de sa racre qui l'avertissait de prendre garde au poison du médecin Philippe , il but sans crainte la potion qu'il lui offrait, se fiant plutôt a soi-même qu'"a sa mère sur un ami , il était digne de le trouver, digne de le rendre in- nocent. J'admire d'autant plus cela dans Alexan- dre , que personne ne fut plus prompt "a la colère ; et plus la modération est rare chez les rois, plus elle doit être applaudie. César en Gt autant, lui qui usa avec tant de clémence de la victoire ci- vile. Ayant surpris les pfirtefeuilles contenant les lettres écrites a l'orapée par ceux qui paraissaient avoir suivi le parti contraire, ou être restés neu- tres, il les brûla; quoiqued^liabitude il fût très-mo- déré dans sa colère, il aima mieux n'en pas avoir l'occasion , et jugea que la plus noble manière de pardonner est d'ignorer les loris de chacun. La crédulité fait beaucoup de mal : souvent on ne doit |>as même écouter ; car, dans certaines choses, il vaut mieux être (rompe qu'être on défiance. XXIY. Il faut bannir de l'àme tout soupçon, toute conjecture, sources d'iiij sles colères. Ln tel aux soupçons : voyons plus simplemeni les choses, et jugeons-les avec bienveillance. Kc croyons qno ce qui nous frappe les yeux, ce qui sera évident ; et toutes les fois que nous reconnaîtrons no; soup- çons mal fondés, gourmandons notre crédulité. Cette sévérité nous donnera l'habitude de ne pas croire facilement. XXV. Et puis une règle 'a suivre, c'est de ne pas nous metireen fureur pour des sujets frivoles et mi- sérables. Mon esclave est peu alerte , mon eau n'est pas assez fraîche, mon lit est mal arrangé, ma table négligemment dressée. S'emporter la-dessus est folie. Il faut êire malade ou d'une pauvre santé pour frissonner au vent le plus léger; avoir la vue bien affectée, pour être ébloui par la blancheur d'une étoffe ; être énervé de mollesse, pour que le travail d'aulrui donne un point de coté. On ra- conte que Mindyride, de la ville des Sybarites , voyant un homme qui creusait la terre et levait sa pioche un peu haut, se plaignitque cela le fatiguait et lui défendit de continuer son ouvrage en sa pré- sence. Le même homme se plaignit souvent d'avoir une meurtrissure, pour s'être couché sur des feuil- les de roses pliées. Une fois que les voluptés ont corrompu en même temps le corpsctrâme, toutes choses seiiiblt'iit insupportables, non parleur dureté, mais par notre mollesse. D'où viennent en effet ces accès de rage pour entendre tousser ou éternuer quebin'un , pour une mouche qu on m a salué peu polinu-nt , tel autre m'a embrassé . n'a pas chassée assez vite ', pour un chien qui se avec froideur ; celui-ci a iiilerroinpu brusquement I trouve dans notre chemin , pour une clef tombée une phrase commencée; ci-lui-l'u neni'a pas invité j par mégarde de la main d'un esclave? Suppor- 'a son repas; le visage de cet auire m'a semble | tera-t-il avec calme les clameurs populaires, les peu gracieux . Jamais les prétextes ne manquero.it \ , ^^ ^ ^^^.^ ^^ ^,^^^^ ^^^^^, ^^ ^, ^^p,^, cide nuiDus commodarot , et pra'i'idia sua pladio suo ae- deret. Qiunto 3uinii>.\ius Alct^inder? qui quuni legis^et rpii o'ani jiialrii , qu3 adniuiiL'li:.lur, utaTOiieaoPliilippi nicdici caverél, aoceptaiii |>olioiii'iii uou delcrrilu.'. biliit. Plus sibi deamico suo ciedidit : dignus fuit qui ianoceo- teiii balMiret , digDus qui racvrct. Ilov cumagis in.\leiaa- dro laudo , quia ncmo lani <>l>Doxius irx fuit : quo rarior autcm moderatin io regibus , h(ic landanda m-igis e.«t. Fecit tioc et C. Ca;sar, ille qui Victoria civili cleinealis- finie usus est. Quuni scrioia dcprcbcndissct cpistolaruni ad Pompciuni missaruni ab ils, qui lidebantur aut in di- vertis, aut in neutris fuisse parlihus, cumbussit : qiiam- Tit moderalc toleret irasci, iiinluit liinien non posse. Gra- litaimam putafit gcnus \cuia! , Uisrlrc quid quisquc pec- casset. Pluriiuuiii niali cridiiliias facit : sxpe oe audien- dum quidi'ui cit, quoniam in qu busdain retnis latius est decipi , quam diffidcre. XXtV. Tullenda ex anirno su>picio cl coujectiin , fal- lacissinia irrilanienla. Ille me paruin huiiuue salulavit, iile osculo meo non adlixsit, ille iiicliuatum sermuDcm alo abrupit, ille ad cœnam non Tocavit, illius vultus ■?'.irsiiir visus Mt. Non décrit suspicioni argumeatatio ; simplicitate opusest , et l:enigna rerum a'slimalionc. M- hil nisi quod in oculos incurrel, nianifcslumque erit, cre- danuis : et qtiolies siispicio nostra vana apparuerit , ob- jurgenms criilulilaleiii. Ha-c eniin cistigatin consuctudi- m-Mi clficict iicm facile credendi. XXV. Inde cl iltu ! scquilur, ul iiiiDimis sordidisque ré- bus niin cxacii bcniur. Paruni agilis est puer, aut lepidior aqua potui , nul tiirbaliis lorus , i;ul mensa neRligcnlius po.-ila : ad ista i(inc:liiri, insaniacst; a'ger ctin'elicis va- litudinis est, i.;ui-m leiisanra cnntraiit : dffecti oculi , quos candida \('s is «iliUirhat : dissolulus dcliclis, cuju.'î latus Blieiio laluirc condoluit. Mindyiideni aiunl fuisse ex S)bari.aruin ci\it'.lc : (|iii quuni vidis.«ct fiidicntem , et altius lastruin alle\anlim, lassum se licri qucstus, ve- tuit illum opus in lonsi.ctlu luo facere. Mciii vibicem habcrc sa'pius qucslus e»l , quod/oliis ros.T duplicalis in- ciil)ui.'.8et. L'iii aniniuni siniul et corpus voluplalcs corrn- |ni<-, iiihil tolcrabilc xidelur : non quia dura , sed quia niulles p:iiiniur. Quid cnini est cur tuss s alicujus. i;ut sternulanicniuni, aut musca paruni curiose fupita, nos in rabiein agat, aut obversaliis cauis, aut < lavis ncgli- penlis servi inaniliiis elapsn? Fcrel is!c aviuo auimo ci- 30 SÉNÈQUE. sarcasmes du forum et de la curie , celui dont les oreilles sont bl(!ssées par le bruit d'un siège que l'on traîne? Endurera-t-il la faim et la soif pen- dant une guerre d'été, celui qui s'irrite contre un esclave qui a mal délayé la neige dans le vin ? XXVI. Aussi, rien n'alimente plus la colère que les intempérances et les impatiences de la mollesse. il faut traiter notre âme durement, pour qu'elle ne sente du moins que les coups qui sont pe- sants. On se met en colère, ou contre des objets dont on n'a pu recevoir une injure, ou contre ceux dont on a pu en recevoir. Parmi les premiers, il y en a qui sont inanimés, comme un livre, que souvent nous jetons parce qu'il est écrit en carac- tères trop fins, que nous déchirons parce que nous y Irouvonsdes fautes; commodes vêtements, que nous mettons en pièces parce qu'ils nous déplai- sent ; n'est-ce pas folie de s'irriter contre des cho- ses qui ne peuvent ni mériter ni senlir notre co- lère? 0 Mais, si je me fâche, c'est contre ceux qui les ont faites.» D'abord, souvent nous nous empor- tons avant d'avoir fait cette distinction; ensuite, peut-être les ouvriers auraient-ils aussi de bonnes excuses à alléguer. L'un n'a pu mieux faire qu'il n'a fait; et ce n'est pas pour toi une injure, s'il n'en sait pas davantage; l'autre n'a pas fait cela pour t'offenser. Après tout, quoi de plus dérai- sonnable, que de verse sur des choses la bile sou- levée par des hommes? Mais , s'il est insensé de s'irriter contre des objets privés de sentiment, il ne l'est pas moins de s'irriter contre des animaux muets, qui ne peuvent nous faire injure, parce qu'ils ne peuvent le vouloir; car il n'y a d'injure que celle qui pari de l'iutention. Ils peuvent donc nous nuire , ainsi qu'une arme, une pierre ; mais ils ne peuvent nous faire injure. Pourtant, il y a des gens qui se croient outragés , si un che- val , docile sous un autre cavalier, est rétif sous eux : comme si c'était la réflexion et non l'habi- tude et les exercices de l'art qui rendent certaines choses plus maniables 'a certains hommes. XXVH. Or, si la colère, dans ce cas , est ridi- cule, elle l'est aussi vis-à-vis des enfants et de ceux qui ne vont pas beaucoup plus loin que la sagesse des enfants. Car, pour toutes les fautes, auprès d'un juge équitable, l'imprévoyance lient lieu d'innocence. 11 est aussi des êtres qui ne peuvent nuire, qui n'ont qu'une propriété bienfaisante et salutaire, comme les dieux immortels qui n'ont ni la vo- lonté ni le pouvoir du mal. Car leur nature est la douceur et la paix , aussi éloignée de nuire aux autres qu'à elle-même. 11 n'y a donc que les in- sensés, et ceux qui ignorent la vérité, qui leur im- putent les fureui-s de la mer, la surabondance des pluies, les rigueurs de l'hiver; taudis qu'aucun de CCS phénomènes, qui nous nuisent ou nous servent, ne s'adresse directement à nous. Nous ne sommes pas aux yeux de la nature la cause des retours périodiques de l'hiver et de l'été ; ils ont leurs lois qui gouvernent toutes les choses divines. Nous avons une trop haute opinion de nous, en nous croyant dignes d'être le principe de si mer- veilleux monuments. Rien de tout cela n'a été faità notre préjudice; loin de là, au contraire, il n'est rien qui n'ait été fait à notre avantage. Nous avons dit qu'il y a des êtres qui ne peu- vent nuire; il y en a d'autres qui ne le veulent vile conTiciura, et ingesta in concione curiave maledicta , cujiis aures tracti suliscllii slridcir offendit? Perpetielur liic famem , et xstivae expedilionis sitim , qui pueromale dilueiili niveni , irascitur. XXVI. Niilla itaque res magis iracundiam a'it, quam tuxiiria intcmperans et impatiens. Dure traclandus ani- mns est , ut iclum non sentiat, nisi giaveni. Irascimur aut dis, a quil)us nec accipere injuriam potuiinus , aut his a quibus accipere potuimus. Ei piioribus qua^dani sine sensu sunt : ut, lilirum, quem minutioribus litteris scrip- Inm sœpe projecimus et niendosum, laceravinms : ut, vestimenta , quae quia displiceliant , scidimus. His irasci (juam stultum est , quae iram noslrani nec nierueruni, nec sentiunt? « Sed nos offendunt videlicet, qui illa fecerunt.» ï'rimum , ssepe anlequam hoc apud nos distinguamus , irascimur : deinde fortasse ipsi quoque artifices excusa- tiones justas afférent. Alius non potuit melius facere, quain fecit, nec ad luam contumeliam parum didicit .-alius non iji tiitc, ut te (iffenderet, fecit. Ad nltimuni , quid est deincntius , qiiam tiilem in homines collectani in res ef- fundere ? Atqui ut bis irasci démentis est, qua; anima carent , .sic n}ulis animalihus . qua; nullam injuriam no- bis faciunt , quia velle non piissnnt : non est enim inju- ria, nisi a coasilio prufecla. >'ocere itaque nobis possunt, ut ferrum, aut lapis; injuriam quidem facere non pos- sunt. Atqui contemai se quidam putant , ubi equi iidrm (ibse.{ucntes alleri equiti, alteri contumaces sunt : lanquam judicio, non consuctudine , et arte Iraclandi, qusdam quil)usdani subjectiora siot. XXVII. Atqui ut his irasci stultum est , ita pueris , et non multum a pueroium prudentia distantibus. Omnia enim ista peccata , apud œquuni judicem , pro innocentia halient imprudentiani. Quaedam suut. quae nocere non possunt , nullamque vim nisi beneficam et salutarem ba- bent : ut dii immort»les, qui nec volunt obesse , nec pos- sunt. INatura enim illis mitis et placida est, tam longe re- niota ab aliéna injuria , quam a sua. Démentes itaqne et iguari veritatis illis imputant saevitiam maris , immodicos inibres , |)eriinaciam hiemis : quum intérim nihil borum, quae ncibis nocent prosuntve , ad nos proprie dirigatur. Non enim nos causa mundo sumus, biemcm astatemque referendi ; suas ista Icges babent, quibus dirina eiercen- Inr. Niniis nos suspicimus, si digni nobis \idemur, pi-op- tcr quos tanla moveantur. Nihil ergo horum in n( s raui DK LA COLÈRK, pas. Parmi ceux-ci seront les bons magistrats, les parenls, les précepteurs et les juges : il faut con- sidérer leurs châtiments, comme le scalpel, ladièle et les autres choses qui nous fout du mal pour no- tre bien. Subissons-nous quelque punition ; rap- pelons-nous, nonce que nous souffrons, mais ce que nous avons fait : ouvrons un interrogatoire sur notre conduite. Si nous voulons convenir avec nous-mêmes de la vérité , nous jugerons que notre délit méritait davantage. Si nous voulons appré- cier justement toutes choses, nous nous convain- crons d'abord qu'aucun de nous n'est exempt de fanlps. Car c'est de là que vient notre plus grande inilignaliun : je n'ai rien à me reprocher; je n'ai rien fait: c'est-'a-dire que tu n'avoues rien. Nous nous révoltons de nous voir soumis à quelque ré- primande, à quelque punition; tandis que, dans ce moment mdnie , nous péchons en ajoutant à nos fautes l'arrogance et la rébellion. Quel est celui qui peut se dire innocent aux yeux de toutes les lois? Et si cela était, quelle pauvre innocence de n'être bon que selon la loi ! La règle de nos de- voirs est bien plus étendue que celle du droit. Uue de choses nous commandent la piété, l'huma- nité, la bienfaisance, la justice et la bonne foi, qai ne sont pas inscrites sur les tables d'airain ! XXVIII. Cependant, même cette formule si étroite de l'innocence, nous ne pouvons la suivre. Il y a des choses que nous av(ms faites, d'autres que nous avons méditées, d'autres que nous arons souhaitées, d'autres auxquelles nous avons aide; dans quelques-unes nous sommes innocents , parce qu'elles n'ont pas réussi. Cette pensée nous ren- dra plus indulgents pour les fautes, pUis dociles aux réprimandes. Surtout ne nous emportons pas contre nous-mêmes (car, qui épargnerons-nous , si nous ne nous épargnons pas? ) et moins encore contrôles dieux. Car ce n'est pas leur loi, mais celle de l'humanité qui nous fait subir les déplai- sirs qui nous surviennent. Mais les maladies, les douleurs nous assiègent. Ne faut-il donc pas dé- pouiller de quelque manière celte enveloppe de fange que nous donna le sort? On te dira que quelqu'un a mal parlé de toi ; cherche si tu n'as pascommcncé le premier, cher- che sur combien de gens tuas parlé. Songe, en un mot, que les uns ne font pas une injure , mais li rendent; que les autres la font par entraînement, d'autres par contrainte, d'autres par ignorance : même celui qui la commet volontairement et sciemment, tout en nous offensant, ne cherche pas 'a offenser. Ou il a cédé à l'attrait d'un bon mot, ou il a fait quelque chose non pour nous faire mal, mais parce qu'il ne pouvait parvenir, s'il ne nous eût poussé a l'écart. Souvent la flat- terie blesse eu caressant. Quiconque se rappel- lera combien de fois il a été expose à de faux soup- çons , combien de services la fortune lui a rendus sous les apparences du mal , combien de gens il a aimés après les avoir bais, pourra être moins prompt à s'irriter, surtout si à chaque chose qui le blesse , il se dit dans le secret de son cœur : • J'ai fait la même chose. » Mais où trouver un juge aussi équitable? Sera-ce celui qui jamais ne voit la femme d'un autre sans la convoiter, à qui il suffit, pour légitimer son amour , qu'elle soit à inioi^Iam lit ; immo contra , nihil non ad sjlu:em. Quae- dam esse ditimus, igux iiocere non possunt : quœdam, i|ii9 iiolunt. In his emnt booi oiagislralus , parentesque, cl priPceptorcs, et judices ; quomm casiigatio sic acci- pif nda est , quoniodo scalpellum , et abslia*'nlia , cl alia qiiic profiilura torqnenl. AITecii sntiius pœni? succurral, non lanliim quid paliamur, scd quid receriinns : In consi- lium de vila Doslra mitiamur. Si vcnim ifisi dicere nolils Tolaerimus , pluris lilem oostnim aralimahimas. Si volu- inus ipqui omnium rernm judices esse , hoc primum no- liis su deanius , nerninem nnstrum esse sine culpa. Ilinc enim maiima indignallo orilur : Nihil peccaci, uihil Teci ; imino nihil faleiis. lodiananmr alicjua admonitione aut cnercitione nos castigatos : quum illo ipso lempore pec- ceinns , qun adjicimus maleraclis arrogaaliam et contu- niaciam. Quis esl isie , qui se proHlclnr omnibus legibus innocentem ? Ut hoc ila «il, quam angu.slainDocenlia rsl, ad Icgem lionum esse? quanio lalius ofllrionim palet qoam juris régula ? qnam miilb pictas , linnianitas , li- beralitas , jostitia , fldeg ciigant : qnae omnia cilra pulili- cas tahidas snnt ? XXVIII. Sed ne ad illam qiiidem arctissimam inno- eentia; Tormutam prxstare nas possumns. Alia Tecimus , alia cogitafimns, aKa oplaviniiis, aliis fa^imus : in qui- l)u$dam innocentes sumus, quia non successif. Hoc cogi- tantes, xqiiiores simus delinquenlibus, cedamus objiir- ganlibus : ulique niibis ne irascamur (cui enim non , si nobis quoque?) minime diis. Non enim illorum.sed lege morlalitatis patimur, quidquid incommodi accidil. At morbi doloresque incurrunt. Utiqucaliqua Tugicndum est domicilium putre «orlitis. Dicclur aliquis malc de le lo- culus : cogita an prier feccris , rogita de quam multis loquaris. Cogitemus, inquara , alios nonracereinjuriam, ted repooere : alios pronos facere , alios coaclos facere , alios ignorantes : etiam cos qui volenles scienlesque fa- ciunt . ei injuria noslra non ipsain injuriam petere. Aul dulcedine urbanilatis prolapsus esl , aut ferilaliquid, non ul nobis obesset , sed quia eonscqui ipsc non polciat nisi nos repulissct. Sxpe adulalio, dum blanditur, oirendil. Quisquis ad se reluleril, quoliens ipse in suspicionem falsam inciderit , quam mullis orTiciis suis fortuna spc- ciem injuria- induecit , quam multos posl odiuni amaro cœperil, potcrit non slatim irasci : ulique si sibi lacilus ad singnia quibus olfcnditur, diierit ; ha»c et ipsc com- missi. Sed ubi tam tequuni judicem inTcnies ? Is qui nul- lius non uiorem concupiscit, et salis justam causam pu- tat amandi, quod aliéna est, idem uiorem suam aspici non vidt : et fidoi acorrimus ciactor, esl perfidus : et men- 3* SKNÈ autrui , tandis qu'il ne veut pas qu'on regarde la sienne? Sera-ce cet homme sans foi, qui exige im- pitoyablement l'accomplissement d'une parole donnée ,'ce parjure qui poursuit le mensonge, ce délateur qui souiïrc impatiemment qu'on l'ap- pelle en justice? Cet homme ne veut pas qu'on attente "a la pudeur de ses jeunes esclaves, et il * livre la sienne. Les vices d'autrui sont devant nos yeux; les nôtres sont derrière nous. C'est ainsi qu'un père gourmande les longs festins d'un (ils moins dérègle que lui. Celui qui ne refuse rien à ses passions n'accorde rien à celles des autres : le tyran s'emporte contre l'homicide, et le sacri- lège punit le vol. La majorité des hommes s'irrite non contre le délit, mais conire le délinquant. Un retour sur nous-mêmes nous rendra plus in- dulgents, si nous nous interrogeons. N'avons- nous pas nous-mêmes fait quelque chose de pareil? Ne sommes-nous pas tombés dans les mêmes éga- rements? Gagnons-nous quelque chose à une con- darauation? Le meilleur remède à la colère, c'est le temps. Et ne lui demande pas, dès l'abord, qu'elle par- donne; mais qu'elle juge :si ellealtend, elle se dis- sipe. N'essaie pas de la comprimer d'un seul coup ; sa première fougue est trop puissante; pour la dompter toutentière, il faut des attaques partielles. XXIX. Des choses qui nous offensent, il y en a qu'on nous rapporte , il y en a que nous enten- dons, que nous voyons nous-mêmes. Pour celles qui nous sont racontées , il ne faut pas nous presser d'y croire. Beaucoup d'hommes mentent pour tromper, beaucoup d'autres parce qu'ils sont trompés. L'un accuse pour faire sa cour, et sup- qui;. pose l'injure pour avoir l'air de vous plaindre; l'aulre, par méfiance, cherche 'a désunir d'étroites amitiés; celui-ci, par malice, se fait un jeu de regarder de loin et sans risque ceux qu'il a mis aux prises. Si tu avais 'a juger une contestation sur les plus modiques sommes, sans témoin , rien ne te serait prouvé ; sans serment , le témoin ne ferait pas foi ; aux deux partis tu accorderais une remise, tu ac- corderais du temps; tu les entendrais plus d'une fois; caria vérité brille d'autant plus qu'elle nous a plus souvent passé dans les mains. L'n ami, tu le condamnes sur-le-champ , sans l'entendre, sans l'interroger. Avant qu'il puisse connaître son ac- cusateur ou son crime , tu t'emportes contre lui. Connais-tu sitôt la vérité? as-lu entendu le pour et le contre? Mais celui même qui t'a fait le rap- port abandonnera son dire , s'il lui faut le prou- ver. « Ne va pas, dit-il , me nommer; si tu me mets en avant, je nie tout : assurément je ne te dirai jamais plus rien. » En même temps qu'il t'excile , il se dérobe à la lutte et au combat. Quand on ne veut parler qu'en secret, c'est comme si l'on ne parlait pas. Quoi de plus injuste que do croire tout bas, et de se fâcher tout haut? XXX. H y a de cerlaines choses dont nous som- mes nous-mêmes témoins. Dans ce cas, examinons le caractère et l'intention de ceux qui les font. C'est un enfant? on pardonne "a son âge; il ne sait s il lait mal. C'est un père? ou il nous a fait assez de bien pour avoir acquis le droit d'une ofiense , ou c'est peut-être encore un service de plus que nous prenons pour une injure. C'est une femme? elle se trompe. C'est par ordre? qui pourrait, sans dada persequitur , ipse perjuriis : et litcni silii inferri segerrime cjiliimiiiator p;ttitiir. Pudicitiani scrvulnrura suorum atlentnri non viilt , (|ui non pcpercit sut. Aliéna Titia io oculis liabemiis : a lergo nosira sunt. Inde est . qiiod tempcstiva (ilii convivia pater deterior filio castigat. ?iihil aliéna! luxuria; ignoscit, qui nihil sux negavit : et lioinicidae lyrannus irascitur : et punit furla sacrilegus. Magna pars honiinuni est, qux' non peccalis irascitur, sed peccanlibus. Faciet nos moderatiores respcctns nostri , si coQsuluerimus nos : nuinquid et ipsi aliquid laie cnm- misimus? Numquid sic erravimus? Expcditnt' noi is isla dumnari? Maximum l'ciiiediimi est ira;, inor.i. >cc al) illa pete inilio, ut ignoscat, scd ut judicet : desinot, si cispeclat; ncc universam illam leutaveris lollere; graves habet imi)etus primos; tota vincelur, dum partibus air- pitur. XXIX. Ex bis qux nos orfendunt, alla renuuliaulur nobis, alia Ipsi audimus aut videmus. His qua: uarrala sunt, non debemus cito credere. Muiti ementiuntur, ut decipiant : inuiti , (|uia decepti sunt. Alius criminatiouc graliam caplat, et Tingit injuriam, ut fideatur doluisse factam. Est sliqnls malignus, et qui amicitias cobaerentes, didurere velit , est suspicai : et qui speclare ludos cnpiat, ul ev longinquo tuloque speculetur, quos collisit. De par- vida sumuia judicaturo, tibi res sine leste non probare- tur, Icstis , sine jurejurando non valerct : utrique parti daies adTOcalionem, dares tempus, nec seniel audres; magij euim verilas elucet, quo ssepius ad manum veniL Amii uni condeninas de prœsenlibus , an:equanj audias , antequam interroges? illi, antequam aut accusatorera suum nosse liceat, aut crimen, irasceris? Jaui Tenuu, jam utrimque quid diceretur, audisti ? Hic ip.'e qui ad te dctulit , desiret dicero, si proliare debuerit. ÎS'oncst in- quil, q :od me pro trahas : ego productus negabo. Aliuqui niliii unquam tibi dicaui. Eodcm Icnipore et instigal, et ipse .« ceitamini et pugus subtrahil. Qui dicere tibi niti cl^inr non \uU, paenc non dicit. Quid est ioiqaios, quant secrcto credere , palam irasci ? XXX. Quorumdain ipsi testes snmns. In liis naturam excutiemus voluutatrmque facientium. Puer est? œlati donetur : nescit an pcccet: Pater est ? aut tantum profait, ut illi etiam injuria; jus sit : aut fortassis ipsum boc me- ritum ejus est, quo ofTendiraur. Mulier est 7 errât. Jus- sus est? neccssilati quis, nisi ioiquus, suecenaet? Lftuf DE LA COLÈRE. 53 iujnslice , s'irriter contre la nécessite. C'est par représailles? Ce n'est pas être offensé, que de souf- frir ce que lu as fait souffrir le premier. C'est un juge? Respecte pins sa décision que la tienne. C'est un roi? S'il te frappe coupable, cède à la justice; si innocent, cède 'a la fortune. C'est un animal sans raison, ou un être semblable? Tu l'assimiles à lui en l'irritant. C'est une maladie, une calamité? Elle passera plus vite si lu la supportes. C'est un dieu? Tu perds la peine a l'irriter contre lui, au- tant qu'"a invoquer sa colère contre un autre. C'est un homme de bien qui t'a fait injure? N'en crois rien. C'est un méchaul? N'en sois pas élouné; un autre le punira pour ce qu'il l'a fait; et déjà il s'est puni lui-même par la faute qu'il a faite. Deux circonstances, ai-jo dit, excitent la colère . d'abord, lorsqu'il nous semble avoir élé outragés: sur ce point, nous en avons dit assez; ensuite, lors- qu'il nous semble l'avoir été injustement ; c'est de quoi nous allons nous occuper. Les bommes con- sidèrent comme injustes certaines choses qu'ils ne méritaient pas de souffrir, ou d'autres auxquelles ils ne s'attendaient pas. Nous jugeons inique ce qai est imprévu; aussi, ce qui révolte le plus, c'est ce qui arrive contre l'altente et l'espérance. Ce n'est pas une autre raison qui fait que les moin- dres choses nous offensent dans notre intérieur; et que, chez un ami, nous appelons la négligence une injure. XXXI. 0 Pourquoi donc, dit-on, sommes-nous si sensibles aux outrages d'un ennemi? » C'est qu'ils viennent contre notre attente , ou qu'ils la dépassent. C'est l'effet d'un trop grand amour- propre ; nous nous persuadons que , même pour nos ennemis, nous devons Cire sflviolabîes. Cba- cim a dans son cœur des prétentions de roi, cl veut se donner tout pouvoir sur les autres, sans en accorder aucun sur soi C'est donc ou l'ignorance des choses, ou la présomption qui nous rend irri- tables. L'ignonmce ; car est-il étonnant que les mé- cliants fassent le mal? Qu'y a-l-il d'étrange qu'un ennemi nuise, qu'un ami offense, qu'un fils s'ou- blie, qu'un esclave se néglige? Fabius trouvait que c'était la plus pitoyable excuse pour un gé- néral, que de dire : « Je n'y ai pas pensé. » Moi, je trouve qu'elle est aussi pitoyable pour tout homme. Pense 'a tout , prévois tout : même dans- les meilleurs caractères il existe des aspérités. La nature humaine produit des amis insidieux, elle en produit d'ingrats, elle en produit de cupides, elle en produit d'impies. Dans tes jugements sur 1rs mœurs d'un seul, pense aux mœure publiques : quand tu le félicites le plus , tu dois le plus crain- dre : quand tout le scnible calme, les orages ne manquent pas, mais ils sommeillent. Songe qu'il y a toujours quelque chose en réserve pour le nuire. Le pilote ne déploie jamais toutes ses voiles avec une sécurité si entière , que ses cordages ne soient disposés pour les replier au besoin. Rappelle-loi surtout que la passion de nuire est infâme et odieuse, cl lout-à-fail étrangère au cœur de l'homme, dont la bonté adoucit même les natures sauvages. Vois l'éléphant courber sa tête sous le joug, le taureau laisser impuné- ment sur son dos des femmes et des enfants, des serpents ramper au milieu de nos coupes et envelopper nos seins de leurs replis innocents, cl, dans nos maisons , des lions et des ours ouvrir a est? non pstinjuria, pati qnod prior feceris. Jude\ est » plus iUius credaj sententia>, quam lua;. Rei est ? .si nocenlcni , panit, cède justitiae : si iimocentcm, cède fi>rluna?. Mutum animal est, aut similc muto? imitaris illiid , si irascrris. Morbusest , aut calamitas? levias transiliel sus:ineu!em. Deusrsl? tam perdis opérant quum illi irasceris , quam quumillum alleri precarisiralnni. Buniis virrst.qui inju- riamfecit? noli crcdi-re. Malus? noii niirari ; dal)il pfenas alteri, qiiasdel)ct tibi:etjamsilii dédit, qui percavil. Duo sunt.uldiii.quTJraeundiain concitant: priraum.si inju- rjam vidcmur accepisse; de hoc salis diclurn est. Deinde, ti inique accppisse; de hoc dicendiim est. Iniqua quxdam judicant homines quia |iati non detnierint : qua>dani. quia Donsperaverint.In.ii(;naputamus,qusinopinatasunt.Ita- que maxime commorent , qna; contra »pem exsiwctalio- nemque evencrunt. Nec aliud est, quare in domeslicis mini- iDaorrendant.inamicis,injuriam Toccmus negligentiam. XXXI. ■ Quomodo ergo , inquit, inimicorum nos in- jnriw motenl ? • Quia non eispectavimus illa.s , aut eertc non tanlas. IIoc efOcit amor no.stri nimius : invio- Utoi nos etiam inimicis judicamus esse debere. Régis ipritque inini .se animum habet ut licenliam tibi dari Tclit, in se nolit. Aut ignornntia nos itaque rerum , aut insolentia ii-acundos facit. Ignorantia : quid enim miruni est malos mata facinora edcre? Quid noTi est, si ini- niieus nocet, amicus offendit, filius labilur, servus pec- cal? Turpi.ssin)am aiehat Fabius imperatoii cicusalionf-iu esse : ÎSon putavi; ego turpissimam honiini puto. Omnia pula , exspecta : etiam in bonis inoribus aliquid e,isislct asperius. Fert bumana nalura in idiosos amieos, fert in- pralos , fort cupidos , fert impios. Quam de moribus unius judicabis, de pulilicis cogita : ubi maxHiie gaa- debis, maxime metues : ubi tranquilla lil)i omnia viden- lur , ibi nocilura non désuni , sed quicscnnt ; seiiiper fu- turnm aliquid , quod te offcndat , existima. Guliernalor nunquam ila totos sinus ciplicuil sccurus , ut non eipe- dita ad contrahendum arninmenla disponeret. Jllud 'anto omnia cogita , fœdam esse et exsecrabilem vim nocendi , et alienissiniam homini, cujus l)encncio etiam sapva nian- suescunt. Aspicc rlephanlorum jugo colla submissa, tau- riirum pueris pariter ac feminis persultanlibus terga impunecaleala, ct.repenics inter pocula siiiii.sque in- noiio lapsu drccones , et intra domiim ursorum leonum- que ora placida traclantih»!», adrianlesqne doniinun fer- 54 nos mains leurs gueules pacifiques, et poursuivre un maîlre de leurs caresses : tu rougiras d'avoir change de nature avec les animaux. C'est un crime de nuire à la patrie; par consé- quent h un citoyen, car il fait pariie de la patrie. Quand le tout est sacré, la partie a droit au respect; par conséquent riioramc est sacré , car il est ton concitoyen dans la grande cité. Qu'arriverait-il , si les mains voulaient nuire aux pieds , les yeux aux mains? De même que tous les membres doi vent s'accorder entre eux, parce que tous sont in- téresses a la conservation de chacun, ainsi les hommes doivent s'épargner l'un l'autre, parce qu'ils sont nés pour vivre en commun. Or, il n'y a de salut pour la société , que dans l'amour et l'appui mutuel de chacune de ses parties. Même les vipères et les serpents d'eau, funestes par leurs coups et leurs morsures, nous ne les écra- serions pas , si , comme les autres animaux , nous pouvions les apprivoiser, et les empêcher d'être malfaisants pour nous et les autres. Ainsi, nous ne punirons pas même l'homme parcequ'il a pé- ché, mais pour (pi'il ne pèche pins; et la loi, dans ses peines, n'envisage pas le passé, mais l'avenir ; car elle n'a pas de colère , mais de la prévoyance. S'il faut punir tout naturel déprave et disposé au mal, la peine n'exceptera personne. XXXll. « Mais la colore renfeiiue un certain plaisir, et il est doux de rendre le mal. » Nulle- ment. Car, s'il est beau , dans les bienfaits , de compenser un service par un service, il ne l'est pas de compenser l'injure par l'injure. L'a il est honteux d'être vaincu, ici, de vaincre, l-a ven- geance est un mot qui n'a rien d'humain (et pour- SÉNÈQUE. tant on la confond avec l.i justice) ; le talion n'en diffère que parce que c'est une vengeance ré- gulière. Celui qui renvoie l'offense, ne pèche qu'avec un peu plus d'excuse. Un homme avait, aux bains publics, frappé, par niégarde, M. Calun, qu'il ne connaissait pas (car qui lui aurait sciemment fait injure). Comme ensuite il s'excusait, «je ne me souviens pas », dit Caton, • d'avoir été fra|)pé.» Il pensa qu'il valait mieux ne pas apercevoir l'injure que la venger. « N'est il donc , dis tu , résulte aucun mal de cet excès d'in.solence ? » Au contraire, beaucoup de bien; cet homme apprit il connaître Caton. Il est d'une grande âme de mépriser l'injure. La ven- geance la plus accablante pour l'agi esseur, est de ne pas paraître digne de provoquer la vengeance. Beaucoup, en demandant s:itisfaction d'une légère blessure, n'ont fait que l'approfondir. L'homme grand et généreux imite le lion magnanime, qui entend sans s'émouvoir les aboiements des chiens impuissants. « Nous serons plus respectes, dis-lu , si nous nous vengeons. » Si nous en faisons un remède, que ce soit sans colère, et non parce que la vengeance est doute , mais parce qu'elle est utile. Mais souvent il vaut mieux dissimuler, que se venger. XXMII. Les injures des hommes puissants doi- vent être accueillies non seulement avec patience, mais même d'un air riant; car ils humilieront de nouveau , s'ils se persuadent avoir humilié. Ce qu'il y a de plus odieux dans l'insolence d'une haute fortune , c'est de haïr ceux qu'on a blessés. On connaît partout le mot de cet homme qui avait vieilli au service des rois : comme on lui ras : pudebit cum animalibus permutasse mores. Nefas est nocere patriae; ergo civi (iiioque; miin liic pars pairia; est. Sanctaî partes surit, si uuiversum ieucral)ile est; ergo et homiiii ; nam hic in majore tibi urlie civis est. Quid si nocere velinl manus pidibus , manil)us oculi ! Ut jmnia interse membra cens iiliimt; quia sinjjuU ser- Tari totius inlcrcst ; ita homiiicssingiilis parcent , quia ad coetuni genili sunius; salva au;em esse societas nisi amore ( t custodia paitium non potesî. Ne viperas qui- dem et natrices , et si ijua morsu aiit ictu Uiieeut , efllige- remus, si ul reliqua mansue!accre possi mus, aut elli- cere , ue nobis aliisve puiculo osent. Eigo ne homiui quidem nocel)iiiius, qiiia peccavit, sed ne peccet ; uec unquam ad pra^tcritum , sed ad futnrum pœna refe- retur, non enim irasfi;ur, sed cavet. Nam si puniendus est; cuieumqnc pravum malePicumque ingenium est, pnena neminem excipiel. XXXII. • At enim ira lialiet aliqiiam voluptatem , et dulce est dolorem reddere. Minime ; non enim ut ia beneiiciis honestum est mérita mcri;is repciisare , ili injurias injuriis; illic, vinci turpe e>t; tic, vin- cerc. Inhumanum verbum est (ut quidem projusto re- ceptumj ultio; et talio non multum difTert Disi ordioe. Qui dolorem regcrit , tantum excusatius peccat. M. Ca- tonem in balneo ignorans quidam percussit imprudens; quis enim illi sciens faceret injuriam? postea satisfa- cienti Calo. Nou memini, inquit, percussum me. Me- lius putavit, non agnoscere , quam vindicare. >ihil , in- quis, post tan;am p. tul.mliam mali factum est? Immo multum boni; c(ppit Calonem dossp. Magni aninii est injurias dcspiccre; uhiouis contumelio.sissimum gennt est, non esse vi^um dignuin , ex quo peteretur ul.io. Mulii levés injurias altius -ibi demisere, dum vindicant : ille magnus et nobilisest, qui , more magna^ferae, laire- tus miuutorum canum securus exaudit. « Minus, inquit, contemnemur , si vindlcaverimus injuriam. • Si tan- quam ad remedium venimus , sine ira veniamus : non quasi dulce sit vindicari, sed quasi utile. Sœpe antem sa- lius fuit dissimulare , quam ulcisci. XXXIll. Potcnliorum injurias hilari vultu, non pa lienter tanlum ferenda; sunt ; facient iterum , si se fe- cisse crediilerint. Hoc habent pessimum auimi magna fortuna insolentes : quos lœserunt , et oderunt. Notissima vox est ejus , qui in cultu regum consenuerat. Qauin DE LA COLÈRE. ê^ demandait comment ii était parvenu à une chose si rare à la cour, la vieillesse: « En recevant, dit- il, des affronts , et en remerciant. • Souvent, loin qu'il soit avantageux de venger rinjure, il est, au contraire, avantageux de ne pas la reconnaître. Caius César , choqué de la re- cherche qu'affectait, daus sa nùse et sa coiffure, le fils de Pastor, illustre cJtevalier romain , l'avait fait mettre en prison. Le père le suppliant de lui accorder la grâce de son fils. César, comme si cette prière était un avertissement pour le sup- plice, ordonna aussitôt sa mort. Cependant, pour que tout ne fût pas inhumain dans ses rapports avec le père, il l'invita "a souper le jour même. Pastor s'y rendit, sans que son visage traliît aucun ressentiment. Après avoir chargé quelqu'un de le surveiller, César lui porte une santé dans une vaste coupe; l'infortuné la vida entièrement, quoi- que ce fut comme s'il buvait le sang de son Gis. Il lui fait passer des parfums et des couronnes , avec ordre d'examiner s'il les accepte; il les accepta. Le jour même qu'il avait enterré son fils, ou plu- tôt qu'il n'avait pu l'enterrer, il était couché, lui centième, au banquet deCésar; elle vieillard po- dagre faisait des libations qu'on se permettrait 'a peine au jour de naissance d'un enfant. Pondant tout ce temps il ne versa pas une larme, il ne per- mit 'a aucun signe de trahir sa douleur. Il soupa comme s'il avait obtenu la grâce de son (Ils. lu me demandes pourquoi? Il en avait un autre. Que (itPriam?ne dissinuila-t-il pas sa douleur? n'em- brassa t il paslesgenoux du roi thessalien? 11 porta h ses lèvres cette main funeste, teinte du sang de son lils , et prit place au banquet; mais sans par- fums, sans couronnes : son farouche ennemi l'en- gageait , à force de consolations, à prendre quel- que nourriture , et non "a mettre "a sec de larges coupes sous l'œil d'un surveillant aposté. Achille eût méprisé le père troyen, s'il eût craint pour lui-même ; mais l'amour paternel triompha de la colère. Friam fut dignequ'on lui permît, au sortir du festin , de recueillir les restes de son fils. C'est ce que ne permit pas le jeune t\ran, avec son air bienveillant et affable : provoquant le vieillard par de fréquentes santés, il l'invilait h haniiirses chagrins; et lui, en réponse, se montrait joyeux et indifférent à ce qui s'était passé ce jour-là. Le second Ois périssait, si le bourreau n'eût été con- tent du convive. XXXIV. Il faut donc s'abstenir de la colère, soit contre un égal , soit contre un supérieur, soit contre un inférieur. Lutteravec légal, c'est chan- ceux ; avec le supérieur, c'est insensé; avec l'in- férieur, c'est vil. C'est un lâche, un pauvre homme, celui qui mord lorsqu'il est mordu : la souris et la fourmi menacent la main qui les ap proche; les êtres faibles se croient blessés aussitôt (|u'on les touche. Ce qui doit calmer, c'est de songer aux services rendus outrefois par l'iioiiime contre qui l'on s'emporte, et le bienfait rachètera loflense. Itapiicliins-nous aussi quel crédit nous assurera notre réputation de clémence, et com- bien d'amis utiles l'indulgence procure. ,\'a>ons pas de colère contre les enfants do nos ennemis privés et publics. Un des grands exemples de la cruauté de Sylla, c'est d'avoir écarté des charges civiles les lils des proscrits. Rien n'est plus injuste que de faire peser sur un (ils un héritage de haines. iUum quidam ioterrogaret : Quomodo raritsimam rem in aula coosecutus esset , scDectutrin ? • Injurias , inquit, aodpiendo , et gratias agendo. • Sa^pe adeo injuriain «indicari non expedit, ut ne fateri quidem eipediat. C Causât Pastoi a splendidi equitis romaui fitium quum in cusiodia babuiswt, manditiis ejus et cnllioribusca- pHIis ofreosus , rogantc pâtre , ut salutcm &ibi filii conce- deret, quju de supplicio e|u8 admonitus, duci |>rutinui Jus&it. Ne lamen omnia inhumane faceret adversum pa- trem, ad cœnam illum invitavil eo die; venit Pastor, nibil Tultu eiproliraote. Propinavit ilii Caesar beralnam , et posait illi custodein ; perduraTit miser, non aliter qium si (ilii sangvinem biberet. Unguentum et corooas ■nisit, et observare jussit an snmeret; sunisit. Eo die, que Glinm eitulerat, immo qno non eilulerat , jacebat eonvif a centesimos , et poliones vii bonestas natalibus li- berorum , podagricns senex haoriebat : quum intérim non lacrymas emisit , non Holorem aliquu signe erum- pore patsus est. CœnsTit , tanqnam pro fliio eiorasset. Quseris, quare? Iiabebat alterum. Quid ille Priamus ? non dissimulavit iram , et régis genua complexus est ? fbnestam pei fusamque cruorc filii manum ad os suum retnlit, et cu'navU; sed lamen sine ungurnio, sine coro- nis : et iHnm hoslis sxvissimus multis solaliis , uï cibum caperet, horlatns est, non ut pocula iiigcniia, super capnt po.silo custode , siccaret. Conlemsi^sct trojanum palrem , si s:bi tiniuisset : nunc iram compescuit pielas. Dignus fuit , oui permitlerct a convivio ad cissa (ilii le- genda di.-c^dcre. >'e boc (juidiin permisit benignus inlc- rim et cemis adolesci-ns : propiuatiduibusseni'jii crrbris, ut cura lenirelur, adniovcus I cessahat : coutra illc se Ixtum el ol)litum quid eci esset ar;uiii die, pra-stilit. Pe- rierat aller filius , si carnifici conviva nou placuisset. XXXIV. Ergo ira abslinendum est, sive par est qui laeessrndus est , sive superior, si\e inferior. Cum pare contendere, anceps et ; cum superii)re , furinsum : cuni inferiore , sordidum. Pusilli homiiiiset niiscri est, rcpc- terc mordcntem; mures et formii-œ, qui manum admo- Tfris , ora converluot : imbec Ilia se la-di [)utant , si tan- gunlur. Faciet nos miliores, si cogilavcrimus, quid ali- quando nobis profucril ille, oui irajcimur, et meritis offensa redimetur. Illud quoqnc oeourr,-.t, quiiuluuicom- mendalionit nobis allatura sil cicmentia' fama, cl quam mullos vcnia am cos utiles fcceril. ISe iniscamur inimi- corum et bostium liberi.'i. Iiiter Syllaii.T criidchlalit eiempla est, qiiod a repnblicn lilx'roa proscriptorum sub- S() DemanUwiis-uuui , (juuud iiuus aurons peine à par- donner, s'il nous conviendrait que chacun fût pour nous inexorable. Que de fois il implore sa grâce, celui qui l'a refusée. Que de fois il s'est roulé aux piedsde celui qu'il a repoussé loin des siens? Quoi de plus noble que de transformer sa colère en ami- tié ! Quels alliés plus fidèles a le peuple romain, que ceux qui furent ses plus opiniâtres ennemis? Que serait aujourd'hui l'empire, si une heureuse prévoyance n'avait confondu les vain(iueurs et les vaincus. Cet homme s'emporte : toi , au contraire, provoque-le par des bienfaits. La lutte cesse aus- sitôt que l'un des deux quitte la place : pour com- battre il faut être deux. Si le combat s'engage , la colère s'en mêle ; celui qui triomphe est celui qui recule le premier ; le vainqueur, c'est le vaincu. 11 l'a frappé ; retire-toi. En lui rendant les coups, tu lui fournis l'occasion de t'en donner de nou- veaux et d'avoir une excuse. Tu ne pourras pas te débarrasser quand tu le voudras. Et qui voudrait frapper assez fort son ennemi pour laisser la main dans la plaie, sans pouvoir la dégager? Or, la co- lère est une arme pareille ; on a peine à l'arracher. XXXV. Nous choisissons des armes avanta- geuses, une épée commode et facile à manier : et nous n'éviterons pas les passions de l'âme, bien plus incommodes et qui portent des coups furieux et irrévocables? La vélocité qui plaîtdansun cour- sier est celle qui s'arrête au commandement, qui ne s'élance pas au-del'a du but , qu'on peut diriger à volonté et ramener de la course au pas. Nous savons que les nerfs sont malades quand ils s'agi- SKNÈQLE. tent malgré nous. I! n'y a que le vieillard et l'in- firme qui courent lorsqu'ils veulent marcher. Sacb« de même que les mouvements de l'âme les plus sains et les plus vigoureux , sont ceux qui suivent notre impulsion , non ceux qu'emporte leur élan . Rien , toutefois , ne sera plus utile que de con- sidérer d'abord la difformité de la colère , ensuite ses dangers. Aucune passion n'a un extérieur plus désordonné : elle enlaidit les plus belles figures, et décompose les physionomies les plus calmes. L'homme en colère perd toute dignité ; que sa toge soit'drapée selon les règles , il la laissera traîner et négligera tout soin de sa personne; que l'art et la nature disposent ses cheveux d'une manière dé- cente, ils se soulèveront avec sa fureur ; ses veines se gonflent; une respiration pressée agite sa poi- trine ; les éclats furieux de sa voix dilatent son cou ; ses membres frissonnent; ses mains trem- blent; tout son corps se démène. Que penses-tu de l'élat intérieur d'une âme dont la représenta- tion extérieure est tellement hideuse? Combien ses traits cachés doivent être plus terribles, sa fermen- tation plus vive, ses transports plus ardents? c'est un feu qui se dévorerait lui-même, s'il n'éclatait. Représenlons-nous les Barbares, les animaux de proie conrantau meurtre , ou tout dégoûtants du meurtre, les monstres infernaux qu'ont imaginés les poètes, avec leur ceinture de serpents et leur souffle de feu, les noires furies d'enfer s'élançanl, pour exciter les combats, pour semer la discorde chez les peuples , et déchirer le pacte de la paix ; telle nous pouvons nous figurer la colère , l'œil moTit. Nihil est iniquius , qiiani aliquem liarcdem pa- terni odii fieri. Cogitemus, quoties ad ignoscenduin diffi- ciles erimus, en expédiât omncs nobis inesnrabiles esse. Qiiam saepe veniam, qui negavit, petit? quam sappe pe- dibiis ejus advolutiis est, quem a suis rcpulit? Quid est gloriosius, quam iram amicilia mutare? Quds populus ronianus fideliores habet socios , quam quos habuit per- tinacissinios hosles ? Quod hodie esset inipeiium , uisi salubi is prinideutia vietos perniiscuissct victoribus - Iras- citur aliquis? tu contra beneficiis provooi. Cadit statim simuUas , ab altéra parte déserta : nisi paritcr, non pug- nant. Si utrlmquc cei tabitur , ira concurritur : ille est melior, qui prier pedera retulit: victusest qui vicit. Per- cussitte? recède; referiendo enim, et occasioncni sa;- pius ferieudi dabis , et excusationem : non poterisrevelli, crdus dans li's bras do fibilo magitnque et gemitu et strldorc , et m qua bis in- visior vol est , perstre|)entem , tcla manu (Unique qua- tieoleni ; neque enini illi, tegere se . cura est : torvnni, cnientainque, et cicatricosnni , et terliciibus suis livi- dam, iocessibus vesanis, iifriisam niulta caligine, in- cursitintem, tastanteai, fugantemqne; et omnium odio laboranleni , sui maiime : si aliter nocere non possit , terras, maria, cœlum rucre cupientem, infcstani puri- ter, invisamque. Vel, ti videtur, sit qualis apud valcs Dostroi est , Sanguinrum quatiem deilrâ Bellona flagellu(n, Aut tciuâ ^audeus vadit Discordia pallj ,- anl si qna raagisdira faciès ei(»gitari diri affectus potesl. XXXVI. Quibusdara , ut ait Seitius, iratis profuit as- |)exisse spéculum ; perturbavit illos tanta mulatio mi : vclut in rem praisenteni adducii non agooverunt se , el quanluiuin ex vera deformilate imago illa spécule re- [lercussa leddcbat? aninius si ostcndi , et si in ulla maté- riel perlucere possct , intucntes nos confunderet , atcr raaculosusqoe.sestuans, et distortus.et tumidus. Nunc qnoque fanta dcfomiilas ejus est pcr ossa carncsque , ol tôt impedimenta, emueiilis : quid si nudus osKïndeia- tur? Il S|)erulo eqiiidiMn nemincm dcterritum ab ira cre- dis. » Quid vrgol Qui ad spéculum vcncrat, ut se mu- tarel, jam muiaverat. livitis quidcm nulla est foniiosior effigies, quam atroi et hocriila, quaUsqui; essc,etiam vidcri volunt. Magis illud videiiduni est, quammullis ira perse nocucrit. Alii niniio feivorc rui>rrc venas , et san- guinem supra Tires el:itus clauior ef.'essit, et luniinum sutriidit acieiii in oculiis vchcnirnlius hunior cgestus , et in morlws ocgri rccidcre; nulla cclerinr ad insaniam via est. Mulli itaquc contiiiuareruiit ira; furorc»n ; nec quam expulerant menlem , unquam rcccpcrunt. Ajacem in mortcm cgit funir , infurorcm ira. Morlciuliberis.cges- talem silii , ruinam domui imprecantur, el ira.sci se ne- gant, non minus quam insanire, fiiriosi. Ainicissimis hosles , vitandiquc caiissiniis : leguui , nisi (|ua nocent , iinmcmores, ad niinima mobiles; non sormoiie, non of- ficio, adilu facile.*. Omnia pcr viin geruni , gladiis et pugnarc paraît, et incumbere. Maximimi cnini maluui illos ccpil, et omnia exsupcrans vilia. Alia paulatim in- Irant : repenliua el univcrsa vis hujus csl ; omucs deni- que alios affeclus sibi subjicil : auiorem ardenlissimum yincit. Transfoderunt ilaque amala coipora, et in eoiiim qiios occiderant, jac(i«re roiiiplo\il>u:. A\ariliam rta- 38 SÉIS'EQCE. leurs \ictiincs. L'avarice, ce mal invétéré, ce mal si reljcllo , la colère en vient à bout; elle rcntruîne a dissiper ses richesses, a livrer aux llaniraes sa demeure et tous ses trésors entassés. lili(|uoi ! l'amlà'ieuxn'a-t-il pas rejeté les insignes qu'il estimait si haut, et répudié les honneurs (|u'on lui venait offrir? Il n'est point de passion sur qui la colère ne règne en souveraine. LIVRE TROISIEME. i. Maintenant , Novatus , ce que tu désires sur- tout nous allons essayer de lo faire, c'esl-'a-dire, d'evtirper du cœur la colère ; au moinsde la domp- ter, et d'en réprimer les transports. Quelquefois il faut l'attaquer en face cl a découvert, quand la fai- blesse du mal lepermet; d'autres fois, pardes voies détournées, quand son ardeur trop vive s'exaspère et s'accroît devant tout obstacle. 11 importe de sa- voir si elle a de i;randes forces, et si elles sor.t dans leur plcniludi', s'il faut sévir et la faire reculer, ou céder au premier déchaînement de la tempcie, qui emporterait la digue avec elle. 11 faut prendre conseil du tempérament de chacun. Quelques-uns se laissent vaincre par la prière , d'autres répon- dent "a la soumission par l'insulte et la violence; d'autres s'apaisent devant la terreur : aux uns le reproche, aux autres un aveu, "a ceux-ci la honte suffit pour les arrêter, "a ceux-là le temps; remède bien lent pour un mal si actif, et auquel il ne faut se résigner qu'en dernier lieu. Car les autres affections admettent le délai , et leur trai- tement peut se différer; cellff<;i, violente, impé- tueuse et s'excitant elle-même , ne grandit pas in- sensiblement; elle naît avec toute sa force. Elle n'emploie pas comme les autres vices, la séduc- tion; elle entraîne, elle chasse devant elle l'homm» hors de lui , et passionné pour le mal alors même qu'il en souffre. Sti fureur ne tombe pas seulement sur ce qu'elle poursuit, mais sur tout ce qu'elleren- contreen passant. Les autres vices poussent l'âme, la colère la précipite. Bien que les autres ne puis- sent résister à leurs passions, du moins les passion» elles-mêmes peuvent s'arrêter : elle, .semblable aux foudres , aux tempêtes, et aux autres fléaux qu'on ne peut retenir, parce qu'ils s'avancent ea tombant, ajoute incessamment à ses forces. Les autres vices altèrent la raison; elle, la santé : les autres ont une pente facile et nous déguisent leurs progrès; la colère est le précipice de l'âme. Rien ne nous persécute comme cette passion, qui s'é- tourdit dans l'entraînement de ses forces, arro- gante après le succès, folle après les mécomptes : un échec même ne la décourage pas ; si la fortuncr lui dérobe son adversaire, elle tourne contre elle- même sa dent furieuse. Que fait au reste l'impor- tance de son origine; née de rien, elle se déploie dans un vaste essor. 11. Elle n'épargue aucun âge : elle n'excepte aucun homme. Il est des peuples qui, en vertu de leur pauvreté, ne connaissent pas le luxe ; il en est qui, grâce a leur vie errante et active échap- pent 'a l'oisivité ; ceux qui ont des mœurs cham- pêtres,.une vie simple, ignorent le bornage des champs , la fraude et tous les maux qu'enfante la rlssimum malum, minimamque fleiibilc ira calcavit; adacla opes suas spargcrc, et doiiiui, rebusiiue in uauni collalis injici're ipneni. Quid? uou ainliitiosus iriagiio aasiimata piojecitiir'^ignia, lidiiorcinque dilatuni repulit? nullus affcclus est , in quem uou ira doniiuetur LIBER TERTIUS. I. Quod maxime desiderasii, Novate, nunc facere Icntaliiiims, iram cscidere uimis, aut ccrle rcfraenare, et impelus ejiis inhibere. Id aliquando palaui aperteque facieudum est, ubi minor vis mali patilur : aliquando es occulto, ubi nimiuni ardet, omuiquc impedimento exasperatur et crescil. l\eftTt , quanlas vires, quamque intégras hal)eat; ulrumue verberanda et agenda relro sit, an cedere ei debeanius, dum teuipeslas prima desœvit, ne rcraedi;i ipsa scciira ferai. Consiliuni pro nioribus cu- jusque capieuiium erit. Quosdam enirii preccs vlncunt : qHid;;m iusullaiit, ins ant(|ue sul)missis. Quosdam ter- rcndopiacabimus : alios objurgalio, alios con'essio, alios pudorcfleptodcjecit, alios raora, lenluui pra;cipitis mali remcdium, ad quod novissime descendendum esl. Cetrii euim affeclus dilalioncm rccipiunt , et curari lardius possunt : liujus incitata, et se ipsam rapiens violenlia , non paulatim procedit, sed dum Ineipit, tota est. Nec alioruni more vitiorura sollicitât animos, sed abducit, et impotentes sui cupidosque vel communis mali eiagitat > nec in ea lantum , in qus destinavit, sed in occurrenlia obilei furit. Cetera vitia impellunt animos ; ira pra;dpi- tal. Ceteris etiamsi resislere contra affectus suos non li- cet, at certe affectibus ipsis licet stare ; liaec non secus quam fulmina proceUaeque, et si qua alla irrevo abilia sunt.quia non eunt, sed cadunt, vim sium magis ac magis tendit. Alia vilia a ratione , baec a sanitate descis- cit; alia accessus lenes babeat , et incrementa fallentia; in iram dejectus animorum esl. Piulla itaqne res urgel magis altonita , et in vires suas prona , et, sive succes- sit, superba, sive frustralur, insana ; ne repuisa quidem in tadium acia, ubi adversarium fortuna $ubduiii,jn se ipsam morsus suos vertit ; nec refert, quantum sit ei quo surrexit; ex levissimis enim in maxima evadit. II. tSullam transit ietatem : nullum bomiuum genus eicipit. Qusdam génies beneflcio egestatis non noTcre lusuriam; quxdam, qnia eiercitae el vagae sunt , cîfu geie pigritiam; quibus incallus mos, agrestls vila est , circumscriptio ignota est, et fraus, et quodcDoqae iu DE LA COLEKE. y.} chicane. Mais il n'est pas de nation que ne (our- luente la colère , aussi puissante niiez le Grec que chez le Barbare, au?si funeste à ceu\ qui redou- tent la loi , qu'à ceux qui mesurent le droit sur la force. D'ailleurs, les autres passions s'attaquent aux individus : celle-ci est la seule qui parfois s'empare de toute une nation. Jamais un peuple entier ne brûla d'amour pour une femme. Jamais toute une ville ne mit son espérance dans l'argent et le gain ; l'ambilion domine dans des cœurs iso- lés ; l'orgueil n'est pas une maladie publique. Mais souvent la coUtc fait des levées en masse. Hommes, femmes, vieillards, enfants, chefs et peuple sont unanimes, et toute une multitude agitée par quel- ques paroles va plus loin que l'agitateur. On court incontinent au fer cl a la flamme, on déclare la guerre aux peuples voisins, on la fjit "a ses conci- toyens ; des maisons entières sont brûlées aviv; toute une famille ; et l'orateur chéri, comblé na- gui-re d'honneurs, tombe sous la colère de l'é- meute qu'il a faite : des Ic^iims tournent leurs javelots contre leur général : le peuple entier se sépare du sénat ; le sénat , cet oracle des nations, sans attendre les éle<-tions, sans nommer un gé- néral, improvise les ministres de sa colère, et, poursuivant dans les maisons de nobles citoyens , se fait lui-même exécuteur des supplices. On ou- trage des ambassadeurs, au mépris du droit des gens, et une rage criminelle transporte la cité; on ne donne pas le temps au res-cntiment public de s'apaiser ; mais sur-le-er- bii conciata, ipsuni concitaloreni anlrcesit. Ad arma prolinos igneiqae discursum est , el indicta finiliniis bttta, aut gesta cum civibus. Tolae eum stirpe omni cremata- ddmus; et modo rloqnio favorabitis , babitus in nitiito honore, irain sus concionis eïcepit ; in iinperatoreni j «uum legiones |iila torsernnt. Disscdil plet)s tota cuni pa- lril)ns ; puliticam consilium , senatus , non ej.'peclatij I dilertibus, nec noininati imperatore, subitos ira» sua; i dnces tegit, ac per tecta urtiis nol>iles consecla:us viros I snpptiduni manu sumsit. Violavit tegaliones rupto jure genliuni , rabiesque infanda civilalem tulit; nec daUim lempus, (luo residcrel hitror pobtictis, sed dedui-ta? pro- Bnas cla-scs. ri on>'ral;i' tuninttuario mitite. Sine more, ' sine auspiciis, populus ductu irx sux egressus , fortuili raptaquc pro arniis gessit : dcindc magna clade fenieri- tateni audaris ira> Inil. t[|. Hic Rarl)aris Torle nientihus in bella eiitus C5t. Quum mot)iles sninios species injuria- perculit , aguntur stnlini ; el qua dolor tr.uil, ruina- modo regionibus iu- ctduut inc>iMi|H>siti , iuterrili , incauti , pericuta appetentes suii ; gaudent fcriri, et inslare ferro , et tcla corpore ur- gere, el per suimi ^ ulnus e\ire. t îMon est, inquis, du- bium , quin migna isia et peslirera sit vis ; idco qucni- adniodiioi saiiari del)c:il , inonslra. > Alqui , ut io priorilius libris dixi, slal Arisloteles dcfinsor ir.e, et velat illiim nobis exserari. f'.alcar, ail, esse virlulis; bac erepta , inernieni aiiimuni cl ad conntus magnos pi- grum, inertemque lieri. Neccssarinni est ilaquc firdita- lem ejus ac feriialeni coarguere, et ante nculos ponere , quantum monslri sit houio in lioniinem furcns, quanto- que ini|>etu ruai , non sine pcrnirie sua pcrniciosus , el ea deprimens , ([ua! mergi nisi cum iiiergenle Ufin pns- siml. Quid erpo? sanum hune aliquis voi al , qui velut lenipcstale cnrrep^us . non it, sedagiliir, et furenti malo servit? nec mandat nltinnem suani , sed ipscejus eiactor. animo simul se mami sa-vil , carissiiiioruni , eorurnqu» qua- mov amissa tlilurus est. c.trnifi'^!' Ilmic aiiquis ni- 40 geance, la salisfak lui-mOme main et du cœur, bourreau de ce qu'il a de plus cher, de ceux dont il doit bientôt pleurer la perte? Quelqu'un voudrait-il donner pour aide et pour compagne à la vertu cette passion qui obscurcit toute réflexion, sans laquelle la vertu ne fait rien. Les forces que l'ardeur de la lièvre relève chez le malade, sont trompeuses et passagères, et n'ont de puissance que pour accroître le mal. Il ne faut donc pas croire que je perde mon temps en dis- cussions stériles, quand je flétris la colère comme si les opinions étaient partagées sur elle; puisqu'il se trouve un philosophe, et même des pi us illustres, qui lui assigne ses fonctions et l'appelle conime.un utile auxiliaire du courage dans les combats, de l'aclivilé dans les affaires, et de tout ce qui de- mande quelque chaleur d'exécution. AOn que per- sonne ne s'y trompe, en s'imaginant qu'elle puisse servir en aucun temps, en aucun lieu , il faut dé- masquer sa rage folle et sans frein; il faut lui rendre tout son appareil, ses chevalets, ses cordes, ses cachols , ses croix , les feux qu'elle allume autour des corps enterrés vivants , les crocs à traîner les cadavres, les chaînes de toute forme, les supplices de toute espèce, fouets déchirants, brûlants styg- mates, cages de bêtes féroces. Au milieu de ce ta- bleau place la colère poussant de rauques et sinis- tres clameurs , et plus épouvantable encore que tous let. instruments de ses torlnrcs. IV. Quand même on contesterait ses autres ca- ractères , il est certain que nulle passion n'a un aspect plus horrible. Nous avons, dans le premier r.vre, dépeint ce visage menaçant et farouche, SÉNÈQUE. sévit à la fois de la j tanlôt pâle par le refoulement subit du sang^ tantôt rouge et comme ensanglanté, toute chaleur et toute vie se portant à la surface, ces veines gon- flées , ces yeux tantôt égarés et convulsifs, tantét fixes et concentrés dans un seul regard. Les dents s'entrechoquent et cherchent une proie ; leur grin- cement ressemble à celui du sanglier quand il aiguise ses défenses. Ajoute-s-y les craquements des articulations , lorsque les mains se tordent , les battements redoublés du cœur, la respiration pressée , les soupirs arrachés du fond de la poi- trine , l'agitation déréglée du corps; des paroles sans suite, des exclamations brusques; les lèvres tremblantes et par instant comprimées, et d'où sort je ne sais quel sifflement sinistre. Certes, la I)cte fauve qu'irrite la faim, ou le dard reste dans ses flancs , a la face moins hideuse , même quand, à son agonie, elle atteint le chasseur d'une dernière morsure , que l'homme enflammé par la colère. Et maintenant te plail-il d'écouter ses vo- ciférations, ses menaces, quels sont les accents de l'àme qu'elle torture? Chacun ne voudra-l-il pas fuir cette passion, lorsqu'il comprendra qu'elle commence par son propre supplice. Ces hommes qui font pratique de colère au sommet de la puis- sance, qui voientenelle une preuve de force, qui comptent parmi les plus grands avantages d'une grande fortune d'avoir la vengeance à leurs or- dres, ne veux-tu pas que je les avertisse de ne pas appeler puissant ni même libre l'homme pos- sédé par sa colère. Ne veux-tu pas que je le» avertisse, afin que chacun soit plus vigilant et s'observe soi-même? Que si d'autres maux sont le fectum virtuti adjutorcm comiteinque dai, concilia, sina quibus virtiis périt iiihil , obturbantem ? Coducœ sinis- trœqiie sunt Tiirs, et in malum siium \alifiaî, in quiis iEgrum morbu^ et acccssio erexil. Noncstergo, quod me putes tcmpiis in supervaeuis consumere, quod irani, quasi dubix apiidhoniinosnpinionissit , infamcm : quuin aliquis sit , et quideni de illuslribus philosophis, qui illi indicat opéras, et lanquam uiilem ac spirilus subminis- Irantem in pra'lia , in actus reruni , ad omne quodcunque calore aliquo perendum est, vocet. Ne quem fallat, tanquam aliquo Icnipore, aliqno loco profutiira , oslca- demlii est rabies ejus cffrenata et attonila : apparatusque illi reddcndus est suus , equul"!, et Edicula», et crgas- {liia , et cruccs , et circiiindati dcfos-,is corporibus ignés, et cadavera (inocjue traliens uncus , varia vinculorum gê- nera, varia pa'naruni, laceraliones menibrorum, in- (icriptiones fr()nlis,et bcstiarum ininianiura cavea'. Inter tieec inslrumenta coUocelur ira , dirum quiddam atque liorriduin stiidens , omnibus per qux fiirit teirior. IV. lit de ceteris dubiuui sit , niilli cerle affeclui pejor est vultus.quem in prioribus libris descripsinius aspe- luin et acrem , et, nunc subito relrorsum sanguine fu- Baio , pallentem , nunc in os oinni c:ilore ac spiritu verso. sul)rul>icundum, et simiîera cruenfo, venis lumentibiu, orulis nunc trepidis el exsiiieatibus, nunc in uno obtutn delixis et ha"ren!ibus. A(!jicc denliuni inlcr se arielalo- rum , et aliqucm esse cupientium , non alium conum , quam est apris, lela sua atlrilu acucntibus. Adjice arti- cuioriuK crepitum, qiinm se ipsx manns frangnnt,et pnlsatuin saspius pecius, anlielitus crebros , Iractosque altius gemilus , instabile corpus, incerta verba subitic cxclamalionibus, Iremenlia labra , intcrdumque com- pressa, et dirum quidJam exsibilanlia. Fcranim,me hercules, sive illas famés eiagitat, sive infiium visceri- bus ferrum, minus teira faciès est, etiaoi quum tcdï- torem suuui seniianimes morsu uliimo petunt , qnam ho- niinis ira flagrantis. Age . si exaudire voces ac minai vacet, qualia excarnificati animi Terba .sunt? nonne re- vocare se quisqueab ira volet, quum inlellcxerit illam a suo primum inalo incipere ? INon vis ergo admoneam cos , qui iram in summa polentia exercent , et argunien- tum virium existimant , et in magnis magnae fortunas bonis ponunt paratam ultionem , quam non sit potens , ininio nec liber quidem dici possit , irse sua; captus ? Non vis admoneam, quo diligentior quisque sit et ipsc . DE LA COLÈRE. 41 partage des âmes perverses , la colère se glisse même dans le cœur des hommes éclairés et purs d'ailleurs; au point que certains philosophes pré- tendeut que la colère est uu signe de franchise , et que , dans le vulgaire , on regarde comme les meilleures gens ceux qui y sont sujets. V. « Mais où , dis-tu , tout cela nous mcne- t-il ? i A ce que personne ne se croie h l'abri de ce vice, qui appelle à la violence et à la cruauté même les natures calmes et apathiques. De même que la vigueur du corps et les précautions les plus suivies dans le régime ne préservent pas de la peste, qui attaque indistinctement les faibles et les forts ; de même la colère est également a craindre pour les esprits remuants, comme pour les es- prits froids et œmpussés, auxquels elle prépare d'autant plus de honte et de danger, qu'elle les modiQc davantage. Mais comme notre premier devoir est d'éviter la colère, le second de la ré- primer, le troisième de la guérir chez les autres, je dirai d'abord comment nous ferons pour ne pas y tomber ; ensuite comment nous nous en délivre- rons; enfln comment nous retiendrons, nous apai- serons l'homme en colère, comment nous le ra- mènerons au bon sens. Nous arriverons à ne plus nous emporter, si nous nous représentons plus d'une fois tous les vices de la colère ; si nous l'ap- précions a sa juste valeur. Il lui faut faire son procès et la condamner ; il faut interroger toutes ses hontes et les traîner au. grand jour. Pour qu'elle paraisse telle qu'elle est , il faut la com- parer avec les passions les plus mauvaises. L'ava- rice acquiert et entasse au profit d'un autre qui vaut mieux qu'elle : la colère ne faitque détruire ; il y a peu de geus à qui elle ne coûte quelque chose. Un maître violent force un esclave à la fuite , un autre à la mort : n'a-t-il pas perdu par la colère bien au-del'a de ce qui l'avait provo- quée ? La colère apporte le deuil aux pères, le di- vorce aux époux, la haine aux magistrats, aux candidats la disgrâce. Elle est pire que la luxHre; car celle-ci jouit de ses propres plaisirs, cellc-l'a des souffrances d'autrui. Elle surpasse l'envie et la méchanceté ; car celle-ci désire le mal , cclle-l'a le fait; les premières applaudissent aux malheurs fortuits ; la seconde n'attend pas les coups de la fortune ; elle ne se contente pas de voir souffrir celui qu'elle hait , elle veut le faire souffrir elle-même. Rien n'est plus triste que les inimitiés; c'est la colère qui les provoque. Rien n'est plus funeste que la guerre ; c'est la colère des grands qui la fait naître. Et ces colères indi- viduelles et de bas étage que sont-elles , que des guerres sans armes et sans soldats? Même en écar- tant les fléaux qui doivent la suivre, les embûches et les jierpétuellcs inquiétudes qu'enfantent des luttes mutuelles, la colère se punit elle-même ei. punissant ; elle abdique la nature humaine. Celle ci en effet nous convie à l'amour, celle-l'a à la haine ; l'une ordonne de faire le bien , l'autre de faire le mal. Ajoute (|ue la colère, quoique son dé- pit vienne d'une trop haute opinion d'elle-même, et qu'elle ait une apparence de noblesse, est ce- pendant basse et réirécie ; car il n'est personne qui ne se jlacc au-dessous de l' homme dont il se croit méprisé. Maisun grand cœur, qui sait s'apprécier, ne venge pas une injure, parccqu'il ne la sent pas. De même que les traits rebondissent sur un corps linere, iracnndiam ctiam rruditis hominil^us, et ia alla sanis, irrepere, adeo ut quidam simplicitatis indicium iraciiDdiam dicant , et vulgo credatur fucillimus quisquc buic ottDOiius ? V. • Quorsus , inquis , hoc pertinet ? • Ut ncmo se ju- dicet tutum ab illa , quum Irotos quoque natura et pla- cidoa in s^eviliam ac viulenliam evocel. Quemadinodum adversus peslilentiam uiliii prodest Itrmitas curporis, et dilijjcns Taletndinls ctira ; promiscue caim imbecilla robustaque iavadit : ita ab ira lam ioquietis inoribiis pe- riculuni est, quam composilii et remissis.qaibiis eo tur- pior ac pericutosior est, quo plus in illis mutât. Scd quum primum sit , non irasci ; secundum , delinere ; terlium , •lienae irae mederi : dicom primum , quemadmodum in irani non incidamus; deinde, quemadmodum nos ab flia liberemus; novissime, quemadmodum irascenlem retineamus placemusqur, et ad saoilatem reducamus. Ne iratcamur praeslabimus , si omnia vitia irx nobis sul>- Inde proposuerimns, et illam liene ;ubUMiis aninms, quielus sem- per, et in stalione tranquitta collocalus, iiilra se pre- mens, quil)us ira coniraliitur, niodestus et venerabitis est et disposiuis ; quorum nihil iuvenies in irato. Quis enim U-aditus dolori et funns non primani rejecil vere- cundiam? quis impetu turbidus et in aliquem ruens non quidquid in se verecundi habuit, abjecit? cui officiorum Dumerus aut ordo constitit incitato? quis tingua; tenipe- ravil? quis ullani parlem corporis lenuit? quis se regere potnit Immissum? Proderit nobis illud neniocriti salu lare prœceptum , quo nionstratur tranquillitaf , si n' que privatim , neque publiée ranlta, aut majora >iribus nos Iris egerimus. ISunquam tam féliciter in multa discur- renti negotia dies transit, ut non aut ei homine, aut ex re offensa nascatur, quae animum in iras paret. Quem- admodum per frequentia urbis loca properanti In nml- tos incursilandum est, et alicubi labi necesse est, ali- cubi retineri , alicubi respergi : ita in boc vilae actii dis- sipato et vago, multa impedimenta, multx querelx inci- dunt. Alius spem nostram fefellit , abus dislulit , atius intercepit : non ei desiinato proposita fluxeruot; nulli fortuaa tam dedita est, ut mutta tentunti ubit|ue respoo- deat; sequitur ergo , ut is, cui contra quam proposue- rat, aliqua cesserunt, impatiens honiinum rerunique sit; ex levissiiiiis causis irascalur nunc persona», nunc ne- gotio , nunc loco , nunc fortuua: , nunc sibi. Itaque ut quietus possit esse animus, non est jactandus , nec miil- tarum , ut dix! , rerum actu fatigandus , nec magoarum, supraque vires appetitarum. Facile est levia oplare cervicibus , et in banc aut in illam partem transfcrre sine lapsu : at qiix alieois in nos maoibus imposita xgr« suslincmus, vieil in proximos cffundirous, et dum sta- mus sub sarc'ita , im^ares oncri vacillamut. DE LA COLEllE. Y((. Sacbe qoe la même diose arrive dans les transactions civiles et domcsiiques. Les affaires simples et expcditives marchent d'elles-mêmes, les affaires graves et au-dessns de notre portée ne se laissent pas aisément atteindre ; et si on y arrive, elles surchargent et entraînent celui qui les manie, et qui, croyant déjà les saisir, tombe avec elles. C'est ainsi que , souvent, s'épuise inutilement le icle, quand, au lieu d'entreprendre des choses fa- ciles, on veut trouver facile ce qu'on a entrepris. Toutes les fois que tu tenteras quelque chose, interroge tes forces et la nature de ton projet, et la nature de tes mo%ens. Car le regret d'un essai infructueux te donnera du dépit. Il y a cette dif- férence entre un esprit ardent et un esprit froid et sans élévation, c'est qu'un échec éveille la co- lère chez l'homme lier, et la tristesse chez l'homme mou et sans énergie. Que nos actions ne soient donc ni mesquines, ni téméraires, ni coupables: que nos espérances ne s'étendent pas au-delà de noire portée : ne poursuivons rien que nous puis- sions, même après le succès, nous étonner d'avoir allcint. VIII. Mettons nos soins à ne pas nous exposer à une injure que nous ne pourrions supporter. En- lourons-nous de gens doux et complaisants , ei le moins possible d'hommes difGciles et moroses. On prend les mœurs de ceux que l'on fréquente : et comme certaines maladies du corps se Iransmc!- lent par le contact, ainsi l'âme communique ses affections de proche en proche. L'ivrogne entraîne ses familiers à aimer le vin ; la compagnie des li- nertins amollit l'homme fort, et, s'il est possible , le héros ; l'avarice infecte de son venin ceux qui l'approchent. Dans un sens contraire, l'action des vertus est la même ; elles adoucissent tout ce qui les touche; et un climat favorable, un airsalubre, n'ont jamais autant fait pour la santé, que le com- merce d'un monde meilleur, pour une âme chan- celante. Tu comprendras tout ce que peut cette inûuence , si tu observes que les bêles féroces elles- mêmes s'apprivoisent en vivant près de nous, et que le monstre le plus farouche ne conserve rien de son cruel instinct s'il a longtemps habité le toit de l'homme. Toute aspérité s'émousse et s'ef- face peu à peu au frottement des âmes tranquilles. D'ailleurs , non-seulement l'exemple rend meilleur celui qui vit parmi les hommes pacifiques, mais il no trouve aucune occasion décolère, et il n'exerce pas son penchant vicieux. Donc il lui faudra fuir tous ceux qu'il saitdevoirirriter son irascibilité. « Mais, dis-lu, quelles sont cesgens? » Ils sont partout, et, par des causes diverses, produisent le même effet. L'orgueilleux t'offensera par ses mépris, le riche par ses oîenses , l'impertinent par ses injures, l'envieux par sa malignité, le querelleur par ses c(mtradictions, le glorieux par ses mensonges et sa vanité. Tu ne pourras souîfrir qu'un soupçon- neux te craigne, qu'un entêté remporte sur toi , et qu'un fat le rebute. Choisis des gens simples, faciles, modérés, (jui n'éveillent pas ta colère, el la supportent. Il leur faut préférer encore ces na- turels Uexiblcs, humains et doux, qui, cependant, n'aillent |>as jusqu'à l'adulation : car la colère s'of- fense d'une flatterie sans mesure. Notre ami était, certes , un homme de bien , mais trop prompt b VII. Idem accidere in rebos civilibiu ac domesticis «ciaii. Negotia eipedila et liabilia sequunlur aclorem ; iogeulia , et supra menturam ageotis, nec daot se facite, et si cccupata sunt , prcinunt alque adducunt admiois- IraDtem, tenerique jam visa, cum ipso cadiint. Itaque fit, ut Fréquenter irrita qiie p.iraris , ipse mettre. Facict enim te asperum pn-oitenlia operis inlecti. Iloc ioterest, utrum quis fervidi sit ingeDii, an frigidi atque humilis : gene- ro.so repuisa iram eiprimet, languide inertique tristi- tiiim. Krgo actioues noslrx nec parvx siot, nec audaces, necimprobs; in vicinum tpes eieat, uihil conemur , (|uod moi, adepti quoque, successisse miremur. VIII. Denms operam , ne accipiamus injuriam, quam ferre nescimus. Cum placidissimo et faciltimo et minime olinixo morosoque vivcadum est. Sumuntar a conversan- libus mores ; et ut quapdam in contacte* corpoi is vitia transiliunt , ila animus mata sua proiimis tradit. Ebrio- »us convictores in aiuorem rini traiit ; impudicorum cœlus forlem quoque, et, si liceat, Tirumemolliit; ava- rirta in pioximos ïirus suum transtulit. Ëadem ci diver so ratio virtutum est, nt omne quod secum habent, mi- llgent : nec tam valetudiai profuit utilis regio et salu- brius cœlum , quam animis parum Drmis in turtu raeliore versari. Qus res quantum possit , iatelliges , si Tidcris feras quoque conTJcIu nostro mansuescere : uul- liqucetiamimmani bestiie vimsuampermanere.si bomi- nis contuberolum diu passa est. Rctunditur omnis aspe ■ rilas , paulatimque inter placida dcdiscitur. Accedit bue, quod non tanlum eiemplo melior lit, qui cum quietis bominibus litit , sed quod causas irascendi non invenit, nec viliLm suum eiercet. Fugere itaque del>ebit omnes, quos irritaluros iracundiam sciet. « Qui suDl,iaquis, isti? » Muiti, ei variis causis idem facturi. OITendet te superbus contemtu , dives contumelia , petulaa injuria» lividus matignitate , pugnai contentione , vcntosus et meodai vani.ale. Non feres a suspicioso timcri, a per- tinace vioci , adelicato fastidiri. Elige simpllces, faciles, moderatos , qui iram tuam nec evoceat, el ferant. Magis adhuc proderuDt submissi et bumani, et dulccs, non ta- raen usqiie in adulationem ; nam iracundos nimia assen- tatio olfendit. Erat cerle amicus nostcr vir bonus , sed irae paratioris , cui non magis erat tulum blandiri , quam malediccre. CflPiiura oratorem fuisse iracundissimumcoBr Ai SEJNÈQUE. la cDlnre, et reeevaul aussi mal la flatterie que l'injure. On sait que l'orateur Cœlius était très- irascible. Un jour , dit-on , il soupait avec un de ses clients, homme d'une patience rare. Mais il était difflcile a celui-ci, aventuré dans ce tôte-'a-tête, d'éviter une dispute avec celui qui était assis 'a ses côtés. 11 jugea donc que le mieux serait d'applaudir a tout ce qu'il dirait, et de jouer le rôle de complaisant. Ennuyé de ses ap- probations, Cœlius s'écria : « Contredis-moi donc , afin que nous soyons deux. » Mais cet homme, qui s'était mis en colère parce qu'un autre ne s'y met- tait pas, s'apaisa bien vite a défaut d'adversaire. Si donc nous avons conscience de notre irascibilité, choisissons de préférence des amis qui s'accom- modent à notre humeur et à nos discours ; il est vrai qu'ils iious rendront difficiles, qu'ils nous donneront la mauvaise habilude donc rien enten- dre (jui contrarie nos volontés; mais nous aurons du profit 'a donner a la passion du relâche et du repos. Une nature, même rebelle et indomptable, se laissera caresser, et rien n'est rude et intraita- ble pour une main légère. Toutes les fois qu'une discussion se prolonge et s'aigrit, il faut s'arrêter tout d'abord , avant qu'elle se fasse violente. La dispute s'alimente elle-même ; une fois lancée , elle nous pousse plus avant. Il est plus facile de s'abstenir du combat que de s'en dégager. IX. L'homme irascible doit s'abslonir aussi des études trop sérieuses, ou du momsnepass'y livrer jusqu'à la fatigue , ne point partage.' son esprit entre plusieurs choses ; mais le consacrer aux arts d'agrément. Qu'il se laisse séduire parla lecture des poètes, qu'il s'intéresse aux fabuleux récils de l'histoire , qu'il se traite avec douceur et ménage- ment. Pythagore apaisait , au son de la lyre, les troubles de son âme. Personne, au contraire, n'ignore que le clairon et la trompette sont des ex- citants, comme certains chants sont des calmants qui reposent l'esprit. La couleur verte convient aux yeux faibles , et il est des nuances qui repo- sent une vue fatiguée , tandis que d'autres l'éblouis- sent par leur éclat ; ainsi les études gaies charment un esprit malade. Fuyons le Forum, les procès, les tribunaux , tout ce qui peut ulcérer notre mal ; évitons éga- lement la fatigue du corps; car elle détruit tout ce qu'il y a en nous de calme et de traitable , et soulève les principes acres. Aussi, les gens qui se délient de leur estomac, avant d'aller traiter une affaire de quelqu'importance , tempèrent, par un peu de nourriture, leur bile, que fait fermenter surtout la lassitude, soit que la diète concentre la chaleur , gâte le sang et arrête son cours dans les veines affaiblies, soit que l'épuisement et la débi- lité du corps appesantissent l'âme. C'est sans doute par la même raison que les hommes exténués par l'âge et la maladie sont plus irascibles. Il faut aussi, d'après les mêmes principes, éviter la faim et la soif, qui aigrissent ou enflamment les esprils. X. C'est un vieil adage que « gens fatigués cherchent querelle ; » on peut le dire de tous ceux que tourmentent la faim , la soif ou toute autre souffrance. Car, ainsi que dans les ulcères, la douleur se réveille au loucher le plus faible , et même 'a l'idée seule da loucher; de même, un es- fitat; ciim nt certe cilra lassiludineni esercenda ; et aninuis non iiilcr plura versandus, sed artibus aniœnis Iradendus. l.eclio illum rarminum obleniat, et hisioria fabulis de- tiiieat : mollius delicatiusque tiaitetur. Pythagoras per- tnrbationes animi lyra componebat : qnis aulem Ignorât, lituos et tubas concilamonta esse; sirut quosdam caatos blaniiinienta , quibus mens resolvalur? Cnnfasis oculis prnsunt vircnlia ; et quibusdam coluribus iaOrma acies ac<]uiescit , quorumdam splendore préeslringitur : sic mentes aegras studia la;ta permulcent. Forum , ad?oca- liones, judicia, fugere debemus , et omnia quae ejulce- rant vilium, œquecavere lassitudineoi corporis : consu- mit enim , quidquid in nobis mite placidumque est , et acria coacitat. Ideo quibus stomachus suspectus est, pru- cessuri ad res agendas raajoris negotii , bilem cibo tem- pérant, quam maxime movet faligatio, sivc quia calo- rem inedia compellit , et uocet sanguini , cursumque ejus ' venis laborantibus , sistit ; sive quia corpus a tenualuiu et inlirmum incumbit animo; certc ob eamdem causam iracundiores sunt valetudine aut a'tate fessi. Famés quo- que et sitis , ex eisdem caus s, vitanda est : exaspérât et incendit auimos. X. Velus dictum est : « a lasso rixam quafri ; • a;qu6 autcm et ab esurieute, et a silicnte, et aboinnt boaime quem aliqua res urit. Nam ut ulcéra ad lèvera tactnm , deinde cliam ad suspicionem lactus condolescunt; il» auimus affectus minimis offenditur , adeo ut quotdsA DK LA COLÈRE. të prit malade s'offoiis des moindres clioses : un sa- lut, une lettre, une question deviennent quel- quefois matière à chicane. On ne touche pas une plaie sans provoquer des plaintes. Le mieux donc est de se traiter des le premier sentiment du mal : alors il faut laisser à notre langue le moins de liberté possible, et en modérer l'intempérance. Or, il est facile de surprendre la passion à l'in- stant de sa naissance . la maladie a des signes précurseurs. Comme il y a des présages qui an- noncent d'avame la tempête et la pluie, il y a de même certains symptômes pour la colère, l'amour et tous ces orages qui bouleversent i'àme. Les per- sonnes sujettes aux attaques d'épilcpsie pressen- tent l'approche du mal , quand la chaleur aban- donne les extrémités, quand la vue s'égare, quand les nerfs se contractent, quand la mémoire se trouble, quand la lêle tourne, .\ussi attaquenl- eiles le mal a son origine, par les préservatifs ordinaires; elles opposent dos parfums et des po- tions 'a la cause mystérieuse qui les pousse au ver- tige; elles combattent avec des fomentations le froid et la raideur : ou bien, si la médecine est im- puissante, elles évitent la foule et tombent sans témoin. Il est bon de connaitie son mal , et de l'étouffer avant que sa force ne se développe : cher- chons (|tielles sont les choses qui nous irritent le plus. Tel s'émeut d'une parole outrageante , tel «l'une action : l'un veut qu'on respecte sa noblesse, et l'autre sa beauté : celui-ci veut passer pour un homme élégant , cciui-la pour un savant : l'un se révolte contre l'orgueil, l'autre contre la rési- stance : celui-ci ne croit pas un esclave digne de sa colère , celui-là, cruel chez lui, est au dehors plein de douceur : sollicitez, l'un y voit de l'envie; ne sollicitez pas, l'autre y voit du mépris. Tous ne sont pas vulnérables du même coté. XI. Il faut donc connaître ton endroit faible, pour le mettre "a couvert de préférence. Il n'est pas bon de tout voir, de tout entendre ; ([ue beau- coup d'injures passent inaperçues; les ignorer, c'est ne pas les recevoir. Tu ne veux pas être co- lère? ne sois pas curieux. Celui qui est a l'affût de tout ce qui se dit sur lui, qui s'en va déterrer les propos méchanis même les plus secrets, se persécute lui-même. Souvent l'interprétation con- duit b voir des injures imaginaires. Il y a certaines choses qu'il faut remettre, d'autres qu'il faut mé- priser, d'autres qu'il faut pardonner. On doit, par tous les moyens, restreindre la colère . le plus souvent on peut tourner la chose en raillerie et en badinage. On rapporte de Socrate, qu'ayant reçu un soufflet, il se contenta de dire : « Qu'il était fâcheux d'ignorer quand il fallait sortir avec un casque. » L'important n'est pas dans la ma- nière dont l'injure est faite, mais dans la manière dont elle est reçue. Or, je ne sais pourquoi la modération serait difficile, quand je vois des ty- rans, enflés de leur fortune et de leur puissance, réprimer leur violence habituelle. Voici du moins ce qu'on raconte de Pisistrate, tyran des Athé- niens : un de ses convives, dans l'ivresse, se ré- pandit en reproches sur sa cruauté; il ne man- quait pas de complaisants disposés à lui prêter main-forte; et, qui d'un côté, qui de l'autre, lui soufflaient la vengeance. Mais lui, supportant l'ou- salulatio, epistola , oraliu , et ioterrogatio iu litem evo- cent. >unquain siue qiicrela xgra taaguntur. Optimum est ilaque, ad primum mali seusum mederi silti ; tum verbùquoque suis iiiiuimum libertatis dare, et inliitiere impctuni. Facile est autem , affcctus suus , quuni pri- mum uriuotur, deprebcndere : niorbuiu signa prxcur- ruDt. Quemadiiiodum tempestalis ac pluvia; aute ipsas DOIS veuiuDt; ita iriE, aiiioris, omuiumquc islarum procellaram aoimos veiaolium tuiit quxdaiii prii'Duulia. Quicomitiali vitio soient corripi, jani adveulare valetu- diaeni intelligunt, si calor summa deseruit, et iacertum hiincn, nervorumque trepidalio est, si memoria subla- bilur, c^putque versatur. Solitis itaque reniediis inci- pieatem causam occupant, et odore gustuque, quidquid e«t quod alieuat animes , repellitur ; aut forncutis contra frigus rigoremque pugnatur ; aut ti parum mediciua profecit, Titaverunt turbam, et sine teste ceciderunt. Prodest morbum suum nosse , et vires ejus antequam spatientur, oppriniere. Videamus quid sit, quod nos maiime concilet. Allum lertwrum , alium rerum con- lumelia^ moyent; hic vult nobilitati su», hic formx suœ pcrei; illeelegantissimus haberi cupit , ille doctissimus; hicsaperhi9< Impatiens est, hic contumacia; ; ille sertos non pulal dignos quibus irascatur; hic intra domum saevus est, foris mitis; illerogari, invidiam judicat; hic , non roKari, contumeUaio. Non omnes ab eadem p.irle ferinnlur. XI. Scire itque oportet , quid in te imbecillum sit, ut id maxime proiegas. Non eipedit omnia yidere, omn a audire : niiiltx nos injurix transeant, ex quibus plcras- quenon accipit, qui ncscit. Non vis esse iracundus? no si» curiosus. Qui inquirit, (|uid in se diclum sit, qui malignis scrniiincs , eiiamsi secrcto habili sint,eruit, se ipse inquiétât. Qua'dani interprclatio eo perducit, ut videanlur injuria?. Itaque alla differenda sunt , alia de- ridenda , alia douinda. Circumscribeuda multis modis ira est : pleraque in lusum jocumque vertantur. Socra- tem, aiunt, colupho percussum nihil aniplius dixissc , quam : « Molcslumesse, quodnescirenthomines, quando cum galea prodire deberent. • Non quomndniodum facla .sitjnjuria refert, sed quemadmodum lala. Nec vi- deo quarc difrtcilis sit mnderalio , quum sciani tyninno- rum qumjue lumida et fortuna et licentia ingénia , fami- liarem sibi sa;vitiam reprrssisse. Pisisbalum certc , Atheniensium lyrannum , memoria» proditur , qiium nmlta in crudelilatem ejus ebrius conviTa dixisset, nec deessent qui vellent manus ei commodare, et alius hinc, alius illinc faces subderent , placido animo tuliisc , et 46 trage de sang-froid , répondit ii ces provocateurs : « Qu'il n'était pas plus ému que si quelqu'un se fût jeté sur lui les yeux bandés. » Que d'hommes se font eux-mêmes des querelles, ou sur de faux soupçons, ou sur des torts légers qu'ils s'exagèrent. Xll. Souvent la colère vient a nous, plus sou- vent nous allons a elle. Et cependant, loin de l'at- tirer jamais, il faut, quand elle survient , la re- pousser. Personne ne se dit : la chose pour la- quelle je m'irrite, ou je l'ai faite, ou j'ai pu la faire! Personne ne juge l'intention , mais l'acte seul; ce- pendant il faut en tenircompte : y a-t-il eu volonté ou hasard, contrainte ou erreur, haine ou intérêt? a-t-on suivi sa projwe impulsion , ou bien a-t-on prêté la main a la passion d'un autre? 11 faut avoir quelqu'égard 'a l'âge et a la fortune du dé- linquant , afin d'apprendre a tolérer par huma- nité, ou 'a souffrir par humilité. Mettons-nous à la place de celui contre qui nous nous fâchons : parfois notre emportement vient d'une fausse ap- préciation de nous-mêmes ; et nous ne pouvons supporter ce que nous voudrions faire. Personne ne veut s'imposer un délai ; et cepen- dant le plus grand remède de la colère, c'est le temps ; il refroidit la première ardeur, et dissipe ou du moins éclaircit le nuage qui obscurcit l'âme. Il sufûl, je ne dis pas d'un jour, mais d'une heure, pour adoucir ces transports qui entraînent, ou pour les maîtriser entièrement. Si on n'obtient rien par le délai, on paraîtra cependant céder "a la réQexion, non à la colère. Tout ce que tu veux bien apprécier, abandonne-le au temps; rien ne se voit nettement dans la première agitation. Platon, SÉINEQUK. irrité contre son esclave, ne put prendre sur lui de différer ; lui ordonnant doter sur-le-champ sa tunique , et de tendre le dos aux verges , il al- lait le battre de sa propre main. Cependant, s'a- percevant qu'il était en colère, il tenait son bras suspendu , et restait dans la position d'un homme qui va frapper. Un ami, qui survint par hasard, lui ayant demandé ce qu'il faisait. Je punis, dit-il, un homme en colère. 11 demeurait comme stupé- fait dans celte attitude d'un homme qui frappe, si déplacée pour un sage ; déjà il avait oublié l'esclave , parce qu'il en avait trouvé un autre 'a punir de préférence. II abdiqua donc ses droits de maître, et, se sentant trop ému pour une fauie légère : a Je te prie, dit-il , Speusippe, de corri- ger ce misérable , car pour moi je suis en colère. > Il s'asbtint de frapper, par la raison même pour laquelle un autre eût frappé, t Je suis en colère, dit-il , je ferais plus qu'il ne faudrait, je le ferai* avec passion : que cet esclave ae soit pas aux mains d'un maître qui n'est pas maître de lui- même. » Qui voudrait conlier sa vengeance à la colère, lorsque Platon lui-même s'en interdit le droit? Ne te permets rien, tant que tu seras ir- rité : pourquoi? Parce que tu voudrais tout te permettre. Combats-loi, toi-même. Si lu ne peux vaincre la colère, elle commence à te vaincre. Si elle est encore renfermée , si on ne lui donne pas issue, on doit en voiler toutes les apparences , et la tenir, autant qu'il se peut, secrète et cachée. MU. Il en coûtera de grands efforts. Car la colère cherche a se faire jour, à enflammer les yeux , a bouleverser la face : or, dès qu'il lui est tioc irrilantibus respondisse : • Non magis illi se succea- sere , quam si quis obligatis oculis in se incurrisset. • Magna pars querelas mann fecit, aut falsa suspicando, iiut levi^i aggravando. XII. Saepe ad nos ira venit, saepius dos ad illam , qn» cunquara aicessenda est : etiam quum incidit , rejicia- tur. Nemo dicit silii : Hoc, propter quod irascor, aut feci, aut fecisse potui ! Nemo animum facientis, sed ip- sum a;stin\at factuni^ atqui ille intuendus est; voluerit, an incident; coaclus sit.an deceptus; odium seculus sit, ânpraemiuQi; sibi morem gesserit^ an nianum alteri commodaTerit. Aliquid peccantis œtas facit, aliquid for- tuna; ut ferre ac pati, aut bumanuni, aut humile sit. Eo loco nos conslituamus , quo ille est, cui irascimur : nunc facit iracundos iniqua nostri aestimatlo, et quae fa- cere vellemus, pati nolumus. Nenjo se differt : atqai maximum remedium irx dilatio est , ut primus ejus fer- vor relanguescat , et caligo quœ premit raentem , aut résidât , aut minus densa sit. Qaxdam ex bis qus te prsecipitem ferebaut, hora, non tantum dies, molliet; ^uœdam ex toto evanescent. Si nitril erit petita advoca- tio, apparebit tamen judicium esse , non iram. Quidquid voles quale sitscire, tenipori trade; nihil diligenter in lluctu ccrnitur. Non potuit Inipefrare Plato a se tempus , quuni servo suo irasceretur , sed ponere itium statim tu- nicam, et prxbcre scapulas verberibus jussit , sua manu ipse cxsurus. Po&tquam intelleiit irasci se , sicut sustu- lerat, mauum suspensam detinebat, et stabnt percussuro similis. Interrogatus deinde ab auiico, qui forte inter- venerat, quid ageret? « Exige, inquit, poenas ab bomine iracundo. ■ Velut stupens, gestum illum sasïiluri defor- mem sapienli viro servalut, oblitus jam servi , quia alium quem potius castigaret, invenerat. Itaque abs- lulit sibi in suos pote^tatem , et ob peccatum quoddam commotior, • Tu, inquit, Speusippe, servalum istum verberibus objurga: nam ego irascor.» Ob boc noo cecidit , propter quod alius cecidisset. « Irascor , inquit ; plus faciani quam oportet : libentius faciam : non sit iste servus in ejns potestate, qui in sua non est. » Ali- quis vult irato comniitti ultionem, quum Plato sibi ipse iinperlum abrogaTerlt?Nibii tibi liceat, dum irasceris; quare ? quia vis omnia licere. Pugoa tecum ipse ! si iram vincere non potes , illa te incipit vincere. Si abscondi- tur, si illi eiitus non datur, signa ejus obruamus, et illam , quantum tîeri potest , occultam secretamqne te- neamus. XIII. Cum magna id nostra molestia Bet. Cnpit eniia eisilire, et icce nder» oculos , et mutare façiero : sed ii DU LA COI.EIUÎ. 47 permis de s'élaucer liors de nous , elle est au- dessus de nous. Qu'elle soit ensevelie dans les pro- fondeurs de notre âme : qu'elle soit maîtrisée, et non maîtresse : ou plutôt faisons plier en sens contraire tous les signes extérieurs. Que notre visage soit moins sévère, notre voix plus douce, notre démarche plus calme ; peu à peu le dedans se formera sur le dehors. Chez Socrale , c'était un symptôme de colère , de baisser la voix , d'être sobre de paroles : on voyait alors qu'il se faisait violence 'a lui-même. Aussi ses amis le devinaient et le reprenaient; et ces reproches, pour une co- lère même cachée, ne le blessaient pas. Ne devait- il pas s'applaudir de ce que tous s'apcréevaient de sa colère , sans que personne la ressentit? Or, on ïeùl ressentie , s'il n'eût donné 'a ses amis le droit de blâme qu'il prenait sur eux. Ne devons-nous pas 'a plus forte raison en faire autant? Prions nos meilleurs amis d'user de loule liberté envers nous alors surtout que nous sommes le moins disposés 'a la souffrir; qu'ils n'aient pas de complaisance pour notre colère; et, contre un mal puissant, qui a toujours des charmes pour nous , invoquons leur patronage, tandis que nous y voyons encore, et que nous sommes a nous. XIV. Ceux qui supportent mal le vin , et crai- gnent les imprudences et les emportements de leur ivresse, recommandent à leurs gens de les enlever de la salle du festin ; ceux qui ont souf- fert de leur intempérance dans la maladie , dé- tendent qu'on leur obéisse , lorsque leur santé est affectée. Le mieux est de poser d'avance une bar- rière aux vices signalés , et, avant tout , de dispo- ser son âuie de manière a ce que, même u des ébranlements subits et violents, elle n'éprouve pas de colère; ou que, si elle est prise au dépourvu par une injure grave , elle refoule au plus profond d'elle-même la passion soulevée, et empêche son ressentiment de se révéler. Tu verras que cela se peut faire, si, parmi un grand nombre d'exemples, je t'en cite quelques-uns qui te serviront à appren- dre deux choses : d'abord , quels maux renferme la colère, lorsqu'elle a |)our instrument toute la puissance d'un pouvoir sans bornes; ensuite, com- bien elle peut se conmiander h elle-même, lors- qu'elle estconiprimée par une crainte plus grande. Le roi Carabyse était fort adonné au vin. Prexaspe, un de ses favori<, l'engageait à boire plus modérément, lui représentant que l'ivresse était honteuse chez un roi, qui attirait l'attention de tous les yeux, de toutes les oreilles. A quoi celui-ci ré|)Ondit : • Pour te convaincre qae je ne suis jamais hors de moi, etque, mêmeaprès le vin, mes yeux et mes mains remplissent bien leurs fonctions, je vais t'en donner la preuve. > il but ensuite plus largement et dans de plus grandes coupes qu'a l'ordinaire; puis, déjà gorgé de vin, et trébuchant, il ordonna au fils de son censeur de se placer 'a la porte de la salle , debout et la main gauche levée au-dessus de la tête. Alors il banda son arc, et traversa, comme il l'avait an- noncé d'avance , le co^nr du jeune homme ; puis , ouvrant la poitrine, il montra la Uèchc enfoncée dans le milieu du cœur; et, regardant le père : • Ai-je la main assez sûre,» demanda-t-il ? Celui-ci assura qu'Apollon n'eût pas visé plus juste. Que la malédiction des ;lieux soit sur cet homme, plus esclave encore de cœur que de condition ! Il loua eninere illi extra nm licoit, supra do> est. In imo pec- iorii secesku recondatur, feraturque , non ferai : imnio io cODlrariuin omoia ejus indicia flectanias. Vullus remitta- tiir, voi leoior lit, gradus lentior ; paulalini cum eile- rioribus ioteriora formentur. Io Socrate ire sIuduid erat, Tocem aubmitlere, loqui parcius ; appareliat Iudc illuin (Um obtlare. Depretiendebatur itaque a faraiiiarihiu , et eoarguel)atar ; Dec eral ilii eiprobratio latitaolis irae in- gra:a. Quid ni gauderet , quod iram «uam niulli iatrlli- gereut, oemo aealiret? semisset auteni , iiisi jus ainicis objurfiaodi se dediuet, sicutipcesibi ioaaiicus suiiuerat. Quiiiit niagis hoc aobis faciendum est? rogemus ami- dssiniuin queaique, ut tune iiiaiinie advenus ooslibertate ulalur, quum mioinie illam pati poterinius, oe.- assen- lialur irx oottrae : cuntra polens maluni , et apud aoi gratiosum , dum conspicinius , dum noslri tumus , ad- Tocemus. XIV. Qui Tinom maie feruot, et elirietatia suse teme- ritaleni ac pelulaDliani metuunt , mandant suis , ul e con- «i>ioauferaDtur:inlemperpotentum (Niteslale tola ulitur : quantum sibi impe- rare possit , ubi niclu majore compressa est. Cambyten regem nimis deditum vino Praeiaspes unus ex carissimis monebat , ut parcius biberet , turpem est^e direns ebrie- tatem in rege, qnemocnli omnium aurestgue scqiiorentur. Ad hoc ille , • ut scias, inquit, qucmadmoduui iiun({uam eicidam mihi, approbabo j.im, et i>cuK)s post vinum iii ofDcio esse, et nianus. • Ribit deinde liberalius quam alias capacioribus scyphis, et jam gravis, et leinulenlus, objurgatoris sui fliium procedere ultra limen jubet, allc- vataque luper caput sinistra manu slare. Tune intondit arcuni, et ipsum cnr adolescentis (id enim se petcre diïcrat) (Igil, recisoque pcclorc bierens in ipso corde spiculnm ostendit ; ac respiciens palrem , satisn« certam bal>erct manuro? intcrroKavit. At ille negavit Apollioero poluissr certins dimitlere. Dii illum maie perdant, animo U^ 48 SENÈQUE. «ne chose que c'était trop d'avoir vue. Il trouva une occasion de flatterie, dans celte poitrine d'un fils ouverte en deux , dans ce cœur palpitant sous le fer. Il fallait lui contester sa gloire et recom- mencer l'épreuve, pour que le roi pût, sur le père , montrer une main encore plus assurée. 0 roi sanguinaire ! vraiment digne de voir les flèclies de tousses sujcisse tourner contre lui ! Cependant, tout en exécrant celui qui couronnait ses orgies parles supplices et le meurtre, avouons qu'il y eut plus de crime à louer ce trait qu'à le lancer. Nous ne chercherons pas quelle devait êlre la con- duite du père, en face du cadavre de^^son fils, en présence de ce meurtre dont il avait été le témoin et la cause : ce dont il s'agit maintenant est dé- montré, c'est que la colère peut êlre étouffée. Prexaspe ne proféra pas une injure contre le roi , pas une de ces paroles qu'arrache le malheur, lui qui se sentait le cœur percé du même coup que celui de son fils. On peut soutenir qu'il eut raison de dévorer ses paroles; car, s'il eût dit quelque chose, comme homme outragé, il n'eût- pu rien faire plus tard comme père. Il peut, je le répète, paraître, dans ce cas, avoir agi plus sagement que lorsqu'ildonnait desleçonscoutre les excès de l'ivresse; car il valait mieux laisser ce roi boire du vin que du sang ; tant que sa main tenait la coupe, c'était une Ircveau crime. Aussi, Prexaspe augmentera le nombre de ceux qui témoignent, par de terribles malheurs, combien un bon con- seil coule aux amis des rois. XV. Je ne doute pas que ce ne fût quelque con- seil semblable qui fut donné par Harpagus ii son maître, aussi roi de Perse. Celui-ci, offeusé, lui fit servir'a table la chair de ses enfants, etiuideraanda plus d'une fois, si l'assaisonnement lui en plai- sait. Puis, lorsqu'il le vit rassasié de ce mets de douleur, il fit apporter les têtes, et lui demanda s'il était content de son accueil. Le malheureux ne perdit pas la parole ; sa bouche ne resta pas close. « Chez un roi, dit-il, tout mets est agréable. « Que gagna-t-il à cette flatterie? de n'être pas in- vité à manger les restes. Je n'empêche pas un père de condamner l'action de son roi , je ne l'em- pêche pas de chercher la vengeance que mérite une si atroce monstruosité; mais, en attendant, j'en tire cette conséquence , qu'on peut dissimuler une colère qui naît de malheurs affreux , et la forcer a un langage contraire à sa nature. S'il est nécessaire de maîtriser son ressentiment, c'est surtout aux hommes qui suivent la vie des cours, et qui sont admis à la table des rois. C'est ainsi qu'on mange chez eux, c'est ainsi qu'on y boit, c'est ainsi qu'on y répond : il faut sourire à ses funérailles. Doit-on payer la vie si cher ?c est ce que nous verrons : c'est l'a une autre question. Nous n'apporterons pas de consolations dans une si triste prison ; nous ne les exhorterons pas à su- bir les volontés de leurs bourreaux : nous leur montrerons dans toute servitude une voie ouverte à la liberté. Si l'àmc est malade et souffre de ses propres vices, elle a en elle de quoi terminer ses soulfrances. Je dirai 'a celui que le sort fit toml)er aux mains d'un tyran , qui , de ses flèches, ajuste le cœur de ses amis; hcelui dont le maître rassasie un père des entrailles de ses enfants : pourquoi magis quam conditione mancipium ! Ejus rei laudator fuit, cujus nimis erat spectatoreni fuisse; occasionera blanditiarum putavit, pectus filii in duas partes diduclum, et cor sub vaincre palpitans. Coutroversiam illifacere de gloria debuit, et revocare jactura, ut régi liberet in ipso pâtre cerlioreni mauum osicndere. O regem cruentum ! odignum in quem omnium suorum arcus verlerentur! Quum essccrali fuerimusilluin.conviviasuppliciis fune- ribusqiie solTenlem , tamen sceleratius telum illud lauda- tum est, quam niissum. Videbimus quomodo se pater gcrere debncrit, stans super cadaver filii sui, caedeinque illam, cujus et testis fuerat et causa : id de quo nunc agi- iur, apparet, iram supprinii posse. Non malcdixil régi, nullum emisit ne calainitosi quidem Terbnm , quum aeque cor suum , quam filii , transHium Tiderct. Potest dici, merito dévorasse verba : nam si quid tanquam ira- lusdixisset, nihil tanquam pater facere potuisset. Potest, inquani , videri sapientius se in illo casu gessisse , quam quum de potaudi modo prseciperet : quem satins erat vinum quam sanguinem bibere, cujus manus poculis occupai! pax erat. Accessit itaque ad numerum eoruni, qui maguiscladibus ostenderunt, quanti constarent re- ^um aoiicis l>ona consilia. XV'. Non dubilo, quin Harpagus quoqoe taie aliquid régi suo Persarumque suaserit , quo offensus , lilieros illi epulandos apposait, et subiude quaesiit, an placcret con- ditura. Deinde ut satis illum plénum malis saisvidit, af- ferri capita illorum jussit , et, quomodo esset acceptas, interrogavit. Non defuerunt misero verba , non os con- currit : • Apud regem, inquit, omnis cœna jucunda est.» Quid hac adulatione pro'ccit? ne ad reliquias invllarelur. Non veto patrem damnare régis sni factum, mm veto qusrere dignani tam truci porlenio pœnam : sed hoc in- térim colligo , posse eliam ei ingentib'is malis nascentem iram abscoadi, et ad verba contraria sibi cogi. Nccessaria est ista dolorisrefrenalio, aiique hocsortitis vi a; genus, et ad regiam adhibilis mensam. Sic editur apud illos, sic bibilur, sic respondctur : fuueribus .vais arridendum est. An tauli sit vita , videbimus : alla Ista quaeslio est. Non C(msolabimur tam triste ergastulum , non adhortablmur ferre imperia carnificum , ostendemus in omnl servltule apcrtam liliertatl viam. Si aegcr animus, et suo Titi^i miser est, huic miserias finire secum licet. Dicam et illi, qui in regem incidit, sagiltis pectora amicorum pe- tenlem , et illi cujus dominus liberorum visceribut patres saturât : Qukl gémis, démens , quid eispectas, at te aul DE LA C OLE HE. 49 péroir, ioscnsc! pourquoi attendre que quelque , enoemi vienne le venger par la ruine de ton pays, | ou qu'un roi puissant accoure de contrées loin- taines? Quelque part que tes yeux se tournent, tu troaveras une fin a tes maux. Vois ce lieu escarpé : on y descend à la liberté. Vois cette mer, ce Qeuve , ce puits : au fond de leurs eaux est assise la li- berté. Vois cet arbre petit, rabougri, sinistre: la liberté y est suspendue. Vois ton cou , ta gorge , Ion cœur : ce sont autant d'issues pour fuir l'es- clavage. Mais nous te montrons des cbemins trop pénibles, et qui exigent trop de cœur et de force. Ta cherches une voie facile vers la liberté? elle est dans chaque veine de ton corps. XVI. Tant que rien ne nous semble assez into- lérable pour nous faire répudier la vie , dans quel- que position que nous soyons , écartons la colère : elle est fatale "a ceux qui sont dans la dépendance ; car l'indignation ne fait qu'ajouter aux tourments, et la domination est d'autant plus pesante , qu'on la supporte avec plus d'impatience. Ainsi, la bête fauve qui se débat resserre le piège; ainsi , l'oi- seau qui s'agite et se démène ne fait qu'étendre la glu sur son plumage. Il u y a pas de joug si étroit, qu'il ne blesse moins la tète qui le traîne que celle qui le repousse. Le seul soulagement aux grands maux, c'est la patience et la soumission aux nécessités. Mais , s'il est utile 'a ceux qui obéissent de con- tenir leurs passions , et surtout cette passion fu- rieuse et effrénée , c'est encore plus utile aux rois. Tout est perdu , quand la fortune permet tout ce que conseille la colère ; et un pouvoir qui s'exerce au détriment du grand nombre ne peut durer longtemps ; il court dos risques , dès que ceux qui souffrent séparément sont ralliés par une com- mune terreur, .\ussi , combien de tyrans immolés, soit par un seul homme, soit par un peuple en- tier, que la douleur publique forçait a se faire uno arme de toutes les colères. Et combien pourlaiil ont usé de la colèie comme d'un pi'iviiége de leur royauté! Témoin Darius, qui, après que l'empire eut été enlevé au Mage, fut le premier appelé au trône de la Perse et d'une grande partie de l'Orient. Comme il avait déclaré la guerre aux Scythes qui, vers le Levant, lui formaient une ceinture d'ennemis, Olibasus, noble vieillard, le- supplia de lui laisser un de ses trois fils pour con- soler sa paternité, et d'en conserveries deux au- tres à son service. Le roi , promettant plus qu'il ne lui était demandé , répondit qu'il les rendrait tous ; et les ayant fait tuer sous les y.eux du père, il les lui livra : il eût été bien cruel sans doute, s'il les eût tous emmenés ! XVII. Mais combien Xerxès fut plus humain! Pythius, pèredecinq fils, lui demandant l'exemp- tion de l'un d'entre eux, il lui permit de choisir celui qu'il voudrait : le choix fait, le fils désigne fut, par ses ordres , coupé en deux , et une moiiié placée sur chaque coté de la roule. Ce fut la vic- time lustrale de .son armée. Aussi eut-il le sort qu'il méritait : vaincu et accablé de toutes parts, il vit se disperser au loin les débris de sa puis- sance, et revint 'a travers les cadavres des siens. Celte férocité dans la colère appartient il des rois barl>ares chez qui n'avait pénétré ni l'instruction, luMtis aliquis per exiiium cenlis tuie vindicci , .mt rei a looginquo polcns advolet? Quocumque respexcris, ibi malorum (ÎDi» est. Vidps illuni pra-cipiteiii lociini ? itlac ad titiertatem descendilur. Vides illud mare, iitiid (lu- men, illum puteum? Iil)erlas illic in imo scdel. \ ides illam arlwreui, Ijreïem, retorridam, infelicein? pendct indc libertas. Vides jugulum tuum , gutiur tuiini , cor tuuin ? effiigia .servitulis suaL Nimis til>i operosos eiiliit iiion- (Iramus , et mulluni aniiiii ac rolxiris exige nies. Qua>- rii, quod lit ad lit>ertateni iter? qua-lil>ct in corpore luo Tena. XVI. Qnamdia quidcni nihil tam intoleral)ile nobis vi- delnr, ul nos eipellat e >i!a, irani, iii qiir)cunquc eri- miu statu, removcamus. Perniciosa est servienlihus : omnis eoim indignalio in tormentum suum prolicil , et imperia grafiora senUt, qao contumacius palilur. Sic la- quées Tera duni jactat , adstringit ; sic aves visouiii , dam trépidâmes eiculiunt , pluniis omnibus illinunt. Nullum iam arctumestjagum, qund non minus la?datdiirenlcin, quam rcpugnantem.L'nuni est levanientnm miiliirinn in- gentium , pati , et necessitalibus suis nlisequi. .Sed qunm uUlis sit servieolibui, atfectuum suorum, et hujus prx- dpiie rabidi atciue effrenis contineatia, ulilior est regi- bus. Pericrunt omuia , ubi quantum suadct ira, forluna permiltit; ucc diu potest.quicniultorunimaln exeruMur, potcnlia stare : periclitatur cnini, ubi eiis qui separalini gemunt, comninois melus junxit. Plerosque ilaque modo singuli niaciaveruni , modo universi , quum itlos conferre in unum iras puhlicns dolor coegisset. Atqui ptcrique sir iram , quati insigne regium , exercuerunl. Sicut Darius , qui primus, pnst ablatiini Mago im|>erium, IVr.sas et mag- nam parlem Orieniis obtinuil. N'ani quum bellum Scy- this indiiisset , Orientem cingenlibus, logalusabCElKiio nobili sene, ut ex tribus lilicris unum in solalium patri relinqueret, duorum opéra uterelui'; plus qnani roga- batur pollicitus , omues se illi dixit reniissuruui, et occi- sris in con.speciu parentis abjecit . crudelis futunis , si omnes al>duxisset! XVII. .\t quanto Xcrxcs facilior? qui Pythio, quinqiiu niiorum pairi , unius vacalionem pelenti, qucm vcllct , eligere permisit; deindc qucm elegeral, in partes duas dislmctuni al> iilroquc tiie lalerc posuit, et hac viclinia hisiravit exercitum. Ilabuit itaque qucm debuit exiluni : \ ictus, et laie longeque fusus , ac stratam ubiquc rulnam siiam cernens, médius inter suorum cadavera inccssit. Hiec liarbaris regibus ferilas in ira fuit, quos nulla cru- m SÉNÈQUE. ni la culture des lellrcs. Mais je le montrerai, sorli des mains d'Aristote, Alexandre tuant de sa propre main, au milieu d'un banquet, son cher Clilus , son compagnon d'enfance , (pii se montrait peu disposé 'a le flatter, et à passer de la liherté macédonienne "a la servitude asiatique. Lysimaque, tjui lui était également cher, fut exposé à la fu- reur d'un lion. Et ceLysimaque, qui, par un heu- reux hasard, échappa "a la dent du lion, en de- vint-il lui-même plus doux, lorsiiu'il régna? 11 mutila Télesphore de Rhodes, son ami, en lui fai- sant couper le nez elles oreilles; et le nourrit longtemps dans une cage, comme quelque animal nouveau et extraordinaire : cette têle en huubeaux, ce tronc informe n'avait plus rien de la face hu- maine. Ajoute 'a cela les tourments de la faim et la hideuse saleté de ce corps , se traînant dans sa lange, sur ses genoux; et ses mains calleuses, que son étroite prison forçait 'a lui servir de pieds; et ses flancs ulcérés par le frottement : spectacle af- freux et terrible "a voir ! l.e supplice avait fait de cet homme un monstre qui repoussait même la pitié ! Cependant, s'il ne ressemblait en rien a l'homme celui qui souffrait ces tortures, il lui ressemblait encore moins celui qui les commandait. XVlll. Plût aux dieux que ces exemples ne se trouvassent que chez les nations étrangères, et que leur cruauté n'eût point |)assé dans les mœurs ro- maines, avt-c la barbarie des supplices et des ven- geances! M. Marins, 'a qui le peuple avait élevé, dans tous les carrefours, des statues auxquelles on adressait des prières avec le vin et l'encens, eut les cuisses rompues, les yeux arracliés, les mains coupées par ordre 'Je L. Sylla, et, comme s'il devait subir autant Je morts que de blessures, il fut déchiré lentement et dans chacun at, gravissimus miiissinii viri cineribus : supra quos vir niali eicmpli, |X)pularis tamen, et non tani immerilo uuam nimis aniatus, per stillicidia sanguincm dabat. Dignus erat Marius qui illa paterelur, Sylli qui juberet, Catilina qui faceret ; seil indigna respul)lica qua? in corpus suuni pariter et hostium et Yindicum gladios reciperet. Quid anliqua pcrscrutor? modo C. Ca'sar Scxlum Papininm , cui pater erat consu- laris, Rclilicnum Bassum qua>storem suum procuratoris sui lilium , aliosque et équités romanos et senatores uno die llagellis cccidit, torsit, non qua^slionis, sed animi causa. Dciudc arieo impatiens fuit differenda; voluptatis, quam ingens crudclitas ejus sine dilalione posc^bat, ut in lysto matcrnorum horlorum , qui porticum a ripa sé- parât, iuambulans, quusdam ei illis cum malronis atque aliis senatoribus ad lucernam decollaret. Quid iastalmt? quod periculum, aut privatum , aut publicum una oox minabatur? quantulum fuit, lucem esspectare denique, ue senatores pnpuli Romani soleatus occideret? DE LA COLERE. Ri seule nuil? Que lui coùtail-il enOu d'attendre le jour, pour ne pasluer en pantoufles les sénateurs du peuple romain? XIX. Quelle fui l'insolence de sa cruauté; il appartient à notre sujet de le faire connaître, quoique peut-être nous puissions sembler nous en rc.;rler, et nous égarer dans des digressions; mais CCS folies de l'orgueil dépendent de la colère quand elle se décliaine sans mesure. F.n le voyant livrer au fouet les sénateurs , ou put dire , grâces 'a lui : « C'est d'usage. » Il avait épuisé, pour les suppli- ces, les plus horribles ressources de la torture, les cordes, les brodequins, les chevalets , le feu, son visage. Mais ici l'on lue répondra : qu'y a-t-il de merveilleux, qu'il ait fait passer par les lanières «t les flammes, comme de méchants esclaves, trots sénateurs, Inii qui méditait d'éjjorger tout le sénat, qui souhaitait que le peuple romain n'eût qu'une seule tête, pour pouvoir consommer en un seul jour et d'un seul coup tous les crimes upplicium?quuni latrocinia tcneliris al)sciindl soleant; î^niniadTersioni's, qoo notinres sunt, plus ad eirniplum fniendationrni- que proncinnt. Et lioc loco respondcl)itur iiiilii : yuod tantopere admiraris , isli bclluie quolidianum est, ad Ikic *iiit, ad hoc vigilat, ad hoc tucuiirai. Ncniu cerle invc- nictor allus, qui imperarerit his, in quos aniniadverli jubeliat, lios inserta spongia includi, ne vocis cniillenda; hatiereot facultatcin. Gui uaquam moriluro ooa est rc- lictum , qua gcmcret? tiinuit , ne qu»m lilieriorcin vocem eitreiiuis dulur uiiltt-ret , ncquid,quori nniiLt, audircl; iciebat autrui inniinicraliiliaes.-e, qux' ol>jiceif illi uemo, nisi peiilurus, audcicl. Quuni spongia' non invenii ciilur, scindi vesliiucnta miseroiuni , et iu os sarciri paunug impcravit. Qua; ista ssvitia est? liceot ullimuin spirituni Iruhere : da exitura; anima- Incuui : liceat illani nou per vulnns cniiltere. XX. Adjicore liis longum est, quod paires quoque (ic- cisnrum eadcin uoctc , dinii>sis per douios centuriouil)u», conlecit : id est , houin niisericors luclu lil)eravit. !\ou cniiii Caii sa^viliaui , sed irere, qns nou tantnm viritiin furll, sed genlis lotas lancinât, sed urbes, sed lluniina , et tula ub onuii sensu doliiris conïeil)erat. Sieiil m Persiiiiun tiilius pupuli naies reeidil in .Suia : inde Wiinocr.liira loci niinien esl. l'cpirciise illuui jiidicas, quod nontota capila pra'cidlt? no>o génère pirna; dcteel;itus est. 'l'jile ali(|uid passi forent ^Ihiopes, qui ol> loiigis.'-inuim vilo; .s|>atiuni MacrubU appcllanlur. In hus enini, quia non siqiinis nianibus cx- ceperant >rr>itutcni, missisquo legAlis libéra respooM 4. 52 io«oleuar une simple toile. Il l'agita douceiiiciit, et leur dit : « Retirez-vous plus loin , de peur que le roi ne vous entende. » Le môme , dans une marche de nuit, avant entendu quelques soldats charger le n)i lie malédictions, pour les avoir engages dans nn chemin bourbeux et inextricable, s'approciia des plus embarrassés, et après les avoir, sans .se faire connaître, aidés à se dégager : « Mainte- nant, dil-ii, maudissez Aniigone qui vous a Tait tomber dans ce mauvais pas; mais priez aussi les dieux pour celui qui vous a retirés du bour- bier. » Il supporta avec autant de douceur les impré- cations de ses ennemis que colles de ses sujets. Au siège de je ne sais quel petit château , les Grecs, qui le dérendaient , se fiant h la force de la place, insultaient aux assaillants, faisaient de nombreuses I)laisanleries sur la laideur d'Antigonc, et s'amu- saient, tantôt dcsa petite taille, tantôt de son nez épaté. • Je rae félicite, dit-il , et j'ai bon espoir, puisque j'ai Silène dans mon camp. » Ayant ré- duit ces railleurs par la famine , voici comment il en usa avec les prisonniers ; ceux qui étaient jiro- pres au service furent répartis dans ses cohortes; les autres furent vendus h l'enchère : ce qu'il n'eût pas mime fait, assurait-il , s'il n'eût été utile de donner un maître a des hommes qui avaient si mauvaise langue. Le petit-fils de ce roi fut Alexan- dre, qui lançait son javelot contre ses convives; qui, de ses deux amis que j'ai cités plus haut, li- vra l'un "a la fureur d'un lion , l'autre à la sienne. Des doux, cependant, celui qui fut jeté au lion sur- vécut. XXIll. Alexandre ne lenail ce vice ni de son aïeul, ni niC-nie do son père. Car, s'il y cul en riiilippe quelque autre vcrlu , il y eut aussi la pa- tience à souffrir les injures, moyen puissant pour proléger un empire. Déniocharès, surnommé Par- rîiésKisIc h cause de la trop grande intempérance de sa langue , avait été député vers lui avec d'au- tres Athéniens. Philippe, après les avoir écoutes avec bienveillance, ajouta : « Dites-moi co qno je puis faire ([ui soit agréable aux Athéniens? — To pendre, interrompit Démocharès. » Comme les assîslanis nianifestaieut leur indignation 'a une ré- ponse si brutale, l'hilippcles fit taire, et ordonna de laisser aller ce Ihcrsite sans lui faire de mal. a Pour vous, dit-il aux autres députés, allez dira aux Athéniens, que ceux qui tiennent de pareiU propos sont bien plus inirailables que celui qui les entend sans punir. » Le divin Auguste a fait et dit bien des choses dignes d'être rapportées, et qui prouvent que sa colère n'avait pas d'empire sur lui L'historien Ti- magène avait tenu sur l'empereur, sur sa femme cl sur toule-sa famille, certains discours qui ne furent pas perdus; car la hardiesse d'un bon mot le fait circuler davantage et le met dans toutes les bou- ches. Souvent César l'averlit d'user plus modé- rément de sa langue : comme il persistait, le pa- lais lui lut interdit. Depuis lors Timogène passa ses vieux jours dans la maison d'Asiuius Poiliun , et toute la ville se l'arrachait. L'inicrdiction du fat'iebaiit , c|und lioininf s et poriculosissime et lil>entUsinic faciiint , de rege suo mate ctistimahant? Audierat omoia AiiligoDus, utpoic qiiuni inter diccnics et audlenleni paila interesset : quam ille levitcr cominovit , et , i f,on- liius, iiiqnit, discedilc, ne vos re\ audiat. > Idem qua- dam nocle, quum qiiosdam ri niilitibus suis e\aiidii>sel , oiiinia nial:i irnprccantis rcgi , qui ipsos ia illud iter et ineitricahilc lu'.uni dcduiisset, accessit ad eo% qui maxi- me lalMiralianl ; et quum ignorâmes a quo adjuvarentur, explicuisenc optalc, qui vos ex bac voraeine eduxit. • Idem lam miti :ininio lios- tiuui Miiirum maiedicta, quam civium lulil. Ilaque quiun inp rvuloquodom caslcIlotlr.Tci ol)sideivBlur,otfiducia loci cnntcmiientes hostcni inulla in defcirniilatcm An'.i- (7on iocarenlur, et nunc slaturam humilem, nnnc colli- Him na.snni dcridereul . • (liiudeo, inquit, et aliquid boni sperosi in castris meis Silenum hal)eo. • Quum husdi- caces famé domui.sset, captis sic ujus est, ut eos qui nr- liti.T u .iles eraot , in cotiortrs describerel , cœicros prii'coni Mibjic^ret: id quoque se negavit facturuni fuisse, nWi ei|)c- direl his dominum halierc, qui lam malam habereiil liu- (iiiam. Iliijus Bepos fuit Aleiandrr, qui lanceam in coii- WTiii luos torquel>!>t, qui n duolms amiei» quDs laiilo ante rctuli , altcruin fera; nbjecit, allcriim sibi. Ei bis duobus tamen, qui leoni objcclua est, vixit. XXIII.^ion babuit bue avilum illiMitiuni, ne pater- num quidcm. Nam si (|ua nlia in Pbilippo vir;us fuit, et conlumeliarum |>aticnlia , inceiis iusiruiiienlum ad tu telani rcgui. Demucbarrs ad illum , l'arrbcsiasles ob nimiam et procaccm linguani appcllatus , inlrr alius Aibeniensium li'calos vrnrrat ; audila boni;; ne legalione , Plirlippus, • Dicito, inquit, mihi,facprc (|uid posium. quod sit Atbcnieiisil)us pralum ? • Kxcepil DtMUocharei : • Te, inquit. susprnderr. • Indi^U'itio circumsUinlium ad lam inbunianum respimsum exorta rsl : qnos l'Iiilip- pus conliccMcrcjussit cl Tber.vilaiii illum siilvuni inco- lumenique diniiltcie. « .\t vos. inquil. cctiTilcpnli, nun- liate Athenii-nsibus, niulto superbiorps esse, qui isla dicurt quain qui iiiipune dicla audiunl. > MiM» et di- m» Aiiynslus dign.i nienioria firil, dixiKpic ; ex quiliii» app:ii(alilli iram noninipcrasscTiiiiagencs, liislorinrum «criplor. quadam iii ipsuni , (jua-dam in nxorcni PjUS , «t in tiiliiiii (l(ii:;uui dixeial, nec iHTilidcrat dicla; niagis enim circumfertur , et in ore lioniinuni est lemcrariH^ urbauilas. .Sa'pc illum Casar monuit. ul niodenilius lin- • Kua uli:ielur ; («Tscvoianli donio sun inicrdixit. Postcfi Timigfnss iu corilohïrnio Pullioni» Asiiiii ciinfpnuil, as 54 SEKEQLE palais de César ne lui ferma aucune porte. Dans la suite, il récita et brûla les histoires qu'il avait écrites et livra au feu les livres qui contenaient les actes de César Auguste. 11 était l'ennemi de César, et personne ne redouta son amitié; per- sonne ne s'en éloigna comme d'un homme frappé de la foudre ; et il se trouva un citoyen qui lui ouvrit les bras lorsqu'il tombait de si haut. César, ai-je dit, le souffrit patiemment, et ne s'émut pas même de ce qu'il avait détruit les annales de sa gloire et de ses belles actions. Jamais il ne Dt des reproches a l'hôte de son ennemi : seulement il dit une fois "a Pollion o-npioTpofsu ( tu nourris un serpent). Puis, comme celui-ci s'apprêtait 'a faire des excuses, il rinterrom|)it : « Jouis, mon cher Pollion , jouis de ton hospitalité. » Et comme Pol- lion répliquait : « Si tu l'ordonnes. César, je lui interdirai ma maison. — Crois-tu , dit-il, que je le fasse, quand c'est moi qui vous ai rcconci- l'iés. » En effet, Pollion avait été quelque temps brouillé avec Timagène, et il n'eut pas d'autre raison de mettre fm à son ressentiment, si ce n'est que celui de César commença. XXIV. Que chacun donc se dise, toutes les fois qu'on l'offense : suis-je plus puissant que Philippe? on l'a pourtant outragé impunément? Puis-je plus, dans ma maison, que ne pouvait le divin Auguste dans le monde entier? 11 se contenta cependant de s'éloigner de son détracteur. Pourquoi donc irai-je punir du fouet et des fers une réponse trop libre de mon esclave, un air récalcitrant, un murmure qui n'arrive pas jusqu'à moi? Qui suis- je, pour que ce soit un crime de blesser mes oreilles ? Bien des gens ont pardonne 'a leurs en- nemis ; et moi je ne pardonnerais pas ii un esclave paresseux , négligent ou bavard? Que i'eufaulait pour excuse son âge , la femme son sexe , l'étranger sa liberté , le domestique l'habitude de nous voir. Est-ce la première fois qu'il nous méconlcnte' rappelons -nous combien de fois il nous a sa- tisfait. Nousa-t-il déj'a souvent manqué? sup- portons ce que nous avons supporté longtemps. Est-ce un ami qui nous offense? il a fait ce qu'il ne voulait pas. Est-ce un ennemi? il a fait ce qu'il devait. Cédons au sage, pardonnons à l'insensé. Pour tous, enOn, disons-nous bien que les hom- mes les plus sages tombent dans beaucoup de fautes, qu'il n'y a personne de si circonspect, dont la pudeur ne s'oublie quelquefois; personne de si composé, dont la gravité ne soit entraînée par l'occasion "a quelque acte de vivacité ; personne de si précautionué contre l'outrage, qu'il ne tombe dans le défaut qu'il veut éviter. XXV. De même que l'honnne obscur trouve à voir chanceler la fortune des grands une consola- tion dans ses maux, et que celui-!"; pleure dans sa retraite la perle d'un fils avec moins d'amertume à l'aspect des cruelles funérailles qui sortent d'ua palais; de même chacun supportera avec plus de résignation quelques offenses, quelques mépris, en songeant qu'il n'est pas de si grande puissance qui soit a l'abri de l'outrage. Que si même les plus sages sont sujets à faillir, quelle erreur n'a pas une légi- time excuse? Rappelons-nous combien de fois notre jeunesse s'est montrée peu empressée à ses devoirs, peu retenue dansses discours, peu sobre dansle vin. tota civitate direptus est; nullum illi linien pr:rclusa Ciun- qiiaiii cum liospite inimici sui quesins est : hoc dumîaxat Pollioni Asinii) dixit, Or.fAozpofsl;. l'aranti dcinde eicu- salioncm obstilil, « et, fiuere, inquit, nii Pollio, fruerel » Kt quuin Pollio diceret : « Si jubcs, Ca'sar, slatiin i li domo raea iiUeniicani. » — » Hoc nie, inquit, putas fac- Inruni, quum ego vos in graiiam reduxerini? « Fuerat cuini allquando Tiiiiageni Pollio iratus , ncc ullain aliam liabueiat causani dcsinendi , quani quod Ca'sac cœperat. XXIV. Dicat itaque quisque silii , quoiics lacessilur : Nuniquidpotentior suni Philippo/illi tainen iinpuneina- ledicîuni est. ÎSuniqaid iu domo mea pluspossnm, quam toto orbe lerianmi divus Auguslus poluii? illo tanien continlus fuit a conviciatore suo scccderc. Quid est ? qnare ego servi niei clarius responsum, et conlumacio- rcm TuHum , et non pcivenieutem usque ad nie niuriiui- rationeni QagcIIis cl fonipcdil)us cxiiieni? quis snm , cujus aures laL'di nefas sit? ignoverunt multi bostibas; ego non ignoscani pigris, ncgligenlibus , garrulis? Pue- rum œias excuset, feminam sexus, extraneuni libcrtas, domcsticum faniiliaritas. îsimc prinium offendit? cogile- mus quani diu placuerjt. Sa'pe et alias offendit? feramus quod dm tulimus. Amiens est? fecit quod noluit. Ininii- cus? fecit quod delmit. Prudonliori cedaiiius: slulliort remittanius; pro quocunn]ue iltud respondeamus nobis : sapientissimos qnoque viros mulla delinquere , nrmineui esse lani circumspectum, cujus non diligentia atiqtianda sibi ipsi excidat, neiiiinem lam matiirum , cujus non gra- vitatemin alii^uod fervidius faclum casus impingat, ne- minem tam timidnm offensarum, qui non ia illas, dura vit:it, incidat. XXV. Quomodo homini pusillo solatium in malis fuit, etiam magnorum virorum titubare forlunam , et aequiore aninio filium in angulo flevil, qni vidit acerba fuocra etiam ex rcgia duel : sic aniino asquiore feret ab aliquu la'di, ab aliquoconlcmni, cuicumque venit in nienlem, nuUam esse tantam potentiani . in quam non incurrat in- juria. Quodsi etiam prudcnlissimi peccant, cujus non cr- ror bonam causam habet? Rcspiciamus , quoties adoles- cenlia nostra in officio parum diligens fuerit, in sernione parum modesia , in vino paiiim Icmperans. Si iratuj DE LA CULEKE. SS Cet liomtne est en colère : lionnous-liii le temps de reconnaître ce qu'il a fait ; il se corrigera lui- nit!mc. Il n'échappera pas au châlimcnt : nous n'avons que faire de régler nos comptes avec lui. Il est incontestable que l'homme qui dédaigne ceux qui l'attaquent sort de la foule, et prend position au-dessus d'elle : c'est le propre de la vraie grandeur de ne pas se sentir frappé. Ainsi, aux aboiements des chiens, le lion se retourne lentement; ainsi un immense rocher brave les as- sauts de la vague impuissante. Celui qui ne s'irrite point demeure inaccessible 'a l'injure; celui qui s'irrite est ébranlé. Mais celui que je viens de représenter supérieur à toutes les atteintes tient pour ainsi dire dans ses embrassemenis le souve- rain bien, et répond non-seulement a l'homme, mais même à la fortune : Quoi (|ue tu fasses, tu es trop faible pour troubler ma sérénité. Cela m'est défendu par la raison, a qui j'ai confié la direction de ma vie. La colère me ferait plus de mal que l'injure. Et, en effet, je connais les bornes de l'une; l'autre^ jusqu'oii m'entraînera-t-elle? je l'ignore. XXVI. « Je ne puis , dis-tu , m'y résigner ; il est trop pénible de souffrir une injure. » Tu mens : car, quel homme ne peut supiwrter une injure, lorsqu'il supporte la colère? Ajoute qu'en agissant ainsi, tu supportes et la colère et l'injure. Pour- quoi supportes-tu les transports d'un malade, les propos d'un frénétique, les coups d'un enfant? c'est qu'ils te paraissent ne savoir ce qu'ils font. Qu'importe quelle maladie fait déraisonner? La déraison est une excuse égale pour tous. « Quoi donc! dis-lu, l'offense sera impunie? » Suppose que tu le veuilles ; elle ne le sera pourtant pas. La plus grande punition du mal , c'est de l'avoir fait ; et le plus rigoureux cliùtimeiU est d'être livré au supplice du repentir. Enlin, il faut avoir égard "a la condition des choses huniaiiios, pour être juge équitable de tous les accidents : or, c'est être in- juste que de reprocher "a un seul le vice de tous. Le teint noir n'est pas remarqué chez les Étliio- |)iens, ni chez les Germains une chevelure rousse et relevée en tresse. Chacun est suivant sa natut;e. Tu ne trouveras jamais étrange ou repoussant chez un homme, ce qui est commun a toute sa nation. Or, chacun de ces exemples n'a pour lui que la manière d'être d'un seul pays , d'un coin de terre: vois, maintenant, si l'indulgence n'est pas mieux placée , pour des vices répandus parmi tout le genre humain. Nous sommes tous inconsidérés et imprévoyants, tons irrésolus, querelleurs, am- bitieux: pourquoi voiler, sous des termes adoucis, la plaie publique? Nous sommes tous méchants. Ainsi, tout ce qu'on blûraedansun autre, chacun le retrouve dans son propre cœur. Pourquoi si- gnales-tu la pâleur de l'un , la maigreur de l'au- tre? Li peste est chez tous. Soyons donc entre nous plus tolérants : méchants, nous vivons parmi des méchants. Une seule chose peut nous rendre le calme : c'est un traité d'indulgence nuituclle. Cet homme m'a offensé ; je ne le lui ai pas rendu ; mais di^à peut-être tu as blessé quelqu'un , ou tu blesseras. XXVll. Ne va pas te juger sur une heure ou un jour : considère la disposition habituelle de est , (lemiu illi ipatium , quo dispicerc , quid fecerit , pos- tit ; se ipse castigabit. Denique dal>it pirnas ; non l'st quod cum iUo paria faciamus. Illud doq vciiit in dubiuni, quin se eiemerit turbic, et altius sletcril, quisquis dps- l>exit laces.seDtes : proprium est inagnitudiuis verx, non ■c seotirc percussuin. Sic immanis fera ad latratuni ca- num tenta respeiit ; sic irritus iugeati scopulo tluctus as- tullal. Qui non irascitur, incnncussus injuria perslitil ; quiirascitur, motus est. At illequem modi) allioreni onini iucommodo posui , tenet quodam ainplciu sniiiniuni bo- num, nec bnmini tantuni, sed ipsi fortuno; rcspondcl : Omnia licetfacias, niinor es, quant ut serenitateni nieam obducas. Vetat hoc ratio, cui vilain resendani dcdi ; plus mihi nucilura est ira , quam injuria. Quid ni plus? illius modus certus est : isia quousquc me lalura sit, incertum est. XXVI. • Non possum , inquis , pâli : grave est , inju- riam lustinere. • Menliris : quis enini injuriant non potcst ferre , qui potest iraiu ? Adjice nunc , quod id agis, utet iram feras, et iajurian]. Quarc fers a'gri rabieni , et phrenctici terba ? pueroruni pi-olervas ntanus? nciiipe quia videntur oescire , quid facianl. Quid interest.qno qnisqnc tiliofîal imprudcnjî, imprudeotia par la omni- Ims patroclnium est. «Quid ergo? inqitls, impune illi eril ? • Puta , te vellc : laiticn non cril. Maiima est enini fada; injuria; pidc nunc quauto I in liis Jiistiiir venia sit, qiui' pcr totimi gcniis liuriianum i vuli,'ala sunl. Ointirs inconMilii et inipnitidi snnius.oin' I nés incerti, queruli, aiiibiliiisi. Quid loiiioiilius vorbis ulcus piililicum ahscoodo? oiiines iiiali suinus. Quidqiiid ilaque in ;iliu reprelieoditur, id unu»|uisi|uc iit .su>> sinu inveniot. Quid illiiis pallomn, illius inacitni mitas? j)es- I tilcntia est. l'Iacidiores itaqueiniicem simus : niali iuler j nialos viviriius. Lita res nos facere potcst quielos, inu- , lue facililatis conventio. Ille milii jani nocuil; ego illi I noudum: sed jam aliqucm forlasse la'bisli ; sed Iscifes. XXVU. Koli asliiii^ire luiuc liorani, atit linnc diom; S(5 SÉNÈQUE. ton âme. Quand même tu n'aurais rien fait de mal , lu peux en faire. Ne vaut-il donc pas mieux guérir une blessure que la venger? La vengeance ab- sorbe beaucoup de temps, et nous expose à une foule d'offenses pour une seule qui nous afflige. Chez nous tous la colère dure bien plus longtemps que l'injure. N'est-il pas bien mieux de suivre une tout autre voie, et de ne pas mettre aux prises vices contre vices? Te semblerait-il dans son bon sens, celui qui rendrait un coup de pied à une mule, à un chien un coup de dent? « Mais, dis- lu , ces animaux ne savent pas qu'ils font mal. » D'abord , il est bien injuste celui pour qui le nom d'homme est un être qui exclut l'indulgence : en- suite, si les autres animaux se dérobent à ta co- lère, parce qu'ils manquent de raison, tu dois meltre sur la même ligne tout homme qui manque de raison. Qu'importe, en effet, qu'il diffère en tout le reste des animaux muets , s'il leur ressem- ble par ce seul côté, qui fait excuser leurs torts, l'aveuglement d'esprit? Il a offensé : est-ce la pre- mière fois, est-ce la dernière? Ne va pas le croire, quand même il dirait : Je ne le ferai plus. H of- fensera encore, et un autre l'offensera, et toute la vie tournera dans un cercle de fautes. Traitons avec douceur ce qui est intraitable. Ce qu'on a coutume de dire dans la douleur peut très-utile- ment se dire dans la colère : Cessera-t-elle un jour ou jamais? Si elle doit cesser, ne vaut- il pas mieux quitter la colère, que d'être quitté par elle? Si elle doit durer toujours, vois quelle vie ora- geuse tu faiiprêtes ! Vois les souffrances d'un cœur toujours gonflé de Del ! XXVIll. Ajoute qu"a moins d'allumer toi-même le feu de la colère , et de renouveler sans cesse les aliments quidoiventl'attiser, elle s'éteindra d'elle- même, et perdra tous les jours de sa violence ■ or, ne vaut-il pas mieux qu'elle soit vaincue par toi, que par elle-même?Tu l'emportes contre ce- lui-ci, puis contre celui-là, contre tes esclaves, puis contre tes affranchis; contre les parents, puis contre les enfants; contre tes connaissances, puis contre des inconnus. Partout, en effet, sur- abondent les prétextes, si le cœur ne vient pas intercéder. La fureur l'entraînera d'ici l'a, de là plus loin ; et, de nouveaux stimulants surgissant h chaque pas, ta rage sera permanente. Allons, malheureux ! quand donc aimeras-tu? O quel bon temps tu perds h de mauvaises choses! Qu'il se- rait doux , des h présent, de s'assurer des amis, d'apaiser ses ennemis, de servir l'état, de don- ner ses soins à ses affaires domestiques, plutôt que d'aller chercher de tous côtes ce que tu peux faire de mal à quelqu'un pour le blesser , soit dans sa dignité, ou son patrimoine, ou sa per- sonne; car lu ne peux y arriver sans combat et sans péril , quand tu lutterais avec un inférieur. Suppose même qu'on le l'apporte garrotté, et livre à l'arbitraire de les supplices; souvent celui qui frappe avec trop de violence se désarticule le bras, ou se déchire la main sur les dents qu'il a brisées. La colère a fait bien des manchots, bien des infir- mes, même lorsqu'elle a rencontré une matière passive. D'ailleurs , il n'est point d'être si impuis- sant, qu'on puisse l'écraser sans risque. Parfois la douleur, parfois le hasard fait les plus faibles lotum inspice mentis lua; lial)itum; eliamsi iiiliil niali fecisli, potes facere. Quaiilo salins est, saiiari iujuriaiii, iiuam iilcisci? Jlultum tempoiis ultlo ahsiiniit : multis se injuriis objicit, dum una dolet. Diuliiisirascimiir oinnes, nustrl. Qui- dam vero non tantum justas causns ttandi contra nos , led eti.im booestas habcnt. Alius paircm Uietur, alius fratrem, alius patruuni, alius aniicuni; liis tamen non igaotcimus id facienlibus : quod nisi faccrent , iniproha- remus ; iinmo, quod est iuci-edibilc, sicye de facto bene esistniamus , de facicntemalc. XXIX. At imherculcs vir magnui ac justus, fortis- linnini qiiemqne ex bostibus suis, et pro liberlate ac sa- Iule patrix pprtinacisïinium suspicit, et talcni sibi ci- vcm , Uilcm luiliteni contineere optât. Turpe est ndissc qaem laudes : quanto vero tnrpliis , ob id aliqueni odisse , propter quud niiscrirordia div;nus est , si caplivus in sernitutem subito depressus i'eti(|ulas libertalis tciict . nec ad sordida ac lalwriosa niinisteria afiilis occurril ; ti et otio piper equutn veliicuium<|ut doniini cursu non eia'quat: si iuler quotidianas vigilias fessnni souinus op- prcuil; si rusllcura lalNircm récusât, ;iul non forlilcr obit, a servitute uritana et feiiata translatus ad duruni opus I Distinguamus, ulrum aliquis non possit, au noiit; niultos abs«ilicinus, si cœperinius ante judic:ire, quani irasci. Nunc autcni primum inipetuni sequiniur ; deindc quiunvis vana uos concitaveriut, perscveramus, ne vi- deaniur cœpisse sine causa, et quod iuiquissiniuni est , portinaciores nos facit iniquitas ira*. Retinemus cniin illani , et augcmus ; quasi arguinentuni sit juste irascen- tis, gi'3\iter irasci. Quanlo nielius est, initia ipsa per- spicerc, quam levia sini, qiiani innoiia? Quod accidcre vides in aninialibus niutis . idcn: in bumine deprehcn- iies : frivolis lurbaniur, et inanibus. XXX. Tauruni color rubicundus excitât , ad unibram aspis ejsurgit, ursos Iconesque niappa profitât. Oninia quip natura fera ac rabida sunt . cotistcrnaotnr »d v.na. Idtm ini|uieli< et stolidis ingcniis evcnit : reriini suspi- cione fcrinnlur ; adeo quideni , ut inlcrihun injurias Torent niodica bénéficia, in quilins frcqueiitissinia, certe acerbissima iracundix niateria est. f;ari<.simls eniiii ii'as- cinnir, quod minora nobis pnestitoiint, (|uaMi mente conccpimus, quam qux alii tuleiint ; (|iitim ntriusqiio rei paratum rcmedinm sit. Magis alteri induisit.' nostra nos sine comp.iralionc doicclcnt ; nun(|uam erit feli» , i|ueni lorqiU'bil felicior. Minui i.abco r|uum spcravif scd 68 SENEQUE. pour celui que lourraeiile un bonheur jilus grand. J'ai moins que je n'espérais; mais peut-êlre ai-jc espéré plus que je ne devais. C'est ce point qui est le plus a craindre : c'est de là que naissent les colères les plus dangereuses, et qui s'altaquent à ce qu'il y a de plus sacré. Pour tuer le divin Jule, il se trouva moins d'ennemis, que d'amis dont il n'avait pas satisfait les espérances insatia- bles. Il l'eût voulu sans doute; car jamais personne n'usa plus généreusement de la victoire, dont il ne se réserva rien, que le droit d'en partager les fruits. Mais comment pouvait-il sullire à tant de prétentions immodérées , quand tous demandaient pour eux autant qu'un seul pouvait donner? Aussi vit-il s'agiler autour de sa chaise curule le glaive de ses compagnons d'armes , et "a leur lêle Tullius Cimber, naguère son plus chaud partisan, et tant d'autres devenus enfln Pompéiens après la mort de Pompée. XXXI. C'est là ce qui a tourné les armes des sujets contre les rois, qui a pousse les plus fidèles h conspirer la mort de ceux pour lesquels et avant lesquels ils avaient fait vœu de mourir. Nul n'est content de sa fortune, lorsiju'il regarde celle des antres. Aussi nous emportons-nous, môme contre les dieux, de ce qu'un autre nous devance, ou- bliant combien d'hommes sont derrière nous, et enviant au petit nombre l'envie qui se traîne à leur suite. Telle est pourtant l'exigence des hom- mes : bien qu'ils aient beaucoup reçu , c'est pour eux une offense d'avoir pu recevoir davantage. Il m'adonne la préture; mais j'espérais le con- sulat. Il m'adonne les douze faisceaux; mais il ne m'a p',s fait consul ordinaire'. II a voulu que l'an- née lût datée de mon nom; mais il me refuse sa voix pour le sacerdoce. J'ai été admis dans un col- lège de pontifes; mais pourquoi dans un seul. II a mis le comble à ma grandeur; mais il n'a rien ajouté à mon patrimoine; ces choses qu'il m'a données, il devait les donnera quelqu'un : il n'a rien mis du sien. Ah! plutôt, rends-lui grâce de ce que tu as reçu : attends le reste , et réjouis-toi de n'être pas encore comblé. C'est un des bonheurs de l'homme, qu'il lui reste encore h espérer. As-tn surpassé tout le monde; sois heureux d'avoir la première place dans le cœur de ton ami. Beaucoup te sur|)assent-ils; considère combien sont plus nombreux ceux qui te suivent, que ceux qui te précèdeVit. XXXII. Veux-lu savoir quel est ton plus grand tort? Tu fais de faux calculs : tu estimes trop ce que tu donnes, trop peu ce que lu reçois. Gar- dons-nous d'agir avec l'un comme avec l'autre. Devant ceux-ci , que notre colère soit retenue par la crainte, devant ceux-là par la réserve, devant d'autres par le dédain. Le bel exploit, n'esl-co pas , de jeter au cachot un malheureux esclave ! Pourquoi se hâter de le fouetter a l'instant , et de lui rompre tout d'abord les cuisses? Ton droit ne sera pas perdu, pour en différer l'usage. Laisse venir l'heure où tu ordonneras de loi même; car maintenant les paroles sont commandées par la colère. Quand elle sera passée , nous verrons a ' Inslilnlion de César, ronspnée par Auguste. Le» consuls noriiniés aux e:ileiiues tle janvier (loiiiiaieiit leur nom à l'ao- iiee. Il y eu a\ ail d'autres , les SuljitUuci{ Hufftcti), quiu'a- Ydieut puiiUct't liuuucur. forlasse plus spcravi, qnam delmi. Ilapc pars ma\iinc nu'luenda est . liiiic iiornicinsissima!! irs; nasciiiitur , et saiicli.ssima (lU.Tque invasura!. DiMim Julium pliires iimici confererunl, quam inimici, quorum n:in os|iIe- Torat spes inesplolillcs. Voluit quldeiu ille; neque eiiim quisquarn lilieraliiis Victoria usus est, ex (]ua niliil silii vindicavil , nisi dispcnsnndi polcslatom : sod quemadino- dum sufficere taniimprobis desideriisposset , quunitan- tum onines coneupiscerent , qu.nutum polerat uiius ? Vidit ilaipie strictis circa sollam suam pladiis cnmniili- toues suos , CImliniiii Tullium , .-icerriniuni paulo ante siiariim parlium di fcnsoreni , aliosqiic post Poinpcium dciiium Poinpeiauos. XXXI. HaîC rcs sua in repos arma convertit, fidissi- inosque eo couipulit, ut de iiiorie eoruni copit rent, pro quilms el ante qiios mori voluiii liahuerant. ÎSulli ad aliéna rcspicicnti sua placent. Inde dits quoqiie irasci- niur, quod aliquis nos aniecedal, obliti quantum liomi- nuni rétro sit, et paucis invidentcs quantum sequatur a tcrgo ingentis invidia;. Taula lanien imporlunitas homi- num est, ut quamvis multiini accepcrint, injuria; loco sit , plus accipere potuisse bedit imhi pia'turam ? sed fonsulalum ^peraTeranl. Dcdit diiodecim fasccs? sed non fecit ordinarium cnnsulcm. A me nnmerari voluit an- num ? sed deest niihi ad sacerdoliuni. CooplaUis ia colle- {^iiim sum? sed cur in unumy Consuuimavit dignitateni meam? sed pauimoniu niliil conluM. Ea dédit mibi,qaa! debebat alicui dare; de sno uihil protulil. Age potiiu gralias pro his quae accepisli ; reliqua esspecta , et noo- dum plénum te esse g.iude. Inler voluptates est, supe- resse quod spercs. Onuies \icisli? primum te esse in aninio aniici lui la-tare; muiti te vincunt? considéra, quanto anteredas pliires, quam sequaris. XXXII. Quod sit in te maximum vitium, qnaerisf falsas raliones conlicis : data magno a'stimas, accepta parvo. Aliud in aliu nos deterreat: quibusdam timeamus irasci, quibusdam vereaniur, quibusdam faslidiamiu. iMagnam rciu sine duliio fecerimus, si servulum infeli- cem in eipastulum miserluuis ! Quid properamus ver- berare statim, crura prolinus frangere? non peribit potcstas isla , si differctur. Sine id tempus veniat , quo ipsi jubcamus : nunc ex imperio ira" loquiiBur; quum illa abicrit, tune videbimus, quanti sit ista lis aeslimanda . in hoc enini praecipue fallinmr ; ad forrum vcnimus , ad capitalia supplicia, et vinculis , carcpre, famé >ini1ira- mus rem , castigaudam flagris Icvioribus. « Quemodo .. DE LA COLÈRE, 59 quel taux estimer ce délit. Car c'est la surtout ce qui nous égare. Nous en venons au fer, aux pei- nes capitales ; nous punissons par les chaînes , la prison , la faim, une faute qui ue mérilait qu'une correction légère. « Pourquoi , dis-tu , nous or- donner de considérer combien sont frivoles , mi- sérables , puéi-ilcs , toutes les choses qui nous semblent des offenses? » Quant a moi, je n'ai point de meilleur conseil à te donner, que de t'é- lever "a de nobles sentiments , et de voir dans toute leur petitesse et leur abjection , ces vanités pour lesquelles nous plaidons, nous courons, nous nous essoufflons, et qui ne valent pas un regard d'une âme haute et généreuse. C'est autour de l'argent qu'est le plus grand tumulte ; c'est lui qui fatigue les forums , qui met aux mains les pères et les fils, qui fabrique les poisons, qui livre le glaive aux assassins comme aux légions ; toujours il est arrosé de notre sang : pour l'ar- gent, les nuils des épouses et des maris sont bruyantes de chicanes , la foule assiège les tribu- naux des magistrats, les rois sévissent et ravis- sent, et renversent des cités élevées par le long travail des siècles, pour fouiller leurs cendres 'a la recherche de l'or et de l'argent. XXXIII. Jette les yeux sur ces paniers' relé- gués dans un coin. C'est pour cela que l'on crie 'a faire sortir les yeux de la tête , que nos basili- ques retentissent des frémissements de la chicane, que des juges, évoqués de régions lointaines, s'as- seoient pour juger de quel côté l'avarice a le plus de droits. Que dire, si non pas pour un panier d'argent, mais pour une poignée de cuivre, pour ' Les Romains avaient coutume d'f mettre leur argent. Inquii, DOS jul)es inliieri , quam nmnia.per qutC lirtii ^iiletnur, eii|;ua , misera, pucrilia sinl? » Kgo vero nihil ma^is siiaserini , qiiam sumere insciitini animuin , et hsc propter qux liligaiims, disiurriniiis. aiihclamiis, Tidere quam humilia et abjpcta sint, ntilli qui alluiii qiiiddam aut magniflciim cogitât, respicionda. Circa pe- cuniam plurimuin vociffralionis est: ha'C fnradefatigat, patres liberosque comniittit , veiiena niiscct, giadios tant perrussorilius quani legiunibns Iradit ; lia-c est s inguine nostro delil)uta ; propler hanc uxoruin niariloruinque ooctes strepunt lilil)us, et Iriliunalia magistralininiprc- iiit lurba , reges sxviunt , rapiuntquc, et civilates longo scculorum !al)ore constructas cTcrlunt, ut aurumargen- tumque in cinere url)iiiin scrutentur. XXXIII. Libet inlucri lise s in angulo jacenîes. Ili «nnt, propler quos oculi claniore cipiiinunlur, frcniiiu judiciorum basilica; résonant , cvncati ci longinquis re- gionibus jodici'S sedcnt, jiidicaturi , u rius justiiir ava- rilia «il. Quid si ne propter fiscnni qtiideui , sed pugnuni apris, aut impulatum a servo denarium, senc» sine he- rcde iDoriturus stomacho dirumpilur ? Quid si propler usuram haud millcsimam , valctudinarius fimeralor dis- un denier qui manque au compte d'un esclave, un vieillard , près de mourir sans hériliers , s'c- poumonne de colère ; si , pour moins d'une mil- lième partie d'inlérêt, un usurier inûrme, dont les pieds et les mains tordus de goutte l'empêchent de comparaître , jette les hauts cris , et au milieu des accès de la maladie, presse, par ses manda- taires, la rentrée de ses as. Quand tu étalerais tout l'argent de tous les métaux que nous serrons si soigneusement , quand tu produirais au jour tout ce qu'il y a de trésors cachés par l'avarice , lorsqu'elle rapporte 'a la terre ce qu'elle en avait méchamment tiré, je ne croirais pas tout cet amas digne de faire sourciller un homme de bien. De quelles risées il faudrait accueillir tout ce qui nous arrache des larmes ! XXXIV. Je le laisse maintenant parcourir les autres causes de la colère, le manger, le boire, et jusque dans ces choses des rivalités d'arubilion, la parure , les mots, les rei)roches , les gestes peu mesurés , les soupçons , les entêtements d'une bête de somme, la paicsse d'un esclave, les in- terprétations malicieuses des propos d'autrui , qui feraient melire le don de la parole parmi les lorts de la nature. Crois-moi , ce sont raisons légères qui excitent de si graves einpnriements, ce n'est pas aulrc chose qui provoque les disputes et les querelles d'enfants. Dans tout ce que nous faisons avec tant'de solennité, il n'y a rien de sérieux, rien de grand, encore une fois, la colère, la folio vient de ce que tu fais trop grand tas des peliles choses. Celui-ci m'a voulu enlever un hérilaye: celuil'a m'accuse après iii'avoir longuement fait la cour dans l'espérance de ma mort : cet autre a (ortis ppdilms , et manibiis ad comparcndum non rcliclis, clamât , ac |)€r viidimonia asses suos in ipsis niorlii ac- ce.-sioiiibus vindicat ? Si tolani milii ex omnibus nietallis . qurp qinini inatinie (Icprimiiiiiis, pertini:iin protiras. si in nicdiuni projicins quiilquid tlipsami tcgiint, avari[ia ilerumsub terras referento quœ inale cpossiTat; oniiicni isti)m congcriem dignam n(in pnicm , (|iicT fioneni viri boni coiilrahat. Qiianto risu proscqueuda sunt, qui' no- bis lacrymas cducunt? XXXIV. Codo ntmc, pcrscqucre cetera, cibos, po- liones, honnnqne causa larntnin anibilion(>ni , iiiiindl- tias , vcrba , conlumel.is, et miilu.s eurponini paniiii honorificos, et suspiciones, et eontumacia junienla , et pigra mancipia, interpretatinnes maligms vocis aliéna- : quibus effieilur, ut iiitcr injurias natiirx' iiumeielur sermo honiini dalus. Crede niilii, leiin sunt, propler qua.' non leviler cxcandescimus, qunlia qui' pueros in riiam etjurgium concitant. Nibil ex liis, (|ui' laiu tris- tes aginms, serium est, nitiil m'ignum. Inde, incpinni , Tobis ira et insania est, (pmd exigua niagno aslijnalis. Auferrc hic milii haircditateni voluil ; tiic me diu spe Euprema captatuni crimtnatus est : liic scurtum mcum GO SÊNÈQL'E. coov()ili5 ma concubine. Ce qui devait ôlie un lien (l'affection, la coniniunaulc de vouloir, est une cause de discorde et de liaine. XXXV. Une rue étroite amène des rixes entre les passants : dans une route large et spacieuse, des populations même ne se heurtent pas. Ces choses modiques, que lu désires, ne pouvant passer dans une main sans être relirces'a une autre, de- viennent une source de disputes et de combats pour ceux qui, ensemble, y prétendent. Tu t'in- dignes que ton esclave, ton alTranchi, ta femme, ton client te répondent, et puis tu le plains que la liberté soit bannie de la république, quand lu l'as bannie de chez toi. Ensuile, qu'on ne réponde pas 'a les questions, on sera traité de rebelle. Laisse-les donc parler, se taire, rire. Quoi! de- vant un maître? Mieux que cela , devant un père de famille. Pourquoi crier? Pourquoi vociférer? Pourquoi demander des fouets au milieu du repas? parce que tes esclaves ont parlé, parce qu'il n'y a pas, en un même lieu , le tumulte d'une assemblée et le silence du désert. N'as-lu donc des oreilles que pour écouler des chants doucement modulés , des sons qui se traînent en une molle harmonie? 11 faut l'accoutumer aux rires et aux pleurs, aux compliments et aux querelles , aux nouvelles agréables et tristes , aux voix des hommes comme aux mugissements cl aux aboiemcnis des animaux. Pourquoi tressaillir, misérable, au cri d'un es- clave, au tintement d'une cloche, "a l'ébranlc- ment d'une porte? Tu as beau être délicat , il le faudra bien entendre le tonnerre. Ce que je dis des oreilles, tu peux le rapporter aux yeux, qui ne sont ni moins affectes , ni moins capricieux, s'ils ont de mauvaises habitudes, lli sont blessés d'une tache, d'une immondice, d'unu pièce d'argenterie qui n'est pas assez brillante , d'un vase qui ne reluit pas au soleil. Ces yeux , qui ne peuvent supporter que des marbres bigar- rés et fraîchement polis, que des tables nuancées de veines ondoyantes; qui, à la maison , ne veu- lent se reposer que sur des tapis enrichis d'or, se résignent pourtant 'a voir au dehors des ruelles mal pavées et fangeuses , des passants la plupart salement vêtus , les murailles des maisons du pauvre', rongées, inégales et lorabaoten ruines. XXXVI. Quelle est donc la raison qui fait qu'en public on ne s'offense pas de ce qui choque au logis? C'est qu'on porte là des habitudes douces et tolérantes; chez soi, chagrines et querelleuses. H faut diriger, il faut fortifier tous nos sens. Leur nature est d'être patients : si l'âme cherche à les corrompre, il faut tous les jours l'appeler a rendre compte. Ainsi faisait Sexlius : sa journée termi- née , au moment de se livrer au repos de la nuit, il interrogeait son âme : De quel défaut t'es-tu, aujourd'hui, guérie: quel vice as-tu combattu? En quoi es-tu devenue meilleure? La colère s'a- paisera et deviendra plus modérée quaud elle saura qu'elle devra tous les jours comparaître devant un juge. Quoi de plus beau que celle ha- bitude de faire l'enquête de toute sa journée? Quel sommeil que celui qui succède "a celte revue de ses actions ! Qu'il est calme , profond et libre , * On appelait iHsutœ les maUons habitées par plnsietirs f.^- milles , parce qu'elles étaient séparées des aiitrrs lialiitaiiuiis. concupiïit. Quod vinculum amoris cssc debebat, sedl- tionis atqiic odii causa csl, idem velle. XXXV. lier aiigustiim rixas transeuiitiuni eoiicitat ; diffusa et latc patens via ne populos quideni collidil. Ista quw appclilis, quia exigui sunt, necpossuutad alleruin, nisi alteri creptn , traiL^ferri : ciidcm atfccianlibus pug- nani et jnrgia excitant. Respondisse tibi seivuin indigna- ris liberluiiique et uxon m , et clicnleni ; deinde idem de republica lilierlalein sublatani quirens , (juani domi sus- tnlisli. Kui-sus si tacuit inteiTogalus, coiituniaclani vo- cas. Kl loqiiatur, et laceat . et rideat! Cor«m domino? iiiquis; inuiio coram patrefamilias. Quid clamas ?quid vocifcrari»? quid ll,igcll;i média cœna jjelis, quod servi locpimilur, quod non eodeui loco turba coucionis est, et sileuliurn solitudinis? In hoc babcs aures, ut nou uisi modulata cantonal et mollia, et ex dulci tracta conipo- sllanue r.ccipianf:' Et risuin audias erius admoiiuisli, quani debebas; ilaqiie non enien- dasti, sed offendsli : de celcro ^ide, nnn lanlum, an vemm sit quod dicis, sfd an illc, cni dicilur, vcri pa- Urns sil. XXXVII. Admoneri l)onus gaudct : pcssimus quisqnc correptorrni asperrimc palitiir. In convivio oiioninidain l te sale», elin dolorem tunni jacta Tcrba IctiRoruiit? vl- ! lare viilgares convictus memcnlo : solulinr est pnsl tI- uum licentia , quia ne sobriis quidem pudor est. Iratuni vidisli amicum liium ostiario caiisidici alicujiis, aiil di- vilis, quod in'ranlem siibiiioverat : cl ipse pro illo iratiis exiremo iR&Dcipio fuisli. Iriisecri» crgo catenario cini ? et hicquuni multuni lalr.vii, objcclo cil)0 mausucscit; recède luugius , cl ride. Nunc Isle alii(ncni se pulat , qiiod cuslodit liligaloruiu turba liiucn obsessum . nunc ille qui intra Jacet, felix forlunalusque est , et lioati honiinis judicat ac potcnlis indicium , diflicilcm jnnuani ; ncscit durissiniuni esse ostium carccris. Pra^sume aiiinio, niulla esse tibi paliemla. ^uiuquis se bienie algere nii- ratur?uuniquis in loari nauseare, in via concuti / Fortis est aninnis , ad qux pra'paratus vcnlt. Minus lionuralo loco positus, iiasci cuppisli convivalori, vocatori , ipst qui tibi pra'ferebalur. Dcraens, quid inlerest, quaui lecli prenias partcni ? honcslioreiii te aut tiirpiorcm po- test faccrc pulvinus? Non a'i ali(|ucin duci jtibeas, ulii Ciesar est? XLI. Si cui tanluni potenlix* est, ut irani ei superlori loco aggrrdi possit, niali- traclrt : at taleiii dunilaiat, qualcni nicxlo retuli, fcram , iiDiiianem, sangulnariaiii , (|ua' jain insanabilis rsl , nisi inajus aliipiid rtlinuiit. Paceni demus aiiiino , quam dahit pnrceploruru saluLi- rium assidua meditailo, actusquc reriini boni, et iiitenla inensadunius lionesticupidilateni. Couscicnlie satis flat : nil in raniam laborenius : sequnlar vel niala, duni bene iiicrenles. n At Tulgus animosa iiiiialur, et audaces lu honore «ont : placidi pro inertibus babenlur. » Primo Torsitan aspeclii : scd simul ac a'qiiaiilas vil-e fideni fa- cit, non legnitiem illaiu aniuii esse , sid paccni , venora- tur idem illos populus colilque. Mhil ergo lial)et in se atilc teter ille et hostilis afficlus; at onuiia e contrario oiala , fcrrum , ignés : pudore caicalo, cacdibus inquiua- vit manus, niembra liberorum dispersit. ÎSihil varuum reliquita scelere, non ploriic nicnior, non infaniia'ine- luens, ineniiiidabilis quuni ex ira in odiuui occallnit. XLII. Carennius boc nialo, purgeniusque nienleni , et eïstirpemus radicilus ea viiia, qux quainvis leniiia undecunque exierini, renascenlur : el irani non lenipc- renius , sed ex tuto removcanjus : quod enini niala' ni tem(,eranii'nlunie,st?|H)lcriinus autem, adnilaniin' modo. ÎN'ec ulla rcs niagis proderît , quant cogitatinniurliditalis; silii quisque , ut altcri , dirat : ■ Quid juvat , laiK|ii,'iiii in a'iernoni (»etii:os iras iudicere, et brevis.siniani ada- lein dissipare? quid Juvat, dirs (|Uos in vciluplatini iio- neslain iiU|H'ndert.' Iicet , in dcdorini alirujus loruien- tunique Iransfcrre ? • Mou cipiiuit res islie jacliiraiii, nec tenipus vacat perdere. (juid ruinius in pugnani ' quid cerLnniina uobis arccssiruus.' quid indiorillilatis oli- lili, ingeulia odia suscipinius, el ad rrancendiiiii Ir. giles consurciniiis 'I Jani istis ininiiciliiis , quas iiiqilacabili gcrinius aniuin, febrisaut aliud nialurn corpoiis velaliit péri ; jani par aci'rrinuun média mors dirimit. Quid Uimulluamur, et vitani sidiliosi conlurbauius? statsiqter capul fatum, et i)ereunles dics imputai, propiusque ac 64 XLIII. Pourquoi nejias plutôt ramasser toutes les heures de ta courte existence, et le la faire paisible pour loi et pour les autres? Pourquoi ue pas plutôt le faire aimer pendant ta vie et regretter après la mort? Pourquoi vouloir renverser cet homrae qui te traite de trop haut? Pourquoi cher- cher à effrayer de tes forces cet autre qui aboie après toi, qui, vil et méprisé, importune, harcèle ses supérieurs. Pourquoi l'emporter contre ton esclave, contre ton maître, contre Ion patron, contre ton client? Patiente un moment : voici venir la mort qui nous fait tous égaux. Souvent, dans les représentati(ms matinales de l'arène, nous nous amusons aux combats de l'ours etdu taureau, enchaînés ensemble : ils se déchirent l'un l'autre, et celui qui doit les achever est Ta qni les attend. Ainsi faisons-nous : nous tourmen- tons celui qui partage notre chaîne, tandis qu'une même fin menace et vainqueurs et vaincus, peut- Ctre au premier malin. Ah! plutôt, passons dans le repos et la paix le peu de jours qui nous res- tent. Que personne ne jette un regard de haine sur notre cadavre. Plus d'une querelle s'est inter- rompue aux cris des incendiés du voisinage, et l'apparition d'une bête féroce a séparé le voyageur | niorl est Ta. SËNÈQUE. et le brigand. On n'a pas le loisir de lutter contre un moindre mal , lorsque domine une terreur plus grande. Qu'as-tu à faire de combats et d'embû- ches? Ta colère peut-elle souhaiter 'a un ennemi rien de plus que la mort? Reste tranquille; il mourra toujours : tu perds ta peine a vouloir faire ce qui doit arriver. « Je ne veus pas, dis- tu, précisément le tuer, mais le condamner "a l'exil, au déshonneur, "a la ruine. » Je pardonne plutôt de désirer "a un ennemi la mort, que la dé- portation; car c'est non-seulemenl d'un cœur méchant, mais lâche. Soit que lu songes aux der- niers supplices , ou 'a des peines plus légères , vois combien sont courtes les heures où lui il souffrira de sa douleur, où toi lu trouveras un plaisir coupable dans la douleur d'autrui. Notre souffle s'exhale "a mesure que nous respirons. Tant que nous nous trouvons parmi les hommes , respec- tons l'humanité : ne soyons pour personne une cause de crainte ni de péril ; méprisons les pertes, les injures, les outrages, les médisances, et sup- portons avec grandeur d'âme des ennuis passa- gers. Nous n'avons pas regardé derrière nous, et, comme on dit, tourné la tôle, que déj'a la propius accedit. Istiid tenipus , qiiod aliéna; destiuas morli , forlasse ciica tuam est. XMII. Quin potius \ilam l)revem colligis , placidam- que et tibi et céleris prastas? quin potius amabilem le , (luni vivis, omnibus, desiderabilcni , quuin eîcesseris , reddis? Et quid illum , niiiiis ex alto tecum apentera , detralieie cupis ? quid illum oblalrantem libi, huniileni quidem etcoutemlum, sed superioiibus acidum ac mo- leslum, cxteiTerc viiilius luis lentiis? Quid scrvo, quid domino, quid régi, quid clienti tuo inisceiis? sustiiie paulum; venit ecce mors, qua; nos parcs facial. Uidere solemus inler nialulina arena; speclacula, tauri el ursi pugnam iulersecolligalorum : quns, quum aller altcrum Texarit, suiis confcctor cxspectat. Idem facimus; ali- quem uobiscum alligatum lacessinius : quum victo vie- torique finis, et quidem matutinus, immineat. Quieii potius, paeatique , quantulunicunque superest, cxiga- inus; nuUi cadaver nostrum jaceat invisum. Sa'pe risam coûclamalum in vicino incendium solvit, et interventus fera; latronem viatoremque didncit. Collactari cam mi- noribus malis non vacat, ubi melus major appaniit. Quid nobis cum dimicatione et insidiis? numquid ani- plius isli , cui irasceris, quam morlem optas? etiam te quiescente morietur; perdis operam ; facere vis, quod fulurum est. « Noio, inquis , ulique occidere, sed exsi- lio , sed iguominia, sed damno afGcere. » Magis ig- nosro ci , qui vulnus ininiici , quam qui insulam concn- piscit ; liic enini non tanlum mali animi est , sed pusilli. Sive de ultimis suppliciis cogitas , sive de levioribus , quanlulum est temporis . quo aut ille pœna sua torquea- tur , aut lu malum gaudium ex aliéna percipias ? Jani ipsum spirilum etspuimus, intérim dum Irahimus. Dum iiiter hiimines simnis, colamus liumanitatera : non ti- mori cuiquam , non periculo simus : delrimenta , inju- rias, concilia, vellicationes contemnamus, et magoo animo brevia feramus incommoda. Dum respicimus, quod aiunt , versamusque nos , jam mor;alitas ader((. 080SS8S86SSSS8t }S8SS8S8eSfôSSS8S8C8SSS3839 CONSOLATION A HELVIA. I. Souvent déjà, ma bonne mère, je me suis pris du zèle de te consoler, souvent je me suis retenu. Bien des choses m'encourageaient à l'o- ser. D'abord il me semblait que Je devais me dé- charger de tous mes ennuis, si je pouvais, si- non arrêter le cours de tes larmes , du moins les essuyer un instant : ensuite, je ne Taisais point de doute que j'aurais plus de droits 'a réveiller ton âme, si, le premier, je secouais ma léthargie; enfin je craignais que , ne triomphant pas de la Torlune, elle ne triomphât de quelqu'un des miens. Aussi , je voulais de toutes mes forces, mettant la main sur mes plaies , me traîner jusqu'aux tiennes pour les fermer. Mais d'autres choses venaient m'arrô- l«r dans mon projet. Je savais qu'il ne fallait pas heurter de front la douleur dans la violence de son premier accès ; les consolations n'eussent fait que l'irriter et l'accroître : de même , pour les mala- dies du corps, rien n'est plus dangereux qu'un remède prématuré. J'attendais donc que ta dou- leur épuisât ses forces clle-môrae , et que, prépa- rée par le retard "a supporter un traitement , elle permît de palper et soigner sa blessure. D'ailleurs, en relisant les grandes leçons que nous ont léguées les plus illustres génies sur les moyens de maîtri- ser et de corriger la tristesse, je ne trouvais pas l'exemple d'un homme qui eût consolé les siens, lui-même étant pour eux une cause de larmes. Dans cette alternative nouvelle, j'hésitais , je crai- gnais (]uc ce ne fût moins consoler que déchirer ton âme. Quoi donc'? ne fallait-il pas des expres- sions neuves, et qui n'eussent rien de commun aven les propos journaliers du vulgaire , à celui qui, pour consiiier les siens , soulevait sa tète de dessus le bûcher? Or, il est bien naturel que la grandeur d'une peine qui déjwsse la mesure interdise le choix des paroles , lorsque souvent même elle étouffe la voix. Je vais essayer de mon mieux de me faire t(m consolateur, non pas que j'aie coii- Ûancc dans mes talents, mais parce que je puis CONSOLATIO AD HELVIAM. I. Sappe jam , maler optima , inipctum cepi consniandi le, saîpe continui. Ui audercm, multa me inipellebant : priinnm , videbar depositurus omnia incommoda , qnum lacryma» tuas, eliamsi snpprimerc non potuissem , inté- rim certe abstrrsisseni ; deinde, plus habituruni meauc- (oritatis non dubitabam ad eiclL-indam te, si prior ipsc consnrrcxissem; prœtcrea timebam , ne a me non vicia Fortnna aliquem meorum niucerel.llaqueulnnnquc co- nabar, manu super pla|;ara meam imposila , ad obliganda TDlnera vestra reptare. Hoc propositum meum crant rur- fos qua» rclardaronl. Dolori luo, dura recens sa'viret, Micbam occurrendum doo esse, ne illum ipsa solatia ir- rilarent, et accendercnl ; nam iii morbisqunque niliilcst pcruiciosius, quam iuimalura niedicim. KxspccUiliaiii iUique ditin ipsc vires suas frangcrci, ot ad suslini'nda remédia niora tiiilig.ntus, langi se ne Iraclari palorelur. l'ia'terea . quiim onmia clarls^imdrum ingeiiioiuiii imi- numenta ad compesccmios modcrandosque liictus coin- posila cïolvercm , non inrcniebam eseiiiplum ejiis , qui consolaliis suos essel, qiium ipsc ab illis coinploraretiir. lia in re nova b.Tsiial)aMi, vei-clrirqnc, ne ha'C non consolalio , sed eiulreralio c.ssel. Qiiid (|Uod novis verhis, ure ex ïuleari etqiiolidiaiia sunilisallocutione, opus erat bomiiii ad consolindos suos ex ipso rORO caput alUvauli '! [ O.nnis aiitein magniliido doloris inoiioni cxccdeiilis ue- I cesse est dilectum verboruni eiipiat, quum sa;pe voccm j quoque ipsam intcrcludal. Ulcumqtie connilar.non lidii- flS SENÈQUE. itre pour loi la consolation la plus efDcace. 0 toi, qui ne sais rien nie refuser, tu no me refuseras pas, je l'espère (bien que tout ciiagrin soit rebelle) , d'imposer un terme h tes regrets! II. Vois combien je me promets de ta bonté. Je nliésile pis h me croire plus puissant sur toi (|ue la douleur, qui est toute puissante sur les malheureux. Aussi, loin d'entrer brusquement en lice avec clic, je veux d'abord plaider pour elle, et lui fournir un aliment : je révélerai toutes ses causes, je rouvrirai toutes ses cicatrices, o Etrange manière de consoler, dira-l-on , que de rappeler les peines oubliées ; que de placer le cœur en pré- sence do toutes ses amertumes, quand il sait "a peine en supporter une seule! » Mais que l'on rédéchisse que des maux, assez dangereux pour s'accroître malgré les remèdes , se guérissent sou- vent par des remèdes contraires. Je vais donc environner t'a douleur de tout son deuil , de tout son appareil lugubre; ce ne sera pas traiter avec des calmants, mais avec le fer cl le feu. Qu'y gagnerai-je? Que tu rougisses, après avoir triom- phé de tant de misères , de ne savoir endurer une seule plaie sur un corps tout couvert de cicatri- ces. Laissons les pleurs et les éternels gémisse- ments à ceux dont les âmes faibles, et énervées par une longue félicité, s'abattent à la moindre secousse qui vient les atteindre : mais que ceux dont toutes les années se sont écoulées dans les calamités supportent les plus grandes peines avec une constance ferme et inébranlable. La conli- nuité de l'infortune a cela de bon que, tourmen- tant sans relâche, elle Onit par endurcir. Le des- tin ne te donna pas un jour sur lequel il n'ait fait peser le malheur : il n'excepta pas mCme cdai de ta naissance. Tu perdis la mère , 'a peine ve- nue, ou plutôt venant au monde, et tu fus en quelque sorte jetée dans la vie. Tu grandis sous une marâtre; et par toutes les complaisances, toute la tendresse qu'on peut rencontrer dans sa propre (ille, tu la forças a devenir mère : ce- pendant il n'est personne qui n'ait paye cher même une bonne marâtre. Ton oncle, qui te chérissait tant , homme plein de vertu et de courage, à l'heure où lu attendais sa venue, ta le perdis. Et, comme si la fortune eût craint de le frapper moins fort en divisant ses coups, trente jours après tu portais "a la tombe un épouï tendrement aimé , qui t'avait rendue mère de trois enfants. Pleurante, on vint l'annoncer un nouveau sujet de pleurs , dans l'absence de tous les lils : il semblait que tous les maux eussent conjuré de fondre ensemble sur loi , pour ne le pas laisser où reposer ta douleur. Je passe tant de dangers, tant de craintes dont tu supportas les assauts qui se succédaient sans intervalles. Na- guère, sur le même sein que les trois pelils-flls venaient de quitter, lu recueillais les ossements de tes trois petits-lils. Vingt jours après avoir en- seveli mon enfant, mort dans tes bras et sous les baisers, tu apprends cpie je te suis ravi. Hélas , il te manquait encore de porter le deuil des vivants 1 111. La plus grave de toutes les blessures qui jamais aient frappé ton sein , c'est la dernière , je l'avoue : elle n'a pas seulement déchiré l'cpi- derme ; elle a plonge au milieu de ton cœur el de c'ia ingenii , sed quia possum inst.nr eflicacissima; conso- Ijtionis esse cODSolatoi-. Cui nihil ncsjares, Imic hoc uti- (|ne le non esse negaturam ( llcct onmis niœror conlumax sit) spero, ut desiderio tuo velis a me niodmn statui. 11. Vide quantum de indulgeu:ia lua proiiiiscrim iiiihi : potenliorem me fulurum apud le non dubil», qiiam do- lorein tuum, quo nihil est apud miseros pirontius. Ita- que ne slaliin cum eo concurram , adeo pniis iili , el qui- lius exciletur, ingerani ; oninia pioleram , et rescindam qua; jani obUncla sunt. Dicet aliquis : « Quod hoc genus est consolanili , ol>lilerata nuila revocare , et animiuii in omnium asrumuarum suaiuni conspectu collocare , vis unius palienlem? » Sed is cogitet , qua'cumque us- que eo perniciosa sunt, iit contra leinedium convaluerint, plerumqueconUariiscurari. Omnes itaque luctus illisuos, omnia lugul)ria adinovelio : hoe erit , non molli via nie- deri, sed urere ac secare. Quid consequar? ut pudeat animum, tôt miseriarum victorcm, a>gie ferre unum vulnus in corpore tani eicalricosu. Flcant itaque diulius et gemant, quorum delicatas mentes enervavil longa fé- licitas, et ad levissiinarum injuriarum motus coUabau- tur : at quorum omues anni pcr calaraitiites tran^ierunl, gravissima quoqueforli et iimnobili constantia perferant. Unum ballet assidua inrelicilas tx>num, quod quos sappe vexât, Dovissime indurat. ÏSullaratibiforlunaTacationem dédit a gravlssimis luctibus ; ne natalem quidem tuum cxcepit. Anilsisti matrem statiin nata, inimo dura nasce- reris , et ad vitam quodaniniodo exposita es Crevisli sub noverca, quain lu quidem omni obsequio et pietate, quanta Tel in fdia conspici polest, nialrem lleri coegisti; nulli tamen non magno constitit et bona noverea. Avun- eulnm indulgentissimum, optimum ac forti.-simum \i- rum, quuni advenlum ejus exspectares, amisisti. Et De si'ïitiam suam fortuna leviorcui diducendo faceret, iutra ti'icesimum diem , carissimum virum tuum , ex quo ma- ter triuni liberorum eras , extulisli. Lugenti libi luctus nuntialus est, onuiibus quidem absentibus liberis; quasi de industria in id tempus conjeclis malis tuis, ut nihil esset ubi se dolor tiius reclinaret. Transeo tôt pcricula , tôt melus, l'iuos sine intenallo in te incursanles pertu- lisli : modo in eumdem sinum , ex quo très nepotes emi- s;r.s, ossa triuni nepolum reeepisii. Inlra vicesiuum diem , quant iîlium meum in maaibus et iu osculis luis mortuuni funeraveras , raptum me audisti t hoc adhuc dcfuerat tibi , Ingère vivos. III. Gravisslmnm est ex omnibus, qua? nnquara ia CONSOLATION A IIELVIA. o: tes entrailles. Mais de même que des soldais no- | que les autres le diront de moi : c'est iiioi qui vices jettent les hauts cris a la pins légère blés sure, redoutant moins le glaive que la raain du médecin, tandis que dos vétérans, bien que tra- versés de part en part, s'offrent patiemment et sans gémir au tranchant du fer, comme s'il s'a- gissait du corps d'un autre : ainsi tu dois aujour- d'hui le prêter avec courage à l'opération. Loin de loi les sanglots, les lamcn talions , toutes les clameurs tumultueuses que d'ordinaire fait éclater la douleur d'une femme. Car lu as perdu tout le prolit de tant de maux , si lu n'as pas appris en- core 'a être malheureuse. Eli bien I trouves- lu que je le traite d'une main timide? Je n'ai rien retran- ché de tes maux , je les ai tous accumulés sous tes yeux : je l'ai fait bravement , résolument ; car je prétends triompher de la douleur, et non la cir- conscrire. IV. Et j'en triompherai , je l'espère, si d'abord je te montre que je ne souffre rien qui puisse me faire tenir pour malheureux, loin que je doive rendre malheureux ceux qui me touchent de près; si, parlant ensuite de toi , je te prouve que ton sort n'est pas non plus déplorable, puisqu'il dépend entièrement du mien. Je te dirai d'abord ce que Ion amour est empressé d'enlendre, que je n'é- prouve aucun mal. Si je ne puis t'en convaincre, je le démontrerai jusqu"a l'évidence que les pei- nes dont lu me crois accablé ne sont pas intolé- rables. Qne si lu ne peux le croire, j'aurai d'au- tant plus sujet de m'npplaudir, n)oi qni trouverai le bonheur au milieu des choses qui font d'ordi- uaire le malheur des hommes. Ne crois pas ce pour l'épargner d'être troublée par des 'opinions incertaines, te déclare que je ne suis point mal- heureux. J'ajouterai, pour te tranquilliser plus encore, que je ne peux pas même devenir nuil- heureux. V. Tous nous sommes nés pour le bonheur, si nous ne sortons pas de noire condition. La nniti:.' a voulu que, pour vivre houreiiscnit'nt, il ne soit pas besoin d'un grand appareil : chacun peut sj faire sa félicité. Les choses du hasard ont peu di' poids, et ne sauraient réagir puissamment dans l'un ou l'autre sens : la prospérité n'élève pas Te sage, l'adversité ne peut l'abattre. Car il a travaillé sans cesse à entasser le plus qu'il pouvait en lui- même, "a chercher en lui-même toute sa joie. Eh quoi! Veux-je dire que je sois sage? Non sans doute. Si je pouvais m'en vanter, non-seulement je nierais que je sois mallieureu.x, mais je me proclamerais le plus fortuné des hommes; je se- rais pres(|ue l'égal des dieux. Jusi|u'à présent, et cela suffit pour adoucir tous mes ennuis, je n'ai rien fait que ii;e remettre aux mains des sages : encore trop faible pour me défendre moi-même , j'ai cherché refuge dans un camp de soldats aguer- ris, protégeant sans peine leur personne et leurs biens. Ce sont eux qui m'ont ordonné d'être sans cesse debout, comme en sentinelle, et de prévoii' de loin toutes les entreprises, tous les assauts de la fortune, longtemps avant ses attaques. Elle ac- cable ceux pour qui elle est imprévue : celui qui veille toujours lui résiste sans peine. Ainsi, la vc nue de l'ennemi renverse ceu\ qu'il prend au corpus lunm desconrfcrunt , rrccns Tulniis ; faicor; non tumiiiani cutein riipit, pccliis el vi-cera ipsa iliTisit. Scd (jueniadniodum tirones loitersaucii tainra vocirerantur, et innnas nic-dicorum magis, qnam fiTriiin liorrcnt, at Teterani quamws confossi patienter ac sine gemilii, ve- ]ut aliéna corpora , eisccari paliiintur; ila lu nunc délies te fortitcr pr.Tbcre curalioni. Lameutationes qiiidem il iilulatus, el alla ptr qua: fcre niulicbri.'i dolor luniultii:ilur, ainove : perdidisli eniin lot mata , si noiiduni misera esse didicisli. Ecquid videor tecum liinidc cgisso? nil tilii cukduii CI nialli luis , sed iimnia eoaciTval;! nntc te po- soi. Magno id animo teci ; constilui euim tinccre dulu- reni taum , non circumscrit)ere. IV. X'incam autem, puto: primiim, si ostendcro niliil me pâli, pPDplerquod possimdici miser, neduni pnipler qood miscrosetiam, qiios con incn, faciam ; dciiide, >i Dd le traosicro, cl pmbavero, ne tnaiii qiiideni gravem esse rortunam , quae tola e\ mea peiidel. Hoc priiis .1^;- (ireiliar, quod pietas liia aiidirc geslil, nlliil niali rsve milii : s! polero , ipsas rcs qiiibiis me pnlas preiiii , non esse inloleraliile», faciam manirestum. Sin iil credi non poluerit , al ego milii ipsc magis placebo, quod iiiler cas rc» lieatus ero , qua; miscroi soient faccrc. ISon est quod de me aliiscredas : ipse tibi , ne quiil inccrtis opininni- bus perturberis, indico me non esse niiserum. Adjiciam, quo securior sis, nec (leri qnidem |X)s.se njiseruin. V. Bona conditione genili snmus, si cam non dese- ruerimus. Id egit rerum nalura , ul ad bcnc vivenduni non niagno apparatu opus essct : ulius cjuisquc f iccrc so beatum polcsi. Levé nionienlum in adventiiii rclius esl, et quod in neutr,;m parlerii magnas vires habeat ; née se- cun(ta sapienleni evehunt, uecadversa demillunl. Lalxi- ravil eni n seniper, ul in se pluritnuin ponerel , iiilra si^ oninc gandium pelerel. Quid ergo? siipientein me essi: dico? minime; nam id quidem si profilcri posseni, n p:i tintum negarera niiserum nie esse, sed omnium lorlnna- tissimum, el in vicinum Dco perducimn pr.Tdieareiii. Nune, quod salis est ad oiiines niiserias Ipiiicnd.is , sa pienlibns viris nie dedi, el noiiduiii in ,'iuiiiliuiii mei vn- lidiis , in aliéna cislra eonfiigi , eornm scilieet , qui f.ieile se el sua luenlnr. ll'.i me jusserutil slare assidue vclul in pra-sidio posi!iuii,el omni's ton iliis forlun.e , el oinncs impelus prospiceremnlio autc (iii.ini iucurrniit. lllis gra- vis C3l,(|uibHs est repcnlina; liiiile e.inr siislinol, qui seniper essprr:,-;!. Nam et lioslinni advenlus eus prosler- nil , our les études libérales , ceux-là par les spectacles; quel- ques-uns y sont attirés par l'amitié, quelques autres par leur activité, qui trouve un vaste théâ- tre pour montrer ce qu'elle vaut ; quelques-uns y apportent leur beauté vénale, quelques autres leur vénale éloquence. Il n'y a pas une seule espèce d'hommes qui n'accoure dans cette ville, où l'ou taxe si haut les vertus et les vices. Ordonne que belluni paraveruiit , coinpnsili et aptali , piiniuni , qui lu- iimlluosissinius est , ictum facile excipiinit. PSunquani f'^o fortuuae credidi, etiamsi viderelm- pacem agere : (iiiinia illa , qua; in me indulpenlis.siiiic coiifeiel)at, pecu- iiiani , honores, gloriain, co loco posui, uiule posset ea sine niolu nieo repctere. Intcrvalluin iiiter illa et me magnum liabui; itaque abslulit illa, non avul^it. INemi- iiem adversa forluiia comn'iinuil , nisi (]ucni secunda de- cepil. lUi qui nmueia ejus velnt sua et perpétua ania- \erunt , qui se propter illa suspici voluerunt , jacenl et jurèrent , quum vanos et puériles auinios, oninis solida," \oluplalis ignares, falsa et molnlia olilectamcuta desti- tuiiut. At ille qui sela'lis rébus non inflavit, uec miitatis coiitraliit, adversus utruniquc statum invictum animuni tenet, esplorata; jani firniitatis; nani in ipsa felicitate, quid contra infelicitateni valeret, expertus est. Itaque ego in illis quifoinnes optant, eîislimavi semper, niliil *eri boni inesse: quin inania et specioso ac deceplnio furo clrcumlita inveni, inlra niliil babcntia fronti sua- si- niile. Nani in illis qu;e mala vocanlnr, niliil tani lerribile 'ic duruin invenio, qiiain cpinio vnlgi minabatur; verbuni qui'Jeni ipsum, persuasione quadam et consensu jam as- jiiii'ius ad aurcs venit, et audientes tanquani triste et cx- sccrabile ferit : lia eulni popiilus jussit : sed populi scitn CI magna parte sapienies abrogant. \ I. Ilcnioto igiturjndicioplnrium.quos prima reruni faciès, ulcumqne crédita e»t,aulert, videanius quid sit eiisiliuni ; nempe loci coraniutatio est. Anguslare videor ïijn ejus, etquidqnidpessimuin in se liabet , sublrahere : banc conimntationem loci sequuntur incommoda, pau- perlas, ignominia , conteinliis. Adversus i.'ila pnstea con- lligam ; intérim prinium diud iulueri voie, quid acerl)i alferatipsa loci commniatlo. • Carere palria , intolerabile est. » .4spice ageduni banc frequentiam , cui vii urbis iiiiniensa tecta sufiiciuut. Maiima pars itlius turbx patria caret; ex raunicipiis et coloniis suis, ex toto denique ortie terrarum cuniluxerunt. Alios adducit ambilio , alios nécessitas oflicii publici , alios imposila legalio , alios luxu- ria , opulenluin et opporlunum vitiis locum quaTens : alios liberalium studiorum cupiditas, alios spectacula : quos- dain traxilamicilia, quosdamiiidtistria,latamnstendendae >irtnli nacta niateriam : quidam venalem forniam attule runt, quidam venalein eloquentlam. Nullumnon bomiuum genus concurrit in urliem , et virtutibus et vitiis magna prw- lia punentem. Jubeomnes istosad nomen citari, et, uode donio qnisqiie sit , (juxre : videbis majoi-em pariem esse. CONSOLATION A IIELVIA. ei Ions ces gens soient appelés par leur nom , et de- mande à chacun de quelle famille il sort : lu ver- ras que la plupart ont délaissé leur demeure pour venir dans la cité, la plus grande et la plus belle sans doute, mais qui, cependant, n'est pas leurciic. Maintenant, quitte cette ville, qui peut en quelque sorte cire nommée la patrie commune : parcse ils marchent et passent d'un lieu dans un autre : bien qu'ils roulent avec l'univers, toutefois ils gravitent en sens contraire; ils traversent successivement tous lis signes, et toujwirs ils se meuvent, et toujours ils voyagent. Tous les astres sont dans une révolution , dans un passage continuels , et , comme l'a commando l'impérieuse loi de la nature, dans un continuel mouvement de translation. Quand ils auront par- couru leurs sphères, après le nombre d'années qu'elle a fixé, ils reprendront la route (|u'ilsont déjà suivie. Eh bien! maintenant, crois-tu quo lame humaine , formée de la même substance «luo les choses divines, supporte h regret les voyages et les émigrations, tandis que lu divine naluro trouve dans un changement perpétuel et rapide, son plaisir cl sa conservation. Mais quitte un peu le ciel, et reviens sur la terre; tu verras que les peuples , que les nations ont changé de patrie. Que vculenl dire ces villes grec- ques au milieu des pays barbares , et cetlo langue de Macédoine, parlée entre llndcet la l'erse? La Scylhie et toute celte contrée de nations farouches et indompté-es nous montrent des cités achécnnes Iwlies sur les rivages du Pont. Ni les rigueurs d'un éternel hiver, ni les mœurs des habitants, aussi sauvages que leur climat , n'ont empêché le principe de son origine. Elle n'est i>as formée . qu'on y transporlàl sa demeure. L'Asie csl pleins qiix reiiclis sedibus suis, vencrit io maiimam qtiidem ac piiU'lK'rriiii im url)em, non tamen suani. Deinde ab hac civiiate dbcede, qua> velut commuais patria potcst dici : omiies urlics circumi ; aulla dou niagnam partem perc- grino; multiludinis habel. ?eris , si prininm ejus «rigiacm ads|>eicr». Noues terreno et gravi coiictctn corporc; eï illocœlesli spiritu descendit; coclcstiuni an- teui natura semper in motu estifugit, et vcincissimo cursu agitur. Adspico sidéra ninnduni illustrantia : nul- lum eorum perslat ; labilur assidue , et lonmi e\ lorn nm- tat:quamviscum univers» verlatur, inconirarium nibilii- minus ipsi mundo refertur ; pcr onmes signorum partes discurrit; perpétua ejus agitatio, et aliuudc alio com- migratio est. Omnia volvuntur semper, in transilu sunt, et ut let et naturx nécessitas ordina\it, aliuode alio de Terunlur. Quum per certa annorum spatia orl>e$ suos explicuerint, itcrum ilHint per qua; vénérant. I uunc, et animuin humanum , ex iisdem quibus divina constant cnmposilum seniinil)us , moleste ferre puta trnnsitum aa niigratiiinem ; quum Dci natura assidua et citatissima conuuutatione, vei deicctet se, vel conservct. A orlcsti- bus, agedum, te ad bumana convertcl Videl)is gente» populu.sque mutasse sedim. Quid sibi volunt in médis Bariraronim regionibus (Ira-ca; orties? quid intcr Iridos Persasque Macedonicus sernio? ScvHiiael lotus ille fera- rnra indomitarumqne gentium Iraclus civilalcs Acbaim Ponticis inii'osiliis liloribus osteiitnt. Non p:T|)elua' bi«- niis sa-ïilia, non liominuni ingeni.i, ad simililudincm ca^i sui borreutia, Iramfcrenlibus donms suas oliMilj- 70 d'Athéniens : Milct a dislribué des ciloycns a soixante-quinze villes diverses. Toute la côte do •'Italie, baignée pir la mer inférieure, fut la Grande-Grèce. L'Asie revendique les Toscans ; les Tyriens habitent l'Afrique ; les Carthaginois, l'Es- pagne ; les Grecs sesont introduits dans la Gaule, les Gaulois dans la Grèce ; les Pyrénées ne fermè- rent pas la route aux Germains : la mobilité hu- maine fut promenée au travers de solitudes impra- ticables et inconnues. Ces nations traînaient après elles leurs enfants, leurs femmes, leurs pères ap- pesantis par l'âge. Les unes, après s'être égarées dans de longs détours , ne décidèrent pas le choix deleurs demeures ; mais s'arrêtèrent par lassitude au plus prochain rivage; d'autres se sont rendues maîtresses, par les armes , d'une plage étrangère ; quelques peuples, naviguant vers des terres incon- nues, furent engloutis par l'abîme; quelques au- tres se fixèrent sur les bords où les déposa le man- que du nécessaire. Tous n'avaient pas non plus les mêmes raisons d'abandonner et de chercher une patrie. Les uns, après la ruine de leurs cités, échappés au fer de l'ennemi , furent jetés sur la rive étrangère , dépouillés de leurs domaines : d'autres se virent éloignés par des séditions do- mestiques; d'autres émigrèrent pour soulager leurs villes chargées d'une population exubé- rante ; d'autres furent chassés par la peste , par les fréquents déchirements du sol, par quelque in- supportable fléau d'une région malheureuse ; d'au- tres furent séduits par le renom d'une plage fer- tile et trop vantée; tous enfin ont été poussés hors de chez eux par des causes diverses. Il est mani- feste que rien ne reste à la place où il a vu la lu- SÉNÈQUE. mière : le genre humain va et vient sans cesse : chaque jour voit changer quelque chose dans ce vaste univers. On jette les fondements de villes nouvelles; de nouvelles nations apparaissent, quand les anciennes meurent ou changent de nom, incorporées "a des peuples vainqueurs. Toutes ces translations de peuples sont-elles autre chose auc des exils publics"? VII. ^îais pourquoi te mener par un si long détour? Faut-il te citer Anténor, qui bàfit Pata- vium; Évandre, qui, sur la rive du Tibre, plaça le royaume des Arcadiens; et Dioraède, et tous les autres que la guerre de Troie, vainqueurs et vaincus, dispersaità la fois sur des contrées étran- gères? L'empire romain a pour fondateur ifu exilé, qui, fuyant sa patrie conquise et traînant après lui quelques faibles débris, à la recherche d'un lointain asile, fut poussé par la nécessité et la crainte du vainqueur sur les côtes de l'Italie. Et plus tard , combien de colonies ce peuple n'en- voya-l-il pas dans toutes les provinces? Partout où Rome a vaincu, elle a pris domicile: ses (ils s'enrôlaient volontiers pour ces changements de pairie, et, quittant ses autels domestiques, le vieillard, devenu colon, suivait ses fils au-del'a des mers. VIII. Mou sujet ne demande pas plus d'exem- ples; il en est un cependant que j'ajouterai, parce qu'il se présente sous mes yeux. Cette île même a déj'a souvent changé d'habitants. Pour ne pas remonter aux âges que le temps couvre de son voile, quittant la PhociJe, les Grecs qui mainte- nant habitent Marseille s'établirent d'abord dans celte île. Qui les eu a chassés? on l'ignore : est-ce rimt. Allieniensis in Asia turba est : i'ilclus lAXV ur- hiurn populuiii in (iivorsa cfRidit : totum Italiaî la'us, quod infero mari atiuitnr, major Grœcia fuit. Tiiscos Asia sibi \lnclicat: Tyrii Afiicam inrokint ; llispaiiiam Pœni : Grœci se in Galliain imniiserunt, in Grasciam Galli : PyreniPus Gernianonim transiUis non inhibuit : pcr invia, per incognita vcrsavit se humana levilas. Libems conjugcs(|ne , et graves .senio parentes Iraxerunt. Alii limgo errore jaclali, non jiidicio clcgerunt locura, sed lassitudine proximum occupaverunt ; alii arniis sibi jus in aliéna terra l'ecerunt; qiiosdam génies, qnum ignola pelèrent , maie liausit; qnaïdani ilii eonscderunt , ul)i illas loruni inopia deposnit. ÎS'ec omiiibus eadeni causa relin- quendi quasicndique p;.triam fuit. Alios escidia nrbiimi suarum.boslilibusarmis clapsos, in aliéna , spolialossuis, fspulerunt : alios domeslica scdiiio subniovit : alios ni- inia superiluentis popnli frequentia , ad eionerandas vi- res, eniisit: alios peslilenlia , aut frequens lerraruni hia- tus, ant aliqna inlolcranda infelcis soi! vitia ejecerunt : ijuGsdam (ertilis uran , et in niajus laudaia' fama corru- pit : alios alla causa excivil domibus suis, lllud itiique csl inaDifesUim , nihil eodem loco mausisse , qiio gonilum est : aibiduus luiinani generis diseiu'sus est : quolidie aliquid I in lani niagno orbe inutatur. Nova urbium fundameata i jaciuntur : nova genliuui uoniiua, eulloclis prioribus, aut in accessioncni validions conversis, orluniur. Oniues autem islas pnpuloruiii IransportaUones , quid aliud, (luam piibllca cxsilia sunt ? Vil. Quid !ani longo le circnilu tralio? quid ioterest enunicrare Anicnoreni Palavii condilorcni , et Evandrum in ri|)a Tilu'Hs régna Arcaduni coltocjinleni? quid Dio- niedeni , aliosque qu, s Trojauuin l)elluni, viclos simul victonsquc , per aliénas terras dissipavit ? Komanum ini- periuni nenipe auclorem exsulein re>pjcit, qucra profu- gum , capta patria, cxiguas rcliquias Irahenleni, ueccs- siUis et victoris nielus, longin.|ua quasrenteui, iu Ilaliain dctulit. Hic deinde p,)pnlus quoi coto:iias in onines pro- vinciis misit? ubicumque vieil Koinanus , liabllal. Ad banc coiumutalioncm locoruni libcntes noniina dabaot, et reliclis aris suis trans maria sequobaturcolonus senei. VIII. Ues quideni non desidcrat pluriuni enumeratio- nem : unmn lamen adjiciaui , (juad iu oculos se ingeril. Ila'c ipsa insula SiTpe jam cuttores mulavit. Uî aniiquinra (pia; vetustas obduxit , transcam , Pbocide rclicta , Graii qui nunc Massiliani cotuut, prius m bac insula consedc- runt. Ex ipia qnid ces fugaveril, incerlum est : ntruiu CONSOLATION A HELVIA. 7< un air insalubre, Taspect rormid.ible de l'Italie , ou la violence d'une mer sans rade? On doit croire que la cause de leur départ ne fut pas la férocilo des indigènes, puisqu'ils vinrent se mêler aux peuples alors les plus barbares et les plus sauvages de la Gaule, Ensuite les Ligures descendircntdans celle île ; les Espagnols y descendirent après eux , comme l'allesle la ressemblance des usages. Les Corses ont du Cantabre le bonnet dont il couvre sa tête , sa chaussure et quelques mois de sa lan- gue; car tout leur idiome primilif s'est altéré dans le commerce des Grecs cl des Ligures. En- suite, deux colonies de citoyens romains y furent amenées, l'une par Marius, l'autre par Sylla. Tant de fois on vit changer le peuple do cette ro- che épineuse et inféconde! Enfin, c'est à grand peine que lu trouveras une terre encore habitée par ses indigènes. Toutes choses ont clé mêlées, entées l'une sur l'antre; tous les peuples se sont succédé. L'im a convoité ce que dédaignait l'au- tre : celui-ci fut banni d'où il avait chassé celui-là. Ainsi le destina voulu que rien sur la terre ne pût lixer 'a jamais la fortune. Pour endurer ces chan- gements de lieu, faisant abslraclion des autres disgrâces attachées "a l'exil, Yarron , le plus docte des Romains, pense qu'il nous suffit de jouir, par- tout où nous allons, de la même nature. Il sufQt, suivant M. Urulus, à ceux qui parlent pour l'exil, de pouvoir emporter avec eux leurs vertus. Si l'on estime que chacun de ces remèdes, pris 'a part, n'est pas une consolation souveraine contre l'exil , il faut avouer qu'employés ensemble ils ont une vertu puissante. En effet, combien ce que nous avons perdu est peu de chose! Deux choses, les plus précieuses de toutes, nous suivront partout où nous porterons nos pas , la nature qui est com- mune à tous, et la vertu qui nous est propre. Ainsi l'a voulu, crois-moi, celui, quel qu'il soit, qui donna la forme à l'univers; soit un Dieu, maître de toutes choses , soit une raison incorporelle , ar- chilecle de ces éclaianles merveilles, soit un es- prit divin répandu avec une égale énergie dans les corps les plus grands et les plus petits, soit un destin et un enchaînement immual)lc des choses liées entre elles; ainsi, dis-je, l'a-t-il voulu, pouV ne laisser loniberau pouvoir d'aulrui que les plus vils de nos biens. Ce que l'homme a de plus excel- lent est placé en dehors de la puissance numaine; on ne peut ni le donner ni le ravir; je parle de ce monde, la plus belle, la plus brillante créalion de la nature; de cetle àme faite pour contempler, pour admirer le monde, dont elle-même est le plus magniliquc chef-d'œuvre; cette anie qui nous ap- partient en propre et pour toujours, qui doit durer aussi longtemps que nous durerons nous- mêmes. Allons doncgaiment la tête haute, le pas ferme, partout où nous enverra la fortune. IX. Parcourons tous les pays, nous n'en trou- verons pas un seul dans l'univers qui soit étranger à l'homme. Partout notre regard s'élève de la même distance vers le ciel, et le même intervalle sépare les choses divines des choses humaines. Pourvu que mes yeux ne soient pas arrachés à ce spectacle dont ils ne se peuvent rassasier, pourvu (ju'il me soit permis de regarder la lune et le soleil, de plonger ma vue dans les autres astres, d'iuterro- cœli gravitât, an prspntenlis Italix consprctui , an na- liira imporlaosi maris; nain in causi non fuisse ferilatcm accolarum, eo apparat, quud maxime luiic Irucibu» et incunditi.i Gallia; populis se iolcrposuerunt. TraD.sieruut deim'e Lieurrs in eam , transieruiit et Kispaiii , quoci ex simililudine rilus apparet : eadeiii euim teciimcnta capi- tuin, ideiiii|ue genus calce.inicnli, quod Cantaliris est, elïerlo:eiis oniniuin , sive incorporalis ratio , iiiKeutiuni opcruin artifex.sive diviiius spiritus, |>er uujiiia niaxinia niinima, a'quali in- tentionc diffusiis, site falum et iinniulatiilis causaruin intrr te cuhii'reiitiuni séries , iil , iuquani, acluni est, ut in alienuni url>ilriuiii, nisi \ilissima qi:a'quc, non caderenl. Qnidquid optinunii Ixiniiui Vft, id exlni luinia- nani poleuliani jacet, nec clari . nec eripi potest : muodus liic, quo iiiliil ncque niajus, iie(|uc ornalius, reriiiii ua- tura genuit ; uniinus coiiU niplalor, adniiralorque niuiidi, pars ejus milcs , alias non in magnum spatium rxeunti'S , scd inlra suum se circumagentes vestigium , iguasdam sul)ito crumpentcs , quasdam igno fuso pcr- slringentcs aciem , quasi décidant , vcl longo tractu cum luce niulta privterTolanles; dum cum liis sim , et cœlcsti- bus.qua homini fas est, imniiscear; dumanimmn,ad cognatarum rerum conspeclum tendenlera, in sublimi seniper liabeam : quantum refert mea , quid calcem? .\t- i]ni non estha-c terra fi'ugifcrarum aut ItEtarnm arborum ferax : non magnis et navigabilibus lluminum alveis ir- rigatur : nihil gignit, quod aliae gentes pétant, vis ad lutelamincolcntium fcrlilis : non prctiosus Iiic lapis cacdi- tur, non auri argenlique vcnœ eruiinlur. Anguslus ani- nms est, quem terrena délectant : ad illa abducendns est, quae nbique a'que apparent, ubique a'que splendent, et lioc cogitandum est.isfa vcris bonis per falsa et prave crédita obstare. Quo longiores porticus expedicrint , quo altius turres snstulerint, quo latins vicos porrexeiint, quo dcprossius a-stivos specus Ibdeiint, (|uo ni.njori mole fasiigia cœnaliouuni subvexerint , hoc plus erit, qnoJ illis cu'lnni abscondat. In eam te regionem casas ejecit , \a qua latisiimum receptaculum casa est. î\x tu piisilli animi es , et sordide seconsolaulis , si ideo id fortiter patcris , quia Komuli casam nosti. Diclllud potius : Istud bumiletugH- rium nempc virtutes recepit. Jam omnibus templis forrao- sinserit, quum illic juslitia conspecta fuerit, quum conti- nenlia , quum prudentia , pielas , omnium ofBciorum recte dispensandorum ratio , bumanorum divinorumque scien- tia. Nullus angnstus est locus , qui hanc tam niagnarum virlutuni tnrbani capit ; nulluni exsilium grave est , iu quo llcet cum Iioc ire comitatu. Bnilns in eo libro qnem de virtute composuit , ait, se Tidisse Marcellnm Miiylcni» exsulantem, et , quautum modo nalura hominis palerelur, beatissime viventem , ncque unquam bonarum artium cn- pidiorem , quam i!lo tempore. Itaque adjicit, risum sibi se magis in oxsilium ire, qui sine illo rediturus esset qnani illum in exsilio relinqui. O fiirlunatiorem Marcel lum, eo tempore, quo exsllium suum Brulo approtravit quam quo reipublicae consulatum 1 Quantus \ir ille fuit qui effecit , ut aliqnis exsul sibi v ideretur, quod al) ei .sulerccodcret? qui in adniiralionem sui adduiit hnmi nem , ctiani Catoni suo niirandnm ! Idem Brutus ail C. Cœsarcm Alitylenas prœtcrveclum, quia non susline rel ridcre deformatum virum. llli quidem reditum iropo- CONSOLATION A IIELVIA. 73 deuil et sa trislesse, on eût dit que, dauscejour, tous partageaient le sentiment de Brutus, el sup- pliaient non pour Marcelius, mais pour eux- mêmes, exilés s'ils devaient vivre loin de lui ; et pourtant le jour le plus beau , le plus grand de sa vie, fut quand Brulus ne put le quiller, quand César ne put le voir en e\il. Alors tous ed plus niiilti) consiccitus ett, quo die illuni exsuleui Brulus rtlinqucrc nuii putuit, Os.ir viderc. Coutigit cniiu llli testiaioniuni utriusqup. Brulus sine Marcello revrrli te duluit , Cxsar eruhuil. Kum dubitas , quiD ille lautus vir, sic ad tolcranduiii a>- quo auiuio cisdiuni se ipsc ailhortalus sil : qiiod piitria r rrs, dod c»I miscruni : ita le di>cipliDis inibuisti, ut scires nmncni lucuni sapienti viro patriani ps.so. Quid imrro? Iiic qui te eipulil, rioo ipse per annos decrm cun- tiauospatriacaruil?propagandisiuedubii)lniperii causa : sed iiempe caruit ; nuuc ecce traliit illuni ad se Africa rc- ."urfientis bclli ininis plcn.i , traliil liispariia , qui im|>crii inlen- tus est. Cui priniuin rci «iccurrct? cui parti se opixtiii-l? AgrI illuni per omnes terras ïicloria sua. Illuni suspi- cianl cl cnlanl Renies : tu ùitils, non usilms laboratur. !Son est nroessc onine perscrutari profunduni , nec stragc animalium vin • treni onerarc, nrc conch^lia ullimi niarise\ ignotn lilnre eruere. I)ii islos dea^quc perdant, quorum luxuria lani invidiosi iniperii lines transcendit. I.'ltra Pliasini rapi vo- liintquod ainliitiosaiiipopinam insirunt; nrcpit;ela Ph iiMinii) por- lalur Oceano. Voinunt ut ed.int , ediint ut voni ni ; (I epul:is, quas loto orbe ronquinint , nec ri)nc«(iueie < ig- nanlur. Ista si quis dcspiiil, quid illi paupeil.is imcet? si quis concupiscil, illi paupcrias eli.iin piiidist. In\itus eiiini san.itiir ; el si remédia ne cdatius (piideni reripit . intérim ccrte, duin non polcsl , noienli similis f si. C. Ca'- sar, quein mihi vidclur rirum iialu-a nliilisse, ul osleu- 74 turc me semble avoir produit pour montrer ce que peuvent les grands vices dans la grande fortune , mangea, dans un seul souper, dix millions de ses- terces ; et malgré le secours de tant de génies in- ventifs, il peine trouva-l-il le moyen de dépenser en un repas le revenu de trois provinces ! 0 mal- heureux ceux dont le goiit n'est réveillé que par des mets précieux ! Or, ce qui les fait précieux, ce SÉrSËQUE. n'aurez pas de quoi loger tout cet appareil. Pour- quoi courir après tant de choses? Sans doute nos ancêtres , dont la vertu fait encore la force de nos vices, étaient bien infortunés, eux qui, de leurs mains, apprêtaient leurs aliments; qui pour cou- che avaient la terre; dont les toits n'étaient pas encore étincelants d'or, dont les temples ne bril- laient pas encore de pierreries! Mais alors on res- n'est ni leur saveur exquise, ni rien decequiflatte ! pectait les serments faitsdevantdesdieux d'argile: le palais, mais leur rareté et la difliculté de les acquérir. Que s'ils voulaient revenir "a la saine raison , qu'auraient-ils besoin de tant d'industries au service de leur ventre? Pourquoi ce commerce? Pourquoi ce ravagedes forêts? Pourquoi cesfouilles dans l'abîme? A chaque pas on rencontre des ali- ments, que la nature a semés en tous lieux ; mais, comme des aveugles, ils passent à côté; ils s'en vont errants pa-r toutes les contrées ; ils traversent les mers, et quand ils peuvent apaiser leur faim avec si peu de chose, ils l'irritent à grands frais. X. Je prétends leur dire : Pourquoi lancer des navires? pounjuoi armer vos mains, et contre les bêtes fauves, et contre les hommes? pourquoi courir çà et là en tumulte? pourquoi entasser ri- chesses sur richesses? Ne voulez-vous pas songer combien est petit votre corps? N'est-ce jias le com- ble de l'égarement et de la folie, lorsque tu as si peu de capacité, d'avoir tant de cupidité? Ainsi donc, augmentez votre cens, reculez vos limites ; jamais cependant vous ne grandirez vos corps. Que votre commerce ait réussi , que la guerre vous ait rapporté beaucoup; que les mets empruntés à tous les pays s'entassent sur votre table, vous pour ne pas manquer à sa foi , celui qui les avait invoqués retournait mourir chez l'ennemi. Sans doute il vivait moins heureux, notre dictateur qui prêtait l'oreille aux envoyés des Saranites, tour- nant lui-même dans son âtre un aliment grossier, de cette main qui, plus d'une fois, avait déjà terrassé l'ennemi et posé le laurier triomphal sur le giron de Jupiter Capitolin ; moins heureux que n'a vécu de nos jours cet Apicius qui , dans une ville d'où l'on chassait autrefois les philosophes, comme corrupteurs de la jeunesse, vint tenir école de gloutonnerie, et infecter son siècle de ses honteuses doctrines ! Mais sa un mérite d'être rap- portée. Comme il avait dépensé en cuisine un mil- lion de sesterces, et absorbé dans chacun de ses re- pas et les largesses des princes et l'immense revenu du Capilole, accablé de dettes, forcé de vérifier ses comptes, il le fit pour la première fois : il cal- cula qu'il ne lui restaitplusquedix millions deses- terces, et pensant que c'était vivre dans l'extrême famine que de vivre avec dix millions de sesterces, il finit sa vie par le poison. Quel dérèglement que celui de cet homme pour qui dix millions de ses- terces étaient la misère ! Crois donc, maintenant, rferet quid summa vitia in summn fortuna possent, cpn- tics sostertio cœnayit uno die : et in hoc omninni adjuUis ingonio.vii tamen iuvcnit, qnoinodo liiuni proincia- runi Iribuluni ima eœna fierel. O miserabilcs, quorum pa atuni nisi ail pictiosos cibos non cxcilatur! prcliosos autcm, non exiniius sapor aut aliqua faucium dulcedo, sed rarifcis et difiicultas parandi facit. Alioquiu si ad sanam illis nicntem placeat reverti.quid opus est tôt aitibns \enlri sorvientibus? quid mercaturis? quid \astatiouesil- varum? quid profundi perscrutatione? passini jacent ali- nienta , qua; rcruni natura omnibus locis deposuit : sed Iia-c vclul ca;ci U'anseunt.etomncsregiones pervagantur, maria ti-ijiciunt, et cura famcra exiguo possiut sedaïc, magno irritant. X. Libet dicere : Quid deducilis navcs? quid manus et adversus feras et adversus homines lunialis ? quid tanto tumultu discurrilis? quid opes opil)!is aggeritis? non vultis cogitare, quam parva vobis corpora sinl? Nonne furor et ulîimus nientiuni orror est , quuni tam exiguum capias, cupere niultum? Licet itaque augeatis census , promoveatis fines , nunquara (amen corpora vestra la.xatntis. Quum bene ccsseril negolialio, inullum miliiia retulerit; quum indagali undiquc cibi coicrini , non habebitis ubi istos appnratns vestros colloceti». Quid lam multa conquirilis? Scilicet majores nostri, quorum virins ctiam nunc vitia noslra sustentai , infelices erant , qui sibi manu sua parabant cibum , quibus terra cubile erat , (|uoruni tecta nondum auro fulgebant, quorum tcmpla nondum gemmis nitebanl I Itaque tune per Gc- tiles dcos religiose jurabatur : qui illos intocaverant , ad liostcm moriluri, ne fallerent, redibant. Scilicet mi- nus béate vivcbat dictator nosler, qui Samnitum legatos audiit, quum vilissinmm cibum in foco ipse manu sua versaret, illa , qua jam saepe hoslem percusseral, lau- reamque in Capilolini Jovis gremio reposuerat, quam Apicius nostra memoria Tixit! qui in ea urbe, ex qua ali(iuaailo philosophi , velut corruptoresjuventulis , abire jussi sunt, scientiam popinée professus, disciplina sua scculum infccit : cujus exitum nosse opéra; prelium est. Quum scslertium niillies in culinam congessissel , quum tôt congiaria principura , et ingens Capilolii vectigal sin- gulis comcssationibus exsorpsisset , aère alieno Ojiprcs- sus, rationcs suas tune primum coactus inspexit; super- luturuni sibi sestertium ccnlies coniputavit, et velut in ultima fanie viclurus, si in sestertio centies viiissel, veueno vilani fiQi\il. Quanta luxuria erat, cui sfstertiura, CONSOLATION A IIELVIA. 73 que c csl 1 clat de noire épargne et non de notre âme qui importe au bonlieur. XI. Un homme s'est rencontré qui a eu peur de dix millions de sesterces; et ce que les autres appellent de tous leurs vœux , il Ta fui par le poi- son. Certes, ce dernier breuvage fut le plus salu- taire qu'ait pris cet honmic à l'âme si dépravée. C'était alors qu'il mangeait, qu'il buvait le poison, quand non-seulement il se plaisait 'a ces énormes festins, mais s'en gloriûait, mais faisait montre de ses désordres, mais attirait toute la ville au spectacle de ses débauches, mais iuvilait'a l'imiier une jeunesse assez naturellement portée au vice sans avoir besoin dcmauvais exemples. Cela arrive à ceux qui ne règlent pas la richesse sur la raison , qui a des bornes fixes, mais sur une perverse ha- bitude, dont les caprices sont immenses et infinis. Rien ne sufDt 'a la cupidité : peudechosesuflitala nature. Ce n'est donc pas une disgrâce que h pau- vreté dans l'exil; car il n'est pas un lieu si stérile qu'il ne fournisse abondamment à la subsistance d'un banni. « Mais, dira-t-ou, il désirera une robe, une maison. » S'il ne les désire que pour ton usage, il trouvera certes un vêtement et un domicile; car il en coûte aussi peu pour le couvrir que pour le nourrir. En imposant 'a l'homme des nécessités, la nature ne les imposa pas laborieuses ; s'il désire une étoffe saturée de pourpre, tissée d'or, cmaillce de diverses couleurs, travaillée de diverses façons, ce n'est pas la fortune, c'est lui-mémequ'ildoitaccuscrdesa pauvreté. Quand tu lui rendrais ce qu'il a perdu, tu n'y gagnerais rien. Après celte rcslitulion, If aura plus faute encore de ce qu'il désire, qu'il n'a eu faute dans l'exil de ce qu'il possédait. S'il désire un buffet étincelant de vases d'or , d'une argenterie en- noblie par le coin d'un antique ouvrier, de ces plats d'airain , rendus précieux par la manie de quelques gens; un troupeau d'esclaves, capable de rétrécir le plus vaste pal.iis; des bûtes de somme chargées d'un embonpoint factice; des pierreries de toutes les nations : vainement tu entasseras tout cela pour lui ; tout cela ne saura jamais ras- sasier son âme insatiable. De même aucune bois- son ne sufGrait pour étaneher un désir qui \\c vient pas d'un besoin, mais d'un feu qui brûle les entrailles ; car ce n'est plus une soif, c'est une maladie. Et cela n'est pas dit seulement de l'argent et des aliments : telle est la nature de tous les désirs qui viennent non du besoin, mais du vice : qucl- ([ue pâture que vous leur jetiez, vous ne donne/, pas un terme à la cupidité, mais un degré déplus. Quand on se contient dans les bornes de la nature, on ignore la pauvreté; quand on les franchit, la pauvreté nous suit au faite de l'opulence. L'exil même suffit "a notre nc-cessaire ; des empires ne suf- firaient pas h notre superûn. C'est l'âme qui fait la richesse : c'est elle qui suit l'homme en exil, et qui, dans les plus âpres déserts, tant qu'elle trouve de quoi soutenir le corps, jouit elle-même de ses biens et nage dans l'abondance. La richesse n'importe en rien 'a l'âme , non plus qu'aux dieux immortels, ces objets admirés par des esprits avcu- ceaties egestas Tait? I mine, et pola pecnniis modum ad rrni pcrtinere , non animi. XI. Sestertium centics nliqnis citimnit, et qiind alii volo petnnt, Tcneno fugit; illi vcro tain pniVcT mentis homini uitima polio salalicrrima fuit. Tune vencna ede- l>at bilieliatqne , quum Immonsis cpulis non dclcctarotur lanlum . scd gtoriaretiir , quum >itia sua ostcntnrct, quum civilatem in luiuriani suani cnnvcricrct, quum ju- >cn:ntemad imilalionrm sui solliciUiret, etiani àuc iiia- lis expmptis pcr se docitcni. llicc acciduni divitias non ad rationem reTocintibus, cujus certi sunt fines , scd ad «iiiosani consueludiucm , cujus imnieasum el incompre- tiensil):le arbitrium est. Cupiditati nitiil salis esl ; oa- lurcp salis est etiam paruni. Kullum ergo pauperlas cx- sDtis ÏDConimoduin habet : nulluni enim tam inops exsi- lium est, quud non alendo homini al>uudc fertile sit. « At Testem , an domuni desideratus est cisul ? • Si h.Tc quoque ad usum tantuni dcsideraUl, neqiie tectum ei décrit , neque Telamen ; œquc enim exiguo tcgilur cor- pus, quam alitur; nihil homini niiliira, quod necossa- rioin facicbat, fecil opcrosuni. Si dcsidirat .snliiralain ranllo conchylio purpuram , intexiam auro, Tariisquc coliirilnis di.«linctam et artibns , non fortuno; istc vilio, •eJ suo p !U|iii- esl ; ctiimsi illi, quidqiiid aniisil, rcsli- tncris, nihil âges; plus enim rcstiluto deeritex eo qiioii cupit , quam essuli ex eo qiidd hjbuil. Si desidcrat au- reis fulgeiitem Tasis supelteclilem, elantiquis nominilius ariilicum argenlum iiobile, a-s paucorum insania pre- tiosum, et servorum Iniliam, quaî (piaiiivis maguiim doiiium .-ingusltt, jiinirntoruni corporadifferla etco:icla pingucsct-re, et nalicmum omnium Lipides : ista conge- rantur licel, nunquani explebunt incxptet)ileni animum; non niagis, quam ulliis sutlicict humor ad satlandum cum , CUJUS desdcrium non e\ inopia, scd ex a-slu ur- denlium \isceniin oritur; non enim silis illa , sed iiioi- lius esl. Nec lioc in pccuiiij tiiilum, aut aliinenlis eve- nil : eadem natura esl in onuii desiderio , (|Uod non ex inopia, sed ex >ilio naseilur; quidquid illi congesseris, non finis erit cupiditatis , sed gradus. Qui coiiliueliit ilaque su iii;ra naluralem modum , paupe-latem non sentiet : qui naluralem modum cxcidit, eum in suinnns opibus quoque pauperlas sequetur. Neccssariis rébus et cxsilia sullîeiunt : supcrvacuis nec régna. Aninius esl qui diïiles f.ict : hic in cxsiti.i sequilur , et in solihidini- busiisperriniis, quumquanlum salis est suslineiulo eor- pori inveiiil, ipse bonis .suis abundat et fruilur. l'c- cunia niliil ad animum pertinel, non niagis, quam ad dcos innnorlales onmia isla, qua? imperita ingénia, el 76 gles et trop esclaves de leur cirps. Ces pierres, cet or , cet argent, ces lubies polies aux vasies coiilours , sout des produits de la terre, auxquels 110 peut s'attacher une âme pure et qui ii"a pas oublié sou origine : légère, libre de tout soin, et prêle à s'envoler aux sublimes demeures dès qu'elle verra tomber ses chaînes : en altendant, malgré la pesanteur de ses membres et la lourde enveloppe qui l'enserre, elle parcourt le ciel sur les ailes rapides de la pensée. Ainsi , jamais on ne l)eut condamner h l'exil cette âme libre, formée de divine essence, qui embrasse et les mondes et les âges. Sa pensée se promène dans loul l'espace du ciel , dans les temps accomplis , dans les temps a venir. Ce vil corps, prison et lien de l'âme, est ballotté dans Ions les sens : sur lui s'exercent cl les supplices , et les brigandages , et les maladies; mais l'âme est sacrée, l'âme est clernelle ; sur elle on ne peut porter la main. XII. Et ne crois pas que pour diminuer les en- nuis de la pauvreté, pénible à ceux-là seulement qui se l'imaginent, je n'aie recours qu'aux pré- ceptes des sages. Considère d'abord combien sont en majorité ces pauvres que tu ne verras en rien plus tristes et plus inquiets que les riches. Encore, je ne s;iis s'ils ne sont pas d'autant plus gais que leur esprit est tourmenté par moins de soucis. Mais laissons les pauvres et passons aux riches. Que de fois, dans leur vie, ressemblent-ils aux pauvres! En voyage, ils retranchent "a leur sac, et (juand ils sont forcés de presser la route, ils con- gédient leur suite nombreuse. A la guerre, qu'on t- SÉMÈQUE. ils avec eux de ce qu'ils possèdent? La discipline des camps interdit toute pompe. Et non-seulement le hasard des circonstances ou la stérilité des lieux les met au niveau des pauvres ; ils se réscr vent quelques jours où, fatigués de leurs richesses, ils viennent dîner sur la dure, manger dans l'ar- gile, sans vaisselle d'or ni d'argent. Insensés! ce qu'ils désirent pour quelques jours, ils le craignent pour toujours. Quel est leur aveuglement I quelle est leur ignorance de la vérité! Ils fuient ce qu'ils imitent par plaisir. Pour moi , quand je me rap- pelle les exemples de l'antiquité, j'ai honte de diercher des consolations contre la pauvreté : car, dans notre temps , on a poussé si loin l'excès du luxe , qu'aujourd'hui le bagage d'un exilé est plus lourd qu'autrefois le patrimoine d'un grand. On ne connaît à Homère qu'un esclave, trois à Pla- ton ; pas un 'a Zenon, de qui procède la virile et rigide sagesse des Stoïciens : et pourtant quel- qu'un osera-l-il dire qu'ils vécurent misérable- ment , sans se faire regarder lui-même comme le dernier des misérables ? l\lcnénius Agrippa , ce médiateur de la paix entre le sénat elle peuple, fut enterré aux frais du public; Attilius Régulus, tandis qu'il battait les Carlliaginois en Afrique, écrivit au sénat que son esclave avait pris la fuile, laissant ses terres 'a l'abandon : et le sénat, en l'absence de Régulus , les fit cultiver aux dé- pens de l'état. La perte d'un esclave lui valut d'a- voir le peu|)le romain pour fermier. Les lillesde Scipion reçurent leur dot du trésor public, parce que leur père ne leur avait rien laissé. Il était iiiiiiis corponl)us suis addicta , suspicuint. Lapides, aii- nini et argeiilum , et magni lœvalique nicnsaiiiin or- bes, tenena sunt pondéra ; qiias non potest amaie sin- cci'us aiiimus, ac natiira) sua; meniiir : levis ipse , et expeis cura; et quandoque cniissus fueril , ad siinmia cniicaturus, inlerim, quantum pcr Mi,)ras uienil)roium , et liane circumfusam gravem saicinam licct, celeii et volucri eogitatione divina perlustiat. Idcoque ncc exsu- lare unquam potest liber, et dits cognatus, et omni niundo omnique a;vo par. INam cogilatio cjiis eirca onine ca'Ium, et in onine pi'œtenlum ftuuruniqiie tenipus iiiiniillitur. Corpusculum lioc , euslodia et vineuluni aninii, liucatque illuc jaclalur : iu hoc supplicia, in hcc lalrocinia, iu liociiiorl;i cxercenlur; aniiiiiisquidem ipse sacer ci a'ieruus est, et cui non possunt injici manns, XII. Ncc me putes ad elevauda incommoda pauperta- tis, quam nenio gravem sentit nisi (]ui pulat, uti tantum pricceptis sapientum. l'rimuni aspice , quanlo major pars sit paupcrum , quos iiihilo iiotabis trisliores sollici- lioi'csque divitibns : immo nescio au co Kx'tiores sint, i|uo aninius eorum in pauciora distringitur. Tianscanius a paupcribus : veuiamu.s ad locupletcs; quam niulta sunt tenipora, quilius paupcribus similes sunt? Cir'cumcisa; snnt pcregriuanliiMU saicinx" : et quoliescuinquc fcsliua- •ioucni nécessitas ilineris exigit, coiuiluiu luib;i diinit- titiir. ililitantcs quotiim parlera rerum suarum seciini haticnt, qunm oumem apparatum castrensis disciplina subnioveat? »c tantum conddio illos leiupornni , antlo- coruni inopia, pauperibus c\^qual : suniunt quosdam dies, quum jam illos diritiaruui la'dium cepit, quibas humi cu'nent, et remolo auro argenloqiie, fictilibut utantur. Démentes ! hoc quod aliquando concnpiscuni , semper liment. O quanta illos caligo nientium , quanta ignoraulia veritalis exercet, qui fugiunt quod voluplatis causa iniitantur ! Aie quidem , quoties autiqua eitmpla respexi, paupcrtatis uti solatiis puidet : quoniam quidem eo lemporum luxuria prolapsa est, ut niajus vialicuni cxsulum sit, quam olim patriniQniUiii principum fuit. Unum fuisse Ilonieio scrvum. Ires Platoni, nullniu Ze- noni , a quo coepit Stoicorum rigida ac virilis sapientia , salis constat ; num ergo quisquiim eos niiseros Tixisse di- cet, ut non ipse miserrinius ob hoc omnibus videatur? Uleneniiis Agrippa , qui inlrr patres ac plebeiu imbliKu gralias sequestcr fuit, are collalo funeralus est. Attilius Régulus, quum Pœnos in .\frica funderet,ad Senituin scripsit, merceuarium suuni discessisse, et al» eo de- scrtum esse rus ; quod Senatni publiée curari , dum aliessel llegulus, placuit. Fuit na:' lanli, ser\uni non ha- bcre, ut co'onus ejus ptipulus Romanus esset. Scipionis (ilia; ex ffiario duleni accepcruiit , quia iiibil iilis rel»- CONSOLATION A IIELVIA. certes bien juste que le peuple romain payât une fois tribut à Scipiou , quand il recevait cliaquc année le tribut de Cartilage. Heureux les époux de ces filles, auxquels le peuple romain tint lieu de beau-père ! Estimes-tu plus fortunés ces hommes qui marient leurs comédiennes avec un million de sesterces, que Scipiou , dont les filles reçurent en dot du sénat, leur tuteur, une pesante monnaie de cuivre? Dédaignera-t-on une pauvreté dont on a de si illustres exemples? S"indigncra-t-on de partir pour l'exil, manquant de quelque cbose, quand à Scipion il manque une dot, à Régulus un mercenaire, à Ménénius l'argent de ses funérail- les; quand les dons faits à l'indigence de grands bommes sont d'autant plus glorieux, que cette indigence était réelle ? Voilà les défenseurs qui , non -seulement font respecter, mais aimer la pauvreté. XIII. On peut me répondre : « Quel est cet arli- (icc de séparer des disgrâces qui, prises "a part, sont sup[K)rtables , réunies , ne le sont plus? Le change- ment de lieu est tolérable, si l'on ne change en effet que de lieu : la pauvreté est tolérable, si elle n'est point jointe "a l'ignominie, qui seule peut abattre le cœur. «Que si l'on cherche à ni'épouvan- tcr par la multitude des maux , ainsi je réplique: si tu as assez de force en toi pour repousser une attaque de laforiune, autant tu dois en avoir pour les repousser toutes : quand une fois la vertu a «uirassé ton âme, elle l'a rendue invulnérable de tous côtés. Qu'elle soit affranchie de l'avarice, la plus terrible plaie du genre humain, et l'ambition ne tardera pas à quitter la place. Si tu ne regardes pas le dernier jour comme nn châlimcnt, mais comme nue loi de la nature , quand tu auras chassé de ton cœur la craiule de la mort , aucune terreur n'osera y pénétrer. Si tu penses que les plaisirs do l'amour n'ont pas été donnés h l'homme pour la volupté, mais pour la propagation de l'espèce, celui que n'aura pas souillé ce mal rongeur, enlé profondément dans nos entrailles mêmes , vcn a toutes les autres passions glisser devant lui sans l'atteindre. La raison ne terrasse pas séparément chacundes vices, mais tous h la fois ; d'un seul coup son triomphe est complet. Penses-tu que le sage puisse être sensible à l'ignominie, lui qui, ren- fermant tout en lui-même, s'est séparé des opi- nions du vulgaJre?Unemort ignominieuse est plus encore que l'ignominie. Et cependant, vois So- crate, avec ce noble visage, qui jadis fit pâlir l'insolence des trente tyrans : il entre dans sa pri- son, qu'il doit elle-même purger d'ignominie ; car on ne pouvait plus voir une prison là où était So- crate. De qui les yeux sont-ils assez fermés "a la lumière de la vérité, pour qu'il trouve ignomi- nieux h M. Caton d'avoir été refusé deux fois, de- mandant la préture et le consulat? L'ignominie ne fut que pour le consulat et la préture, auxquels Caton aurait fait honneur. Ou n'est méprisé des au- tres que lorsqu'un se méprise soi-même. Une âme vile et rampante donne seule prise à cet affront. Mais quand on s'élève au-dessus des plus terribles coups du sort, quand on surmonte les disgrâces qui abattent le vulgaire, les misères elles-mêmes nous protègent, comme des bandelettes sacrées. Puis- que nous sommes ainsi faits, que rien ne s'empare qucrat pater. .<î<|uum mohcrculcs erat populum Ro- maniim tributiiin Scipioni semcl couferre , quuni a Cartliagioe si rolmris est , idem advcrsus onmes cril : quum se- mel animum virtus iuduravit, undique intutnerabilem prfstar. Si avaiitia dimisit, rchementissima gencris hn- ■iduipestis, iDiirani libi anibilio non faciet. Si ulUmuni diem non quasi pœnam, sed qunsi n:)liirc'c legem adspi- cis, ex quo peclore mortis mctuni ojtcrris, in id nulliiis rei timor auddut inlrarc. Si cogiias , liliidinem non ><>- luptatis causa bumini datam, sed propagandi generis, queni non violaveiil tioc secreluni et inflxum visceribus ipsis eiitiuni, omnis alia cupidit;)s inlaclum praeleribit. TSnn singula vitia ratio, sed pariter oniuia prostcrnit : in universnni semcl vincit. Ignoniiuia tu putas quemquam siipienteni moteri pcisse , qui nmnia in se repoïuit, (|iii ab opinionibus vulgi secessit. Plus etiiim (|uam ignoini nia est mors ignouiioiosa. Socrates tanieii eodi m illo vultu, quo aliiuando solus Iriginta tyraunos in ordiiieni redegerat , carcercm inlravit, ignominiani ipsi loco dc- tracturus; nci|uc enini potcrat carccr ïidcri , in quo So- crates erat. Quis usqiie co ad couspicieudnni vcrilaleni e\ca?catus est , ut ignoniiniam putct M. Catoiils fiiisM' , (luplicem in pctilione pra'lura- et consulatus n pulsani ? Ignominia illa pra>turx et consulatus tuit, quitiiis ex Ca- lone honor balH'l)atur. Kemo ab alio contemnilur, nisi a se antc conlemlus est. Ilumilis et projeclus aniiiius fit isti contumelia; opportunus : qui vero adversus pievi.'-si- mos casus se eitollit , et ea niala quilxis alii opprimun- lur , evcrtit , ipsas miscrias iiifularum loco babet : quando ita atiecti lunms, ut nibll a-quo ma^nani apud 78 plas virement do notre admiration qu un liomme malheureux avec courage. On menait dans Athènes Aristide au supplice : tous ceux qui le rencon- traient baissaient les yeux, gémissaient, comme si l'on allait sévir , non pas tant contre un homme iusle, que contrôla justice elle-même. Quelqu'un se trouva cependant qui vint lui cracher a la face; Aristide pouvait s'en indigner, car il savait bien qu'une bouche pure no l'eût pas osé ; mais il es- suya son visage, et dit en souriant au magistrat qui l'accompagnait : « Avertissez cet homme de bâiller désormais avec moins d'impudeur. » C'était faire affront a l'affront lui-même. 11 en est, je le sais, qui ne connaissent rien de pire que le mé- pris, et qui trouvent la mort préférable. Je leur répondrai que l'exil même est souvent a couvert de tous les mépris. Un grand homme, s'il tombe, est encore grand par terre : ne le crois pas plus méprise que ces débris des temples saints qu'on foule aux pieds , mais que la piété vénère autant que s'ils étaient encore debout. XIV. Ainsi donc, très-chère mère, comme en ce qui me concerne, il n'est rien qui doive te con- damner a d'éternelles larmes, il en résulte que ce sont des raisons personnelles qui font ta douleur. Or, elles peuvent se réduire 'a deux: car tu t'afiliges, ou parce que tu crois avoir perdu en moi un appui , ou parce que tu ne peux supporter en eux-mêmes les regrets do l'absence. Le premier point ne de- mande qu"a être effleuré : je connais ton cœur : tu n'aimes les tiens que pour eux-mêmes. Loin ces mères qui exercent la puissance de leurs ûls avec leur capricieuse impuissance de femme , qui, ex- SÉNÈQUE. dues par leur sexe de la voie des honneurs , sont ambitieuses sous le manteau de leurs enfants, dont elles épuisent et captent le patrimoine , doat elles faligucnt l'éloquence au service des autres. Pour toi , tu t'es grandement réjouie de la fortune de tes enfants, tu enas faiblement usé; toi, toujours tu mis des bornes a notre libéralilé, quand tu n'en nietlais pas "a la tienne; toi, encore fille de famille, tu apportais ta contribution a tes fds déjà riches; toj, tu t'es montrée, dans l'administration de no- tre patrimoine, active comme s'il eût été a toi , ménagère comme s'il eût été a d'autres; toi, tu as été avare de notre crédit , comme si c'eût été le bien d'autrui ; et de tous nos honneurs il ne t'est rien revenu que de la joie et de la dépense; ja- mais ta tendresse n'a songé 'a l'intérêt. Tu ne peux donc pas , en l'absence de ton fils , regretter ce qu'en sa présence tu ne regretterais pas comme un bien qui t'appartînt. XV. Toutes mes consolations doivent donc se tourner vers ce côté, d'où découle, dans toute sa vivacité, la douleur maternelle. « Je suis privée des embrassements d'un fils bien-aimé. Je ne jouis plus de sa présence; je ne jouis plus de sa parole. Oîi est-il, celui dont la vue chassait la tristesse de mon visage , sur qui je me déchargeais de tous mes ennuis? Où sont ces enlretiens dont j'étais insatiable? Ces études auxquelles j'assistais plus vo- lontiers qu'une femme, plus familièrement qu'une mère? Où ces rencontres? et cette gaité toujours enfantine à la vue d'une mère. » Tu te représentes encore les lieux de nos joies et de nos épanche- ments , et tu ne peux te défendre des impressions nos admirationcm occiipet, quam hoinn for. itcr miser. Ducebatur Atlienis ad suppliciuiii Aristides : cui quisqnis occurrerat, dejiciebat oculos, et ingemiscebat, uou tan- quam in liomineiii justum, sed tanquam in ipsani jiisll- tiam animadverlcretur. Inventiis est lamcn . qui in fa- ciem cjus inspueret : polerat ob hoc moleste feri'e , quod sciebal ncmiiiem id ausurum puri oris. At ille ab.stcrsit tacicni, et subridens ait coniitanli se magislratui : Ad- nione islum, ne postea tam improbe oscitct. Hoc fuit contumella.' ipsi cimlumeliam facere. Scio quosdam di- cerc , conlemtii nihil esse gravius , inorlem ipsis potio- rem videri. Ilis ego rcspondel)0, et exsilium sa-pe con- temtione omni carere. Si magnus vir cecidit, ntagnns jacuit, non magis illuni putes conlemni, qnam quum acdium sacraruui ruina; calcantur, quas rcligiosi a,'que ac slantcs adorant. XIV. Quoniam nieo noniine nihil habes , mater caris- sima, quod te in infinitas laciimas agat, sequilur nt causa; tuimi careo , non conspeclu ejus , non sermone fruor ! ubi est ille, quo viso Iristem Tultum rclax.ivi, in quo om- nes solliciludincs meas dcposui? ubi colloquia, quorum inexplebilis eram? ubi sludia , quibus libcntius qu.ira fcniina , familiarius quani mater, intereram? ubi ille occursus ? ubi matre visa semper puerilis hilarilas ? • Adjicis istis loea ipsa gralulationum et convictunm , et , ut necesw es'., efficacissimas ad vexaados animos ra- CONSOLATION A HELVIA. 79 de notre récente entrevue , si faites pour déchirer lou âme. Car la fortune le réservait encore cette peine cruelle , de te ramener tranquille et ne soupçonnant pas ton maUieur, trois jours avant le coup qui m'a frappé. C'était bien à propos que nous avait séparés la distance des lieux ; c'était bien à propos qu'une absence de plusieurs années l'avait préparée à celte infortune : tu es revenue non pour trouver quelque joie près de tou lils , mais pour ne pas perdre l'babitudc des regrets. Si tu étais partie longtemps avant, tu eusses moins souffert; l'intervalle lui-même eut adouci le re- gret : si tu n'étais pas partie , tu aurais eu du moins pour consolation dernière le plaisir de voir ton lils deux jours de plus. Aujourd'hui, grâce h la cruauté du destin , tu n'as pas été présente à mon malheur, et tu n'as pas pu t'accoutumer h mon absence. Mais plus cette disgrâce est ter- rible, plus il faut rappeler "a toi tout ton courage, plus il faut combattre avec ardeur, comme en face d'un ennemi connu et déj'a vaincu souvent. Ce n'est pas d'une première blessure que coule ce sang là ; c'est dans tes cicatrices qu'a porté le coup. XVf . Tu n'as pas besoin de chercher une excuse dans les privilèges de ton sexe, à qui les larmes ont été permises, pour ainsi dire, comme un droit, étendu, il est vrai, niais non pas illimité. Aussi , nos ancêtres ont accordé dix mois pour j)U>urer les époux , afin de transiger par un décret solennel avec l'opiniâtreté des chagrins de fem- mes : ils n'ont pas interdit le deuil, ils y ont mis un terme. Car se laisser abattre par une douleur sans lin , quand on perd quelqu'un de chéri , c'est une folle tendresse; n'en ressentir aucune, c'est une dureté qui n'est pas humaine. La plus sage proportion entre l'amour et la raison est de sen- tir le regret et de le faire taire. Ne va pas prendre exemple sur certaines femmes, dont la tristesse, une fois qu'elle a pris naissance , ne liuit que par la mort; tu en as connu quelques-unes qui, après la perte de leur Cis , n'ont jamais dépouillé leurs vêtements de deuil. Mais , une vie signalée dès le berceau par tant de courage exige plus de toi. Celle-là ne peut faire valoir des excuses comme femme, qui fut exempte de tous les défauts d'une femme. Ce n'est pas loi que l'impudicité , ce vicb dominant du siècle, a confondu dans la foule des femmes ; ce n'est pas toi qu'ont séduite des perles et des diamants; ce n'est pas à tes yeux que les richesses ont brillé comme le bien le plus précieux de l'homme. Soigneusement élevée dans une mai- son anti(|uc et sévère, ce n'est pas toi qu'a pu détourner rexcmple des méchants, funeste même a la vertu. Jamais lu n'as rougi de ta fécondité, comme si elle te reprochait ton âge. Jamais, ainsi que les autres femmes , qui ne cherchent pas d'autre méiitc que celui de la beauté, jamais tu n'as dissimulé l'ampleur de Ion ventre , comme un fardeau disgracieux , ni élouflé dans tes en- trailles les espérances déj'a conçues de la posté- rité. Jamais tu n'as souillé Ion visage du fard des prosliluées ; jamais tu n'aimas ces accoutrements qui ne sont ajustés que pour tout laisser voir. Ton unique parure fut la plus belle de toutes , celle a qui le temps ne fait pas outrage, ton plus glo- rieux ornement fut la chasteté. Tu ne peux donc , pour autoriser ta douleur, I Cfntis cnnTersalinnis notas. Nam tioc quoquc adversus te cnidelitcr fuituiia m lita est, quod te anie tertiiiin de- miiiii diem quani pcrcussus sum , sccuram, doc quid- qiiaiii laie metueQlcni, rcgredi voluil. Beue nos lonRiii- quilas luconini diviserai : bene aliquot annurum absen- tia buic te malo prieiiaraverat : redisii , D»n ut volupla- teni ei flilo perciperes , sed ne cousuctudiociii dcsidcril perderes. Si niullo ante abfuisses, fortius lulisse», ipso interrallo desiderium inollieute : si diid recessisses, ul- liiDuni certe frucluni bidno diutius vidcndi (llium tu- lisses. Nunc crudele fatnm ita composuit , ut nec forliiDa; inca; inlcre.vses , nec abscnliic assuescrres. Sed qiianto isia duriora sunt, tanio major libi Tirtus ndvocanda est, et vclut cuin bostc doIo, bc s«pe jam victo,acrius est coiigredieaduin Pion ei intacto corpore tuo sanguis liic llujit , |)er ipsas cicatrices percussa c». XVI, Non est quod utaris eicusatione noniiriis mulle- bris, cui paîne coocessum est immodcratum in lacritnas jus, non immensum lamcn : et ideo majores dccem loensium spalium lugentibtis viros dedenint , ut cum perlinacia maliebris mœroris palilica constitutionc déci- dèrent; non prohihaeruDt luctus, sed nnienint. Nam et ioOnito dolore, quam aliqucm ci carissiinis amiscris , afTici , slulta indulgonliii est : et nullo. inbumana duri- tia. Optimum inter piclatcni et ralloncm temiieranicii- lum est , et sonlire dcsidoriuni , et opprlincrc. Non est quod ad quasdam feiiiinas respicias , quaruni II l»titiam semel sumtam mors (inirit ; nosti quasdum, quo?, ainlssis filiis , imposUa lugubria nunquam ciueruut : a te plus eiigit vlta ab initio fortior; non polest nuillcbris cxcu- satio conlingcre cl , a qua omiiia vitia nuiliebria alifuo- runt. Non te maximum secull malum, impudicitia, in numerum pluriuin adduxil, non geiimia; te, non marga- rits Oeierunt : non lil)i divllia; velut maximum generis bumani bonum refulscrunt : non le bene in anln|ua cl scvera inslitutani domo periculosa eliam probis pejoruni delorsit iniilatio. Nunquam te fecundilalis lua;, quasi c\- probrarel ietatem, puii.s aut occupationibus abductus est, resurgit, et ipsa quiele impetum ad saniendum colligit : at quisquis rationi ces- sit , in perpeluum coniponilur. Non sum itaque libi inonstraturus illa , quibtis usos multos esse scio , ut per- egrinatione te vel longa deiineas , vel amœna délectes ut ralionum accipiendarum diligentia , patrinion'i ad- ministratione nmllum occupes temporis ; ut siuiper noTO le aliquo negolio iniplices : oninia ista ad exiguum rao- menlum prosunt , nec remédia doloris , sed inipedi- menla sunt : ego autem malo itlum desinere , qnam de- cipi. Itaque illo te duco , quo omnibus qui forlunam fu- giunt , coufugiendum est , ad liberatia studia : illa sana- bunt vuluus tuum , illa onmeoi tristitiam Ubi evellenl. CONSOLATION A IIELVIA. Hl libérales : elles guériront ta plaie ; elles le iléli- j vreront de toute tristesse. Quand inêrae tu n'en aurais jamais eu l'habitude , il faudrait y recourir aujourd'hui ; mais toi, autant que l'a permis l'an tique sévérité de mon père , tu as, sinon possédé, du moins abordé toutes les nobles tonnaissances. Plût au ciel que moins attaché aux usages de ses ancêtres, mon père , le meilleur des époux , l'eût laissée approfondir plutôt ([u'cfflcurer les doctri- nes des sages ! lu n'aurais pas maintenant a cher- cher des arme* contre la fortune, lu te scrvir.iis des tiennes. Ce fut h cause de ces femmes pour qui les lettres ne sont pas un moyen de sagesse, mais un instrument de corruption, (juo mon père encouragea si peu ton goût pour les éludes. Ce- pendant, a la faveur d'un génie dévorant, tu as puisé au-del'a de ce que les circonstances sem- idaieut permettre. Tu as jeté dans ton âme les fondements de toutes les sciences. Retourne maintenant vers elles; elles feront ta sûreié , la consolation, ta joie : si elles ont vérilablement pénétré dans ton âme , jamais plus n'y entrera h douleur , jamais l'inquiétude , jamais l'inuiilo tourmente d'une vaine affliction : à nulle de ces impressions ne s'ouvrira ton cœur ; car depuis longtemps il est fermé 'a tous les autres vices n'as pas le droit d'accuser la fortune : lu trouves dans l'un et l'autre de quoi te charmer par des vertus diverses. L'un, par ses talents, est parve- nu aux honneurs; l'autre, par sa sagesse , les a dédaignés. Jouis de la grandeur de l'ciri, de la paix de l'autre, de l'amour de tous deux. Je con- nais les sentiments intimes do mes frères; l'un a recherché les dignités , pour t'en faire gloire : l'autre s'est retranché dans une vie de calme et de repos, pour être tout à toi. I.a fortune an\erveil- leusement arrangé ta lamille, puur t'y faiic trou- ver un soutien et une distraction : tu peux t'ap- puyer sur le crédit de l'un, jouir oliiis, (juaiii imhiii! non parniidti a tilii nunc a>nti'a roruiiaiii csset aiiviiiiiiii, srd piorerrii- dum. Propl«r isUs qiiip lillrris mm ad snpionlLiin iili:ii- tor.sed ad luxnriaiii instniiinliir , minus est indul^riri^ ttudiis passiis ; beneficio tanieu rapacis ingciiii plus quain pro Ipmpore liaiisUli : j^cta suiU discipliiiaruiii omtiiuiii ftiDdameiiti. Nuoc ad iilas revericre : tutain te pra'iila- boDl; illx consolabunlur, illx delpctaliuiit , ilL-c !>i boiia fldeaniniuni tuum iatr>verunt, Qunquani aniplius iiitra- bitdiilor, Dunquam Millicitudu. nunqiiain aflliclioDis ir- rite suporvacua texalio; niilli tiorum palebil pcclus tuum; oam c«terisviliisjainpridpin ciusum est. Ila-cqui- dein certissima prxtidiasuiit, el quae sola le fiirluiia; cri- pcre possiiil; sed quia, dum in illum porluin , qui-iii ttuda promill'Jut , perveneiis, adniiaiculis, qiiibus in- ni.ai is , opus est , volo inlerim solatia tua tibi oslendcrc. Bopicc fralres uieoa : quilms salvi», fas tibi non est ac- eutare furlunain; in utroquc habc» quod te divcrsa vir- ] tute delcclet : aller honores induslrla conseciitas cU , aller snpieuter crnileinsit. Ari|uics('c jiltrrins fîlii di;;ni- ! laie, alîeriiis (piiele, iilriusquc piehte ; ii>>i frj:i'iini I mioruin iiitiinos a^feclll^ ; aller in lioc tiigni::iieni exci lit, utliliiiirnamenlo kit; aller iii Imc se a ! In!n',iiil'ani qiiie- tinique vilani recepil, ut lil)i \ace(. Iti-iie 1 lniiis lues et : in anxilinm. et in roniitlere : niliil litii dee- ' lit, pi;eler luumniin. Ab his ad ne|)()tes qnoqiierc^spicr; Marcuni, blandissinumi puerum, ad cnjus eiins')ic:uiri nnlla pi)!e.sldiirare ti'i>lilia; nihil lani iliagnun]. iiiliil I.'iin ; recens in rujiisn IncrjHiiis illius liilaiila^ supprimai? eiijus non contractnrn sollicilniliiie aniniuni illius arguli.T solvanl? (pieni non in jneos vocaliit i!l:i ias- civia? i|neni ifu in s' onvrriel . ei îdidiitei i ilruim co- pilaliciiilius, ila neiiiinem satia;iira p.nrnlilas? Deos oro , conliug.it Innic lialiere m bis MipMklilein. In nie omnis falonini midelilas lassala cnnsisl.it ; qiiid(|ii!il niatri dolenduin fiiil. in me transieiil; (piidipiid avia', in me. Floreat reliqua in suostUu tiirha ; niliil de or- SÉNÈQUE. soit heureux chacun dans sa couditiun , ul je ne me plaindrai ni de ma solitude, ni de mon sort. Que seul je sois la victime expiatoire de la maison, qui désormais n'aura plus à gémir. Presse bien contre ton sein Novatilla, qui doit bientôt te donner des arrière-petiis-lils ; je me l'é- tais si bien appropriée, je l'avais unie si intime- ment 'a moi, qu'elle peut, après m'avoir perdu, quoiqu'il lui reste un père , passer pour orphe- line. Aimc-la encore pour moi. La fortune lui a depuis peu ravi sa mère ; ta tendresse peut faire, sinon qu'elle ne s'afflige pas de cette perle , du moins qu'elle ne la sente pas. Veille tantôt sur ses mœurs , tantôt sur sa beauté ; les préceptes pé- nètrent plus avant, lorsqu'ils sont imprimés d;ins un âge tendre. Qu'elle soit nourrie de les dis- cours ; qu'elle se forme sur ton modèle. Tu lui donneras beaucoup, même en ne lui doimant que l'exemple. Ce devoir sacré servira déjîi de remède à tes maux ; car il n'y a que la raison ou une oc- cupation honnête qui puisse arracher l'âme aux amertumes d'une pieuse douleur. Parmi les gran- des consolations, je compterais encore Ion père, s'il n'était absent. Maintenant, néanmoins .juge d'a- près ton cœur ce qui lui importe davantage , et tu comprendras cond)ien il est plus juste de te conserver pour lui que de le sacrifler pour moi. Chaque fois que , dans ses accès de violence , la douleur s'emparera de toi, et voudra l'entraîner, songe à ton père : sans doute, en lui donnant des petits-fils et des arrière-petits-fils , tu as cessé d'être son enfant unique ; mais à toi seule appartient de poser la dernière couronne sur cette existence écoulée dans le bonheur. Loi vi- vant , c'est un crime de te plaindre d'avoir trop vécu. XVII. Je n'ai pas encore parlé de ta plus grande consolation; ta sœur, ce cœur si fidèle, dans le- quel tu épanches tous tes ennuis comme dans une autre toi-même; cette âme qui, pour nous tous, est une âme de mère. C'est avec elle que tu as confondu tes larmes; c'est sur son cœur que tu as retrouvé la vie. Sans doute elle s'inspire tou- jours de les sentiments ; mais, quand il s'agit de moi , ce n'est pas seulement pour toi qu'elle s'afflige. C'est dans ses bras que je fus apporté à Rome ; c'est , bercé par sa tendresse . par ses soins maternels que je jiassai ma convalescence au sor- tir d'une longue maladie ; c'est elle qui flt agir son crédit pour m'obtenir la questure. Elle qu'in- timidait même une conversation , ou un salut à voix haute , sa tendresse pour moi triompha de sa modestie. M sa vie retirée, ni sa réserve, qu'on pourrait appeler villageoise , si l'on considère l'effronterie des autres femmes , ni son repos, ni le calme de ses mœurs paisibles et solitaires ne l'empêclièrent de se montrer même ambitieuse pour moi. Voil'a, très-chère mère , la consolation qui doit te remettre : attache-toi le plus que lu peux à cette sœur; retiens- la dans d'étroits embrasse- nients. L'on a coutume, dans l'affliction, de fuir ce qu'on aime le plus , pour que rien ne gêne la douleur. Toi, va te livrer "a elle , avec toutes tes pensées; soit que tu préfères conserver le deuil de ton âme , soit que tu préfères le déposer, tu Dilate , nihil de conditione niea qiicrar. Fucrim lanlnm nihil ainpiius dolilura! ilonms pianientum. Tcne in greiiiio luo cito tiln daturaiii pronepolcs ISovatillam ; quam sic in me transtulerani , sic mihi iidNcripscram , ut possit vidcri , ijiiod me amisit , (luaiiivis salvo paire , pu- pilla ; liane et pro me diligo. Alislulit illi niipi-r forliina malreiii : lua polest eflicere (lielas, ut pcrdiilisse se ma- Irem dnleat tanliim , non cl seu;iat. ÎSunc nioics ejus compoue, nunc formam : allius pra?cepta detcendunt, qua' teneris imprimuntnr a'tatibiis. Tuis assiiescat >er- monibns ; ad tiium lîngaliir arbitrium; miilliiin i:ii da- tais, elianisi nihil dederis pra'ler exenipInni.Hoc jam lilii solemne oîficium pro remedio erit : non polest aiiinmm pie dolenleni a solliciindine averlcre, nisi ant ralio, aut honcsta occnpatio. IS'umerarom inler magna solalia pa- trem qnoque lunni, nisi abessit; nnne lamen ex aîfeclu tuo, quid itlius inlersit , cogil:i ; inlelliges, quai.tojns- tiussit, le illi scrvari, qnani niihi impendi. Qnolies le immodica vis doloris invaserit, et si qui se jnb b I, pa- trem cnpila, ciii lu qnidem lot nepoles prone|)()t(Sque daiido elTccisli ne unica esses ; consunmiatio lamen aHa- tis aclic féliciter in le Tcrtilur. Illo vivo, nefas est, te, quod viïcris, queri. XYII. Maximum adhuc solalium luum tacueram , sororem luam ; illud fidelissimum peclus tibi , in quod omnes rur.-E luœ pro indivise transferuulur ; illum ani- inuin omnibus nobis niaternum. Cum bac lu lacrimas tuas uiiscuisti, in bac lu primnm respirasii. Illaquideni aff, dus Inus seniperse(|uilur; in mea lamen persuna. non lautum pro te dolel. Illius manibus in urbem perlata* suui ; illius pii) nialernoque nuiricii per longum tenipat ajger convalui ; illa pro quîesinra mea graiiam suam exiendil ; et qua" ne sermonis quidcni , aut clarae salu- taliouis sustinuitaudiciani , pro me ^icit iiidulgcutla re- recundiam. Nihil illi seductum vite genus, niliil mo- dcslia , in tauta feniinarum pelulanlia , ruslica , uihil quies, nihil secreti el ad oiiura reposiii mores oljslile. runt (|uo minus pio me etiain ambitiosa fieret. Uaec est , maler carissima, solalium, que reiiciaris ; illi quantum pôles le junge , illius arctissimis amplexibus aliiga. So- lenl niœrenUs, ea qna; maxime dibgunt, fugere.etli- bertaUm dolori sue quaerere : lu ad illam le,etquid- quid cogitavcris, confer; sive servare liabiium islum voles, sive deponere, apud illam invenies vel Tmem do lori luo, vcl coniitem. Sed si prudenliam perfectissimîe fcminaj novi, non patietur le nihil profuluro mœroie CONSOLATION A Hl.LYlA. ST) trouveras auprès d'elle une lin ou une compagne h ta douleur. Mais si je connais bien la sagesse de cette femme accomplie , elle ne souffrira pas if;alionc: tuiil tamen eodem Icmporc et luctum, cl nictum, crie- tUquc lempestalibus corpus ejusnaufraga evenit. O quam mullarum e {;ri'gia o|>ora in obscuro jacent ! Si huic illa simple! adniirandis virluliliu.s contigisset aniiqiiilas , quanlo iageuioruin certaminc celt'braretur uior.qua' oblita inilwcillitatis , oblita eliain nrinissiiiiis nielucndi maris, caput iuum periculis pro sepultura objecit, et dum cogilat de viri funcre, niliil de sun liinuil! Nubili- talur carmlnilius omnium , qu^ se pro con;uge vicariani dédit; boc amplius est, discrimine vilx scpulcruni viro i;nicrere : miijiir est ainor , <|ui pari periculo minus rc- dniil. l'o.'t hoc nciuo minitur , (jui^d |ier scdeiiin an- nos, quibus niarilus ejus /Kt!\pluin ob;inu>t , nun(|uaiii in publicd couspecta est ; neuilueni provincialem doiiiuni fu.\ni admlsil; niliil a liro pcliil, nibil a se pcti passa est. itaqne !oi|aix , et ingcniosa in ciinlumdias pra-fcc- torum proTincia , in (|ua eiiam «lui vilavi runl rulpani , non effugeruni inramiani , tcIuI unicimi sanclitiiti s cieni- plum suspeiit ; et qnod ilb diindllinium est, ciii eliani pcriculusl sales placent , omnem verborum licentiam con linuit, et boilic similem illi , quamvis nunquam spcret , seniper oplat. Mullum erat, si per sedecini annos illani provincia probasscl; plus est, quod ignorsTil. Ita'C non ideo refero, ut ejus laudes exscqiiar , qu;is circumsdi- bcie est, tam l'arcc transcurrere ; sed ut intelligas, niagni animi esse ferainam , qu,im non ambilio, non ara- rilia, comités omnis poleutia^ et |H'stcs , viceruul : non nietus mortis eam , csarniata navi iiaiifragiura .suum sjH'ctantem, detcriuit, quo minus exanimi viro barens, qua'rerct, non quemadmoduni iiide o\iret, sed qutmad- modum efferrct. Huic parcin lirluteni exhibeas oportet , et auimuni a luctu rccipias , et id agas , uc <|uis te putet partus tui pœuiterc. Ccterum quia niccsse cst.qiium omnia fcceris , co;:it ti jnes timiu tuas subinde ad nie ro cuirere, nec quemquain uunc ex liberis tuis fiequeutius tibiobversari : non quia illi minus cari sint, sed quia natiirab' est, iiiauuui sa-pius ad id retcno quod doleat, qiiaUm me cogit' s , accipe : l;etuni et alacrem ïelut op- tiniis rébus; suut uuteiii optiiisie , qnum animus oiuiiis rogitatiiiuis expers uporibus suis vacal; et modo se levlo- rilius .'iuiliis obliclit , modo ad ron>idtraniiar!) Minin uni- 0. 84 reprend à loisirses travaux, et tantôt trouve plaisir à des études plus légères , tantôt, avide de vérité, s'élève pour contempler sa nature et celle de l'univers. D'abord il examine les terres et leur po- sition , ensuite les lois de la mer répandue à l'en- tour, ses flux et ses reflux alternés ; et puis il con- sidère cet intervalle entre le ciel et la terre, asile de l'épouvante, et cet espace où roulent avec SÉNEQUE. fracas les lonnerrcs , les foudres , le souffle d« autans, et les nuages qui lancent et la neige et la grêle : alors, après s'être promené aux régions inférieures, il s'élance au plus haut des cieux, jouit du magnifique spectacle des choses divines; et, se rappelant son éternité, il marche au milieu de tout ce qui fut et de tout ce qui sera dans tous les siècles versique naturam , veri avidus insurgit. Terras primura, situmque earum quaerit; deinde eonditionem circurafiisi maris, cursusque ejus alteinos et rccursus; tune quid- quid inter cœlum terrasquc plénum formidinis interja- cet, pcrspicit, et hoc tonilribus, fulininibus, Tentorum flatibus, ac iiimborum nivisque et grandinis jactu tumal- tuosum spatium ; tum pcrapratis humilioribns ad summa prorumpil, et pulclierrimo divinjrum spectaeuloj'ruitur, aeternitatisquo sua- nicmor , la orane quod f uit , futu- rumque est omnibus seculis , vadit. :i giîr'sa'Y-^^ .♦•♦•»»V»**»"»»»»»'»*»»»»»»"t"»»»»»»»"^»»»*»»^»»?'»î" ?SQ808S808CCS800C08 CONSOLATION A POLYBE. XX comparés à noire corps, ils sont so- lides ; si tu les rarnèues à la contlilion de la nature qui détruit tout, qui rappelle tout au sein d'oii elle l'a tiré, ils sont fragiles. Kn effet, quoi d'im- mortel pouvait être l'œuvre d'une main uiorlelle? Les sept merveilles du monde, et avec elles ce qu'a pu bâtir de plus merveilleux l'orgueil des âges sui- vants, un jour on verra toutrola couché au niveau du sol. C'est le destin : rien d'éternel; peu de choses durables. Chaque chose est fragile 'a sa manière : on arrive au torrent par des voies différentes; mais tout ce qui commence doit Cuir. Parquehiucs-uiis ce monde est menacé de mort : cet univers, qui embrasse toutes les clioscs divines et humaines, s'il est permis de le croire, un jour fatal viendra le dissoudre et le replonger dans la nuit de son an- tique chaos, ou'ou aille maintenant , qu'on aille se lamenter sur chaque tombe ; qu'on aille gémir sur les cendres de Carthage , et de Numance , et de Corintlic , et de ce qui peut-être est tombé de plu» haut, lors(|ue dnit périr ce mornJe qui n'a pas oii loifber! Allez donc; cl plaignez-vous, si lesdestins, qui doivent un jour oser un si grand crime, ne vous épargnent pas ! XXI. Quel lioujme d'une arrogance assez su- perbe, assez effrénée pour vouloir, devant cette loi fatale de la nature qui ramène tout h la même lin, mettre en réserve lui seul et les siens, et dérober une maison "a la ruine (pii menace le monde. C'est donc une puissante consolation de songer que ce qui nous arrive, tous l'ont souffert avant nous, tous le souffriront après ; cl la nature me semble avoir fait commun ce qu'elle a fait de plus cruel , pour que l'égalité du sort nous consolât de ses rigueurs. Ce ne sera pas non plus pour loi un médiocre allé- gement, de songer que ta douleur ne servira de 1 ien ni a celui que tu regrettes ni "a loi-même : car tu ne voudras pas prolonger une chose inutile. Si CONSOLATIO AD POLYDIUM. y.X nnstra corpora compares, flrmasunt : .si rc- àif»s ad conditl >npin n.ntiir»^ omDia dcslrucnlis, et iindc edidit eodcm revooanlis, caduca siint. Qiiid enim ini- inorlalc manus iiiorlalcs H ccrint? Septem illa miracula , etsiqua lus miilti) niirnlnllora seqiientitini annormii cv- ttriixit anil>itio, idiqiisindo sulo aquata visonliir. Ita v.\l : riihil porpcluiiiu , pauca diuturiia .sunt; aliiiil ;iliii niOflo IraKile est : rerum cxilus Tariautur : ceterum qiiidqiiid cœpil, etdesinil. Mundu quidam minantiir intiritiim . rt hoc uuiver linguœ potenlia , aut gra'cac gr«tla , vigebit eum maximis viris, quorum se iugeniis vel contulit. Tel, si hoc verecuudia ejus récusât, applicuit. XXIJ. Itoc ergounum excogitasli, quoniodo illi maxime posses nocere. Quo melior enim est quisque, hoc ste- pius ferre le consue>it, sine ullo delectu furentem, et inter ipsa benelicia metucudani. Quantulum erat, libi immuncm ab bac injuria pra'.^tare eum liurainem , ia quem >idebalur indulgentia tua ralione certa pcrTenissc. et non ex tuo more teniere incidisse? Adjiciamus , si vis, ad bas querelas , ipsius adolesceulis intercept m iu- ter prima incremeuta iiidolem. Dignus fuit ille te fratrc : tu certe eras dignissinms, qui nec ex indigno quidem quidquam doleres fratre. lledditur illi testimiinium aequale omnium hominum; desideratur in tuum hono- rem, laudatur in sunm; nihil in illo fuit , quod nonli- benler aguosceres. Tu quidem etiam minus bono l'ralri fuisses bonus : sed in ill > pietas tua idoneam uacta mate- CONSOLATION A POLYBE. 87 déployée. Il ne fit à personne senlir sa puissance par un oulrage ; jamais il ne menaça personne de son frère. 11 s'était formé sur l'exemple de la mo- dération : quel ornement et quel fardeau lu étais j)our les tiens, il le comprenait, et put suffire au poids de ton nom. Impitoyable destinée , que ne désarme aucune vertu ! Avant que Ion frère pûtconnaître loutsun i)onlieur, elle l'a moissonné. Je ne m'indigne que faiblement, je le sais : il est si diflicile de trouver des paroles qui égalent une grande douleur! Plaignons-nous encore une fois si nous pouvons y gagner quelque chose. « Qu'e.s- pérais-lu , Fortune , par tant d'injusticeset de vio- lences? T'es-tu si tôt repentit' de les faveurs'/ Cruelle ! pourquoi te jeler entre deux frères , et ravir une proie sanglante au sein d'une famille si bien unie; pourquoi , dans une maison si noble- ment remplie par ces vertueux jeunes hommes, frères tous dignes l'un de l'autre, venir jeler le trouble et faire brèche sans motif? Eh! que sert donc une pureté fidèle "u toutes les saintes lois, une antique frugalité, une Ame supérieure "a la plus haute fortune, une merveilleuse c'. constante tem- pérance, un araourdes lettres sincèreet inviolable, un cœur vierge de toute souillure? Pol^lw est dans les pleurs ; et, averti par la perte d'un frère, de ce que tu peux sur les frères qui lui restent, il Ircniblc même pour ceux qui le consolent dans son alllic- tion. Indigne sacrilège! Polybe est dans les pleurs et gémit de quel(|ue chose, quand il a les bonnes grâces de César. Sans doute, Fortune insolente, lu épiais cette occasion de montrer que personne ne peut être protégé contre toi, pas même par César. » XXIII. ^'ous pouvons plus longtemps accuser la destinée, nous ne pouvonsla changer : elle demeure insensible et inexorable. On ne saurait l'émouvoir ni par dis reproches, ni par des pleurs, ni par des raisons. File n'épargne rien, elle ne fait grâce de rien "a personne. Ainsi donc, épargnons-nous des larmes qui ne sont d'aucun proOt ; car celle dou- leur aurait plutôt fait de nous joindre 'a celui que nous regrettons, que de le rappeler 'a nous. Si elle nous tourmente , elle ne nous aide en rien. Il faut y renoncer même dès le premier jour , et défendre notre âme contre de puérils soulagements , coiitie ce je ne ^ais quoi d'amer qui cliarnic dans les dou- leurs. Si la raison ne met un terme a tes larmes , la fortune n'en mettra point. Promène les regards sur la foule des mortels : partout un abondant cl inépuisable sujet d'aflliclion. Celui-ci c'est une be- sogneuse indigence qui l'appelle 'a son labeur de tous les jours; celui-là, c'est une ambition tou- jours inquiète qui le travaille; l'un craint les ri- chesses i est. Ad exemplum se ni(xlcstix tuae foriiiureral , cat(|ue quaaiuni lu et orDanientum tuoruin esses , et ouus. .Suf- fecit ille huic sarciax. O dura fala , et nullis x<|ua >irtu- libus! Aatequam felicitateni suam misset fraler tuiis , eiemlus rsl. Parum au'cni me indiuaaii .sciu : uihil esi eoim dirricilius , (|naiii nia|;n>> dnluri paria Trrha repc- rire. Jam nuoc lam!'n si quid pi'o!:cere piissunius , con- queraruur. « Quid libi Vdlui.sti, tatii injuïta , et lam tIo- lcDlaFortuna?Tamcilo iu'Iulgruli.X'lua'tciHi'niluil? qua; ista cnidelilas est? ia me.llus fratres impetuni Taeerc , et tam cruenla raplna concordissimam turliam irnininiiere, tant l>enc slipalam opllninruin adolescenlium doiniim, iii nullo traire dégénéra ntein , lurl)are , et sine nlla causa delittare Toluisli ? Mhil ergu prolest innoo^nlia ad om- nem legem eiacta , liihil antiqua frugalilas, nil.il filicita- tis soinnia' pnteniia , siinima conservata nhsiinentia, nitiil sincenis et tutus litlerarum anior, nlliil ah oinni lal)einins racans? Lugel Pol;l>iu8, el in nnofralre, quid de reliquis poasis, admonitns.etiam de ipsis dolorissnisolatiis tiniet; racioas indignum I luget Poljliius , et aliquid propilio dolet Cctarc I lioc Sine dul)i/> inipotrns lui iiiia rapla>li, ul o-.- tcnderes neminem contra te , ne a Cœsare ijuidcm , poss» dcfendi. « XXllI. Diutius acciisare fala possiinius, nnilaïc non possuuius : siant dura et inevoralidia ; iii'iiii) illa eorivi- cio. ncnio llelii, iiciMO causa movol ; iiiliil umiuaiii par- cuntulli, nccreniitiuul. Pidindc pareainus laeriniis nihil proficiinlihus ; f eilius enini H' s jlli dolor isie ailjicicl , i|uani illuni noliis nduiot. Qui si nos iDniutl, nnn ad- ju\al; primo quocpie lcni|ore dcpoiieudus csl, et ab inanilins solaliis, atquc amara quadani libidinc dolinili animusrecipieudus. >ani lacrimis noslris, ni ralio liueni UvatU , fiirluni non facict. Omncs ageduin mentales circiiuispicc : larga ubii|ue llendi, et as^dua malciia. AliuHi ad qunlidianuni opiis lalmriosa egoslas vocal ; aliuui ambilio nnnquam c|uiela solliiilal : alius divitias, quasoptavcrat, nietuil , et volo laixiral suo : aliuni sulli- Citiido, alium lalior lonpict , aliuni seiiipir veslibuluni olisiuen.s luiba : hic haherc se dolel libcnis, h.r pcrdi- (lisse. Lacrinr.» ncihis decrunt, anie quam causœ do- lendi. Non vides, (|iialeiii >ilam nohis iciiim naiura pro- miserit, qua' piiumin nasienlinni cimin llclum esse so- luitV Hoc priniipio «diiiiur. Iiiiic c lis sequentium annoruni (iido consinlil; sir ïilniii a^imiis : irteiK|ao R8 SÉNÈQUIv re dont il nous faut user souvent; et, tournant la tête pour voir combien d'affliclions se pressent sur nos pas, si nous ne pouvons en^pêchernos larmes, sachons du moins les mettre on réserve. 1! ne faut rien épargner davantage que ce qui exige un fré- quent emploi. Ce ne sera pas non plus pour toi un médiocre allégement de songer que nul n'est moins flatté de ta douleur, que celui à (jui tu semblés en faire offrantîe. Ou il ne veut pas que lu te tour- mentes, ou il ne le sait pas. 11 n'y a donc pas de motif raisonnable à cet hommage; car si celui au- celui dont je parle, tu avais éprouvé sa tendresse: sois donc assuré que rien nepeut lui être plus pé- nible que de le voir en peine de sa mort, que de te causer aucun tourment, que de mouiller de larmes sans lin, et d'épuiser tour a tour tes yeux si peu faits pour cette souffrance. Mais, ce qui peut avant tout arracher ta ten- dresse a cet inutile désespoir, c'est de songer que ton exemiilo doit enseigner "a tes frères comment il faut supporter avec force ce coup de la fortune. Les grands capitaines, après un échec, se com- qucl il s'adresse ne le sent pas, il est superflu ; s'il ' posent a. dessein un visage joyeux , et déguisent le sent, il lui est déplaisant. XXIV. II n'est personne dans tout l'univers qui prenne plaisir "a tes larmes; je le dis hardiment. Eh quoi? lorsque personne n'est ainsi disposé con- tre loi, penses-tu que ton frère puisse l'êire? qu'il veuille te faire un supplice de ta douleur, et l'en- lever a les occupations, c'est-à-dire ii l'étude et à César? Cela n'est pas vraisemlilablc. Il t'a toujours aimé comme un frère, vénéré comme un père, ho- noré comme un supérieur; il veut bien le causer leurs revers sous un faux semblant de gaîté, de peur que les soldats, voyant le cœur de leur chef abattu, n'en viennent eux-mêmes à per- dre courage. C'est la ce que tu doii faire aujour- d'hui. Prends un visage qui ne ressemble pas "a ton âme, et, si tu le peux, bannis enlièreraent la douli'ur; sinon, enfouis-la profondément etcon- llen.s-la, dans la ciainte qu'elle ne paraisse, et prends soin que lesirères t'iinilent : tout cequils te verront faire, ils le croiront honnête , et rèjjlerout des regrets, mais non pas des tourments. Pourquoi i leur âme sur ton visage. Tu dois être et leur con- te plais-tu doncà le consumer dnns une douleur que sulalion et leur consolateur : or, tu ne pourras pas ton frère, s'il est quelque sentiment après la mort, désire voir finir. Si je parlais d'un frère autre qne celui-l'a, dont le cœur lût moins sûr, j'emploierais I fendre contre une aflliclion immodérée, c'est de le langage du doule, et je dirais : Ou ton frère veut ! bien te convaincre que rien de ce que tu fais ne retenir leurafUiclion, si lu t'abandonnes 'a la tienne. XXV. Une aulre chose , qui peut encore te dé- de toi des tourments et des larmes sans fin; alors il est indigne de ton affection : ou bien, il ne les veut pas; alors écarte une douleur sans profit pour l'un et pour l'autre. Un frère qui n'aime pas ne rméite pas ces regrets; aimant, il les refuse. Mais inoderale id ficri débet a nobis, que J sœpe faciendum est : et rcspicien'cs, quantum a lergo reruin trisliuni iinnii- neat, si nou fluire laci'inias, at cor[e rcservare debeiuus. ÎN'u'di parceudum est rei niiigis quam hue, cujus tam frequens usus est. Illud quoiue te non iiiininiuin adjuve- rit, si cogitaveris, nulli minus graluni esse dolorem tuum, quain ci cui pnis;aii videtur. Toiqucri ille te aut non vult, aut non intelligit; nulla itaque cjus officii ratio est, quod ei cui pia'slalur, si niliil sentit, super- vacuumcsl, si sentit, ingraluin. XXIV. Nemiucm lolo orbe terrsruni cs.^e , qui delec- tetur lacriniis tuis, audaclei- dixerini. Quid ergo? queni uemo advcrsus te aiiinmni gerit, cum (sse lu credis fra- ti'is mi, ut cruciatn tuo noceat tilii ; ut te \dlt abducere ab occupalionibus luis , id est , a studio , et a Caesare ! Non est iioc siniile veri. Ille cnim indnlgenliam tibi tan- quani fratri pra'stitit , venerationcm tanquani parenii , cullum tamiuam supci'iori , ille desiderio libi esse vult , tormento esse non vuU. Quid itaqua juvat dolore inta- besccre , queni , si quis defunclis sensusest , finii-i frater tuus cupit 1 De alio fratre, cujus incerla posset voluntas videri, omnia liac dubie poncrem, et dicerem ; .Sivc te torquerilacriuiis nunquam dcsinenlibns frater tuus cnpii, iudignus hoc affecta tuo est : tive no.i vull, utri [ue ves- peut rester secret. L'n granil rôle t'a été imposé par le suffrage des hommes ; il faut t'y maintenir. Toute cette foule de consolaieurs qui se presse au- tour de toi, vient aussi épier ton âme et tâcher de surprendre tout ce qu'elle a de force contre la dou- truni inerioni dolorem dimitte; nec iinpius fralcr sic de- siderari débet, née pins sic velit. In Iioc vero, cujus tam e.\|>lorat.i pietas, pro certo habendum est, nihil esse illi pusse acerlius, quain hic si libi casus ejus accrbus est, si le ullo modo torquet; si oculos tuos, indignissimo» h.c nialo , sine ullo flendi fine et conturbat idem et ex- haurit. Pielatem lu.im tanien nihil a-que a laciiiiis tam inuiilibus abducet . quam si cogi.'averi.'i , fratribus te tuis e.xemplo esse deberc, foriiler banc fortunée injuriam sustinendi. Quid duces niagni faciunt, relms aflectis, ut hilaritatem de induslria sinm'ent, et adversas res ndum- brata lœtitia abscondant. ne niilitu:n animi, si fraciam dutis sui menteni viderint, et i|isi cnlbibanlur ; id nunc tibi quoque faciendum est. Indue dissiniilcm animo tuo vullum, et, si potes, projice omuem cï loto dolorem : sio minus , introrsus abde et conline , ne appareaf , et da opé- rai», ut fraties tui te iuiilentur : (jui honestum pulabuat, quodcunque facienteraviderint, animuinque exvuliu tuo sunienî. Et solalium debes esse, et consolator illorum : nonpoierisautemhorummœroriol)slare,situoiudulseris, XXV. Potest et illa res a luclu te prohibere nimio, si tibi ipso renuntiaveris , nihil horum quie facis passe sub- duci. Magnau) libi partemhominum consensus imposait: hœc tibi tuenda est. Circums!al te oranis ista coasotaD- CONSOLATION A POLYKE. 89 leur; elle se demande si tu n'es habile qu'a usci- do la bonne fortune, ou si lu peux supporter en liomnie l'adversité ; on cherche a lire dans les yeux. Celui-là jouit de sa pleine liberté , qui peut cacher ses senlinients : aucun mystère ne t'est permis; Ja fortune l'a placé au grand jour. Tout le monde saura comment lu te seras comporte en recevant celle blessure; si , le sentant lra|)pé, lu as mis bas les armes, ou si tu es demeuré debout. 11 y a long- temps que l'aniilié de Ce ar '"éleva au plus haut rang, et que les études t'y appelèrent : rien de >ulgaire, rien de bas ne le toiivieut. Or, quoi de plus bas, quoi de moins viril que de se livrer en proie à la douleur? Dans une affliction égale, il l'est moins permis qu"a tes frères. Dien des cho- ses te sont délentiues par l'opinion qu'on s'est laite de ton savoir et de les mœurs : on exige beau- coup, on attend beaucoup de loi. Si tu voulais que tout le fût permis, pourquoi appeler sur loi les re- gards de tous? Miiiiilenanl il te faut tenir autant que tu as promis à tous ceux qui admirent les œu- vres de Ion génie , "a ceux qui li's publient , "a ceux qui, s'ils n'ont pas besoin de ta faveur, ont besoin de Ion génie. Ce sont lesdéposilaircs de la pensée : lu ne peux donc rien faire qui s: il indigne de ta renommée de science et de vertu, sans qu'une foule d hommes aient 'a se repentir de leuradmiia- lion pour toi. Il ne l'est pas permisde i.leurer sans mesure: et ce n'est pas cela seulement qui ne l'est pas permis; mais il ne t'est pas permisde pnilnnwr ton s.imuieil bien avant dnns le jour, de fuir le tourbillon des affaires pour le loisir et la paix des champs , ou de délasser , dans un voyage d'agro • ment, ton corps fatigue par les assidus travaux d'un poste laborieux, ou de charmer ton esprit par des spectacles variés , ou d'arranger tes jours sui- vant la fantaisie -WVI. Bien des choses ne te sont pas permises, que l'on permet a l'humble mortel qui vit obscu- rément dans son coin. Une grande fortune est une grande servitude. Il ne l'est permis de rien faire à ta guise : tu as tant de milliers d'homnses à en- tendre , tant de requêtes "a mettre en ordre ! Do tous les poinis du monde il l'arrivé une telle multilude d'affaires, que^ pour les offrir dans leur rang h l'esprit d'uu grand prince, il te faut d'abord relever le lien. Il ne t'est pasi)ermis, te dis-je, de pleurer. Pour pouvoir entendre la fiiulc de ceux qui pleurent, pour [louvoir séeiicr les la: mes de ceux qui , sous le coup du ehàli- menl, désirent parvenir jusqu'à la miséricorde du Irès-clénient César, d'abord il te faut sécher les tiennes. Je vais le dire enlin le remède qui ne sera pas le moins propre à le soulager : quand tu voudras oublier tout, sonue à César; pense quel dévouement, quels services tu dois à sa boulé; et lu comprendras que ployer sous le faix n'est p.:s chose ]ilus permise à loi, qu'à celui qui, si l'on en croit la fable, pnrle le inonde sur ses épaules. César lui-même a tout en son pouvoir, et c'est peur cela qu'il n'a pas le pouvoir de faire bien des cluses. U veille pour ilifendn; les maisons de tous; il liavaiMe pour le repos di; tous; il se faligiio l)our les délices de tous ; il s'occupe pour le loisir tium froqurnlia , ft in aniinnm liiuiii iiiquiril , ac prr- spiiil (|uaiiliiiii rolxii'is ille ntiir oculi lui. LilHTJora onini ;i snnt iis , (luoruin aflrclns Icci pnssiint : ti'ji niilliim .sicrctnin UIxTiirn est; in niiiUa li;ce fi>r:una te (losuit ; (iinnes scient, qimiiio lo le in isio tiio Rcsseris ïuliiere; ulrunne sliitini iierius.sns aiina .snliniiseiis, an in gradu steteris. Oliin le in ; lliorcin irdinein el ainor Cses riseslulil, et lii.i >ludi'i drdnternnt : niliil te ple- heinni decet, niliil liiimile. Quid aiilein lain hnni le ac mnliebrc est, quanieoiisunienduni se dulDrieiiniinittere ! ?inn idem lilii in luclu paii , qund Inis Tratrlius licet; niulla libi non pennittit opinio de sindiis ac nuirihns tnis rrcepla ; niiillinn a te liomines eïipunt, nin tiini eispcctant. Si volcbas tibi onniia liiere, ne e, invertisses in te ora oiiininin ! nunc : uteni tilii pra?stindiini est quantum promisisti onmiljns illis, qui opéra ingeiiii lui laudant, qui dcscribunt, qiiihus, qnniii lortnna tua opiis non sit, ingenio opus est. Custodes aninii lui sunt; niliil unquam ilaquc potes indignuni facerc |)crfecti et crndili liri profeisiime, ut non n'iultos admiratiunis de le su.e p(eniteat. Non licel lilii llere inimodic ; ncc hoc lan- tumniodo non licet , nec sonmuni (|Uideni eitendere in partcm diei licel, aul a tuniultu rcruni in otium ruris qiiiili ronfiiRcrc, aut assidua lahorio i nfficii slatlone fa- li^Mtiini corpus vo!iiiit:;ri:i pore^'riiKilione recreare, aiit spettaniliiruMi vaiietate animuni deiiiierc, aut tuo arbi- lilii (lieni liispiinere. XWI. Mulla lilii nnn licent, qii.e luiniilliinis et in an^iilu jacentiliiis licent. M.!(.'na serviius e>t magna for- tuiia. NDu licel lilii qniiUpr iii arhiirio tuo facere : au- dieiida snnt tut iMiiiiniiin millia, tut disponendi lilieili, lanius nruin ex orbe tnlocneuntiuiii cungestiis, ut pussit per oriiineni suuni principis iiiaxinii aniuio subjici, eri- (lendus luu< est. >- sar remplira toute ton âme. Mais aussitôt que tu l'auras quitté , soudain , comme si l'occasion s'of- ■ frait pour elle , la douleur dressera des embûches à ta solitude, et lentement se glissera dans ton esprit inoccupé. Ne permets donc pas qu'un seul de tes instants échappe à l'étude : que les lettres, auxquelles tu vouas longtemps un si fidèle amour, s'acquittent alors avec loi de leur reconnaissance ; qu'elles te réclament alors, toi leur adorateur, loi le ministre de leurs autels : Homère, Virgile, ô vous! qui avez aussi bien mérité du genre humain que Polybe mérita de vous et de nous tous, eu vous faisant connaître à tant de gens pour qui vous n'avez pas écrit , venez alors en sa compagnie passer de longues heures ! Tout le temps que lu mettras sous leur sauvegarde , tu ne saurais le perdre. Alors mets tous tes soins à rassembler les hauls faits de ton César, alin qu'un éloge domes- tique les raconte à tous les siècles : pour bien or- donner et composer une hisloire , lui-même il t'offre à la fois la matière et l'exemple. XXVll. Je n'ose pas aller jusqu'à le donner le conseil d'arranger, avec cette grâce qui t'est pro- pre , des fables et des apologues à la manière d'I^sope, genre que n'a pas essayé le génie romain. Car il est difficile à une âme si rudement frappée d'aborder sitôt ces compositions trop enjouées : néanmoins, qu'il te soit prouvé qu'elle a reprisses forces et se possède elle-même, si elle peut des- cendre de plus graves écrits à cette littérature plus facile. Car ceux-là sauront distraire ton âme quoi- que malade encore , encore en lutte avec elle- même-, par la sévérité des sujets qu'elle traitera; quant à celle-ci, qui demande à l'écrivain un front déridé, ton esprit ne pourra s'y faire avant qu'il se soit de tout point rétabli. Aussi devras-tu d'a- bord l'exercer sur une matière plus grave, et le reposer ensuite sur une plus eujouée. Ce qui ne sera pas non plus pour toi un médiocre soulage- ment , ce sera de te demander souvent : est-ce sur plicant, nunquam illi licet nec subsislerc, ncc quidquam suum facere. Ad quemdam ilaque niodum liln quoqno eadera nécessitas injtingitur : non licet til)i ad u;ilitates tuas, ad studia tua respicere. Cœsarc orlieni tciTariuii possidente , impartiri te nec voluptati , nec doloii, nec ulli alii rei potes; (otum te Caesari debes. Adjre nunc , quod, quum semper praedices cariorem libi spiiiiu luo Caesareiii esse, fas tibi non est, salvo Caesare, de Ibiluna queri. Hoc incolumi , salvi libi sunt lui : niliil perdidisli : non lautum siccos oculos tues esse, sed ctiam laetos opor- tcl; in hoc tibi omnia sunt , hic pro omnilius est. Quod louge a sensil)us tuis prndenlissiinis piissiinisque iil)est, adversus leticitatem tuara parum gratus es, si til)i quid- quam, hoc salvo, flere permillis. Mons'rabo eliannuiiic non quidem fiimius remcdium, sed faniiliaiius. Si quando le donium lecepeiis, tune ciit til)i nictuenda lri.-.tilia ; nam quamdiu numen tuum intuebcris, nidium illa ad te inveniet accessum : omnia in te Ca;sar lenel)it : qunm ab illo discesseris , timc, veint occasione data, insidiabitur soliludini tua> dolor, et requiescenli aninio tuo paulatim inepet. Itaque non est, quod ullum tenipus vaearc paliaris a studiis; tune libi littcra; tua' , t;ini diu ac tani fideliter araata; , gratiam référant; tune le illa; anlislitem et cultorcm suum Tindicent; tune Homerus et Virgilins, tam bcnc de humano génère merili, quam tu de omni- bus et de illis mcruisii , qiios pluribus notes esse voluisii quam s ripserant, mulluni tecura morentur; tutum id critomne tempus , quod illis tuenilura commiseris. Tune Cœsaiis tui opéra , ut per omnia secula d imeslico nar- renlur praconio, quantum potes compone : nam ipse libi oplime formandi condendique res geslas, et male- riani dabit , et exemplum. XX\ II. Non audeo te nsque eo producere, utrabellss qunquc et .(Csopcos logos, inlenlalum Romani. ingeniis opus, solila libi venustate connectas; difficile est quidem, ul ad ha'C hilariora studia tam vehementer pereulsus animus tam cilo possit accedere : hoc tamen argumen- liini habelo jam corroborati ejus, et reddili sibi , si po- teiit se a seveiioribus scriplis ad haec solutiora producere. In illis enim quamyis a?grum eum adhnc, et secum re- luctanteui , avocabit ipsa rerura qnastractalùt auslerilas; hi sa-pe te sic interrogaveris ; Ltrumne meo do- CONSOLATlOiX A l'OLYBE. 91 moi que je pleure, ou sur celui qui esl mort? Si je , toumieuis du la colore, ni les abaltcmcuis de la pleure sur moi , je n'ai plus a faire éralage de ma ; maladie , ni les angoisses du soupçon, ni les pcr- lendresse; et désormais ma douleur, à qui des mo- ; sécutions de l'envie rongeuse el toujours hostile tifsLoDnéles peuvent seuls donner une excuse, [ aux succès d'autrui , ni tes inquiétudes de la n'ayant pour but que mon profit, n'a plus lien de i crainte, ni les soucis dont nous assiège l'infidèle commun avec la piété. Or, quoi de plus malséant i fortune , si prompte 'a déplacer ses faveurs. Si lu pour un homme de bien, que de faire proût de la ' comptes bien, la mort lui fait giàce plutôt que mort d'un frère ! Si c'est sur lui que je pleure , il faut que je me décide pour Tune de ces deux croyances. S'il ne reste après la mort aucun sen- timent, mon frère est échappé "a toutes les amer- tumes de la vie ; il se retrouve au lieu où il était avant de naître ; exempt de tout mal , il ne craint rien, ne désire rien, ne souffre de rien. Quelle est cette folie de ne pas cesser de s'affliger sur ce- lui qui ne s'affligera jamais? S'il reste après la mort quelque sentiment , l'âme de mon frète , comme délivrée d'une longue prison , s'applaudit d'être enfin libre et maîtresse d'elle-même ; jouit du spectacle de la nature; des hauteurs où elle est placée, voit 'a ses pieds toutes les choses hu- maines , et contemple de près les choses divines , dont elle avait longtemps, en vain , interrogé les cau.ses. Pourquoi donc me consumer "a regreter un être auquel appartient la béatitude ou le néant? Gémir sur la béatitude, c'est envie ; c'est folie de gémir sur le néant. XXVlll. La cause de Ion chagrin , est-ce que Ion frère te semble dépouillé des biens im- menses qui s'étendaient au loin autour de lui? Mais quand tu te seras persuadé qu'il a perdu bien des choses , persuade - toi qu'il eu est davantage qu'il n'a plus a craindre. Il n'aura plus ni les dommage. Il ne jouira plus de la richesse, ni de ton crédit ni du sien; il ne recevra plus, il ne rendra plus de bienfaits. L'eslimes-tu malheureux de ce qu'il a perdu toutes ces choses , ou bienheu- reux de ce qu'il ne les désire plus ? Crois-moi ; plus heureux est celui qui n'a pas affaire de la fortune , que celui qui l'a sous la main. Tons ces biens, qui nous charment par des attraits sédui- sants, mais trompeurs, l'or, la dignité, la puis- sance, et tant d'autres qui transportent l'aveugle cupidité de l'espèce humaine , on ne les possède qu'avec labeur, on ne les regarde qu'avec envie. Ceuxl'a même qu'ils décorent , ils les accablent; ils menacent plus qu'ils ne servent. Glissants et fugitifs, on ne peut jamais bien les tenir. Car, lors même qu'on n'a rien a craindre de l'avenir, il y a toujours bien des soucis dans la tutelle d'une grande fortune. Si tu veux en croire ceux qui sondent plus avant lu vérité, toute vie est un supplice. Jetés sur cette nier profonde et mou- vante balancée , par des laines contraires , qui tantôt nous élève h des hauteurs soudaines, tan- tôt nous précipite dans un goufire plus profond, dans cette fluctuation incessante, jamais nous ne trouvons où nous arrêter et nous li\er. NOus flot- tons suspendus aux vagues; nous nous heurtons mine doleo, an ejn» qui deocssit ? Si meo, pcrit meœ in- dul|;cntix jacl^lio, et incipit dolur, hue uno eicusatus quod biineitus esl, qiiuni ad iitililaleni rrspiciat a pietale de»ciscen«. ÎSiliil aulem minus bonn viro convenit , qnain in fratris luctu calculos ponerc. Si illius noniinc dolco, necesse est allcnitrum ei bis duobus esse judiceni. INam si nullus defunctis sensus supcrest, evasil omnia fralir meus \Use incommuda , et in eniu rcsliiutus est locuiii, io quo fuerat, antcqiiam nasccri'lur, et evpers oinnis mali , nibil tiniet , uihil cupit , nihil patilur. Quis nie c>t furor, pro eo me nuiiqiiam dolere desinere, qui niiii- quam doliiurus est ? Si est aliqu's defunctis sensus, nuiic aniiiius fralris mei, »elut c\ diulitio carcirc cniissus , tandem sut juris et arbllrii gcslit, et reruni iiatur.i- speclaculo fiuliur, tra qusaierat, propius iutuelur. Quid ilaque ejus disidcrio mnceror, qui aut beatus, aut nullus est ! beatuiu detlcre ■nvidia est: nullum, demen'.ia. XX VIII. Au lioc te movel, quod vidi-tur ingentilmt etquum maxime circunifisis bonis carulsse ! quum co- gilaveris mulla esse quae perdidll, cogiia plura esse quae non timcl. Non ira eum tnrquebit , non morbu» afOiRet , non suspicio lacessct , non cdax et inimica «cmpcr alienis proces!.iiius inviilia ccinscctabitur , non metus sollicitnbit, non livlli;s furluna; cilo niun ra sua iraiislLiintis iiiquie- labil. Si beiie coiiiputcs, plus illi l'emis.-uni, (|»ani crcp- lum esl. Non opihus fiuilur, non lua siinul ac sua gra- lia; non arcipiet bentlicia , non liabil. Miscruin pulas quoil isia iimisit, an bealuui qtii>d non dcsidenit I iiiilii cri de, is bealior esl, cui forluua supervacua est, qnam is cul parala est. Omnia isIa boiia , i|u;e nus speciosa , sed laltaci voluplale deleclanl, pecnnia, di(,'nitas, po- teotia , aliaque complura, ail qua' generis humani ca'ca cupiditas ol)slU|)C.sc:t, cum laboru possidcnlur, cum iii- vidia coiispirluntui' ; eosque ipios quos cuiruant, et pro- iiiunt; plus miuanlur, (|uam prosunl ; lubiica el iuccrla suiil ; nunquam liene leiienlur ; nam ut nihil de tempiire fnuiro timealur, ipsa tiimen niagn;e felicitalis lutrtasolli- cila est. Si velis crederc allius verilalem intiiiiililius, omnis lila suppliciuni est. In lioc pr.ilimdum iminieluni- (|ue projecli mare , allcrnis a;slilius rccipnirmn , cl modo alkvaus nos subilis iiicrcmentis, modomajiiiil>u.suistl; hamanuin, quod perdidisli. Ncc eDim quidquam minus inter te consentaoeum est, quani aliqueni raoTcri , quod ïibi talis frater parum diu contigcrit , non gaudcrc , quod tamen contigcrit. At inopJDantierpptus est. Sua quemque credulitas decipit; etineisquxdiligit, Toluntaria niorta- lilatis oblivio. Natura nullt te neccssitatis su.-b gratiam facturam esse testata est. Quotidie pra'tcr oculos nostros transeunt notorum ignotonunquc fuuera : nos lamen aliodaginius, et subitom id putamas esse , quod nobis tota tita denuntiatur futurum. Non est itaque ista fato- nim iniquitas, sed mentis bomana! pravitas , insatiabilis renim omnium ; quîB iudignatur iude se eiirc , quo ad- niissa est precario. XXX. Quanto iUe jnslior, qui nuntiata filii morte, dignam magno liro vocem emisit : Ego quum genui , tnm moriturum sci»i. Prorsus non mireris ex hoc natum e»se , qui fortiter mori postrt. ÎSon acccpit t^mquam no- vum nunlium, Olii niortem; quid est cnimnoti,ho- minem mori , cujus tota vita nibil aliud qnam ad mortem itcrest? Ego quum genui , tum moriturum scivi. Deinde adjecit rem majoris et prudentiu' et animi : Huic rei sus- tuli. Omnes huic rei tollimur : quisquis ad vitain editur, ad mortem destinatur. Gaudeanms crgo omnes eo quod datur, rcddamusquc id quum rcposcemur; alium alio tempore fata comprehendcnt , neminrm prxteribunt. In procinctu stet animus ; et id quod nccesse est , nunquani timeat ; quod incertumcst, semper eispectet. Quid di- cani duces , ducumque progcnies , et multis aut consula- tibus conspicuos , aut triumpliis , sorte defunctos ineio- rabili I tota cum regibus régna , populique cum genlibus tulere fatum suum. Omnes, imrao omnia in ultimum diem spectant; non idem universis finis est. Alium in medio cursu vita dcserit, alium in ipso aditu relinquit , alium in eitrema sencctute fatigatum jam et e&irc cupicntcm vii rmittit : alio quidcm atque alio tempore , omnes tamen in euradem locum tcndinius. L'trumno stultius sit nescio , niortalitalis legem ignorare , an inipu- denlius, rccusare. Agedimi illa quas niullo ingeuii tui labore celebrata sunt, in manus sume, ulriuslibct auc- toris carniina ; quœ tu ila resoMsIi , ut qiiaii.vis struc- tura illorum recesserit , permaneat tamen gratia. Sic 04 SENÈQUE. mesure, ils ont conserve toute leur grâce. Car lu les as si bien fait passer d'une langue dans une autre, que, chose difflcile ! toutes leurs beautés leur sont restées sous une forme étrangère. 11 n'est pas un seul chant de ces poèmes qui ne te fournisse de nombreux exemples des vicissi- tudes humaines, des hasards imprévus, et des lar- mes arrachées par tant de causes diverses. Lis ces graves écrits où s'est déployé le tonnerre de la pa- role; lu rougiras de faiblir si tôt, et de déchoir d'unetellehauteurd'éloquence. Garde-loi que ceux qui naguère admiraient, qui admirent encore les écrits , se demandent comment un esprit si débile a enfanté la grandeur et la force. Ab ! plutôt, dé- tourne Ion esprit de ces pensées douloureuses, et rcporle-le sur tant et de si grandes consola- tions; contemple les excellents frères, contemple ta femme , contemple ton fils. Pour le salut de tous, la fortune a composé avec toi au prix d'un seul. 11 le resle plus d'un asile où reposer ta douleur. XXXI. Epargne-toi la lionle de paraître aux yeux de la foule plus louché d'une seule douleur que de toutes ces consolations. Tu vois tous les tiens frappés avec toi , sans pouvoir le venir en aide; que dis-je , c'est de loi qu'ils attendent leur soulagement : ainsi donc , moins il y a en eux de sagesse et de génie, plus il le faut résister au mal commun. Et c'est déj;i une sorte d'allé- gement, que de faire entre beaucoup le partage de sa peine; divisée entre plusieurs, il en doit rester dans ton âme une moindre part. Je ne me lasserai jamais de te mettre César devant les yeux : tant qu'il gouverne le monde, et qu'il prouve que l'empire se conserve mieux par les bienfaits que par les armes, tant qu'il préside aux destinées humaines, il n'y a pas crainte que lu t'aperçoives que tu as perdu quelque chose : en lui tu trouves un soutien sulfisant , une suffisante consolation. Relève-loi , et toutes les fois que des larmes vien- dront mouiller tes yeux, chaque fois attache-les sur César; elles se tariront au radieux aspect de cette puissante divinité. Eblouis de son éclat, tes regards ne pourront se porter sur rien autre; il les tiendra fixés sur lui. C'est lui , lui que lu con- teiuples et les jours et les nuits; lui, dont jamais tu ne distrais ton âme, qui doit occuper ta pensée ; c'est lui que lu dois appeler à ton aide contre la forlune : je ne doute pas que ce prince si débon- naire , si bienveillant à l'égard de tous les siens, n'ait déjà, par des consolations nombreuses, cica- trisé la plaie, et ne t'ait prodigué des remèdes pour charmer ta douleur. Que dis-je? n'en eût-il rien fait , la vue seule , la seule pensée de César ne suflirail-elle pas pour te donner aussitôt la plus grande des consolations? Que les dieux et les déesses le prêtent longtemps a la terre ; qu'il égale les hauts faits du divin Auguste ; qu'il dépasse ses années; tant qu'il sera parmi les morlels, (]u'il ne s'aperçoive pas qu'il y ait rien deraorlel dans sa maison. Qu'il voie son CIs gouverner l'empire romain ; qu'il s'assure de lui par une longue é|)rcuve; qu'il le prenne pour l'associé de sa puis- sante, avant de l'avoir pour successeur. Qu'il vienne bien tard, qu'il ne soit connu que de nos derniers neveux , le jour où sa grande famille le placera dans le ciel. enim illa ex alla lingua in aliara transtiitisli , ut (ciuod dlflicilliinura erat ) oinnes \irtutes in iilienam te oratioiiem secuta' sint. ÎShIIus eiit in illis sciiptis liber, qui uon pluiima varietalis huinana» incerlorum:|ue casuum et laciiniarum, es alia atque alia eausa flueiilium, e.venipla til)i suggérât. Lege quanto spirilu ingenlil)us intonueris rébus; pudeliit te subito deficcre , et ex taiila (imlidnis raagnitudine decidere. jNo comniiseris, ut quisquis ex- teniplo ac modo scripla tua niiral)atur, ciuarat (pio- niodo tam grandia tanique soliila taui fnigilis aninius concepeiit. Potius ab istis qua? te torquiut, ad hœc tôt et tailla qua; consolantur, couverte, ac respice optiinos fratres, respice uxorem , filium respice. Pro onmiuin horuii salute, hac tecuin portioiie furluua decidit. Multos lial)ps in quibus acquiesças. XXXI. Ab liac te inl'auiia vindica , ue videalur omni- bus plus apud le valer.uiuis dolor, quani lia'C lam mulla solalia. Omnes istos una tecum perculsos vides , uec possc libi siibvenire ; immo eiiam ultro exspectarc , iit a le su!i- levcnlur. intelligis : etideo quanio minus in illis doc rin;e mjniisque ingenii est, lanto niagls resistere te necessc est eoinmiini iiialo. Est aulcni hocipsum solatii loco, in:er niultiis dohiivin suiiin dividere, qui, ipiia dispensalnr in- fer pUires, exigua débet apud te parle sulisidere. Non de- sinam totiens tilii nfferre Caesarem; illo modérante ter- ras, et ostendenle , quanto melius beneficiis imperium ciis- lodiatur, qnani arniis, illo rébus bumanis praeside, non est periculum , ne quid perdidisse te sentias ; in hoc une tibi salis pra-sidii, salis solatii est. AttoUe te, et quotiens lacrynia; suboriuntur oculis luis, toiiens illos in Caesarem dirige; siccabnniur, niaximi et claiissimi conspoclu nu- niinis. Fulgor ejus illos, ut nihil aliud possint adspicere, prafstringet . in se hcTrontes dciiuebit. Hic tibi, qnem In diebus inlueris ac iioctibiis, a quo nunquam dejicis ani- niuni , cogi landus est , hic contra fortunam advocaudus : nec dubilo, qnum tanta illi adversus omnes suos sit man- suetudo, tanlaque indulginlia, quiu multis jam solatiis luuni istud vulnus obduxerit, nonuulla qua- dolori obsta rcnl tuo, congesserit. Quid porro? ut nihil horum fece- rit, nonne piotinus ipse conspecus per se tmtummodo cogitatusque Caesar inaximo soiatio tibi est? Dii illum Dea'qiie ouiues terris diu cominodcnt, acia hic divi .\u- gusli a'qiiot, annos viocat, ac, quamdiu iuter mortales erit , nihil ex doni i sua niorlale esse s<os du présont. -Tu peux reconnaître que la loudre tombe avec justice, quand ceux même (|u'elle a frappés l'adorent. X.WIII. Ainsi donc, ce prince, consolateur pu- blic de tous ks hommes, a déjà, sans doute, si tout ce que je vois ne m'abuse, reticnipé ton âme, et applii|ué sur une si grande plaie de plus grands remèdes. Déjà il t'a ravi\é par tous les moyens : déjà tous les cxeniples propres à le conliaindrcà la résignation , sa mémoire si fidèle, le lésa rap- portés : di-jà les préceptes de tous les sages , avec cette éloquence qui lui est si familière , il le les a développés. Aussi n'y a-l-il |)crsonne qui , mieux que lui, puisse remplir ce lô'c de persuasion. Les paroles auront un tout autre poids dans sa bou- che, d'où e les tomber(Mit comme autant d'oracles : toute la violence de la douleur viendra se briser devant sa divine autorité. Fiiure-loi donc l'en- tendre te dire : « lu n'es pas le seul qu'ait choisi la fortune, i)Our l'accabler dune si rude disgrâce : il n'y a pas dans tout l'univers , il n'y eut jamais une seule maison qui n'ait eu quelque sujet de XXXII. Al)stine ab hoc manus tuas, forluna, doc in islo iiolenliani tuam , nisi ea parle qua pnxtes , ustomlc- ris; patere illuro generi humaai) jain diii agro et aff cio roederi; patere. quidqiiid prions principis hiror coiiciis- lit, in lorum suum restituerc ac repunerc. Sidus hoc, quod pra>cipiUil(i in protuaduni, ne demerso in tenebras orl)i rc- rul&it, tempcr luceat. Ilic Germaniam pacel, BriLinniarii aperiat.et patrios Iriuniplios ducat, el nivcis : quorum nie quoqae ipectitorem fntunim, qux prlmuni ohtinet locum ei Tirtulibus ejus, promilUt cleineniia; dpc enini tic me dejicit, ni noilet eri);ere : imino ne dejecit qui- deni, led impulsum a fortuna et cadentcm sustinull, et in pneceps eunteni leniter ditina.- manusususm >deratiiinc depmuit. Deprecatus est pro me senalum, el vitam iiillii non tanlura dédit, sed etiam pctiit. Viderit , qualem ruici ir-stimari causant meam : vcl juslltla ejus l>on:ini perspi- cfel.Tel cleraentia f ciel, utrumqu>! in irquo inihi «jus tienellciuni erit , sItb innocentem me scierit esse , sivc V(>- lueril. Intérim magnum niiseriarum mearum solalium csl, ïidcre mi-ericordiam rjus tolum orl)em pervat-an- tem : luxquumci ipso angulu, inquo ego 'lelossmsuin, coiriplures mullorum jam anoorum ruiai ubrutos elïodc- ril, et iu luceiu reduxerit.non vercor ne me unumtrans- oat. Ipse autem oplimc nnvil Icmpns. quo cuique dé- licat succurrere : egi) nninein opiram dal'o ne pervenire ad me eruliescal. O felicfin ceiiionliani luaiii, C.Tsarl qux cmcit, ut quieliureui sub le at^aut \ltain eisulcs, quant uupor sub Caio egere principis. ÎS'itn trepiJant, nec per singiilas hitnis gtadium exspcelant. ncc ad oin- nem navium ciittspc rtiiiit pa>enl. Per le babeni, ul for- tiinx' sa?\ienlis ni>>durti, iLi spein quiiqiie nteliori.s ejiis- dent.nc pr.Tsen'Is quielem. Scias licct ea dintuiit ful- mi.ia CS.SC jiislissiina , quincom(>etlereris, lenacls>ima iitenioria relulit , jam omnium prirccpla sapionlum assiieta sibi r.'icundiaciplicuil. Niillus itnqiii' niellushasiill ><|Ui'nili parles occupaveill ; aliud habclHint hue dicenle pondus vcrba.velul al> orarulo niissi : oiiiiirnt vint doloiis lui divlna ejiis ronlundct aiiclorilas. IIuiic ilaquc lll>i piila dicere : non te soliini forluna dcsnntsit silii, quciit lam gravi africeret injuria ; nulla domus in lotoorltc l^rnirura aul est, aut fuit sine aliqua comploratione. Traniiuo m SÉINÈQUE. larmes. Je passe les exemples vulgaires, qui , bien que plus obscurs, n'en sont pas moins frappants; c'est devant nos fastes, devant nos annales publi- ques, que je veux te placer. Vois-tu toutes ces images qui remplissent le vestibule des Césars? 11 n'y en a pas une qui ne soit fameuse par quel- que peine domestique : il n'est aucun de ces bé- ros, qui brillent dans les siècles dont ils sont l'or- nement, qui n'ait eu à déplorer la perte des siens, ou qui n'ait été pour les siens un sujet déplorable des plus cuisantes douleurs. Te rappellerai- je Scipion l'Africain, qui apprit dans Texil la mort de son frère. Celui qui put arracher un fière à la prison ne put l'arrachera la mori ; tout le monde pourtant avait vu combien la tendresse de I Africain souffrait impatiemment même les droits les plus justes : car le même jour qu'il enleva ce frère aux mains du viator ', il osa , homme piivé , s'oppo- ser aussi au tribun du peuple. Cependant il sup- porta la mort de son frère avec autant de courage qu'il l'avait défendu. P,appellerai-je Scipion V.nn lien, qui vit, presqu'en un seul et même instant, le triomphe d'un père cl les funérailles de deux frères? Toutefois, a iiciiie adolescent, touchant prcsqu'ii l'enfance, quand sa famille tombait au milieu des triomphes mêmes de l'aulus, il sup- porta cet isolement snudain avec la fermeté d'un Iiéros envoyé sur la terre pour «pi'un Scipion ne manquât pas b Rome, pour que Carthage ne lui survécût pas. XXXIV. « l!appclerai-je l'union des deux I.ucnl- lus, rompue par la mort? lit les Pompées? à qui • Esclaves qui servaient de licteurs aux triljuns. la cruelle fortune ne permit pas même de lombfjr sous le même coup. Sextus Pompée survécut d'a- bord "a sa sœur, dont la mort brisa les liens si so- lidement formés de la i>aix romaine. H survécut à son digne frère, (]ue la fortune n'avait tant élevé que pour le précipiter d'aussi haut qu'elle avait précipité son père : et toutefois, après cette épreu- ve , il put suflirc non seulement à la douleur, mais encore "a la guerre. De toutes parts se pré- sentent d'innombrables exemples de frères séparés par la mort. Je dirai jdus : jamais à peine un seid couple de frères n'a été vu vieillissant ensem- ble : mais je me contenterai des exemples de notre maison, ^ul homme, sans doute, ne sera assez dépourvu de sens et de raison, pour se plain- dre que la fortune lui envoie quelqu'afflielion , lorsqu'il saura qu'elle a voulu voir couler les larmes des Césars. Le divin Auguste perdit Ocla- via, sa sœur chérie, et la nature n'affranchit pas de la nécessité de pleurer même celui qu'elle destinait au ciel. Bien plus encore, déchiré par tous les genres d'affliction , il vit périr le lils de sa sœur, celui qu'il préparait pour sa succession. Enfin , pour ne pas énumérer chacune de ses dou- leurs, il perdit et ses gendres, et ses enfants, et ses petits-enfants : de tous les mortels, nul, plus qiielui, nesentitqu'il était homme, lantqu'ilfut parmi les honîmes. Néanmoins , tant et de si grandes afflictions furent supportées par cette âme (jni suffisait à tout ; et le divin Auguste triompha non seulement des nations étrangères, mais en- core de ses douleurs. (I Caiiis César, fds adoptif et petit-fils du divin exempta \nlgaria , (HIït otiamsi minora, lamen mira simt : ad faslos te, et annales perducam piililieos. Vides onines tias iniaRines, (iii.i? implevere Ca-sareuin alriimi? nulla non tiarnin aliqiio suoi-um incominodo insigiiis est . nenio non es islis In oi'n.mientinii scculorum refulficnli- bus vii'is , anl desiderio siiorum loi'lus e.st , ant a suis cuin maximo animi cruciatu dcsideralus est. Quid libi "fre- ram Scipionein Afrieanum, cul mors fralris in cssilio uuntiata est? Is fialer qui eripuit fiatrcm carcere , non poluil eripere fato : et qnani juris œqui Impatiens pietas .^fricanl fuerit, cunclis apparuit; eodcm enini die, qno yiatoris manilius fralrem al)Stulcrat , trihuno qnoque plebis privatus Inlerccssil; tam magno tanien fralrem desideravit liicanimo, quam defenderat. Quid reteram ^milianum Scipionem, qui uno pa?ne eodemque teni- porespectavlt palris triumplium, duorumque fralruni funera? adolescenlntus tamen , ac prnpe modum puer, tanto animo tulitlltam farnilia; suœ, super ipsum l'aull Irinmplium concidenlis, sul)ilam vaslitalem, quanto de- biiit ferre vir in lioc nains, ne uihi lloman;c anl Scipio deesset, aut (îarlbago superessel. XXXIV. Quid referam duorum Lucultorum direplam morte concordiam ? Quid Pompeios? quibus r.e hoc (jui- dcm saovions reti(|iiil forluna , ul nna denique concidereiit nnna. Vixil Sextus l'ompeius, primurn sorori superslcs, cnjus miirle opiinie coh.i'rentis llomana' pacis vinculi re- soliila surit. Idemque vixilsupcrst- s optinio fralri ; quem Ibrtuna In lioc erexerat, ne minus alte enm dejiceret, quam palreni dejecoral : et post hune lanien casura n -o tanlum diilori , sed bello sufferil. lunumcnibilia undique exompla siparalornm morte fralrum succurnmt; Inimo conlra, vix nlla un(iuamlioi'um parla conspecta sunt una senescenlia : sed cimtcnlus nostra? donms exeniplls ero. INemo enim lam expers erit sensus ac saaitalis , ut fortu- namulli (pieratur Inclnni inlul'sse , quam sciet cllani CcE sarum lacrlnias concupisse. Divus Auguslus aniisit Ocla- viam sororem carissimam , cl ne ei quidem renmi natura tuRCndl neccssilalem abslu!ll, cnl rœluin deslInaTeral : immo vero idem omni génère orbitalis vexalus, sororis lilinm successioni pra-paraluni snœ perdidlt. Denique ne singulos ejus Inclus enumereni , et génères iilc amisit, et lil)eros. et nepotcs; ac nemo niagis ci omnitms niortali- t)us honiincm esse se, dum Inîer homines erat, sen.Ml. Tamen toi tanlosque Inclus cepit rerum omnium capacis- simum ojus pectus, viclorque divns Augnstus uon gen- lium tanUuDniodo exteruarum, sed eliam doioruiii fuit. CONSOLATION A POLYBE. V! Auguste , mon oncle , prince de la jeunesse , per- dit, an sortir de radolescencc , un autre prince de la jeunesse comme lui , dans son frère chéri Lncius. C'était pendant les apprêts de la guerre Partliique : cette blessure fut plus terrlMc pour son âme que celle qu"il reçut ensuite ne le fut pour son corjis , et il les endura toutes deux avec la même résignation et le même courage. César Tibère, mon oncle, vit mourir dans ses bras et au milieu de ses baisers, mon père, Urusus Ger- roanicus, .'on frère puîné, qui avait pénétré au cœur de la Germanie, et soumis a l'empire nmiain iesnalinns les plus indomptables : il mit pourtant un frein non seulement à son désespoir, mais à celui des aulres; et larraée entière, triste , stu- péfaite, et réclamant les restes de son Drusus, fut rappelée par lui dans les bornes d'une afflic- tion romaine : il jugea que non seulement la guerre, mais aussi la douleur avait sa discipline. 11 n'eût pu commander aux larmes des autres, si d'abord il n'eût réprimé le.» siennes.» XXXV. t M. Antoine, mon aïeul, qui ne fut in- férieur à personne, si ce n'est "a celui qui le vain- quit, alors qu'il gouvernait la république, et que, chargé du pouvoir triuinviral, il ne voyait rien au-dessus , et tout au-dessous de lui , à l'ex- ception de ses deux collègues , apprit que son frère était tué. 0 fortune capricieuse! combien lu te fais un jeu du malheur des bumains ! Dans le même temps que Marc-Antoine siégeait arbitre de la vie et de la mort de ses concitoyens , le frère de Marc-Antoine était traîné au supplice. Le trium- vir endura cependant cette cruelle blessure avec la même grandeur d'âme qui lui avait fait sup- porter ses autres adversités ; et ses pleur.';, "a lui , ce fut le sang de vingt légions immolées aux mânes fraternels. Mais sans rappeler tous les autres exemples, sans parler des aulres coups qui ra'oDt aussi moi-même atteint, deux fois la fortune m'a frappé dans mes affections fraternelles , et deux fois elle a compris quelle pouvait me blesser, qu'elle ne pouvait me vaincre. J'ai perdu mon frère Germanicus : combien je l'aimais , c'est ce que comprendra , sans doute, tout homme qui sait combien un tendre frère aime son frère. El pourtant j'ai si bien réglé ma douleur, que, sans rien omettre de ce qui devait être exigé d'un iion frère, je n'ai rien fait de ce qui pouvait être blâmé dans un prince. » Suppose donc que le père de tous te rappelle ces exemples; que ce même prince te montre qu'il n est rien de sacré , rien d'inviolable pour la (or- tune, puisqu'elle ose aller choisir ses victimes dans ces pénates où elle va chercher des dieux. Que personne donc ne s'étonne de la trouver quelque- fois ou crueile ou injuste. Peut-elle, en effet, faire preuve, envers des mai.sons privées, d'aucune équité, d'aucun ménagement, elle dont l'impla- cable fureur a tant de fois souillé, par le meurtre, la couche des Césars? Nous avons beau l'accabler d'invectives; ce n'est ni notre voix, ni même la voix publique qui peut la faire changer ; sourde à toute prière, a toute expi;rtioii, ce que fut la fortune dans les choses hiiiiiaincs, elle le sera toujours ; elle ose tout, elle touche à tout. Sa vio- lence se déployant {Ktrtout, selon sa coutume de «Caius C.isar.diri Augusti avunculinici (ilids acnc|)0'î, circa primes jutenta; su» .innos I^ticium fratrcni carissi- niuin silil pnncpps )uï<'n:uiis principrrn ejiisdeiii juven- tulis amisit. in apparatu Parltiici hclli, et RraTiorc miiUi) aniini ïulnere, qiiam iwslea C(ir|)oris , ictus est ; <|iium atruniqiie piissinicidem, et ronissiine lulit. Cffsar pa- truusnipus, I)ru.suin Gcnnaaiiuni palreni monru, iiiiiio- rem nalu <\nam ipse eral fraln-ni, intima Germania; re- cludenlriii , el Rentes f.Toti.winias Krmano sulijicicutem imperio, in coniptciti el o.scu!is suis aniisit : mtidiini la- men lugendi ncm tihi tanum , sed cliaiii atiis fccit ; ac lo- tum exercitum, dod soiuni inocstum , sed etiain alloni- tuni , corpus Drusi sui sll)i lindicantem, ad iiiorem llo- mani luclus rcdegii ; judicaviiqiic non inililandi lantimi disciplinam esse scrvandam, sed etiam dulendi. >i)n po- tuisset ille lacrjmas aliénas compescere, nifi prius pres- sistet suas. XXXV. < M, Antonius aTu» meus, nullo minor nisi eo a quo ïictiis est, tune quum reuipul)!lcam constiluerct , et triiimtirali poteslate praedilus , nitiit supra se , eicepiis »frodii()l)uscollepis omnia infra se cenierel , fralrcni in terfcclum audivil. Forluna impolens , qualcs ei liuiiianls mili» libi ip5a ludos fad»! eo ipso lempore, quo>f. An'o- ni.is ciMiini siiorum v't.T sedeliat morlisquc arl)i!er, M. .\ntonii fialcr duci jul)cl)atur ad supplicium. Ttilit tioc lamcn lam triste vulnus cadeni m^^nitudiiie animi, qua omuia alla adversa toleravrrat ; el lioc fuit ei lugubre, Tif inli I giiiiiuni .*anf;uinc fratri parcnlare. Sed ut «ninia alla exempta piEelercam , ni iu nie qiioqne Ipso alla la- ceam fuuera , bis me iraterno tuctu forluna aggressa est ; bis intellexit la'di iiic posie, vincI nonposse. AmisiGer- manicuin fralreiii; quim quoniodo amavcriin, intctligit pi'ofecto, (|uisquis cngilal, ({iioinodosiinsfratrespii fralres ameut Sic tanien affectiini nicum rcxi , iit ner leliiique- lem quidquam qiiod exigi ileberet a lioiio fralre, née fa- ccreai <|Uod repreliendi pnsset in prineipc.» HiTcergoputa titiiparenlem pulilicuin irfrrre exempta, eumdem oslenderc <|uam nihit sacrum intartuniqiie sit fi)rluiiae, qua" ex his penatllius aiiia csl funera diieere . ex qnilius eral dwis pelittira. Nemo ilaque mire ur ali- quid ab illa aut crudeliter (ieri, aut Inique. Po!ei>l eniin hffc adTersus privatas doinns ullam apqiiitalem nossc , aiil nllam modesllam, rujas implacabilis Fieviti'i InlUns ipsa funeslatit pulvinaria? Faciamus liecl illi ciinv^ciiini, ;ion □ustro taninm ore,.sed eliam piilillco, non lamcn Mini.i- bilur; adïcrsus onines se prcces, omncsqne cercinon as erigct. Hoc fuit in relin.'i buman s r-.rlMna, b(icoiil, nilii! inansiim .■iibi ret qnil : niiit iiil.irlnni rclimi'Kl Ibit \;u- m tous les temps, elle ira, pour le plaisir du mal, frapper aux maisons qui ont des temples pour avenues, et apportera des vctemenisde deuil sous les portiques couronnes de lauriers. XXXVl. Puissent seulement nos vœux , puissent les prières publiques, obtenir d'elle, si elle n"a pas encore résolu d'anéantir le genre humain, si elle regarde encore le nom romain d'un œil favo- rable, que ce prince, accordé aux destinées chancelâmes de l'humanité, soit aussi sacré pour elle qu'il l'est pour tous les mortels. Qu'elle ap- prenne de lui la démence ; qu'elle soit douce envers le plus doux des princes. 11 te faut donc considérer tous les grands hommes que je viens de citer, soit ceux qui sont déj'a reçus dans le ciel, soit ceux qui s'en rapprochent, et souffrir avec résignation que la fortune étende jusqu'à toi cette main qui n'épargne pas même ceux par qui nous vivons. Il te faut iiniler leur courage a sou- tenir, h vaincre la douleur, et, autant qu'il l'est permis a l'homme, marcher sur leurs tiaces di- vines. Quoiqu'en toute autre chose, les dignités et la noblesse opposent leurs distances , du moins la vertu est accessible a tous : elle ne dédaigne personne, pourvu qu'on se juge digne d'elle. 11 est beau , sans doute , d'imiter ceux qui, pouvant s'indigner de n'être pas exempts du malheur , ont accepté, non comme une injure, mais comme une condition de l'humanité , de se voir, en cela seul , mis au niveau des autres mortels ; qui ont subi tous les accidents, sans aigreur et sans amer- tume , comme sans mollesse et sans lâcheté. Car ne pas sentir ses maux , c'est n'être pas homme ; SÉNÈQUE. ne pas les supporter, c'est n'être pas un homme. Après avoir passé en revue tous les Césars aux- quels la fortune enleva des frères et des sœurs, je ne puis toutefois omettre celui qu"il faudrait retrancher du nombre des Césars, celui que la nature enfanta pour la ruine et l'opprobre du genre humain , pour renverser de fond en com- ble un empire que relève la clémence du plus sage des princes. Gains César, cet homiute aussi inca- pable de s'affliger que de se réjouir en prince , ayant perdu sa sœur Drusilla , se déroba à la vue et au commerce de ses concitoyens , n'assista pas aux obsèques de sa sœur : ne rendit pas les der- niers devoirs 'a sa sœur, mais retiré dans sa mai- son d'Albe, c'est aux dés , a la table de jeu , et aux autres occupations de même genre qu'il de- mande une distraction 'a de si cruelles funérailles. 0 honte de l'empire ! un prince romain pleure une sœur, et la consolation de son âme, c'est un dé. Ce même Cnius, dans les caprices de son délire, tantôt laisse croître sa barbe et ses cheveux, tan- tôt parcourt en insensé les rives de l'Italie et de la Sicile , n'étant jamais bien sûr s'il veut pour Drusilla des pleurs ou des autels. Car dans le mo- ment même où il lui vouait des temples et des honneurs divins, il poursuivait des plus cruels châtiments ceux qui ne montraient pas une assez grand affliction. C'était le même dérèglement d'esprit lorsqu'il recevait les coups de la mauvaise fortune, que lorsque , transporté par les faveurs de la prospé- rité, on le voyait gonflé d'un orgueil plus qu'hu- main. Loin de toute âme romaine cet exemple lentiiii' per oinnia , sicut seniper est solita , eas quoque doiDos aiisa injuria; causa intrarc, in quas per tcnipla adilur, et alrani !aui'eati.s foril>us induit vesteui. XXXVI. Hoc ununi ol)tincanius ab illa votis ac preci- bus pul)licis, si uuQdumilli genus humaiiuni placuit cou- sunieie , si llomauuni adhuc nomen piopilia respicit , hune principem, lapsis boniinuni rébus datuni, sicutoni- ni!)us niorlalibus, sil)i esse sacrosanctum velil; discat ab itio clcinenliani, alque sit niitissinio oniniuni priucipuni initis. Debes itaqiie onuies intueri eos, quos paulu ;iute retuli, aut adscitos cœio.aut pro\inios, et ferre ii'quo animo forlunani , ad W quoque porrigenteui nianus , quas ne ab eis quidcni, p;'i' quos vivinms, abstinel. Debes il- loruni iinilari finnitatcin et perferendis et evincendisdo- loribus, et in quantum nindo boniini fas est, per divina ire vestigia. Quanivis iu aliis rcbus dignitatuai ac nobi- litalnm magna di.scrindua sint, virtusin medioposila est ; iieuiineui dedigiiatur, qui modo dignura se illa judicet. optiine ct'rte illos iuiiiabcris , qui quum indigiiari posscnt non esse ipsos expertes hujus mali , tamen in hoc uno se ceteris exasquari honiinibus, non injuriam, sed jus mor- talilatis judicavcrunl; luleruntqne nec nimis acerbe et aspcrc qund accidcrat, nec molliter et effeminate. Nam et non scntire mala sua , non est bominis , et non ferre , non est viii, INon possum tamen , quum omnes circaniiverim Csesa- res, quibus fortuna fratres et sorores eripuit, hune prae- terire ex omni Cœsarum numéro cxcer[)endum ; quem rerum natura in exitiuni opprobriumque humani generis edidit, a que Imperium eversum funditus, prinripis piis- simi recreatclemenlia. G. Ca'sar, amissa sorore Drnsilla, is home qui non magis dolere quam gaudere principali- ter posset, conspectum conversationemquc ciTium sno- rum profugil, exequiisque serons sua; non interfuit, justa sorori non prxstitil , sed in Albano siio tesseris ac foro, et provocalis hujus inodi aliis occupationiims acer- bissimi funeris levabat mala. Pro pudor imperii! prind- pis Romani lugentis sororem aléa solatium animi fuit. Idem ille Gains furiosa inconstanlia, modo barl>am ca- pillumque submiltens, modo ItaUae ac Sicitiœ oras erra- bundus permetiens , et nunquam salis certus ulrum la- geri vellet, an coli sororem. Eodera enim fempore, quo tenipla itii constiluebat ac pukinaria, eos qui parum mœsti fuerant, crudelissinia afTiciebat animadvei'sione. lïadera enim intempérie animi adversarum rerum ictn» f robat , qua sccund:.rum etatus cventn , supra liumanum CONSOLATION A l'OLYDi:. !);) d'uu insensé, qui veut distraire sa douleur par des jeux déplacés, ou l'irriter par le spectacle repoussant de la négligence et de la malpropreté, on la charmer par les maux d'autrui , consolation indigne dun homme. Quant a loi, tu n'as rien à changer de tes habitudes ; car tu l'es attaché à choisir ces éludes qui ajoutent si grandement b la prospérité et allègent si aisément l'infor- tune , qui sont pour l'homme le plus bel orne- ment , en même temps que la plus douce conso- lation. XXXVII. Maintenant donc plonge-loi plus avant dans les études : fais-en comme un rempart qui environne si bien ton âme , que la douleur ne puisse d'aucun côte y trouver accès. Tu dois aussi "a ton frère de faire vivre sa mémoire , en lui élevant dans tes écrits un monument durable. Car voila les seules œuvres de l'homme que n'ou- trage nulle tempête, que nul âge ne dévore : (ouïes les autres, qui ne s'appuient que sur des constructions de pierre, sur des monceaux de marbre, sur des entassements de teric élevée à d'immenses hauteurs , ne promettent pas un long avenir ; car il faut que tout cela périsse 'a son tour. Il n'y a d'immortel que les souvenirs du génie; c'est l'a ce qu'il te faut accorder 'a ton frère, c'est là le temple où tu dois le placer : mieux vaut l'immorlaliser [)ar ton génie, lait pour vivre a jamais, que le poursuivre de stériles regrets. Quant a ce qui concerne la fortune elle-mùme , sa cause , il est vi ai , ne saurait maintenant se plaider devant loi ; car toutes les choses qu'elle nous a données nous deviennent odieuses , par cela qu'elle nous en a ôlé une seule ; cependant alors que le temps aura fait de loi un juge plus équitable, il sera permis de prendre sa défense , car alors tu pourras te réconcilier avec elle. En elfel, elle l'a d'avance offert beaucoup de choses pour compenser ce dommage ; elle le donnera encore beaucoup pour 'e racheter ; enlin , ce qu'elle t'a ravi , ce fui elle-mùme qui lo l,> donna. Ne va donc pas le servir de Ion génie tonire loi- même, ne va pas prêter des forces 'a la douleur. Sans doute, ion éloquence a le pouvoir d'agr;in- dir les petites choses, comme d'amoindrir les grandes et de les ramener aux plus peliles pro- portions; mais il faut qu'elle réserve ses l'orce.^. pour d'autres besoins, elquemaintenantellesen;- ploie tout enlière h le consoler. Considère cepcii- danl si déjà cela même nest pas inutile. Car li nature exige bien quelque chose de nous; mais la .anilé demande encore davantage. Or, jamais je n'exigerai de toi que lu t'abstiennes de toute afflic- lion. Je sais qu'il se trouve des hommes dont la philosophie, plutôUruelleque courageuse, nieque le sage puisse conn;iilre la douleur. Maisceux-lîi semblent n'être jamais tombés dans des affliclions de ce genre : autrement la fortune les eût fai: renoncer h celle superbe sagesse, et les eût coii- traiuls, en dépit d'eux-mêmes , ;i confesser la vé- rité. La raison aura fait assez, si elle relranclie de la douleur ce qu'elle a de trop, ce qu'elle a de superflu ; mais qu'elle l'étouffé enlière- racnt, c'est ce <|u'il ne faut ni espérer, ni sou- haiter. Qu'elle s'en tienne plulôl à celle mesure qui ne ressemble ni a linsensibililé ni au délire; iotu^nescebatmodom. Procnl islud eiemplum ab Romano Tiro, luctum suumaut intcnipe»ti7is avocare lusibiis , aut «ordium ac s(|U.iloris fœditatc irritare, aut alienis nialis obleclare, minime liuraano solallo. Tibi tero nihil ex consuetudine mulandum tua , quoniam quidem ca iosti- tuisti ariiare l'.udia , quse et optiiiie felicitalem citulluat, et facillime minuunt calamilateiu ; eademque et urua- mcDla bomiimin niaiima suot, et solatia. XXXVII. Nunc ilaque te sludiis luis immerge allius, Dunc illa libi veUit inuDiiiicnta animi ciixuiiida, ncc ex ulla tui parte iiiTcniat iniroilum dnior. Fralris quoque tui proluc memoriam aliquo scriptoruni monuinenlotiu)- nim : hoc enim unum est rébus bumanis opus, cui nulla tempestas miceat, qui>d nulla cousumat velustns : cetera qu9 per construcliuiiem lapiduiii , et niariiioreas iiioles , aut lerreons tumulos in magn.im eiluctns aliiludinem constant, non propagabuut longam diem, quippe et ipsa intereuat. Immorlali$ est ingeuii mrmoria : bauc tiio fratri largire, in bac euui culIcKa; melius illum duraturo semper consecrabis iniicnio, quaiii irrit» dolorc liigcbùs. Qtiiid ad ipsam forlunani pertinct, eliuiiisi iiuuc agi apud le causa ejtis non polest : omuiaenim illa quac nohis dclit , oli boc ipsum , quod aliquid eripuit , invisa sunt : tnnc tamcn erit amenda , quum primiim œquiorem te illl judiom dics feccrit ; lune f nim potcris in graliam cuni illa redire. >aui niulla providil, quihus banc enicndaret injuriam ; mult;i etiam iiunc daliit quibiis reitiiniit; deni- que ipsunKjuod abstulit , ipsa dederat libi. Noli erpo con- tra te ingenio uti tuo, noli adosse dolori luo. Potest qu- deni tloqucntia tua, quœparva Mintapimiliare pro iiiac- nis, rursus niasua .ilt^ud.irc, et .kI ininiiiia deiliiceie . sed alio isla vires servct suas nunc tot:i se iu.Kolaliniii tuuni conférât. Sed taiiieii dispice, ne boc jaoi (|uo,|uc ipsum sil siipcrvncuuin ; iiliquid eninr a iiobis iialura evi- gitur; plus vauitate conlniliilur. !Suii(|u:iiii aiitein <'cr> n te, ne ex tolo iiifereaii, exigaru. i:t scio iiiveiiiri qiiosdani dur^ magis quani fortis prudiMi!i;e viros, qui negOiil ilo- litnrum esse sapietit 'ni. Hi vero viilculur iiunqiiaiu iii bujusmodicasuni iiicidisse . alioquiu cxciis.siysct illis ior- luna superbaui sapicnliam , et ad corirL's.si(ineni eos vci i eliam invitos cuaipulissi-l. balis pra'sliierit nilio, si id unum CI dolore, quod e! siiperest et aiiuiidat, evciderit; ut quidem nullum omnirio esse eiif» p-ili.ilni , née spe- raudum ulli , ntc coiicupiscendurii o>l. Ilunc poilus iiio- duiM servet , qui nec impietaleiu iniiiilur, iht iiisaniain : et nos in eo teneat babitu. qui el pi.X' ii.enli» est , ne- tato animo c< mposui : qus si aut parum responderein- genio tuo , aut parura mederi dolori videbunlnr. cogita quam non possit is aliénas v.icare consolationi , quem sua mala occupalum tenent, quam non Tacite latina ei verba bomini succurrant , quem Barbarorum inconditus et Barbaris quoque liumanioribus gravis fremitus circuin- sonat. 8S8008&goocaosoaasos8ccsc8oac8ssosscsosssoaaaoo CONSOLATION A MARCIA. I. Si je ne savais, Marcia. que ton âme ne s"est pas moins relraiichce contre les faiblesses d'une rcinmeqnc contre les autres vices, et que l'on t'ad- mire dans les mœurs comme un antique exemiilc, je n'oserais pas aller au-devant de ta douleur, (|aand les hommes niâmes s'abandonnent à la leur, s'y attachent et la caressent; et je ne me sei-ais pas flatte, dans un moment si défavo- ■■ahic, prés d"un juge si prévenu, devant une si grave accusation , de pouvoir réussir 'a te faire absoudre la fortune, fe qui m'a donné con- fiance, c'est la vigueur éprouvée de ton âme, c'est la vertu signalée déjii par uu si éclatant témoignage. On n'a pas oublié la conduite à l'é- gard de ton père, lui que tu ne chérissais pas moins que les enfants, "a cela près, que tu n'es- pérais pas le voir te survivre ; et je ne sais même si tu ne l'as pas espéré ; car les grandes affections se perniellent certaines choses au-del'a des senti- ments les plus légitimes. Autant que tu le pus, tu empêchas Crcmulius Cordus, Ion père, de sa donner la mort. Quand il le monira qu'entouré par les salellilcs tie Séjan, il ne lui restait que cette voie pour finir la servitude, sans encourager son dessein, vaincue, tu lui rendis les armes et versas des pleurs : en public, il est vrai, tu dé- vorais la peine , mais pourtant tu ne la cachas pas sous un front joyeux ; et cela daiis un siècle où c'était une grande preuve de piélé lilialc , de ne pas faire parade d'impiété. Mais aussitôt tpie les temps changèrent , saisissant l'occasion , tu remis en circulation le génie de ton père, ce génie qui avait été condamné aux flammes; lu le rappelas d'une mort véritable; tu rendis aux monuments publics les livres qu'avait écrits de son sang cet homme d'un sublime courage. Que ne le doiveni pas les lettres latines'? I c bûcher en avait dévoré le plus bel honneur. Que ne le doit pas la posté- rité, h qui parviendront purs de tout mensonjje ces fidèles écrils (|u'on lit payer si cher "a leur au- CONSOLATIO AD MARCIAM. I. >'iiiite, Marcia, scireni tam longe al> liilli'niiUite ninlieliri' animi , quam a céleris viliis ri'Ct'ssisse , cl mores tuo» vclul anliquiim aliquod csemplar aspici ; non aude- rein obvlam ire dolori liio, cui viri quoque lil)Piiier ha-- rwil et incubanl , necspcm coucepissem , lam iiii(;iiii leni- pore.lara ininiicii judice, tam iuvidioso criniiiic, [K»fto meefficcrc, utrnrluuam tuara aljsolvcres.Fiduciam mihi dédit eiploratiimjaniri>l>uraiiiini , elniagnocjperiniento approliala ^irliis tua. Non est itnitiiin. qnalein le in pcr- •uiiam patrit lui getscrls , quem non minus itulis ru);am , non laviNti conHiio rjns ; sed dedisli lua- nus \icta . fudisliquc laerjnias; pa'am et uiinitu.^ dcïor.isU quidein , non tamen liilari fronle lexi.sti ; et lioc illo s«- culo, quo niapiia pietas cral, iiihii impie laetrc. L't vcro aliquam ocrasioueiii mulalio teiii|ioiuin (ledit, infienium palris lu; , de quo similiiin erat snppliciuni , in usum lio- minuin reduM.sti; et a ïer.i ilhiiii vindieasli morte, ne re.stituisti in pul)liea m>niinienla lihros, i|Uos vir ille for- tlssimus sanguine suo serip.serat. Opliiiie nieruisti de Ko manis sludii^; iiiagno illoiiim par-, arserat : oplime d« postcris, ad quos »eniel iiieorrupta renmi fidrs, auctori ' suo maguo inipulala ; i œque niagni vnlneris cicatricem. Alir itaqne nioltiter asaid , et blandiantur : ego eonnige-e cnni Ino iiia'i-ore con.stitui, et defessos exhauslosque oculos , si xi-nm audire vis, inagis jam ex coasnrtudine. quam ■ ■< d.'sidei'io llnentes, coutiuebo, si fieri potuerit, t'' f;ieiile remediis tuis; sin minus, vpI invita; leneas licet et amplexeris dolorem tnum , queni tibi in filii locumsu- pcrstitcm fecisti. Qui? enim erit finis? ninnia in supcr- viicuum tentai I suut : faligata? allocnliones amicorum ; anclorilates inagnorum et afliniuin tibi viroruni; sludia, lieiedil.rium et pateinuin Ixinuin, surdas aures, irrito ac vix ad breveiii occupati inem | roikiente solatio, (ransiunl; illud ipsuni naturale remediuni tem[xiiis, quod maximas aruinnas quoque coniponit , in te una vim siiam perdidil. Tertins jain pi-iteriit annus, quuni iu;c- rini nihil ex primo i!lo impetu ceeidit : rénovât se, et corrol'orat quolidie luclui, (t jam sil)i jus inoia fecit, eoque adducius est, ut pu!et turpe desiiicrc. Quemad- iiKiduni oninia vitia penilusinsidunt, nisi, duiu surgunl, oppressa tint , ila quoque hrec Ir i-tia et misera , et in se siTiientia, insa nnvi.ssime acerbifate paseuntur, et fil in- febcis animi prava voluptas dolor. tupisscra itaquc pri- inis tcmi'oribus ad i.stam curalionem accedcre; leviore medieiua fuisset oriens adhuc resiinguenda vis ; vclie- minlius contra invelerata pugnandum est. ^'am vulne- nnn quoque sanilas facilis e-t, diini a sanguine recenlia sont : tune et iirunlur, et in allum reTocanlur, cl digitos scrnlanlinm j-eeipiunt; ubi cornipia in malum ulcus ve- b-M-arunl , difficilius curanlur. Non possum nanc per ob- CONSOLATION A MARCIA. 103 pourrais atteindre une si profonde donlenr : il faut y plonger le fer. II. Je sais que d'ordinaire les remontrances commencent par des préceptes et Cnissent par des exemples : il est bon quelquefois de changer cette racihode; à chacun il fant son traitement. Quel- ques-uns cèdent à la raison; a d'autres il faut opposer de grands noms, dont l'autorité captive leur âme , dont l'éclat les éhlouisse. Je vais met- tre sous les yeux deux exemples fameux , cl de ton sexe, et de Ion siècle : de ces deux femmes, l'une se livre 'a tout l'entraînement de sa douleur; l'au- tre, affligée par une semblable disgrâce, mais per- dant plus, ne laisse pas toutefois à son malheur un long pouvoir sur son âme, et l'a bientôt rendue h son calme habituel. Octavie et Livie, l'une sœur, l'autre femme d'Auguste , perdirent deux Uls 'a la fleur de l'âge , auxquels était assuré l'espoir de ré- gner un jour. Octavie perdit Marcellus, gendre cl neveu d'un prince qui coninienf-ait a se reposer sur lui , et devait le charger du fardeau de l'em- pire; jeune homme d'un esprit vif, d un vigou- reux génie, d'une sobriété, d'une continence très- merveilleuse pour son âge ou son raiic, infatigable h la peine, ennemi des plaisirs, capable de jwrter lonl ce que son oncle eût voulu placer, et pour ainsi dire, bâtir sur ses épaules. Il avait su choi- sir une base qui ne devait céder sous aucun poids. Tant que la mère survécut "a son fils, elle ne mit pas de fin à ses larmes et h ses plaintes ; elle n'ac- cueillit pas une parole qui lui apportât quelque soulagement; elle ne souffrit pas même une dis- traction a sa douleur. Attachée a l'unique pensée qui occupait son âme entière, elle fut toute sa vie telle qu'aux funérailles. Elle n'osait pas se relever de son abatlenienl ; je dis plus, elle repoussait la main qui l'eût secourue, croyant ([ue celait per- dre son fils une seconde fois que de renoncer aux larmes. Klle ne voulut avoir aucune imagedeson cher Marcellus, ni jamais entendre parler de lui. Oéteslant toutes les mères, elle avait surtout de la rage contre Livie, parce qu'il lui semblait que le fils de Livie héritait du bonheur promis au sien. N'aimant que 1rs ténèbres et la solitude , ^le regardant pas même son frère , elle refusa les vers faits pour célébrer la mémoire de Marcelliis, avec les autres hommages des arts, et ferni» ses oreilles à toute consolation. Elle a fui les cérémonies so- lennelles; elle a même pris en haine la trop vive splendeur, dont rayonnait de toutes parts la for- tune fraternelle, pour se faire un tombeau de sa retraite. Entourée de ses fils et de ses petit-Iils, jamais ellenequitta sa robe dedeuil, outrage pour tous les siens , quand , eux vivants, elle se croyait restée seule dans le monde. III. Livie avait perdu son fils Drusus, qui de- vait être un grand prince, déjà grand capitaine. Il avait pénétré jusqu'au fond de la Germanie, et planté les aigles romaines où l'on .savait à peine qu'il existât des Romains. Mort vain(|ueur dans cette campagne, durantsn maladie ses ennemis mê- mes l'environnent de respect et consentent "a une suspension d'armes, n'osant pas souhaiter ce qui leur eût été si prolitable. A la gloire de cette mort, reçue pour la république, se joignait le regret immense des citoyens, des provinces, de l'Italie seqnium , necroolliter asspqai tam darura dolorciii : fr.-iii- gendus est. II. .^ciu a pnpceptit incipere omoes qui monere ali- quem lolunt , et in eiempb desintre. Slutari Iiunc inté- rim raorem eipcdit. AI:tiTeoim cum ed cito animuni io scdcm suani reposuit. Oclavia etLivIa, nitcrn soror Augasti. altéra aior, smisei-unt filios juvonps, utraque spe futuri princi- pis certa. OctJvia Marcvllum , cui et avunculu.s et tucpi incnmbrre co-perat, in qnem onus imprrii reclioant, aitolesccutcm animo alacrem, ingcnio potcntcm; scd et frugalilalis cootinenliaeque in illis aut anni.s aut opilms non mediocritcr :)dmiranduni ; patienlem lalx>ris, volup- tatibosalienum; quanlumcumque imponere illi avuuru- lus, et (nt ita dicam ) insdificare voluisset, laturuni. Bene legerat nulli cessura pondi'ri lundamenta. ^u'.lu^l finem, per nmne Titœ su» tempus, llenrii gcrocndiquii Il cit , ncc ullas admi.sit voces salutare aliquid afférente.^. ISe avocsri quidrm se passa est. Intenta in unam rem et toto animo affiia talis por omnem vilain fuil, qualis n funere; non dico, non ausa consurgcre, sed allcvari rc- cusans, secnndani orliitatcm judicnns , lacrjmas mitlere. TSuilam lial)ere imaginan filii rarisslnii vuluit, luillnm sil)i lieri do iilo menlioncni. Oderat onincs nialros, rt in Liviam Ria\inic Inreliat, quia \ideliatiir n.i illius niioni transisM' sil)i priiini^sn félicitas, 'l'cnebi i.s et solitudini fii- miliarissima , ne ad fratreni quideni respiciens, carmiua celebraudx Marctlli niemoria; composita aliosque studio- rum honores rejecit , cl aures suas adversus omiic sola- tium clausit : asolemnilins oniciisscducla.et ipsani niag- nitudinis fralerna,- niuiis circuralucenteni loitunam ciosa, defodit se, et alididit. Assidculibus libcris, nepotilius, lugubrem vestem non dcposuit, non sine ronlumclia omnium sunrum , quihus salais orha sibi videliatnr. m. Liïia aniiscral filium Drusuni, magnum falurum principem ,jam magnum ducem. Intjaverat pcnilusGer- maniam, et ilii figna Uomana fiienit, ul)i vis ullos etso Romanos notuni orat. In ei(>t'diliooe >iclor ditfs.vcrat, ipsis illuni hostibus agi uni cum vciii r.iliono et pace mu- tua prosequcntibns, nrc opiar» qnod eipfdiebat auden- 101 SËNÈQLE. tout entière, au Iraveis de la(iuelle les colonies, les niunicipes accourus de toutes parts a la ce- rcinonin lugubre, conduisirent jusqu'à Rome ces funérailles qu'on eût dit plutôt un triomphe. La mère n'avait pu s'enivrer des derniers baisers de son fils et des douces paroles tombées de sa bou- che mourante. Elle qui, suivant ces tristes restes durant le long trajet du cortège, avait vu fumer dans toute l'Italie ces bûchers sans nombre, dont s'irritait sa douleur, commesi tant de fois elle eût perdu son Drusus, aussilôt qu'elle l'eut déposé dans la tombe , elle enveloppe dans le même lin- ceul et son fils et son chagrin. Sa douleur fut telle (ju'il convenait 'a la lille des Césars, telle qu'elle était légilime pour une mère: aussi ne cessa- l-elle pas de célébrer le nom de son Drusus, de se représenter partout son ima;;e en public et en parliciilier, et do prendre plaisir 'a entendre par- ler de lui : au contraire, personne ne pouvait gar- der et entretenir le souvenir de Marccllus, sans se faire un eiincntide sa mère. Choisis donc celui de ces deux modèles que tu penses le plus louable. Si tu préfères suivre le premier , tu te retranches du nombre des vivants, lu prends en aversion et les enfants des autres et les tiens, et celui même que tu pleures; ta ren- contre est pour les mères un sinistre augure; tu repousses tout plaisir honnête et licite comme messéant a ton infortune ; tu maudis le jour ; Ion Age, qui ne s'achève pas assez vile pour te jeter dans la tombe, tu l'as en horreur; enfin, ce qui est le comble de la honte, ce qui répugne h ton âme distinguée par tant de beaux côtés , tu avoues que lu ne veux jias vivre et que lu n oses pas mourir. Mais si tu t'appliques a imiter la magnanime Livie , plus retenue, plus calme dans la douleur, tu ne te laisseras pas sécher dans les tourments. En effet, quelle est cette démence que de se châtier soi-même de ses infortunes, et d'augmenter la somme de ses maux? Cette pureté de moeurs, cette réserve dont jamais tu ne t'es écartée dans ta vie, se signaleront encore dans ta disgrâce : car la dou- leur elle-même a sa modestie. Tu mériteras "a Ioq fils un glorieux repos en le nommant , en le rap- pelant sans cesse, et tu le placeras dans une plus haute région, si, comme de son vivant, il se pré- sente encore h sa mère sous les traits du bonheur et de la sérénité. IV. Je ne te soumets pas à des préceptes plus que rigides ; je ne te commande pas de supporter in- numaioement des disgrâces humaines, et je ne viens pas sécher les yeux d'une mère le jour même des funérailles. Nous prendrons un arbitre. Entre nous deux il s'agit de savoir si la douleur doit être grande ou éternelle. Je ne doute pas que lu ne préfères l'exemple de Livie Augusta , dont lu as cultivé l'amitié. Elle t'appelle dans sou conseil. Dans le premier transport de sa douleur, alors que l'affliction est plus impatiente et plus rebelle, Li- vie chargea de la consoler Aréus, le philosophe de sou mari ' , et confessa que cet homme avait beau- coup fait pour elle, plus que le peuple romain, qu'elle ne voulait pas attrister de sa tristesse; plus qu'Auguste, qui chancelait privé de l'un de ses ' Les grands avaient des philosophes attachés à lent personne. til)iis. Accedelial ad hanc morlein , qunm ille pro repu- lilica ol)ierat, ingens civium piovinciaruniqui', et totius Italiœ dcsiilerium, pu- quain , effiisis in officiuni lugubre municipiis coloniisiiue, usque inUi'l)cm liuctnin crat lu- nus triumiilio siniiriimum. >'on ticuerat nmlri, ultinia fitil oscula );p'iituinque e\tromi sermonem nris liaunre. Longo itinerc rdiquii.s Di'usi sui prosccuta, t;it pcr om- nem Italiain ardcntibus rofjis, quasi Intiens illuni amit- teret, iriitnla, ut l'.rinuim tanien intulit tuniulo. siniul et illum et dolorem suuni posuii ; ncc plus doluit quain sut honestuni crat Casai i, aut irquum matri. Non de>iit ilaque Drusi sui cetelirare noinen, ubique illum silù pri- vatim publicoque rcpni'senlare, et libenlissiuie de illo loqui, de illo audirc : quuui nicmoriaiu atlerius nenio posset rctinere ac frcijuentare, quin illain trisîem sibi redderct Elige itaque, ulruni excnipliuu putas probalii- lius; si ilhid piius scqui vis , exiniis le numéro vivoruni : aversal)cris et alienos libcros et tnos ipsuniqne, deside- rans; triste inalribus omen (iccurres; voluptales ho- nestas, permissas, tanquani paruni décoras foituna; tuae rejicies , invi-saui liabebis luceni , et œtali tn;e , quod non pra;cipilet le quanipriiimni cl (Iniat, iiifeslissinia eiis : quod tuipi.ssiinum alienisslniuniqne est auinio tuo, in inelioreni nolo paricni, oslcndes le viveie nolle, inori non posse. Si ad hoc maxinicE fcminae le eicmplum ap- plicupris, modcratius ac niilius eris in arumuis, nec te toruientis niacerabis. Qua' eniiu, nialuni, anienlia est, piTnas aseinfelicitalisexigeie, et niala sua augere ! Quain in onnii vita servasti morum probitatemet verecundiara , in liac quoque re praes que la re- uoramée, ce juge indéi)endant des princes, te donnât son pardon. Et moi aussi. Je n'eslinie rien de plus beau, quand on siège au rang suprême , que d'accorder beaucoup de grâces et de n'en re- cevoir de personne. Sois donc, eu celle occasion , lidcle 'a les principes : ne le hasarde pas où tu voudrais un jour l'être engagée moins ou autre- ment. V. «Ensuite, je le prie, je le conjure de ne pas te faire difOcile et intraitable pour tes amis. Car tu ne peux ignorer que pas un d'eux ncsail comment se comporter avec toi. Doivent-ils parler quelque- fois de Drususen ta présence, ou n'en rien dire, lorsque oublier son nom c'est un outrage pour cet illustre jeune homme, lorsque le prononcer c'en est un|>our loi? Quand, après l'avoir quittée, nous nous * Drusus, trère Ue Tibère, seul surviraiit. retrouvons ensemble, nous donnons "a ses actions et à ses paroles mémorables les honmiagcs qui leur sont dus : devant toi nous gardons sur lui un profond silence. Aussi le mancjue-t ille plus grand des Itouheurs, l'éloge de ton flis, dont, s'il était possible, je ue doute pas que tu ne voulusses, au prix de tes jours , prolonger la gloire dans les siè- cles. Donc permets, provoque même les entretiens qui te parleront de lui : prêle une oreille attentive au uom,'a la mémoire de ion Drusus; que cela "ne te pèse pas comme 'a tant d'autres qui croient, dans ces disgrâces, que c'est une partie du malheur que de s'en entendre consoler. Jusqu'ici lu t'es appuyée de tout ton poids sur ton coté souffrant . oubliant ce qu'elle a de meilleur, tu n'as vu de la fortune que la face la plus triste. Au lieu de te reporter aux jours prisses avec ton fils, au charme de ses épanchenients, à la douceur de ses caresses enfantines, 'a ses progrès dans les lettres , tu te complais 'a voir les choses sous leur dernier as- pect : et, comme si elles u'élaient pas assez hor- ribles d'elles-mêmes , tu les assombris autant que tu peux. Ah ! je t'en supplie, n'aie pas l'ambilion dépravée de passer pour la plus malheureuse des femmes. En même temps , songe bien qu'il n'y a rien de grand 'a nionlrer du courage dans la prospérité, quand la vie s'achemine sur une route heureuse. Une mer tranquille, un vent favorable n'indi- quent pas l'adi esse du pilote : il faut un assaut de l'adversité pour mettre l'âme à l'épreuve. Ne flé- chis donc pas: bien plus, résisic ferme et sans re- culer : ([uel que soit le fardeau tombé sur la tête , porle-le; que le premier bruit t'ait seul effrayée. Rien ne chagrine plus la fortune qu'uneàmc égale. » gentibus funere, nihil (tbi nisi niimerum dresse sentirel. Hic, ut npinor, adilus illi fuit, hoc priiici|iiiiin apud tu- iiiinaiii opiuiuiils suie ciislodeni dillKcn issiiuani : ■ U^que in huDC dieni Livia ( quantum qiiideni r|;o sciani, a&si- duusviji tiii cornes , oui non tintum quu; iii publicum emitlniitur, nolatunt.sed omnes quo(|ue si'creliorrs ani- nioruni vcstrnruni motus) dedisti operaiii ne quid rssct, quoi in te qui>qnani rcprehcndcret. Nec id in inajoribus modo observasti, scd in minimls, ne quid fiiceics, cui faniain , libernaïaui prlncpuni Judicem . vellrs ipndsccrc. Nec quidquam pulchrius ciistimo ia fastigio collocals , quain raultarum rerum veniam dare , nullius peterc Ser. landus ilaque tibi in liac re (uus mos est, ne quid coni- mittas, quod miuus aliterve facluni velis. • V. • Deinde oro alque obsecro, ne te diflicilcm amiois et intractabilem prEestes. >on est enim quod ignorrs , omnes hos nesciie quem.idmi>dum se gérant : liK|uantur aliquid coram te de Drusn , sn niliil , ne aut (il)livio cla- rissinii juvenis illi fat iat injiniam , aut menlio tibi. Quuin secessimus, et in unum conTrninms, facta ejus dicta<|ui>, i|uantu meniit suspcctu , celebrauius : coram te altuiii Dobis de illo sileolium est. Gares ilaque maiima Tuhip- tatc, filii tui l?udibus, quas uon diibilo quin vel iinpen- diovit»>,si poteslas detur, in iivuni oninc sis proroga- lura. Quarc patere , inimo arci ssc serniones , quibus ille narretur, et aperlas aures praebc ad nonien mcnioiiam- que lilii tui ; nec hoc grave duieris , Cfteroruni more , qui in ejusmodi casilms parteni inali pu ani, audire so- latia. Nunc incubuisti Iota in aller.mi partrin, et oblila nirliorum , fortunam tuam , qua delerior est , aspicis. Non convertis te ad convictus iilii lui , occursuscpie jucunilos, non ad puériles dulccscpie blanditias , non ad increnienta sludiorum : ultiniain illam facieni nTum preniis. Illi, lanquam parum ipsa per se liorrida sit, quidipiid pote» congeris. Ne, ol)sccro te, concupicris pcrvi rsi.«simam gloriam , infclicissiniam vidcri. .Sinuil cogita, non esse magnutn , se rebns prosprris lortem gerere , util secunû^> cursu vita procodil ; nec gnbernaloris qucleni artcro tranquillum mare et obscquriis venins ostendil ; adversi aliipiid incurrat o|>ortet, quod aninium prol)et. Proinde ne submiseris le , inmio contra lige stabilcm graduni ; et quidquidonernni supra cecidit , sustine, primo dunitaxat strepitu conicrrila. Nnlla ro major invidia furluno: ni, quani a>quu anima • SÉNÈQUE. lOii Knsuile , il lui montra qu'il restait un de ses fils, et que l'autre, en mourant , lui laissait des peliis-fils. VI. Ta cause est plaidée , Marcia; Aréus t'a défendue : change les noms; c'est toi qu'il a con- solée. Mais supposons, Marcia, que le sort t'ait plus ravi que ne perdit jamais aucune mère. Cer- tes, je ne te flatte pas, je n'atténue pas ton mal- heur. Si les destins se laissent vaincre par les lar mes , pleurons ensemble. Que tous nos jours s'écoulent dans le deuil ; que la tristesse occupe nos nuits sans sommeil; déchirons de nos mains noire poitrine sanglante , attaquons môme notre visage; que ce profltablo désespoir s'exerce par toutes sortes de cruautés, î\lais s'il n'est pas de larmes qui puissent nous rendre ce qui n'est plus ; si le destin, irrévocablement lixc pour l'éternité, reste immuable devant toute affliction; si la mort relient tout ce qu'elle a ravi : que notre douleur cesse, puisqu'elle est vaine. Il faut donc nous gouverner de telle sorte, que cette bourrasque ne nous jette pas sur le flanc. Le iiiiote est déshonoré quand les vagues lui ont arraché le gouvernail , quand il abandonne les voiles flottantes, et livre la barque h la tempête : au coiilralrc, il faut louer, même dans le naufrage , celui que la mer englou- tit tenant la barre et luttant encore. ■yu. « Mais il est naturel de regretter les siens.» Qui le nie, tant qu'on le fait modérément? L'ab- sence , à plus forte raison la mort de ceux qui nous sont le plus chers, est nécessairement une atteinte cruelle, et serre l'àme la plus solide; toutefois le préjugé nous entraîne plus loin que ne commande !a nature. 'Vois comme chez les ani» maux muets les regrets sont véhéments, et pour- tant comme ils sont courts. On n'entend qu'un Jour ou deux le mugissement des vaches : la course errante et folle des cavales ne dure pas plus longtemps. Quand la bête fauve , maintes fois revenue dans son gîte pille par le chasseur, a suivi la trace de ses petits et parcouru les forêts, en peu de temps elle fait taire sa rage. Les oiseaux pous- sent des cris aigus autour de leurs nids dépeuplés : et puis en peu d'instants ils sont apaisés et repren- nent leur vol. Aucun d'entre les animaux ne re- grette longtemps sa race, si ce n'est l'homme : l'homme aide sa douleur, et son affliction n'est pas telle qu'il l'éprouve , mais telle qu'il se la propose. Ce qui te prouve combien il est peu na- turel de succomber au chagrin , c'est que la même perte blesse les femmes plus que les hommes, les barbares plus que les nations aux mœurs douces et polies, les ignorants plus que les gens éclairés. Or, ce qui doit ses propriétés à la nature , les con- serve identiques dans tous les êtres. Il suit que ce qui n'est pas uniforme n'est pas naturel. Le feu brûlera les citoyens , et de tous les âges, et de tou- tes les villes, tant les hommes que les femmes : le fer exercera sur tous les corps sa propriété de Iran^ cher. Pourquoi? parce qu'il la tient de la nature, qui lie fait acception de personne. Mais la pau- vreté , le deuil , ranii)ition affectent diversement les hommes , suivant qu'ils sont influences par l'opinion : ce qui nous rend faibles et sans cœnr, c'est d'avoir cru terrible, par avance, ce qui ne devait pas nous épouvanter. Post hoc ostendit ille niium inoolnmem , ostendit ex amisso neix)tes. VI. Tuum illic , Marcia , negoliuni aclum , tihi Areus assedit; te nwtata persona consolalus est. Sed pula, Mar- cia, creptum libi ampl:us, quam ulla unquam mater aniiscrit (non pcrniiilceo le, nec e.xtenuo calaiiiilalcni tuaiii); si tlc.il)us lala vincunlur, couferamus : eat oniuis iQter luclus dies : noclcni sine sonmo tristitia consumât : ingeraiitur laeerato pectori iiianus , etinipsanifacieiniiii- pelus fiât : atque omni se génère sajviiia; piofeclurus mœror cxerceat. Sed si nullis ptanclil)us defuncta rcvo- canlur; si sors inimota, et iu aeternum fixa, nutla nii- seria mulatur, et mors teiict i|uidquid abslulit ; desitiat dolor, qui périt. Quarc reganius : nec nos ista vis trans- versos aulerat. Turpis est navigii rector, cui gubern ;cula lluctus eripuit, qui fluctuanlia vêla deseruit, perniisit Icmpestatt raleni : at ille vel in naufragio laudandus, queni obruit mare clavura tenenlem et obnixuni. VII. « Atenini natuiale dcsiderium suornm est. » Quis negat, ([uauidiu modicuni est? uani ex disccssu, non so- luiu amissioue carissimorum neccssarius niorsus est . et (Innissinioruni quoque aiiiniorum contraclio. Sed plus cst.quod opinio adjicit, qnani quod natiira inqieravit. Adspice mutorum animaliumquam concitala siat deside- ria , et tamen quam brevia. Vaccarum uno die atlerove mugitusauditur ; nec diulius equarum vagus ille ameas- que discursus est. Fera; quum vesligia calulorum consec- U'.lx simt, et .>^ilvas pervagatae, quum sippe ad culiilia expilala redierint , rabiem inira exiguum tempus eisiin- giiunt. Aves cuni striiiore magno iuanes uidos circum- freiuunl ; intra UiOmentum tamen quietae, vulatus suos repelunl, Nec ulli animali longum felus sui dcsiderium est, nisi bumini, qui adest dulori suo, nec tantum quan- tum scÊitii, sed quantum constiluit, aflicilur. Lit scias au- 1cm non esse hoc naturale , luctibus frangi , primum ma- gs feminas quam viros, magis Barbares quam placidos erndita?que geniis homines, magis indoctos quam doctos e;idem orbitas vulncrat. Atqui ea , qua; a natura vim ac- ceperunt , eauulem in omnibus servant. Apparet non esse naturale , quod varium est. Jgnis omnes aetatcs , omniom urbium cives, tam vires quam feminas, urel; fermm in omni corpore exhibebit secandi potcntiam ; quare ? quia vires illi a natura data? sunt, quae uiliil in personam con- stiluit. Paupertateni, luctum, ambitionem aliusalitersen- tit,proutillumcon,suetudoinft'cit:etimt>ecillumimpatien- tcmqueredditpraE'Sumla opinio de non limcndis terribilis. CONSOLATION A MARCIA. 107 VIII. lin oiilre, cft qui est nalurel ne peut dé- croîlre par la durée : le temps use la douleur. Qu'elle soit opiniâtre, qu'elle grandisse de jour en jour, et se révolte contre tout remède, le temps, si habile à dompter les plus farouches in- stincts, saura bientôt l'amortir. Il le reste, Marcia, un chagrin encore profond , qui semble avoir déjà fait calus dans Ion âme ; en perdant sa première fougue, il est devenu tenace et obstiné : tel qu'il est, pourtant, les années te l'arracheront peu à peu : chaque fois que d'autres soins occuperont ton âme, elle prendra du répit; maintenant tu veilles encore sur toi-même. Or, il est bien diffé- rent de se permettre ou de s'imposer le chagrin. Qu'il conviendrait mieux 'a la délicalesse de tes sentiments de prescrire plutôt que d'attendre le terme de ton deuil, et le faire durer jusqu'à ce jour où malgré toi cessera ta douleur ! sois la pre- mière a y renoncer. IX. • D'où nousvientdonc unetelleobslination a gémir sur nous-mêmes , si ce n'est une loi de la nature? » Ue ce que, ne prévoyant jamais le mal avant qu'il nous arrive, comme si nous avions le privilège d'entrer dans une vie différente et plus sûre , nous ne sommes pas avertis par les di.<i niinutatiiii exiinot. Qiioiics aliiid cccri^ , aniinus relaxabitur ; nunc t» i|>sa ciistcHlis ; niiiltiim aiicin iiiter- est.utnim libi pcrmillns nMr.rcrc, an inipcri'S. Qiianto magis hoc morum tnoruin eleyanlia; ciinvcnil , (inmi Inc- lus potins facerc, quain exspcclarc , ncc illnm opp riri dieni , qiio le invita dolor dcsiniit ? ipsa illi rcnuntia. IX. • Undc erpo tanla imbis pertinacia in doplDrallime nostri, si id nan sit iialura; jussii? . Qiiod nihil nnliis mali , aDtcqnam ev rniat , pni|Hininius, .sed nt iminuncs ' i|>si et aliod el pacatius ingrfs.si itcr alienis non adinone- mur casibus, illo» esse communes. Tôt prœlcr domum nostram ducuntur ejscqiiiic : de morte non coKilamus ; lot aeerba Tunera : nos toeani noslroruni infantinm , nos miliiiam. cl palerm heredilalissncccssionemanimo agi- tomus ; toi divitnm snbita pauperlas in ornios incidit : et noim niini|uam in mentem Tenit , nnstras ([uoqnc o|)cs a-que in lubrico posilas. ?>cccsse est itaquc magis corrua- nms,qui quasi ex inopiiiato feriniur. Qiix mullo aute praBvisa suni, hmguiiiius iuiurrunt. Vis In scire te ad omnes etpositani ictus slare, et illa quo; alius tela lixe- runt, circa le vibra-seY velut, muruiii aliqueni, antob- sessum multo buste locuin, et aiduiiniadsccnsu, iiierniis ade.is, exspccla viilnus, et illa siiperne volanlia ciim sa- gitlis pilisqiie saxa piita in tuuin I brala corpus. Quolics aut ad lalus , au! pone terg'im ceciderinl, cxclainn : u >n dicipiesine, foiiiina, nec sccurani aut negligenteiii i.p- primes; scio qiiid parcs, aliuni pciciissisti, nie (iclisli. «Jiris unquain rcs suas, quasi periturus, adspeiit? (piis ui:qiiaiii nostiunide cxsili.i, de egeslalc, de luclu co),'i- ;arc aiisiis est? quis non, si adiiioiiealiir nt eo^ilet, tin- (piain iJniiiioinen respuat, el iu capila ininiicoruin aut ipsius inlcmpeslivi moniloris abirc illa jubeat? Non pu- tavi fuluruiii! Qiiidquam lu pulas non fulurum, quml niullis scis posse lieri, quod luullis vides evcnisse - Egre- Biuiii ïcrsum et diguum audi , qui uoii e Publio periret : Ciiivis potest accidere, quod ciiiiiuam potest. nie amisit liberos : et tu amillcrc potes. Ille damnalus es! : et tua innocentia sub idu est. Hic nos error ilecipit. i08 souffrons ce que nous n'avions jamais prévu de- voir souffrir. C'est ôlcr leur force aux maux pré- sents, que d'avoir en regard les maux futurs. X. Toutes les choses, Marcia, qui nous envi- ronnent d'un éclat fortuit, les enfants, les hon- neurs , la richesse, les vastes porti(iues, les vesti- bules encombrés par la tourbe des clients que l'onrepousse, une femme illustre, noble etbelle, et tous les autres biens qui relèvent de l'incertaine et inconstante fortune, ne sont qu'un étalage étranger qu'elle nous prête; il n'en est aucun dont elle nous ait fait don . la scène est ornée de décorations em- pruntées, qui doivent revenir "a leurs maîtres. Les unes nous seront reprises aujourd'hui , les autres demain; peuresterontjusqu'au dénouement. Ainsi ne faisons pas les vains, comme si nous étions au milieu de nos possessions : nous ne les tenons que par bail. L'usufruit seul est h nous ; la fortune li- mite à sa discrétion la durée de son bienfait : nous devons être toujours prêts a rendre ce qui nous fut commis pour un temps incertain, et restituer sans murmure à la première sommation. C'est un misérable débiteur, celui qui insulte son créancier. Ainsi tous nos proches , et ceux que l'ordre de la nature nous fait souhaiter de laisser après nous, et ceux dont le vœu légitime est de nous précéder dans la tombe, doivent nous être cliers'a ce compte, que rien nç nous assure l'élernilé, pas même la durée de leurs vies. Habituez votre cttur à les aimer comme des choses qui vous échapperont , bien plus, qui vous échappent; 'a posséder les dons de la fortune comme des biens sur lesquels un maître s'est réservé des droits. Pressez-vous (le jouir de vos enfants; en retour, faites que vos SÉNÈQUE. enfants jouissent de vous-mêmes; épuisez sans retard tout votre bonheur. Rien ne vous assure de ce jour : que dis-je? le terme est trop long; de cette heure. Il faut se hâter : la mort presse vos talons; bientôt se dispersera tout cet entou- rage; bientôt au premier cri d'alerte, ou pliera la tente où vous dormez. Tout, ici-bas, n'est que proie. Malheureux ! Vous ne savez pas vivre en courant. Quand tu pleures la mort de ton fils, lu accuses le jour de sa naissance, car eu naissant, sa mort lui fut signifiée. A cette condition il te fut donné : c'est la destinée qui le poursuit depuis qu'il fut engendré dans ton sein. Nous sommes les sujets de la fortune, reine cruelle, inexorable, qui doit nous imposer à son caprice et le juste et l'injuste. Nos corps seront le jouet de sa tyrannie , de ses outrages, de ses cruautés. Les uns, elle les brûlera dans les flammes, ou comme châtiment, ou comme remède; elle enchaînera les autreset les livrera soit aux ennemis, soit à leurs concitoyens. Ceux-ci, nus et roulant sur l'océan mobile , après avoir lutté contre les flots, ne seront pas même jetés par elle ou sur le sable ou sur la plage ; elle les plongera dans le ventre de quelque immense bête : ceux-là, quand elle les aura maigris par toutes sortes de maladies, longtemps elle les tiendra suspendus eniie la vie et la mort. Capricieuse, changeante^ maîtresse peu occupée de ses esclaves, elle dis- tribuera a l'aventure les châtiments et les ré- compenses. Pourquoi ces pleurs sur un instant de la vie? C'est la vie tout entière qu'il faut pleu- rer. De nouvelles disgrâces seront venues fondre sur toi avant que tu aies satisfait aux anciennes. Iiic effcmiDat, dum patimnr,quaenunquam pâli nos possc prœvidinms. Auferl viiii pro-sentibus nialis, qui futura prospexit. X. Quidquid est lioc , Marcia, quod circa nos ex adven- titio fiilget, liberi, honores, opes, anipla atria,etex- clusorum clientium lurha referta Teslibnla, clara,nol)i- lis. aiit fi)rninsa conjux, celeraque ex incerla et mobili SOI le pcudenlia , alieni coinm()dali(]ue apparalus sunt ; nihil honiiii dono d-ilur : coUatiliis et ad dominos redi- tui-is inslruinonlis 'scena adorniilur. Alla ex bis primo die, alia secundo referentur ; pauca iis(|ue ad finem per- sevei'almnt. Ita non est qiiod nos suspicianms, lanquam inter nostra posili ; oiutiio accepimus. UsHsfruclus noster est,cujiis lempiis ille arliilcr muneiis sui tempérai : nos oportet in promtu habere, quœ in incertum dieni data sunt, et appcllatos sinequerelareddere. Pessimi est débi- tons, credilori facere convicium. Omncs ergo nostros, et quos superstiles lege nascendi optamus, cl qui)s prœ- cedcre justissimum ipsorum votum est, sic amaie debe- mus, lanquam nihil nobisde perpetuitale, immo nihil de diiiturnitale corum promissum sit. Ssepe admoncndusest animus, amet ut recessura, immo lanquam recedeutia ; quid(]uid a torluna datum est, lanquam eicepluio anclori possideat. Rapile ex liberis volnptates, fruendos vos ia- vlcem liberis date , et sine dilatione omne gaudium bau- rite; nihil de bodierna die proniiltilur; nimis niaËoam advocalioneni dedi : nihil de bac bora. Festinanduni est; instiit a tergo mors : jam disjicietur iste comilalus : jani cuoiuhernia ista sublato claniore sulventur. Rapina rerum omnium e., toute la foule que tu vois plaider dans le forum , s'asseoir dans les théâtres, et prier dans les temples , s'achemine d'un pas inégal. Et ceux que tu adores et ceux que lu méprises ne seront qu'une même cendre. Telle est la leçon gravée sur le seuil de l'oracle pyiLien : Connais-loi. Qu'est-ce que l'homme? Je ne sais quel vase lêlé , je ne sais quoi de fragile. Il ne faut pas une grande tempête , mais une lame pour le mettre en pièces : au premier choc il sera brisé. Qu'est-ce que l'homme ? Un corps frêle , débile, nu, sans défense naturelle, qui mendie l'aide étrangère , en bulle à tous les outrages du sort ; qui , malgré l'effort de ses bras , est la pâ- ture de la première bêle, la victime du moindre ennemi ; pélri de matière molle et fluide , et qui n'a de brillant que les dehors ; incapable contre le froid , le chaud , la peine , et en qui l'inertie engendre la corruption ; craignant ses aliments dont le manque ou l'excès le tuent ; d'une con- servation pénible cl pleine d'alarmes ; d'un souf- fle précaire, qui ne lient à rien, qu'étouffe une frayeur soudaine ou un grand bruit qui éclate; enfin, qui, pour se nourrir, se détruit, se dévore lui-même. Nous étonnerons-nous de la mort d'un homme, quand il faut que tous meu- rent? Eh quoi! pour abattre un homme, est-il besoin d'un si grand effort? Une odeur, «ne sa- veur, la lassitude, la veille , l'humeur, le manger, tout ce dont il ne peut se passer pour vivre , lui est mortel, il ne saurait faire un pas sans avoir aussitôt conscience de sa faiblesse : tous les cli- raals ne lui vont point; l'haleine, un changement d'eau , un vent dont il n'a pas l'habitude , la plus mince des causes , un rien, et il est malade ; être de fange et de corruption, il fit avec des larmes sou entrée dans la vie ; et pourtant quel tumulte ne fait pas ce méprisable animal? a quelles ambitieuses pensées ne le pousst! pas l'oubli de sa condition? L'infini , l'immortel occupent son âme, il arrange l'avenir de ses neveux et de ses arrière- neveux : au milieu de ses projets pour l'éter- nité, la mort le frappe , et ce qu'on appelle vieil- lesse n'est qu'une révolution de quelques an- nées. XII. Ta douleur, Marcia , si toutefois elle rai- sonne, a-t-elle pour objet ton malheur ou celui de ton Uls qui n'est plus? Ce qui t'afflige dans cette perte , est-ce que tu n'as pas joui de ton fils, ou bien est-ce que tu pouvais en jouir davantage, s'il eût plus longtemps vécu ? Si tu dis n'avoir reçu de lui aucun contentement , tu rends la dis- grâce plus supportable : on regrette moins ce qui n'a procuré ni bonheur, ni plaisir. Que si tu con- prlusquam releribtu satisreceris.Moderaadumest itaque, Tobis maxime qiiœ iminoderate ferlis ; et io melus , et io dolores hiunanum pectus dispeDsandain. XI. Qaœ demum ista tuœ publicsque cooditionis ob- livio estlMortalii nata e$, mortales pep«risti : puire ipsa fluidumque corpus, et causis morbisquc repetita, iperasti tam imbecUla luateria sulida et a;terna gestasse! Deceuit filins tuus , id est , decucurrit ad hune Doem , ad qoeiii , quae feliclora parlu luo patas , properant. Hoconiois ista qua; in fore litigat, in theatrisdesidet, io tenplis precatur turba , dispari grada Tadil. Et quje Teneraris, et quac despicis, nnns esxquabit cinis. Hoc jnbet illa Pythicis oraculis adscripta tox : Nosce te. Quid est bomo I qaodlibet quassum yas, et quodiibet fragile : jactatu , non tempcstate magna , ut dissiperis, est opus. TJbicunque arietaveris , solverii. Quid est bomo ! inibe- cillnm corpus, et fragile, nudum.suapte natura inernie, aliéna opU indigens , ad omnem fortunae conlumeliam projectura : qunm bcne lacertos exerçait , cujusiibel fer» pabulum,cujuslibetTicOma;ei infirmis Duidisque con- textura , et lineamenlis eilerioribus nitidura ; friggris , «slus, laboris impatiens ; ipso rursus situ et otio itunira in labem j alimenta metuens sua , quorum modo inopia , modo copia rumpilor : anxia; sollidtœque tutela; , preca- rii spiritus , et maie bsrcDtis , quem pavor repentinns adjectusieeiimproviso sonu.s auribus gravis cxculit : soli seinper sibi nutrimentum vitio.^um et inutile. Miramur in boc morteni unius, qua singulis opus est? Nuiiiquid enini ut concidat , rcs ningni iiiolimcnti est 1 Odor illi saporque , et lassitudo , et vigilia , et humor, et cilius, et sine quibus virere non potest, morlilera sunt. Quocun- que se movet, infirmitatis sus statini consciuni, non omne coelum ferens, aquarum novitatibus, flatuque non familiaris aura:, et tenuissiniis candis titque offensionibus morbidum , putre, causarium, fletu vitaui auspicalum : quum intérim quanlus tumultus boc tam contomtum animal motet ? in quanta» cogitationcs obli.um conditionis suae Tcnil? Immortalia , irterna volutal aoimo , et iu ne- potes proncpotcsquc dis|)ouil; quum intérim langa co- nantem cum mcirs oppriniit ; et hoc (|uod senectus voca- tur , pauci tunt circuitus anriorum. XII. Dolor tuas, o Miiicia, si modo illi ulla ratio est, utrum sua spcclat inconmioda , aa rjus qui dcccssit T Ulnunnc amisso lilio movct, quod nullas ex illo volup- tates cepisti : an quod majores , s.i diutius vixissct, perci- pere potuisti ? Si nullas le pcrcepisse dixeris, tolerabilias efOdes detrimentum tiuim ; minus enim homincs desl- dcrant ea, ex quibus nihil gaudii lactitiiqne pcrccperunl. ÎIO SÉNEQUE. fesses eu avoir reçu un grand contentement , tu ne dois pas te plaindre de ce qu'on t'a ravi , mais remercier de ce que tu as recueilli. Son éducation même t'a dignement payée de tes peines : si ces gens qui nourrissent avec tant de soin des chiens, des oiseaux , ou tout autre animal dont s'engouent leurs frivoles esprits , éprouvent un certain plai- sir "a les voir, 'a les toucher, 'a sentir les llatteries caressantes de ces bêtes muettes , sans aucun doute , pour ceux qui élèvent dos enfants , l'édu- cation a sa récompense dans l'éducation même. Ainsi , quand ses talents ne t'auraient rien rap- porté , quand son zèle ne t'aurait rien conservé, quand son intelligence ne t'aurait rien acquis, l'avoir possédé , l'avoir aimé , c'est assez pour ta récompense. « Mais elle pouvait être et plus durable et plus grande! » Toujours fus-lu mieux traitée que si tu n'avais eu rien du tout ; car si l'on nous donne le choix ou de n'être pas longtemps heureux ou de ne l'ôlre jamais, cerles nous préférerons un bonheur passager "a la priva- tion du bonheur. Aurais-tu souhailé quelque re- jeton indigne, qui n'eût rempli que la place d un lils , qui n'en eût porté que le nom , au lien d'un noble enfant comme fut le tien? Si jeune, et déjà tant de sagesse, tant d'amour filial ; silôt époux , sitôt père , silôt empressé pour tous ses devoirs , silôt revêtu du sacerdoce; toutes les gloires si vite acquises ! Il ne se voit guère qu'on obtienne des biens "a la fois grands et durables : le bonheur qui dure et persévère jusqu'à la fin est celui qui vient lente- ment. Les dieux immortels, qui te donnaient ton fils pour un instant, te l'ont sur-le-champ donné tel que l'eussent pu former de longues aooées. VA lu ne peux pas même dire que les dieux t'aient choisie , toi de préférence , pour te priver des joies maternelles. Promène tes regards sur la multitude des hommes connus et inconnus : par- tout s'offrent h toi de plus cruelles afflictions. Elles ont frappé les grands capitaines ; elles ont frappé les princes ; la fable elle-même n'en a pas affranchi ses divinités , afin sans doute que ce lût un soulagement à nos pertes , de voir succomber jusqu'aux enfants des dieux. Regarde bien, ledis- je, de tous côtés : tu ne me citeras pas de maison si malheureuse qui ne trouve dans une maison plus malheureuse encore de quoi la consoler. Non pas certes que j'aie assez mauvaise opinion de les sen- timents , pour croire que tu doives supporter plus patiemment ton infortune , si je te présente un grand nombre d'affligés : il est d'une âme peu gé- néreuse de chercher des consolations dans la foule des misérables. Je rappellerai pourtant quelques exemples, non pour t'apprendre que le deuil est habituel chez les hommes, car Userait ridicule de rassembler des preuves de la mortalité; mais pour l'apprendre qu'il y eut bien des hommes qui adou- cirent leurs amertumes en les soulfrant avec calme. Je commencerai par le plus heureux. L. Sylla perdit son fils, et celle perte n'abattit ni son ar- deur guerrière, ni la cruelle énergie qu'il dé- ploya contre les ennemis et les citoyens , et ne donna pas à supposer qu'il eût adopté ce sur- nom d'heureux , du vivant de son fils plutôt qu'après sa mort. 11 ne craignit ni la haine des Lomuics, dont tous les maux venaient de sa trop haute fortune ; ni la colère des dieux , pour qui Si confessa fueris percepisse magnas Toluplate», oporlet te non de eo quoil dotractiim est queii , sed do co giatias agere qund collegisli. Provcnciunt enini salis iiiagiii fructus laborum tuorum ex ip^a ediicalione . iiisi forte hi, qui catulos avesque, et fiiviila anmoium (il)'ecta- menla, summa diiigenlia nntriurit , frmintiir iiliqua votuptate ex visu tactuque et binnda adulationc miito- rum ; lilieros milrieiitibus non fiuclus educntioiiis ipsa cdiicatio est. I,icct it;Kpie lil)i niliit imlustiia ejus cont'le- rit , iiiliil diiigenlia ciistodici il , niliil pnidenlia qiUTbiiTit , ipsum quod habuisli , (juod aniasti , l'i uctus est. « Al poluit longior ose , cl iiiajoi'. « Jlelius taiiien tecuni actuni pd, quam si omuino non contigisset , q>ioniani,si poniitur iliclio , utriini saiius sil, nou du Iclicem esse, an nnu- q iom , nieliiis est discessura nobis bima , quam nulla coiilingeic. ttiuinne malles degencieni aliqucm , cl uu- menin) lantum noinenque liiii cxpicturum liidmissc , au lanta; indolis , (]uaiita; luusfuil? Juveuis cito prudons, cito plus, cilo niHiitus, cito paier, lito omuis officii cu- riosus, cito sacerdos : oinnia tam proi'cra. Nulli fereel magna bona, et diuturiia coutingunt ; nou d'u'al, ucc ad ultimum exit, nisi tenta félicitas. Filium tibi dii immortelles non dia daturi , slatim talpm dederuo", qualis dm cflici potest. Ne illud quidem dicere potes , electam le a dits, cui frui nou lieeret fdio. Circui per onincm not.iium et ignotornui frequentiani ocul s : oc- cuirent tilii passi ubique majora. Senserniit i.4a masai duces , scuscrnnt principes : ne deos quidem fabidae ira- riiuncs reliqueruiil , pulo, ut noslrurum fu^erum leva- mentum es.sct, etiim divina conàdere. Circunispice, inquam, omues : nullam lammiscramnominabisdomum, qua' non iuveniatin niiserioresolatium. Non , mchercule, lam mate di'inoribus luis senlio, ul putem porse te lc\ius pâli ciisum tuum, si liLi ingeutem numerum lugeutiuiu produxero : nialivoli siilalii genus est, turba miseronim. Quosdam lamen referani, non ut sci:;s,liocsolfre homi- nibus accidere : ridiculuni est enim morlalitatis eiem- pla coUigerc : sed ut scias fuisse multos , qui leuierunt aspera fercndo plaùde. A felici simo incipiiim. L. Sylla fîliumamisil ; necea rcs aut militiam cjus, et acerriinain ïirluteni in hostes civesque conludit, aut ffferit, utcog- niimen illud usurpasse saho videretur , quod amisso filio as umsit ; nec odia honiinum \eritu«, quorum malin illius, nirais sccunda; rcs con.vla'iant ; nec mvidiamdco- CONSOLATION A MARCIA. Ht c'était un crime d'avoir fait l'Iieureux Sylla. Mais laissons parmi les choses non encore jugées , quel homme fui Sylla : ses ennemis mêmes avoueront qu'il prit à propos les armes, et les déposa "a pro- pos ; du moins, ce qu'il s'agit de prouver, reste constant , que ce n'est pas un grand malheur celui qai arrive aux plus heureux. XIII. Que la Grèce n'accorde pas trop d'admi- ration 'a ce père qui, au milieu d'un saciiOce, apprenant la mort de son fils, ordonna seulement au joueur de flûte de se taire , et détachant la couronne de son front, acheva le reste de la cé- rémonie. .\insi lit le pontife Pulvillus, qunnd , le pied sur le seuil du Capitule qu'il consacrait, il apprit la mort de son Dis. Feignant de n'avoir pas entendu, il prononça les mots solennels de la for- mule ponlilicale, sans qu'un seul gémissement interrompit sa prière : il eniendait le nom de son enfant et il célébrait Jupiter propice. Tu penses bien que ce deuil dut avoir un terme, puisque le premier moment, le premier transport de la dou- leur ne put arracher ce père aux autels publics, à cette invocation au dieu lutélaire. Certes, il était bien digne de cette mémorable dédicace , digne de ce suprême sacerdoce , cet homme qui ne cessa pas d'adorer les dieux même irrités contre lui. Et puis de retour dans sa maison , ses yeux se rem- plirent de larmes, il exhala quelques sanglots; et après avoir accompli tous les devoirs pratiqués envers les morts, il reprit le visage qu'il avait au Capitole. Paulus, vers ces jours du glorieux triomphe où il conduisit , encliaiué derrière son char, Per- sée, ce roi de grande renommée, donna deux de ses fils en adoption, et vit mourir ceux qu'il s'é- tait réservés. Juge ce que valaient les enfants qu'il avait gardés , quand parmi ceux qu'il avait cé- dés était Scipion ! Ce ne fut pas sans émotion que le peuple romain vit le char de Paulus vide. Et pourtant Paulus harangua la fouie et rendit grâ- ces aux dieux de ce qu'ils avaient couronné ses vœux. Car il avait prié le ciel que si la fortune jalouse réclamait quelque chose pour une si écla- tante victoire, elle fut payée plutôt 'a ses dépens qu'a ceux de Rome. Vois combien son âme "fut grande devant cette perte ; il s'applaudit de n'a- voir plus de fils. Et qui avait plus droit d'être af- fecté d'un tel changement? .Ses consolateurs et ses appuis, il les perd à la fois, et cependant Persée n'a pas la joie de voir Paulus dans la tristesse. XIV. Iiai-je maintenant te promenerd'exemples en exemples parmi tant de grands hommes, pour chercher des infortunés, comme s'il n'était pas plus dilficile de trouver des heureux ? Combien de maisons se sont-elles conservées jusqu'à la fin intactes dans toutes leurs parties et sans un seul dommage? Prends l'année que tu veux ; cites-cn les consuls : choisis-tu M. Bibulus et C. César? Entre deux collègues divisés par la haine, tu vois une même fortune. Bibulus, homme plus honnête que brave, a ses deux fds tués à la fois, après avoir servi de proie aux brutalités des soldats égyptiens , afin sans doute qu'il n'eiàl pas moins a gémirsur de tels meurtriers que sur une telle perte. Et pourlantce Bibulus, quidurant toutel'annéede son consulat, pour rendre odieux son collègue, s'était tenu caché dans sa maison, en sortit le lendemain du jour oii lui fut annoncé ce double niin, quoram illud criinea erat, Sylla tam felix. Sed istud ioter res noDdum judicjtas lial>tatur, qualis Sylla fuerit : etiara inimici fatebuntur, benc illuiii arma sum- lisie, beoe |x>suisse : hoc, de que agitur , constabit , non eue maiimuin lualum , quod etiam ad telici^inioa perTenit. XlIX. Ne nimis admiretar Griecia illiiin patreni , qui in ipso sacriOcio nuatluta rdii morte , tibiciuein tHUluin tacere jii'isit , etcnruo-jm ca|ntl delroiit, cetera rite por- fecit. Pulvillus effecit poDlifei , oui posteiii teaeoli, et Capitolium dedicanli, mors Tilii iiiintiata est : quam ilic exaudisse dissimulant, et .sollemaia pontific;ilis cariii iiis verba coocepit, gemitu non ioterrumpente precatioiiciii, et ad fllii sui nomen, Juve propitiato. Putasses ejus luc- tus aliquem Hneni esse debere , cujus primus dies , primus impetus ab altaribus publicis , et fausla nuiiciiputiuni! non abduiit palrcm. Dignus, mchercule, fuit memoiabili dedicatione , dignus amplissimo sacerdo;io , qui colère dcos ne iratos quidem destitit. Idem tamen , ut rediit domum , et implevit oculos ,ct aliquas voces fletiile» nii- (it, etperactis, qua; mos crat piajstarc defunctis,ad Capitoliaum illum rcriiit vultum. FauUus circa illos nu- bilissimi triumpbi diei, quo vinctom ante cnrmm egit Perseu , ioclyti régis nomen , duos fllios in adoptionem dédit ; quos sibi serfaverat , extulit. Quales retentos pu- tas, quum ioter commodatos .Scipio fuisset? Nun sine motu vacuum Paulli currura populus Romanus aspciit ; concionntus est tamen, et egit dils gratins, quod cnmpos \oti faclus esset. Precjtum enim se , ut si quid ob ing> n- tem victoriam invidix dandum cssct, id snopotius,quam publico damno solverelur. Vides quam magoo animo lu- lerit : orbitati sus gratulatus est. Ecquem iiiagis poterat nioTCre tantn mulalio? solalia simul atque nuiilia pcrdi- dit : non conligit tamen tristem Paullum Persi videre. XIV. Quid nunc le per innumerabilia magnorum Ti- roruin exempta ducani. et quopram miscros, quasi non dinîcilius sit invenire felices ! Quota quxque domus us- que ad etitum omnibus partilms suis eonstitit , in qua non aliquid turbatum sit! Unum qucmllbet annum oc- cupa , et ei eo magiitratus cita. Maicum,s.i vis, Bibu- lum, et C. Caîsarcm : \idcbis inter collegas ininiicis.'.i- mos concordcni fortunam. M. Bil)uli, melioris quam fop- tioris ïiri , duo siniul filii interfecii sunt , jCgyptio qui- dcm militi ludibriu bnbiti , ut non minus ipsa orbitale , 112 SÉNÈQUE. trépas, pour aller remplir comme a l'ordinaire ses fonctions publiques Pouvait-il moins donner qu'un jour à ses deux fils ? Il eut silôl fini de pleu- rer ses enfants, celui qui pendant une année pleura son consulat. Dans le temps où C. César parcou- rait la Bretagne, et ne pouvait plus borner sa for- tune par l'Océan , il apprit la mort de sa fille, qui dans sa tombe entraînait la destinée de Rome. A ses regards s'offrait déjà Cneius Pompée , souf- frant avec peine dans la république un rival de sa grandeur, et déjà voulant mettre un terme a des succès qui lui pesaient alors même qu'il en partageait les profits : cependant, après trois jours, il reprit les soins du comniandemep.t, et triompha de sa douleur aussi vite qu'il triom- phait de tout. XV. Teciterai-je les autres morts dans la famille des Césars, que la fortune me semble outrager de temps en temps, pour que dans le malheur ils soient encore utiles au genre humain , en lui mon- trant qu'eux-mêmes, réputés Dis des dieux et bientôt pères de dieux nouveaux, ils n'ont pas en leur puissance leur propre sort comme celui du monde? Le divin Auguste, ayant perdu ses Ois et ses petits-fils , voyant la foule des Césars épuisée, ctaya par l'adoption sa maison désolée. Cependant il supporta ces revers avec coura;;e , comme s'il se trouvait déjà mis en cause, lui qui était si intéressé à ce que personne ne se plaignit des dieux. Tibère César perdit et son propre fils ' et son fils d'adoption ^. Lui-même cependant il fit dans les rostres l'éloge du second, et debout, en face du cadavre dont il n'était séparé que ' Drusus. — ' Germanicus. par le voile qui doit cacher aux yeux du pontife l'image de la mort; tandis que le peuple romain pleurait, Tibère ne détourna pas son visage. Ainsi témoigna-t-il à Séjan, debout à ses côtés, avec quelle résignation il pouvait perdre les siens. Vois-tu combien elle est nombreuse la foule des grands hommes que ne respecta pas le sort de- vant qui tout succombe, malgré toutes les qua- lités de leur âme, malgré tout l'éclat de tant de grandeurs publiques et privées? Ainsi l'ouragan se promène dans le monde, ravage, bouleverse tout sans choix , comme dans son domaine. Com- mande à chacun de t'apporter ses comptes : au- cun n'a reçu le jour impunément. XVI . Je sais que tu vas me dire : o Tu as oublié que tu consoles une femme : tu me ci tes des hommes pour exemple. » Mais qui donc osera dire que la nature ait traité peu généreusement le cœur des femuKs, et limité pour elles les vertus? Elles sont, crois-moi, aussi fortes que nous, et, quand il leur plaît, aussi capables d'actions honnêtes; avec l'habitude elles supportent aussi bien que nous le travail et la douleur. En quelle ville, bons dieux ! viens-je tenir ce langage? dans une ville où Lucrèce et Brutus renversèrent les rois qui pesaient sur nos têtes: Brutus, a qui nous de- vons la liberté, Lucrèce, à qui nous devons Bru- tus; dans une ville où Clélie, bravant le fleuve et l'ennemi, mériia par son insigne audace d'être placée même au-dessus des houunes. Assise sur son coursier d'airain, dans cette voie saciée où se presse la foule , Clélie reproche à nos jeu- nes gens qui montent dans leur litière , de fran- chir ainsi les portes d'une ville qui fit honneur auctorejus, digna res lacrymis esset. Bibalus tanien, qui, toto honoris sui anno, ob invidlani collega!, domi latuerat, postero die quam geminuiii funus renuntialum est, processit ad solita et pul)!ica officia. Quid minus po- terat , quam unum diem duobus fliiis dare ! lam cite iibe- rorum luctum finivit , qui consulatum anno luxeial. C. (^cBsar quuin Britanniam peragraret , nec Oceano fe- licitatem su:im continere posset, audivit dccessisse (iliam publica secum fala ducenlem. In oculis erat jani Cn. Pom- peius, non aiquo laturu.s aninin quecnquam aliuni es.se in Republica magnum , et modum impositurus iiicrcmentis. quai gravia illi videbantur, otiam quum in commune crescereut : tanicn inira lertium diem impcratoria obiit munia, et tam cilo dolorem vicit, quam omnia solel)at. XV. Quid aliorumtibi funcraCasarum refcram! quos in hoc mihi intérim videtur violare fortuna . ut sic quo- que generi Immano prosint, o.slendentes, neeosquidem, qui diis geniti deosque geniluri dicantur, sic suani for- tunam in potestate hal)ere , qneniadmodum alienam. Diïus Augustus amissis liberis, nepotibus, exbausta C.t- sarum tiirl)a , adoptione doscriam domum fulsil. Tulit tamen forfiter , tanquam ejus jam res agerclur, cnjus quum inaiime inlcrerat, de diis nemincm queri. Tib. I Caesar et quem genuerat, et quem adoplaverat, amisil : ip.se tamen pro rostrislaudavii filiujn, stetitque in con- 1 spectu positoeorpore, interieclotautunmiodo velamenlo, quod pontificis oculos a funere arceret , et fiente pi f :inilia duas Cornelias dabo. Priinam Scipioois filiam . Graccborum matrem ; duodecim illa partus , lolidcm Tuoeribus recog- noïit; et de céleris facile est , qiios ncc edi;os, uecaniis- sos civitas sensit. Tib. (iraccbum , cl Caiuin , quos elinni qni boom Tiros negarerit , inagaos faloliitur, et occisus Tidit et insepullos ; consolantibu.us vita est , a quil)us nulli longa pai , tiv ioducio^ sunt. Quatuor liheros sustnicrns. dresse sur des rangs épais. Est-il donc étrange qu'une si nombreuse famille n'ait pu traverser la vie sans provoquer les coups envieux du sort? — Mais la fortune est d'autant plus injuste, qu'elle n'a pas seulement enlevé, mais choisi mes liis! — Non, jamais tu ne trouveras injuste que le plus fort fasse part égale avec le plus faible : or, t'ile le laisse deux filles, et de ces filles deux pelils-eu- fanls; et ce fils même que tu pleures si tendre- ment, oublieuse du premier, elle ne te l'a pas ravi tout entier. Il te reste de lui deux filles : fardeau pesant si tu faiblis; sinon, grande consolation. La fortune te les adonnées, pour qu'en les con- templant tu te rappellasses ton fils, non ta douleur. Le laboureur, voyant coucher parterre ses arbres déracinés par les vents, ou brisés sous le choc soudain de la trombe tournoyante, soigne précieu- sement les rejetons qui survivent; aussitôt, par des plants ou des semences, il remplacelesarbresqu'il a perdus; et, dans un moment (car le temps n'est pas moins empressé, moinsagile pour relevcrque pour détruire), ces|K)usses grandissent plus verdoyantes que les premières. Remplace ton Mélilius par ces filles, et comble ainsi le vide de ta maison. Allège une seule douleur par cette double consolation. Je sais qu'il est naturel à l'homme de ne rien trouver qui le charme plus que ce qu'il a perdu , et que le regret de ce qu'il n'a plus le rend injuste envers ce qui lui reste : mais, si tu veux calculer combien la fortune t'épargne, même en te maltraitant , tu verras que tu possèdes encore plus que des con- solations. Regarde "a tes côtés tant de pelils-fl!s et deux filles. Marcia : nullum ainnt frustra cadere telum , quod in cooferlum agmen inmiissuni c&t. Mirum est , tantam tur- lum non potuisse sine invidia damnove prxtcrTehi? At hoc iniquior furtuna fuit; quod non tanlum lllios eri- puit , sed ele);it. ?euc, magna solatia. In boc te perduxit, ut illas quum videris, admonearis filii , non doloris. Agricola, eversis arboribus, quas aiU vcntus radicitus evulsit.aut conlorlus repenlino impelu turbo perfregit, sobolcm ex illis residuam foTct , et amissaruni spmioa statim planla.squc disponit : et momento (nam ut in damna , ita ad incrcmenla rapidum Tcloique tcnipus est) adolescuntamissis Ixliora. lias nuncMelilii lui (llias in ejus viccni substitue, et vacaniem locum expie. L'nuui doloiem gemiualo solalio leva. IIa.'c quideni natnra mor- talium est, ut nihil ni»gis placeat, quam quod aniissnm est; iniquiores suinus adversus rclicta, crcptorum disi- derio : sed si fEstimare volueris , quam tibi vaUlc fortuna, etiam quuni sa-vierit, pepercerit, scies le babere p\us qtiam solalia. Rcspic- tiit nopils's, du.is (ili:is. 8 ni SÉNÈQUE. XVIl. Dis encore ceci, Marcia : « Je me laisserais fléchir, si lesort de chacun était suivant ses mœurs : si jamais le mal ne poursuivait les bons : mais je vois que les bons et les méchants sont indillérem- rûcnt le jouet des mêmes orages. Pourtant , il est crurl de perdre un jeune homme qu'on a élevé , ([iii déjà , pour sa mère , pour son pore , était un soutien et un honiieur. » C'est une disgrâce cruelle, qui le nie? mais humaine. Tu es née pour perdre, pour périr, pour espérer, pour craindre , pour tourmenter les autres et toi-même, pour redouter et souhaiter la mort, et, ce (jui est pis, pour ne jamais savoir quelle est ta vraie condition. Si Ton disait à un homme partant pour Syra- cuse : « Je vais premièrement te faire connaître tous les ennuis et tous les agréments de ton pro- chain voyage; avec ces instructions, embarque- loi. Voici donc ce que tu pourras admirer. Tu verras d'abord cette île, qu'un détroit resserré sé- pare delllalic. 11 paraît certain qu'autrefois elle faisait partie du continent; mais une soudaine ir- ruption de la mer « arrache la Sicile des flancs de l'HespérieV » Et puis (car il t'est permis de raser les bords du goulfre insatiable) tu verras la fabu- leuse c:har^bde aplanie tant qu'elle n'est pas occu- pée par les vents du midi, mais, au premier vent violent qui soufllede ces régions, englouli^sant les navires dans ses abîmes béants et profonds. Tu verras cotte fontaine si célèbre chez les poètes, Arétliuse , si limpide et si transparente, épan- chant do son urne des ondes si fraîches; soit qu'elle revomisse un fleuve, qui, s'cngouffranl sous le lit des mers, reparaît ensuite sans avoir rien perdu , sans avoir rien altéré de ses eaux par leur mélange avec des flots Impurs. Tu verras un port, le plus tranquille de tous ceux que la nature ait formés, ou qu'ait façonnés la main de l'homme pour protéger les flottes, et si bien abrité que la furie des plus violentes tempêtes n'y a pas accès. Tu verras où se brisa la puissance d'Athènes ; où , sous des roches creusées jus(|u"a des profondeurs inflnies, plusieurs milliers de capti's eurent des carrières pour prison ; tu verras cette vaste cité, dont les tours s'étendent plus loin que le terri- toire de bien des villes; où les hivers sont si liè- des, que pas un jour ne s'écoule sans avoir son so- leil. Mais quand tu auras passé en revue toutes ces merveilles, un été lourd et malsain empoisonnera les bienfaits du ciel d'hiver. Là lu trouveras Denys le tyran, bourreau delà liberté, de la justice, des lois, avide du pouvoir même après les leçons de Plalon , de la vie même après l'exil : il livrera les uns aux flanmies, les autres aux verges : il fera dé- capiter ceux-là pour la moindre offense; il appel- lera dans sa couche cl les hommes et les femmes, et, au milieu du sale troupeau paniuépour les royales orgies, ce lui sera peu déjouer deux rôles à la fois. I) Tu sais ce qui peut t'attircr, cequi peot te rete- nir, maintenant pars ou reste.» Après cet avertis- sement, s'il disait vouloir allera Syracuse, dequel autre que de lui-môme aurait-il droit de se plain- dre, (|uand il ne serait pas tombé dans cette ville. qu'elle les trouve là naissantes et primitives , soit mais qu'il y sei ait venu sciemment et volontaire- * Virg. .Eneid., lib. III, v. «. '■ ment? XVII. Die illud qnoque, Hlarcia : » Moveret me, si esset cuU|ue pro iiiorilius fortuD:i, nunquim muta l)oni)S sequcreii.iir : iiuuc video, exeiiito discr.miiie , et eodeni nio;lo iiiulos lioiiosque jaclari. (Irave csl laiiien, quera iducaveris juvciiem, )ani iiia ri, jam pa.ri pra'sidiimi ac drciis , iiiiiillere. » Quis iiegat grave esse , sed liiimiinum et. Ad hoc gcnita es ul penleres, ut perires, ut spera- res, nie.ueres, aiios lequc inquiel::res, iiKirleni et ti- meres el 0[)t res , et, quoJ est pessiiiium, nuuquani scires cujui esses status. Si quis Syracusaspelenti diccret : omnia incommoda, omnes vol q)t (es fnlura' peregrinalioiiis tua; au;e cog- nosee , deinde itii n:nig:i. Jia'c sunt quae mirari possis; vidcliis priuuiiu ipsani insiilani al) Italia anguitoiuterci- sam frcto, quani eontineiili quoudam coha'sissc constat : liubituro illo mare irrupit , et Ilesperiiim Siculo latus abscidit = deinde videbis (licet enim tilii avidissinmra maris vorti- cem slringere) stralam illam fahulosam Cliarylidim, quamdiu ab au^ro vacat; at si quid inde vchcnien'iius Bpiravitj ningno liiatu pi-ofundoqne navigia sorbeoiem. Videbis cclebr.ilissijiMun cai-miiiilii.s foiiîem Arclliiisam Bilidlssimi ac periucidi ad in;um slngni , gelidissimas aquas profimdenlem ; sive illas ibi primum nascentes in- veuil, sive imniersum terris flumen integrum subier tôt maria , et a coufusioue pejoris unda; servatum , rediddit. Videbis portum quielissimum omnium, quos aut Da;ura p::suit iu lutelani c'assiuni, aut adjuvit manus , sic tutura ut ne maximaruui (luidcm tempestatum furori lucus sit, Videbis ubi A:hennrum poten.ia Traeta : ubi tôt millia raplivorum, ille excisis m iufinilam aliiiudiaem saxis lautumiuscnrcer im'luserat : ipsam ingenlem civitati'm, et laxius turrilam, quam muliarum urbium fines sint : tepi isiima hiberna , et nullum dii'm sine inlervcnlu so- lis. Sed quum omnia isia cognoveris, gravis el insalubris ivstjis h iK'rni cœli bcneticia e. rrumpel. Erit Dionysiiu illictNrannus, l;l)erlalis, justilia", legum exitium, domi- nalion s cupiuus rtiam post Platoneui, vita; etiam post exsilium ; alios urel, alios verbcrabil, aiios ob levem of- fiHsiim ]ubebit delrnncaii : arcesset ad libidinem mares feniina>que , et inter fœdos regia; intemper autix grcges parum erit simil binis coire. Audisti quid te invitare possil , quid absterrere : proinde aut naviga , aut résiste. Post banc denuulialio- neni , si quis riixisset inirare se Syraciisas velle , satisne juslam querclam de ullo, niai de se, habire posscl, qii non incidisicl in illa , sed prudcns sciensque venisset ? CONSOLATION A MA KG 1 A. u: De même la nature dit à tous : « Je ue trompe personne : toi , si tu portes des enfants dans ton sein , tu pourras les avoir beaux , mais aussi bien les avoir laids; et, si par liasard il t'en naît plu- sieurs , l'un d'eux pourra sauver la patrie , et l'autre la livrer. Ne desespère pas de les voir un jour dans un tel crédit que personne, à cause d'eux, n'ose t'outrager; mais songe aussi qu'ils peuvent tellement secouvrtr de lionle, queleurnoni niiimc soit un outrage. Rien n'empOclift <|u'ilsiiete ren- dent les derniers devoirs et que tes enfants ne pro- noncent ton éloge; et cependant liens-toi prcie h les déposer sur le bûcher, soit enfants, soit hom- mes, soit vieillards, car les années n'y font rien ; car il n'est pas de funérailles qui ne soient pré- maturées quand une mère les accouipagnc. » Après ces conditions arrêtées d'avance, si tu engendres des enfants ta décharges de tout reproche les dieux qui ne l'ont rien garanti. XVIII. Voyons, rapprochons de cetle image l'entrée de l'homme dans la \ie. Tu déliliérais d'aller a Syracuse , je t'ai montré les cliarmes et les dépiaisii'S du voyage. Suppose (ju'au jour de ta naissance je sois appelé pour te donner des con- seils. Tu vas entrer dans la cilé coiniuune des dieux et des hommes, (jui embrasse tout , qu'en- traiuent des lois (i\es, éternelles; oii, dans leurs révolutions, les astres accomplissent leur iulaliga- ble ministère. Tu verras la d'innombi ables éloiles, et cet astre merveilleux qui remplit tout a lui verras la lune lui succéder avec les ténèbres, em- pruntant aux rayons fraternels une lumière douce et tempérée, tantôt cachée, tantôt dévoilant au monde sa face tout entière, croissant et décrois- sant tour à tour, toujours différente de ce qu'elle était la veille. Tu verras cinq planètes suivant des routes diverses , et , dans leur marche contraire, résistant "a la force qui emporte le monde : de leurs moindres mouvements dépend la fortune des peuples . c'est la (jue se décident les plus grandes et les plus petites choses, suivant r;i|iparilion d'yn astre pro|)ice ou mallaisant. Tu admireras les nua- ges amoncelés , les eaux qui tombent , le vol obli- que de la foudre et le fracas du ciel. Quand , rassasiés de ces grands spectacles, tes yeux s'abais'cionl sur la terre, ilsylrouveroniun autre ordre de choses et d'autres merveilles. Ici de vastes plaines se pnilongonl dans des lointains in- (inis; 1), sur la croupe neigeuse dos montagnes su- perbes, leurs crêtes élevées se dressent jusqu'à la nue : les rivières s'épanchent dans les campagnes : des fleuves, partis d'une même source, vont ar- roser l'orient et l'occident, Sur les plus hautes cimes se balancent des forêts , des bois s'éten- dent avec leurs hôtes sauvages, avec le concert varié de jeu i-s oiseau,. L'a sont des villes diverse- ment situées ; des nations séparées entre elles par des abords inq)rjticables; les unes letiiées sur de hautes montagnes, les autres emprisoiiincs pardes fleuves, des lacs, des vallées, des marais; lii sont seul, ce soleil dont le cours diurne manpie les j des cliainps fécondés par la main trs lerliles sans culture; des ruisseaux qui annuel partage également les étés et les hivers. Tu ' serpentent mollement dans les praiiies; des gol- Dicit omnibus nobis natura : Ncmincm decipio; tu .^ filios sustulori«, poteris liabcre formosos, potcris et dé- formes ; et si forlasse til>i iniilll nascentur, esse CI illis aliquis Uni servalor palrlap, (piain proliliir |)oîeril. Non est quod dcsperes tanix dif!n;itiuuis fiitiiros, ut ncmo til>i propter iltos iiialed ceie aiideat ; pro;i(>ne lanieo eltanlar futuros turpiludiuis, ut ip>i nialedictiini sinl. Niliii >c'tat illos lil)i suprema pra^slare, et tau lari te a I iltrris tiiis ; sed sic te para , t nquain in ignoni posiuni , vel pueruni, Tel juveni'in , \cl scneiii. Nil en niad lenipniinent aniii ; quiiniain nuitu ii non acerlmiii lunns esl , ({unil.parins Kiiuiliir Post h.'isti'gesproposilas, silil)ei'os totlis, onini dcos invidia litieras, qui tiii nili I spnpondeninl, XVIII. Ad tianc iniagineni agediini totins v lie iniroi- lum referainus, Syiacu>as lisire ilcillieranii lii.i.<|iild- qu d delectare p>iten;t, quid piid (ifr< n^lire, evposiil : putH nasreiiti nie libi >euire in ciasiliuin. Iiitratiira es url>eniriiishuni nit)U>qiieroiniiiiineiii,(iniuia('i>nipleiain, rertis lecibus slerimqoe de\iiu'taMi , imli r>iti(.'al.i erptcs- tiumofnciaTol^eu cm, Vidiliis i'Iir iniunieraliil^s s cit s, miralHTis uni sidcre oniaia iinpleii , solini i|Uolidi.ino cnisu die! nuctisque spa.ia sienanlcni , aimuo asl.itcs tiicnicsqne a'qualiler divulenli ni, Videliis noclurn m luDic siccessionein , a fralcruis uccursibns lene reniis- suin(|uc hmien muluantem , el uiodooccultam, modo tolo ore terris imnnmntcm , accession !ius daiuuiïque mula- bilcni , sempcr pro^iina.* dissiiuileni. Viduliis quinque sidéra divers.ns a^entia vias, et in cnntr.riuin pra'cipiti mtindo uileutia . ek bomm Itvi.ssimi4 niotitius tirlun» populoruui depcident, et iiianjuia ac ininlma periiide for.i.anlur, piuut a.'quum iiii(|j\.mre s dus ti.ressil. Mi- ral)eris (iillccla nid>ila, et cadcutes aquas, et obliqua fulmina , et iipli fragorem. Quuni .vatiat .s .speclaiula siipernitrom in Icrram oculos dejcecrs, e\c p et te :;tia fortnni rerum , iititeniue mi- rablis. Ilinc c.niporuni i i iuliuitum pateutium lu&a pla- niti s; ti oc ni.>iiliiim nia<;iiis et nivalibus surgentium ju(;i» eiccii in sut)tinii- Tertices ; dcjcitus lluniinum, et ex uiio toute m Orienlcni Occiileutenn|i»; de:u!>i anrics; et Minunis taruiiiiuil>us utniora nuiantia, et tjuiuinsil- varnni cuinsuis auinijiib s, aviinn<|iic conceulii di&s mo. Varii liili uni sit'is e. scctusa; iialioui.s liicoium d iriciil- tate , qiaruni atiiese incrclos s.ililr tiinit montes, ut ;e ripis, lacMi, vr.tiliiis, pnliidc circiniriiniiiiuliii-; adjiili ciiltii ^eges. et.ob .sla siuo cull re teiUlia, et rixirum len s inler (irala di.scui'sus , et aili eni siniis , et liltora in portuiii rcccdeutii, spni-.>.;L' tut per >iistiiiu i;:su!a' 'in.i! inttTventii siio maria d.stinguuul. Quid l.ipidum gemma- tlG lies gracieux, des i-ivages qui se creusent pour devenir des ports : des îles sans nombre éparses , semées sur les mers, dont elles émaillent la vaste plaine. La sont les pierres, les perles resplendissan- tes; les torrents qui, dans leur course impétueuse, roulent des paillettes d'or mêléesàlour gravier; et ces colonnes flamboyantes qui jaillissent du sein de la terre même au milieu des flots ' ; et l'Océan, ce lien du monde, qui se divise en trois mers pour partager les nations, et bondit sur sa couche, sans frein et sans mesure. Là sont des vagues toujours mobiles, ondoyantes dans le silence des vents. Tu Terras des animaux énormes , qui surpassent en grandeur ceux delà terre ; les uns, dont la masse pesante a besoin d'un guide pour la conduire ; les autres, agiles et plus rapide? qu'une galère poussée à force de rames; d'autres aspirant et soufflant l'onde amère, au grand péril des matelots. Lh tu verras des navires allant chercher des terres qu'ils ne connaissent pas. Tu ne verras rien «pie n'ait tenté l'audace humaine , a la fois témoin et labo- rieuse associée de ces grands efforts. Tu appren- dras, tu enseigneras les arts, et ceux qui entre- tiennent, et ceux qui embellissenl, et ceux qui gouvernent la vie. Mais l'a seront aussi mille fléaux du corps et de l'âme, et les guerres, et les brigandages, et les em- poisonnemcnls, et les naufrages, et les intempé- ries de l'air, et les maladies, et la perte prématurée de nos proches, et la mort, douce peut-être, peut- être pleine de douleurs et de tortures. Délibère avec toi-même, et pèse l)ien ce que lu veux ; une fuis entrée dans celte vie de merveilles, c'est par là qu'il tant en sortir. Répondras-tu que tu veux < Les volcans des Iles Lipari. SEÎSEQUE. vivre? — Pourquoi non? — Pour moi , jepenw que tu ne consens pas à la vie, puisque tu te plaint qu'on t'en ôle quelque chose. C'est à toi de l'accep- ter avec ses conditions. — Mais personne ne nous a consultés. — Nos parents se sont consultés pour nous; ils connaissaient les lois de la vie, ils nous ont engendres pour la subir. XIX. Mais, pour en venir aux consolations, voyons d'abord quels maux il faut guérir, ensuite par quels moyens. Ce qui te fait verser des larmes, c'est le regret d'un Cls que tu chérissais. Mais de soi-même celle perte semble tolérable. Car, loin des absents, nous ne les pleurons pas tant qu'ils vivent, bien que nous soyons entièrement privés de leur commerce et de leur présence. C'est donc l'opinion qui fait notre tourment , et nos maux ne s'élèvent qu'à la mesure que nous leur donnons. Le remède est en noire puissance. Regardons les morts comme des absents , et ce ne sera pas nous abuser nous-mêmes : nous les avons laissés partir ; quedis-je, nous lesavonsfait parlirdevant pour les suivre. Tu verses encore des larmes quand tu dis: « Qui me reste pour me proléger , pour me dé- fendre du mépris? » Console- loi ; car s'il est hon- teux, il n'est que trop vrai que, dansnotrecilé, on gagne à voir mourir ses enfants plus de crédit que l'on n'en perd. Autrefois, c'était la ruine d'un vieil- lard que de rester seul; maintenant, c'est un si beau titre à la puissance , que l'on en voit feindre de la haine contre leurs flls, désavouer leurs en- fants, et vider leurs maisons par le crime. Je sais que lu vas me dire : « Ce qui me touche, ce n'est pas mon propre dommage : car on ne mérite pas d'être consolé quand ou regrette la mort d'un fils, comme celle d'un esclave : quand on a le rumque fulgor , et inler lapidoruni cursum torrentiuiii auruin arenis interflueus , et in niediis terris , medioque rursus mari iiitcates igaium faces, elvinculuintenaruin Oceanus.contiiiuationera gentium triplici sinii scindens, et ingenti llccntia exa?sluaiis ? Videbis liis inquietis , et sine venlo lluctuantibus aquis imniani et excédent! ter- restria inagnitudine aninialla, qua'daui gravia et alieno se magisterio moventia, quœdam vclocia, coucitatis per- niciora reuiigiis, quaedam liaiirienlla undas, et niagno prxnavigantium periculo efilantia. Yidebis hic navigia , quas non uovcie terras qua'rontia. Vidibis iiihil Im- mana; audaciic iutentatum , eiisque et spectalrlx , et ipsa pars magna conantiuin ; disces docebisque artes , alias quu! Titam instruaut , alias qu(c ornent , alias quie rcgant. Sed istic eruut mille corporuni et auiiuoruni pestes , et bella , et lairocinia , et ^eaena , et uaufiagia , et ialempe- ries cœli corporisquc , et carissiniorum accrba desideiia, et mors, incertnni, facilis, an per pœuam crucialuni- que. Délibéra lecuui, et perpende quid \elis; ut in illa vcnias, per ista escundum est. Respoudebs, \ellc te viTcrc ? quidni ? Immo, puto, ad id non accèdes, es quo tibi aliquid detrahi doles. Vhe ergo ut conveait. Neoio, inquis, nos consuluit. Consulti sunt de nobis parentes nostri ; qui quum coudltionem vita; nossent, in banc nos snstulerunt. XIX. Sed ut ad solatia yeaiam, videamus priraum quid curaudumsit, deinde queuiadmodum. Movet lugeniem desiderium ejus, queni dilexit. Id per se tolerabile ap- paret. Absentes enini abfuturos, dnm viTerent, non fle- mus, quam^is oiunis usus illoruni nobis et conspectus ereptus sit. Opinio est ergo qna; nos crucial ; et tanti quodque maluiu est, quami illud taxarinius. In nostra potestale reniedium habcraus. Judicemus illos abesse , et nosmetipsi non fallamus; diniisimus illos; immocoa- secuturi praeniisimus. Movet et illud lugentem : « Non erit qui me defendat, qui a contenitu vindicet ! • Ut mi- nime probabili , sed vero solatio utar , in civitate nostra plusgratiœ orbitasconfert, quam eripit. Adeoque senec- tutein solitudo, qnae solebat destruere, ad potentiam ducit, ut quidam odia Gliorum simulent, et liberos eju- rent, et orbitatem manu faciant. Scio quid dicas : • Non movent me delrimeuta me»; CONSOLATION A MARCIA. Î17 cœur (le considérer dans un fils autre chose que lui-même. » Pourquoi donc pleures-tu, Marcia? parce que ton fils est mort, ou parce qu'il n'a pas assez longtemps vécu? Si c'est parce qu'il est mort , tu as dû pleurer toujours ; car toujours lu as su qu'il devait mourir. Persuade-loi bien que les morts n'éprouvent aucuue douleur. Cet enfer, qu'on nous a donné pour si terrible, n'est qu'une fable : les morls n'ont a craindre ni les ténè- bres, ni les prisons, ni les torrents qui roulent la flamme, ni le fleuve de l'oubli : dans cet asile d'une pleine liberté, point de tribunaux, point d'accusés , point de nouveaux tyrans. Ce sont là jeux de poêles, qui nous ont poursuivis de vaines terreurs. La mort est la délivrance , la fin de toutes nos peines ; nos malheurs ne la franchissent pas : c'est elle qui nous rend au sommeil tranquille dont nous jouissions avant de naître. Si vous pleu- rez les morls, pleurez aussi ceux qui ne sont pas nés. La mort n'est ni un bien ni un mal. Car, pour être soit un bien soit un mal, il faut être quelque chose ; mais ce qui n'est rien , ce qui ré- (Tuit tout h rien, ne nous impose ni l'une ni l'autre de ces conditions. Aux biens et aux maux , il faut un sujet quelconque sur lequel ils s'exercent. La fortune ne peut retenir ce que la nulure aban- donne, et l'on ne saurait être malheureux quand on n'est pas. Ton fils a dé|>a.ssé les limites entre lesquelles on esl esclave. Dans le sein d'une paix profonde, éternelle, il n'est plus tourmenté par Ja crainte de la pauvreté , par le souci des ri- chesses, par les passions qui harcèleut notre âmo avec l'aiguillon de la volupté; il n'est pas en- vieux du bonheur des autres , ni envié dans le sien : jamais la calomnie ne blesse ses chastes oreilles ; il n'a plus 'a prévoir ni calamités publi- ques ni privées ; jamais sa pensée inquièle ne s'ul- tache 'a l'avenir plein de plus tristes inquiétudes. Enfin, il est dans un asile d'où rien ne peut le ban- nir , où rien ne saurait l'effrayer. XX. Oh! qu'ils s'aveuglent sur leurs maux, ceux qui ne célèbrent pas la mort comme la plus belle invention de la nature! Soit qu'elle achève notre bonheur, qu'elle écarte l'infortune, qu'elle éteigne un vieillard las et dégoûté de vivre, soit qu'elle nous moissonne au printemps de nos jeu- nes années, et bercés d'un espoir meilleur , soit qu'elle rappelle l'enfance, avant que la route de- vienne plus difficile , la mort est un terme jmur tous , pour beaucoup un remède , un vœu pour quelques-uns, et ne mérite mieux de personne que de ceux qu'elle vient trouver avant qu'ils-l'in- vofjuent. La mort affranchit l'esclave malgré le maître; elle brise la chaîne du captif; elle ouvre les prisons aux malheureux qu'y tenait enchaînés une délirante tyrannie : 'a l'exilé, qui sans cesse tourne vers la patrie et ses yeux et sa pensée , elle montre qu'il n'importe guère près de quelles cen- dres reposeront les siennes. Si la Fortune a mal distribué les biens communs 'u tous ; si , tous nais- sant avec des droits égaux, elle a voulu que l'un fût possédé par l'autre, la mort rétablit partout l'égalité. C'est elle qui jamais n'a rien fait suivant le caprice d'un autre ; elle auprès de qui jamais cteniiu non esl dignus solalio, qui filium silii decesiisse , sicut mancipium , nideste f«rt; cui quidqnani in fîliu respicere, picctcr ipsuin, vacat. • Quid igilur le, Mar- cia, movct? utruiu, quod fltius tuus dcccs.sil, an, qiiod noo diu viiit? Si , quod deccssit, ^'cmiKT dcbiiisti dole- rc ; semper eoim scisti tnori. Cogita nutlis derunctum mails affîci: illa qux nol)is interos faciunt terribiles. Ta- butain eisc , nutlas ininiinere niorluis tcnebras, nec car- cerem, ncc fluniina (lagrantia i^ne, nec oblifioais aninrni, Dec lrit>unalia, et rcos, et in ilta librriatn lam laia ullos iterum tyrannos. Lmeruot nia poeta;, et vanis nos agi- Uvere terroribns. Murs omnium doloruni et tolulioestet Onis ; ultra qnam iiiala nostra non eseunt , qux nos in illam tranquillilateni , in qua, antequam nasceremur, Jacuimus, reponil. Si mortuiirum aliquis miscrclur, et non natonini miscreatur. Alors ncc bnnuni uec malum est. Id enim potest aut bonum aut maluin esse , qund aliquid est : quod vrro ipium nihil est , et omnia iu ni- bilum redigit, Dulli nos forlunx tradlt. Mala enim bo- naque circa aliquam yersanlur materiam. Non polest id fortuna tencre, qood nalura dimisit ; nec potest miser rsse,qui nutius est. Kicessit niius tuus terminos, intra qnos sârvitur. Eicepit itium magna et aplerna pax : non paupcrtalis ractu, non diviiiaruni cura, non libidinis pcr Tolnptalcm auimof carpcntis siimulis inccssitur, non invidia relicitatisalienx tangilur, nec sux premitur, ncc coDviciis quidem ullis vcrecundae aurcs vcrl)eraDtur : nulla publira clades prospicilur, nulla privala : nonsol- licilus fuluri pendct ci evenlu, semper in détériora dé- pendent!. Tandem ibi conslilit , undc nil eum pcWai, ubi nil terreat. W. O ignarns nialorum suoruiu , quibu.s non mors ut optimum invcutum naturx laudatur ! quo; sive felicita- teui iucludil, sivc calamitatem repellit, sive satietalem aut lassitudinem senis terminât, sive juvénile aivum, dum meliora speranlur , in flore dcduclt, sivc pueriiiam ante duriorcs gradus revocal, omnibus finis, multis reme- diuni , qiiibusdani votum , de nullis melius mérita , quam de bis ad quos venit nnlequam invocarelur. Ila-c scrvilu- tem invite domino remitlil; hiFC captivorum catenas levât ; bîBC c carccrn deducit , quos eiire imperium im- potcns velueral; ha>c exsulilnis in palriam semper ani- mum oculosque tendenlihus, oslendit, nihil interesse inlerquos quisque jaceat; hfpc, ubi res communes for- tuna maie divisil, et a;qun jure genitosatium alii dona- vit , eixquat omnIa; ba-c est, qua» nihil quidquam alieno fccit arbitrio; ha-c est, in qua ncmo humilitalera suani sensit ; ha;cest,qua; nuiti paruit; ha>c est, Mar- cia , quam paler tuus concupivit. Hax esl , inquam , qu.T efficil, ni nasci non sil supplicium : q»a) efficil, ut nou tia SÉNEQUE. ou n'a rougi de sa condition ; elle qui n'a jamais obéi à personne; elle qu'appelèrent lesvœuxdeton père , ô Marcia ! C'est elle , dis-je , qui fait que ce n'est pas un supplice de naître; elle qui fait que je ne succombe pas suus les menaces du sort, et que je conserve mon âme intacte et maîtresse d'clle-niême. Je sais où prendre terre. Là bas, je vois des croix de raille formes, varices suivant la fantaisie des tyrans. Celui-ci tourne vers la terre la tC4e des supplicies pour les pendre ; colui-l'a les empale; un autre leur étend les bras sur une po- tence. Je vois les chevalets, je vois les verges, et pour chaque membre, chaque muscle, un instru- ment de torture; mais je vois aussi la mort. L'a- bas sont des ennemis sanglants , des citoyens su- perbes; m;iis Tu-bas aussi je vois la mort. La servitude n'est pas chose pénible , queind, las de votre maître, \ons allez d'un seul pas trouver la liberté. Contre les outrages de la vie, j'ai le bien- fait de la mort. Songe combien il est heureuï de mourir "a pro- pos, à combien d'hommes il en a coiilé d'avoir trop vécu. Si Cn. Pompée, la gloire et le soutien de cet empire , avait été, "a Naples, enlevé par la maladie, il mourait, sans coniredit, le premier des Romains : quelques jours de plus le précipi- tèrent du faite de sa grandeur. Il vil ses légions massacrées en sa présence; et, d'une bataille où le sénat formait la première ligne, tristes restes! le chef lui-même a survécu. Il vit le bourreau égyptien; il offrit 'a un satellite celte tête sacrée pour les vainqueurs. Au reste, épargné par le glaive, il aurait eu à regretter son salut. Car quoi de plus honteux que Pompée vivant par le bienfait d'un roi ! M. Cicéron , s'il était mort au moment où il échappait au poignard dont Ca- tilina le menaça en même temps que la patrie, expirait sauveur de la république qu'il venait d'af- franchir; si même il eût suivi de près les funérail- les de sa lille, alors encore il pouvait mourir heu- reux. Il n'eût pas vu briller les glaives nus sur la tête des citoyens , partager entre leurs égorgeurs les biens des victimes, pour qu'elles fissent les frais de leur mort ; il n'eût pas vu les dépouilles des consuls vendues "a l'encan, les meurtres, le marché public des brigandages, la guerre, le pil- lage, et tant de Catilinas. Si Marcus Caton, reve- nant de Chypre, où il était allé régler la succes- sion d'un roi', avait été englouti par la mer, même avec cet argent qu'il apportait pour soudoyer la guerre civile , n'eût-ce pas été un bonheur pour lui? Du moins alors emportait-il avec lui cette pensée, que personne n'eût osé le crime devant Calon. Quelques années de plus, et cet homme, né pour être libre, né pour la liberté publique, sera forcé de fuir César et de suivre Pompée. Un trépas prématuré n'a donc fait aucun tort a ton Méliiius : bien plus, il lui a fait remise de tous les maux. — Mais il mourut trop tôt et avant le temps. — Et d'abord suppose qu'il a survécu ; imagine la vie la plus longue qui soit accordée à l'homme. Que c'est peu de chose! nés pour de très-courts instants, nous préparons cette hôtellerie, que nous devons quitter bientôt, pour d'autres qui viendront l'occuper aux mêmes con- * Ptoiomée, qui avait (ait le peuple romain son béritifr. concidam advcrsns minas casuuni , iit scrraie animiim salvuin ac potentem sui possim. Ilabeo qiio appellain. Video istic cruccs non unius (iiiidcni penerls, scd aliter al) aliis fal)rica!as; capite quidam coiivcrsos in temm suspendcre , alii pcr olisconna stipitcni cgenint , alii l)i'a- chia patibtdo expiiciicninl. Video fidiculas , video ver- l)Cra , et nienibr s et .«inpulis articulis singiila macliina- menta; sed videi et nioilem. Sunt islic liostes crueuli, cives superhi ; sed video istic et niorlem. Non est nioli's- lum scrvire, ul)i , si domini pcrtipsum est, licet uno gradu ad liberlateni transirc contra injurias vitie , bcne- (iciinn morlis habco. Cogita, quantum boni opportnna mors babeaf : qiiam niultis diutius vixisse nocueriî. Si Cn. Pompeium , dé- çus istius fiimanientumqne imperii, Neapoii valeludo al)stulisset, indiibitatus piipnM Rnniani princeps cxces- scrat. At nunc exigu", tempoi is adjeclio fasi'gio illuni suo depidit. Vidit legiones in ronspecln suo cresas ; et ex itto pralio , in quo prima actes senatus fuit , quani infelicos reliquiae sunt , imperatorcm ipsnm superfuisse ! vid t .lîsyptinm carnificem , et sacrosanctum vicloribus corpus «alelliti pra>stitlt, etiamsi incolumis fuissit pœnitenliam alulis acturus. Quid enimerat tnrpius, quara Pompciuni viveie beneOcio régis? M. Cicero si eo tcmporc , quo Calilina; sicas devitjivit, quibus pariter cum patria peli- lus est, concidisset , liberata republica conservator fjus , si donique lilia; suae funus secutus fuisset, etiam lune (élis mori potuit. Non vidissct .strictos in civilia capita nuicrones , nec divisa percussoribus occisorum bona, ut eliam de suo périrent , non h ist ;ra consularia spolia ven- dcntcni , nec ca>dfs , nec locat i publiée lalrocioia, l>ella, rapiuas, tantum Catdinaruni. Marcum Catonem si a Cypioet heredilatisregiaîdispensatione redeunlem mare dévorasse!. Tel cuni illa pecun'a, quara affercbat civili bello stipcndiiini , nonne illo l)ene actum foreIT hoc cerle secum tulisset, neminem ausurum cnram Catone poccare. Nunc anuonun adjectio paucissimnrura virnm lib'rtati non suae tantum scd publicie natum cofgit, Ca-- saiem fugere , Pompeium scqui. Niliil ergo mali immatura mors attnlit illi : omninin eliam nialorum rrniisit patientiam. « N mis tamen cito periit, et immalnriis. » Primum , putailium superfuisse : comprehende quantum plurimura prorcderc homini li- cet : quanlulum est ? Ad brevissimum lempus ciliii , cito cessmi loco, venienti in pactum hoc, prospiciraus Iios- pitium. De noslris aciatibiis loquor, quas incredibiii cçle^ CONSOLATION A 3IAUCIA. fil ditiuns. Je parle de la vie bumaine que nous voyons se dérouler avec une incroyable vitesse. Compte les siècles des cilcs ; tu verras qu'elles n'ont pas été bien longtemps debout, celles l'a même qui se gloriOent de leur antiquité. Toutes les cho- ses humaines sont éphémères, périssables, et ne tiennent aucune place dans l'inOni des temps. Cette terre, avec tous ses peuples , ses villes , ses fleu- res, sa ceinture de mers, n'est qu'un point pour nous, si nous la comparons a l'univers : notre vie est quelque chose de moins qu'un point , en re- gard de tous les temps. La mesure du temps est plus grande que celle du monde, puisqu'on peut compter tant de rcvolutious du monde accomplies dans le temps. Ainsi donc, "a quoi bon étendre une chose qui , dans son prolongement , quel ([u'il soit, n'est guère plus que rien? Le seul moyen d'avoir vécu beaucoup, c'est d'avoir assez vécu. Cite-moi , si lu veux, ces vieillards, dont la tra- dition nous raconte la longévité; mène-les jus<|u"à cent dix ans : quand ton ànie se reportera vers l'cternilé, tu ne verras plus de différence entre l'existence la plus longue et la plus courte, si, considérant tout le temps que chacun a vécu , tu le compares 'a tout le temps qu'il n'a pas vécu. Ensuite, ton (ils n'est pas mort avant le temps; il a vécu autant qu'il devait vivre. Il ne lui res- tait plus rien au-del'a. Les hommes n'ont pas tous la même vieillesse ; les animaux mêmes ne l'ont pas. Quelques-uns épuisent toute leur vie tluns l'espace de quatorze années : pour eux c'est l'àgc le plus long , quand c'est le premier âue pour l'homme. Tous nous avons reçu des droits iné- gaux à l'existence : on ne saurait mourir trop tôt, puisqu'on ne devait pas vivre plus longtemps que l'on n'a vécu. Chacun a sa borne (ixcc : et cette borne restera toujours où d'abord elle fut établie; il n'est pas de soins ni de faveurs qui puissent la reculer; et ton fils n'eût pas voulu perdre "a ce vain labeur et ses soins et ses calculs. Il a fait .^a tâche. « Il a touché la limite des Jours qui lui furent donnés. » Ainsi, loin do toi cette accablante pen- sée : « Il eût pu vivre plus lonj;tcmps! » Sa vie n'a pas été interrompue; jamais le hasard n'inlervient dans le cours de nos années : ce (jui fut promis à chacun lui est payé. Les deslins suivent leur pro- pre impulsion ; ils n'ajoutent rien , ils ne retran- chent rien "a leurs promesses : nos vœux , nos re- grets n'y font rien. Chacun aura tout ce qui lui fut assigné le premier jour : dès l'instant qu'il a vu pour la première fois la lunnère, il est entré dans le chemin du trépas , il s'est avancé d'un pas vers la moit; et ces mêmes années, dont s'uiui- chissaient sa jeunesse, appauvrissaient sa vie. L'erreur qui nous égare , c'est de penser ([ue nous ne penchons vers la tombe que vieux et cassés, quand tout d'abord renfance et la jeunesse, et tout àj;e nous y pousse. Les deslins, qui poursuivent leur tâche, nous oient le sentiment de notre des- truction; et, pour mieux dérober sa marche, la mort se cache sous le nom de la vie. Le premier âge devient l'enfance, l'enfance est absorbée par la puberté, la puberté par la jeunesse , la jeune.ssa par la vieillesse. Chaque progrès, h le bien proo- drc , est une décadence. rilale coaToIvi coDstat ; coinputa nrl)iuni secula ; vidcbis quam nnu diu steterint, edaru qux Tftustc gluriaalur. Omnia bumaaa brevia et caduc» stiot, iiifioUi temporii Dullain partem occupantia. Terrant liane cum populis , urbibustjue, et fluniinil)us, et aiiibilu maris, puiieti loco poaimus, ad uoi versa refcrcnte» : tiiinoreni [Kir- lionein atas nmtra quani puncii liabct, li t<'nip«ri coiii- paretur onioi; cujiis majiir est nicn!.ura quam niuuiii ; uipote quuni ille se inlra tiiijus spatiain loties renietlalur. Quid ergu iolcrest id eitcndcrc , cujus quaDiunicunquc fuerit increinentum , non niultuiii abrril a Qihilo? Uiio modo tnulluni eti quud TiTlmua, si u lis est. Licetrnilii TiTares et in nieinorlam Iradita.' scnectutis vjros iiiimines, centcDOs dcnosque perctusea; aiinos : quuni ;id onine tempus dimiseris aDimuin , iiulla erit iila bretisnimi loa- giuiniique a'vi dirferenlia, si, inspeclo quantoquis viic- ril spatio, comparaveris qiiaiilo non viieril. Deinde non iinniatunis deccsslt ; ïi\it enim quantum di'buit »i»cre. Kitiil cnini illi jam ultra snpercrat. IS(in ima bomiiiibiu tencctus est , ut ne aninialJbus quidoni ; iiilra quatuordeclm (iu,i'dam annos dcfaliRanlur ; cl ha-c ill:8 longiuima eetas est , qua; honiini prima ; dispar cui- que Vivendi farultat data csl ; nrpmo nimis cito moritur , qui virturus diulius quam viiit, non fuit. Fixus est cui- ({ue tenniiuis ; m.incbit scmper ubi posi.us csl; oc* illum ulteriu.sdillgentia aut gnilia proiiKivrbit : scil li- l>cnicr ullum ulterius diligcaiiam ci roiisilio perdiilissa. Tulit suum , Metas(4ue dati pervenit ad xvt. Jion est ilaque quod sic te oneres : Poluit diutius viverc. ISon est iiiteinipla ejiis vila, nec unquiin se aniiis C'sui intcrjccit ; solvitur (|Uod cuique proniissuni est : cuul fi sua fala, nec adjiciunt quiilquaiii, nec ex pninis&o semeldcmunt : frustra vola ac sludia sui)l.ilabel)il quis- (pie,quauluni illi dies priniiis adscripsil ; ci illn, quo prinnim lucera vidit, iter niortis iiigressiis csl , aicessit- quc fato propior : et illi ipsi, qui adjicii'bantur adoUs- cenlia' anni , vlla* dHrahel)anlur. In hoc oniiirs errora versanmr, ul non pulemu> ad mm 1cm, nisi seiics iiicli- natiisquc jnni vcrKcre : qunm illo infaulia slatim, et ju- Tenta, onmisqiic a'ias ferai. Aclura <)i)us smini fjla nobif sensuni iioslne uccis aufcnint : quuquc facilius uliiepat MKirs, sub ipso vila- noniine lalel. Infanleni in se pue- ritia convertit, pueriliani puberlas, pulicrlalcni juveo- lus, juvenlulcm .mmiccIus abslidil. rncicnieuta ipu si lirne compules , l'.anuia sniil. 120 sëneque. XXI. Tu te plains, Mania, qiio Ion fils n'ait pas vécu aussi longtemps qu'il l'aurait pu. Mais d'où sais- tu qu'il lui fût profitable de vivre plus longtemps? ou que la mort n'ait pas été bien prévoyante pour lui? Qui pourras-tu trouver au- jourd'hui dont les affaires soient établies sur une si forte base , qu'il n'ait rien 'a craindre de la marche du temps? Les choses humaines tombent et s'écoulent ; et aucun côté de notre vie n'est si h découvert, si fragile , que celui qui nous plaît davantage. C'estdoncaux plus henreuxà souhaiter la mort; car, dans la vicissitude et la confusion des choses, rien n'est certain que ce qui est passé. Qui t'assurait que ce beau corps de ton CIs, qui, sous la tutelle d'une sévère pudeur, s'est conservé pur au milieu des regards lubriques d'une ville débordée , aurait échappé aux maladies, et porté , .■ans outrage , jusqu'à la vieillesse, l'honneur de sa beauté? XXII. Songe aux mille souillures de l'âme; car les esprits les mieux faits ne se sont pas conservés jusqu"a la vieillesse comme le promettait leur adolescence : souvent ils se sont dépravés. Ou bien c'est une luxure tardive, et d'autant plus honteuse, qui les gagne et les force "a déshonorer de nobles débuts; ou bien, voués jeunes encore à la taverne et 'a leur ventre, leur plus grande inquié- tude est de savoir ce qu'ils vont manger et ce qu'ils vont boire. Ajoute les incendies, les ruines, les naufrages; le for sanglant du médecin, qui va chercher des os sous des chairs vivantes, qui plonge ses mains tout entières dans nos entrailles, et multiplie les douleurs pour guérir de honteuses maladies. Vient ensuite l'exil ; ton fils ne fut pas plus innocent que Rutilius: la prison ; il ne fat pas plus sage que Socrate : la mort volontaire qui déchire la poitrine; il ne fut pas plus vertueux que Caton. En présence de ces grands enseigne- ments, tu conviendras que la nature s'est montrée généreuse de mettre promptenient en lieu sur ceux "a qui la vie réservait un pareil salaire. Rien n'est si trompeur que la vie humaine, rien n'est si perfide. Personne assurément ne l'acceplerail ; mais on nous la donne "a notre insu. Si donc le plus grand bonheur est do ne pas naître, estime comme le second d'être bientôt affranchi de la vie , pour rentrer dans la plénitude de son être. Kappelle-toi les temps cruels où Séjan livra ton père, comme une largesse, à son client Satrius Se- cundus. Il était irrité d'un ou deux mots hardis que Créniutius n'avait pu contenir dans le secret de son âme, comme celui-ci : «on ne place pas Séjao sur nos lêles, il y monte.» On avait décrété d'éle- ver à Séjan une statue dans le théâtre de Pompée, dont César ' réparait l'incendie. Cordus s'écria : ;ndj curantium. Post lise cssiliura : non fuit innoccn- tior filins tnus, quam Ruiilius. Carcerem : non fuit sapientior, quam Socrates. VoluntarioTulnerc transfiinm pcctus : non fuit sanclior quam Cato. Quum isla por- speseris, scies oplinie cum liis agi, quos natura, quia itlas hoc nianebat vilœ stipendium, cito in tulum rece- pit. rsihit est tam fallax, quam vila bumana ; nihil tam insidiosum; non mehercule quisquam accepisset, nisi da- retur insciis ; itaque si fclicissimum est , non nasci , proiimum pula , brevilale vita; dofunctos, cito in inte- pruni restitui. Propone illud acerbissimum til)i tcmpus , quo Sejanns palrem tuum rlienli sno Satrio Secundo congiariuni dédit. Irascel)atur illi ob untnu aut allernm Iil)erius dictuni , qiiod tacitns ferre non poluerat, Seja- num in cervices nostras nec imponi quideni, sed ascen- dero. Decernebatur illi statua in Pompeii théâtre po- nenda , quod exuslum Cajsiir reficiebat. Exclamavit Cor- dus : « Tune vere theatrum perire. » Quis ergo non rumpcretur, supra cineres Cn. Pompeii conslitui Seja ■ nom , et in nionunientis maiimi impera'oris consecrari pcrfiduiu raililem ? consecratur subscriptione : et accr- rimi caues, quos illc, ut sibi uni mansueîos, omnibus feros haberet , sanguine huraanopascebat , circumlatrare Iwminem, etillnm imiieratuni. incipiunt. Quid facerct? CONSOLATION A MARCIA. 121 plier Séjan; mourir, il fallait supplier sa flllc. Tous deux sont inflexibles : il a choisi de tromper s;i fille. Ayant donc pris un bain pour s'affaiblir davantage, il se relira dans sa chambre comme pour faire une collation , et, renvoyant ses escla- ves , il jeta par la fenêtre une partie des mets , pour faire croire qu'il avait mangé. Ensuite il s'abstint de souper, comme si déj'a il eût assez mange dans sa chambre. Le second et le troisième jour il en lit autant : le quatrième, la faiblesse de son corps le t/aliii^sait. Alors l'embrassant : « Ma chère flile , dit-il, apprends la seule chose que Je t'aie jamais cachée; je suis entre dans le chemin de la mort, et déjà le passage est 'a demi franchi. Ne me retiens pas; tu ne le dois ni ne le peux. > Puis il ordonne qu'on ferme tout accès 'a la lu- mière, et s'ensevelit dans les ténèbres. Sa résolu- tion connue, ce fut une joie publique de voir ar- racher cette proie 'a la gorge altérée de ces loups avides. Des accusateurs . excités par Séjan, se présentent au tribunal des consuls. Ils se plaignent <|ue Cordus se laisse mourir, l'accusant d'un acte auquel ils le contraignent; tant ils craignaient queCordusnelcur échappât! C'était une grande af- faire, de savoir si la mort de l'accusé les privait de leursdroils. Pendant qu'on délibérait, pcndantque les accusateurs reviennent à la charge, il s'était mis lui-même hors de cause. Vois-tu , Marcia , combien de vicissitudes fondent à l'improvisle sur nous dans ces temps d'ini(|uité? Tu pleures la mort d'un (ils qui fut une nécessité truelle; et celle de ton père fut un droit disputé! XXIII. Outre que tout avenir est incertain , ou n'offre de certain que des maux plus grands , la route vers les régions supérieures est bien plus fa- cile aux âmes retirées de bonne heure du com- merce des humains; car elles traînent après elles moins de fange , moins de fardeaux : affranchies avant d'être souillées , avant de se mêler trop in- timement aux choses terrestres, elles remontent plus légères vers les lieux de leur origine, et se dégagent plus vite de leur élément impur et gros- sier. Aussi, jamais un long séjour dans le corps n'est-il cher aux grandes âmes ; elles brûlent de sortir, de se faire jour; elles souffrent avec peine cette étroite prison , accoutumées qu'elles sont à s'égarer dans de sublimes essors, et 'a regarder d'en haut les choses humaines. Voil'a pourquoi Platon s'écrie que l'âme du sage se porte tout en- tière vers la mort , que c'est l'a ce qu'elle veut , Ta ce qu'elle songe, l'a ce qui l'entraîne dans sa passion constante de s'élancer au dehors. Et toi , Marcia , lorsque tu voyais dans un jeune homme la pru- dence d'un vieillard, une âme victorieuse de tou- tes les voluptés , purifiée et affranchie du vice , cherchant les richesses sans avarice , les honneurs sans ambition, les plaisirs sans mollesse, pensais- tu qu'il pouvait longtemps se conserver? Tout ce qui atteint le sommet, est près de la chute. Une vertu achevée s'efface et se dérobe aux yeux ; et le fruit qui mûrit de bonne heure n'attend pas l'arricre-saison. Plus un feu a d'éclat, plus vile il .s'éteint; il est plus durable lorsque, luttant coiilre des matières dures et lentes "a s'enflammer, sa lueur, d'abord éclipsée par la fumée, sort comme d'un nuage : car la même cause qui nour- ti TiTcre Tellet, Sejaous rogandiu eral; si mori, filia ; uterque ineiorahilis : constituit niiaui ratière. Usus iki- qoe halneo, et qiio plus viriiini ponerft, in ciibiculiini (c quasi giislalurus contulit ; et dimlssis pucris , qusdaiii pcr fenestrani, ut vidcretiir edissc, projccil : a crnn deinde, quasi j»ni sris rondidlt. Cngnilo consilio ejus , publica ?oluplas eral , qiiod c faucibus avi- dissimorum luporum eJuccrelcir prada. Accusatorcs , .Sejano auctore , adeunt consulum tnbunalia : querunlur mori Cordum , interpellantes quod coegcrant ; adeo illis Cordus videt>atur cffugcre. Magna res crat in qua'stione, an morte rei proliiberentur; dura dcliberatnr , dum ac- cusalnres iterum adeunt , ille se absoWerat. Videsne , Marcia, quanls iniquorum temporum vices ei inopi- nato ingniant ? fles quod alicui luorum raori necctse fuit? pa'ne non licnit. XXIII. Prêter hoc, quod omne futumm incertum est, cl ad détériora certius , facilius ad snperos itcr est animis cito ab huniana conversatinnc dinii^sis; minus enini fascis ponderisque traxcrunt : antequani obducerent, et allius Icrrena concipercnt, lil)crali , IcTioros ad origiiicm suara revolant, et facilius, (|uidi|uid est illud obsoleti illitique, eluunt. Nec unquam niiignis ingcniis cara in corpore niora est ; eiire alque eniniporc gesliunt, a'gre bas an- guslias ferunt , vagi pcr omne sublime , et ex alto assucli bumana despicere. Inde est quod Plalo clamât : Sa- pientis animum toluin in morlcni proniinerc, boc velle, hoc meditari , bac seinper ciipidine fcrri in citcriora lindenicm. Çui tu, Marcia, quum xidcros senilem in juvcne prudcnliam , Ticloreni omnium voluptatiim ani- mum, emendatnm , carentcm vilio, divitias sine ayari- lia , honores sine ambitione, voluptates sine luxuria ap- [leleotem , diu tibi pulabas illum sospitem posse conlin- gere ? Quidqnid ad summum pervenit , ad eiilum prope est. Eripit se aufertquc ci oculis perfecta virlus : nec ultimuni lempus exspectant, qua;in primo maturuerunt. Ignis quo clarior fulsit, cilius cxstinguitur : vivacior est, qui cum Icnla difllcillque matcria comniissus , fumoque demersus , ex «ordido lucct ; eadeni enim dclinet causa , qusB maligne alit; sic ingénia quo illustriora , co bre- 122 SÉNÈQUE. rit pauvrement la flamme, la fait vivre longtemps. De même , les génies qui brillent le plus , passent le plus vite. Car dès que la place manque au pro- grès , on touche h la décadence. Fabianus rap- porte un phénomène dont furent témoins nos pères : c'était un enfant de Rome qui avait at- teint la stature d'un homme do haute taille; mais il vécut peu de temps ; et il n'y avait personne de sage qui ne lui eût prédit une mort prochaine; cUr il ne pouvait parvenir à un âge qu'il avait an- ticipé. .\insi la maturité est l'indice d'une prompte décom|iosition ; et la lin approche, quand tous les développements sont accomplis. XXIV. Estime désormais ton Ois par ses vertus et non par ses années ; et il aura bien assez vécu. Kesté orphelin, il demeura sous la surveillance de ses tuteurs jusqu'à sa quatorzième année, sous la tutelle de sa mère, toute sa vie : quoiqu'il eût ses pénates , il ne voulut pas quitter les tiens. Jeune homme que sa taille, sa beauté, et tous les autres avantages d'un corps robuste semblaient destiuer aux camps , il renonça aux armes pour ne pa^s s'éloigner de toi. Calcule, Marcia , com- bien il est rare pour les mères de voir leurs en- fants, lorsqu'elles vivent dans des maisons sépa- rées; calcule combien d'années s'échappent, et sont passées dans l'anxiété , lorsqu'elles ont leurs fils dans les armées; tu verras quel espace occupe le temps, dont tu n'as rien perdu. Jamais ton fils ne s'est éloigné de tes regards ; c'est sous tes yeux que se forma aux études cet esprit supérieur qui eût égalé son aïeul, s'il n'eût été retenu par la modestie qui a si souvent enseveli dans le silence les progrès du gdnie. Jeune, d'une beauté peu commune, jeté au milieu de toutes ces femmes qui s'étudient "a corrompre les hommes, il ne 5e prêta aux espérances d'aucune : et hirsque l'im- pudeur de quelques-unes alla jusqu"a le provo- quer, il rougit d'avoir plu, comme s'il eût péché. Cette pureté de mœurs lui valut d'être, "a peine sorti de l'enfance, jugé digne du sacerdoce: le suf- frage maternel l'appuyait sans doute ; mais sa mère elle-même ne pouvait réussir que pour un candidat méritant. Dans la contemplation de ses vertus, rappelle à toi ton fils, comme si maintenant il t'apparte- nait davantage. Maintenant rien ne peut le dé- tourner de toi ; jamais il ne te sera une cause d'in- quiétude, jamais de chagrin. Tu as pleure toutes les larmes que tu devais a un si digne fils : l'ave- nir, à l'abii des hasards, est désormais plein de charmes, pourvu que tu saches jouir de ton fils, pouivu que tu comprennes ce qu'il y avait en lui de plus précieux. Tu n"as perdu que l'image de ton fils, et encore d'une ressemblance bien impar- faite. Mais lui , désormais éternel , en possession d'un état meilleur, débarrassé de liens étrangers, il est tout à lui-môme. Ces os, que lu vois entou- rés de muscles, cette peau qui les recouvre, ce visage, ces mains, ministres du corps, et toute cette enveloppe extérieure, ne sont pour l'âme qu'entraves et ténèbres. Elle en est accablée, ob- scurcie, souillée : voil'a ce qui l'entraîne loin du vrai, loin d'elle-même, pour la plonger dans le faux : toutes ces luttes sont contre cette chair qui lui pèse, qui voudrait l'enchaîner et l'abattre: < elle aspire aux régions d'où elle est sortie; c'est là que l'attend le repos éternel, c'est la qu'après viora suiit. ÎSom ubi incremenlo locus non est, vicimis occasus esl. Fal)ianus ait, quod iiostri quo(iiie parentes videré , puerurii Roiiia; fuisse , statura ingenlis viri : srd hic cito decessit; et moritiiruin l)revi nciiio non prudens di\it; noupoleratenimad illaniietatempervcnire, quain praîcepeiat. Ita est indicium ininiiucntis cxilii niaturilas , et appétit finis, iilii ineremeiita consuinta suut. XXIV. Incipe virimibus illuni, non annis aslimare : salis dia vixit ; pupillus ielictu.s, su!) tuloruni cura usque ad dccimuni qiiarlum annuni fuit , sul)uiatristutela scni- per ; quuni haberet suos pénates , relinquere tuos notuit. Adolescens slalura, pulcliriludine, cetero corpciris ro- Imrccastrisnalus, niilitiani rccnsavlt, ne a le discederet. Conipula, M rcia, quani raro liberus vidcanl, qux" in divcrsis domibus babilaut ; cogita , tôt illos perire annos matribus , et pcr sollicitudinem esigi , i]uil)us filios in exer- citu habent : scies ninltum patuisse lioc tenipus , ex quo nibit perdidislj. Niinquam a conspeetu tuo r<'ccssit; sub oculis tuis studia forniavit , escellentis iuRcuil , et a.'(|na- luri aîum, nisi obslitisset verccuudia, quœ niultoruin profec;us silentio pressit. Adolescens rarissinia; lornia", lauiniiiiagna mulierum tiuba >iroscornm)penliuni,nul- tius spei se praebuit , et quum quarumdain usque ad ten- tauduni pervenisset improbitas, erubuit , quasi pcccasset , (|uod placuerat. Hac sanctitate niorum elfecit , ut puer adnioduni dignus sacerdotio viderctur, materna sine du- l)io suffragiitione : sed ne mater quidera nisi pro bono eandiJato valuisset. Ilarum in contemplatione virtutum filiuni gère, tauquamsi nuiic ille tibi magis vacc!. !Nuiic nibil babet quo a?ocetur ; nunquam tibi sollicitudini , nnuquam moerori erit. Quod ununi ex tam bono filio po- teras dolere, doluisti : cetera excrata casibus, plena vo- luptatis sunt, si modo uti filio scis, si modo quid in illo pretiosissimum fuerit , ioti-lligis. Imago dumtaxat filli tui periit , et effigies non simillima : ipse quidem aeternus , meliorlsque unnc status est , despoliatus oueribus alienis, cl silii relictus. Ha'c quœxides ossa circunivoluta nervis, et obductam cutem, vuliumque et miaisiras nianus, et cetera quibus involuli sumus , vincult animorum tene- bi œque sunt. Obruitur bis .■ nimus . ofTuscalur, inlicitur, arcetur a veris et suis, in falsa conjccUis : omne illi cum hac carne gravi cerlamen est , ne alistrahatur et sidat : nitiluriilo, unde dimissus est; ilii illum celerna reqaie< manet, e confusis erassisque pura et li(]uida Tisentera. CONSOLATION A MARCLV. 1-2 m avoir triomphé du chaos et de la nuit , elle ira .contempler les célestes clarlcs. XXV. Ainsi donc , il ne s'agit pas de courir au tombeau de ton (ils. Là , tu ne liouvcras qu'une dépouille grossière et gênante, qui ne faisait pas plus partie delui que sa toge ou tout autre vêle- ment du corps. Sans rien perdre, sans rien laisser de lui sur la terre , il a pris son vol, il s'est dé- robé tout entier; et, après avoir quelque temps séjourné sur nos têtes, pour se purilier, pour se laver de la souillure des vices inhérents à toute vie mortelle, il s'est élancé au plus liaut des cieux, ou il plane au milieu des âmes heureuses, admis dans la troupe sacrée des Scipion et des Caton, héros dédaigneux de la vie, et arfranchis parle bienfait de la mort. L'a , ton père , Marcia , quoi- que chacun y soit le parent de tous, se consacre "a son pctit-lils, tout ravi de ces clartés nouvelles: il lui enseigne la marche des astres qui l'entourent, et se plaît à l'initier aux mystères de la nature , non d'après des conjectures, mais d'après une science de toutes choses, puisc'c aux sources du vrai. Et de même que c'est un charme pour l'c'- tranger, de parcourir avec son hôte les merveilles d'une ville inconnue , c'en est un pour ton lils d'in- terroger sur les causes célestes un interprète de famille. Il aime 'a plonger sa \»c dans les profon- deurs de la terre; il se plaît à regarder d'en haut les choses qu'il a (|uittécs. Ainsi donc, Marcia, conduis- toi comme devant un père et devant un tils qui te contemplent; non pas ceux que tu connais- sais, mais des êtres plus parfaits, habitants de su- blimes demeures : rougis de toute pensée basse et vulgaire, rougis de pleurer les tiens dans leur bienheureuse métamorphose. Lancés dans l'éter- nilédes choses, 'a travers les libres domaines de l'espace , ils ne sont arrêtés ni par les barrières des flots, ni par les hauteurs des montagnes, ni par les profondeurs des vallées, ni parles mobiles écueils des Syrtcs : partout les voies leur sont aplanies; dans leur facile et rapide essor, leurs âmes se traversent l'une l'autre , et vont s'entre- mêler aux astres. XXVI. Figure-toi donc, ô Marcia! entendre tomber de cette voûte céleste la voix de ton père, qui eut sur toi toute l'autorité que tu avais sur ton lils ; ce n'est plus ce triste génie qui déplo- rait les guerres civiles, et condamnait lui-même ses proscripteurs 'a une éternelle proscription ; son langage est d'autant pins sublime qu'il parle de plus haut : « Pourquoi, ma lille, l'enchaîner "a de si longs ennuis? Pourquoi, si obstinément , fer- mer tes yeux a la vérité, et croire ton lils injus- tement traité, parce que, s'étant pris de dégoût pour la vie, de lui-même il s'est retiré vers ses ancêtres. Ignores-tu par quels orages la fortune bouleverse toutes choses"? Qu'elle ne se montre pour personne bienveillante et facile , si ce n'est paurceux qui avaient le moins d'engagements avec elle. Te citerai-je les rois qui eussent élé les plus heureux de la terre, si la mort était venue plus lot les soustraire aux malheurs qui les menaçaient? Ei ces généraux romains à la grandeur des(|iiels rien n'eût manqué, si tu retraiiclics (|ucl(|»cs années 'a leur vie; et ces nobles, ces illu>lres héros dosliiiés à courber la têle sous le glaive d'un vil soldat? Regarde ton père et ton aïeul. Cclui-cifut livré'a la merci d'une main étrangère. X\\. Proinde non est, quod ad seputctirum Glii tui furras; pessima eju» et ipsi iiiolcslissima islic jacent ossa cineresque ; dod niigis illius parles quam vcslcs aliaque tegaineota corporuni. Iiitrger illc niliilquc in terris re- linqucas fugit, et tutus rxces&it : pau!uiiiquc supra ikis coniniaralus,dum c piirgalur. ctinliaErculia vilia siluiii- qu<; omnis morlalis a?u exiii:it; dcindc ad oxcclsa sut>- latas intrr felicesrurrit animas, excipili|iie illiitn ctrlus sacer, Scipionrs. Catonesqiie, utiqiieconIcnitTcs >ita;, et mortis l>eneficio libori. P.nrcns luus , Marcia , illic ne- polein siiiim , quaiiiq'iani illic omnibus umnc coijuaium est, applicat silii , nova hicc fcc quidquam bumile aulTulgare, et mulatos in meliiu tuo» Uere. Id «cleroa rerum por vasta et 'jhera spatia dimissds, non illos intcrfusa maria discludunt , npc altiludo nionlium, aut iniie valli's, aiit inccrta vada Syr- tium; Iramilcs omnia plani , et c\ lacili mobiles, et ex- peilili, elinTicem pervii snnt, iiilorniixliquesidcriliMs. XXVI. Puta iliique i-v illii arec co"!csti pilrcni tunm , Marci^i , cui tautum apiid te aneiorit^ilis rr.it, qu muni tibi apud Hlium luuni; nun illo in(>('niii, <|Uo citilia bclia di'llevit, (|U(> proscribiMitcs in .Tli'rnuni ipso piusciipsit, sed lanto elatiore , i;uaiiIo es; ipsc sulilimiur, dicerc : cur le, filia. lani longa iiuet a'griiuilo ? Cur in tanta v. ri ignoranlia versaris, ut inique artunijudicescum lilii) tuo, quod in tardiiini versus vila-, ipse ad majores .se reccpit tuos? Ne-eis quanlis fortnuii procellis di>turbi't omnia? quam nuUis bonignani facilcnique se pra'slilerit, ni>i qui minimum cnm illa eonlraxeranl? Rofjesno lilii nomiurni felicissimos fntiiros, si matnrius illos mors instauliluis subiraxissct malis?An ronianos duces, quoi uni iiiliil maRniludini décrit, si ali (tiid U'Iali dcliascris? au uobi- lissimos virosclarissimoM|ucadictum niililarisf;la(iii coni- posilaccrvice formaiO'^ ' llespitcpalnii! atquc avuni luuni. nie in alieni percussoris vcnit arliilrium. K);o nihil iu nv) cuiquam permisi , et cibo prohibilu» , ostcndi quam «24 SÉNÈQUE. Moi jo n'ai donné sur ma vie aucun droit à per- sonne, et, m'abstenant de toute nourriture, j'ai montré combien j'étais fier du courage qui dicta mes écrits. Pourquoi, dans noire famille, plcure- t-on le plus longtemps celui qui meurt le plus heureux? Ici nous ne formons qu'une seule âme; et, loin des épaisses ténèbres qui nous environ- nent, nous voyons que rien cbez vous n'est, comme vous le pensez, désirable, rien n'est grand, rien n'est splcndide ; mais tout y est bassesse , misère, anxiété ; et vos yeux ne reçoivent qu'un faible rayon de notre lumière. Faut-il ajouter qu'ici nous n'avons pas d'armées qui s'cnire-choquent avec de mutuelles fureurs, de flottes qui viennentse bri- ser contre des flottes; qu'ici Ton ne trame pas, l'on ne rêve pas 'e parricide; que des forums ne re- tentissent pas des procès pendant des jours sans fin : ici rien n'est cacbé, toutes lésâmes sont ou- vertes , tous les cœurs sont "a nu ; on vit en public et devant tous; on voit et l'avenir et le passé des âges. Je me faisais gloire de retracer les faits d'un seul siècle, accomplis par une poignée d'hommes dans un coin retiré du monde; maintenant il m'est donné de contempler tous les siècles, la suite et l'enchaînement de tous les âges, et toute la somme des années; il m'est donné de prévoir la naissance, la ruine des empires, la chute des grandes cités, et les nouvelles incursions de la mer. Car si tu peux trouvera tes regrets une con- solation dans la commune destinée, sache que rien ne restera debout à sa place. Le temps doit tout abattre , (oui emporter avec lui ; et non-seu- lement il sejouera des hommes, misérables atomes dans le domaine du hasard, mais il sejouera et des lieux, et des contrées, et des parties du monde; il effacera les montagnes ; ailleurs il fera jaillir en haut des roches nouvelles; il absorbera les mers, il détournera les fleuves; et, rompant le commerce des nations , il dispersera les sociétés et la grande famille du genre humain. Ailleurs, il engloutira les villes dans des gouffres béanis il les renversera par des ébranlemenis; et, du sein de la terre, il vomira des vapeurs empoisonnées, et couvrira, par l'inondation , toute la terre habitable ; dans le monde submergé périra tout être vivant, et, dans un vaste incendie, toutes les choses mortelles brû- leront dévorées. Et quand les temps seront venus, où le monde s'éteindra pour renaître , toute force se brisera par sa propre impulsion; les astres vien- dront heurter les astres; toute matière s'enflam- mera, et tout ce qui maintenant brille dans une si belle harmonie, se consumera dans un même brasier. Pour nous, âmes bienheureuses , en pos- session de l'éternité, quand Dieu trouvera bon d'accomplir ces nouvelles révolutions, au milieu de l'universel ébranlement, nous-mêmes, débris chétifs de cette grande ruine, nous irons nous confondre dans les antiques éléments. Heureux ton ûls, ô Marcia! qui déjà connaît ces mys- tères ! magno me jiivat animo scripsisse ! Cur in domo nostra diutissime lugetur, qui felicissiiiie iiioritur? Coiiuus in unum omnes, vidcmiisquenon alla nocte circumda'.i, nil apud vos, nt pufatis, oplabile, nil escclsum, n:l splen- diduni; sed Iiuniilia cuucta, et gravia, et anxia, et quo- tam parlem luniinis noslri ccj-nenlia? Quid dicani , nulla liic arma muluisfiirere concursihus, nec classes classibus frangi, nec parricidia mit (ingi, aut cogilari , nec fora li- tibiis strepere dies perpetuos : uiliil in obscuro, détectas mentes, et aperla praïcordia, et in publico medioque Tilam, et omnis œvi prospeclum, cventumque? Juval)at iinius seculi me (acla compunerc, in parte ultinia mundi, et inler paucissimos gesla : tôt secula , tôt aelatum cim- testum et seriem, qnidi|uid aunorum est, licel visere; licet surrcctura , licel ruilura régna prospicere, et mag- narum urbium lapsus, et maris novos cursus. ÎSam si potcsttibi solatio esse desideril tui commune falum, nihil quo stat loco stabit; omnia sternet , abducetque secum ve- tuslas : nec hominibus solum ( quota enim isia forlnils potentia! portio est , ) sed locls , sed regionibus , sed mundi partibus ludet; lot supprime! montes ; et alibi ru- pes in altum novas exprimct ; maria sorbebit, flumina avertet ; et coramcrcio gentiujn ruplo, socielatem generis fanmani cœtiisque dissolvet. Alibi biatibus va-iitis subdu- cet urbcs, tremoribus qnatiet , et ex inDmo pestilentias balitus mittet, et inundationibus, quidquid babitatur, obducet : necabilqne omoe anima) orbe submcrso, cl ig- nibus vastis torrcbil incendelquemorlalia. Et qnum tem- pus advenerit, quo se mundus renovaturus exslingnal; viribus isla se suis cœdent, et sidéra sideribns incurrent, et omni flagrante malaria, uno igné, quidquid nunc ei disposito lucet, ardebit. Nos quoque felices animae, et a-lerna sorlilœ, qnum Deo visum erit ilerum ista moliri, labentibus cunctis, et ips» parva mina; ingentisaccessio, in antiqua elenienla vertemur. Fclicem fîlium tuuni, Marcia, qui isla jam novil. • «OSCO«t5SSSSSSSSSSSSS8SSSO DE LA PROVIDENCE POURQUOI, S'IL Y A U>E PROVIDENCE, LES HOMMES DE BIEN SONT ILS SUJETS AU MAL. I. Tu me demandes, Lucilius, comment il $c fait, si le monde est gouverné par une Providence, que tant de maux arrivent aux humilies de bien. J'aurais plus d'avantage "a rciKindre dans le corps d'uu ouvrage, où je prouverais que la Providence préside à toutes choses , et que Dieu est au milieu de nous; mais pui$(|uc tu veux que Je détache une portion du tout, et que je discute cet incident, la question principale restant toujours entière , je le ferai, et sans dirCculté , car je plaide la cause des dieux. Il est inutile, pour le moment, de dé- montrer que cette machine immense ne se main- tiendrait point sans quelque soutien ; que cetle course réglée des astres ne vient pas d'une impul- sion fortuite; que les choses poussées par le ha- sard se dérangent souvent et se heurtent bientôt ; que c'est sous l'empire d'une loi éternelle que s'accomplissent sans accidents ces mouvements rapides qui entraînent toute limmensitc des ter- res et des mers, et tous ces brillants flambeaux dont la symétrie nous éclaire ; que cet ordre n'appartient pas a la matière errante ; que des ag- grégations fortuites ne peuvent conserver ce jur- fait équilibre qui fait demeurer immobile la pe- sante masse de la terre , pendant qu'elle voit les cieux fuir rapidement autour d'elle ; qui fait cpandre la mer dans les vallées pour ramollir les terres, sans qu'elle-même se sente grossie par les fleuves; qui fait des plus petites semen- ces nailre les plus grands végétaux : même les phénomènes qui semblent irréguliers et désor- donnés, je veux dire les pluies et les neiges, les traits éclatants de la foudre , les feux lancés du sommet entr'ouvert des montagnes, les tremble- ments de la terre ébranlée ; enûn , tous les autres mouvements que la partie orageuse de la nature DE PROVIDENTFA, SITK QVIII BOKI9 Tins MIU iCaOA^T QU CH SIT PBOVIDIMTIÀ. I. Qaxsisti a me, Lucili , quid ita , si provideutia roun- dus ageretur, mulla bouU Tiri» acciderent mala ? Hoc commodiiis incontextu operis redderetur, quiim pra;es.se universis proTidenliam prol>aremus, et iiitcresse nobis Deuin : seu qnoQiam a tolo particulam revelli placct, et QDam coiitradiclioDein , roanenle lllc intégra , solvere j faciam reni non difflcilem, causam deoruin agam. Su- peivacuum est in prssentia ostenderc , non sine aliquo autculetaulumnpusstare, nec huncsideruni ccrtuiu dis- ciirsum fortuit! impetus esse , et quae casus incitât, ssepe lurbari et cito arictare : hanc in ofTen^am Telocilalem procedere a>tcrna; legis iniperio, tantum reruni terra manque geslantem , tanlum clarissimorum Inminum et ex dispositionclucentium : none.ssematcrixerrantisliuDC ordincm , ncque quae teniere coierunl, tanla arle pendere , ut terraruiii gravissimum pondus scdeat ininiotum , et circa se properautis cœli fugam spectet; ut in fusa valli- bus maria molliaot terras , nec ullum incrementuni Qu- niinum senliant; ut ex ininimis seminibus nascunlur in- gcntia. Ne illa quideni qux vidcnlur confusa et iucerla , pluviasdico nubesque, et clisorum fuliuinum Jactus, et incendia ruptis montium verticibus cffusi , Ireinores la- bunlis soi! , et alia qua* tuniultuosa pars i eruni circa ter- ras motet, sincratione, quamvis subita sint, accidunt; i9M soulève autour de nous , si soudains qu'ils soient , n'arrivent pas sans raison : ils ont leurs causes non moins que ces productions que l'on regarde comme miraculeuses parce qu'elles ne sont pas à leurplace, telles que les eaux chaudes au milieu des flots , les îles nouvelles qui jaillissent et s'étendent à la surface de la mer. Quoi doue ! celui qui verra l'Océan mettre à nu ses rivages en se retirant sur lui-même , et les recouvrir ensuite dans un court espace de temps , croira-t-il que c'est par quehjue révolution aveugle que les ondes tantôt se resser- rent et se replient , tantôt se développent et SÉNÈQUE. contraire, se reposer dans les délices, se baigner dans les voluptés, songe que nous aimons la mo- destie chez nos enfants , l'effronterie chez ceux des esclaves ; les premiers sont maintenus par une austère discipline , les seconds sont élevés à l'impudence, il est évident que Dieu fait de même : il ne nourrit pas l'homme de bien dans les délices; il l'éprouve, il l'endurcit, il se le prépare. 11. « Pourquoi donc tant de malheurs survien- nent-ils aux gens de bien? » Rien de mal ne peut arriver 'a l'homme de bien. Les contraires ne se se précipitent pour regagner leur place? tandis confondent point. De même que tous ces fleuves, qu'elles ne croissent que par degrés , soumises a des périodes d'heure et de jour, plus hautes ou plus basses , selon que les attire l'astre lunaire qui règle à son gré leurs inondations. Ces considérations trouveront ailleurs leur pla- ce; d'autant mieux que tu ne doutes pas de la Providence , mais tu l'accuses. Je veux le récon- cilier avec les dieux , toujours excellents pour les âmes excellentes. Car la nature ne comporte pas que le bien nuise aux bons. Il y a entre les hom- mes de bien et Dieu une amitié dont le lien est la vertu. Que dis-je , une amitié? C'est plutôt une parenté, une ressemblance : car l'homme de bien ne diffère de Dieu que par la durée ; il est son dis- ciple , son émule, son véritable enfant. Mais cet auguste père l'élève durement 'et, comme les pa- rents sévères , lui demande un compte rigoureux des vertus (|u'il lui a confiées. Lors donc que tu verras les hommes de bien , les favoris de la divinité , travailler, suor, gravir les routes escarpées de la vie; et les méchants, au toutes ces pluies qu'épanchent les cieux , toutes CCS sources d'eaux médicinales, ne changent pas la saveur de la mer, ne l'affaiblissent même pas ; de raêrae, le choc de l'adversité n'altère pas l'âme des hommes foris. Elle reste ce qu'elle était , et donne "a chaque événement sa propre couleur. Car elle est plus puissante que tout ce qui est hors d'elle. Je ne veux pas dire qu'elle y soit insensi- ble ; mais elle en triomphe, et, toujours calme et paisible, elle s'élève au-dessus des atteintes. Elle considère l'adversité comme un exercice. Qui de nous, pourvu qu'il soit homme, et d'uu cœur élevé et généreux, n'aspire a un travail honora- ble, et ne s'élance au devoir "a travers les périls? Pour quelle âme active l'oisiveté n'est-elle pas un supplice? Nous voyons les aiblèles qui veulent en- tretenir leurs forces , se choisir les adversaires les plus robustes, et exiger de ceux qui les préparent au combat qu'ils usent de toute leur vigueur : ils se laissent frapper, maltraiter, et s'ils ne trou- vent personnne qui les égale, ils en provoquent sed suas et illa causas habcnt non minus ,quam qnae alie- nis locis conspecla miraciila sunt, ul in niediis lliielilins calentes aquac , et niiTa insul.;runi in çaslo cssilienlium mari spalia. Jam vero si qnis olisorvavcrit nudaii litora peliigo in se recidente, eademi|nc' in ra exiguum leinpus operiri , crcdet ca-ca quadam voluîaliane niodu conlrahi UDilas, et inlror.s»m agi, modo crunipere, et magno cursu repelere sedem siiam : qnimi illa' intérim porlio- !ii; us crescnnt, et ad hornni ac diem siibeunt, ampiiiires minoi'esqiic, proiit illas Innare sidus elic .il, ad cujiis ar- bilr uni occanus cxundal? Suo isia leiiip iri reserventiir , CD quidem mafiis , qu.d lu non dubiias de providenlia, sed (juerciis. In (.M-aliam te leducam cum diis, advcrsus op;iuios opiimis. Neqiie enini reriini naliu'a palilur, ut unqnam buna l)on s noceant. Inter bonos virus ac Dcuni amcitia csl, concil an;c virlu;e; aniicitiam dico? iinmo e;iam ncwss tudo et siniililuilo : qu miam quidem bonus ipsc leiiipo e taniim a Dei) dilfcrt . disc'pulu'i ejus, ;pi!!U- latoiquc , et vera proriculo promins? cui nm industrioso oliuni pœna est? Athlelas videmus, quibus virium cura est, cum forli^simisqni- busque confiigere, et esipere ab his , per qu :s certamini prapparantur, ut lotis contra ips,os viiibus u'antur; caedi se vexarique patiuntur, et si non inveninntsingnlos pares, DE LA PROVIDENCE. i'2' plusieurs a la fois. La vertu sans combat s'alfan- };uit. Elle ne fait paraître tout ce qu'elle est, tout ce qu'elle vaut, tout ce qu'elle a de puissance, que lorsqu'elle montre tout ce qu'elle peut soufrrir. Sache donc que riiomnie de bien doit en faire de mùme : qu'il ne craigne ni les malheurs ni les difOcullés; qu'il ne se plaigne pas du sort; que tout ce qui lui arrive, il le prenne en bonne part, et le tourne à son prolit. L'important n'est pas ce que tu souffres , mais comment tu le souffres. Ne vois-tu pas quelle différence il y a entre l'a- mour d'un père et celui d'une mère'? Le premier fait de bon malin réveiller les enfants pour ([u'ils se livrent 'a l'étude ; mCrae les jours fériés il ne les laisse pas oisifs ; il fait couler leur sueur et quel- quefois leurs larmes; mais la mère les tient sous son aile, a l'ombre du fojer; elle ne veut pas de larmes , pas de chagrins , pas de travail. Dieu a pour les hommes de bien un cœur paternel ; il les aime sans faiblesse. « Qu'ils soient, dit-il, exposés aux fatigues , au\ douleurs , aux infortu- nes, aGn de recueillir la véritable force. » Les corps engraissés s'éuerveut dans l'inaction ; et, in- capables non seulement de travail, mais de tout mouvement, ils s'affaissent sous leur propre poids. L'ne félicité non éprouvée ue résiste pas 'a la première atteinte. Mais lorsqu'elle a lutté con- stamment avec l'adversité, elle se fait un bouclier de ses souffrances, et ne se rend jamais au mal ; quand même elle serait abattue, elle combat en- core 'a genoux. Tu t'étonnes que Dieu, qui chérit les bons , qui veut les rendre meilleurs, et les élever 'a la per- la fortune. El moi , je ne m'étonne pas que par- fois il prenne fantaisie aux dieux de voir de grands hommes aux pr'iscs avec quelque malheur. Nous prenons bien pLii^r 'a regarder un jeune homme de cœur qui reçoit sur son épieu une bêle furieuse qui s'élance , ([ui soutient , sans trembler, la fu- rieuse attaque du lion ; et le spectacle est d'autant plus agréable, que le combattant est pins illus- tre. Ce ne sont point ces puérilités, ces aiiiuse- nienls de la frivolité humaine , (itii peuvent atti- rer les regards de la divinité. Mais voici un spectacle qui mérite que Dieu se détourne des soins de son œuvre; voici deux champions dignes de Dieu , l'homme fort aux prises avec la mau- vaise fortune, surtout si c'est lui qui l'a provo- quée. Non, je ne sache pas que Jupiter trouve rien de plus beau sur la terre, s'il daigne y abais- ser ses regards, que de voir Caton , après les dés- astres réjiétés de son parti , debout et inébranla- ble au milieu des ruines publiques. « Que toutes choses, dit-il, tombent en la puissance d'un seul; que les terres soient gardées par ses légions, les mers par ses Hottes; tiucle soldat césarien assiég'? les portes, Caton a une issue pour s'échapper. Il sufOt d'une seule main pour frayer une large route a la liberté. Ce fer pur et innocent, iitême dans la gnerre civile, va rem|ilir enlin un rôle utile et glorieux; il donnera à Caton la liberté qu'il n'a pu donner "a la patrie. Exécute , ô mon âme I un projet dès longtemps médité; dérobe-toi aux cho- ses humaines. Déjà Télréius et Juha se sont frap- pés l'un l'autre; ils gisent éieiidus sous leurs coups mutuels. Noble et généreux accord pour fection, les livre, pour les exercer, aux coups de ' mourir, mais qui serait malséant à notre gran- plaribus simul obj-ciunliir. Marwt sine adversario virlus; lune a|>|>aie! quanta sit, ({uan:uin valiat. quantunique polirai, quiim quid pis.sit , palienlia (islend I. Se as licct, idem Tiris Ixinlii e>»t' racirnduin, ut dura ne dirncilia non reroiniiileot , ncc de f.iln qiicran'ur; quidquid nccdit, biiat eonsulant. In lionuin verlan!. Non (|iiid. srd queni- adiiioduni feras, ioterest. Non vidc< <|uanti> aliter paires, aliter maires induljieani? illi etcltari jubiut liberos ad itudia ojicunda maure; feri.itis (|uoque dielius non pa- tiunt ir esse ot:os ^s, cl sudorem illis, et interduni lacry- mas, eieutiiint : at maires f(n ère in sinu , continere in unihra voinrilj nunqnnni llere, nunqu m tristari , nnn- <|uam lalhirare. Patriurn hù1)el Dcus adrersus bi)no« vi- rus aninum, eli 'os farlller amat , et, «op ribus, inqiiit , 'luInrilHis, ac daninis ex igilen.ur, ut veruni eo lisant r<)- biirl • Languent per inertiani saginala , ncc laliure tan- lum , sed niolu , e! ipso .s e.sse atqiie ciuellentissiini» vnll, rortuiiam ill:s euin qua eierccanlur aisigaat? ligo vcruuon mir,ir,8iquaoda inipetum capiunt dii speclandi iiiagnos vires, eolbietan- les cum alii|iia calaniiLitc. >'obis inlcrdiini voluplati esl, si ann video, in- qiiani.quid liabcal inlenis Jupiter puklnins, si con- vertere anininiii velit, (pr;in ut spectct C itoiiem , jani parJlius non seniel fiaetis, staiiteiii niliiloniiiius inter ruinas pullieas rectum. Liée! , in(|uit, uiimia in unius di- liimein con(•c^serint, ciistodianlur légion bus lerr.T, clas- sibus ni ria, C.esarianiis |ioilas miles obsiile;!t ; Cato, qun exeat, liabol. Uiia manu latam libcrlali viani raciel; fc runi islnd , eliain civili bello piirinn el innoviniii . l)o- nas tandem ac n iliiles Cile; opcias; lilier,a:em qnaiii pa- tri.e non p.itiii ,Caloni dabil. Apgre'iere, anime, diu nic- dilatimi opus; tripe le rclius liuriiaiiis. Jani Peirciiis et Juba conemrerunl , jaceiilqiie aller al, crius manu caïsi. I-'ortis et egreyia fali coiivcnlio , sed qua; iiou dcceal maj}- 428 deur ! il sérail également honteux pour Caton de demander à quelqtfun ou la mort ou la vie. » Oui , j'en suis certain , les dieux contemplèrent avec une vive joie ce héros , lorsque, déjà libéra- teur intrépide de lui-môme, il s'occupait du salut des autres , et préparait la retraite de ceux qui fuyaient ; lorsqu'il consacrait a l'étude même celte dernière nuit ; lorsqu'il plongeait le fer dans sa poitrine sacrée ; lorsqu'il dispersait ses entrailles, et arrachait de sa main cette âme sainte qui s'in- dignait d'être souillée par le fer. Voila sans doute pourquoi le coup fut mal assuré et impuissant. Ce n'était pas assez pour les dieux immortels de con- templer Caton une fois seulement ; sa vertu fut redemandée , ramenée dans l'arène , afln de se montrer dans un rôle plus diflicile. Car il y a moins de courage a se donner le premier coup de la mort , qu'à le redoubler. Pourquoi n'eussent- ils pas pris plaisir "a regarder leur élève se sauver par une voie si noble et si mémorable ? La mort est une consécration pour l'homme dont la fin est admirée par ceux mêmes qui la redoutent. III. Dans la suite du discours , je montrerai combien il s'en faut que ce qui semble être un mal , le soit réellement. Maintenant je me borne h dire que ces accidents , que tu appelles malheu- reux, cruels, effroyables, sont d'abord profitables à ceux auxquels ils arrivent; puis à la généralité des hommes, dont les dieux ont plus de souci que des individus ; enfin , qu'ils plaisent a qui les éprouve , ou qu'on mérite d'en souffrir s'ils dé- plaisent. J'ajouterai 'a cela que c'est dans l'ordre du destin , et qu'il est juste qu'ils atteignent les gens de bien en vertu de la même loi qui les a SÉNÈQUE. faits bons. Je te prouverai ensuite qu'il ne faut ja- mais plaindre l'homme de bien; car si on peut le dire malheureux , il ne peut pas l'être. De toutes ces propositions, la plus difficile à dé montrer semble être la première, savoir : que les accidents qui nous font frémir d'épouvante sont profitables "a ceux qu'ils atteignent. Est-ce un profi t, dis-tu , d'être relégué en exil, de voir réduire ses enfants a la misère, de porter sa femme au tombeau, d'être taché d'infamie , d'être mutilé? Si tu t'é- tonnes que cela puisse profiter a quelqu'un , étonne-toi aussi que l'on guérisse certaines ma- ladies par le fer et le feu , comme aussi par la faim et la soif. Mais si tu songes que , comme re- mède, on a quelquefois ou dénudé ou extrait des os, retranché des veines, amputé des membres qui ne pouvaient rester unis au corps sans causer sa destruction , tu te laisseras aussi convaincre que certains maux sont profi table.^ a ceux qui les souffrent, non moins, assurément, que certaines choses, que l'on vante et que l'on recherche, sont nuisibles a ceux qu'elles charment , comme l'i- vresse, l'iodigestion et les autres excès qui tuent par le plaisir. Parmi plusieurs belles maximes de notre Démé- trius, en voici une dont l'impression sur moi est toute récente; elle retentit encore et vibre à mon oreille : « Nul, dit-il, ne me semble plus in- fortuné que l'homme "a qui il n'est jamais arrivé rien de malheureux. » En effet, il ne lui a pas été donné de s'éprouver. Quand tout lui réussi- rait a souhait, ou même avant sês souhaits, le jugement des dieux ne Lui en est pas moins défavo- rable ; il n'a pas été estimé digne de vaincre quel- nitudinem nostram ! tam turpe est Catoni , inortem ab uUo pelere , quam vitam. Liquet mitii, cum niagno spcc- tasse gaudiodeos, quura jaiii ille vir, acerrimus sui vin- des,alienae saluti coQsulit, etinsiruit discedenlium fu- gam : dum ctiam siudia nocte ultima tiactat, dum gla- diuni sacro peclori infigit, dum visceia spargit. et illam sanclissimain anijnani, indignamque qua; ferro conlami- narelur, manu educil. Inde credidei im fuisse parum ccr- tum et efficax vulnus; non fuit diis immoitalibus salis , speclare CatODeni semel; rctenla ac revocata virlusest, ut in difficilioi'i parle se oslcnderet. Non enini tam magno animo morsinitur, quam repetitur. Quidni lihcnter spcc- tarcnt alumnum suum , tam claro ac mcmorabill exitu evadentera? Mors illos coasecrat, quorum cxitum et qui timent, laudant. III. Sed jam procedente oratione osicndam , quam uon tint, qua; videntui, mala. INunc. illud dico, ista quas lu vocas aspera, qua; adversa et aboniinauda, piimum pro ipsis esse , qiiibus accidunt; dciude pro iinivcrsis, quo- rum major diis cura est, quam siugulorum ; post ha»c, Tolentibu.* accidere; acdignos maloesse.si nolint. His adjiciaiu, fato ista fieri , etrecteeademlege lionis evenire. qua sunt boni; persuadebo indetibi, ne aoqaam lK>ni viri misereans; polest emra miser dici, non potest esse. Difficilliraum , ex omnibus quae proposai , videtur quod primum dixi; pro ipsis esse quibus eveninat ista, quae horremus ac tremimus. Pro ipsis est, inquis, in exsilium projici, in cgeslalem deduci liberos, conjugem efferre, ignominia affici, debililari? Si miraris, tioc pro aliquo esse , niirabcris quosdam ferro et igné curari, nec niinns famé ac siti. Sed cogitaveris tecum , remedii causa qnil)us- dam et radi ossa et legi, et extrahi venas, et quxdam amputari membra , quae sine toliusperniciecorporis hœ- rere non poierant; hoc quoque patieris probari libi, quaedam incommoda pro his esse , quibus accidunt, tam raebercules , quam quaedam qua> laudantur atque appe- tuntur, contra eos esse , quos delectaverunt , simillima cruditatibus ebrielatibusque etcetcris, quae necant per voluptalcm. Inler multa raagnifica Demetrii nostri, et liajc Tox est , a qua recens sum ; sonat adhuc , et vibrât ia auribusmeis. « ÎSihil, inquit, mibi videtur inîelicjus eo, cui nibil unquam eveuit adversi. j ISon licuit cnim illi se cxperiri. Ut ex voto illi fluxerint omnia , ut ante volura, nialc tamen de illo dii judicaverunt ; indignus visus est, DE LA PROVIDENCE. 129 qnefois la fortune. I^lleaussisedétourne des lâches, comme si elle disait : Qu'ai-je affaire de choisir un adversaire pareil? dès l'abord il mettra bas les ar- mes ; je n'ai pas besoin contre lui de toute ma puis- sance; "a la moindre menace il tournera le dos; il n'ose rae regarder en face. Allons chercher quelque autre qui puisse lutter avec nous. 11 y aurait honte à combattre un homme prêt à se rendre. Un gladiateur regarde comme un déshonneur d'étro opposé à des adversaires trop au-dessous de lui; il sait qu'il n'y a pas de gloire a vaincre celui qu'on vaincra sans péril. Ainsi fait la for- tune ; elle se choisit les plus braves champions et passe avec dédain devant les autres Elle attaque les plus fiers et les plus solides , contre qui elle puisse déployer toutes ses forces. Elle essaie le feu contre Mucius, la pauvreté contre Fabricius, l'exil contre Ruiilius, la torture contre Rcgulus , le poison conire Socrate, la mort contre Calon. Ce n'est que dans la mauvaise fortune que se rencontrent les grands exemples. Est-il mal- beureux Mucius, lorsqu'il saisit le feu sur l'autel et se punit lui-môrae de son erreur, lorsque sa main brûlée triomphe du roi que n'avait pu vain- cre sa main armée? Quoi donc! eût-il été plus heureux , s'il eût échauffé sa main dans le sein d'unemaitresse? Est-il malheureux Fabricius, lors- qu'il bôche son champ dans les moments de loisir que lui laisse la république? lorsqu'il fait la guerre autant contre l'or que contre Pyrrhus? lorsqu'assis k sou foyer, il mange ces racines et ces liorbesqu'ar- racba de son champ sa vieillesse triomphale? yuoi donc! eût-il été plus heureux s'il eût farci son rentre de poissons pris sur ilc luintains rivages, et d'oiseaux étrangers? s'il ev,l, avec des coquilla- ges de la mer Inférieure et de la mer Supérieure réveillé la paresse d'un estomac dédaigneux T^s'il eût flanque de monceaux de fruits du gibier de première taille, dont la prise eût coûté biendusang aux chasseurs? Est-il malheureux Rutilius, parce que ceux qui l'ont condamné seront accusés de- vant tous les siècles? parce qu'il souffrit plus vo- lontiers d'êlie arraché à la patrie qu'à son exil? parce que seul il refusa quelque chose au dicta- teur Sylla , et que non-seulement il recula devant un rappel , mais s'enfuit encore plus loin ? Qu'ils s'arrangent, dit-il, ceux que ton bonheur a sur- pris à Rome. Qu'ils voient le sang inonder le forum, et au-dessus du lac Servilius, ce char- nier' des proscriptions de Sylla, flotler les têtes des sénateurs, et les hordes d'assassins errants dans la ville, et des milliers de citoyens romains, égorgés au nitme endroit, après la parole donnée, ou plutôt au moyen de la parole donnée. Qu'ils voient tout cela, les hommes qui ne peuvent s'exiler. Quoi donc? est-il heureux Sylla, parce qu'à sa descente au forum le glaive écarte la foule ; parce qu'il suspend au gibel. les lêles des consu- laires, parce qu il fait payer par un qupsieur, et inscrire aux tables publiques, le prix du meurtre? Et l'homme qui fait tout cela est l'auteur de la loi Cornélia =! Venons à Régulus. Qm 1 mal lui a fait la fortune en le montrant comme un monument de bonne foi, un mwiumcut de patience? Les clous traver- ' Spclintiiim, endroit du cirque où l'on dépouillait les gla- dijteui's é?îors^9 , H où l'on aciievâit ceux qui étaieai mou- rants. — • Loi coutre les meurtriers. a qno TiDcerelar aliquando fcrtima, qua; ieronvisumum qneinque refiisil, quasi dical : quid ego islum inihi ad- versarium assumam? slatiin arma sulimiltc^; non opus est in illum tota potentia mea ; levi comminatiotie pelle- tnr; non polost suilincrc vultiim meum. Aliu? circunispi datar, cura quo coiiferre possimus m^num; pudct con- gredi cuni homine vind paralo. Innominiam jiidicat gladiator, cuni inreriore cuniponi, et scit eum sine glo- ria^inci, qui sine periculo vincilur. Idem facit fortuna , fortissimos sibi parcs quaril , quosdani fastidio transit. Conlumacissimum quemque et reclissimum agprcdilur, advemis quem vim suam 'nlendat. Igncm eiporilur in Mocio, p.-iupertatem inFaliricio, eisilium in Rutilln, tormenta inRe^ulo, venenuni in Sorralc, mortcin in (latone. Magnum eiempluni, nisi luala fortuna, noninve- nit. Infelii est Mucius, quod destera igncs liostiiim pre- mit, et ipse a se ciigit crroris sui pta , qui cisuliire non possimtl Quid crgo? felii est !.. Sulla, quod illi descendcnti ad forum gladio siibmoïptur,quod capita consularium viroruin [la- titur appcndi , et prctium caedis per qu.Tstoti m ac tabulas piil.licas numéral.' et ha-comnia facit illi-, qui legemCorne- lianitiilit? VeniamiisidRei.'Hlnm! quid illi fortuna nocuit, quodilluiiidocumcntumndei,dociiini'nlumpatientia;recii? rigunl culem claii. et quocuoque faligatum cor|)us recti- 9 f50 SENE qui:. sent ses cliairs, et de quelque coté qu'il appuie son corps fatigué, il pèse sur une blessure; ses paupières mutilées sout condamnées îi des veilles sans repos. Plus il a de tourments, plus il a de gldire. Veux-tu savoir combien il se repent d'a- voir mis ce prix a la vertu? Guéris ses plaies, rcuvoie-le au sénat, il répétera son avis. EsUil donc plus heureux selon toi, ce Mécène, qui, passionné d'amour et pleurant les infidélités quotidiennes d'une femme capricieuse , demande le sommeil aux doux accents d'une symphonie luin- taine? Il a beau s'assoupir dans le vin, se dis- traire au murmure des cascades, et tromper par mille voluptés son âme inquiète, il demeurera éveillé sur la plume, comme Régulus sur la croix. Mais celui-ci a pour consolation d'endurer le sup- plice pour la vertu, et au milieu des souffrances, il remonte a la cause; cclui-lh, énervé de volup- tés, fléiri par l'excès du bonheur, est plus tour- menté par la cause qui le fait souffrir, que par ses souffrances mômes. Le vice n'a pas tellement pris possession du genre humain, qu'il soit dou- teux que, si l'on avait le choix de sa desiinée, beaucoup d'hommes voulussent naître plutôt dos Régulus que des Mécènes. Ou s'il s'en trouvait un qui osât dire qu'il aimerait mieux être Mécène que Régulus, le même aussi, quoiqu'il ne le dise pas, aimerait mieux ôlre Térciitia '. Penses-tu (jue la fortune maltraita Socrale, lorsqu'il vida cette coupe qui avait été remplie publiquement, comme s'il prenait un bieuvuge d'immortalité, et qu'il disserta surlamortjusqu'a I Femme de Mécène , célèbre par ses nombreuses infidélités. la mort même? Ktail-ce un malheur pour lui, iùr-tf quesonsaugseûgeait,etquelefroids'insinuantpeu à peu, arrêtait la circulation dans ses veinesV Com- bien lui doit-on porter plus d'envie qu'à ceux qui boivent dans des vases précieux, et pour qui un jeune prostitué , instruit a tout permettre, d'une virilité effacée ou équivoque, délaie dans une coupe d'or la neige dont les flocons surnagent-sur l'eau. Tout ce qu'ils ont bu, ils vont le rejeter avec les dégoûts du vomissement, avec l'amer- tume de la bile qui reflue • Socrate avale le poisoD avec joie et de grand cœur. ' Pour ce qui regarde Catnn, nous en avons dit as- sez : tous les hommes reconnaîtront, d'un commun accord, qu'il atteignit le comble de la félicité. C'est lui que choisit la nature pour combattre tout ce qu'il y a de plus terrible. * Les inimitiés des grands sont cruelles; qu'il soit opposé en même temps 'a Pompée , César et Crassus. 11 est cruel de se voir devancé par un rival sans mérite; qu'il soit sacrifié il Vatinius. Il est cruel d'être en- gagé dans les guerres civiles; qu'il aille par toute la terre défendre la bonne cause, avec autant de malheur que de constance. Il est cruel d'attenter à ses jours ; qu'il le fasse. Qu'aurai-je gagné par là? que tout le monde sache que ce ue sont pas là des maux, puisque Caton m'a paru les mériter. » IV. Los prospérités descendent sur le vulgaire, sur lésâmes communes; mais dompter le mal- heur et les faiblesses de la crainte, est le propre du grand homme. Etre toujours heureux , et pas- ser sa vie sans aucune blessure de l'âme , c'est ignorer une moitié de la nature humaine. Tu os navit , viilneii incumbit, cl in perpetuam vigillam suspensa siint himina.Quanloplustormeuli.tanttf pins eiit gloriae. Vis srirc, (|uani non pœnitcatliocpre'.io astinia.sse virtu- tein?lleficeluillun),et mille in senatum; canidcni senlcn- liamdiccl.Fclicioremeriîo liiMa;cenatempiilas,cniamo- rilius ansio, et niorosa»uxorisqnolidi;;na répudia di-llenti, .Mininus pcr syniplioniarum cantum , ex tonginquo lene rcsonantiiim , quaeritiir? Moro se licet sopiat, et aqua- rum fragoribns avocet, et mille voluptatihiis meniem aaiiam fallat, tam vigilalùt in pluma, quam illoincriicc. Sed illi solalinm est, pro honcsto dura tolcrare, et ad cansam a paiicniia rcspicit ; hune Toluplatihns niarci- dum , et felicitate nimia laborantcm , magis liis qu:c pali- tur TCxat causa paliemli. Non usque en in possessionem gcneris humant vitia venerunt, ut dubium sit, ,in elec- tione fali daia, plurcs Reguli nasci, quamM IV. Prospéra in plebem ac vilia ingénia deveniunt ; al calamitates terroresque mortalium sub jugum miltere , proprium magni viri est. Seinper vero esse felicem , et sine morsu animi transire vitam, ignorare est rerum na- ture alteram parlem. Magnus es vir : sed unde scio, si tibi forluna non dat facullatem exhitxîndaB virtutis î Des- c«ndisti ad Olympia : si nemo praeter te , coronani ha- bes, victoriam non halies. Non gratulor tanquam vire DE LA IMlOVIDEAGK. iôl tin liomme de cœur ; mais d'où le saurais-je , si la fortune ne t'a pas donne l'occasion de mouircr ta vertu? Tu es descendu dans la carrière olympique; si personne ne s'y présente que loi , lu gaj^nis la couronne, mais non pas la vicioire. Je ne te félicite pas comme homme courageux, mais comme celui qui, obtenant le consulat ou la prcture, doit sa grandeur à sa dignifé. J'en puis dire autant à l'homme de bien, si l'adversité ne lui a donné nulle occasion où il pût, au moins une fois, faire paraître sa force d'àme. Je t'estime malheureux de n'avoir jamais été malheureux; tu as passe ta vie sans combat. Personne ne saura ce que tu valais, lu ne le sauras pas toi-mûine: car [)Our se counaitrc, on a besoin de s'éprouver. Nul ne sait ce qu'il peut, qu'après s'être essayé. Aussi a- t-on vu des hommes s'offrir d'eux-mêmes à l'ad- versité qui les épargnait, et chercher 'a leur vertu, qui se perdait dans l'obscurité, une occasion de briller. Oui , le malheur a parfois des thanr.cs pour les grands hommes , non moins que les guer- res pour les soldats courageux. Sous le règne de Caîus César j'ai entendu Triumphus, lemirniillon, se plaindre de la rareté des jeux : « Que de bon temps perdu, disait-il! » Le OfUrage est avide de (K-rils, et regarde où il tend , non ce qu'il doit .souffrir; car ce qu'il doit souffrir fait une partiedc .sa gloire. Les guerriers se glorifient de leurs blessures , et , t ;nt joyeux , ils montrent comme une faveur de la fortune leur sang qui s'écoule. Et encore que ceux qui revien- nent du combat sans blessures aient fait tout au- tant , on regarde davantage celui qui revient blessé. Oui, la Divinité favorise ceux dont elle dc'- sire la perfection , toutes les fois qu'elle leur offre l'occasion de faire queUpic chose de grand et de courageux: pour cela, illeur faut des conjonctures difficiles. On apprécie le pilote dans la tempête le soldat dans la mêlée. D'où puis-je savoir com- bien tu as d'énergie dans la pauvreté, si tu re- gorges de richesses? D'où puis-jc savoir combien tu opposeras de constance 'a l'ignoiiilnie , au dés- honneur, aux haines populaires, si lu vieillis au milieu des applaudissements, si tu t'appnyessur une faveur inaltérable qui suit un certain en- traînement des esprils? D'où saurai-je de quel cœur lu supporteras la perte d'un enfant, si lu vois autour de loi tous ceux que lu as élevés? Je t'ai entendu quand tu consolais les autres; mais je t'aurais vu, si tu le fusses consolé toi-même, si toi-même lu te fusses interdit la douleur. N'al- lez donc pas, je vous en supplie, vous épouvanter de ces aiguillons dut les dieux immortels se ser- vent pour réveiller les courages! Le malheur est une occasion pour la verlu. f.es hommes qu'on peul à bon droit appeler in- fortunés, sont ceux qui s'engourdissent dans l'ex- cès ilu bonheur, qui sont comme enchaînés par un calme plnt sur une mer immobile. Tout ce qui leur arrive est pour eux une nduveaulé. Le cha- grin eu plus amer h ceux qui ne l'ont pas gnûlé; le joug est plus pesant "a une lêle novice. L'idée seide d'une blessure fail pâlir les recrues; le vété- ran voit d'un œil iiilr('pi(le saigner ses plaies. Il sait que souvent la victoire a suivi le sang. Ainsi donr- ceux que la Divinité favorise, (|u"elle aime, elle les forlilie. les recniinaîl, les exerce. Ceux, au contraire, (pielle semlile liailer avec (loiiceur, avec ménagement, elle réserve leur faiblesse pour des maux "a venir. Car lu le lrompi;s si lu crois forti , s«it laii>|uani conMilatum prxiurnniTe adeplo ; tionoro aiictiis es. I$set, nisi tcntandn nnn didicit. I laque quidam ullro se cetsaotibus malis oblulorunt , et vir.uli ilura; in nbscu- mm, occasinncm , per quam cnilescercl, quasierunl. Gaadeot, inquam, magni tiri alr(|aando rébus adrcrsis, non aliter quam fortes mililes bellis. Triumphum ego niir- millonem sub C. Ca'sare de raritate niuncmm audivi querentcm : ■ Quam bella, inquit , a;la< périt I • Avida est periculi ïirlus, et qno tendat, nonqnid passura sil, cogilat; quoniam et quod passura est, glnriae pars os!. Militares viri glorianlur Tnlneribus , Urti fliienleui nie- liori casu sangninem ostcntant. Idem licct fccerint , qui integri rcTertuntur ei acie, niagi» speclatur qui saucius redit. Ipsis , inqu:!m , Deus cunsulit , quos esse quam lioacsiissinios cupil , quoties iUis matcriani pra'bc. ali- quid animosc fnrîiterqiio firi-Tidi ; ad q'inin rem opus est aliqna rerum diflicullalc. Guhi'rn;ilo:'cin in tcinpes- tale , in acie niiliiem iuliliiii.is. Undi' possuni scire quanlum adrersiis puuperintein lilii aiiiiiii sit , si divi- tiis dirfluis? Uudc possuin s 'Ire quioliiiii i;d>ersus igno- niiuiam et inraniinni , odium'|iii' pnpiilare , cons:auliENGE. 135 rapporte le travail h des peuples tout nus et forts I l'intention de Dieu, comme celle de riiomnic sage, de leurs besoins. Vois ces pays où s'arrête la paix du monde ronwin ; j>; parle des Germains et de toutes ces nations errantes qiie l'on rencontre sur les bords de llsler. Sous le poids d'un hiver éter- nel , d'un ciel sauvage , snr un sol stérile qui tes nourrit a regret, sans autre protection contre les pluies qu'un toit de chaume ou de feuillage, ils courent sur les marais durcis par les frimas, et vivent de la chair desbôles fauves. Te semblent-ils malheureux? Il n'y a point de malheur dans ce qui est devenu naturel par l'habitude; et ce qui d'abord fut nécessite, devient insensiblement plai- sir. Ils n'ont point de domicile, pointdc demeure, que celle que leur assigne chaque jour le l)esoin du repos. Leur grossière nourriture est le prix du combat, et lt''irs corps sans vêtements sont exposés aux rigueurs d'un climat horrible. I£li bien! ce qui te semble un malheur, est la vie d'une foule de peuples. Pourquoi donc t'étonnerque les hom- mes de bien , pour être affermis, reçoivent des secous.se,s? H n'y a pas d'arbre plus fort, plus so- lide que celui qui est souvent battu par l'aquilon ; les assauts de la teuipête en resserrent les libres, en fortifient les racines. Ceux qui croissent dans les vallons abrités simt fragiles. Il est donc de l'in- térêt des hommes de bien , pour qu'ils soient au- dessus de la crainte, de se mêler souvent aux plus effrayants dangers, et de souffrir d'une âme im- passible ces accidents qui ne sont des maux que pour celui qui les supporte mal. V. Ajoute "a cela qu'il est dans l'intérêt de tous que les plus honnêtes gens soient, pour ainsi dire. de montrer que toutes ces choses que le vulgaire recherche, qu'il redoute, ne sont ni des biens ni des maux : or, elles parailraieiit des biens, s'il ne les accordaitqn'aux bons; et des maux, s'il ne les infligeait qu'aux méchants. La cécité serait une chose affreuse, si personne ne perdait la vue, (juc ceux qui méritent d'avoir les yeux arrachés. Qu'Appius et Métcllus soient donc privés de la lu- mière. Les richesses ne sont pas un bien : qu'elles soient données à Ellius l'enlremeltcur , alin que cet argent, que les hommes con.sacreiit dans les temples, ils le voient aussi dans les maisons de proslilulion. Dieu ne pouvait mieux avilir les ol>- jets de notre cupidité, qu'en les étant aux hon- nêtes gens, pour les transporter aux infâmes. M Mais il est injuste que l'homme de bien wiil mutilé, mis en croix, chargé de chaînes, landi.s que les méchants conservent leurs •î.embres in- tacts, marchent en liberté et vivent dans les dé- lices. » lîli quoi! il est donc injuste que les plus braves guerriers prennent les armes, veillent la nuit dans les camps, debout sur la tranchée, avec l'appareil sur leurs blessures, tandis que, dans la ville, les eunuques et les débauchés de profession jouissent de la sécurité? th quoi! il est donc in- juste que les plus nobles vierges soient réveillées au milieu des nuits pour la célébration des sacri ■ flces, tandis que les prostituées dorment d'un pro • fond sommeil? Le travail réclame les hommes forts. Le sénat donne souvent des journées entières a ses délibérations ; et, pendant ce temps, les plus vils citoyens amusent leurs loisirs dans le Champ- loujours sous les armes, toujours en activité. C'est l de-Mars, ou s'enferment dans une taverne, ou tum nationU)US midis et inopia rortiorilius , labor praes- tet. Oames cumidera geules, in quibus Knmana pax deiiDlt: Germanos dico, el quidqiiid circa Istrum vaga- rum genlium occ(irs:it. Perpétua itlix hieriis , triste cœ- luni prcruil, maligne souis viris est , ut esse interriti poisint , multum inter formidolosa versari , et a;quo anime ferre qus non suot inala , uisi mate sustiucnti. V. Adjice nnoc, quod pru omnibus est, optimum qucmque, ut ila dicam, militare, et edere opéras. Hoc I est prnposilum Dec, quod sapienti tiro, ostendere hao I qi;aî vulgus appétit, qua; rcformidat , nec Iwna esse nec I mata : apparcbunt autcni buua esse, si illa noti uisi bouis vins tribuerit; et mala esse , si malis bintum irrogaverit. I Detcsiabilis erit cus csciiari, altissimo somno inquinalas Sruit Labor optimos citât. Senatus pcr totuni diem sxpe consulltur, quiim i!lo lempore vilissiiuus quisque . aut in campo otiuni suuni oblectet , aut m po- piua lateat , aut tempiis in aliquo circule terat Idem ia -r-4 perd;>Uoiir temiis dans (iiicliiue cercle d'oisifs, i Diil va de même dans la grande répuijlique : les honinies de bien Iravailleut, se sacriflenl, sont saciilics, et encore de grand cœur : ils ne sont pas iMitraînés par la l'ortunc; ils la suivent, et d'un pas égal : et s'ils avaient été mieui^inforinés, ils eussent pris les devants. Je me souviens encore d'avoir entendu ces pa- roles magnanimes de cet Lorame de cœur, Démé- trius : « Je n'ai qu'un reproche "a vous faire , ô dieux immortels! c'est de ne m'avoir pas plus tôt lait connaître votre volonté. J'aurais de moi-même été au-devant de ces malheurs, au lieu de m'y of- frir aujourd'hui h voire appel . Voulez-vous prendre mes enfants? C'est pour vous que je les ai élevés. Voulez-vous qui'lque partie de mon corps? Dispo- sez-en. Je n'offre pas grand'chose; bientôt je m'en séparerai tout entier. Voulez-vous ma vie? Pour- (]uoi non? Je ne ferai pas difllcullé de vous laisser reprendre ce (|ue vous m'avez donné. C'est de mon plein gré que vous emporterez lout ce que vous demanderez. Oui, sans doute, j'aurais mieux ai- mé offrir qu'abandonner. Qu'cst-il besoin d'en- lever ce que vous pouvez recevoir? Cependant, même aujourd'hui, vous ne m'enlevez rien ; car on n'arrache qu'a celui qui retient. Je ne suis en rien contraint, je n'endure rien malgré moi ; je n'obéis point 'a Dieu , je suis d'accord avec lui ; et cola d'autant mieux ([ue je sais que tout est décidé par une loi immuable , écriic de toute éternité. » Les destins nous conduisent , et ce qui reste de temps à chacun est réglé dès la première heure de la naissance. Une cause naît d'une autre cause, et le long enchaînement des destinées gouverne les choses publiques et parliculières. 11 faut donc SKKEQUE. tout souffrir avec courage , parce que tout arrive non par aventure, mais par ordre. Il y a long- temps qu'a été réglé ce qui doit fahe ta joie, ce qui doit faire ta peine, et quelle que soit la variété d'événements qui semble distinguer la vie de cha- cun , le tout se résume en une seule chose : périssa- bles, nous avons reçu des biens périssables. Pour- quoi tantnous indigner? Pourquoi nous plaindre? C'est la loi de notre existence. Que la nature dis- pose comme elle l'entend de corps qui lui appar- tiennent : nous, pleins de joie et de courage, quoi qu'il arrive, songeons que rien de ce qui périt n'est à nous. Quel est le devoir de l'homme de bien? Do s'abandonner au sort : c'est une grande coq- solation que de tomber avec l'univers. Quelle que soit la puissance qui nous ordonne ainsi de vivre , ainsi de mourir, elle enchaîne aussi les dieux à une même nécessité. Une marche irrévocable en- traîne également et les dieux et les hommes. Le Créateur lui-même, l'arbitre de toutes choses r a pu écrire la loi du destin, mais il y est soumis : il obéit toujours , il n'a ordonné qu'une fois. « Mais pourquoi , dans le partage des destinées. Dieu a-t-il été assez injuste pour assigner aux hommes de bien la pauvreté, les souffrances, les morts cruelles? » L'ouvrier ne peut changer la ma- tière; elle est passive. Il y a certaines choses qui ne peuvent être disjointes; elles sont liées entre elles et indivisibles. Les natures languissantes, en- gourdies dans le sommeil ou dans une veille qui y ressemble, sont formées d'éléments merles; mais pour faire un homme dont on parle avec gloire, il faut un destin plus puissant. 11 ne s'a- vance pas sur une route unie ; il lui faut monter, descendre , être ballotté par les flots, et conduire hac iniiftna repuWica fit : boni viri lalwrant, impeii- (liiiit , impendunlur, et volentes qiiideni : non trahnnlnr il forluna, scijnunlur illam , et a-quant gradus; .si scis- sen! , antccessisscnt. liane. (|noqne animosam Demetrii rnrtissimi viri voeem andisse me nieniini : « Hoc unum , inquit.Dii ininiorlales, do V(il)is queri possuni , (piod nnn anle niihi voliintalein veslrani nolam fccislis. Prior iMiirii ad isla vcnissem , ad qna; nuuc vocalus adsiim. \iiHis lil>cros sninere ? illos voliis sustuli. Yultis aliquani (lartem corroris? snmile. ÎSon magnani rem proniillo; c'iotiitum relin(]nani. Vultis spirilum? Quid ni? niillam (iioram faciam , quo minus recipiali.s , quod dedislis; a volonté ferelis , quidquid polieritls. Quid orgo est? ma- luissem offeri'o, qnaiii tradere. Quid opus fuit auferre? accipere potuislis. Sed ne nunc quidom auferetis ; quia niliil eripitur, uisi relinenti. Nihil cngor, nihil patior, in\itus, nec servio Dei), sid asscatio , eo quideni niagis, quod scio (imuia certa et in iotornuin dicla lege docur- vcre. » Fata nos ducunt, et (luantum cuique reslet, prima nascentium hora disiKisuit. Causa pendct ex causa, privala ac publica longus ordo reruni traliit. Ideo for- Iter omue ferendum est : quia non , ut putamus, iuci- dnnt cuncta , sed Teninnl. Olim constltutum est , quid Raudeas , quid fieas : et (jiiamvis magna videatur varietate singulorum vita distingui , summa in nnum venit : acce- pinnis peritura perituri. Quid iti iudignamur? quid qne- rimur ? ad hoc parati sunius. Utatur , ut vult , suis natura corporibus : nos lœti ad omnia et fortes cogitemus nihil jierire de nosiro. Quid est boni viri ? prael)cre se fato. Grande solatium est cum nuiverso rapi. Quidquid est (juod nos sic vivere jussit , sic moii : eadem necessitate et Deos alligat ; irrevocal)ilis humana pariter ac divina cursus veliit. Ille ii)se onmium conditor ac rector scripsit quidem fata , sed sequitur : semper paret, semel jussit. « Quare taïuen Deus tam iniquus in distribulione lati fuit, ut bonis viris pauperlatera, vnlnera , et acerba (u- nera adscriberct ? » Non polesl artifex mntare malericm : hajc passa est. Quaidam separari a quibusdam non pos- sunt, colia?rent, individua sunt. Languida ingénia et in somnum itura , aut in vigiliam somnosiniillimam , înep- tibus necluntnr elemeulis .- ut efficiatur vir cum cura di- cendus , fortiorc fato opus est. ÎSon erit ilti planum iter : sursum oportet ac dcorsum eat, Ductuetur, ac navigium in turbido regat ; contra fortunam iUi tenendus estcnr- !.. iu.M;U A ce discours , le généreux jeune honmie ré- pond : « L'entreprise me séduit , je monte ; c'est quelque chose même de succomber en ce chemin.» Son père cherche encore "a faire reculer devant la crainte cette âme énergiijue. « Quand même tu tiendrais. la route sans l'égarer, il te faudra marcher "a l 'encontre des cornes du Taureau, des flèches du Sagittaire, de la gueule furieuse du Lion.» Il réplique de nouveau : lAtlelIc tes coursiers : en pensant me détourner, lu excites mon courage; j'ai hàlc dç me voir debout "a l'endroit où trem- ble le soleil lui-même. Les cœurs faibles et lâ(;hes cherchent les routes sûres, la v«rlu s'élance sur les hauteurs. > VI. Pourquoi cependant Dieu souffre-l-il qu'il arrive malheur aux gens de bien? » Non , il ne le souffre pas. Il a éloigné d'eux lous les maux , les crimes, les forfaits, les pensées coupables, les desseins ambitieux, les aveugles désirs, et l'ava- rice qui convoite le bien d'aulrui ; il veille sur eux et les protoge. Ne faut-Il pas aussi exiger de Dieu qu'il garde leur bagage'? ils l'exeiiiplent eux-mêmes de ce soin , en nié|irisant les choses extérieures. Démocritc jela ses richesses, otimant que c'é- tait un fardeau pour une àme honnête. Pourquoi s'étonner que Dieu permette qu'il advienne h l'homme de bien , ce que l'homme de bien lui- même désire (|u'll lui advienne? «Les bons per- dent burs enfants. » Pourquoi non, puisqu'eus- mênies, parfois, ils les font mourir? «ils sont en- voyés en exil. » Pouniuiii non, puisqu'eux-mê- ni(^, parfois, (luilleut leur patrie pour n'yjamais revenir? « Ils sont tués. » Pourquoi non, puls- gu'eux - mêmes parfois se donnent la mort? « Pourquoi souffrenl-ils certaines adversités? » Pour enseigner aux autres à souffrir. Ils sont nés pour l'cxcmplo. Suppose donc que Dieu leur dise : « Qu'avez vous "a vous plaindre de moi , vous qui aimez la vertu? j'ai entouré les autres de faux biens; j'ai amusé leur esprit frivole par les lon- gues déceptions d'un songe ; je les ai parés d'or, d'argent et d'ivoire ; mais an dedans ils n'(>nt pas un seul bien. Ces hommes que lu prends pour des heureux , jtige-les non par ce qu'ils montrent, mais par ce qu'ils cachent : ce sont des mailieu- reux souillés d'ordure et d'infamie, reluisant seulement à la surface coniTue les murs de leurs palais. Ce n'est pas là le bonheur solide et véri- table ; ce n'en est que l'écorce , et encore bien mince. Aussi, tant qu'ils peuvent rester debout et sus. Milita accident dura, aspera; scd qiia? inollial ctrom- I lantt ip»e. Igiiis auruin prol)at, niiseiiii fortes viros. ^ ile (juam aile asceudere debeat Tlrtus : scies illi Don (xr ifcura vadeadum esse. Ardna prima via est , cl qiia vii mane ri'cciiles Eoitanlur eqiii : mcdio est altissiina ( rrlu ; Undc mare et (erras ipsi mihl cn-pe viilcre Fit Umor, et pavida trépidai formidiiie pocliis. (Jltinia prona »ia est , et egel niodenniiiiif cerlo- Tuiic eliani . qu» me siitijeclis eiciplt iindis . Ne (erar in praeceps , Tellijrs solet ipsa veicri. Ua-c qiium audissel illc penerosus adolcscens , « l'ia- cet, inquit, via. Kscendo; est lanti per isia irecasuro. » Non desiiiit acrem aninnim meta territare ; nique viam teneas . nullnquc errore traliaris, Per lamcn advcrsi grailierls corniia Tauri , .SmoDlosquc arcu» . violeDlIquc ora Leoiiis. I'ii»t bre ait . t Juoge dates currus ! his quibus delerreri me puta» , inciter : tibct illic stare, ulii ipsc sot trépidât; tiiiiiiilis et ioertis est, tuta seclari : per alla ïirtus il.. \ 1. >QiiarelanieiihoDis Tiri»palituraliquiil iiiali Ueiis fieri? - ilie ?ero non palilur, Omnîa mala ab illis rciiio- vit , scelcra et flagitia , et co{;ilationcs improbas , et avida eoiisilia , cl lilildiiiem caecain , et aliène ininiinen- tem avaritiam : ipsos tiieliir ac viiidicat. Numcjuid hoc quoque a De > aliqiiis ciigil, ut tionuruiii viniriini ctiani sarciiiasscrvct? reniittuni ipsi banc Dco curain : cxtcrna conlenmuDt. Deniocrili.s diutias pnijt'cit, ouus illas liuna; mentis eiisliiiiaiis : quid iri luni; • quid ni, qinmi'ati- qiiaiido et ipsi (Hcidaiil ? « In exsitium ii^illiiiiiiir > qiiid- ui , quimi aliqiiaiido ip.si palriam ui'n lepeliluii lelin- quaut? • Occidiinliir; ■ quid ni, quuiiialiqiiando ipsi sibi manus afferaut? • Quarc qua'daui dura paliuulur? i ut alios pati deceani; nati sunt in excniplar. Pu!a itaqne Ueum dicere : • Quid h.ilielis, ipiod de me qucri possitis vos, quibus recta ptacuerunl?iVliis lii>na fal.sa circumdedi, et aniinos inanes velul longo riiltacique somnio lusi; auro illes, argenté et elwrc ornavi; intus Iwui nihil est. Isli, quus pro felicibus aspicitis , si mm , ijua occurriinl , sed qiia latent, videritis, luiseri sunt, sordidi, turpes,ud timililudineni parietum suoruni extiinsecusculti. Non est ista solida cl sinccra félicitas ; criisla est , et quideni te- nnis. lUiqiie duin illis licet stare, et ad arbitriunisuuiniis- 15G SÉNÈQUE. se raoïilrersous leur point de vue , ils brillent, ils en iijiposejU; mais arrive quelque chose qui les dérange, qui les démasque; alors se découvre dans toute sa nudité la profonde souillure que ca- chait cet éclat emprunté. Les biens que je vous ai donnés sont réels et durables. Plus vous les exa- minerez, plus vous les retournerez sous toutes leurs faces , plus vous les trouverez grands et pré- cieux. Je vous ai accordé de mépriser ce qu'on re- doute, de ne pas tenir compte de ce qu'on désire. Votre éclat n'est pas extérieur : tous vos biens sont renfermés au fond de l'âme. Ainsi le monde dé- daigne ce qui est hors de lui, heureux desecon- (empler lui-même. J'ai placé tous vos biens au-de- dans de vous ; votre bonheur est de n'avoir pas besoin de bonheur. «Mais il survient des afflictions, «l'affreux revers, de rudes épreuves. « Comme je ne pouvais vous y soustraire, j'ai armé vos cœurs: souffrez courageusement; c'est par Ta que vous pouvez surpasser Dieu même. Il est hors des at- teintes du mal , vous au-dessus de ses atteintes. Méprisez la pauvreté; nul ne vit aussi pauvre qu'il est né ; méprisez la douleur; elle finira, ou vous (inirez : méprisez la fortune ;jene lui ai donné aucun trait qui porte à l'âme : méprisez la mort; ce n'estqu'uncfin ou une transformation. J'ai surtout [)ris garde a ce que nul ne pût vous retenir nialgié vous ; la poile est ouverte : si vous ne voulez com- battre , vous pouvez fuir. Aussi entre toutes les né- cessités auxquelles je vous ai soumis, il n'eu est pas que j'aie rendue plus facile que la mort; j'ai placé la vie sur une pente rapide; elle se préci- pite. Regardez un peu , et vous verrez combien est courte et facile la voie qui conduit à la liberté. Je ne vous ai pas créé autant de difûcultés pour sortir de la vie que pour y entrer; autrement la fortune aurait eu sur vous un grand empire, s'il fallait à l'homme le même temps pour mourir que pour naître. Que tous les âges, que tous les lieux vous enseignent combien il est facile de di- vorcer avec la nature , et de lui renvoyer son pré- sent. Au pied même des autels, au milieu des so- lennels sacrifices, des prières pour la vie, étudiez la mort. Les corps vigoureux des taureaux suc- combent a une petite blessure; et la force de ces animaux puissants est abattue d'un coup de la main de l'homme. Un fer mince sépare les articu- lations des vertèbres, et lorsque ces liens qui unis- sent le cou a la tête ont été tranchés, ces masses énormes tombent. La vie ne se cache pas profon- dément ; il n'est pas même besoin du glaive pour la faire sortir ; il n'est pas besoin de fouiller loin dans les entrailles, par de larges blessures. La mort est sous la main; je n'ai point fixé pour frapper un endroit circonscrit : toutes les voies sont ou- vertes. Ce qu'on appelle mourir, cet instant où lame se sépare du corps , est trop court pour qu'un mouvemeiU si rapide puisse se sentir: soit qu'un nœud vous étrangle, soit que l'eau vous suffoque, soit que la dureté du sol vous brise le crâne, quand vous vous précipitez, soit que le feu que vous avalez ' interrompe le cours de votre res- piration refoulée, quoi que ce soit, cela passe vile, lîh quoi! balancez-vous? craindrez-vous si long- temps ce qui dure si peu'? » ' Allusion à la incrt de Porcia. leodi, ni(onl et imponunt : qiuim aliqu'd incidit, quod dis- turbel ac detcgat, tuncapparet.quaiitunialtaBacviTa; fœ- ditatis alienus spkndor absconderit. Vobis dedi bona cerla, inansura ; <|uaiito niagis vcrsaveritis, ctuudic|ue inspexe- rilis, melioia iiiajoraque. Pcrmisi vobis , mctuenda con- leinnere, cupiditates lastidire; non fuigttis cxtrinsecus; l)ona veslra inti orsus obversa sunt. Sic niiiudus exteriora contemsit. spectaculo sui la'Ius. Iiitus omneposuilmnum; non egere felicilate , felicilas veslra est. « Al mulla inci- dunt trislia , borrenda , dura toleratu ! « Quia non po!e- ram \os isti.s suliducere , animes vestros adversus oninia dvniavi. Ferle fortiter ; boc est, quo Deuin antecedatis; jlle extra patienliani nialoruni est , vos supra palicnliam. Conteninite paupertalem; neinotam paupervivit, quam natus est. Conteninite dolorein; autsoivetur, aut solvet. Conteninite fortunam ; nulluin illi telum quo feriret ani- mum, dedi. Ccintemuite niortera ; quae vos aut finit , aut transfert. Ante oinnia ca\i, ne quis vos teneret invitos ; patet exitus. Si pugnare non vultis , licet fugcie. Ideo- que ex oninilius rébus, quas esse vobis necessarias volui , nihil feci facilius, quam mori. Prono aniniani loco posui; îrRhilur. Atlendite modo , et videbitis, quam brevis ad liliertatem , et quam expedita ducat via. Non tam longas iu exitu voIhs, quam intrantilius, moras posui ; alioqui inagunin in vus re^num lorluua tenuisset, si hcmo tam tarde niorerclnr , (pi mi nascitur. Omne tenipus , ornais vos locus doceat, quam facile sil rmuntiare aalurs, et ninnus suum illiini|)iiigere. Interipsa altaria et solemnes sacrifMîantinm rilus, dum optatur vita, morlein condis- cite. Corporaopima taurorum exiguo concidunt vulnere, et luaguaruni virium animalia huniana* nianus ictus ira- pellil ; tenui ferro coinmissura cervicis abrumpitur; et quum articulus ille, qui caput collumque conneclit, iu- cisus est , tanta illa moles corruit. Non in alto latet spiri- 1ns, nec ntique ferro eruendusest; non sunt vulnere im- piesso penitus scrnlanda prœcordia; in proximo mors est. ÎSoncerlum ad hos ictus destina\i locnm; quacunqae pervium est. Ipsum illud quod vocatur mori , quo anima discedit a coipore , brevius est , cjuam ut sentiri tanta ve- locitas possit. Sive fanées uodus elisit; sive spirameutum aqua pi'a"clusil; siie in caput lapsos subiacentis soli du- ritia coniininuit; sive baustus ignis cnrsum auiniie re> meanlis inlerscidit ; quidquid est, properat. Ecquid en»- bescitisf quod tam cito Gt, timetis diu7> 81S80C;S-78SG88880S0S88SS8C0SQS8888t »88888 DES BIENFAITS. LIVRE PREMIER. I. Dans la foule des erreurs diverses où nous eotraîne une vie d'irréflexion et de hasard , nulle n'est peut-être plus ràchcuse, mon chcrLibéralis, que de ne savoir ni donner, ni recevoir. En effet des services mal placés sont nécessairement mal payés. S'ils sont méconnus, il sera toujours trop tard pour nous en plaindre; car ils étaient per- dus 'a l'instant qu'ils étaient rendus. H n'est donc pas étonnant qu'au nombre des plus grands vices, l'ingratitude soit le plus com- mun. J'en vois plusieurs causes. D'abord , eu donnant , nous ne faisons pas un digne choix ; mais, en dressant l'état de nos bienfaits, nous re- cherchons avec soin le patrimoine et le mobilier de l'oblige ; pour ne pas répandre nos largesses sur un sol use et stérile , nous les gaspillons au hasard , plutôt que nous ne les semons. Il me serait difficile de dire s'il est plus hon- teux le nier que de rappeler ur bienfait ; car c'est une créance de telle nature, qu'il n'en faut re- tirer que ce que le débiteur veut en rendre de son gré : y manquer, est d'autant plus vil que, pour se libérer, "a défaut de fortune, l'intention suffit. Car celui qui avoue sa dette l'a déj'a acquittée. Mais s'il y a des torts chez celui dont la reconnais- sance ne va pas même jusqu'à l'aveu , il y en a aussi de notre côté. Nous rencontrons beaucoup d'ingrats, nous en faisons davantage. On ntus sommes des importuns qui reprochons le bienfait et en exigeons l'usure, ou des hommes légers qui nous repentons bientôt de nos largesses , ou des chicaneurs qui calomnions les moindres choses. Ainsi nous corrompons toute reconnaissance, non seulement après avoir donne, mais pendant que nous donnons. Qui de nous, en effet, s'est contenté d'une prière discrète et d'un premier appel? Qui de nous, lorsqu'il prévoyait qu'on allait lui demander quel- que chose, n'a pas assombri son visage , détourné LIBER PRIMTJS. I. Inter nraltos ae varioi errores temere Tiventiam io- connilteque , nihil propemodam indignins, optime Libera- li» , dlierim , quam qnod t)eneficia nec dare scioius , nec accipere. Seqnitur enim , ut maie collata, maie debean- Inr. De qnihiu non redditis, sero querimur : ista enim perierant, quum darentur. Necmirom est, inter plurima maiimaqoe vilia nuUum e»se frequentini, quam ingrati suimi. Id evenire ex pluril)us causis video; prima, quod non eligimui digno» , quilnu tribuamus ; «ed Domina fac- turi , dlMpnnter in patrimuniuin cl vasa debitorii inquiri- mas : êeniina in solum tfffrlum et iterilenon spargimui : bénéficia sine ullo delectu magis projicimui , quam damus. Nec facile diierim , utrum turpius sit inllciari , an repe- tere beneflcium; idenim genus hujus crediti est, ri quo tanluiù reciplendum sit, quantum ultro referlur : de qno qneri vere rœdissimum ob boc ipsum , quia non opu( est ad liberandum ndem facultatibus , scd anime ; reddit enim beneflcium , qui libcnter débet. Sed quum sit in ip- sis crimen, qui ne cnnfessione quidem grati sunt, in no- bis quoque est. Multos experimur ingrates , |iliires fad- mus : quia alias graves eiprobra tores eiacteresque sumus, alias levés, et quos paulo posi muneris tui pœniteat, alias queruli , et minima momenta calumnianles. Ha grntiaiD omnem corrumpimus ; non lantum postquam dedimus bénéficia, sed dum da'mus. Quis enim nostrum contentii» fuit, aut éviter rogari, aut semel? quis non , quim «IW 158 SÉNÈQUE. ses yeux, prétexté des occupations, mis en avant des discours sans fin, prolongés a dessein pour ôter l'occasion de demander; enfin, employé raille ruses pour esquiver l'indigence qui accourait à lui? Cependant, serrés de près, nous cherchons des délais qui ne sont que des refus timides , ou nous promettons, mais de mauvaise grâce, les sourcils froncés, avec des paroles ambiguës et qui s'échappent avec peine. Or, personne ne se sent obligé pour ce qu'il n'a pas reçu , mais arraché. Peut-on être reconnais- sant envers celui qui laisse fastueusement tomber un bienfait, qui le jette avec colère, ou l'accorde de guerre lasse, pour s'épargner des ennuis'!" C'est se tromper que d'attendre un retour de celui qu'on a fatigué par des lenteurs et torturé par l'at- tente. La reconnaissance n'est obligée que dans la mesure de la bienveillance. Il ne faut donc pas donner légèrement; car on n'est débiteur qu'en- vers soi-même de ce qu'on a reçu d'un indiffé- rent. 11 ne faut pas donner tardivement; car, comme dans tout bienfait on met un grand prix à la volonté du bienfaiteur, accorder trop lard, c'est avoir refusé longtemps. Il ne faut pas donner avec insolence; car, comme il est dans la nature de l'homme que les injures se gravent plus pri. fon- dement en lui que les services, et que le bien s'ef- face vile de sa mémoire opiniâtre "a retenir le mal, que peut attendre celui qui offense en obligeant? C'est assez de reconnaissance que de lui pardon- ner son bienfait. Au reste, notre zèle à bien faire ne doit pas ê!rc ralenti par la multitude des ingrats. Car d'abord. comme je l'ai dit, nous l'augmentons nous-mêmes. Ensuite, même les dieux immortels ne se laissent pas rebuter dans leur inépuisable bienveillance , parce qu'il y a des hommes qui les outragent ou les oublient, lis suivent leur nature, et donnent 'a tous leur appui, même aux interprètes pervers de leur bienfaisance. Suivons leur exemple, aulant que le permet la faiblesse humaine. Rendons des services , ne les prêtons pas "a intérêt. On mérite d'être trompé, quand, en donnant, on songe "a re- cevoir. « Mais le bienfait a mal tourné. » Et nos femmes et nos enfants trompent souvent notre es- poir : cependant nous nous marions , nous élevons des enfants. Nous sommes si obstines contre l'ex- périence, que nous retournons aux combats après la défaite, sur les mers après le naufrage. Com- bien n'est-il pas mieux de persister dans la bien- faisance ! Qui ne donne plus , parce qu'il i.>'a pas reçu, a donné pour recevoir, et fait boune la cause des ingrats, pour qui il est surtout honteux de ne pas rendre, s'ils le doivenl. Combien sont indi- gnes de la Iu:nière! cependant le jour se lève. Combien se pla giient d'être nés 1 cependant la nature enfante des générations nouvelles, et per- met d'être 'a ceux qui voudraient n'avoir pas été. C'est le propre d'un esprit grand et généreux de ne pas poursuivre le fruit du bienfait, mais le bienfait même, et de chercher encore l'homme de bien , quoi(|u'il n'ait rencontré que des mé- chants. Où serait le mérite d'obliger beaucoup de gens, si personne ne trompait? La vertu consiste a donner : l'homme de bien ne calcule pas sur le retour, il en a aiwsitôt recueilli le fruit. L'ingra- qiiid a se peti suspicalus est, fronlem adduxit, vultum avertit, occupaiioaes siniulayit, longis scrinonibiis , et de iiidusiria non invenienlibus csilum , occasioiiem pe- tenrli abstulit , et variis artibus properaiites nécessitâtes elusil? In augusto vero coniprehensus, autdistuiit, id est, timide negavit.autpromisil, sed difficullcr, sed sub- duetis supeicilils, sed nialignis et vix exeiiiililius verbis? Nemo auteni lil)enter dcl)et, quod non accepit, sed ex- pressit. Gratus esse adfersus cuiii quis(|uam potest, qui beneOcium aut superl)e alijecit , aiit iratus impegit , aiit fatigatus 'jt moleslia careret, dédit? Errât, si quis sjhî- rat responsurum sil)i, quem dilalioue lassavit, cxs^iecla- lione toisit. Eodem animo l)eneficiuni debetur, quodalur ; etideo non est negligenter dandum. Sibi enim quisque débet, quod a ncsciente accepit. Nec tarde quidein ; quia, quumiaomni officie magiii acsiimetur dantis voluntas, qui tarde fccit, diu noluit. Utique non contumeliose. IVam quum ita natura comparatum sit, ut altius injuiix quam mérita descendant, et illa cito dtfluant, bas tenax inemoria cusiodiat : quid exspeclat qui offeudit, dum obligat? Salis adversus illuni gratus est, qui bcueQcio ejus ignoscit. INou est autemquod tàrdiores laciatad bene nie^-endum turba iogratorum. Namprimuni, ut dixi, uos illam augemus; dcinde nedeos quidem Immortalet ab bac tara effusa neccssitate jacrilegi, negligentesque eo- rum, dclerreul. Utuutur natura sua, et cuncta , interqoe illa ipsos munerum suorum raalos interprètes, jutaot. Hos sequamur duces, quantum humana imbccillitas pa- tilur : dcmus bénéficia , non teneremus. Dignus est de- cipi, qui de recipiendo cogitavit, quum daret. At si maie cessit, etliberi.et coiijuges spem fefellerunt ; tamen et educamus, et ducimus, adeoque adversus experimeoli perlinaces sumus, ul bella xicti, et naufragi maria repe- tamus. Quanto magis permanere in dandis Iwneficiis decet! quas si quis non dat quia non recipit, dédit ut re- ciperet, bonamque ingratorum facit causam, quibus turpe est non reddere , si licet. Quam mulli indigni luce sunt! ettamen dies oritur. Quam nmlti, quod nati sont, querunlur! tameu natura sobolem noiam gignit, ip- sosque qui non fuisse mallent , esse paiitur. Hoc et magni animi et boni propriuni est , non fructum beneficioruin sequi, sed ipsa; et post malos quoque bonum quaerere. Quid magnifici eratmultis prodesse , si nemo deciperel? nunc est xirtus, dare beneDcia, non utique reditura , quorum a xiro egregio statira fructus perceptus est. Adeo quidem isla res fugare nos, et pigriores ad rem puicher- DES BIENFAITS. 151) ( titudc doit si peu nous faire reculer et nous reu- drc plus froids pour une belle action . que si l'on m'olait l'espoir de rencontrer jamais un homme reconnaissant, j'aimerais mieux ne pas recevoir que de ne pas donner. Car le tort de qui ne donne pas vient avant le tort de l'ingrat. Je dirai ce que je pense. Méconnaître le don, c'est être plus coupable; ne pas donner, c'est l'être plus t«t. II. Si tu Tcux prodiguer te» bienfaits à la foule, pour eo bleu placer ua, il en Taut beaucoup perdre. Dans le premier vers tout est à reprendre : d'abord les bienfaits ne doivent pas être répandus dans la foule ; ensuite, on ne doit rien prodiguer, encore moins des bienfaits. Donnés sans discerne- ment, ce ne sont plus des bienfaits, ils peuvent prendre tout autre nom. Le sens du second est admirable en ce qu'il console de la perte de plusieurs dous par la réus- site d'un seul. Mais vois, je le prie, s'il ne serait pas plus vrai , plus convenable "a la dignité de l'homme généreux , de l'encourager aux bienfaits, quand pas un ne devrait être bien placé. Car il est faux de dire : // en faut beaucoup perdre. Aucun ne périt : qui croit perdre, avait compté gagner. Dans les bienfaits le calcul est simple. Ce n'est qu'une mise de fonds : s'il me rentre quelque chose , c'est profit; s'il ne me rentre rien, ce n'est pas une perle. J'avais donné pour donner. Personne ne tient registre de ses bienluils, pour aller, exacteur avare, assigner au jour et à l'heure. Jamais l'homme de bien n'y songe, que lorsqu'ils lui sont rappelés par celui qui les rend. Autrement le don prend la forme du prêt. C'est une usure honteuse, que de porter ses bienfaits en dépense Quel que soit le sort de tes premières largesses, persiste à en faire d'autres : elles seront mieux placées chez des ingrats, que la honte, l'occasion, l'exemple pourront un jour faire reconnaissants. Ne te lasse pas : poursuis ton «euvre , remplis ton rôle d'homme de bien. Viens en aide à tous , de ta fortune, de ton crédit, de ton renom, de tes conseils, de les préceptes salutaires. 111. Les bêtes mêmes sentent ce qu'on fait pour elles; et il n'y a pas d'animal si sauvage que nos soins ne puissent dompter et conduire a nous ai- mer. Le lion laisse manier sa gueule par son maî- tre ; le farouche éléphant se fait l'esclave obéissant de l'Indien qui le nourrit; tant une bonté assidue et persévérante triomphe même des natures qui ne peuvent avoir l'intelligence et la conscience du bienfait. Cet homme est ingrat devant un service ; devant deux il ne le sera pas. A-t-il oublié les deux? un troisième va rappeler à sa mémoire ceux mêmes qui lui sont échappés. On perd quand on pense trop tôt avoir perdu. Mais redouble, ac- cumule présents sur présents, et tu arracheras la re(xmnaissance au c«ur le plus dur et le plus oublieux. Il n'osera pas lever les yeux devant tant de largesses : de quelque côté qu'il se tourne pour échapper a ses souvenirs, qu'il te voie. As- siége-le de les bienfaits. Je dirai quelle en est la puissance, et la nature, si tu me permets de franchir d'abord ce qui n'appartient pas au sujet. Dirai je pourquoi les Grâces sont trois, pour- rimam Tacere dod débet, ut .si spes mihi prxcidatur gra- tiim bomioem reperieodi , nplim non recipere lieneGda , ((uam non dare, quia qui non dat, vitium ingrali anle- cedil. Dicani quod seuliu : qui beacQcium non reddit, Buigi] peccat, qui non dit, citius. II. Benelicta in ralgai quum largiri iostiluerii , Perdeoda aunt multa , ut Mmel ponas bene. In priore versu ulnimque reprchendas ; nam nec in vulgui efTundenda siint; et autlius rei, minime bene- Ticlorum , hunesia largitio eit , qnibus si detraierii judi- cium, desinunt esse bénéficia : in aliud quodiibet inci- dunt nomen. Sequens seosus mirificus est, qui uoo bene posito beneUcio mullornm amissarum damna solatur. Vide, oro te, ne hoc et venus sil , et magniludiui l)ene (acientis aptios , ut illnm hoilemur ad danda , etiamsi nullum bene positurus est. Illud enim faisum est, per- deoda sunt multa. ISulInm périt ; quia (jui perdit , com- putarerat. BcneDcionim simple! ratio est : tautuui ero- gatur; si redit aliquid, lucrura est : si non redit, dam- nuni non est. Ego illud dedi , ut darem ; nemo bénéficia in kaleudario scribit, nec, avarus exactor, ad boram et diem appcllat. Nunquam illa vir bonus coffi:at. nisi ad- Buioitui a reddente : alioquin in fonnaro credili transeunt. Turpis fœneralio est , beneficium expcnsura ferre. Qua- liscunque piiuruni evcntus est , persévéra in alios con- ferre;melius apud ingrates jacebunt, quos aul pudor, aut occasio, aut imitatin aliqu:indo gratos poterit effîcere. Ne cessavcris : opus tuuni pcrage, et parles boni viri exsequere. Alium re , aliuui Hde , alium gralia , alium con' silio, alium prirccplis salubribus adjuva. III. OfTicia < tiam ferae senlluut : nec ullum tam im- mansuelumanimilest, quod non cura mitiget , et inanio- rem sui vertat. Leonum ora a maglstris impune tractan- tur : elepbanloruni rerilatem usque in servile obsequiuiii dcmerelur cibus. Âdeo etiam quae extra intelleclum alquc a'stimationem beneficii sunt posita , assiduitas tamen me- riti pertinacis etiucit. Tngratus est adversus unum bene- ficium? adversus alterum non erit; duorum oblitus est? tcrtium etiam eoriim qua> eiciderunt, memoriam redu- cet. Is perdit bénéficia, (|ui cilo se perdidissc crédit. At qui instat, et onerat priora sequentibus, etiam ex duro et immemori pectorc gratiani extundit. Non audcbit ad- versus multa ocuios attoliere; quocunque se convertit ^ memoriiim suaui fugiens, ibi te videat; beneflciis tui» illum cinge. Quorum (luac vis, qua;ve proprietas sit, di- caip, si prius illa, qua; ad rem non pertinent, transllir» mibi permi cris, quarc tics Gratis, et quare sorure» 1M quoi elles sont sœurs, pourquoi leurs mains sont entrelacées, pourquoi elles sont riantes, jeunes et vierges , avec leurs robes détachées et trans- parentes? Les uns prétendent qu'elles figwent, l'une, le bienfait donné ; l'autre, le bienfait reçu; la troisième , le bienfait rendu. D'autres, qu'elles représentent trois sortes de bienfaits : le bienfait de ceux qui donnent, de ceux qui rendent, et de ceux qui a la fois reçoivent et rendent. Mais quel- qu'opinion que je suive , que me sert cette vaine science ? Que signifient ces mains entrelacées , ce cercle de jeunes filles qui se replient sur elles- mêmes? C'est qu'il y a enchaînement dans les bien- faits qui , passant de main en main , reviennent toujours a celui qui donne. Le prestige est détruit lorsqu'il y a solution : tout le charme est dans la liaison et la continuité. Elles sont riantes , parce que c'est le dehors de ceux qui rendent service, parce que tels se montrent d'ordinaire ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Elles sont jeunes, parce que la mémoire des bienfaits ne doit pas vieillir. Elles sont vierges , parce que les bien- faits sont purs, sincères et sacrés pour tout le monde : ils doivent être libres de toute contrainte, de tout lien; voilà pourquoi les robes sont déta- chées; elles sont transparentes, parce que les bienfaits veulent être aperçus. S'il est quelqu'un assez esclave des poètes grecs pour juger ces allégories nécessaires, au moins n'y aura-l-il personne qui attache un sens sérieux aux noms qu'flésiode a donnés aux Grâces. Il appelle l'aînée Agiaé, la seconde Euphrosine, la troi- sième Thalie. Chacun interprète ces noms, les SENEQCt:. plie à son système et se tourmente "a leur trou- ver un sens; tandis que le poète a donné à sa création le nom qu'il a voulu. Aussi Homère l'a- t-il changé pour une qu'il appelle Pasitlica, et il l'a mariée , afin que nous sachions que ce ne sont pas des Vestales. Je trouverai un autre poêle qui attachera leur ceinture et brodera d'or leurs robes phrygiennes. Quelquefois Mercure est avec elles, non parce que la parole donne du prix au bienfait, mais parce que tel a été le caprice du peintre. Chrysippe lui-même, cet esprit subtil qui perce j usqu'aux dernières profondeurs de la yérité, dont les paroles sont toujours pleines de choses, et qui n'emploie jamais que les mots nécessaires pour être compris, a cependant rempli tout son livre de ces inepties ; en sorte qu'il dit fort peu de chose sur la manière de donner , de recevoir ou de rendre , et entremêle non des fables à ses préceptes , mais des préceptes à ses fables. Car , outre celles que transcrit Hécaton , Chrysippe ajoute que les trois Grâces sont tilles de Jupiter et d'Eurynome; moins âgées que les Heures, mais plus belles; et c'est la raison qui les a fait donner pour compagnes 'a Vénus. Il juge aussi que le nom de la mère importe au sujet. Ob l'appelle Eurynome, parce que c'est le fait'd'one maternité féconde de distribuer ses bienfaits; comme si c'était l'usage de nommer les mères après les filles, comme si les poètes rappelaient les véritables noms. De même qu'aux nouiencla- teurs l'effronterie lient lieu de mémoire, et qu'ils forgent les noms qu'ils ne retiennent pas, de même les poètes ne se croient pas obligés "a dire vrai ; sint.et quaremanibus impleiis, quare i identes , juve- nes , et yirgines , solutaque ac pellucida veste. Alii quidem viderl Tolunt unam esse, quae det beneficium; alterara, quae accipiat ; tertiam, qua; reddat. Alii tria bcneficioruni gênera , promerentium , reddcntlum, siraul et accipien- tiura reddentianique. Sed ulrumlibel ex islis judicaverim : quid ista nos juvat scienlia? Quid ille consertis nianibus in se redeuntium chorus? Ob hoc, quia ordo beneficii per luanus transeuntis nihilominusad dantcni revertitur, et tolius speciem perdit , si usquam intcrruptus est ; pul- cberrinms , si cobit, et vices servat. Ideo ridenles ; est aliqua tamcn majorisdignalio, sicut promerenliuin. Vul- tus hilares sunt , (|uales suleiit esse qui dant , vel accipiuut bénéficia. Juvenes : quia non débet t>eneficiorum niemo- ria senesccrc. Virgines : quia incoirupta sunt , et sincera, et omnibus sancta , in quibus nihil esse alligati decet, nec adscripli ; solutis itaque tunicis utuutur ; pellucidis au- tem, quia bénéficia coospici volunt. Sit aliquis usquc eo Grxcis emancipatus, ut hxc dicat necessaria : nemo ta- men erit, qui etiam illud ad rem judicet pertinere, quaî nomina illis Hesiodus imposuerit . Agiaian maximam natu appellarit, mediam Eupbrosynen, tertiam Thalian. HO' rum nominum interpretationem, et prout cuique visum est, deflectit , et ad ratioaeni aliquam couatur perducere ; quum Uesiodus puellis suis , quod voluit , nomen impo- suerit. Itaque Honierus uni mutaTit, Pasitbean appella- Tit , et in matrimonium produxit , ut scias ilias Vestales non esse. luTeniain alium poctam , apud quem pr^cin- gantur, et spissisauroPhrygianis prodeant. Ergoet Mer- curius una slat : non quia bénéficia ratio commendat vel oratio , sed quia pictori ita visum est. Chrysippus quo- que, pênes quem subtile illud acumen est, et in imam penetrans veritatem, qui rei agenda; causa loquitur.. et verbis non ultra, quam ad inicllectum satis est,utitur, totum librum suum bis inepliis replet ; ita ut de ratiooe dandi , accipiendi , reddendique beneficii paura admodum dicat , nec bis fabulas , sed baec fabulis inseril. Tinm pra*- ter isia quas Hecaton transcribit , très Chrysippus Gratias ait Jovis et Eurynouies filias esse ; setate autem minorea quam Horas, sed meliuscula facie, et ideo Veneri datas comités. Matris quoque nomen ad rem judicat pertinere. Eurynomen enimdictam, quia late patentis matrimonii sit, l)eneficia diïidcre; tanquam matri post filias soleat nomen imponi , aut poetae vera nomina reddant. Quem- admodum nomenclatori memorix loco andacia est , et cuicumque nomen non potest reddere, imponil ; ita poeta; non putant ad rem pertinere, vemm dicere, sed aut necessitate coacti , aut décore coriiipli , id quaeque DliS BIENFAITS. i41 mais eutravcs parla mesure, séduits par l'har- monie, ils imposent ù tout le nom qui va le mieux à leur vers. Et ou ne leur fait pas un crime d'a- jouter un nouveau nom à la liste. Car le premier {■ poète venu après eux peut y substituer ceux que hon lui semble. Cela est si vrai, que voUiiTbalie, dont on parle tant, qui est une Grâce dans Hé- siode, dans Homère uue Muse. IV. Mais, pour ne pas faire ce que je blâme, j'abandonne des discussious qui sont tellement Lors du sujet, qu'elles ne le toucbent même pas. Défends-moi néanmoins, si on me reproche d'a- voir rappelé à l'ordre Chrysippe, grand homme, certes, mais Grec pourtant, dont le trait trop acéré s'émousse , ploie souvent sur lui-mfme , et , lors- qu'il paraît frapper, pique et ne pénètre pas. Or, à quoi bon tant de finesse? Il s'agit des bienfaits; r il s'agit de régler la chose qui fait le lien le plus * solide de la société ; de donner des lois a la con- duite, afln que, sous les dehors de la bonté, nous ne soyons pas séduits par une facilité irréfléchie, et que la méthode ne dessèche pas, en la modérant, cette libéralité qui ne doit ni tarir, ni débor- der; il s'agit d'enseigner aux hommes à rendre volontiers ce qu'ils out reçu volontiers, et de leur proposer un généreux combat où ils puis- sent non-seulement égaler leurs bienfaiteurs, de cœur et d'action, mais les surpasser encore. Car, en fait de reconnaissance, qui ne dépasse pas n'atteint pas. Eufin il faut enseigner aux uns a ne rien faire valoir, aux autres à devoir plus qu'ils n'ont reçu. Pour nous exhorter 'a cette noble rivalité, a celte victoire des bienfaits sur les bienfaits, Chrysippe nous dit que , comme les Grâces sont nées de Ju- piter, il faut craindre que l'ingratitude ne soit un sacrilège et un outrage pour de si belles filles. Ap- prends-moi donc un peu comment je puis devenir plus bienfaisant, plus reconnaissant des bienfaits, comment luttent les cœurs de l'obligé et de celui qui oblige, lun pour oublier qu'il adonné, l'autre pour se souvenir toujours qu'il a reçu. Quant à ces inepties, laissons les aux poètes, qui ne veulent que charmer l'oreille et nouer une fablerianle. Mais, pour guérir les âmes , pour maintenir la confiance dans les transactions humaines, pour graver dans les cœurs la mémoire des bienfaits, il faut parler sérieusement et rassembler ses forces, à moins d'imagiuer que des contes frivoles et allégoriques, des arguments de vieilles femmes, puissent em- pêcher la chose la plus funeste, qui serait de faire banqueroute aux bienfaits. V. Mais, puisque je néglige les superfluilés, je dois montrer qu'avant tout il nous faut appren- dre ce que nous devons en retour d'un bienfait. L'un dit qu'il doit l'argent qu'il a reçu, un autre le consulat, celui-ci le sacerdoce, celui-là une pro- vince. Et, toutefois, ce ne sont pas l'a des services, ce n'en sont que les signes. On ne peut toucher de la main un bionfait, on le porte dans le cœur. Il y a bien de la différence entre la rnalière du bieufait et le bienfait lui-même. Aussi le bienfait n'est pas l'or, ni l'argent, ni rien de ce que nous recevons du dehors; c'est la volonté du bienfai- teur. Le vulgaire remarque seulement ce qui se Tocari jalicnt , quod t)elie facit ad vrrsuin. IScr, illis fiMucii est, si aliud qiiid in reusum delultruot; proxiiiius ciiini poeta suum illa ferre nomen jul^el. Hoc ut scias i;a esse, ecce Tbiilia, de qua quum oiaiiine a|;itur, apud llesio- duni Ctiaris est, apud Homerum Musa. JV. Sed ne faciam , quiid reprebeodo, omnia ista, qua; ita extra rem sunt, ut nec circa rem quidem sini , telin- quam. Tu modo do> luere, si (|uls milii ol)jierel , quod Chrysippum ia ordinem coefjerim , magnum iiitherciilo «irum, led tamen Grxcum, cujus acuraen nimis tenue relundilur , et in se sispe replicalur : eliani quum apere allqnid Tidetur, pungjt, non perforai. Hoc vero quod acumen e>t ? De beneflciis dicendum est , et ordiiianda res, que maiime socielatem hunianam alligat : danda lei vita<, ne sub specie bcnignitatis inconsulta facilitas pla- ccat ; ne lil>eralitalem , quam nec déesse oportet , nec su- perfluere, bxc ipsa observatio restringal, dum tempérât : dotendi suatlil>enter accipcre , lil-entcr redderc , et mag- num ipsis certamen pro|>onere , eot quibus obligali sunt, re animoque non tantum xcjuare , sed vinccre : quia , qui referre gratiam delMït , nunquam consequilur, niil prx- cessil, hi docendi sunt nibil imputare : illi plus debere. Ad banc buneslissimam cootentionem , beneflciis bene- llria vincendi, sic nos adhortalnr Chrysippus, utdical, lereiidum etse, ne , qui i Charitc: Jovis flllir sunt, parum se grale gercre, sacrilegium sit, et tam bellis puellis fi.it injuria. Tu me aliqnid corum duce, pcr qux bcneGceti- lior, gratiorquf adver^us i-.ene raereiiles fiam , per qua; obUgantiiim, obligati>runii|ue animi certent, ut qui pra*- stiterint,obliviscantur, pertinai sit memoria debentium. IslîE vero incplia; poelis relinqu.intur , quibus aures oblectare proposiium est , et dulcem fabulam neclere. At qui ingénia sanaïc, et fidem in rébus humanis retincre , memiiriam offlciorum ingerere animis voinnt, serio lo- quantur, et magnis viribus agant : nisi forte eiiilimas , leri ac fabuloso sermjne, et anilibus argumentis, prohi- beri posse rem perniciosissimam , beneficiorum novas ta- bulas. V. Sed quemadmodum supervacua transcurram , ila eiponam neccsse est, boc primum nobis esse discendum quid accepte brneficio delwanms. Debere enini dicit se at us pecuniam quam accepil, alius consulatum, alius saccrdotium, alius provinciam. Isti autem sunt merlto- rum signa, non mérita, ^on potest t>euencium manu tangi; res animo gerilnr. Mullum interest inter male- riani l)encncii , et Ijencflcium ; itaque nec aurura , nec argentum , nec quidquam eorum quae a proiimis acci- piunlnr , beneficium est , sed ipsa tribuentis voluntai ; imperili autem Si , quod oculis locurrit , et quod traditur possidelur(|ue , solum notant; contra, illud quod in re *42 SÉNÈQUE. voit, ce qui se manie, ce qui se possède : au con- traire, ce qui a du prix , de la valeur en soi, il en fait peu de cas. Les objets que nous louchons, que nous voyons, auxquels s'acharne notre cupidité, sont périssables ; le sort ou l'injustice peut nous les enlever. La bonne action survit au don. Une chose bien faite est une chose qu'aucune puissance ne peut anéantir. J'ai racheté mon ami des pira- tes ; un autre ennemi le prend et le jette en pri- son ; il n'a pas détruit mon bienfait ; il en a em- pêché la jouissance. J'en ai arraché au naufrage, j'en ai sauvé du feu, qui depuis ont été enlevés par la maladie ou quelque funeste hasard. Ce que j'ai fait pour eux subsiste même sans eux. Ainsi toutes ces choses, qui usurpent faussement le nom de bienfait, ne sont que des moyens par lesquels se montre une volonté amie. 11 arrive en bien d'au- tres occasions que la chose soit ici et l'apparence ailleurs. Un chef d'armée donne un collier, une couronne murale ou civique. Qu'a donc cette cou- ronne de précieux eu soi? Que sont la prélcxlc, les faisceaux, le tribunat et le char de triomphe? Rien de tout cela n'est l'honneur; ce n'en est que la marque. De même ce qui tombe sous les sens n'est pas le bienfait , ce n'en est que le signe , ce n'en est que l'empreinte. VI. Qu'est-ce donc que le bienfait? Un acte de bienveillance qui piocure de la joie 'a celui qui en est l'objet et "a celui qui en est l'auteur : c'est un acte volontaire et spontané. Ce qui importe donc n'est pas ce qui est fait, ce qui est donné, c'est l'intention; parce que le bienfait ne consiste pas dans la chose faite ou donnée, mats dans la pensée même de celui qui la donne ou la fait. La grande différence de ces deux choses se fait comprendre en ce que le bienfait est toujours bien : or, ce qui est donné ou fait n'est ni bien ni mal. C'estl'intentiou, qui granditles petites choses, donne un lustre aux plus communes , rabaisse les plus grandes, les plus évaluées. Les objets que l'on poursuit ont une nature neutre , sans caractère de bien ni de mal : tout dépend de l'intention qui les règle, les dirige, et leur impose une forme. Le bienfait n'est donc rien de ce qui se touche ; ainsi la piété n'est pas dans la graisse des victimes ou l'or dont on les charge, mais dans la droiture et la pureté du cœur. Une simple écuelle, un gâteau de froment signale la religion de l'homme de bien; et le méchant n'échappe pas à l'impiété, quoiqu'il lui; ne l'autel dans des flots de sang. \II. Si le bienfait consistait dansla chose et non dans la volonté de faire bien , la valeur de la chose fixerait toujours la valeur du bienfait; ce qui est faux : car souvent j'ai beaucoup d'obligation à celui qui me donne peu, mais avec noblesse, qui égale dans son cœur les richesses des rois, qui m'offre un faible don, mais de bon cœur; qui ou- blie sa pauvreté en voyant la mienne; qui a non- seulement la volonté , mais la passion de me ser- vir ; qui croit recevo'ir lorsqu'il donne; qui donne comme s'il était assuré de recevoir; qui reçoit comme s'il n'avait pas donne; qui saisit, qui pour- suit l'occasion d'être utile. Au contraire, le don est sans mérite, cMnmeje carum alque pretiosnm cst,parvi pcndunt. IIîpc quae (cnemus , quœ adspicimus , in quibus c.upiditas nostra haret , caduca suct ; auferre ca iiobis et forluiia , et in- juria potest : l)enericium vero, ctiain amisso eo quod da- tnm est, durai. Est enim recte fiictnra, quod irrilum jiulla vis eflicit. .\micum a jiiratis redeini : liunc alius liostis cxcepit, et in caicereni condidil; non beneficiuin , sed usum beneficii niei susiulit. Ks naufrsgio alicui rap- tos, tfl ex incendie liberos reddidi : hos vel morbus. vel aliqua fortuila injuria eripuil : manet etiam sine illis, quod in illis datum est, Oninia ilaque, quaj falsuni be- neficii nomen usurpant, ministcria suut , per quœ se vo- luntas amica esplicat. Hoc quoquo in aliis rcbus evenit , ut aliubi sit species rei , aliubi ipsa res. Inipeiator ali- nit , sed libenter, qui paupertatis suœ oWitus est . dummeam res- picit , qui non voluntatem tantum juvandi habuit , sed cupiditatem , qui accipere se putavil beneficium , qnura daret , qui dédit tanquam recepturus , rccepit tanquam non dedisset , qui occasionem , qua prodesset , et occupa- vit et quaesivit. Contra ingrata sunt , ut diii , licet re £« DES BIENFAITS 143 l'w dil, quelque grand qu'il paraisse malérielle- meul, s'il est dû h l'importunité ou à l'indiffé- rence. On accueille avec plus de reconnaissance ce qui est donne à mains ouvertes qu'à maius pleines. Ce que l'un me donne est peu ; mais il ne pouvait davantage. Ce que me donne l'autre est beaucoup; mais il a hésité, mais il a reculé, mais il gémissait de donner , mais il a donné avec faste, mais il a publié son bienfait, et sans cher- cher 'a plaire 'a celui qui recevait; ce n'est pas à moi qu'il donnait , c'est à sa vanité. VIII. Deaucoup d'amis offrant "a Socrate beau- coup de présents, chacun selon ses moyens, Es- chine, di.sciple pauvre, lui dit : t Je n'ai rien à t'offrir qui suit digne de toi, et c'est en cela seulement que je me sens pauvre. Je t'offre donc la seule chose que je possède : moi- mirae. Accueille avcs bienveillance ce présent quel qu'il soit, et songe que les autres, en te don- nant beaucoup, se sont réservé plus encore. Penses-tu donc , répondit Socrate , ne ni'avoir pas fait un beau présent; ou , par hasard, l'cs- limes-lu pende chose? J'aurai donc soin de te rendre 'a toi-raôme meilleur que je ne t'ai reçu. » Eschine, par ce don, l'emporta sur Alcibiade, dont le cœur égalait les richesses, et sur la ma- niGcence de toute l'opulente jeunesse. IX. Vois-tu comment le cœur trouve matière à libéralité, même au sein du besoin? Eschine me semble dire : Tu n'as rien gagné, fortune, 'a vou- loir que je fusse pauvre. Je trouverai néanmoins un présent digne de ce grand homme, et puisque ce ne peut être du tien, ce sera du mien. Et il I n'y a pas de quoi penser qu'il se rabaisse , parce ] qu'il se donne lui-même en paiement. L'ingénieux ; disciple trouve ainsi le moyen de se gagner Socrale. Il ne faut pas considérer la valeur de la chose, mais la valeur de celui qui donne. L'homme adroit offre un accès facile a ceux dont les désirs sont immodérés, et nourrit, par ses discours, de cou- pables espérances que ses actes doivent Iraliir. Mais j'estime encore moins cet homme aux paroles tranchantes, 'a l'air méprisant, qui provoque l'en- vie par rélala^e de sa fortune. Car on le courtise" dans son bonheur, et on le déteste; et ceux qui, s'ils pouvaient, feraient comme lui, le haïssent pour l'avoir fait. Celui'Ci se fait un jouet des femmes daulrui , non p3s en cachette , mais en public , et al)andonne la sienne aux autres. Tel est un rustre, un brutal, un homme de mauvaise compagnie, perdu d'honneurchez les matrones, quand il défend à sa femme de s'aflicher dans sa chaise et de se faire oromencr partout en évidence, invitant la multi- tude au spectacle de ses charmes. Si quelqu'un ne s'est pas distingué par une maîtresse, et ne fait pas de rentes à la femme d'un autre, les matrones l'ap- pellent un homme de rien, degoûtscommuns, un coureurde servantes. Aussi, la plus décente espèce de Ganrailles est l'adultère; et, dans le célibat du veuvage qu'on s'est fait, nul ne se donne une épouse, s'il ne l'enlève. Ce qu'on a pris on le dis- sipe avec ardeur , ce qu'on a dissipé on le reprend, on le ramasse avec la mcme avarice ; on ne tient compte de rien ; ou méprise la pauvreté dans au- trui, on la redoute pour soi plus que tout autre mal ; on trouble, on violente les gens pacifiques ; sppde ma^a Tideantur , qus danti sut eitorquentur , ant eicidunt , multnque gravius Teiiit, quod n^cili , quant qnod plena manu datur ; eiiguum est quod in me cou- tulil , M>d amplius non poluit. At liic quod di-dit, mag- num est : led duliitavil , si'd dislntit , i possim , iuvcnio.el boc uno modo pauperem me esscscntio. IlaqOc dono libi quod ununi huleo , me ipsuni. Hoc niunus rogo qu.lc- cnnque est, Ixini cousulas, cngilcsquc alios, quum multum Ulii darent, plus slhi reliquisse. t Cul Socniti-s : • Quid- nilu, inquit , mihi magoum munus dcdcris, nisi forte panro te scstimas? IIal>ebo ilaqae cura>, ut te meliorcm libi rcddam quam accepi. t VIcit Kscbines hoc niuucre Alcil)iadis parcm divitiis anlmuni , et umnem junenum opulcntorum muniOcentiam. IX. Vides (juomodo animas inveniat liberalitatis mate- riam , otiam inler angusti.is7 Videtur mihi diiisse ; rSibil egisti fortuna , quod me |)auperem esse vohiisti ; eipe- dtaiD DihilominDi dignum buic nro munus ; et quia de tuo non possum , de mec dabo. iNeqne est quod eiisti- lues, illum vilem sibi fuisse, qui pretium se sui fecit : in:;eniene6cia danda sint. et quemadmodum. Primo demus necessaria , deinde uti- lia , deinde jucunda , utique mansura. Incipiendum est uulem a nccessariis; aliter enim ad animam perrenit , quod vitam conlinet, aliter, quod exornat , aul insti uit. DES BIENFAITS. U5 On peut faire le dédaigneux sur un bien dont on se passerait facilement, dont onpcutdire : Reprends, je n'en ai pas besoin ; ce que j'ai nie suffit : dans ce cas, ce qu'on rend, on le rejetterait avec in- différence. Des choses nécessaires , les unes tien- nent le premier rang , celles sans les(juelles nous ne pouvons pas vivre; les autres, le second, sans lesquelles nous nedevons pas vivre; quelques-unes, le troisième , sans lesquelles nous ne voulons pas vivre. Parmi les premières, il faut ranger le bon- heur d'être arracbc aux mains de l'ennemi , aux colères des tyrans , à la proscription et aux autres périls, si imprévus et si divers qui assiègent la vin humaine. Plus le malheur que nous aurons dé- tourné d'un bomme sera cruel et terrible, plus nous aurons engagé sa reconnaissance. Car on se rappelle la grandeur du mal dont on a été délivré; et la crainte passée fait le charme du bienfait. Cependant nous ne devons pas différer le salut d'un homme, pour que la crainte donne plus de prix h notre service. Viennent ensuite les biens sans lesquels, il est vrai, nous pouvons vivre; mais d'une vie pire(|ue la mort; comme la liberté, l'honneur, la bonne conscience. Au troisième rang nous placerons les objets que l'alfeclion, la pa- renté, l'uiiage et une longue habitude nous ont rendus cliers, comme nos enfants, nos é|M)uses, nos pénates et autres biens auxquels l'esprit s'est tellement identiUé . c|uc la sé|)aratiou lui parait plus cruelle que la mort. Suivent les choses utiles dont la matière est abondante et variée. Ainsi , une fortune raisonna- ble, sufli-ante "a des désirs modérés ; ainsi les ti- tres et les promotions h de beaux emplois. Car te qu'il y a de plus utile, c'est d'être utileà soi-même. Quant aux autres choses, elles sont de surcroît et ne font que rendre sensuel. Nous devons, eu offrant celles-là , leur donner le mérite de l'h- propos : par exemple que ce ne soient pas choses communes ; mais qu'elles aient toujours été rares oii qu'elles le soient de notre temps : si elles n'ont point de valeur par elles-mêmes, qu'elles en em- pruntent aux lieux etau\ circonstances. Cherchons^ quelles offres peu\ent le mieux plaire, quels pré- sents devront frapper le plus souvent la vue du possesseur, alinqueceluiquilcsa rcçuscroie tou- jours nous voir en les voyant. Craignons dans tous les cas d'envoyer des cadeaux inutiles, comme di s armes de chasse 'a une femme , "a un vieillard, de.s livres "a un paysan, des lilcts à un homme d'étude et de lettres. D'un autre côté, prenons également garde qu'en voulant flatter le goût , nous ne seni- blions faire allusion à quelque défaut; en en- voyant , par exemple , des vins 'a un buveur, des médicaments ii un valétudinaire. Toute chose qui porte la marque des faiblesses de celui qui la reçoit, devient une épigraninie, et n'est plus un présent. XII. Si nous avons le choix, donnons de pré- férence des choses de durée, aliu que nos dons soient le moins qu'il se peut périssables. Car il n'est guère d'hommes assez reconnaissants pour songer u ce qu'ils ont reçu, «luand ils ne le voient plus : au lieu que même les ingrats retrou- vent la mémoire avec le don : tant qu'il est sous les yeux, il ne se laisse pas oublier; mais sans cesse il rappelle et représenle son auteur. Il est Potett in eu aliqnis faslidlosus esse o-siiiiiatiir , quu rjcile raritarus est , de (juo ilicerc lied: lltcipc , um disi- dero; uieo coniciilus suin. Inlcriiii non rcijdcre taii;uin libet quod accoperis, sed alijicero. Ei tiisqua; iicccssa- ria suiit , quainius graliam. Subit enim ciigilalio, quaniis tint libérait malisj et lenocinium est muocris , antcce- dcns metos. >"ec tamen idée debenius tardius queiuquam «Tvare, quam possumns, ut nmncri nostro limor ini- ponat piindui. Proiima ab liis «unt, sine quibiis possu mus quidem Tivcre , «ed ut mors polior sit : tani|uaiD lllM-rlas , cl pudicilia , et mens bona. Post bic h .Iwbimns conjunctione , ac sanguine, unique, et consuetudine lon- ga, cara ; m lil)eros, conjuges, pénates, ccicraque , qua" usc|ue eo aniinu» ritn applicnit , ut ab illis , quam a *ila ditelli gravius eiislimet. Subseqauntur utilia , quo- rum varia et lala materia est. Hic crit pccunla non sii- perllni'n!>, sed ad santinunudiiin lial.eudi para'.a : liic erit iiuiior , et processus ad aliiorn lendcutluiii ; ucc enini iililius quidijuain est . ([uain .sibi ut!!eni fiiri. Jani cèlera CI abund.inli veniuiit . delicalos factura. Inbisscquc- niur, ut opporiuniliile prala biiit , ut non vulgaria, qua'- que aut pauci liabuerini, aut pauci in:ra banc .itateni , aut liDC ni(KJo ; qux etianisi naliira prctiosa non snnt , tenipore aut loco Haut. VidCiinius qiild olilaluni niaviiiie voluplali futuruin sit , qiiid Irequenter occur.sniiini ba- benti; ut lot es nol)i>cinii, (luoliesciini illo sil. L'Iiqne ea- vol)inuis , ne muni la .supervaeiia nii!l.inins ; ni feniiiia- aut .seui arma venatoria , aul rus:ico liiiro-, aut stiidiis ac tllteiis deiiilo rctl:i. /Iv;uc exconirario liieuiiispicie- mus, ne, dum prata nii li re voliiiiuis, huiini ciiicjui- niorlHini expr>,l)ratura niitlamu.s ; s.iciit cbrios,) \ina . e! valetudinario medicamenla. Maledlcinni ciiini incipil e»»e, ni>n munus. in quo vitiuni acripientii a;!»(isciiur. XII. Si ailnlriiini dandi pênes nos est , pia'Cipuc niau- sura qua.'reniu.s , ut quam minime niortalc munus sit. Pauci eiiini sunt tani grali, ut quod acceiwiiiil , eliamsi non vident, cogilent. Ingralisquoquemcmoria cum ipso munere incurrit , ubi anle oculos est , et oldivisci sni non sinit, sed auctorem suum iugerit et iiiciilra'. K i iiiiiJcm M 146 SÉNÈQUE. d'autant plus important de choisir des présents durables, qu'on ne doit jamais avertir la recon- naissance : il faut que les choses elles-mêmes ré- veillent sa mémoire qui s'éteint. Je donnerai plus volontiers de l'argenterie que de l'argent, des statues que des étoffes, et tout ce qui bientôt se détériore "a l'user. Chez fort peu d'hommes la re- connaissance survit au présent. Il y en a bien davantage qui mesurent la durée de la reconnais- sance sur la durée de la chose. C'est pourquoi je ne veux pas, autant que faire se peut, que mon présent se consomme; qu'il subsiste, qu'il fasse corps avec mon ami , et qu'ils vivent ensemble. Personne n'est si irréfléchi qu'il le faille aver- tir de n'envoyer ni des gladiateurs ni des ani- maux après le spectacle; non plus que des vê- lements d'été au cœur de l'hiver, des vêtements d'hiver 'a la canicule. Que le bon sens dirige nos largesses; ayons égard aux temps, aux lieux, aux personnes; car les circonstances font ou dé- truisent tout le charme d'un bienfait. Je serai bien mieux agréé si je donne 'a quelqu'un ce qu'il n'a point, que ce dont il regorge; ce qu'il a cherché longtemps sans le trouver, que ce qu'il voit par- tout. Dans un présent ce n'est |)as tant la magnifi- cence que l'on considère, que la rareté ou une certaine recherche qui le fasse trouver 'a sa place même chez le riche. Ainsi les fruits les plus ordi- naires, dédaignes quelques jours plus lard, flat- teront dans leur primeur. Nous verrons aussi recevoir avec plaisir ce que nul autre n'aura donné, ou ce que nous n'aurons donné a nul autre. XIII. Lorsqu'Alexandre de MacédoiDO, vain- queur de l'Orient, se plaçait, dans son orgueil, au-dessus de l'humanité, les Corinthiens lui en- voyèrent des députés pour le complimenter, et lui offrir chez eux le droit de cité. Alexandre riant de ce genre d'hommage, « Nous n'avons jamais, reprit l'un d'eux, accorde la cité qu'a Hercule et "a toi. » Alors il reçut volontiers un honneur qui n'était pas avili, et comblant les députés d'invita- tions et d'autres man|ues d'égards, ne songea plus "a ceux qui lui donnaient le droit de cité, mais à qui ils 1 avaient donné. Un homme passionné pour la gloire, sans en connaître ni la nature, ni les li- mites , marchant sur les traces d'Hercule et de Bacchus , et ne s'arrêtanl pas même où il ne les trouvait plus, oublia les auteurs du don pour le Dieu avec lequel il le partageait, comme si, parce qu'on le plaçait près d'Hercule , il occupait déjà le ciel, auquel aspirait s:in âme orgueilleuse. Qu'a- vait il donc de commun aveclui , ce jeune insensé, qui n'eut d'autre mérite qu'une heureuse témé- rité? Hercule ne vainquit jamais pour lui-même. 11 lit le tour du monde, non pour le conquérir, mais pour l'affranchir. Et qu'avail-il besoin de conquêtes, cet ennemi des méchants, ce protec- teur des bons , ce pacificateur de la terre et de la mer? Mais lui, brigand dès l'enfance, destructeur des nations , fléau de ses amis autant que de ses ennemis, estimait comme souverain bien d'être la terreur des hommes , oubliant que non-seule- racnt les monstres les plus fiers , mais les ani- maux les plus lâches se font craindre par leur veuin. XIV. Mais revenons ii notre sujet. Le bien que niagis duratura quanramus , quia niinqiiani adiiionerc de- bemus : ips» res evancscenlcm memoriam excitent. Li- bentius donal)0 argcntum factura , (luam signatum ; li- benlius statuas , quam vcstem , et quod usus brevis de- tcrat. Apud paucos post rem manet gralia : plurcs sunt, apnd quos non diutius in animo sunt donala , quam in usu. Ergo si ficri polest , consumi niunus meum nolo ; eïslet, liasreat amico nieo, conTivat. Ncmo tum stuUus est , ut niouendus sit , ne oui gladlatnros aut venationcm jam nmnerc cdiio niittat, et veslinicnta a'sliva brunia , hitierna .'sols'.itio. Sit in beneCcio sinsus conimunis; tem- pns , locum , personas oliscrvet ; quia niomenlis qua;- dam prata et ingrata sunt. Quanto acccptius est.siid danuis, quod quis non haliet, quani cujus copia abundal? quod diu quarit, ncc invenit, quam quod ubique visu- rus est! Muuera non lam pretiosa, quam rara tt esqui- sita sint, qua; eliam apud divitera sui loccmi faciant : si- cut grcgalia quoque poma , etiam post paucos dies Kura ia fastidium, dcli étant, si provenere niaturius. Illa quo- que noueruntsine bonore, qux aut nenio illis alius dédit aut Dosnulli alii. XI H. .\lexandro Maecdoni , quum victor Orieutis animos supra humana tolleret, Corintbii per legalos gratulati sunt, et civitalc illum sua donaveruat. Qaum risisset Alesander hoc ofRcii genus, unus ex legatis. iSnlII , inquit, civilatem uuquam dedimus alii, quant tibi etlIerculi.Libcns accepit delatum bonorem, et léga- les inTitationc attaque bumanitalc prnsecutus, cogilavit, non qui sibi civitalcm darent, scd oui dédissent. Et homo gloriae dcdilus, cujus ncc naturam nec niodiim norerat, llcrculis Lil)eri(iue vcstipia sequens, ac ne ibi quidem rcsistens, ubi illa dcfoceranl , ad socium honoris sui res- pexit a danlibus ; tanquam ca'lum , quod mente vanis- sima compleclebalnr , lenerct, quia Hercuii aquabatur. Qnid enim illi similc habcbat vesanus adolescens , cui pro virlule erat fdiï tenieritas ? Hercules niliil sibi vieil; orbeni ternirnm Irans vit, non concupiscendo, scd vin- dicando. Quid vincerct malorum hostis, bonorum vin- des.teiTarnm marisque pacator? At bic a pueritia la- tro, gcntiunique vastator, lam hoslium (>ernicies , quam amicorum, qui summum bonum duceret, lerrori esse cunclis mortalibns , oblitus , non ferocissima tantum , sed ignavissima quoque animslia timeri , ob virus nialum. XIV. Ad proposituni nunc icvcriamur. Beoericium DtS BIEiNFAlTS. H7 l'on offre à tout venant ne Qatte personne. .Nul ne se croit l'hôte d'un aubergiste , d'un cabaretier , ou le convive de celui qui donne un repas public : caron peut dire : Qu'a-t-il fait pour moi? ce qu'il i^it pour tout autre , pour un inconnu , un bate- leur, un infâme. Est-ce par estime qu'il me con- vie? nullement : c'est pour obéir h sa manie. Si lu désires que je prise tes dons, ne les prodisue pas. Qui voudrait , pour des cboses banales , se charger d'une obligation? Qu'on n'aille pas en conclure que je veuille en- chaîner la libéralité , et l'emprisonner dans des liens trop étroits. Qu'elle soit donc libre dans ses mouvements : qu'elle marche; mais qu'elle ne s'é- gare pas. On peut donner de manière que celui qui reçoit, même avec beaucoup d'autres, ne se croie pas con- fondu dans la foule. Qu'il n'y ait ficrsonne qui ne croio, 'a quelque marque dislinctive, qu'on lui ii fait une faveur spéciale. Qu'il puisse dire : Il m'a dounc demêmequ'àun tel;maiss[>onlauément:il m'a donne de môme; mais sans me faire attendre ; tandis que cet autre a été lons^lenips 'a lu gagner. D'autres ont obtenu les mômes choses ; mais |)as avec le môme ton, avec la môme grâce. Un lel a reçu en sollicitant; moi , après avoir été sollxilé. X Un tel a reçu; mais il lui était facile de rendre , mais sa vieillesse sans enfants donnait bcanconp à espérer; pour moi il m'a plus donné en me don- nant autant, puisqu'il m'a donné sans espoir de retour. Comme une coquette sait se partager entre plu- sieurs amants , de façon qu'il n'en soit pas un qui ne porte quelque gage de sa tendresse ; de môme, pour donner de l'agrément à nos bienfaits, il faut imaginer le moyen d'obliger beaucoup de monde, et cependant que chacun ail quelque chose qui le fasse croire à une préférence. Pour moi, je ne mettrai pas d'entraves aux bienfaits, dont le mérite doit augmenter en raison de leur nombre et de leur prix. Mais j'y veux du discernement; car en donnant au hasard et sans réflexion , on ne gagne le cœur do personne. Si donc quehju'un s'imagine que nous voulions, par nos précoptes, resserrer les limilos.de la bien- veillance et rétrétirsa carrière, corlos, il comprend malnosavis. Eu oflet. quelle vertu iionorons-nous davantage? à lai|Uolle donnons-nous plus d'encou- ragement? el a qui c(mvii.'nt-il mieux d'y exhor- ter les houunes qu'a nous onis liospitcni judicat, ncc couvivam dantis epulum , ul)i dici |K)t!'!.t : Quid caim jn me conlii- lit ? Nempc lioc ijuod lu illiiin, et vix bciie noliini silii , et in illum eliam mimicuni ac tiirpissimuni homiiiem.Num- quid enim me dignuiu jndicavit? miaime ; morlin suc morem gcssit. Quod voles grntum esse, taruin office; qui< paliliir sibi iuipulari? Neiiio ba^c iu liitorpi rleliir , tauqiuni reducaai lil>eralitaU'm , et Irsnis arctinribus repiimam. Ilta vero , iii quantum libet , eieat : sod cal , ;ioD erret Licet ita largiri , ut uuusquisque , ctiam bi cam muttii acceplt. in populo se esse non putct; nemo DOQ babeat aliquam familiarrm notam , per quam sprret >e propius admissum. Dlc^t : Accepi idem (juixl ilL' , sed ultro. Accepi quod illc : scd ego intra l)reve Icnipu.s, quum ille dia meruissct. Suut , qui idem habeaut , sed oon eisdem verbis datum , non cadcm comilate Iribueii- lis. Ille accepit, quum rogassct : ego , quum rogarer. Ille accepit : tei facile redeaot aliquid , quo se eetcris pra'fonuil. Ego vokp bentficiis mm objiciam moras; qoa? quo plura iiiajora(]ue fucrint, plus affciont laudis. Adsit Iniiion iiuli< iuiii ; ucquc onini cordi esse cuiquam possu[il fi.rle ac lonicro data. Qunrc si quis eù^limat nos , <|iiuni isia piioeipiMius, hc:iij.Miitalis fines in'rnrsus referre , (t illi iiiiims la\uiii lijuitcm apcrire ; n.T perperam iiionitioiKS ii(i>tras pv. udiat. Quam ciiim virlulfin magis Teueranmr? cni mafiis slinuilcis addi- mus ? quilHis\e Uni ciinvciiit ha'c adlii>riatio, quam no- bis , 50cii'tat;'m hnmani gcnciis sanoi('n;il)US? W. Quid frgo csl? Quum .••it niilla lioricsta \is animi. etiamsi a recla volunlalo iiiccpit , o'.'-i (;u;im virtiilem mndus fecit, veto lilK-ralilatcm nepoliiri. l'une juï.-it ar- cepisse bcncfioium , et supiiiis quidem mauilms, ubi il- lud ratio ad dit'nos pcrdncit : non quo libet canis et con- iilii inligens impotus diffcrl j qiiod o.stcn:arc libcl, ci inscriberc silii. Rinencia tu vocas, quorum auctorom fa- teripudcl? At illa quaiilo praliora .siint, quantO'|uo in pirlem interinrem animi nuiiquam rxilura discrnilunt , quum dcleclant Ciipitaiitem luagis, a qiio, quam quid nr- o('(cris? C.iispiis l'assieniis 5(il('li:il direre , qnnniuil::iy 10. 1« SÉNÈQUE. bicnfaileur. Crispus Passicnns disait souven tqu'il y avait des gens don t il préférait l'estime au bienfait ; d'autres, dont il préférait le bienfait 'a l'estime. Il s'appuyait d'exemples : « Du divin Auguste, di- sait-il, je préfère l'cslime; de Claude, je préfère le bienfait. » Pour moi, je pense qu'on ne doit recher- elier le bienfait d'aueun homme dont on méprise l'estime. Quoi donc? fallait-il rejeter le présentde Claude? non; mais le recevoir comme de la For- tune que l'on sait pouvoir demain nous devenir contraire. Pourquoi donc séparer des choses insé- parables? Ce n'est pas un bienfait que le don au- quel manque son jilus beau côté, le discernement de celui qui donne. Autrement une grande somme d'argent, donnée sansjugement, sans une volonté éclairée, n'est pas plus un bienfait qu'un trésor trouvé. Or, il est beaucoup de choses qu'on peut recevoir, et qui n'obligent pas. LIVRE SECOND. I. Maintenant, mon cher Libéralis, examinons, ce que j'ai omis dans le premier livre, comment il faut donner. Je crois pouvoir en iuditiuer une méthode très-simple. Donnons comme nous vou- drions qu'on nous doiniât , surtout de bon cœur, promptement, sans marchander. Un bienfait est stérile , lorsqu'on l'a retenu longtemps dans sa main, qu'on semble ne l'avoir sacrifié qu'avec peine, et comme si l'on se faisait violence a soi-même. S'il survient des relards, évitons de toute manière de paraître délibérer. L'irrésolution est (ont près du refus et n'engagea aucune reconnaissance : car, comme le charme du bienfait se trouve dans la volonté du bienfaiteur, celui qui trahit son mauvais vouloir par son hé- sitation, n'a pas donné, mais n'a pu retenir ce qu'on lui arrachait. Bien des hommes ne sont gé- néreux, que pour manquer de front. Les bienfaits plaisent d'autant mieux qu'ils sont réfléchis, qu'ils s'offrent d'eux-mêmes et sont re- lardés seulement par la discrétion de celui qui reçoit. Le premier mérite est de devancer le dé- sir ; le second, de le suivre. Il vaut encore mieux prévenir la demande. Comme, en effet, l'honnête homme en demandant, a la parole embarrassée et la rougeur sur le front, celui qui lui épargne ce supplice multiplie ses bienfaits. Un don sollicité n'est pas un don gratuit; car, ainsi que le pen- saient nos ancêtres si pleins de sagesse, rien ne coîite plus cher que ce qu'on achète par des priè- res. Les hommes seraient plus économes de vœux, s'ils devaient les faire en public ; et même en adressant aux dieux les supplications les plus ho- norables , nous préférons prier dans le silence et le secret de nos cœurs. 11. C'est un mot humiliant, qui pèse et qu'où ne prononce que le front baissé : Je vous prie. Il faut en faire grâce ù Ion ami et 'a tout homme dont tu dois gagner l'amitié par tes bienfaits. Quel que soit Ion empressement, ils viendront trop tard , s'ils viennent après la prière. Il faut donc deviner les désirs et , lorsqu'ils sont compris , af- franchir de la triste nécessité de prier. Rappelle- toi que les bienfaits les plus agréables et qui vi- se judiCÎuni malle , quam beneDcium ; quoruadam beiies (icium malle, quam judicium ; et subjiciebat exempta : Malo , aiebat. divi Aiigiisti jiidiclum ; malo Claudii be- neficium. Ego Tero nulliiis puto cspctendum e.sse bene- (icium , cujus vile judicium est. Quid orgo? Nouerai accipiciidum a Claudio quod dabatur? Erat ; sed sieiit a Fortuna.quam scires stalim posse malam fieri. Quid ergo isla inler se mixta dividimus? Non est beneficium, cui deest pars oplinia, datum e.sse judicio. Alioquin pe- cunia ingens si non ralione , nec recta volunlate don.Ua est, non magis beneficium est, quam tbcsaurus Muliasnnt aulem, quœ oportet accipere, nec debere. LIBER SECUNDUS. I. Inspiciamus, Libéralis, virorumoplime, id quod ex priore parle adliuc supercst, qncmadmo:iuni daiidum sit l)eneficiiim ; cujus rei expeditissimani videor nKinslralu- ros viiim. Sic deniiis , quomodo veltemus accipere : anle omnia libenter, cilo , sine ulla dubitalione. Ingratum est beneficium, quod diu inler manus dantis haesit, quod quis a'gre dimiltere visus est, et sic, lanquam sibi eripe- rct. Etiamsi qiiid njora; intervcnit.evitemusonmi modo, ue délibérasse Tideamur. Proiiiuus est a ncgante , qui dubitavit, nullamque iniil gratiam. Nam quam in bcne- ficio jucundissima sit Iribuentis voluntas; qui nolenteni se tribuisse ipsa cunclatione teslalus est, non dédit, sed adversus ducculemmale reiinuit Mulli aulem suDt,quos lilierales facitfrontis inriiniilas. (iralissima sunt bénéficia parala , facilia et occorreniia , ubi nulla mora fuit, nisi in accipientis veiecundia. Optimum est, antecederc deside- riumcujus(]ue; proximum ,sequi. Iilud nielius,occup;irc aniequam rogemur : quia quum honiini probo ad rogan- dum os concurrat , et suffundatur rubor, nul lioc lur- mentum reniittit, mulliplical niimus suum. Non tulit gratis , qui quum i(>j.>as.sLi , accepil. Quoniam qnidem , ut iiinjoribusiiostris, giavissimis viris, visum est, nulla res carius constat , quam (jua? precibus emla est. Vota bomi- nes parcius facerent.sipalamfaciendaessent; adeo ctiam deos , quibus boucstissime supplicamus, tacite maimniu et inira nosmetipsos precari. II. Molestum Tcrbumest , onerosum, et demisso vullu dicendura , Rogo. Hujus facienda est gratia amico , et cuicumque , qucm amicum sis promerendo faclurus. Pioperet lic«t , sero beneficium dédit, qui roganli dédit. Idée divinanda cujusque voluntas , et qunm intellecta csl, neccssilate gravissima rogandi liberanda est. Illud Itene- ficium jucundum , victurumque in anime scias , quod ob- DtS BIENFAITS. 149 vent le plus dans les cœurs, sont ceux qui vien- nent au-devaut de nous. Si nous nous sommes laissés prévenir, coupons court aux paroles du solliciteur , pour ne pas pa- raître sollicités : mais à peioo avertis , promettons aussitôt , et prouvons par notre empressement que nous eussions donné même avant qu'on nous demandât. De même que pour un malade la nourriture est salutaire par son à-propos , et qu'un peu d'eau donnée à temps peut servir de remède; ainsi quelque léger, quelque vulgaire que soit un ser- vice, s'il est prompt, s'il a été rendu sans perte d'un seul instaut, il augmente de valeur et l'em- porte en mérite sur un bien plus précieux qui ne serait que le produit tardif d'une longue réflexion. Celui qui oblige avec empressement ne laisse pas douter qu'il obl:ge de bon cœur ; aussi il oblige avec joie, et son front devient l'image de son âme. III. Quelquefois le silence ou la lenteur des pa- roles, qui contrefont la gravité et la mélancolie, gâtent les services les plus iinporlanls, puisque l'on promet de l'air dont on refuse. Combien n'esl- il pas mieux d'ajouter de bonnes paroles h de bonnes choses, et de faire valoir ce que tu donnes, par des témoignages d'bumanité et de bienveil- lance. Pour corriger quelqu'un de sou liésilnlion 'a demander, tu peux ajouter quelque reproche ami- cal : «Je t'en veux, quand tu avais besoin, de me l'avoir laissé ignorer si longtemps , d'avoir eu re- cours "a un intermédiaire. Pour moi, je me félicite de voir mettre mon cœur 'a l'épreuve : doréna- vant, ce que lu désireras rétlainc-lo comme un droit. Pour celte fois , je pardonne a ton impoli- tesse.» Ainsi lu feras estimer plus toncœurquele service, quel qu'il soit, qu'on était venu demander. C'est alors qu'il y a un grand mérite dans le don , c'est alors qu'il y a bienfaisance, quand celui qui se relire se dit en lui-même : « Ce jour est pour moi une bonne fortune ; j'aime mieux avoir ren- contré un tel homme, que si ces biens multiplié.s m'étaient arrivés par une autre voie. Jamais ma reconnaissance ne pourra égaler la bonté de sou âme. I) IV. Il y a bien des hommes qui , par leur hau- teur et la dureté de leurs paroles, font prendre en aversion leurs bienfaits , les accompagnant do propos et de manières superbes, qui font repentir de les avoir reçus. Ensuite viennent d'autres re- lards entre la promesse et l'exécution ; or, rien n'est |)lus pénible que d'être oblige de demander ce qu'on a déj'a obtenu. Les bienfaits doivent être payés d'avance : il y a |X)urlaiit des gens de qui il est plus diflicile de recevoir que d'obtenir. Il faut prier l'un de faire souvenir, l'autre de faire exécuter. C'est ainsi qu'un seul présent s'use dans beaucoup de mains, et l'auteur de la promesse perd beaucoup du mérite , qui se partage entre tous ceux qu'il faut .solliciter après lui. Donc, si tu veux qu'on attache du prix "a tes bienfaits, prends soin qu'ils arrivent à ceux i]ui en ont |.i promesse, vierges, et, comme on dit, sans dé- chet. Poiul d'intermédiaire, point de dépositaire; car nul ne peut en faisant le don en ton nom , «n tirer un mérite i|ui no diniinuc le tien. viani venil. Si non rontiiiRil pr.Tvenirc, plur.i roganlis terba inlercidamas , ne rogati vidcamiir : scd certiore> facti , «tatim promitlamus.raclurosquc nos rtiani pnte- quam interpcllaretnur, ipsa fpslinalionc approl)cnius. Quemadmodum in a'gris opportiiDitas cihi satiitaris esl , et acjiia lempestive da(a rp medii lucum olitiniiit ; ilii i|iiani- vis levé et Tulgarebeneliciiimsit , sipra-sto fuit , siproxi- mam quamquc borani non pcrdidit, mulluin sibi adjicit, gratiamque pretiosi, sed lenli et diu cogilali niuneris vincil. Qui tam parate ferit, non est dul)ium, quin li- iMTOler faciat. Itaqae laJtus facit, et induit sIbi aaimi sui vulluni. III. Ingentia quorundnm lieiicncia , silrntiutn aiil lo- quendi tarditas, imilata gravilatem et trislitiam, corru- pit, quum proniilterent tuUu neganlium. Qiianlo meliiis adjrcere bona verba rébus boDi.s , elpri ; ■ Magnum bodie jucrum fccit nialoquod illunilaleni invcni, i|uani ti nniUiplicalmii lici. ad nie alla via pciïenisset. Iluic ejus aninio iiumiuaiii pareil) referarn gialiani. • IV. Atpleriqucsunl, (pii l)eiietlcia asperitale verboru.ii et supertilio in oïliuni addnctiiil . eo seimone mi , ea mi- perbia , ut impeliassc |i(rnilial. Alla' deinde post riin pri> ■ niis.sam sequunlur nio; iP ; nihil auteni est ccerliius , quant ul)i qu(K|ue, <|Uod inipclrabti , rogandum est. Kepix'son landa suiit binelliia; qna' a qnibusdam accipercdiflici- liu.s esl, quani impelrare. Uic rogandus est, ut admo neat; ille, ut consununel.Sicununununusperniulloruiii terilur manus : ex qno gratis miniuiuin apud proniilleu tem renianel; quia auctori delrabit. quisquis post illiini rogandus est. Ila-c ilaque cura; habeas , si gralea'sliniail (|uœ pra'slabis voles, ut bcuelîcia tua illibala, ul intégra ad eos , quibus proniissa sunt, perveniant , sine ulla, quod, aiunt.doduclione. >emo illa inlercipiat, nemodetincal : nrnid in eoquod dniunis es, graliani suam facercpoest. ul non luim niinutil. ilV) SÉIVÉQUL. V. Rien n'esl si cruel qu'une longue incerli- tnde. On supporte l)ien mieux de voir avorter ses espérances, que de les voir languir. Or, c'est un défaut commun que de différer l'exécution des promesses, par une élroiU; ambition, pour ne point diminuer la foule des solliciteurs. Ainsi l'on voit les minislres de la puissance royale se plaire à faire durer le spectacle de leur orgueil : ils danli tota alia soquenda est via. VIII. Omni Rcnercquod des, quosil acccplius, ad ir- naudiun csl. Hue Tcro non est luiicnciinn darc , depre- ;undere est. tl ut in traosilu de h^c qiioque parle di- c;ifDqiiidseii iam, ne pi me piquidem .«ali> dernriini (St, i.'oaare ienomiiiix causa. Taineisi inqiiicttidiiiem elfu(,'rre Tiberiu* ne boc quidcm niudo , quo vit;ibat , piituil. Narn iiliquot poslea, qui idem rofarcnt, invciiti siiiit; <|uos omnei jussit reiid est illud iil>eralitas ; ren- nir« est; au\iliain est; principale tributimi esl. Benefl- rium non est , cujus sine rulxirc meminisse non possiini. Ad judicrni raissus sum ; ut impetrarem , causani di\i ! IX. Praecipiunt itaque omnes auctoressapientia!, qua;- dam bénéficia palam danda, qiia'daiii secreto. Palam , quac conseqtii ploriosnni est : ut niilitaria dona, et hono- res, et quidquid aliud notitia pulchrius fit. I\ur^us quEc non prodiiount , nnc bonesliorem faciunt, sed succurrunt inlinnit.iti, eseslali, ienoniinia-, tacite danda sunt ; ut notasintsiilis.quibus prosiint. întiTdum et iiisequijuva- tnr , fallendus esl , ni habeat , ni'c a quoaccpcrit, sciaf. X. Aroesibtis.ul niun! ,aiiiieop.Tiipori,et panperlakm Ftiam dissimnlanti ; a'pm aulcni , cl ne lioc quidcm ron- filenti , déesse silii in sumtujii ad ncccssariiis usus , qnuni clam mccurrcnduin judicasscl , piilvino ejns ignorantis .sacculum subjccit , ut honio inuliliter verccumiiis, qiiod desideraliat, invcnirct potins ipiain rccipcn t. Quid crpo? ille nesciet a qno .icceperil? Primum nisiial. si hoc ip- .";um Ixnellcii pars est. dcinde nmlia aiia firiiim , multa tribuam.per qua^ intellipat et illius aiicloreni. Dcnique ilie ncseiol aeccpisse se ; cpo sciam me dédisse. Paruni esl, inquis. Paruni, si frrnerarc co;;it,is ; scd si ilare quo génère accipienti matime profuturum eiit, dabis, con- tcntus eris le leste. Aliwpiin non l)enefacere dcicctal , sed \ideri bencfccisse. Volo, inquis, jciat! debilorem quairis. Volo nliquc sciât I quid , si illi ulilius est nes- cire? si honestius, si gralins? non in aliam [lartem abi liis ? Volo sciai : ila In homincm non servabis in tcnebris ? Non nego , quotics palilur res , pcrcipiendum pandinin 132 SLNÉQUi;. Je ne m'oppose pas , quaiul l'occasion le permet, h ce qu'on recueille quelque joie du plaisir de celui qui accepte; mais s'il a besoin et honte de mes secours ; si mes dons l'olTensent, "a moins que je ne les cache, je n'Irai pas enregistrer mon bienfait. Pourquoi? c'est que je ne dois pas lui faire con- naître que c'est moi qui ai donné; puisqu'un des premiers préceptes, un des plus importants, est de ne jamais reprocher, et même de ne jamais rappeler un service. Car telle est la loi du bienfait enire deux hommes : l'un doit aussitôt oublier qu'il a donné ; l'autre ne doit jamais oublier qu'il a reçu ; c'est déchirer le cœur , c'est l'accabler , que de rappeler sans cesse vos services. XI. On s'écrierait volontierscomme cet homme sauvé par un des amis de César de la proscription des triumvirs, et qui, ne pouvant plus supporter safatuilé, s'écria: « Rends-moi à César. «Jusqu'à quand diras-tu : « C'est moi qui l'ai sauvé la vie, c'est moi qui l'ai arraché 'a la mort? » Oui, c'est la vie pour moi, si tu me laisses m'en souvenir; si lu m'y forces, c'est la mort. Je ne le dois rien si ; lu m'as sauvé pour avoir quelqu'un dont In fasses parade. Jusqu"a quand me traîncras-lu partout? j jusqu"a quand m'empêcheras-tu d'oublier mon ! malheur? Un tiiomphaleiir ne m'eût promené j qu'une fois. Ne disons point ce que nous donnons; rappeler c'est redemander. Il ne faut pas insister sur un bienfait ; il ne faut pas en provoquer le souvenir , à moins que les anciens bienfaitsnesoienlrappelés par de nouveaux. On ne doit pas même en parler aux autres : que celui qui donne se taise; que ce- lui qui reçoit parle. Sinon on vous dira ce qu'on dit "a un homme qui prônait partout son bienfait: « Tu ne nieras pas que ta l'aies repris? — Quand donc? — Mais souvent, et en beaucoup d'endroits, c'esl- 'a-dire toutes les fois et partout où tu l'as raconté. » Qu'as-tu besoin de parler? Pourquoi te charger de fonctions (jui ne t'appartiennent pas? 11 y en a d'autres qui s'en acquitteront plus honorablement ; et en parlant, ils te loueront surtout de n'avoir pas parlé. Tu me prends pour un ingrat, si tu crois que personne ne saura ton bienfait, 'a moins que tu ne le révèles. 11 faut si bien t'en garder, que même si quelqu'un le raconte devant toi, tu de- vras répondre : « Ceries, il est très-dignequ'on fasse davantage; maismoi, je sais que jusqu'ici j'ai plu- tôt eu l'intention de le servir que je ne l'ai servi en effet. 1) Ktcesmotsdoiventêtrediissansaffectation, et sans prendre cet air avec lequel certaines gens lepoussent ce qu'ils veulent le plus attirer à eus. Ensuite il faut y mettre tous les égards dont ta es capable. Le laboureur perdra ce qu'il a conQc à la terre, s'il abandonne ses travaux après les semailles ; ce n'est qu'a force de soins que le blé moule en épis; rien ne peut fructiGer que par une surveillance constante et une culture toujours égale du premier au dernier jour. Les bienfaits ont le même sort. En peut-il cire de plus grands que ceux des pères "a l'égard de leurs enfants? Cepen- dant ils ne seraient pas assurés s'ils s'arrêiaient "a l'enfance, si une tendresse constante ne culti- vait son ouvrage. Tous les autres bienfaits ont le même sort : tu les perds si tu n'y aides ; c'est peu d'avoir donné, il faut entretenir. Si tu es accipientls voluiiUte ; sin adjuvari illum et oportel , et pudet; si quod prœslamus, offendit, oisi aljscoudilui'; beneQcium in acia non mitlo. Qiiidni ? ego illi non suni i judicaturus me dcdisse , qmim inler priiiia prœcepta ac mavimenecessaria sit, ne uri(|uain exprobrem, imnio ne j iidinoneam quideni. Ila;c enini bcneficii inter duos Ici i i".st; aller statiin obliïisci débet datr, aller acccpti nun- ; ijnam. Lacérât aninmm et preniit frequens meritorum cmnmenioratio. 1 XL Lihcl exclaniare, (iiiod illc triumvirali proscrip- i lioneservatusaqnodani Cassaris ainico exclamavit, quuni superbiam cjus ferre non posstt : « Redde nie Ca-sari. Quousque dices : Ego te .servaïi, ego te eripui raorti? istud, si meo arbitrio mcniini, vita est; si tuo, mors est. ; Nihil tibidebeo, si me serv.isii , ut haberes , qut in os- tenderes. Quousque me circumducis? quousque olili- visci fortuna; ineœ non sinis ? seniel in Iriunipbo ductus ! essem. » Non est dicenduui.quid tribuerimus; qui admo- ] net, repetit. Non est instaudum, non est memuria rcvo- canda ; nisi ut aliud daudo , prioris admoneas. Ne aliis quidem narrare debenius ; qui dédit beneficium , laceat ; narrât, qui accepil. Dicetur enim , quod illi ubique jae- tanli liencncluiii suuin ; Nuni negabis , iuqiiit , te récé- pissé? et quum respondisset , Quaudo ? Sspe quideui , iuquit, et multis locis ; id est , quoties et ubicunque uar- rasti. Quid opus est te loqui ? quid alieaum occupare of- Ccium?E.st qui islud facere honestius possit; quo nar- rante et boc laudabitur, quod ipsenon narras. Ingratuni me Judicas, si istud te tacente, ncmo sciturus est? Quod adeo non est coiiimittendum , ut etiamsi quis corani nobis narrabit, ci respondendum sit : Dignissimus qui- dem ille est majoribus benefitiis, sed ego raagisvelte me scio omnia illi praestare , quani adhuc pra;stiiissc. Et ha'c ipsa non veualiter, nec ea figura, qua quidam rejieiuni, qua," raagis ; d se Toluut atlraherc. Deiude adjicienda om- uis humauilas. Perdet agricola quod sparsit , si labore.'i suos destituet in seniinc. Multa cura sala perducuntur ad segetem ; nihil in fruclum perveuil , quod non a primo usque ad eslre:iiuni a-qualis ciiltiira prosequitur; cadcni beneficioruin est conditi). Nuniquid ulla mnjora possunt esse, quani qua; in liberos paires eouferuni? Ha'c tameii irrita sunt, si in infantia dcsiraritur , nisi longa pielas niuDus suum nutriat. Eadcni ceterorum bencficiorum coudilio est; nisi illa adjuveris, perdes; parum est dc- disse , fovenda suul. Si gratos vis habcre quos obligas , uim tautiim des ojxirlet bénéficia , sed clames. Prapcipuc» Di:S BIENFAITS. 133 veux Toir reconiiaissanls ceux que lu obliges, il laut non-seulemonl donner, il faut airacr ses liienfaits. Surtout, comme je l'ai dit, épargnons leurs oreilles. Rappeler nos services , provoque l'ennui; les reprocher, provoque la haine. Rien, quand on 'olilige, n'est à éviter comme l'orgueil. A quoi bon l'arrogance de ton visage, l'enflure de tes paroles? I.a chose elle-même le grandit assez. Dépose toute vaine jactance : les actions parlent quand la bou- che se tait. Un présent fait avec orgueil est non- seulement désagréable, mais odieux. Xll. Caïus César donna la vie a Pompéius Pen- nus, si c'est donner que de ne point ôter. Ensuite, comme celui-ci le remerciait de cetlu grâce , il lui présenta h baiser son pied gauche. Ceux qui l'ex- cusent et nient qu'il l'uitfait [iar insolence, pié- lendent qu'iJ ne voulait que lui montrer sa paii- iiiufle dorée, ou plulot d'or, enrichie de perles. l>'accord. Et d'ailleurs, <|u'y a-t-ilde si humiliant pour unconsulaire d'embrasser de l'or et des perles, surtout ne pouvant choisir sur le corps de Caius un seul cndroilplus pur "a embrasser'!" Cet homme, né pour faiie plier a la servitude asiatique les mœurs d'une cite libre, jugea ([ue c'était peu de voir un vieux sénateur , abaissant toutes ses di- gnités, suppliant en présence des principaux ci- toyens, et prosterné devant lui , comme se pros- terne un vaincu devant un ennemi victorieux : il trouva quelque chose plus bas que les genoux , pour y faire desccnrus. Non taatum iogratom, sed iDTisum est beoeflcium superbe datuin, XII. C. Co'sar dédit vltam Pompeio PcDiio, si dat, qui noD anfert; deinde absoirito, et agenti gralias, por- rcxit osculandiini siaistrum pedem. Qui excusant , et Dc^^'ant id insolentix causa factuni , aiuot socculum au- ralum, iramo aureum margaritis dislinctum, ostrodcrc eum Toluisse. Ita prorsus; quid liic contumeliosum est , si vir consularis auruni et rnargaritas osculatus est; et alioquin nullani partent in corpore ejus elccturus, quam purius oscularetur? Homo nalus in hoc, ut mores libcrae civitalis Persicj servitule mularct, parum judicarit, si senalor «enci , tummissis honoribus , in coospcctu prin- cipom snpplei sibi , eo more jacuisset , que victi bostes hostibusjacuere:iDTenitaliquid infra genua, quo liber- latcm detraderel. Non hoc est rcmpublicaru calcaro? et quidcm (dicet aliqnis, nam imtest ad rem pcrtinere ) (ioistro pede? Pamm enim ffrdc furioscquc insolent fuerat, qui de capile consularis viri soccjlus audiebat, nisi in os senatoris io|;cssisset imperator epi(;i'0s suos. XIII. O superbia magna; Turtuno? ! 0 stullissimuni nia- lum I ut a te nihil accipere juvat! ut omnc bencliciuni in injuriam couTcrtlsl ut le omoia nimia délectant! ut te omnia dcdocent ; quoque altius te sul)lcTasli, bncde- prcssior es , ostendisque le non agnosccrc ista l)ona , (]ui- bus tantum intlaris. Quidquid das , corrumpis. Libel. itaque interrogare , quid tantopcrc le resupinct , quid vultum habitunique oris pervertat , ut mails babere pei- I sonam , quam faciem ? Jucunda sunt , quac humanj Ironie , certe leni, placidaque tribuuntur; (juœ (|uum daret mibi superior, non exsulluvit supra me, sed quam potuit, bcnignissinius fuit, de^cenditque iu aiquuin, et detraxit muoeri suo pompam; sic ol)servavit idoneuni tempus, ut in occasionc potius , quam in necessilate suc- curreret. XJno modo istis persuadcbimus , ne beiielîci.i sua insolentia perdant , si oslenderimus non idco vidori majora , quo tumuUuosius data sunt; ne ipsos quidcni oh id cuiquaul |)osse majores videri; vanam esse superbiae magnitudincm , et quo; in odium etiani amanda per- ducal. XIV. Sunt (|u;ed:im nocilura impetranlibus , qu.T noa 134 qui les oblieniient; pour ccllcs-la, ce n'est pas le don , mais le relus qui est un bienfait : c'est pour- quoi nous consulterons l'intcrôt de celui qui de- mande, plutôt que sa volonté. Car souvent nous désirons des choses nuisibles, et nous ne pouvons voir combien elles sont pernicieuses, parce que la convoitise obscurcit le jugement; mais lors- que l'ardeur s'est calmée, lorsque tombe la fougue d'uneàme ardente qui repousse tout conseil, nous détestons les pernicieux auteurs de ces funestes présents. Comme nous refusons l'eau froide h un malade, le fer à la douleur et au désespoir, et aux amants tout ce que leur ardeur tournerait 'a leur préjudice; de même nous persisterons "a ne pas donner des choses nuisibles, quand elles nous se- raient demandées avec humilité et soumission , et même avec larmes. Il faut considérer autant la lin des bienfaits que le commencement, et donner non seulement ce qu'on sera charmé de recevoir, mais ce qu'on sera charmé d'avoir reçu. Il y a bien des gens qui disent : «Je sais que cela ne lui profitera pas; mais que faire? il m'en prie, je ne puis résister à ses instances. C'est son affaire; il n'aura "aseplaindreque de lui, non de moi.» 'lu le trompes; c'est de toi, et avecjustice. lorsqu'il sera revenu de son délire, et que ce transport, qui en- flamme son cœur, sera calmé. ILt pourquoi ne haï- rait-il pas \r coMiplice de sa peiie et de sa ruine? C'est une bonté cruelle que de se laisser fléchir aux prières que les gens nous font "a leur détri- ment. Deraême que c'est une Ires-belle action de sauver quelqu'un malgré lui et contre sa vo- lonté; de même c'est de la haine caressante et SÉNÈQUE. affable de lui accorder à des dons empoisonnés. Donnons des choses qui deviennent de plus en plus agréables par l'usage, qui ne se changent ja- mais en mal. Je ne donnerai point l'argent que je saurai devoir être compté "a l'adultère, afin de ne pas me trouver mêle 'a une mauvaise pensée ou "a. une mauvaise action. Si je puis, je dissuaderai le crime, sinon je n'y aiderai point. Soit que la colère entraîne son âme dans une fausse route, soit que l'ardeur de lambilion le précipite dans une voie peu sûre, je ne m'exposerai pas à ce qu'il puisse dire un jour : « Celui-l'a m'a lue par son amitié. » Souvent il n'y a pas de différence en- tre les présents des amis et les vœux des ennemis. Tout ce que les uns nous souhaitent de maux, l'indulgence intempestive des autres le prépare et le précipite. Or, qu'y a-t-il de plus honteux ( ce qui n'arrive que trop souvent ) , que de ne mettre aucune différence entre la haine et le bienfait? XV. Jamais ne donnons des choses qui doivent tourner "a noirs déshonneur. Comme la première loi de l'amitié est l'égalité entre amis, il faut con- sulter l'intérêt de chacun. Je donnerai à l'indigent, mais non pour me réduire "a l'indigence : je se- courrai celui qui va périr, mais non pour périr moi-même , k moins que je ne me dévoue à un grand lioinme ou à une grande action. Je ne don- nerai rien, qu'il me serait honteux de demander. Je ne veux ni enfler un faible service, ni per- mettre que l'on reçoive comme peu ce qui est beaucoup. Car de même que celui qui met en compte ce qu'il a donné , en détruit le mérite, de même celui qui montre combien il douue^ fait dare, sed iipgare, l)enp(idum est. iSEstimabimus ilaqiie iitililatern potins , quiim volunialein petcniiiirn. S.Tpe enim uoxia concupiseimiis , uec dispiciie qui'.ni perni- ciosa siut licct , (juia jiidiciiiiii iiiler|)t'l!at slfeclus; sed (luutn subsedit ciijiidilasf, i;iniiii i!i;|îoli!s ille (l.igr.'.niis aiiinii.qui ron.'.iliiim ki^iii , ceridil, (Irlesbnmr l'cini- eiosos iiiiiùirnin nmiienirii ;uictni'is. Ijt Ir (;id:uii a'fjris iic^amus, ut lugenlibiis ne silii irais ferruiu, aut aiiiau- libiis (piidcpid coiiiVa so usunis ardiir petit ; sic va , {jncu nocilura sunl , iiiipeiise acMdmdssc, noiiiiuiiquain eîioiii iiiiseribililiT l'Dgniitilms , p'.'rseveraliiriuis non dare. 'l'nni initia benelieiiiniiii suonnn spoelare . tiim ctiani cxitiis (lecct; et ea dare qiia' non lantuin accipcre. sed etiam acccpisse deleclet. Mulli sniit qui dicant : Scio boo illi non profuluruni ; sed qnid faciani? rogat, resistcre pre- cibus cjus non possum. Viagfcl; de se , non de me, que- retur. Falsum est; immo de te, elnieriloquidem, quum ad nicntem bonam redierit^jinum accessiu ilta, (jua; animnm inllaumiabat , remiserit. Qnidni cunipderit.a que in dainnum ac periculuni siiuni adjutus est ?tf;xorari in perniciem roganliura , saeva bonilas est.^ Quemadino- dnm pulcbcrrimum opus est , cliain invites nolcnlesque «ervare; ita rngantibus pestifera larpiri , blandum et af- fabile odinni est. Beneficium demus, quod usu magisac niagis placeat,quod uuuquam in nialum Tertat. Pecu- ni:ini uou d:d)0,q»ain numeraluruni adulterae sciam, ne iu siKiclitc iurpis faeii ac consilii inveniar. Si potero, revocabo; sin minus, non adjuvabo scelus. Sive illum ira , qui) non debciiat, iinpellit, sivc ambilionis calor ab- ducil a lutis; non a scmel ipso vini sihi inferri pa'.iar ; uou eonuuiilam , ut pc ssit qnan.ioiiue dicere; ille amando me oi'cidit. S.Tpe nibii iulerctt in;er amicnrum rouaera, et bosliuni vota. Qnidquid illi accidcrc oplaril; in id ho- runi intenipestiva indulgcnlia impcllit, atque instruit, (juid auteni tnrpins, qnam, quod cvcnil frequeutissime, ut nihil intersitinter odiuni, et beneficium ? XV. Nuuqnam in turpitudinom noslram reditura tri- buamus. Quum sumniaamicitiaesit, amicum sibi aequare, utriqiie simul cousulcndum est. Dabo cgenll , sed ut ipse non egeara ; succurram perituro , sed ut ipse non peream; nisi si futurus ero magni b.ominis , ant magn.i' rei merces. Nullum beneGciuni dabo , quod turpiter peterem ; nec cxiguum dilatabo , uec magna pro parvis accipi patiar. Nam ut qui quod dédit, imputai, gratiam destruit; ila qui quantum dct, osicndil, muuus suuiu commendat, non eïprobral. Uespieiendae snnl cuiqur facullatet sua-. DES BIENFAITS. l.'iS valoir soo bieufait, ae le reproche pas. Oadoit consulter ses facultés et ses forces pour ne faire oi plus ui moins qu'on ne peut. Il faut apprécier aussi ceux à qui nous dunuons ; carcertaines cboses sont trop modiques ptur sortir de la main d'un homme puissant , d'autres sont trop grandes pour fa main qui reçoit. Mêlions donc en parallèle les personnes qui donnent et qui reçoivent, et com- parons avec elles ce que nous donnons , aOn que le don ne soit pour celui qui offre ni un fardeau ni une bagatelle, aGn que celui à qui il est offert ne puisse le dédaigner ou le refuser. XVI. Alexandre , cet insensé dont l'âme ne con- cevait rien que de gigantesque, offrait à quelqu'un une ville en présent. Celui-ci , qui connaissait sa mesure, craignant l'envieque lui attirerait un don si considérable , lui lit observer qu'il ne conve- nait pas "a sa fortune ; « Je ne cherche pas, répon- dit le roi, ce qu'il te convient de prendre, mais ce qu'il me convient do donner. » Ce mot parait sublimcet ro^al, tandis qu'il n'est qne ridicule. Car rien en soi-même ne convient 'a qui que ce soit : tout dépend de la chose, de la personne à qui elle est donnée, du moment, du motif, du lieu, et de bien d'au 1res choses qai, seules, délerniineut le caractère do cliaiiuc action. Monsire gonflé d'orgueil ! s'il ne lui e>t pas con- venable de recevoir, il ne l'est pas à toi de don- ner. Il faut une juste pniporlion enire les per- sonnes cl les dignités; et comme en loul, la vertu a des limites, il y a autant de mal a les dépasser qu'il ne pas les alU-iudre. Sans doute celait per- mis à toi, sans doute la fortune l'avait élevé assez haut, pour que tes cadeaux fussent des villes' mais combien il eût été plus beau de ne pas les prendre que d'en faire largesse ! Cependant il peut se trouver quelqu'un de trop petit, pour que tu puisses legorger du don d'une cité. XVII. L'n cynique demanda un talent à Auti- gone : il lui répondit que c'était plus qu'un cyni- que ne devait demander. A ce refus , il demanda un denier. Anligone répliqua que c'était au-des- sous de ce qu'un roi devait donner. Lue telle sub- tilité est honteuse. Il trouva le moyen de ne rieu donner. Dans le denier. Il considéra le roi , le cy- nique dans le talent; tandis qu'il pouvait donner le denier comme à un cyniciue , le talent comme roi. Quand môme il y aurait quelque chose au- dessus de ce qu'un cynique pût accepter, il n'est rieu de si petit que la bienveillance d'un roi ne puisse honorablement accorder. Si tu me demandes mon avis, j'approuve Anti- gone : car rien n est moins excusable que de de- mander de l'argent et de le mépriser. Tu as dit : haine "a l'argent; c'est Ta ta profession de foi; tu as pris ce rôle; il faut le jouer. C'est outrager toute morale, que d'acquérir des richesses e» fai- sant gloire de pauvreté. Cliacun doit donc consi- dérer non moins sa propre personne , que colle des gens qu'il pense h obliger. Je veux me sorvn-de la comparaison que notre Chrysippe emprunta au jeu de balle : la balle tombe nécessairomeni par la fanle ou de celui qui l'envoie ou de celui ijui la reçoit. Elle ne conserve sa direction que lorsqu'elle vole d'une main à l'autre, lancée et reçue haliilement par les deux joueurs : mais il faut (jne le joueur soit adroil, que sou jet soit différent lorsque son adversaire I vircsque; ne aut plus priTslemus , (|ueant ; quaedani accipicnte majora sunl. Ltriusquc itaque personam coufer; et ipsam , inter illas , quod ftdonabis, examina, nuinquid aut danli grave sil, atit puucum; aumquid rur&us qui acccplurus est, aut fa>>ti- diat, aut non ca(sima. Mtiil enim pcr i< qucmquam dcccl; relcrl (juid, cui, quaudo, quare , ubi , et cetera , sine quilius facti ratio non consta- bit. Tumidissimum animal I si illum acciperc boc ni)n decct,nec le dare. Ilabcatur personarum ac diguitatum proportiO! et quum sit ul>iquc virtutis modus, a-quc peccat quod excedit , quam quod déficit. Liceat istud sane tibi, et te In tantum fortuna suslulerit , ut congiaria Ina nrlies «int; quas quanto majoris animi fuit noncapere. quam spargcrc? est tamen aliqui.s miner, quam ut in sinu ejus cmidfnila sit civilas. XVII. Al) Anlipono C\niciis pctiit lalenlum. Rcspon- dil, plus esse, quod rcgem dccirit daic. Tnrpisiiniii est ejusniodi ea- ïillatio. Invenit quoniiido nonlmm daret; in denario rcgpm , in l ilcn'o (',5 niciun respcxit , quum posset cl de- narium t inquani CMiiro dare , et lalenlum lan(inani rex. Ut sil aliquid majus, i]nam (iiiod Cynieus aeeipiat , nihil lam cxignuni est, (jugiI non lionesle régis hnnianilas Iri- buat. Si me inlcrrogas , probo ; est cnini intoleniliilis rcs, posccrc numnios , ( t conlenincrc. Indixisli pecunii- odium, hocprofessiises; banc person.iiii induisli; agenda est. Iniquisslmuni c si , te ptcuniani sub ploria egrslalis ac<)uirere. Adspicienda crgo non minus sua cui(iue per- «ona est, quam ejus, de quo juvando quis cogitât. Volo Chrjsippi noitri nti simililudine de pilae Insu ; quam caderc non est dubiuin , aut mittentis vitio , aut acci- pienlis; 4'unc cursum suum scrvat , ubi inter niarns utriusque aple ab utroque et jactata et excepta versa- lur ; oecesse est aulem lusnr bonus , aliter illam collo» 1S6 SÉNÈQUE. est éloigné, ou lorsqu'il est rapproché. Il en est de même du bicnlait : s'il n'est proportionné aux deux personnes qui donnent et qui reçoivent , il ne sortira pas comme il faut de la main de l'un , il n'arrivera pas jusqu'à l'autre. Si nous avons affaire a un joueur habile et exercé, nous lance- rons la balle avec assurance, car de quelque ma- nière qu'elle se présente, elle sera relevée par une main souple et agile. Si nous avons affaire a un novice et a un maladroil, nous ne la jetterons pas Ccultés et dos lenteurs , il y opposo de^ délais. H faut aussi bien savoir reprendre le bienfait fjue ne pas l'exiger. Le plus honnête est celui qui a donné facilement, n'a jamais exigé, s'est réjoui quand on lui a rendu , et, oubliant franchement ce qu'il a donné , reprend du même cœur que s'il rece- vait. XVIU. 11 y a des gens qui, non-sculemeut don- nent, mais reçoivent avec hauteur : ce qu'il faut bien éviter. Car nous voici déjà arrivés 'a une avec tant de raideur et de force , mais mollement \ autre partie de notre sujet , où nous indiquerons et terre-a-terre, en la dirigeant jusque dans sa \ comment on doit se comporter en recevant des main. On doit en agir de même pour les bienfaits. ! bienfaits. Tout devoir qui s'accomplit à deux, exige 11 faut instruire certains cœurs; et soyons con- i également de l'un et de l'autre. Lorsque lu auras lonis, s'ils font des efforts, s'ils se risquent, s'ils ; établi comment doit être le père, il te reste encore ont bonne volonté. Mais nous faisons beaucoup 1 autant à faiie pour examiner comment doit être le d'ingrats, et nous les encourageons "a l'être, comme lils : s'il est des lois pour le mari, il n'en est pcis si nos bienfaits ne devaient avoir de valeur qu'an- [ moins pour la femme. Ce sont des devoirs qui rap- lant (ju'on ne pourrait les reconnaître : semblables j portent en proportion de ce qu'ils imposent, et qui h ces joueurs malins qui cherchent h embarrasser 1 veulent une règle commune, la(|uelle, comme dit leur adversaire, au détriment du jeu, qui ne peut j Hécaton , est délicate. Car l'honnête est toujours (luierquo lorsqu'on s'entend bien. Il y a des gens d'une si mauvaise nature, qu'ils aiment mieux perdre ce qu'ils ont donné, que do ])araître l'avoir repris, hommes d'orgueil et de reproches. Combien n'est-il pas plus juste, plus humain de laisser son rôle h l'obligé et de l'encou- rager, de tout interpréter avec bonté pour aider la reconnaissance , de considérer les renicrcî- ments comme le paiement de la dette , de se mon- trer facile et de désirer même l'acquittement de celui qu'on a obligé? On reçoit avec la même mauvaise grâce le prêteur lorsqu'il exige avec ri- giieiir le remboursement et lorsque, par des dif- d'un diflicile accès, et même ce qui approche de l'honnête. Car il ne s'agit pas seulement de faire, mais, en faisant, de consulter la raison. C'est le guide qui doit nous conduire toute notre vie .-c'est le conseil qui doit diriger les plus petites comme les plus grandes choses. Ufaut donner ainsi qu'elle l'aura voulu. Ce qu'elle nous dira d'abord , c'est de ne pas recevoir de tout le monde. De qui donc recevrons-nous? Je te répondrai en peu de mots : de ceux il qui nous puissions paraître avoir donné. Et ne faut-il pas choisir avec plus de précau- tion encore ceux h qui nous devrons que ceux a qui nous donnerons? Car, pour ne point parler sori lonpo , aliter Irevi mittat. Eadciii licneGcii nilio est; iiisi utiique personic, liantis el accipicniis, nplatur ncc al) hoc exihit, ncc ad illuiii pcrveniet, ut ddut. Si cuiii cscrcitalo et dnclo negotium est , aiidaciiis pilani mittc- iiiiis; ulcunque eoim venerit, maniis illani expedita et agilis rcpercutiet. Si cum tirone ctiiidoclo non tain ri- gide , nec laiii cxcusse, sed languidius, et in ipsam cjus diligentes nianuni , remisse occunenius. Idem faciendum est lu l)ene(lciis. Qnosdam doceamus , et satis judicemus, si conanlur, si iiudent, si volunt. Facimns auleni ple- rimique ingratus, (t ut sint, favenius; tanquani ila de- iiiuin niagn;i sint t)enericia nostra , si giatia illis referri non potuit ; ut inalignis lusoribus i)roposilnin est , coltu- sorem tradncere , cum daiimo scilicet ipsins lusus.qui non potest, uisi conscntitur, cxtcndi. Multi sunt tam prava» naturap, utmalint perderequœ pra'stiterunt, qnam V ideri récépissé , superbi et impulalores. Quanio melius, quantoque humanius id agerc, ut illi quoque partes su;k eonstenl; et favere, ut gratia sibi referri possit ; bénigne oniaia interpretari , gratias agentem , non aliter (juani si relerat , audire , praebeie se facitem , ad lioc , ut quein uiiligavil, eli.im exsolvi velil? Mate audire s»let lœnera- tor, si acerbe ciigil; a'quc si in rccipiendo tardas ac dilTicilis nioras quarit ; bencliciuni lam recipiendum est, quani non exigendum. Optimus ille, qui dédit facile, nunciuamexegit; reddi gavisus est, bona fide quid prxsli- tisset, oblitus, qui accipientis animo recepit. XVm. Quidam non tanluni dant beDeficiiun superlie, sed ctiam accipiunt; quod non est committenduni. Jam eiiini transeanius ad alleram parlera , tractaturi quoniodo se gererehon)incs in accipiendis beueficiis debeanl. Qund- cunque ex duobus constat ofOcium , tanluudeni ab utro- queexigit. Qualis piler esse debcat, quum inspexcris, .scies non minus operis illic superessc , ut dispicias , quj- lera esse oporteat lilium. Sunt aliqua- par'.es niarili , .set non minores uxoris. Invicem ista quanluni exigunt , pra'stant, et parem desiderant regulam ; qua", ut pit Uecalon , difficilis est. Omneenim lumestum in :irdiioP.'>l, eliam quod vicinum lionesto est; non euim tantum furri del)et, si'd raiione fieri. Hac duce per lolani vit-ini eim- dum est; mininia maximaque ex linjus cousilio gci-enda sunt ; iinomodo haec suaserit , dandum. Ua'c auteni h:!C primumcensebit, non ab omnibus accipiendum. A ijuilms ergo arripiemus? L"l bnxitcr libi icpondrani: ;'.b liis DUS BIENFAITS. 157 des autres iiiconYonieiit$(cl ilssitntcn grand noin- lirej, c'est déjà un cruel supplice que de devoir a ijuelqu'un qui te répugne. Rien, au contraire, n'est si doux que d'avoir reçu un bienfait de celui que lûD pourrait aimer, même après des torts . la douceur de l'amilié se trouve alors légitimée. Mais c'est le comble du malheur pour un homme probe et réservé, s'il lui faut aimer celui qui lui dépiait. il est bon d'avertir encore une fois que je ne parle pas des sages, qui se plaisent à tout ce qu'il leur faut faire ; qui , maitrcs absolus de leur âme, s'imposent la loi qu'ils veulent, et observent celle qu'ils imposent; mais de ces hommes moins par- faits, qui désirent marcher au bien, et dont les passions n'obéissent souvent qu'à regret. Il me faut donc choisir celui de qui je veux recevoir. On doit même choisir avec plus de soin son créancier pour les dettes de reconnaissance, que pour les dettes d'argent. Car il sullit pour celles- ci de reudre ce que j'ai reçu, et, en le rendant, je suis quitte et libéré ; mais pour les autres , il faut payer au-delà, et même après avoir resti- tué, je reste lié. Car lorsque je me suis acquitté, je dois m'acquitler encore. L'amilié nous avertit de ne pas nous attacher a un homme indigne. Il en est de même du lieu sacré de la bienfaisance, d'oii nait l'amitié. Mais, dis-tu , il n'est pas toujours en mon pou- voir de dire : Je ne veux pas : quelquefois il me faut accepter malgré moi. lin tyran cruel et em- porté me dOQue : si je dédaigne son présent, il prendra mon refus pour un outrage : pourrai-jc ne pas recevoir? Mets sur la même ligne le bri- I gand et le pirate , avec ce roi qui a une âme de 1 brigand et de pirate. Que faire 'i" et cependant il : mérite peu que je lui sois redevable. [ Lorsque je dis qu'il faut faire un chois, j'e.\- j cepte la force et la crainte ; quand on les emploie, : il n'y a plus de choix. Mais si vous êtes libre , si vous êtes le maître de vouloir, ou lîoii , c'est ; alors qu'il faut bien peser vos raisons. Si la vio- lence vous ôte le libre arbitre , vous saurez que vous n'acceptez pas , mais que vous obéissez. Pec- ' sonne ne s'oblige en acceptant ce qu'il no lui a I pas été permis de refuser. Veux-tu savoir si je î veux? fais que je puisse ne pas vouloir. j Cependant il t'a donné la vie : qu'importe ce I qui est donné, s'il n'y a bonne volonté ni chez ce- lui qui donne, ni chez celui qui reçoit. Si tu m'as ■ sauvé, tu n'es pas pour cela mon sauveui-. Le poison est quchiuefois nu remède : il n'est pas I |M)ur cela compté au non)hre des choses salutai- res. Il est des choses qui servent, et n'obligent point. XIX. In homme voulant tuer un tyran , lui ouvrit un abcès avec son glaive : le tyran ne dut pas le remercier de ce que, voulant lui nuire, il le guérit d'un mal (|u'avait redouté l'art des médecins. Vois-tu que la chose eu elle-même n'a pa< une grande importance? parce que celui qui a fait du bien en voulant du mal , ne peut passer pour un bienfailcur. Car le bien vient du hasard, le mal vient de l'homme. Nous avons vu dans l'amphiihéâlre un lion qui, reconnaissant son ancien maître dans une des victimes qu'on livrait aux bêtes, le protégea con- quibus dcdisse Tellemiis. Nam etiam m ijore dilectu qua'- rendus est, cui dehcamus, qu:im cui prapstcmus; Diim, ut non sequaotur ulla iucoinnioda , sequuDtur aulem plu- riiua, grate lamea tormeotum est delicre, cui uolis. Contra , jucundissinmm est ab eo acccpisse l>encOciiiiii , queni amare etiam post injuriant possis, ulii amicitiam , alioqui Jucuudam, causa fecit et juslani. Illuil vero ho- miui verecundo et protK) miserrimum est, si pum amarc nporlet, quem non juvat. Totie» admoneam necesse est, non loqui me de S3picntil)us, quos quidquid oporlel , et jutal ; qui aniniuni in poteslate habent , et legem ^ibi , quam Tolunt, dicunt,elquarn diicrunt, servant; scd de iuipcrfectisboiDinibus.bonestasequi volcntibu>, quorum afTectus saepe conlumaciter parent. Itaque ellgendus est, il quo l>enencium accipiam. Et quidcm diligenlius qux- rendus Ijencficii quant pecuniae creditor. Iluic eniiu rod- ilcndum est, quantum accepi; et si rcddidi, solutus sum : c liber At illi plus solvendum est; et nihilominus etiam, ri'Ijta gralia, cobiiTcmus ; debeo cnim , qunm rcddidi , l'ursui incipcre. Monetque amicitia non recipere indig- iium ; sic est tteneficiorum quidcm sacratissinium jus , ci qu:i amicitia oritur. Non semprr, inquil, mihi llcct di- cic, Noio : allqri,indo licniificiiim accipiendum est et in- tU >. Diil lyraunus criidclis (t iracuudus, qui mnnus suum faslidirt te injurlam judicaturus est. Non accipiam ? Eodem loco poiio latroncm et piratant , (|U0 rcgcnt , anintura latronis ac piralx babcnlem. Quid raci3ni?pa- rum dignusest, cul dctteain. Quunt eligendum dico cui dclteas, vim iiiajorcni et metum excipio; (|uibus adlii- bi:is, clcctio périt. SI liberum est tibi , si arltitrii lui est, utruni vclis, an non, id apiid te ipse peipendcs, si né- cessitas tuliit ai'bltriuni, scies te non accipeie, scd pa- rère. Nemo in id accipictido obligatiir , quod illi rcpu- diare non licuil. Si vis scire, an Tellni; cfficc , ut |«»sini nollp. Vitam lanien tibi dédit; non refert quid sil, quoil da ur, nisi a volcute volcnti detur. Si scrvasii ino, ni>ii ideo .verrator es. Vcnenum aliquando pro remedio fuit; non ideo numeratur inter salubria. Quaidam prosunt , nec obllgant. XIX.Tuber quidam tyranni gladin divisit , qui ad eiirn occidcuduni Tcncrat; non ideo illi tyranniis gratias egil , quod rem qiiam medicorum manus leformidaveraut , iiocendo saunait. Vides non esse magnum in ipsa re nm- nientum , quouiam non videtur dédisse IteiicQciiim , qui nialo animo profuit. Casus eiiim benclicium est , iKjmi- nis injuria. Leonem in ampbilhealro speclavinius , qui uniim e Iwstiariis agniluni , quura quondam ejiis fuissct niiigistcr . piotciil ab iiniKiu l)csliarum. Num cigo est <â8 si:nèqui: Ire leur fureur. Est-ce donc ua bienfait que le se- cours d'un animal ? Non, sans doute : parce qu'il n'avait ni la volonté ni l'intelligence du bienfait. A la place du lion , suppose le tyran. L'un et Tau- ire donnent la vie : ni l'un ni l'autre ne fut bienfai- teur ; car il n'y a pas bienfait quand on est forcé de recevoir : il n'y a pas bienfait quand on doit à qui l'on ne veut pas devoir. Avant de me donner, il me faut mou libre arbitre : ensuite vient le bienfait. X.\. On a mis souvent en question si M. Brutus devait recevoir la vie de César, lorsqu'il avait le projet de le tuer. Nous examinerons ailleurs les raisons qui le décidèrent "a ce meurtre. Car, en reconnaissant qu'il se montra grand homme dans toutes les autres circonstances, il me semble que dans celle-ci il s'abusa étrangement et no se con- duisit pas d'après le principe des slo'iciens, en re- doutant le nom de roi , quand le meilleur gou- vernement est celui d'un roi juste; en espérant que la liberté pouvait revenir, quand il v avait tant de profit à commander et 'a servir ; en croyant que la cité pouvait être rendue 'a son an- cienne forme, quand elle avait perdu ses ancien- nes mœurs, et que l'égalité des ciloycns, la stabi- lité des lois étaient possibles , quand il voyait tant de milliers d'hommes comliatlaiil non pour savoir s'ils serviraient, mais qui ils serviraient. Quel fut son oubli de la nature des choses et de la condi- tion particulière de sa ville, lorsqu'il s'imaginait qu'apriès la mort d'un homme , il ne s'en présen- terait pas un autre qui voulût la même chose; tandis qu'on trouva un Tarcjuin après lant de rois tués par le fer ou la foudre. Mais il devait accep- ter la vie, .sans pour cela regarder César comme un père , puisque celui-ci n'avait acquis le droit de lui offrir ce bienfait que par la violation du droit. Car ce n'était pas le sauver, que de ne pas le tuer. 11 ne lui accorda pas un bienfait; mais il l'affranchit de la mort. X.\l. Voici qui peut davantage être mis en dis- cussion : Que doit faire un prisonnier qui se voit offi ir le prix do sa rançon par un homme qui a prostitué son corps et sa bouche à l'infamie ? Ac- cepterai-je mon salut d'un homme impur? Et, sauvé par lui , quelle reconnaissance pourrai-je lui témoigner? Vivrai-je avec un homme obscène? Ne vivrai-jo pas avec mon libérateur? Ce qu'il faut faire , je vais te le dire. Même d'un tel homme je recevrai de l'argent , quand ma tête en dépend : mais je recevrai comme un prêt, et non comme un bienfait. Je lui resti- tuerai son argent; et si l'occasion de le servir se présente, je le sauverai dans le danger; je ne descendrai pas jusqu'à l'amitié, qui est un lieu entre semblables ; et je ne le considérerai pas com- me uu sauveur, mais comme un prêteur, auquel je saurai qu'il faudra rendre ce que j'ai reçu. Un autre homme peut être digne que j'accepte de lui ; mais son bienfait lui serait funeste. Je n'accepterai donc pas , parce qu'il est prêt 'a me servir 'a sou préjudice , ou même 'a son péril. Il doit me défendre dans une accusation; mais par ce patronage il se fera un ennemi du prince. Je serai moi-même son ennemi , si , lorsqu'il veut s'exposer pour moi, je ne préfère pas, ce qui est bien plus facile , être exposé sans lui. C'est un exemple ridicule et frivole que rap- l.i'neficium , ferae auxilium? Miirme ; quia iioc voliiit faccrc , nec lienefaciendi animo fecii. Qiio loco ferani po- sui , tyrannum pone Et tiicviiani dedit, et ilta ; uec liic, nec illo l)encficium ; quia non est beueficium , accipere ci)gi ; non est lieneficiiim, debere, cui noiis. .\nte des oportcl raihi arbitriuni niei ; deinde l)eneficium. XX. Disputari de M. Bruto solet, an debuerit accipere a D. Julio vitam, quumoccidendunieuinjudicarct.Quani rationem in occideudo secutiis sit, alias tractabimus. Mihi eniin, quum vir magnus fuerit in aliis, in tiac re videtur veheraenter errasse , nec ci institutione Stoica se cgisse, qui aut régis nomen extimuit, quum optimus ci- viiatis status sub rejje justo sil ; aut ibi speravit libcrlatcrn fuiurain , ubi lani magnum pnemium orat et iniperandi, et serviendi ; aut esistimavit civit item in priorem forniam posse rcvocari, aniissis pristinis moribus; futuramque ibi œqu.iliiatcm civilis juris, et staturas suo loco legcs, ubi viderai tnt millia hnminum pugnanlia , non an ser- virent, sed utii. Quanta ^ero illum aut rerum naturœ: , aut urbis suas Icnuit ol)livio , qui, uno interenito, defu- turum credidit alium , ((ui idem vellet ; quum Tarqui- nius esset invenlus, posi tôt roges feno ac fuimiiiibus occisos ! Sed vitam accipere debuit : ob hoc tamen non habire illum parentis loco , qui in jus dandi beneficii in- juria veneral. Non enini servavil is, qui non inlcrfecit; nec bcneficium dédit, sed missionem. XXI. Itiud niagis venire in disputationem potcsl ali- quam, quid faciendum sit caplivo, cui redemtionis pre- tium homo prostituti corporis et infamis ore promittit. Patiar me ab impuro .servari ? servalus deinde, auam itli gratiam referam ? Vivam cum obscœno? non vivain cum redenitore? Quid crgo placeat, dicam. Eiiam ab aliqno kili accipiani pecuniam , quam pro capile dcpeudam ; accipiam autem lanqiiam creditum , non tanqnam beneB- cium. Solvam illi pecuniam, et si occasio fuerit servandi pei iclit;intem servalw : in aniiciliam , quas siniiies jnngit, non descendam ; nec s-rvaloris illum loco numcrabo, sed fncueratoris, cui sciam reddenduiu quod accc|)i. Est allquis dignus , a quo beueficium accipiam : sed danti nocilurum est; ideo non accipiam, quia ille paratus est mihi cum incommodo , aut e;iam periculo suo prodesse. Defcnsurus est nie reum : sed illo patrocinio regem sibi est faclurus inimicum. Inimicus sim , si , quum illc pro me periclitari velit , ego , quod facilius est , non facio , ut DES BIENFAITS. 139 porte Hécaton , lorsqu'il dlc Arcésilas, qui refusa de l'argent offert par un fils de famille , pour ne pas ofleiiscr un père avare. Que fit-il de si loua- lile? il n'a pas voulu prendre une chose dérobée ; il a mieux aimé ne pas recevoir que rendre. Oii est donc le désintéressement de ne pas accepter le bien d'aulrni? S'd nous faut l'exemple d'une belle âme , rap- pelons Oraecinus Julius , ce grand citoyen que Calus lit mourir uni(|Upment parce qu'il était plus homme de bien qu'il ne convient "a un tyran d'en rencoutrei-. Ses amis lui apportant tous de l'argent pour la dépense des jeux publics, il refusa une somme considérable envoyée lar Fabius l'ersicus. Ceux-ci, qui considéraient plutôt l'offrande que celui qui offrait , le blâmant de son refus : moi , répondit-il , que j'aille acce|.ter un bienfait d'un homme dont je n'accepterais pas 'a table une san- té! El comme le consulaire Rebilus, homme non moins décrie, lui envoyait une somme encore plus forte, et insistait pour qu'il l'acceptât : «Je te prie , lui dit-il , de m'excuser; j'ai refusé Persi- cus. » Mettrait-on plus de scrupule dans le choix d'un sénateur, que cet homme dans le choix d'un bien fai leur? XMI. Lorsque nous aurons jugé convenable d'accepter, acceptons de bon cœur ; avouons ou- vertement notre joie et qu'elle soit si manifeste pour notre bienfaiteur, qu'il y Irouvc une récom- pense immédiate. Car c'est une cause légitime de joie, de voir un ami joyeux; plus légitime encore d'avoir fait sa joie. Montrons par d'affectueux épanchemenls, que nous avons reçu avec recon- naissance ; proclamons-la non seulement en pré- sence du bienfaiteur, mais aux yeux de tous. Celui qui a reçu avec reconnaissance, a déjà fait son premier paiement. X.XIll. 11 y en a qui ne veulent recevoir qu'en secret : ils évitent les témoins et les conûdents d'un bienfait : ceux-là ont une arrière-pensée. De même que celui qui obli^'e ne doit divulguer son bienfait ((u'autaiit qne cela plaît "a l'obligé; de même celui qui reçoit doit convoquer la foule. N'accepte point ce que tu as honte de devoir. Il y en a qui remercient furtivement, dans un coin, h l'oreille. Ce n'est pas là de la modestie , c'est une fiianière de désavouer. Il est ingrat celui qui, pour remercier, fuit les lémoius. Il y a des gens qui , en affaires , ne souffrent pas l'inscription de leur dette, ne veulent pas do courtiers, n'appellent pas de témoins h la signa- ture, et refusent tout acte écrit. C'est ainsi qu'a- gissant ceux cpii s'efforcent de dissimuler à tous, les services qui leur sont rendus. Ils craignent de les avouer, a(in de paraître tout devoir à leur mé- rite plutôt (|u'à l'appui des autres. Us sont surtout sobres d'hommages pour ceux auxquels ils doivent la vie ou la fortune : et, en craignant de descendre au rôle de client , ils se rabaissent à celui d'in- grat. XMV. D'autres disent le plus de mal de ceux qui leur ont fait I plus de bien. Il est moins dan- gcre'.'v d'offenser certains hommes que de les olil i • gcr; ils cherchent dans la haine la preuve qu'ils ne vous doivent rien. Or, rien ne doit nous occuper davantage, que de lixer en nous le souvenir de m.s sine illo péricliter. Incp'am et friTOlum hoc Hecatnn pnnit eieiiipluni Arcesilai , qacm ait a filio fainiliat obla tara pecimiam non «cccpisie, ne ille patrcm sordidum (iffeiideret. Quid frcit laude di);num? quod Tiirtuni non recepit? qnod nialuit Don accipcie, (|iiam rcddiTC '! <|uic est eaim alieiiam rem non accipere moderatio ? .Si cxeni- plo mai^ii aninii opus est, ulaiiiur (irxcini Julii viii egrcgii , qaem C. Cssar occidit ol> hoc uuum , quod iiic- lior ïir erat, qnani esse queniquain tyranno expcdiret. Is quxTi al» aniicis conferculibus ad iinpens:ini luduruni pecuiiias ace perel, niagn.iiii pecuniam a Fiiliio Pcrsico missam nnn accepil. Et ohjurKaotilms liis, qui non œsti- mabaot mitlenteg, sod mi&sa, quod repudias>et : Ego , inquil , al) co bencficiuni accipiam , a quo propiontionein acccpturus non siin ? Quumqiie illi Rcbilus consniaris , bomo ejusdem infamlie, niajorrm .<;unimain niisissft in- s'aretque, nt .-ccipi jtiberet : Rog", inquit, ignoscas , nain et a Periico non accepi. L'trum hoc niunera acci- pere rslî an sentum capiat. Justa enira c;msa la?ti- I1.T e»t , la:um arnicum vidcre ; justior , fecitsc. Gratc ad nos pervenisse iodicenius ctfusis affcctibus; qnod D(iii ipso tanluin audirnie, sed ubiqiie testcniur. Qui grati; bvncliciuui acceplt , prininin ejus pensioneni solvit. XXIII. Siint quidam , qui noiuntuisi secrète accipere: testem lieucHcii et cnnsciuni vitint; quo< scias licet niale &>gilare. Qiiuinodo danli in lanium producenda DOtitia est nmneris siii , in quantum delectatura est runi , ciii da- tur ; ila accipicnti EdhilK'oda concio est. Quod pudet de- l)cre, ne accepcris. Quidam furtive agunt gralias , et in angulo , et ad iiurcni. !Son est isla vencundia , sed iutl- tiandi geniis. Ingra:us est, (|ui, rcmutis aibilris, agit gralias. Quidam unliiiil noriiina secum fieri , nec iuler- poni p.rarios, nec signalores advociri, nnc chirogra- phum dare : idem fjciunt, qui dant opcram, ut lieneH- unl, quibiis aut vilain aul dignitaleni del)ent , et dum opinio- ncm dienliiim liment, graviorem sul)i iiut ingralorum. XXIV. Alii pessiine l()i|uuiitur de opiinie merilis. Tu- tius est quosdarn offenderc, quam denicriiisse : arguinen- lura niliil debeiitiuiii odio quœrunl. Alqui nihil nugis prxs'anJnm eil, qnam ut memoria nobii mcrilorum lia- 160 SÉNÈQUE. obligations, et plus d'une fois il faut le renouve- ler ; car celui qui se souvient peut seul reconnaître, et c'est déjà reconnaître que de se souvenir. N'accepte point dédaigneusement, ni a voix liasse, ni d'un air nonchalant. Car celui qui reçoit avec indifférence, alors qu'un bienfait récent char- me toujours, que fera-t-il lorsque sou premier plaisir sera refroidi? L'un reçoit d'un air en- nuyé, comme s'il disait : « Je n'en ai pas besoin; mais puisque tu me presses avec tant d'ardeur, je me mets "a ta discrétion. » Un autre se renverse en arrière, et laisse douter à celui qui l'oblige qu'il s'en soit aperçu : un troisième ouvre à peine les lèvres , et se montre plus ingrat que «il se taisait. Il faut parler avec d'autant plus de chaleur, que le don est plus important. On peut ajouter ces mots : « Tu fais plus d'heureux que tu ne penses. » Car il n'est personne qui ne se réjouisse de l'ex- tension de ses bienfaits. « Tu ne sais pas tout ce que tu m'as donné ; mais 11 faut que tu saches combien c'est au-dessus de ce que tu l'estimes. » C'est déj'a de la reconnaissance que d'ajouter au poids de ses obligations. « Jamais je ne pourrai in'acquitter avec loi : mais du moins je ne ces- serai de proclamer partout que je ne puis m'ac- ipiitter. » XXV. Rien ne mérita mieux "a Furnius les bon- nes grâces d'Auguste, rien ne rendit facile le succès de ses autres demandes , comme ces paioles lors- qu'il obtint la grâce de son père qui avait suivi le parti d'Antoine. « J'ai, dit-il, un seul tort à le reprocher, César ; tu me contrains de vivre et de mourir ingrat. » Qu'y a-t-il de plus digne d'un cœur reconnaissant, que de ne pouvoir jamais se contenter; que de n'arriver pas même "a l'espé- rance de jamais égaler un bienfait? Par de telles paroles et d'autres semblables, nous ferons que notre bonne volonté ne reste pas ca- chée , mais se fa.sse jour et brille au dehors. A dé- faut de paroles, si nous sentons combien nous devons , notre conscience éclatera surnotre visage. Celui qui doit être reconnaissant pense 'a rendre dès qu'il reçoit. 11 ressemble, dit Chrysippe, au coureur qui , prêt "a disputer le prix , et renfermé dans la barrière, doit attendre son tour pour s'é- lancer comme à un signal donné. Il lui faut une grande agilité, de grands efforts, pour atteindre celui qui l'a devancé. XXVI. Voyons maintenant ce qui surtout fait les ingrats. Une trop haute opinion de soi, et le défaut naturel à l'humanité, de n'admirer que soi et ce qui est sien ; ou l'avidité , ou l'envie : voilà les principales causes. Commençons par la pre- mière : Tout homme est pour lui-même un juge indul- gent : de là vient qu'il pense avoir tout mérité, et ne recevoir qne ce qui lui est dû; et il ne se croit jamais apprécié à sa juste valeur. « Il m'a donné cela ; mais après combien de temps? après combien d'efforts? J'aurais en bien davantage, si j'avais eu recoure à un tel ou à un tel , ou même à moi seul. Je ne m'attendais pas à cela : j'ai clé confondu dans la foule; puisqu'il m'a jugé digne de si peu, il eût été plus honnête de me passer. » XXVII. L'augure Cn. Lentulus, qu'on citait reat, qua; subinde relîcieiida est ; quia nec referre polcst gnitiam , nisi qui meminil; et qui meminit, jam refert. Nec délicate accipiciidum est, nec subinisse ettiumililer. Piam qui négligeas est in accipiendo, quum omne l)eiie- flcium recens placeat , quid faciet , quum prima cjus vo- luplas refrixerit ? alius accepit fastidiose , tamquam qui dicat : « ÎSon quideni mihi npus est; sed quia tam valde vis, faciam tibi mci potestatcm.» Alius supinc, ut dubium praestanti relinquat , an senserit : alius tîx labra diduxit, et ingralior, quam si facuisset, fuit. Loquendum pro magnitudine roi impcnsius, et illa adjicieuda : « Plnres quam putas, obligasli. a Nemo enim non gaudetbenefi- I ium suum lalius patere. « Nescis quid mihi pracsliteris ; sed scire te oportct, (|uanto plus sit quam «stinias. » Statim gratus est, qui se oneral : « Nunquam tibi gra- tlam refcrre [Xitero ; illud cerle non desiuam ubique con- nteri , me referre non posse. » XXV. Nulto magis Cassarem Augustum dcmeruit , et ait nlia impetranda facilem sibi reddidit Furnius , quam quod , quum pa.'ri Anlonianas partes sccuto veninm im- pelrasset, dixit : Hanc unani , Cœsar, habeo injuriam liiam , effeeisli ut viverem et morercr ingratus. Quid est tam gr.iti snimi, quaninuîlo modo sibi satisfacere, quam nec ad speni quidcm exapquandi unqiiam bencficii acce- dere? Hisatque ejusmodi vocibus id:'gamus,utTolunlas non lateat, sed aperiatur, cl luceat. Verba cessent lieet, si quemadmodum debenms afferti sumns , cooscientia eminebitin tuUu. Qui grains fnturus est, statim dura ac- cepit, de reddendo cogitai. Chrysippns qnidem dicit, illum velut in certamen cursus compnsitum , et carceri- bns inclnsum, opperiri debere suum tempus, ad quiwi velut dalo signo prosiliat. Et qnidem magna illi celeri- tate opus est , magna contentione , ut consequatur antecas arrivé à la prélure; celle-ci n'a pas de charmes , si l'on n'obtient le consulat; et le consulat ne sa- tisfait point s'il vient seul. La cupidité se dépasse elle-même, et n'a pas le sentiment de son bonheur, parce qu'elle ne regarde pas d'où elle vient , mais où elle va. Un mal plus violent et plus tyrannique que tous ceux-là , c'est l'envie, qui nous tourmente par ses comparaisons. XXVIll. Il II m'a donné; mais il a donné plus 'a celui-ci, et plus tût a cclui-l'a.» L'envie ne plaide pour personne; elle se fait valoir contre tout le monde. N'est-il pas bien plus simple, bien plus honnête de relever le bienfait reçu, et dese persua- der que nul ne peut cire autant esliraé des autres que de soi même ? Je devais recevoir davantage-; mais il ne lui était pas facile de donner plus ; il lui fallait partager sa libéralité entre plusieurs. C'est un commencement. Acceptons de bonne grâce, et par la reconnaissance appelons de nouveau ses bontés. 11 a fait peu ; mais il fera plus souvent : il m'a préféré un tel , mais il m'a préféré à beaucoup d'autres : un tel ne se recommande pas comme moi par son mérite ou ses bons oflices; mais le dé de Vénus a été jwur lui '. En me plaignant. Je no me rendrai pas digue d'avoir plus, mais indi- gne de ce que J'ai eu. Des hommes décriés ont tu davantage. Qu'importe? Combien il est rare que la fortune délibère! Tous les Jours nous nous plai- gnons que les méchants soient heureux : souvent la grêle passe sur l'enclos du plus malhonnCto homme, et va t<)nd)er sur la maison du juste. Il faut subir son sort en amitié comme dans tout le reste. Aucun bienfait n'est si complet, qu'il ne puisse être critiqué par la malveillance; aucun n'est si mesquin qu'un bon esprit ne le grandisse en l'in- ' remis nnjnclus cenerrus était le coup lopins liciireiii au jiru de dés. eiemplnm , anteqnnm illum lll>ertini paupcrcm fiiccront (hic qui <|uater inillies se.>terliuin suuni vidit ; proprie dixi : niliit enim amplius quain vidit ) , iogcnii fuit taiu slc- rilis , quam pusilli aninii. Quuiii csset avari.ssinius , num- mos citiusemitlebat , quam verba : tanla illi iuopia erat ieniionig. Ilic quum omnia increnienta sua D. Auguste delieret , ad queni attulerat pauperlateni , sut) ooere no- bilitatis jatioranlein ; princcps jani citilatis, et pecunia, et gi-atia, suliinde de Augusio sulebal queri. diccns, a ■tudiis se abductuni ; niliil tantuni iii se çongcstuin esse , quantum (lerdidisset , relicta rloqiientia. At illi inUT alia hoc quoque divus Angusius prœsii.erat, quod4llum de- lUu ac latwre irrito librraierat. IS'on patilur uviditas quemqiiam esse gr.itum ; DUD(|iiam enim iinpi'ol>>e spci , qiiod datur, salis est. En majora cupinius, quo majora «enrrunt ; mulloqiic concilatior est aiaritia , in magna- rum opuni congcsia collocata ; ut tlamma; iuDnito acrior visrst, quo ei majore iucendio emicuit. £qu« ambitio non patilur queniquaminea inensura liunoruni conquies- ccre, (|Ute quondam rjus fuit impiidens votum. IS'emo agit de tribuualu gralias , scd queritur , quod non est ad prœiuram usque perduclus; nec luxe grata est , si dvest cuusulalus; no liic quidem satiat, si unus est. titra se cupiditasporrigit,ctrelicila!('m siiam non intelligit ; quin non unde Tcncrit . rcspicit , sed i|iio tcnuat. Omnibus liis Tchementius et importunius nialiini est Invidia , qua; nos inquiétât , dum comparât. XXVIII. Hoc milii pra>slltil; scil illi plus, srd illi ni.n- turius; et deinde oullius caiisani ngit . contra omnes sibi favet. Quantocst simplicius, qudiito prudenliiis, l>eii('fi cium acceptum augerc , scirc ncniinem lanti ub alio, quanti a se ipso a>slimari? Plus accipere debui, scd illi tacile non fuit plus dare , in miiltos dividenda libcrallias erat. Hoc initium est; boni consulamus, et animiim ejus, prale eicipiondo, evocenius. Paruni fecil; sed sa-piiis h- cicl. Illum mibi pra'tullt; et me multis. Illc non est mihi par virlulibus, nec ofticiis ; sed habuit suani venereni. (^ucrendo non efficiam , ut majoribiis dignus sim , sed ut datis indignas. PInra illis bominibus tur|)issiniis data sunt; quid ad rem? quam r.nro Fortuna judical? Quoll- die queiinmr , malos esse felices. Sa-pe qu.T agellos pcs- simi cujusquc transierat, optimorum virorum segetcni grande percussit. Fert sortent suani quisque, ut in céle- ris rébus , ila in amiciliis. Nullum est tam plénum liene- liciuni , quod mm velllcare nialigiiilas possit : nullum tam aiigustum , quod non lionus iulerpres exteudal. iSunquani M <02 SÉNÈQUE. lerprélant. Jaiaais les sujets de plainte ne man- , ôlrc donné. Ainsi donc, qui que tu sois, injuste queront, si l'on regarde les bienfaits du mauvais appréciaieur de la condilion liumainc, rappelle- loi combien de choses nous a données le père des lionmies, combien d'animaux plus foris que nous ont passé sous noire joug, combien de plus agiles nous atteignons; songe qu'il n'y a riei; de mortel qui ne soit placé tous nos coups. Com- bien n'avons-nous pas reçu do venus, combieu d'aris, outre ce génie pour qui tout s'ouvre au cote. XXIX. 'Vois avec quelle injnslice sont appréciés les présents des dieux , même par ceux qui font profession de sagesse. Ils se plaignent de ce que nous n'avons pas la grandeur de l'élépliant, l'agi- lité du cerf, la légèreté de l'oiseau, la vigueur du taureau; de ce que notre peau n'est pas solide comme celle desanimaux de proie, élég^mle comme ; moment qu'il y veut pénétrer, et qui, plus ra- celle du daim , épaisse comme celle del'ours, sou- pidc que les astres, devance leur marclio future pie comme celle du castor; déco que le chien nous surpasse par la Onesse do son odorat, l'aigle par la force du regard , le corbeau par la durée de sa vie, et beaucoup d'animaux par leur aptitude a nager. Et tandis qu'il y a des choses auxquelles la nature ne pcrtnel [)às d'aller ensemble, comme la masse et la vitesse, ils crient h l'injustice de ce que rhoramc n'est pas un assemblage de qua- lités opposées, qui s'excluent mutuellement; ils querellent les dieux d'avoir négligé de nous donner une saule inaliérable, un courage in- vincible, et la science de l'avenir. A peine sont- ils assez maîtres d'eux-mêmes i)our ne pas por- ter leur léniciité jus(iu'a maudire la nature, de ce que nous sommes au-dessous des dieux et non pas a leur niveau, (ju'il vaut bien mieux revenir il la contemplation de taiil et de si grands bien- faits, et les remoicicr dececpjedans celle magnifi- que demeure do l'univers ils nous ont laissé la se- conde place et l'empire de la terre. Qui peut nous comparer les animaux dont nous sonmies les maî- Ires? Tout eequi iious a été refusé ne pouvait nous dans les révolutions des siècles, enfiu, combien de productions et de richesses, combien de tré- tors iiccumulés! ïu interroges tous les êtres, et parce que tu n'en trouves pas un dont l'ensemble le paraisse préférable a toi, tu voudrais délaclier de lous chaque |)artie que tu voudrais avoir 1 Pèse bien !a bonté de la nature, et lu avoueras que lu es son enfant théri. Oui, nous avons été les favo- ris des dieux immortels, et nous le sommes encore ; et le plus grand bonneurqu'ils pussent nous faire, était de nous placer après eux. Nous avons beau- coup oblenu, nous ne pouvions lenir davantage. XXX. J'ai cru, mon cher Libéralis, celte digres- sion nécessaire, et parce qu'il fallait dire quelque chose des grands bienfaits, eu parlant des moins imporlants , et parce que de la même source pro- vient, dans tout le reste, l'audace de ce détestable vice, Tingtaiiiude. A qui répondra-1-il avec recon- naissance, quel don cstiinera-t-il grand et digne d'être rendu, celui qui méprise les bienfaits venus d'en haut'? A qui croira-l-il devoir son salut ou son existence, celui qui nie avoir reçu des dieux la vie deerunt causas querendl , si bénéficia a détériore parte sjjectaveris. XXIX. Vide quam iiiiqui siiit divinorum niuneriim ajs- timntores, etiamijuidaiii prol'cssi sapicniiani. Qiienuiliir, ijuod non niagnitndine corporis acquoniiis eleiiliantes , velocilate cervos, levilate aves, inipclu tauros : quod solidior sit culis l)elliiis, decciitior daiiiis, dcnsior ursis, inollior fibris; quod sagacilatcnosnarium canes vincanl, ijuod acie luniiniini aqulte, spatio a'talis corvi, niulla animalia nandi fclicilale. Et qiium quacdam ne coirc quidcm in idem natina patiatiir , ut ve'ocitatini corpo- riini et vires; ex diveisis ac dissidentilms bonis honiincm non esse coinposiluni , injuriani vocant; et in nepligenlcs DOStri dcos qucrimoniani jaciiml, quod non bona vale- tudo et virtus iiiexpupnalnlis dala sit, quod non fnturi tcicntia. Vix sibi tenipc-iant, qnin eonsquc inipudentia; provchantnr, ut nalurani odcrint.qnod infradeossn- mus, quod non in œqiio illis slelimus. Qnanio salius est nd conteinplalionem lot tantorumqiie beneliciorum rc- vprli , et apere grattas , quod nos in lioc pidctierrinio do- micilio Toluenint secondas sortir! , quod f rrenis pra'fc- cci'iint. Aliquis ea animalia comparât uobis, quorum (Mlcttas pênes nos cst?Quidquid uobis uegalum csl , dari nan potuit. Proinde quisquis es iniquus ipstimatoi sorlis humana", cogita quanta nobis Iribueri! parcns nos- tcr, quanto Talenliora animalia sub jugum miserimus , quanto velociora consequamur : quam nihil sit niortale, non sul> ictu nostro positum. Tôt viriulcs accep'inus, lot arles, aninium deniquc, oui nihil nonrodem que intendit nionienlo pervium est , sideribus vclociorem , quorum post niulta secula futures cursus antecedit; tantum deiode Impuni , tantum opum , tan'.um reruni aliaruni super alias acervatarum. Circumcas licct cuncta : et quia nihil tutum invenies, quod esse le malles , ex omnibus singula cxcerpas , quae libi dari velles. Bene a'slimata nnturae in- dulpcnlia , coufitearis neresse est , io deliciis te illi fuisse. I;a est :carissiuios nos habucruntdiiimmoriales, habent- qu:>. Et qui niaximus tribui honns poluil , ab ipsis proii- nios coUocavcruot. ]\lapua accopimus, majora non ce- pimus. XXX. Ilasc, mi Libéralis , nccossaria credidi , ut dice- rem , et quia loquendum aliquid de raapnis benefiriis crat, quum de minutis loqueremnr; et quia indc mannt ctiam in colcra bujus delcstabilis yilii audacia. Cui eniin respnndebit prate.quod munns cxistimaliit aut mipnuni, aut rcddcudum , qui summa bénéficia spcroitT Cui salu- UES BIENFAITS. {fô que tous les jours il leur demancle? Ainsi quiroii- quo enseigne la reconnaissance, plaide la cause des hommes et des dieux. Car nous pouvons Icmoigner noire rrconnais- sance nii"me à ceux qui n'ont besoin de rien et qui sont placés au-delà du dé^ir. 11 n'y a pas lieu de clierclier une excuse à ringraliliidc dans noire faiblesse et noire misère, c! de dire : o Que faire, el comment? Quand ponrrai-jc rendre aux puis- sancessiipcrienres, anxmaîtresdeloulesclioses? » Tu le peux facilement, et si tu es avare, sans dé- pense ; si tu es paresseux, sans effort. Au moment mcnieoù lu es obligé, tu es quitte, si tu le veux, avec tout bienfaiteur ; parce que celui qui a reçu de bon cœur, a rendu. XXXI. De tous les |)aradoxps de la secle sloï- ciennc , celui-ci est , selon moi , le moins étranue, le moins contestable : celui qui a reçu de bon cœur a rendu. Car, comme nous rap(X)rtons tout h l'in- tention, cLacun a fait tout ce qu'il a voulu faire; et de même que la piété , la l)onne foi, la justice, et enfin toute verlu est parfaite en soi , encore qu'elle n'ait pu faire voir une main qui donne, de niûrae un homme peut être reconnaissant par sa seule volonté. Tontes les fois qu'on parvient à ce qu'on s'est pn)|>osé, on a recueilli le fruit lie ses soins. Or, que se propose celui qui donne? d'être mile "a celui qui reçoit, et de su contenter lui-même. Si son but est rempli, si son cœur s'est mis en rapport avec le mien , s'il m'a fait partager s:i satisfaction , il a obtenu ce qu'il désirait. Car il n'a pas voulu qu"a mou tour je lui rendisse quelque cho.se: au- trement ce n'eût pas été un bienfait, mais un trafic. Une navigation est heureuse, lorsqu'on a tou- ché le port oii l'on tendait ; le trait qui frappe où l'on vise a répondu "a l'impulsion d'une main adroite : celui qui donne veut qu'on reçoive avec reconnaissance; il a ce qu'il a voulu, si on a bien reçu. Mais il espérait quelque profit : alors ce n'est pas un bienfait, dont le caiaclère est do ne jamais songer au retour. Si , en recevant . j'ai reçu du même cœur qu'on me donnait, j'ai rendu. Autrement, In meilleure des choses aurait le pire sort; pour être reconnaissant on nie renvoie ii la fortune. Si, par suite de ses rigueurs, je ne puis répondre, le cœur doit suffire au cœur. Quoi donc ! tout ce que je pourrai ne le f(Mv;i- jo pas, ne le rendrai-jc pas? i\e saisirai-je pas l'occasion, le temps, les circonstances; ncdésire- rai-je pas combler celui dont j'ai reçu quelque chose? Sans doute : mais un bienfait vient de mauvaise source, si on ne peut en être reconnais- sant , même les mains vides. X.X.MI. Mais , dit-on , celui qui a reçu un bien- fait, quoiqu'il l'ait reçu do grand cœur, n'a pas encore rempli toute sa tâche; car il reste le cha- pitre delà restitution. De même au jeu, c'est (|uel- que chose que de recevoir la balle avec art et habi- leté ; mais on n'est pas appelé bon joueur , si après l'avoir reçue, on ne la renvoie avec adresse et vi- gueur, la comparaison n'est pas juste. Pourquoi? parce que tout le mérite du jeu consiste dans la sou- plesse et l'agilité du corps , et nullement dans l'es- prit. C'est pourquoi ce qui se jnse par les yeux doit se développer dans tout son ensoralile. Et ce- lem, cui spiiKum dclwliil, qui vilain acc(?pissc se a diis iiegat, quani quotidie ab illK petit ?Quicumqiicergo gra- tos efse docet, et linniiiiuiii c^u>ain agit, et deoriini; quiltiis Diitlius rcl indigcnlitMis, posilis rxlra dt'siilcriuni, rrferrc niliiloniiniis graiiain poisuinus. iSon esl qtiod quisqiuni eiC4isationein meiilis iiigrata- at> infîrinilatcul- (|Uc ionpia pclat, et dirai : qiiid cniin faciuin, et quo- luudo? quand» liuperiorilius , dimiiiiis:|Uc reruni oiimiuin graliam refcrain? ilelcrre facile est, si a>aru^ os, sine iinppadio, si iner^, sine opéra. Eodeiu ^juideni niomcnlo, quo olriigatus es , si vis , ciim quoliticl paria (ecisti ; quo- Kiani (|ui lilienter Ivodicinni accepit, rcddidi'. XXXI. iloi: ex paraduvis Stoiae scclac minime mira- bile , ut mea fert npinio, aut incredil>ile est, eum qui li- luMiter accipit l>eDencium, rcddidisse. Nam quum umnia sd animumreferamus, Tvcitquisque, quantum voluil; et quum pietas, fldes, jnstiiia . omnis deoique virlus uitra se |M>rrpcta sit, etiamsi illi manuiii eisercre non licuit, gralus qnoque polesi esse liomo vnluutate. Quoties quod pnipnsuit qnis coosequilur, capit oporis sui fructum. Qui bencOcium dat, qud pniponil? prodessc ci cui dal, et voluptati Mbi esse. Si quod Toluit, erfecit, pcrvuuilque e du poing, il est condamné pour injure. Nous disons que le fou ne possède rien ; el cepen- dant celui qui dérobe quelque chose à un fou, est condamné pour vol. Nous disons que tous les fous déraisonnent; et cependant nous ne leur donnons pas à tous l'ellébore; et ceux mêmes aux« quels nous contestons la raison, nous leur don- nons encore le droit de suffrage et de juridiction. De même nous disons que celui qui a reçu de bon cœur un bienfait s'est acquitté; néanmoins nous lui laissons toujours une dette, afin qu'il s'ac^ quitte de nouveau , après s'êlre acquitté déjii. -Ce n'est pas l'a un désaveu du bienfait, c'est un en couragcmcnt 'a lu reconnaissance. Ne soyons donc pas effrayés , et ne nous lais- sons pas abattre sous ce fardeau comme s'il él;iit trop lourd. Il m'a comblé de biens, il a défendu ma réputation, il m'a sauvé du déshonneur, il m'a assuré la vie, et la liberté préférable "a la vie : comment pourrai -je lui prouver ma reconnais- sance? Quand viendra le jour où je lui témoigne- rai mes sentiments? Ce jour est venu : c'est lors- qu'il l'a témoigné les siens. Saisis donc le bienfait, chéris-le , et réjouis-toi , non de ce (jue lu reçois , mais de ce que tu rends eu restant débiteur. .Nul danger assez grand ne pourra plus désormais t'cx- poscp a ce t\ue le sort te fasse ingrat. Je ne te proposerai pas de$ choses dilOciles; tu pourrais perdre courage, et la perspective de tes charges ot d'une longue redevance pourrait te faire renon- cer ; je ne te renvoie pas "a l'avenir : parlons du pré-sent. Tu ne seras jamais reconnaissant , si tu ne l'es sur-le-champ. Que feras-tu donc? Il ne s'agit pas de prendre les armes ; mais plus tard , peut-être, il le faudra : il ne s'agit pas de parcoii- teriirritat impulil. Porcimunia est scientia Tilandi suintus iuperTacuos, aut ara rc faiiiiliari nioderalc utendi; par- us.simum lanipii lioiniiieiii vocanius pusilli aiilini et con- Iractl; qimni Inlloitum intersitintermodum ctaogustias. lla-c alia sunt iiatura; sed cfTecit Inopla tcrmuois, ut i-t liuiic et illum parcum vorcmus ; ut et illc fortis dicalur cuni ratlooe rorluila despicicos, et bic siaeratioDe iu |>e- ilcuïa ejcurrcns. Sic Ix-neficiiira est et aclio , ut dixinius, Iwneflca , et ipsam quod dalur per illani aciionem : ut pecuoia , ut doiuus , ut prxtexta. Ununi utrique nonien est : Tjs quidem ac poteslas lonce alia. XXXV. Itaque attende; jamiotelliges nihil me, quod opinio tna rctuglat, dtcere. Illi beoeflcio quod aclio per- flcit, relata gralla est, si illud lienevole excipinius : illud alterum quod re c«n!inctar, nondum re ddidimus , sed vulunins redderc. Voluntati TOlunlate salisfecimus , rei rem debcmus. Ilaque quamiis relulisse illum graliaic dl- camus, qui lieneflcium libenter accepit; jubemus tameo aliquld siraileei quod accepil, rcddcre. A ronsuetuiiinc i|nxdam qna» dicimas, alihorrent; deindc de alia via ad ««nueliidinem rcdcunt. >c|!amus injuriam acciperc sa- (lirulcni ; el tsmcn qui illum pugno |>ei-c(userit , injuria- rum damnahitur. ISegamus rem stulti esse : et lameu euin qui rem aliquam stulto surripuerit, Turti condemnabi- luus. Josanireonmesdicinius : neclamenomues curarius cllelioro ; liis ipsis quos vocamus insanns, etsuflraglum etjurisdictionem cuiiiuiittimus. Sic dicimus eum, quil>e- ncliciuin l)ono auimo accepit, gratiam relulisse : mliilo- miuus illum in âpre alieno relinquimus, gratiam relata- ruin, cliam quum rclulcril. Exliortatio est i)la , non ind- ci.ttio l)cneneii. !Sc timramus, ne>e intolerabili sarcina dcprcs&i defîciamus animo. Boua niilii dunnta »uiit, ot fama dcfensa , detractfi! sordcs, spirilus.et libcrlas |>o- tiorkpirita; et quomodo referre gniliani potero? qiiando illc venict dics, quo illi animuiii meuui oslendam? bIc ipsecU, quo ille suum nstendit. Eioipudcas animo, ne lalionim ac longie servilutis eispoctationc deficias; non diderotc; de prjB- senlilius fiât. ISunquam eris gnitus, nisi slatiin sis. Quiil ergo faciès? non arma sumenda sunt ; et f(irla>se enmt. rion maria emeticnda; fortassc eliiiin >entis minanlihuil IG6 SENEQUE. rir les mers; mais plus lard, pcut-ôtrc, tu mettras à la voile, au souffle des venls menaçants. Veux- tu rendre un bienfait? reçois de bon cœur ; tu as rendu : non pourtant que tu sois libéré ; mais tu peux devoir en paix. LIVRE TROISIEME. 1. L'ingratitude, Ébutius, est honteuse, et tout le monde l'avoue. Aussi, môme les ingrats, se plaignent des ingrats; taudis que ce vice, qui dé- plaît à tous, est dans le cœur de tous; et nous mar- chons tellement à rebours, que certains honnnfs sont nos plus grands ennemis non-seulement après le bienfait, mais à cause du bienfait. J avoue que chez quelques-uns cela vient do la dépravation naturelle ; chez beaucoup , c'est la marche du temps qui ôle la mémoire. Car des impressions, qui dans l'origine ont été Ircs-vivcs, s'effacent par l'intervalle des années. Je sais que la-dessus je n'étais pas d'accord avec toi, parce que tu prétendais que ce n'élail pas de 1 ingiatitude, mais de l'oubli; comme si ce (|ui l'ait les ingrats devait les excuser ; comme si celui qui oublie n'était pas un ingrat, tandis qu'il n'y a que l'ingrat qui oublie. ' Il y a plusieurs espèces d'ingrats , comme de voleurs et d'homicides : leur crime, à tous, est le même; toutefois, dans les détails, ils diffèrent grandement. L'ingrat est celui qui nie le bienfait qu'il a reçu ; l'ingrat est celui qui le dissimule ; l'ingrat est celui qui ne le rend pas; le plus in- grat do tous est celui qui oublie. En effet , si les autres ne paient pas , ils savent au moins qu'ils doivent; et il reste chez eux quel- que trace du bienfait, cachée dans les replis d'une mauvaise conscience : un jour, peut-être, quel- que cause pourra les convertir à la reconnais- sance , soit qu'ils se laissent ramener par la honte, ou par un retour soudain à l'honnête, comme on le voit quelquefois, même dans des cœurs pervers; soit qu'une occasion facile les entraîne. Mais on ne peut jamais devenir reconnaissant lorsque le bienfait est complètement efface. Et lequel appelles-tu le plus coupable, ou celui qui nian(|uc de reconnaissance , ou celui qui man- que de mémoire? Les yeux qui craisnent la lu- mière sont de mauvais yeux; ceux qui ne la voient pas sont aveugles : c'est une impiété de ne pas aimer ses parents; ne pas les reconnaître , c'est de la démence. Quelle plus grande ingratitude que d'écarter, de rejeter du cœur ce qui devrait y tenir le premier rang et s'y représenter sans cesse, que d'arriver jusqu"a l'ignorance totale du bien- fait? Celui qui se laisse gagner par l'oubli ne paraît pas avoir souvent pensé à rendre. II. EnDn, pour rendre il faut du courage, du temps, des moyens et l'aide de la fortune. Avec la mémoire, sans frais, on est reconnaissant. Ce- lui qui ne fait pas ce qui n'exige ni efforts, ni richesses, ni bonheur, n'a aucune excuse qui plaide en sa faveur. Car jamais il n'a voulu être reconnaissant celui qui a rejeté si loin de lui le bienfait, qu'il l'a placé hors de sa vue. De même que les objets qui servent constamment, et qui, tous les jours , passent dans les mains, ne courent pas risque de se rouiller, taudis que ceux qui ne Suives. Vis reddere l>cne(îcium ? benignsaccipc, relnlisti gratiara ; non ut suivisse to putes, sed ut sccurior debeas. LIBER TKRTIUS. I. Non referre beneficiis gratiam , et est liirpe, et apuH (iiuiies bat)etiir, ^buli Lil)eralis. Ideo de in^ralis ctiani int'rali querimtiir, nnuiii intcrini hoc oninibiis hœrcat, (]Uod oiiinil>us displicet : aileoipie iu contrariuni i!ur, ut quosdam babeamiis iufeslissiiiios non post bénéficia lan- luin, sed proplir licneficia. Jloc pravitate naturaî acci- (Jere quibusdani non ncgaverini; pluriluis, quia nienio- riam tempus interposilnm sulidusit. Nani quae rccenlia apud illos viguernnt, ea interjeclo siialio obsolescnnt. De quibus fuisse milii tecuiii disputalionem scio.quuni tu illos non ingratos TOcares,sed oblitos. Tanquani ea rcs ingratum cxcusct, qua? facit.ant, quia boc aecidil alicui, non sit ingratus, quum lioc non accidat.nisi ingralo. UluUa sunl gênera ingratornm, ut furnm, ut bomicida- rum; quorum una culpa est, ceiiruni in parlibus varie- tas magna. Ingratus est, qui beneficium accepisse ye negat, quod acoepit; ingratus est, qui dissinuilat; ingr.iUis qui non reddil; ingratissimus omnium, qui olililus est. Illi cnim si non solvunt, tamen debent; eteistat apud illos vesligium cerle nieritorum intra malam conscienliam conclusorum; et aliquando ad referendam graliam con- vcrli ei aliqua causa possuut, si illos pudor admonuerit, si subi la honesla^ rei cupidilas. qualis solet ad tempus eliam in nialis pectoribus e\snrgcre, si invilaverit facilis occnsio : bic nunquam (ieri graïus potest, cui tolum be- ncliciuni elapsum est. Et utrum tu pejoreui vocas, apud qucm gralia bcuelicii inlercidil , an apud ([ucni eliam me- nioria? vitiosioculi sunt qui tucem rer.)rmidant , csoc.i, qui non vident. Et parentes suos non aniarc, impietas esl ; nonagnosccrc, insania. Quist&m ingratus est, quani qui quod in prima parte animi posilum esse delinit, et semper occurrere , ila seposuit et abjccit, ut in ignoran- tiam verlerel ? apparet illum non saepe de reddeodo cogi- tasse, cui obrepsit oblivio. II. Deniquc ad reddendam gratiam, et Tirinle opns est , et lenipore, et faciiltaie , et adsiiiraulc fortuna. Qui nieminit , sine inipendio gratus esl. Hoc, quod non npe- ram exigit, non opes, non felicitalem, qui non praestat- nulluni h.ibel, quo lateat, palrosinium. Nunquam enini voluit gratus esse, qui beneBciuui tara longe projccit , ut extra cnnspccium snam poneret. Qiiemadmoduin quae in DES BIENFAITS. 1G7 tombent pas sons les yeux, mais snn t relégués com- me inutiles loin du service journalier, se ciiargont des souillures que leur apporte le temps; de même les sentiments qu'une pensée habituelle entretient ol renouvelle, n'échappent jamais 'a la mémoire qui ne perd que ce qu'elle ne regarde pas souvent. III. Outre cette cause, il en est encore d'au- tres qui nous dérobent quelquefois les services les plus importants. La première do toutes et la {)lus puissante , c'est que, toujours tourmentés de nou- veaux désirs", nous ne regardons pas ce que nous avons, mais ce que nous poursuivons, occupés, non de ce qui est obtenu , mais de ce ijui est sou- haité : car tout ce qu'où a chez, soi , perd son prix. Il en rt-sulte que, dès que le bienfait reçu s'est affaibli pr le désir de choses nouvelles , le bien- faiteur se trouve aussi déprécie. Nous l'avons i imé , révéré , proclamé le fimdalcur de notre roituiie, tant que nous avons été contents de ce que nous avions obteon. Knsiiitc, notre âme est saisie d'enthousiasme pour d'autres choses ; c'est vers elles que nous nous élançons, selon i'Iialiitudc des mortels, que les grandes choses font aspirer h de plus grandes. Aussitôt dispa- raît tout ce qu'auparavant nous appelions bien- fait; et nous ne voyons pins ce qui nous a mis au-dessus des autres, mais seulement ce que nous claie la fortune de ceux qui marchent devant nous. Or, on ne peut être en même temps envieux et reconnaissant , parce que l'envie est triste et chagrine; la reconnaissance est joyeuse. linsuile, comme chacun de nous ne connaît que lo temps piésenl, qui passe si vile, peu de gens reportent leur esprit vers le passé. C'est ainsi que périt le souvenir de nos maîtres et de leurs bienfaits , parce que nous avons laissé der- rière nous notre enfance ; c'est ainsi que s'effacent les biens accumulés sur notre jeunesse, parce qu'elle-même ne peut jamais revenir. Tout ce qui a été , nous le plaçons, non dans le passé, mais dans le néant. De là vient l'inconstance de la mé- moire chez ceux qui ne s'atiachont qu'à l'avenir. IV. Ici je dois rendre un juste témoignage à Epicure , qui se plaint sans cesse que nous soyons ingrals envers le passé, (|ue nnus ne rapprochions pas de uous les biens que nous avons reçus , que nous ne les comptions pos parmi nos jouis.sances; comme s'il y avait une jouissance plus assurée que celle qui ne peut plus se perdre. Les biens pn''- senis ne sont pas encore d'une entière soli(lil(; ; quelque revers peut 1rs détruire : l'avenir eslchan- ceux et incertain : le passe seul ne court pas de risques. Comment donc peut-on être reconnais- sant lorsqu'on franchit toute sa vie passée, pour ne regarder que le présent et l'avenir"? La mé- moire fait la reconnaissance : or, c'est donner peu il la mémoire que de donner beaucoup a l'es- pérance. V. Il y a des choses , mon cher Libéralis , qui , une fois conçues, * lixent dans l'esprit ; d'autres, pour cire sues, n'exigent («as senlement qu'on les ap|iienne ; car leur connaissance se perd, si elle n'est ciiltivco : par exemple, la géométrie, l'astronomie et li'S autres sciences que leur sub- tilité Jlfnd fugitives. De même, il y a des bicii- fails dont la grandeur empêche l'oubli ; d'autres, iisii siMil, et manum qunlidlc tactiiniqnc paliiiiitiir, niin- cjunin pcriculuin Mtiis .iditint; illa quie ad ociilos non rc- lofanlur.sod entra conTcrsniionrni , ui siiperTaeiia jarue- runl, sonlc«ipitnc(>lli(;tint\Ptiistalo: ilaquidquid Ircciiiciis cr.gilatio encrre! ac rénovai , moniiiria; iiiin(iii:ini sulxlii- ciliir, qii.i! iiitiil perdit, nisi ad quod uoii s,T|>e rcspeiil. III. Pra-tcr ti.:nc ciiisam ,athe qii(H|UCSunt , qiiiL'iuitils mérita nonniinquam niaxima vclanl. Frima (ininitini ac potinipercU|)iditatibiis(>C('up,'ili, mm qui.l tiabcanius , «d quid pclanius , inspiciiniii, non In id qnod est, sed qnod appelitur, inlonti. Qiiidqiiiil di)ini est , vile est. Sequitur autem , m nhi qnod arc<'|H v» , live noToruni ciipidilas fixil, aii lor qiioqu» corum n ^n si in prelio. Aniavimus aliquem et siispexinms , et fuiidalnni iib illo stntnni nosiriim profcssi suiiiiii.s placel>aiil ea qua- consecu'.i suinns ; deinde inunipit ani- nmm alinruin adiniralio, el ad ea inipetiis laclus est, uli niorli<|'il>as nios evt ev magnis majora cU]) eiidi ; pioliniis eicidil, quidquid antc apu I nos l)enc(lcium vocalwlur. >cc ea inlueniur, quœ nos aliis prcp|K)onit; ideoquc caduca ineinoria est futuro imniineutinni. I\'. Hoc loco rcddendnm est Epicaro tcslimonium , qnl assidue qiierilur, quod advcrsus prsterila simus ingr.iti , (piod qui-pcuiiique percepinnis bona , non reduci.mus , nec iiiter voUiplates miincreiniis ; quuni certior nul!a sit vo- Inpias , quam qua? jam cripi non potest. l'iii-scritia liona nonduni Iota in solide tuiit; polest illa casus aliquis inci- dfpc : (ulura pendent , cl incerla sunt : quod proclcnit, illier tnta seposiluni est. Quoinodo erfjo pratus quisqnam c>se ailversiis lieneficia potest, qui omnem vilam suani tr.insilil pr;escntinni intuitu ac fuluroruni? Meniona (jra- ttini facil; mcmorix minimum trihuit, quisquis spci plu- rinium. V. Qiipmadniodum, mi Lilicralis, qna-dam res semei percept;e haTent ; (iiiaedani , ni scias , non est satis didi- cissc : intercidit cniin corum scicntiii , nisi conliiiuclur : (•eunictriam diro , et suhlimium cni-snin , et si qiia alia propter subtilitatem lahrica sunt : ita lieuclîcia qua-daiil.. 168 SÉNÈQUE. moins imporlauls , mais pius noralireux , et de différentes époques , s'enfuient de la mémoire. Parce que , comme je l'ai dit, nous n'y revenons pas de temps à autre, et que nous ne faisons pas volontiers le relevé de ce que nous devons. Ecoutez les solliciteurs : il n'y en a aucun qui ne dise que le souvenir du service vivra éternel- lement dans son cœur, aucun qui ne se proclame un esclave dévoué, et qui ne trouve le mot le plus humble pour cautionner la reconnaissance. Peu de temps après, ces mêmes hommes évitent leurs premières paroles , comme basses et serviles ; et arrivent ensuite à l'oubli , qui est , "a mon avis, le dernier terme de l'ingratilude. Car on est si ingrat d'oublier, qu'il suffit de se souvenir pour être reconnaissant. VI. On demande si ce vice odieux doit rester impuni , et si cette loi qui, traitée dans les écoles, admet l'action contre l'ingrat , ne pourrait pas être introduite dans la cité. Chacun trouve cela juste. Pourquoi non? disent-ils; puisque les villes redemandent aux villes ce qu'elles ont donné , et exigent même des descendants ce que les ancêtres ont reçu. Nos pères, ces grands citoyens, n'ont jamais lien réclamé que de leurs ennemis : ils donnaient de grand cœur et perdaient de'niôme. Excepté la Macédoine , il u'y a point de nation qui ait accordé une action contre l'ingrat. C'est déj'a une grande preuve qu'il ne fallait pas en accorder. Car, contre tous les autres crimes , on est d'accord : l'iiorai- tide , l'empoisonnement, le parricide, le sacri- lège subissent, selon les lieux, une peine diffé- rente ; mais partout il y eu a une. Ce crime, aa contraire, le plus commun de tous, n'est puni nulle part, est condamné partout. Ce n'est pas que nous voulions l'absoudre ; mais comme il était difficile d'apprécisr l'ingratitude d'une manière certaine , nous l'avons seulement condamnée 'a la haine , en la laissant au nombre de ces crimes que nous renvoyons au jugement des dieux. Vil. Je trouve une foule de raisons pour que ce crime ne tombe pas sous l'autorité de la loi. I.a première de toutes, c'est que le plus beau côte du bienfait disparaît, si on admet une action comme pour une somme fixe , ou un fermage, ou une lo- cation. Car, ce qu'il y a de plus remarquable dans le bienfait , c'est de donner, même au risque de perdre, et de tout laisser "a la discrétion de l'obli- gé. Si je l'assigne, si je l'appelle devant le juge, le bienfait commence °a n'être plus un bienfait, mais une créance. Ensuite , comme la reconnaissance est une très- belle qualité, elle perd ce titre, si elle est forcée; et il n'y aura pas plus de mérite à être reconnais- sant qu'à rendre un dépôt, ou à payer une dette sans plaider. Ainsi , nous gâterons 'a la fois les deux plus belles choses qu'il y ait dans la vie humaine , la bienfaisance et la reconnaissance. Car où sera la gloire de l'une , si elle ne donne pas , mais prête ; et de l'autre , si elle rend non par sa volonté, mais par contrainte? Il n'y a pas d'honneur à être reconnaissant, s'il n'y a pas de sûreté a être ingrat. Ajoute à cela que tous les tribunaux suffiraient à peine a l'application de cette seule loi. Qui n'ac- iiiagiiitudo non patitnr excidere , quaedam minora , sed nu- méro pturima , et temporilius diversa , effliinnt. Quia, ut dixi , non .subinde illa (raclamus, nec libcnter, quid cui- que debeamus, recognosciuius. Audi voccs petenljuni! ISemo non victuram seniper in animo suo memoriam dixit; nemo non dedituni se et devotuni profcssus est , et si quod aliud Imuiilius verbuni , quo se oppigneraret , in- venit. Post Cïiguum tempus, iideni itii verba priora, (|uasi sordida et parum libéra , évitant : perveniunt deinde co, quo, ut ego existinio, pessimus quisquealque ingra- tissinius pervenit, ut obliviscantur. Adeo enim ingralus est qui oblitus est, ut gratus sit cui beneliclum in mentcra venit. VI. Hoc tam invisum vilium, an impnnitum esse de- beat, qua'nlur; et au hapc lex, quaî in scholis exercetur, etiam in civilate poncnda sit, qua ingrati daluraclio, qu» videtur oequa omnibus. Quidiii? quum uil)es quoque urbibus, quoD praestitere, cxpi()l)rent , cl in majores col- lata a posteris exigant. Nostri majores, maximi scilicct viri , ab hostibus tantnni rcs repetietunl : bénéficia n)agno aninio dabaut, hiagno perdel)anl. Excepta Medorum gentc, non est in ulla dataadversus ingralum actio. Mag- uumque hoc argumentum, dandam non fuisse; quia ad- versus malcncium onine conseusimu.';; et bomicidii , »e- neficii, parricidii, yiolatarum religionum, atiubi atque aliutii diversa pœna est : sed ubique aliqua. Hoc frequeii- tissimum crimen nusquam punitur, ubique improbalar. Neque absolTimus illud ; sed quum diflicilis esset incerla) rei sstimatio, tantum odio dauinwimus, et inter ea reli- quimus, qu- petlo , si ad judicem voco, incipit non beneficium esse, sed creditum. Deinde quum res bonestissinia sit, referre gratiam, desiuite.sse honcsla , si neccssaria cst;no[i cuim magis taudabit quisquam gratuni boniiucm , qu.ini euni qui depositum reddktit, aut, quod debebat, lilra judi- cem solvit. lia duas res , quibus in vila humana nihil pul- chrius est,cormmpimus,gratum honiincmelbeneficuni. Quid enim aut in hoc maguiticnm est^ si bineCciuni non dat, sed commodat?aut in illo qui reddit, non quia niît, sed quia necesse est? Non est glorio^a rcs, {ratiim asc . DES BIKNFAITS. iœ \ lionnera pas? qui ne sera pas aclionné? Tous les hommes grandissent leurs aciions, tous exagèrent les moindres choses qu'ils ont faites pour autrui. D'ailleurs, tous les oiijets qui peuvent faire la uialicre d'un procès sont compris dans la loi, cl ne laissent pas au juge une latitude sans bornes. C'est pourquoi le succès d'une bonne cause paraît toujours plus sûr, quand elle est renvoyée devant iB juj^e, que devant l'arbitre; parce que le juge se I enferme dans la formule qui pose des limites cer- taines, qu'il ne peut dépasser : l'arbitre, dont la conscience est libre et dégagée de toute entrave, peut retrancher, peut ajouter et régler sa senten- ce, non sur les décisions de la loi et de la justice, mais d'après les impulsions de l'hunianilé et de la compassion. L'action contre l'ingrat n'enchai- nerait pas le juge, mais lui ouvrirait une carrière sans limites; car on n'est pas d'accord sur la nature du bienfait , et son importance dépen- drait de l'interprétation plus ou moins bienveil- lante du juge. Aucune loi ne définit ce que c'est que l'ingrat. Souvent celui qui a rendu ce qu'il a reçu est ingrat, celui qui n'a pas rendu est recon- naissant. Il Y a des choses sur lesquelles môme un juge ignorant peut porter une ~entence , lors- qu'il s'agit de prononcer si un fait existe ou n'existe pas, lorsque des preuves matérielles suf- fisent pour trancher la question. Mais, lorsque c'est à la raison à Oxer les droits des parties, il fautfrendre avis des eonjectures : lorsque la ques- tion à décider est du ressort de rinlelligencc seule, on ne peut aller chercher, pour de telles causes, un juge dans la foule des éiigibles que le cens ou l'hérédité de la chevalerie a fait ingorirc au tableau. Vlil. Ainsi la chose a bien paru propre 'a être portée devant un juge ; mais on n'a pas trouvé de juge propre 'a décider la chose. Tu n'en seras pas étonné, si lu considères toutes les difficultés qui doivent arrêter celui qui rencontrera un accusé de cette sorte. Un homme a donné beaucoupd'argent ; mais il était riche et ne devait pas se ressentir de cette largesse. Un autre en a donné autant; mais il se séparait de son patrimoine. La somme est I9 même; le bienfait n'est pas le môme. Ajoute en- core ceci : L'un a payé pour délivrer un débiteur de la contrainte; mais il avait l'argent chez lui. L'autre a donné la même somme; mais il l'a em- pruntée, il l'a qnêtéc , et il a eu le grand mérite de se charger d'une obligation. Places-tu sur la même ligne celui qui a pu à son aise laisser tom- ber un bienfait, et celui qui a reçu pour donner? C'est l'à-propos qui donne du prix à certains dons , et non la somme. C'est un bienfait de don- ner une propriété dont la fertilité puisse faire bais- ser le prix des vivres; c'est un bienfait qu'un seul pain dans la famine. C'est un bienfait de donner des terres qu'arrosent des fleuves nombreux et na- vigables ; c'est un bienfait d'indiquer une source h un homme brûlant de soif, et aspirant avec peine un souffle d'air dans son gosier desséché. Qui peut comparer ces choses entre elles? Qui peut les pe- ser? 11 est difûcile de se prononcer lors<|u'ii ne s'agit pas de la chose , mais du mérite de la chose. Les objets , quoiqu'ils soient les mêmes, donnés autrement, n'ont pas le même poids. Cet homme Diii tutum est, ingralum fuisse. Adjice niinc, qnoi! huic Mai trgi omala fora vii sufllcicot. Qui< cril , qui aun agiit ? i|uis, cum quo non agatur ? omoes sua eitollunt, onmes etiani mininia, quxiu atloscontutere, diliitaut. Prie terea quiecumquc in cognilioneni cadunt, coinprelieodi pos- tant, et non dare inOnitam Iic«ntiain judici, Ideo melior videtur conditio causx lx>na>, ti ad judiceni , quam si ad arbilrum niiltitur ; quia illum formula includit , et cer- tos, quos non excédât, terminos ponit; hujus lit>era, et nullis astricta vinculis retigio, et detraliere atiquid pole.st, et adjicere, et sentenliam suam, non pruul tei aut justi- tia suadpt, scd prout bumanitas et misericordia imputit, rpgere. Ingrati actio non erat judiceni alligatura, scd regno liberrimo po.«ilura. Quid sit enim bcneficium , non constat; deinde quanlumcumque sit, rcrert, quam bé- nigne iltod inlerpreteturjudex. Quid sit ingratus , nulla Ici moDttrat. Sa'pe el qui reddidit quod accepit, ingratus rsl ; et qui non reddidit , gratus. De quibusdam etiani iin- prrilusjudeidiniittereuhellampotest ; ubirecissc.autnon fi cisse , pronuntiandiini est , ibi protatis cautinnilius , cnn- IroTcrsia Inllitur. Ulii vcrointcr disputantes ralio |us dicit, ilii flnimi conjectura capieoda est ; ubi id , de <|Uosota sa- pirntia dtcernit , in conlroTers'am incidit , non (lotest ad ha-c iumijudex ei Inrba selectnrum, quem sensiu in al- bum, etequestris beredltas nilsit. VllI. Itaque non ha;c paruiii idonca rcs visa est, qna; deducerelur ad judlcem. Sed ncmo huic rci satis iduneus jude\ inventus est : quod non adniinibcris , si cxcusscris . quid haliiturus fuerit diflicullatis, quisquis in ejusinodi réuni exisset. Donavil alicjuii mjgnani pecuniiiin, sed diTes.sednonsensurusimpeadiuni. I)(iiiavitalius,seencflciuni idem non est. Etiam nunc adjire. Uic pecuniam pro addicio dépendit, sed quuin ittani donio protulisset; ille dédit camdem , tedmutuam sumsit, aut rogavit, et scobligari ingenti mcrito passus est. Eodem existimas loco c&se Il- lum , qui beueflcium ex tacili largitus est , et bunc , qui accepit, ut darci? Temporc (|ua!dani magna flunt, non sumnia. Benefîcium est diinata possessio, cujus fertililas laxare possit anuonani : iKneficium est uuus in Tanie pa- nis. Benenciuni est donare regiones, per quas niulta lln- mina et navigabitia decurrant : l)encticium est, arciitilius siti,etvix spirilum per siccas fauccs ducentll>u,s, nion- slr.ircr(intem.Quisinters(Mstaconiparatiii?quisexpendel? difficilis est scntentia , qua- non rem , sed vini rei (|ua.'rit. Eadem licet sini, aliter data non icicni |)endcnt. Deilit 170 SÉNEQUE ma donné ; mais à regret ; in.iis il s'est plaint de donner; mais il m'a regardé avec plus d'arroganee qne de coutume; mais il m'a donnô si tard, qu'il m'aurait plus obligé par un refus immédiat. Com- ment le juge fera-t-ii son estimation, quand le ton, l'iiésitalion et l'air détruisent la reconnaissance? IX. D'ailleurs, on donne h certaines choses le nom de bienfait , parce qu'on les désire avec trop d'ardeur : certaines autres ne portent pas cette cliquette vulgaire, quoiqu'elles aient plus de prix, mais moins d'éclat. C'est un bienfait, selon loi, de donner le droit de cilé cbez un peuple puissant, d'accorder au lliéàtre le banc des clievaliers, de défendre d'une accusation capitale : Tiiais donner de bons conseils, empêcher de tomber dans le crime, arracher le glaive à un homme prêt à .se luor , apporter 'a la douleur des remèdes efficaces, et lorsqu'elle voulait suivre ceux qu'elle pleurait, la décider h la vie, veiller au lit d'un malade, et lorsque sa santé et son existence dépendent des instants, épier le moment favorable pour lui faire prendre quelque nourriture, ranimer par le vin ses artères défaillantes, et amener le médecin au mourant. Qui appréciera toutes ces choses? Qui pourra ordonner de compenser ces bienfaits par des bienfaits dune autre nature? Celui-là t'a donné une maison ; mais moi je t'ai averti que la tienne allait tomber sur toi. 11 t'a donné un patri- moine; et moi une planche dans le naufrage. Il a co:i;battu , il a été blessé pour toi ; mais moi je t'ai donné la vie par mon silence. Comme le bien est donné de tout autre manière qu'il n'est rendu, il est difficile d'appareiller les deux choses. X. lin outre , pour la restitution d'un bienfait, on ne fixe pas un jour d'échéance, comme poor de l'argent prêté. Aussi celui qui n'a pas encore rendu, peut rendre. Dis, en effet, dans quel in- tervalle on peut être déclaré ingrat. Les plus grands bienfaitsnepeuvent.se prouver: souvent ils sont cachés dans le silence de deux cœurs. Ordonnerons nous qu'on ne fas^e le bien que devant témoin? Knsuite, quelle peine infliger aux ingrats? Sera-t-elle semblable pour tous, lors- que les bienfaits sont dissemblables? Sera-t-elle différente et proportionnée au bienfait de chacun? Soit; la compensation roulera sur une somn)e d'argent : mais si le bienfait est la vie ou plus que la vie? Quelle peine sera prononcée? Moindre que le bienfait, c'est injuste : aussi grande, et par conséquent capitale? Mais quoi de plus inhumain que d'ensanglanter les bienfaits? XI. Mais, dit-on , certains privilèges ont été ac- cordés aux pères ; et puisqu'on en a lenn compte pour en faire des exceptions, ne ponrrail-on en faire autant pour les autres bienfaits? Nous avons consacré la qualité des parents, parcequ'il importait que les enfants fussent élevés: il fallait exciter les pères "a des travaux dont le succès est incertain. On ne pouvait leur dire comme aux bienfaiteurs : « Choisis qui tu veux aider. Si tu es trompé, ne t'en prends qu'à toi-même. Oblige qui le mérite. » Dans l'éducation des enfants rien n'est laissé au choix : il n'y a que des vœux 'a faire. Aussi, pour qo'ils courussent cette chance avec plus de courage, il a fallu leur donner quel<|ue pouvoir. D'ailleurs, il y a cette différence, que les pères quionlfaitdu bien'a leurs enfants, le font encore et miiii hic benellciiini , sed non libcntcr, sed dédisse se questus est, sed siiperliiusnie quainsoicbnt.aspexit; sed lani tarde dédit, ut pliis pra;slitiiius fuerit, si cite ncgas- srt Horiim quamodo jiidx iiiibit œsliniationeiii , quum se.'îiio, et dubitalio, et mltiis merili gratiam d.^sU'iiant? IX. Quid , quod qua-dani bénéficia Tocanlur qnia ni- niis concupiscunlnr; lina'dain non sunt es hac ïulgari nota, sed majora, ctianisi minus apparent? Benclicium Tocas, dédisse potentis populi ciTitatein , in quatuordc- cim deduxisse, et défendisse capilis rcum : qnid ulilia suasisse? quid reiinuisse, ne in scilus nieret? quid gla- diuni excussisse moriluro? (luidefficacibus reniediisrefa- cillassc lugentem, ctquos desidcral)at voleuteni sequi, ad y'ilx consiliuni rediixissc? qnid asscdissc a-gro, et quum valeludo ejus ac salus momentis eonslaret , esccpi'se ido- nea cil)o tempora , et cadiutes venas \ino refecisse, et medicuni adduxisse morienli ? II.tc quis a'stinialiit? quis disbimililms beueficiis jnbebit bénéficia pensari? Donavit iibi doinuni; sed ego tuam supra te ruerc praîdisi. Dédit tibi palrimonium : sed ego naufrago talndani. Pugnavit pi'o le , et Tulnera excepit ; at ego vilam Iibi silenlio dedi. Quuni aliter l)encliciuni dclur, aliter reddatur, paria la- cère diifîcile es'. X. Dies prapterea lieneOcio rcddendo non dicilur, sicni pecunicB creditae. Ilaque potesl, qui nondum reddidit, reddere. Die enim , intra quod tempus depretiendelur in- gratus ? niaxinia l>eneficia probalinr.eni non babent ; saepe iulra tacilam duoruni conscienliam lalent. ?j\ boc indu* cinius, ut non demus bénéficia sine leste? Quani deinde pœnam ingratisconsLituajuus? unam omnibus, quum dis- paria bénéficia sinl? an inajqualeni, et pro cujusque be- neljcio raajoreni, aut niino.''cm? Age, intra pecuniam versabilur taxalio; quid quod qua?dam bénéficia TilcCsunt, et majora vita? His qns pronuntiabitur pœna? Minor beneficio? iuiqua e^t. Par et capilalis? quid inbumanias, quani cruentos esse l)eneficiorum esitus ? XI. Qua?dam, inquit, privilégia parentibas data sunt. Quomodo horum extra ordinem babitij ratio est, sic alio- rum quoque beneticiorum habcri débet. Parenluni con- ditioneui sacravimus, qiiia expediebat liberos tolli : solli- citandi ad hune laborem erant, incerlam adituri forlu- nam. IS'on poterat illis dici, quod beneCcia dantilius di- citur : Gui des , elige; ipse tecnni , si deceplus es , querere; dignum aiijuva. In lilieris toliendis nihil judicio tollentium licct ; tola rcs voti est. Ilaque ut a-quiore animo adirent aieam , danda illis aliqua poleslas fuit. Dein le alia con- DKS BIENFAITS. 171 le fcroDl toujours : il u'y a pas de danger qu'ils en ini|)Oscnt en se disant leurs bienfailcurs. Pour les antres, il faut chercher non-seulement si Ton a reçu, mais encore si l'on a donne. Les bienTaits paternels sont b découvert; et comme il est utile à la jeunesse d'être gouvernée , nous lui avons impose comme des magistrats domestiques pour la maintenir sous leur surveillance. Ensuite les hieufails de tous parents , étant par- tout les mêmes, ont pu être appréciés une fois pour toutes : les autres, qui sont variés, dissem- blables, séparés par des intervalles immenses, n'ont pu être assujettis 'a aucune règle ; car il était plus juste de tout omettre que de tout niveler. XII. Il y a des choses qui coûtent beaucoup h ceux qui les donnent; d'autres qui ne leur coûtent rien, mais sont d'un grand prix pour l'oblige. Quelquefois on donne à un ami, quelquefois h un inconnu. Tu donnes davantage en dimnant la même chose, ^i tu fais connai-sancc avec quel- qu'un par un bienfait. L'un offre des secours, l'autre des honneurs, un triii^iènie des consola- tions. Tel homme pense que rien n'est plus erint, sed aa dederiiit. Uiiruni in conlesso iDCrita sunt; et quia utile est juvcntuti rcfti , iniposuiiuus illi quasi dnniesticos niagislratus, sub quorum custodia cooiineretur. Deiude omnium parentuui uauin crat l>e- nrGcium ; itaqae a'stimnri sciuel poluil : ,ilia divers» suot, ilissiiiiiti», innuilis iiitcr se iatervallis distantia : ilaquc tub nut:ani regulam cadere putuerunt , quuni aquius esset ooiiiia relinqiii, quant oninia a^quari. XII. Quxrtani ni;i|;iio daulibus constant, quxdam ac- cipieiUilius niapua suât, sed gratuita triliuontilms : qua^- dani amicis data sunt, quxdaui ignolis. Plus est, quain- vis idem dctiir, si ei ditur, queni nosse a tuo bcneliciu iucipU. Hic anxilia trilniit , itie ornanieuta , ilte sotatia. Invcniès, qui uiliil puict essc jucundius, niliil m.ijus, quant h.tlMTc in quu calamilas acquiesçât : inveaies nir- sus, qui dignilali sux, qiiam socuritati, coiuut: malil; eit (|ui p'us ei dulicre se JudiccI, per (|uem tuliitr est, qnam ei per qucra lioiicstior. Proinde ista majora aut mi- nora erunt, prout fiieril judes , aut ad bxc, aut ad itia iuciiualns animo. Prœterca creditorcm niibi ipse eligo; hneScinm sicpe ab eo accipio, a quo noto, et «liqnando ignorons oltligor. Quid fac'cs? ingralum vocabis cum, cui Iti'mtlcium inscio, et, si scivissi't, non acei'pluro, iinixisitum est : non vocabis eum, qui utcumque accep- tuni non n'ddidit? XIII. Aliquis deditmiitt brnenciujn, sert idem postra fecit iiijuiiimi. Ltrum uiio niuncre ad patientiam om- nium injuriarum adslringor ; an perindeent, ac si gra- tiaiu reluti'rim, quia bencficiiimsuutii ipse iuscqncnii in- juria rescidil? Quoniudu deinde a?stiitinbis, uiruin plus sitquod ^cceplt, an in qno la'sus est? Dics mcdeficict, omncsdiffiiultalcsiierseiiui tcntimlem. Tardions, in(|uit, ad t)enencia danda facimns, itun lindicando diitii, nec in- ficialorcs eornm altîciciid.) pirn;!. Sodillud qitoijuc tilii e conirario occurrat; multotardii>ivs Tuturosad accipicnda benelli ia , si periculum causx diceudo; adi uri eritnt . et iunoccnti m soliicitiore haliiiuri loco. Diindc, eriniuspcr boc ipsi (|uoi|UC ad danda lardiorcs ; ncnio eniiii iibcnter dat invi.is: sed quicumque ad bcnt'f,icicndum lionilate invilatus est, et ipsa puli briludlne lei.ctiam liltentius dabit, nihil debituris nisi qiiod volent. Minuilur cniin gloriaejus officii, oui diiigealer canlttni est. XIV. Deinde, pauciora erunt iieiieficta , sod veriora; quidautem mali est , inbilieri lieneficioriiin temerilalem? Hoc eniinipsum sccuti sunt, qui nuliani ligem buic coq- 172 SÉNÈQUE. les soumettre à la loi ; afin que nous donnions avec réserve, que nous choisissions avec reserve ceux b qui nous offrons nos services. Considère avec le plus grand soin qui tu obliges; n'espère ni ac- tion , ni répétition. Tu te trompes si tu crois que le juge viendra il ton secours. Aucune loi ne se chargera de les recouvrements. Compte seulement sur la bonne foi de l'obligé. De celte manière les bienfaits conservent leur dignité et leur éclat : tu les avilis, si tu en fais une matière à procès. Itien de plus juste que ces mots, rien de plus coiifonne au droit des gens. « Rends ce que tu is. I) Mais rien de plus honteux que ce mot dans un bienfait: Rends. Que rcndra-t-il? La vie qu'il doit, ladignilé, le repos, la santé! Les cho- ses les plus importantes ne peuvent se rendre. Au moins, dit-on, qu'on donne quelque chose d'é- (|uivalent. Ebl voilà ce que je disais, c'est tuer la dignité d'un acte aussi noble , que de faire du iiienfait une marchandise. 1|- ne faut pas exciter le cœur a l'avarice, aux querelles , 'a la discorde : il y est assez porté de lui-même. Résistons-lui jîluiôt autant que nous le pouvons; éloignons de lui les occasions qu'il cherche. XV. Plût aux dieux que nous pussions même persuader aux honmies de ne recevoir l'argent prêté que de la bonne volonté I Plût aux dieux «lu'aucune stipulation ne liât l'achelcur au ven- deur! que les pac:esel les convenlions ne fussent |ws protégés par des sceaux! que la bonne foi et une conscience honnête en fussent les seuls dépo- sitaires! Mais la nécessité l'a emporté sur le bien , et ou a mieux aimé contraindre la bonne foi que de compter sur elle. De part et d'autre on appelle des témoins : celui-ci emploie l'intermédiaire des courtiers et engage dans un acte plusieurs signatures : celui-l'a ne se contente pas d'une en- quête, il lui faut dans les mains un titre pour accuser. 0 confession honteuse pour le genre hu- main , de la fraude et de la perversité publiques ! On croit plus 'a nos cachets qu'à nos consciences. Pourquoi ces personnages sont-ils convoques? Pourquoi impriment-ils leurs sceaux? C'est pour que cet homme ne nie pas avoir reçu ce qu'il a reçu. Les estimes-tu des hommes incorruptibles, des garants sûrs de la vérité? Mais, sur l'heure même, on ne leur confierait à eux de l'argent qu'avec les mêmes formalités. IS'est-il donc pas plus honorable d'être trompé par quelques hom- mes, que de craindre la perfidie de tous? La seule chose qui manque à notre avarice , c'est de ne plus accorder de bienfaits sans répondant. Il est d'un cœur généreux et maguauime d'aider et d'être utile: celui qui donne imite lesdieux; celui qui redemande imite les usuriers. Devons-nous,, en donnant des garanties aux bienfaiteurs, les reléguer dans cette vile classe des usuriers? XVI. 11 y aura, dit-on , plus d'ingrats si au- cune action n'est donnée conlre l'ingrat. Au con- traire, il y en aura moins, parce qu'on mettr.-»- plus de discernement dans les bienfaits. D'ailleurs il ne convient pas de faire connaître à tous la mul- titude des ingrats : le nombre des coupables ôte- rait la honte du crime, et un vice général cesse- rait d'être un opprobre. Quelle femme rougit aujourd'hui d'être répu- diée , depuis qu'il se trouve des matrones nobles et siiluerunt : ut ciicumspeclius donaremus , circiimspec- lius cligcremuseos, in quos mérita conferrcnlur. Eliam atque ctiam cui des, considéra; nulla actio cril, uulla re- peiilio. Erras, si existimas succursurum til)i judicem. Nulla lex leinintegrum resliliict; solaniaccipieiuisfideni specta. Hoc modo bénéficia auctoritaleni suani tenent , et magnifica sunt : pollues illa , si materiam litinm feccris. ^quissiiua vox est et jus genlium pra; se ferens, Redde quod debes. Use lurpfssima est in bcncHcio , Redde. Quid reddel? Vitam, quam débet, dignitatem, sccur- ritalcm, sanitatcm? reddi maxima quoique non possunt. Aut pro bis, inquit, aliquid quod lanli sit. Hoc est quod dicebam , intcriturara tanta' rei dignitaleni , si bencficium mcrccm facimus. Non est irritandus aiiimus ad avariliani, ad querelaï, ad discordiam; sua sponle in isla fcrlur. Quantum pus.umus lesistamus, et qua'rculi occasioues aniputemus. XV. Ulinam quidem persuadera possemus, ut pecu- nias créditas tantum a volenlibus acciperent ! utinani nulla sllpulalio emtorem vendilori obligarct! nec pacta con- venlaque inipressis signis cusiodirenlur! Tides piilius illa scrvarct , et aquum colens aaimus 1 Sod ncccssaria oplj- mis pra?tulerunt , et cogère Ddem , quam spcctarc , ma- lunt. Adbibeutur al) ulraque parte testes; ilte pcr tabulas pluriuni noniina, inlerposilis paranis, (acit; ille non est interrogatione conlentus, nisi reuui manu sua tenuit. O turpem humano generi fraudis ac nequiticP publica; con- fessionera! anuulis nosiris plus, quam aniniis crcditur. In quid isli viri ornati adhibiti ^^uut ? in quid imprimunt signa? nempe ne ille neget accepisse se quod accepit. Hos iucorruptos viros, et viadices feriiatis existimas? at his ipsis statim non aliter pecunia; commilteulur. Ita non ho- uestius erala quibusdam iidem falli , quam ab omnibus perfiiiiam tiuieri? Hoc ununi deest aTarilia;, nt lieneficia sme spousoie non demus. Generosi animi et niagnifiei est, juvare etpiodesse; qui datlieneficia, deos imitatur: qui repelit, fœueratores. Quid illos, dum vindicamus, io tui'bam sordidissimaiu redigimus ? XVI. Plures, inquit, ingrati erunt, si nulla adversus iugratuni datur actio. Inimo potius, pauciorcs; quia majore dcleclu dabuntur bénéficia. Deinde, non expedit notum onuiibus Tieri , quam mulii ingrati sint; pndorrni cnini rei toUet mulliludo pcccantiuin ; et desinel esse pro- bri loco coHiinuue iiialcdicium. Nunwjuid jani uUa rj-piu DES BIENFAITS. 173 illustres qui comptent leurs années non par le nombre des consuls, mais par celui de leurs maris, qui divorcent pour se marier , se marient pour divorcer? On a redouté ce scandale, aussi long- temps qu'il a été rare. Mais depuis qu'aucune de nos audiences ne se passe sans un divorce, a force d'en entendre parler , on a appris à en user. Qui aurait aujourd'hui aucune honte de l'adul- tère, depuis qu'on en est venu au point que nulle femme ne prend un mari que pour piquer un amant? La chasteté n'est plus qu'une preuve de laideur. Quelle est la femme assez misérable, assez repoussante pour se contenter d'une seule paire d'amants, qui n'ait ses heures pour chacun, sans que le jour lui suffise pour tous, qu'on ne voie on litière chez l'un , au lit chez l'autre? Il n'y a «ju'une niaise et une femme du vieux temps, qui ne s;iclie pas que l'adultère avec un seul est appelé mariage. De même que la hontedeces crimes s'est effacée depuis qu'ils se sont propagés partout, de niCme tu rendras les ingrats plus nombreux et plus hardis, lorsqu'ils auront commencé a se compter. XYII. Mais quoi? l'ingratitude sera donc impu- nie? Mais quoi? l'impiété sera donc impunie? et la méchanceté? et l'avarice? et l'emportement? et la cruauté? Ce qui est abhorré, le crois-tu impuni? ou estimcs-tu quelque supplice plus rigoureux que la haine publique? Le châtiment de l'ingrat, c'est de n'oser ni recevoir de personne , ni donner 'a personne , d'être ou de se croire montré au doigt par tout le monde, d'avoir perdu le sentiment de l'affection la plus honnête, la plus douce. Tu ap- pelles infortuné celui qui a perdu la vue, que la maladie a privé de l'ouïe ; et tu n'appelles pas malheureux celui qui a perdu l'intelligence des bienfaits ! 11 rcdouie les dieux, témoins de toutes les ingratitudes; la conscience du bienfait qu'il a dérobé le ronge et le dévore; enfin , et celte peine est déjà seule assez forte, il ne goiîte pas, comme je le disais, le fruit du sentiment le plus doux. Mais celui qui a reçu avec plaisir, jouit d'une volupté toujours égale et toujours la même ; et plus occupé du cœur de celui qui a donné que de l'ob- jet donné, il en fait sa joie. L'homme reconnais- sant est toujours charmé d'un bienfait, l'ingrat ne l'est qu'une fois. Tu peux comparer la vie de tous deux : l'un , triste, inquiet, comme tout homme fourbe qui renie une dette, ne sent pas les égards dus ut à ses parents, ni à ses gouverneurs, ni à ses maîtres : l'autre , gai , content , attendant l'occasion de prouver sa reconnaissance, et trouvant son bon- heur dans ce sentiment même. Loin de se sous- traire au paiement , il cherche les moyens de ren- dre pleinement et avec profusion , non-seulement à ses parents et h ses amis , mais aussi aux plus humbles personnes. Car, même s'il reçoit un bien- fait de son esclave , il considère ce qu'il a reçu , et non de qui il a reçu. XVIII. Toutefois, on demande , et entre autres Hécaton, si un esclave peut être le bienfaiteur de son maître. Car il y en a qui font la distinction suivante. Certaines choses sont des bienfaits , certaines autres des devoirs, d'autres enfin des fonctions. Il y a bienfait dans le don reçu d'un ilio pnil>escit , postqaam illnstres quaedam ac nobilcs fe- mins.Don cODsaliim Damcro, sed marltoruni, annoi snos compntani? et eieunt malrimonii causa , nnbant re- pudii ? Tam diu istud timehatur , quam diu ranini erot ; q'iia vero nulla sine divortio acta s'int, quod sa'pe audle- l)anl , facere didiceront. Nuinquid jara ullus adultcrii pu- dor est , postquam eo ventuin est , ut nulla firum liabcat, nisi ut adulterum irrilet? argumentum est deformitatls pudicitla. Quam iovcnles tam miseram , tara sordldam , ut illl satis sit unnm ailulteronim par? ois! aiagulis divi- slt horas? et non sunicit dies omnibus? nisi apud aliuin gestata est, apud allum mansit? Infrunita etantiqna est, iiuac nesciat, luatrininnium vocari, unum adulteriuin. Quemadoiodum horum delictorum jam efanult pador, postquam res latius CTagata est; ita ingratos piures em- cies, et audaciores , si numerare se crperint. XVII. Quid ergo ? impuuitus erit iogratus ? Quidergo ? inipnnitui erit impiuj? quid malignus ? quid avanis? quid impotens?quid crudelis? Impunita tu credij esse , quœ invisa «unt? aut nllum supplicium gravius eiistimas publico odio? Pœna est, quod non audet ab ullo benefi- cium accipere, quod non audet ulli dare, qnod omnium designatnr oculis, anl designari se judicat : quod intel- tcctura optima- rei ac dulciisims amisit. An tu infelicem Tocas , qui caret acic oculorum, cujus aurcs raorbus ol)- slniiit ; non Tocas niiscrum eiuii , qui sensuin l)cni'fîrio- rum amitil? Testes ingratorum omnium deos metuit. urit illum et angit inlercrpti t>eneficii couscientia; deni- quesalis hsecipsa pœna magna est, quod rei, utdicebam, jucundissiniic fr.ictum non percipit. At qucm juvat acce- pisse, xquali perpetuaque voluptate fruitur; etanimum pjus a quo accepit, non rem intuens, gaudet. Gratum hominem sempcr l>enencium détectât, ingratum semel ; comparari autcm potest utriusquc Tila , quura alter tris- tis sit et sollicitus , qualis rssc inflciiitor ac fraudulcntus solet; apud quem non parcnlum qui débet, honor est, non educatoris , non pripceptorum : alter Ixtus, hilaris occasionem referenda; gratiae eispectans, et ei hoc ipso afTectu gaudiuni grande percipiens ; nec quxrens quu- modo decoquat, sed qucmadmodum picnius ulieriusque respondcat; non solum parentibus et amicis, sed bumi- linribus quoqiic personis. >'am etiam si a servosuo bene- flcinm accepit, ipstimat non a quo, sed quid acceperit. XVIII. Quamquani quoritur a quibusdam, sicut ab Hecatone, an bcneticium rfare servus domino possii? Sunt enim qui ita distinguunt, quaedam bénéficia esse, quxdam ofllcia, quicdam minisleria. Beneficium esse, quod alienus det; alienus est, qui poluit sine repreben- 174 SÉNÈQUE. étranger ; l'étranger est celui qui peut s'abstenir sans Wâme. Le devoir appartient aux cnTants, à l'épouse, et à tous ceux esl,ctpa- liendi ullima timsir . idem islud ol)slal>it, ei ci qui re- gem lial)el, et ei qui ducsm; quoniani , sut> uispari li- (ulo, paria in illos licent. Atqui dant regihus suis, dant iniperatoribus bénéficia ; ergo et dominis. Polest servus luslus esse, polcst fortis, potcst magnanimus : ergo et lieneficium dare potest. Kani et hoc virlutis est; adcoque dominis servi Ijeneflcia possunt dare, ut ipsos saepe liene- ficii sui fecerinl. >'on est dubiuin, an servus t>eQencium darepossitcuilibet, quare ergo non et domino suo possit? XIX. Quii non potcst, inqnil , créditer domiui sui fleri , si pecuniam illi dederit. Alioqui quotidie dominuni suum ol)l!gat ; peregrinanlcm sequilur, a»gro miaislrai, et labore summo colit. Oinnia lamea isla , qux alio prae- slaote bénéficia diceren ur , prxstante servo miuisteria sunt. Beneficiuni enim id est , quod quis dédit, quum illi licerel et non dare : servus aulem non liabet aegandi po- tcstateni : ila non pra-stat , sed paret ; nec , id se fecisse , jactat, quod non faci're mm potuil. Eliam sub ista lege vincara , et eo perducam servum, ut in multa liber sil. Intérim die mihi , si libi ostendero aliqueni servum pro salute domini sui , sine respectu sui dimicantem et coo- fossum vulneribus, reliquias lamen sanguinis ab ipsis vitalibus lundenlem, et ut ille effugii/ndi lempus babeat, moram sua morte qua'rcntcni ; bunc tu negabis lienefi- cium dédisse, quia servus est ? Si tibi ostendero aliquem, ut.secrela domiui prodat, nulla tyranui pollici.alione cor- riiptum , nullis territum minis , nullis cruciatibus viclnni' averlisse, quanluni potuerit, suspicioaes quaîrcntis, et IJES BILNFAITS. iir, bienfaiteur de son maître, parce qu'il est son es- clave? Prends garde que l'oblisialion ne soit d'au- tant plus grande, que l'exemple de la vertu chez les esclaves est plus rare; qu'elle mérite d'autant plusla reconnaissance, que, quoique la domination soit presque toujours odieuse , et toute contrainte pesante, rattachement "a un maître a lriomi)lic de la haine ordinaire pour la servitude. Ainsi, loin de n'être pas un bienfait pour être venu d'un es- clave, c'est quelque cli se de plus, puisque la servitude niûme n'a pu en détourner. XX. C'est une erreur de croire que la servitude descende dans l'homme tout entier : la plus noble partie de lui-mèinc en esl exempte. Le corps seul est l'esclave et la propriété du maître : l'âme s'ap- partient h elle-même : elle est si libre, si indé- pendante, que, même dans celle prison qui l'en- ferme , elle ne peut être empêchée de prendre tout son essor, pour s'élever aux plus grandes choses, et s'élancer dans l'inlini, compagne des célestes intelligences. C'est donc le corps que la fortune a livré au maître : c'est le corps qu'il achète , c'est le corps (lu'il vend. L'âme ne peut être traînée au marché; tout ce qui vient d'elle est libre. Car nous ne pouvons pas tout ordonner ; les esclaves ne sont pas forcés d'obéir à tout; ils ne feront pas ce qu'on leur conmjandera contre la républi(Hic ; ils ne prêteront la main "a aucun crime. XXI. Il y a dam sunl qua; leges nec jubent, Dec vêtant fac^re : m liis servus materiam beneflcii halwl. Quamdiu pncslalnr, qnod a servis eiigi solet, mimsterium est : ut>i plusqu,ini quod scfvo nercssc esl, l>cneficiuni. TJIii in r.ffectujii iimici liansll, desiiiil vocari iiiinisterium. list aliquid, quod doniiuus pra-stare servo del)eal , ut cilia- ria , ut ïesli.irium'. iifiuo tiiirdixil lienefic uiu. Al indui- sit , lilicraliiis pducavri , .irles quibus crudiiinliu- ingenu', tradidil : l)ene(i(iunr est. Idem e runlrrtrio (il in pcrsoiia servi. Quidi;iiid est quod servilis ofllcii formulam cxcedi:, quod non ex impriio, sed ex volunlalc pra'.st tui-, l)orjc- ficiuni est : si modo tauluni esl, ut hoc vocari polueril , quolil>el alio pras:anlc. XXII. Servus, ut |,l;ircl Clirysippo, perpeltius miTce- naiius est. Quemadmoduiu ille iH-nclirium d:it. ulii plus prastat, quaiu quod opéras locavil ; .sic servus ubi liene- Tolcntia erfia dominuni rortuiia; sua> nioduui tr n.'.iil,et allius aliquid ausus , quod cliaui felicius nalo deeori esse!, et spem domini autecessil, l)euelieiuiu est luira donium invpnlum. .An iequum lihi videlur, quiluis, si minus de- bilo facianl , irascimur , non liaheri (jraliam , si plus de- bito soliloque fcccrini? vis scire, qiiaiido non sil henefi- cium ? ubi dici polest , Quid si noilet ? Ubi vcro id prw- slilit, quod noilc iicuit , voluisselaudanduni est. Inler se contraria suol, benelicium el injuria. Polest dare l)enefi- cium domino , si a domino injuri;uu acciperc a;ijui do 176 SÉNÈQUi: s'il peut recevoir un oiitrago : or , il y a un ma- gistral établi pour connaître desoutrages des maî- tres contre les esclaves, pour réprimer la cruauté, la débauche, et l'avarice qui leur dispute la chose nécessaire à ia vie. Quoi donc! Le maître peut recevoir un bien- fait de l'esclave? Non ; c'est riioninie qui reçoit de l'homme. Enlin, il a fait ce qui étaiten son pou- voir ; il a offert le bicnfail'a son maître : il dépend de toi de ne pas recevoir de l'esclave. Mais quel est l'homme si haut placé, que la fortune ne puisse le réduire 'a avoir besoin même des gens les plus obscurs? Je te citerai plusieurs exemples de bien- faits différents et même opposés. L'un fait dou a son maître de la vie; l'autre de la mort : un troisième le sauve au moment où il périssait , et , s'il le faut, périt eu le sauvant. L'un favorise la mort , l'autre la trompe. XXllI. Claudius Quadrigarius raconte au di.v- Imitièmelivre de ses Annales, (ju'au siège de Gru- nientum, la place étant réduite aux dernières ex- trémités , deux esclaves passèrent 'a l'ennemi , et eu obtinrent la récompense. Ensuite , la ville prise, et le vainqueur courant déjà de tous côtés, ils prirent les devants par des chemins connus , arri- vèrent a la maison où ils avaient servi , et liront marcher leur maîtresse devant eux. A ceux qui les questionnaient, ils disaient que c'était leur maîtresse et une maîtresse très-cniclle qu'ils con- duisaient eux mêmes au supplice. Sortie des murs, ils la cachèrent avec le plus grand soin, jusqu'à ce que la fureur de l'ennemi fût calmée. Ensuite, dès que le soldat, bientôt rassasié, fut redevenu Romain, ils redevinrent esclaves et se donnèrent eux-mêmes 'a leur maîtresse. Celle-ci les affranchit sur-le-champ tous deux, et ne rougit pas d'avoir reçu la vie de ceux sur qui elle avait eu le droii de vie et de mort. Elle dut même s'en féliciter d'autant plus que , sauvée de toute autre manière, elle eijt joui du fruit d'une clémence vulgaire et de tous les jours ; tandis que, sauvée ainsi, elle devint un exemple mémorable et l'entretien de deux villes. Dans l'horrible confusion d'une cite prise, chacun ne songeant qu'a soi , tous l'abandonnè- rent excepté les transfuges. Mais eux, pour mon- trer quelle avait été leur intention en fuyant la première fois, passèrent , transfuges de noufeau, des vainqueurs "a la captive, en prenant le rôle de parricides. Car , ce qu'il y eut de plus noble dans ce bienfait, c'est qu'ils ne craignirent point, pour empêcher le meurtre de leur maîtresse, de paraître ses meurtriers. Non ; crois-moi; non , le dis-je, ce n'est point d'une âmeservile d'acheter une belle action par la réputation d'un crime. C. Vettius, préteur des Marses, était entraîné prisonnier chez les Romains. Son esclave arracha le glaive du soldat même qui le conduisait , et tua d'abord son maître. Et puis : « Il est temps, dit- il, de songer à moi; déj'a j'ai affranchi mon maî- tre; » et il se perça lui-même d'un seul coup. Trouve-moi quelqu'un qui eût plus noblement wuvé son maître. XXIV. César assiégeait Corliuium : Domitius y était tenu enfermé. Il commanda a Siin médecin , qui était aussi son esclave , de lui donner du poi- son. Le voyant hésiter : « Que tardes-tu, lui dil- injuriis doniinorum in scrvos qui audiat positus est, qui «t saeviliam et litùdlueui, et in pra'l)eDdis ad victum iie- cessaiiis avaritiain compescat. Quid ergo? I)eiieficiuni doiiiinus a servo accipity iiuiiiotiouio ab homine. Deiiiile quod in illius pole.stale fuil, Iccit : beneliciuni domino dédit : ue a servo acccperis, in tua potestate est. Quis autcni lanlus est , quein non fortuna indigène etiain inli- niis cogat? Mulla jani lieneticiornm cxcnipla referain, et dis^iniilia, et quidam intcr se contraria. Dédit atiquis dom no .suo vitam, dédit uiortem , servavit peritmuni ; el lioc si paruni est, pereundo servavit; alius raortem doniini adjuvit, alius decepit. XXII I. Claudius Quadrigarius induodevicesimo anna- lium tradidit , cum iilisidcretur Grunieutum , et jain ad suinmam desperationcm venluni esset , duos servos ad liosteni transfngisse , et operac prelium fecisse. Deinde iirlic capta , passiin discurrente victore , illos per nota iiincra ad donium in qua servierant, praecucurrisse , et dominam suani anle se egissc ; et quasrenlibus quœnam esset, dominam , et quidcni crudelissiniam ad supplicium ab ipsis duci , profcssos esse. Eductam deinde estra mu- rus , sunimi) cura celasse , donec tiostilis ira considère! ; deinde, ut saliatus miles ci(o ad lUmianos mores rediit. illos qaoque ad suos redisse , el dominam sibi ipsos dé- disse. Manumisit utrumque e vestigio illa; nec iadig- nala est ab his se vitam accepisse, in qnosxilae necisque potesîatem hal.uisset. Poluil sibi hoc vel magis gratu!ari. Aliter enira servata , munus not» et vutgaris clemenlia- haliuisset : sic servata , nobilis faliula , et eiempluni dua- rum urliium fuit. In lanta confusione caplae civilalis , quum sibi quisque consuleret , oranes ab illa praeter traos- fugas fugenmt. At hi , ut oslenderent quo animo facta esset prior illa transilio , a victoribus ad captivani Irans- fugerunt, personani parricidarum ferentes. Quod in itiu benefîcio maximum fuit, tanti judicaTcrunt , ne domina occidcretur, videri dominam occidisse. Non est, iiiilii crede , non , dico , servitis anirai , egregium faclum fama sceleris émisse. C. Vettius, prœtor Marsorum , ducil»- tur a.l Romanum imperatorem. Ser\us ejus gladiuni militi ipsi, a quo traheliatur, edu\it, et primitm doniioum occidit ; deinde, Tempus est, inquit , me et miliiam- suJere : jani dominura manumisi; atque ila se uno ictii Iransjecit. Da mihi quemquam , qui magniQcealius do- minum servarit. XXIV. Corfinium Cffsar obsidebat : tenebatur indu- sus Domitius. Imperavit medico eidcmque servo suo DES BIENFAITS. 177 il, commesi tout dépendait de toi? Je te demande la mort les armes à la main. » Alors il promit; et lui donnant un breuvage innocent, qui ne fit que l'assoupir, il alla trouversoufils, et lui dit: « Fais- moi garder a vue jusqu'à ce que l'événement t'ap- prenne si c'est du poison que j'ai donné a ton père. B Doraitius ne mourut pas, et César lui sauva la vie : mais son premier sauveur avait été l'es- clave. XXV. Dans la guerre civile, un esclave cacha son maître proscrit; se parant ensuite de ses anneaux, couvert de ses vêtements , il vint se présenter à ceux qui le cherchaient , leur dit qu'il les priait pour toute grâce d'exécuter leurs ordres, et tendit le cou au glaive. Quelle grandeur d'âme! de vouloir mourir pour son maître, dans un temps où c'était une rareté de ne pas vouloir la mort de son maître; de rencontrer un trait d humanité dans la cruauté publique; un trait de fidélité dans la publique perfidie ; et, lorsque de grandes récom- penses sont offertes à la trahison , de chercher la mort pour récompense de sa fidélité ! XXVI. Je n'oublierai pas les exemples de notre siècle. Sous Tibère César , les accusations étaient comme une rage presque générale , qui enleva plus de citoyens 'a la ville , en pleine paix , que toutes les guerres civiles. On épiait les paroles de l'ivrcîsse , les naïvetés de la plaisanterie : tout était danger; tout prétexte de sévir était bon. On ne s'inrormait plus du résultat des accusa- tions parce qu'il n'y en avait qu'un. Le préto- rien Paulusse trouvait à un souper, portant à son duigt une pierre sur laquelle ressortait en relief l'image de Tibère César. Je serais très-ridicule si je cherchais drs mots pour dire qu'il prit un pot de chaud)re. Le fait fut aussitôt remarqué par Maron, un des plus fameux délateurs du temps. Mais l'esclave do Paulus, comprenant que son maître allait tomber dans un piège, profila de son ivresse pour lui ôler son anneau ; et comme Marc prenait les convives "a témoin que l'image de l'em- pereur avait été mise en contact avec un objet obscène, et libellait déjà sa dénonciation, l'esclave lui montra l'anneau a son doigt. Si quelqu'un ap- pelle cet homme un esclave, il appellera aussi Maro un convive. XXVIl. Sous le divin Auguste les paroles n'é- taient pas encore une cause do péril, mais déjîi d'inquiétude. Le sénateur Rufus avait, au^milicu d'un souper, exprimé le vœu que Ccv-ar ne revînt pas d'un voyage qu'il méditait, ajoutant que son vœu était aussi celui de tous les taureaux et les veaux. Il y eut dos gens qui rccncillirent soigneu- sement ses paroles. Dès qu'il fit jour, son esclave, (|ni , pendant le souper, s'était tenu 'a ses pieds, lui raconte ce qu'il avait dit dans son ivresse : il l'engage à se présenter à César, et à se dénoncer lui-même. Rufus suit ce conseil , et court a la ren- contre de César, descendant du palais ; il jure que la veille il n'était pas dans son bon sens, et, fai- sant des vœux |)our que sa faute retombe sur lui et ses enfants, il prie César de lui pardonner et de lui rendre ses bonnes grâces. César disant qu'il y consentait : Personne, continua Rufus, ne croira que tu m'aies rendu tes bonnes grâces, si tu ne me donnes quelque chose ; et il lui demanda et obtint ut sibi venenum daret. Qauin tergiverssnteni videret : Quid cuiictaris , iiiquit , tdiiquani tua in potestaie tniuiii islud Mt? niortem rogo arinulu;. Tuni ille proniiMt, et nicdicaineotum iniioiiuin liilHDduin illi dédit: quo quuni sopitus essct, accessit ad filiiuii ejus : Jul)e me, ioquit, asservari , dum ex evenlu iutelli);as, an Tenenum patri tuo dederim. Viiit Dominas, et scrvatus a Cxsare est : prior laniea illum servus scrvarerat. XXV. Bi'Uo civili , proscriptuin dominum servus abs- roudit ; et qiium anaulos ejus sibi aptassel , ac vcslem iaduisset, speculatoribus occurrit : niliil se dcprecari, quo minus imperata peragcreut, dixil; et deinde cervi- ccm porreiit. Quanti viri est , pro domino eo tcmpore mori telle, quo erat rara fides, dominum mori nolle? in publica crudelitate miteni iuveniri, in publica perddia fidelem? quum pra-mia proditionis incentia oslendantur, praemium fidei, mortem concupiscero ? XXVI. Nostri scculi eiempla non prœteribo. Sut) Ti- berio Caesare fuit accusandi frequcus et pêne pulilira ra- bies, quae onini civili bello gravius loKatani civitatem confecit. Excipicbatur ebriorum sermn, simplicitas jocan- tium ; niliil erat tutum; omnis sxviendi placebat occasio. Neejam re(>nimeispectal)alurcventus,quum esset umis. Cteuahat Panllus prietorius in convivio qundam . imaçi- ncm Tilierii Ca'saris habens, eclypam, et eminente gem- ma. Ilem ineplissimam fecero, si nunc verba qua;siero , quemadmodum dicani illmn matt'llam suiiisisse. Quod facluiii simidot Mari) ex nolis illius tcmporis vesligatn- ribus notavit. At sep/iis ejus cui iii'clcbanlur insidiie , ei ebrio annulum extiaxitj et quum Maro con>ivas testa - l'ctur, admotam esse imugiuem obsco-nis, et jam sub- scriptionem tomponni et , usieudit >a manu sua seiTiis annulum. Si quis hune servuni vocat, et i;lura convivam vucabit. XXVlI.Sub divo Augusio noaduni hominibus verlja sua periculosa erani , jam molosla. Kufiis, vir ordinis senatorii, inler cnpnam oplaverat , ne C.Tsar salvus redi- ret ex ea perefjrinatiune quam parabat ; et adjpcerat , Idem onines et tauros et vitulos «ptare. Fuerunt qui illa diligenteraudirent. VA primum diluxil. servus, qui ci'- nanti ad pedcs steterat, narrât quï^ inter crnam chrius diiissct; borlatur, ut Cirsarem occupct. atque ipse se defcrat. L'sus consilio, descendenti C'.icsari occurrit. Kt quum nialam mentem habuissc se pridic jurasscf, id ut in se et (ilios saos rccidcrct, opîavit, et Ca'sarem , ut ignosceret sibi, redirelquc in gratiam seciini, rogavit. Quum dixissct se (;a'sar fiiccrc : !Nemo, inquit, crec.'et te mecum in grnliam redisse, nisi ali(iuid milii donave- 12 178 SÉNÈQUE. «ne somme que n'eût pas dédaignée môme ua homme en faveur. Césac ajouta : « Dans mon in- torôt, je prendrai soin de no pas me fâciier avec loi. 1) César Ut bien sans doute de pardonner, d'ajouter la libéralité "a la clémence. Ceux qui con- naîtront cet exemple de générosité seront forcés do louer César ; mais il faut auparavant louer l'es- clave. Est-il besoin de raconter qu'il fut. affranchi : mais ce ne fut pas un don gratuit: César avait payé le prix de sa liberté. XXVllI. Après tant d'exemples, est-il encore doulcux (|u"un maître puisse quelquefois recevoir un bienfait de son esclave? Pourquoi l'action se- rait-elle rabaissée par la personne, plutôt que la personne annoblie par l'action? Notre commen- cement 'a tous est le même; notre origine est la même. Nul n'est pins noble qu'un autre, si ce n'est celui lont l'esprit est plus droit et plus dis- posé a de belles œuvres. Ceux qui expo.wnt des images dans leur vestibule et placent si:r la façade de leur maison, en lon<;ue rangée, les noms de leurs ancêtres, enchaînés l'un 'a l'autre dans les rameaux d'un arbre généalogique, sont plutôt des gens connus que des gens nobles. Tous ont un père comnmn , le ciel : soi t par des degrés brillants, soit par des degrés obscurs, l'origine de chacun y remonte. Les grands te trompent moins que tu ne penses, lorsque, dans le dénombrement de leurs aïeux, partout où manque un nom célè- bre, ils y posent un Dieu. Ne méprise aucun homme, quand même il serait entoure de noms obscurs et peu favorisés par la fortune. Soit que vous comptiez devant vous des affranchis, des es- claves ou des hommes de race étrangère, rcîevei fièrement la tête, et franchissez d'un saut hardi cet intervalle humiliant : au terme vous at- tend une haute noblesse. Pourquoi, dans notre orgueil, nous laissons-nous emporter a un tel degré de vanilé, que nous nous indignions de re- cevoir des bienfaits d'un esclave, et qu'oubliant son mérite, nous ne songions qu'a sa condition? Tu appelles quelqu'un esclave , loi l'esclave de ta luxure, de ton ventre, d'une prostituée, ou plu- tôt la propriété commune de toutes les prostituées ! Tu appelles quelqu'un esclave , toi ! Mais où donc t'entraînent ces porteurs qui promènent partout ta litière? Ces esclaves en manteau, équipés comme des soldats , et même avec luxe , où , dis-moi , te mènent-ils? A la porte de quelque portier, aux jardins de quelque esclave inférieur , qui n'a pas même de fonctions réglées. Et puis tu contestes les bienfaits de ton esclave, quand c'est un bienfait pour toi que le baiser d'un esclave étranger! Quelle est donc cette contradiction de ton esprit? Au même instant lu méprises les esclaves, et tu leur fais la cour ! Impérieux et emporté chez toi , ram- pant au-dehors, et aussi méprisé que méprisant. Car nul ne s'abaisse plus facilement que celui qui se grandit sans droit; nul n'est plus disposé "a fouler les autres, que celui qui s'est appris a ré- pandre des outrages, a force d'en recevoir. XXIX. J'ai dû dire ces choses , pour rabattre l'insolence des hommes qui ne s'attachent qu"a la fortune, et pour revendiquer le droit de bienfait pour les esclaves, afin de le revendiquer aussi pour les fils. Car on demande si quelquefois les lis . pelilqup non fastidiendam a propitio sumniani , et iiiipctravit. Cacsar ait : Mea causa dabo opcram , ne un- qiiaiii libi Iniscar. Honeste Carsar , qund ignnvit, quod lilieralilatoin clenienlia; adjecif. Quicunqnn hoc audiverit «■xcnipluin , neccsse est Ca-sareni laudct,sed quiim ser- vuin ante laudaverit. Num cx-iipeclas , ut libi naireni ma- niimissum , qui hnc fecerat? nec tanien gralis; pecu- iiiani pro !il)crtale ejus Cassai- numeraverat. XXVIII. Post lot exempta nuni est dul)iiim, quin be- nfificium !,liqu:indo a serve dominus accipiat? Quare po- tius persona rem iiiinual , quarn prrsouiim res ipsa co- bonestet? Kadcm oninilius principia, cadomque origo : iicnio altero nobilior , ni.si cui rccliiis iuRcnium, et ar- tibus bonis aplius. Qui imagines in atrio cïponunt, et nomiiia familias suoe longo ordine, ac multis siemmalum illiKala lloxuris, in parte prima a>ilium collocant , noti niagis , quani nohilcs suiil. tJnus omnium parens niundus est : sive pcr splendidos , ,sivo per sordidos pradus , ad tîunc prima cnjnsque origo perducilur. Non est , qiiod te isti decipiant, qui quum majores suos recensent, ubi- cunque illuslre nomen defocit, illo deum infulciunt. Ne- taincm despcxoris, elianisi circa illuni obsoicta sunt no- enrnriiini est ipsum, quod finci.ur. Primum, quo'dain iaitiuni abaiils trahunt, cl tanicn initiis suis majora sunt. Piec iden ali- quid non est majus co qun C(rpit, quia non poiuisscl in taiilum procedrrc, ni-i cœpis-et. Null,i non ns prhicipia tua magno gradu transit. Scmina omnium rcrum causa sunt : et tamen min ina> partes sunt eorum <\ux aiimml. Adspice itlieauni, adsi^ce Euphialem , omnes dinique iDclytos amnes : quid tunt, si illos iliic unde efllunut , xslimet? Quidquid est quo tinientur , que ncmiinantur , in processu paravcrunt. Toile radicem , nemora non sur- gent; nec tanti montes vesticntur. Adspice Irabes.sive ! proceritatcni lettimes , attissimas ; sivc crassitudJncm tpallumque ramorum, latissimc fusas : <|uantulum est bit couiparatuin illud, quod radii lenui fibra complecii- I tur? Innitnntur fumiamentis suis lenipla , et illa urbis mœnia : tamen qu e in firmamenluni tolius operis jac- t:i sunt, talent. Idem in céleris e?enlt : principia sua semper scquens niapnitudo ol)ru;t. ÎSon poluisscni quid- quain conse<|ui , nisi p;ii'enlum bencnciuni aniccessisset : sed non idi'O quiilquid consecutus .suni, minus est eo, sine qiio consecutus n»n essem. Nisi me ntitrii aluisset inrantem , nihil eorum, qua; consilio ac manu pero, fa- cere [wtuisscm, nec in banc emergerenoniinisclaiilatcm, quam civili ac militari iudustria merui : numijuid taincn ideo niaximis opcribus praîTcres nutricis ollicium? At quid iutercst, quuin a.'que sine palris benellclo , cpiam sine nutricis romenio, non potueriiu ad ulteriuia pro- cedere ? XXX. Qaud si initio meo, quidquid jam possum, dc- l>eo, cogita non esse initiuni mei iKilrcm, ne avum qui- dem. Scm|ier enim erit ullerius aliqiiid , ex quu oripinis proxima» origo dcscendal. Alqui nemo dicct me plus dc- l)ere l|;na>is , et ultra raeniorlam positis majoribus , qunm (Kitri : plus autrm dcbei), si hoc ipsum qund genuil me patcr meus majoribus dclwt. Qi!iiii priiniim ad omnia gradum : sed nmi idoo inajmeni (iiiinilms, (|iiici prinuiin. Servavi pa- tit'iii , et ad siiiiiniaiii provexi is siKC foci ; iiec taiihuu relms a me gesti nobililavi , sed i.isi (|iio<]iii' gei-eiidai'iini ingeutem ac facilera , ncc tiiiani minus, (|nani };loi-iosani dedi iiialcriam. Honores, opes, quidqtiid humanos ad se animos lapit, congessi, et qunm snpra onnies sUireni , infia illnm sieti. Die nnne, lioc ipsum . qncid isla poiiiisli , patris nninns est. Res- pondc'.io lil)i, est pioi'sns , si ad isla facienda nasci salis est; scd si ad bene vivendnin mininia porlio est vivfie, et idtritniisli, quod cnni feris niilii et animalilins quibus- dam minimis , qnibnsdain eli.ini fœdissiniiseomnmue esl; noli libi asserere . qnod non ex Inis l)enelieiis, elJanisi uon sine tuis, orilur. l'nla me vit un pro vila reddidisse. Sic quoqne niunus lunm vici, quum ego dederinisen- tienli , qunm sentions nie daie ; qunm vitini tilii non vo- lujitatis niea; causa, aul eerte per voluplalem dedcrini ; quum lanto majus sit retinerc spiritum , quant accipere, quanto levius mori antc mortis loetum. XXXI. F.go vitiiin dedi statim illa nsuro ^- tu nesciinro, an vivciel : ego vitam dedi , niorteni liment! : tu vilain dedisli , ut nioii posseni : ego vitam libi dedi consumma- lam , perlcctani : lu me e.vpertem rationis genuisli. ouus alienum. Vis .sciie, qunm mm sit magnum beoeGciimi, vitam sic dare? espo.-uisscs; iiem[)einjuria erat genuUse. Qno quidem ccilligo minimum esse lieueiicium , paiiis matrisque concubiinni , nisi accesserint alla , qui- prosc- qnereninr boc initium muneris, et aliis officiis ratum fa- eerent. î^on est l)onnni nveie, sed bene vivcre. AI bene vivo ; sed ]>otui et mate : ila hoc tantuni est luum , quod vivo. Si viiam imputas niilii per se, uudam, cgenlem consilii , et id nt magnum bonum jactas, cogita te raihi imputaie miiscarum ac vermium lioimiii. Ueinde, ut nil-.il aliud diciim . quani bonis arlilnis nie studuisse, ut cursum ad reclum iler vilae dirigerem ; in ip.so beneRcio liio, iiiajns qnam qjod dedeias, rocepisti. Tn eniin me mitii rudein et inipcri uni dedisli ; ego libifillum, qu.i- lem genuisse ganderes. XXXII. Aluit me pater. Si idem pia'sto , plus reddo i quia non tanluiii ali se , sed a filio ali gaiidet , et majorera ex r.iHino nieo , quam ex ipsa i c , percipit voliipulcin. que (le la chose même : au liea que les aliinciils qu'il m'a donnés n'ont pooëlré que mon corps. Quoi! si un liorame s'est. élevé si haut, qu'il brille chez les nations par son éloquence, sa jus- tice ou ses exploits guerriers, qu'il entoure aussi CDD père d'une grande gloire, qu'il dissipe par ton éclat l'obscurité de son berceau , il n'aura pas répandu sur ses parents des bienTuits inestima- bles ! Qui connaîtrait Ariston et Gryllus , sans leurs fils Xénoplion et Platon? Sophronisque est devenu impérissable par Socrate. Il serait trop long d'éuu- mérer (ous les autres dont la mémoire n'est vi- vante que parce que la vertu supérieure de leurs enfants l'a transmise 'a la postérité. Qui a le plus reçu de l'autre, ou Agrippa de son père, lequel n'est p&s môme connu après Agrippa , ou celui-ci d'A- grippa, lequel fut décoré d'une couronne navale, seul exemple de cette glorieuse récompense mili- laire ; d'Agrijipa qui, par la multitude d'édilites dont il embellit la ville, surpassa la magniGcence des siècles précédents, sans pouvoir être surpassé dans la suite? Qui apporta le plus grand bienfait à l'autre, ou d'Octave à son fils, ou du divin Au- guste à son père, quoique celui-ci fût caché dans l'ombre du père adoptif ? Quelle jouissance il eût goûtée, s'il eût vu ce fils, après l'extinclicm des guerres civiles , présider à l'établissement d'une j paix solide? Sans doute il n'aurait pas reconnu : son ouvrage; et, en se regardant lui-même, il c'aurait pu croire qu'un tel homme fût né dans sa famille. Pourquoi parlerai-je encore des autres, que l'ou- lili eût déjà dévorés, si la gloire de leurs fils ne DES BIENFAITS. 181 les eût arrachés aux ténèbres, et ne le^ retenait encoreau grand jour? D'ailleurs, nous n'examinons pas si quelque fils a rendu à son père plus qu'il n'avait reçu ; mais s'il est possible de rendre plus. Quand même les exemples que j'ai rapportés ne satisferaient pas, et (pie les bienfaits des parents ne seraient pas éclipsés, la nature peut enfanter ce qu'aucun siècle n'a encore produit. Si des mé- rites isolés n'ont pu sui passer la grandeur des bienfaits paternels, plusieurs, réunis en un seul , les surpasseront. XXXIII. Scipion sauva sou père dans un com- bat : encore revêtu de la prétexte, il poussa son cheval au milieu des ennemis. C'est peu d'avoir affronté, pour arriver jusqu'à son père, tous les périls qui assiègent les plus grands capitaines, et triomphé de tant d'obstacles, d'avoir, soldat d'un jour, passé sur le corps aux vétérans, pour courir à la première ligne, d'avoir devancé son âge : suppose qu'il défende aussi sou père ac- cusé, qu'il l'arrache aux complots d'ennemis puissants, qu'il accumule sur lui un second, un troisième consulat, et les autres dignités qu'am- bitionnent même les consulaires ; qu'il offre à sa pauvreté des richesses acquises par la victoire; en- fin, ce qui a le plus de prix pour un guerrier, qu'il le fasse riche avec les dépouilles des ennemis. Si ce n'est pas encore assez, ajoute cette suite de commandemenis dans les provinces, de char;,'es cxtraordinaiies ; ajoulc qu'après la destruction des villes les plus puissantes, devenu le défenseur et le fondateur de l'empire romain , qui devait désormais, sans rival, s'étendre de l'Orient à Illius alimeula ad cnrpus tanliiin ni(?um pprTcnornnf. ifiiid kl quis in tiiatuiii pr(K'«$!iit , ut aut cloqucntia per gentps enoiesceret, aiit jiislitia , aut licllicis robiis, et patri qii(X)uc iugenleincirrunifundercl faniani, tencbra»- que Dalaliuni siinrum clara \ucf. discutcret ; non ina-s- tin.iliile in parentes suos licneliciuni conlulit? An quis- ijuain Artstomni et Grylluui , nisi pi-op!er Xcmiphnntem iic Pialoncm filins nossel? Sophrnniscuni .Socniles ojjpi- rare non |ialilur. Celcros enumerarc lon^uni est, (|ui vivuutub nullani causani aliani , qiiatn quod illos lil)pm- ruin eiimia virlus tradidit po.«lcris. IJlruni niijus l)pnc- ficiuin dcdit M. A^rippae palcr.ne piist A|{rippani qui- dem noius, an palii dédit Agrippa, navali corona in- *it;nis , uuicuin adeplus intcr dona niiliiaria dccu.s?qui totinurlie maiinia opéra eicifcivit, qux et prioieni inag- iiincentiani vinccrent, et nulla poslea vinrerenlur ? IJtrum Octavius majus ulluni l>encnciuin dédit filio , an patri diïus Augusius, quanivi» illuni umbra adoplivi patris abs(Mindit? Quantarn ccpi.s»el tiiUiptatein , si illu:ii , post deliellata arma civilia, vidissetsecurx paci prasidcnteni . noii agnoscens lionum smini , nec salL» credens, qunties rcspeiissct ad se, potuisse illuui viruni in doino smi iias- (i ?Quid nanc ceterot p«rscqiinr , quo« juin contiimsissel oblivio, nisi illos flliorum gloria e tenebris eruissel, et adhuc in lure retineret? Deindc quum qucPramus, non , quis filius pairi majora bénéficia reddiderit, qiiam a patra acceperat , sed an possit aliquis majora redderc : etiamsi qua; retuli exenipla, nonduin satisfaciunt, nec bénéficiai parentum suoruiii su|ierniicant : capil tamen hoc natura , quod iioudum ulla a>tag tulil. Si singiila paternorum roe- ritiirum magnitudlnem eisuperare non possunt, pluia in unum congesia siiperabiint. XXXm. ScrvaTit in pra-lio patrcm .Scipio.et prwtex- taliis in liostesequuni concitavil : paruni est, quod, ut per - veniret ad patrem , toi pericula niaxinios duces quuit ninxime prementia contemsit , tôt op|iosltas difncullales : quod ad primain pugiiam cxitunis liro per veleraiiorum coriKira cucurril; quod annos suos transjli\it. Adjiee, ut idem patrem réuni defendal , et con.spir.itioni inliiiicorum IKitentiuin cripiat ; ut altcruni illi consul;ilum , ac lertium, iUios(|ue lionores eliim comiilnrilius concupls 'endos cou- gerat ; ut pauperi raplas bulli jure opes Inidat ; et qund est militariliiis viris s|)e(MO&Ls$iiiiuin , divileiii illum spo- liis etiam lioslilibus fciciat. .Si ndhiic paruin est,r'(liicn ut provincias et edraordinaiia iiiiperia coiuinuet : ndjico ut diiutis niaiiniiii urliibus, IIoiikiiiI iniperii sine ni i.ssequi posset, non tauien quanlumctinque qui asseeulus est, inl'ra illos est; iniiltum iater prima ac niaximainlcrest.Necideo prima maiimorum instar sunt, qu'a sine primis raaiima esse nun possunt. XXXV. Jam lempus est qua?dani e\ nostra, utila di- caiii, moneta proterri. Qui id beneficium dedil, quo est aliud melius, potest vinci : pater dédit filio viiani; est aulein aliquid vita melius : ita pater vinci poiest, quia dédit beneticium , quo est aliquid melins. Étianinunc, qui dédit alicui vitam, si semel et iierum liberatns est moitis periculo, inajus accepit beneficium, quam dédit : pater aulem \itaui dédit : potest ergo , si scc dosiint tain puliliro iiilaniin: l paircni Ip.iri.siolit, et imperlum illi Cy|ipi nadidil. Hoc est pcgiiiini, nollo res- capé, quoin possis ; Vieil palPcni, Inipepinsiim qiiidcm, 184 campagne, a cause de l'inaplitude et de la stupi- dité de sa jeunesse , il alla trouver un tribun du peuple qui avait mis son père en accusation , lui demanda une entrevue, et l'obtint. Le tribun es- pérait qu'il se ferait le délateur d'un père odieux ; et pensait avoir bien mérité du jenne homme, dont l'exil était un des plus grands griefs de l'ac- cusation. Titus, l'ayant trouvé seul, retira un glaive caché sous sa robe : « Si tu ne jures, lui dit-il, de te désister, je te perce de ce fer. Tu peux choisir de quelle manière mon père sera dé- livré d'un accusateur, » Le tribun jura : il tint parole, et rendit compte 'a l'assemblée du motif de son désistement. Jamais nul autre ne lenla im- punément de faire rentrer dans l'ordre un tribun. XXXVill . De tous côtés se pressen t les exemples de ceux qui ont arraché leurs pères au danger, qui de l'état le plus bas les ont élevés au plusiiaut, qui les ont tirés des rangs les pins obscurs de la foule, pour les transmettre, impérissables, a la voix des siècles. Nulle énergie de langage, nulle ri- chesse d'éloquence ne sauraient exprimer tout ce qu'il y a de mérite, tout ce qu'il y a de gloire à jamais assurée dans la mémoire des hommes, à pouvoir se dire : J'ai obéi à mes parents, je leur ai cédé : je me suis montré soumis et complaisant à tous leurs ordres, soit justes, soit injustes et rigides : je n'ai été rebelle qu'en une seule chose, je n'ai pas voulu être vaincu en bienfaits. Entrez donc en lice , je vous en conjure ; et si vous êtes battus, renouvelez le combat. Heureux les vain- queurs! heureux encore les vaincus! Quoi de plus beau, pourcejeune homme, quedepouvoir sedire ; SÉKÈQUE. car il ne lui est pas permis de le dire aux autres ; « J'ai surpassé mon père en bienfaits. » Quoi de plus heureux pour ce vieillard , que d'aller publier par- tout que les bienfaits de son fils ont triomphé des siens ! Quoi de plus doux que d'avoir créé soi- même sa défaite! LIVRE QU.\TR1EME. I. De toutes les questions que nous avons exa- minées, Ébutius Libéralis, il n'en est pas de plus importante, il n'en est pas qui veuille, selon l'ex- pression de Salluste , être traitée avec plus de soin que celle qui nous occupe : la bienfaisance et la reconnaissance doivent-elles être recherchées seu- lement pour elles-mêmes? Il y a des gens qui, dans l'honnête, ne voient que l'utile, qui ne trouvent aucun charme dans la vertu sans profit , tandis qu'il ne reste plus en elle rien de grand , s'il y a quelque chose de vénal. En effet, quoi de plus honteux que de calculer le taux de la probité! La vertu n'invite pas par le gain, ne détourne pas par la perte; et loin de séduire par l'espoir et les promesses, elle ordonne, au contraire, de faire des sacrifices pour elle, et, le plus souvent, elle est elle-même un tribut volontaire. Foule aux pieds l'intérêt pour marcher a elle partout où elle t'appelle, partoutoùelle l'envoie, sans égard pour tes biens; quelquefois aussi il faut aller sans épar- gner sa vie , et jamais il ne faut être rebelle à ses commandements. Que gagnerais-je, dis-tu , a faire T. Manlius ; qui qmim ante id tempus relegalus csset a paire, ob adolescentiam brulam ac liebetem , ad tii- huDum plebis , qui palii suo diierat diein , venil; pelito- que tempore , quod iile dederat, .sperans fore proditoroiK parentis invisi, et bcne meruisse se de ju\eiie crcdebal, CHJus exsiliutu pro gravissimo criniine inler alla Manlio objiciebat, nactus ado'.escens secrelum, slringit occulta- lum sinu ferriim , et, nisi juras, inquit, te diem palri vcini.ssurum , boc le gladio transfodiani. In tua poiestate est, utro modo palor meus accusatoreui nou babeai. Ju- ravit Iribuuus; nec fefelllt , et causa m actionis remissae concioui reddidit. INulli alii licuit impune Iribunuui ia ordineni redigcre. XXXVIII. Alla ex aliis exempla sunt porum, qui pa- rentes sues periculis eripuerunt , qui ex infiuio ad sum- iHum protulerunt, et e plèbe acervoqueignobili nunquam tacendos seculis dederunt. NuUa vi verborura , nulla in- genii facultate exprimi potest, quantum opus sit, quam laudabile , quamque nunquam a memoria hominum exi- turum , posse hoc dicere : Parentibus meis psrui , cessi : imperio eorum, sive aequum, sive iniquum ac durum fuit, obsequenlem submissumquc me praabui : ad lioc unuin conlumax fui, ne beneficiis viucerer. Certale . Qbsecro vos, et fusi quoquerestituilc aeiem. Fellccs, qui viceriut : felices, qai vincentur. Quid eo adolescente prajclarius, qui sibi ipsi dicere poleril : neque enim fas est alteii dicere : Patrcm mcuui beneficiis vici ? Quid co Jortmiatius sene, qui omnibus ubique praedicabil, a Clio se suo beueficiis vicium? Quid autem cstfelicius, quaia sibi cedere? LIBER QUARTUS. I. Ex omnil)us qua- fractavimus , ^buti Liheralis, po- test videri nihil lam necessariura , aut niagis , ut ait Sal- luslius , cum cura dicendum , quam quod in manibus est : An l)eneficium dare, et invicem graliam referre, per se rcs expetcnda; sinl? Invcniuntur qui bonesta in merce- dem colant, quibusque non placeat virlus gratuita : quse uiiiil habct in se magniGcum , si quidquam vénale. Quid enim estturpius, quam aliquem compulare quanti vir bonus sit; quum virlus nec lucro invilet, nec abstcrreat danmo , adeoque neminem spe ac pollicitiitione corrum pat , ut contra in se irapendcre jubeat , ac sa;pius in ul- lio tributis sit? Calcatis utilitalibusad illam eunduiuest, quocunque vocavit , quocunque misit , sine respeclu rei familiaris ; interdum etiam, sine ulla smgniuis sui par- cimonia ^adcndum, nec unquam impcriuui rjusdetreç- DES Bl le Lien courageusement et avec- plaisir? Tu gagne- ras de l'avoir fait. On ne te promet rien de plus : s'il survient au-delà quelque avantage, regarde- le comme un accessoire. La récompense des cho- ses honnêtes est en elles-mêmes. Si la vertu doit être recLerchée pour elle-même j et que la bien- faisance soit une vertu , son sort ne peut être dif- férent, puisque sa nature est la même. Or, nous avons prouvé souvent et longuement que la vertu devait être recherchée pour elle-même. II. Ici nous avons "a combattre les Épicuriens, ces philosophes de table et de bosquets , qui font de la sagesse au milieu des festins. Pour eux, la vertu est l'instrument des plaisirs. Elle leur obéit, les sert et se place au-dessous d'eux. Il n'y a pas, disent-ils, de plaisir sans la vertu. Pourquoi doue places-tu le plaisir avant la vertu? Pen- ses-tu que ce ne soit ({u'une dispute de préséance ? H s'agit de la chose tout entière, de son essence même. Il n'y a plus de vertu , si elle vient en se- cond. Le premier rôle lui appartient : c'est "a elle à conduire, "a commander, a tenir la place d'hon- neur, et tu lui ordonnes d'atXendre le signal, o Que l'importe, dit-il, puisque je prétends, comme toi, qu'il ne peut y avoir de bonheur saus la vertu. Ce plaisir que je recherche, auquel je me suis asservi, je le réprouve, je le condamne, s'il n'est accompa- gné de la vertu. Le seul point (|ui nous divise, est de savoir si la vertu est le | rincipe du souverain bien, ou si elle est elle-même ce souverain bien. » Quand ce serait noire seule contestation , penses- tu que ce ne soit qu'un changement de rang. Mais c'est un bouleversement, un aveuglement mani- ENF.\1TS. i83 feste , de placer les dernières choses avant les pre- mières. Je ne m'indigne pas seulement que la ver- tu soit mise après le plaisir, mais qu'elle soit en aucune façon rapprochée du plaisir. Elle le mé- prise, elle en est l'ennemie, et, s'écartant bien loin de lui, elle s'associe an travail, h la douleur, aux mâles épreuves, plutôt qu'à ce bonheur efféminé. III. J'ai dû faire ces réflexions, mon cher Li- béralis, parce que le bienfait, dont nous trailons ici, étant une vertu, il est très-honteux de don- ner pour toute autre chose que pour donner. Car si nous offrons avec l'espoir de recouvrer, nous donnerons au plus riche et non au plus digne : tandis qu'aujourd'hui nous préférons le pauvre .tu riche insolent. La bienfaisance n'a point égard li la fortune. D'ailleurs, si l'iutérêt seul devait nous inviter ii être utile, ceux qui devraient répan- dre le nic^ns de bienfaits seraient ceux (jui le peuvent le plus, les riches, les puissants et les rois, qui n'ont pas besoin de l'aide dos autres. Les dieux mêmes ne nous donneraient pas tous ces présents qu'ils versent jour et nuit sans relâche; car leur nature leur snfDl en tout, et leur pro- cure la pléniiude de biens assurés et inaltérables. Personne ne fera de bien, si on ne donne sans autre cause que sa propre considération et son intérêt. Ce n'est pas un bienfait, c'est de l'usure, que de regarder autour de soi, uon pour placer bonne tement, mais pour trouver du profit et pour re- cueillir plus facilement. C'est parce que les dieux sont très-tloigncs de celte pensée, qu'ils sont bien- faisants. Car, si le seul motif de donner était luli- lilé de celui qui donne, Dieu n'ayant rien d'utile landum. Quid coosequar, inquit, si hoc fnrlilpr , ki hoc grale feccro?Quod fcccris. Mhil til)i cxlra pnmiillimr : si quid forte o!)vcaerit coiiinindi , interaccessioiies nuiiie- rabis. Reruni hnneslaruni prctiiim in ipsis est. Si liones- tiim per se ripetenduiD csl, l>cncTiciiiiii auleiii honestuiii est, non polest alia ejiis con.litio esse, qriuni uiideni n;i- lura sit. Per se auteiii cipeteuduni esse liooe&tuni , s.iijc et abunde probjlum est. II. Id bac parte nobis pugna e.st cum Epirureorum deltcataet unibratica turha , iu conuTiosuo philosophan- lium; apud quos virlus vuluptatum minislra est. Illis p.iret , illis d servit , illas supra se tidct. Non esl , inqiiil, Tolnptas sine vinule. hed quare aulc \irtuleni est? De ordiae pulas ilisputalioueiii esse? De re tnta, cl de potes- Ute ejus anilùgitur; non esl virtus , si ,se;|iii polest. Primœ parles ejustunt; ducoredel)et, inipcrarc, .sumnio loco starc; tu illam jubés signuiu peleie. Quid, iiiquil, tua refert? et ego sine virtute negn bealaiu viUini posse constate. Ipsam voluplatem, quani sequor , cui nie niau- cipafi, remola illa , iinprobo et danino; de li.)c uuo dis- putalur, utruin virtus suinini boni causa sit, au ipsa «ummum lono. III. Inscrcnda ha>c, mi Liberalis, fucriuit , quia benc- fleinni , de quo nunc acitur,darc, virtulis est, et lur- pissimum, id causa ulllus alterius rri dare, <|uani ut dalnni sit. >am si rceipiendi si e trilmerenius , loruplc- lissinio cnique, non di(;nissinio, darcnius; niMic, \rv(t divili inip:>rluno pauperem praferauius ; non est IhiicII- cium, (|uod foriunam spécial. Praterca, si ut proilessc- mus, sola nos invitaret utiliias, minime bcnollcia distii Imere deherent , qui facillime posscnl , locnplelcs , et po- tcnles, et regi», aliéna ope mm indi^'enics. IJii vcro tut munira , qua? sine iiilcrmissione diclius ac nnclibus funduut, non darent ; in OMiiiia ciiiin illis inlDra tua ■-m!- licit , picnosque et îulos , et inviolaliilcs piicslat. INulli ergo iK'nclicluiu dabunt; si nua d.mdi causa et. se in- lueri ac commodum smmi. Istud non l)cniri(iiiiii, sed rirnusest, circumspicere, non ubi opliiiie pimas , sed ubi (pia'sluosibsimc halieas, unde facillime lollas Quod qumn longe a diis reiuolnm sit, s 1'"*'^ Larius, et toi , Bcnncus, qui l'cU- pcu de chose que ce qui nous est également dis- ves sur tes flots en (jromiant comme la mer. Irihué'a notre naissance? S;ins parler des biens VI. Si l'on le donnait quelques arpents de qui suivent, dont la mesure est inégalement ré- lerrc , In dirais que tu as reçu un bienfait; et ce [lartie , la nature nous a-t-elle donné si peu de f:e n'est jias un bienfait pour toi que cet espace clisse , en se donnant elle-même? immense de terres étendues sans limites? Si (juel- siut; n:im siuna boneficii daiidi causa sit (!:inlis utilitas, nuili aiitt'rn ex noliis utilitas Deo speranda est, nullaDeo îlandi lii'neficii causa est. IV. Scio qu;d hoc Idco rcspoiidontiir. Itaqiie non dat Deiis beiH'ficia , scd secuius et ncglisjciis nostri , aver.sus a iiiiiîido , aliud iigit , aut , qiia' niaviiiia ICpicuro félicitas videlur, nitiil agit, nec niagis illiim liciiclicia , quani in- juria; tangunl. Hoc qui d:cil, non exaudit precaiitiuni vo- ces, et uudique sublatis in cœluni niauil)us vota liicien- tiuni, privala ac publica. Quod profeclo non fierct, nec in huncfurorcmomnes iiiortalesconseiisissenl alloqnenili surda niuninactinelficaces deos , nisi nossentillorurn l>e- uelicia nunc ullro oOlala , nunc orautibus data , magna , tenipcsllva, ingénies minas interventusuosolvenlia. Qnis est aulem tani miser, tani negleclus , qnis tani duro lalo, et in pœnam gcnitus, ul non tanlain deoruni niunilicen- tiaui senserit? Ipsos illos corn|)loraules s;irlejii snain, et queruliis circumspice ; inventes non ex tolo bencfieioruni ed'lcstium expertes ; neniinem esso , ad qnem non ali- quidexillo benignissinio fonte manaverit. Païuine.st au- lem id , quod uascentibus ex «'(pu) dislribuitur? 1,1 qua; srquuplur, iuiequali dispensata mensura , lianseamus , parnni dcdil nalura, quum se dptiit? V. Non dal Deus bénéficia ! Unde crgo is!a qua; possi» des? qua; das? qua; negas? qua; servas? quœ rapis? unde Mac iunumcrabilia, oculos, aures, animum nml- rentia ? unde illa luxuriam qnoque iusiruens copia? Neque enrm necessitalibus lantummodo nostris p^o^isun1 est;usqne in delieias anianiur. Tût arbusla , mm uno roodofrugifera, tôt herba; salulares, lot varictates cilio- runi pcrtotum annum digesta;, ut incrli quoque forluita Icrrae alimenta pra'bereni! Jam animalia oninîs generis, alia in sicco solidoque , ali.i in humide innaseenlia, alia per sublime dimissa; ut omnis rerum naluiao pars Iri- lailum alicjHod nobis confcrret 1 Flumina ha;c aniœnissl- mis llcxibus canipos cingenlia, ilb pra'biliira commerciis ïiam, vastoet navigabili cursu vadentia, ex (|uibus quse- dam stilis diebus mirabile incn uientuiii tratmut, ut arida et fervcuti subjecla ecelo loca snbila vis icstivi lor- renlls in jget ! quid niedicaSoium tomnlium vena? quM in ipsis litoribus aquaruoi calcntium cxundatio? Te Lari maxime, toque Fluctil)us, et freaiitu assurgcns Benace niarino? VI. .Si pauca qnis lilii donafset jugera , rcccpisse le dicercs beneliciuiu ; Inimcusa lerrarum laie patcntium DES BIENFAITS. iS7 qu'un te donnait de l'argent et remplissait ton coffre, puisque c'est la ce qui te sciulilc grand , lu y verrais un bienfait ; et lorsque Dieu a eufoui pour loi tant de métaux, faitjaillir de la terre tant de fleuves qui roulent leurs sables charges d'or, accumulé en tous lieux d'immenses amas d'ar- gent, d'airain , de fer, qu'il livre a tes industrieu- ses recherches, en disposant sur la surface de la terie des signes qui te révèlent les trésors cachés, lu dis que tu n'as pas reçu de bienfait? Si l'on te donnait une maison où brille un peu de marbre , cil resplendisse un lambris diapré d'or et de cou- leurs, dirais-tu que c'est un médiocre présent? Dieu t'a construit un immense palais, qui ne craint les ravages ni du feu, ni du temps, où lu ne vois pas des couches légères plus minces que le tran- cbanl du fer qui les travailla , mais des blocs en- tiers (les pierres les plus précieuses, des masses énormes de ces matières si variées, dont tu admires les moindres fragments, un lambris qui , la nuit ci le jour, brille de nouvelles splendeurs ; et lu di- ras que tu n'as pas reçu de bienfait! Et ces choses que tu estimes si haut , dans ton ingratitude , lu penses ne les devoir 'a personne ! D'où le vient cet air que lu respires? cette lumière qui te sert "a régler et à ordonner les actes de la vie? ce sang , dont le cours entretient la chaleur vitale? d'où le viennent ces saveurs exquises qui provoquent Ion palais au-delà de la satiété? d'où tous ces excitants de la volupté déj'a lassée? d'où ce repos dans le- quel tu le corromps cl le flétris. Si tu es recon- naissant, ne diras-tu pas : « C'est un Dieu qui nous a fait c-es loisirs : car il sera toujours un Dieu pour moi; sur ses autels j'immolerai souvent un tendre agneau de mes bergeries. C'est lui (\m laisse errer mes génisses comme tu vois; c'est lui qui me laisse librement chanter mes chansons sur mes pipeaux rusiiques. » Oui, c'est ce Dieu, qui a envoyé non pas que!(]HCS génisses, mais d'innnenses troupeaux sur toute la lerre; qui offre des alimenls ii ces hordes parlout vagabondes: qui substitue les pâturages de l'été "a ceux de l'hiver; qui ne nous enseigne pas seulement "a chanter sur des pipeaux , et a moduler, non sans quelque charme, des airs grossiers cl rustiques; mais qui a créé tous les arts, toute cette diversité de voix, tous ces sons qui empruntent leurs ac- cenls tantôt h notre souffle, tantôt "a une haleine étrangère. Car ne dis pis que nos invcnlions nous appartiennent; elles ne sont pas 'a nous plus que notre croissante, pas plus quePordrc des fondions de notre corps 'a des périodes déterminées. Aujour- d'hui, c'est la chute des dents de l'enfance, puis les signes de la puberlé, lurMpie apparaît ladolcs- cence et que l'homme passe "a un âge plus robuste; cnûn, celle dernière dont, ([ui pose une liniile au développement de la jeunesse. Nous avons en nous les germes de tout âge et de toute science; Dieu est le grand maître qui fait sortir les génies de leur obscurité. VII. C'est la nature, ùis-lu, qui me donne tous ces biens. Nevois-(u pas (|u'en parlant ainsi tu ne fais cpie changer le nom de Dieu? La nalure est-elle autre chose que Dieu , et la raison divine (palia ne|;as esse lienelîcia ii ? Si pecuniam libi aliquis donavcrit, et arcaui tuam, quoniam id tibi magnum ri- detur, impleverit, l>rnencium vocabis : ti)t metalla de- fodit, totlluminacmisit terra, super qux dccurriintsoia aurum vebcotia; argeoti, a;ris, ferri immane pundus omnil)us locis nbrulum , cujus iurestigandi tibi fjrulta- tein dédit, ac latentium divitlanim in summa terra signa disposuit : negas te accepisse beneficiuni? ïi domus tibi doDctur, in qua marraoris aliquiJ respicndeat , et tcctum nitidius, auro aut culoribus sparsuni, nuni médiocre mumis vocabis ? ingens tilii domicilium , sine ullo inccndii sut ruins metu stniiit, in quo vides non tenues crustas, etipsaqua secanlur lamina grariliores , f ed intégras la- pidis prctiosissinii moles, sed lotas varia; disliiictajinic materia- , CUJUS tu parvula frukta niiraris, Iccliun vero aliter noclc, aliter interdiafiilgens : negas le ullnm mu- nns accepisse? Et quiim ista quae hnbcs magno a>slimes , qiiod est ingrati hominis, niilli dcbere te judicas? Undc tibi islum, qucm trahis, spirilnni?nndeistain, per qiiani actus viue tua» disponis atquc ordinas, lucrm? unde.san- guiuem, cnjus cursn vitilis cnniinetur calor? unde isia palatum leum saporilins cxqui.silis ulira satii'tatem la- cessenlia? unde lia-c irritamcnla jam lass.-c Vdluptatis? unde isIa quies , in qna putiescis , ac marées ? Nimne , si cntm e> , diccs , Dons nobis Ii.tc olia fecit ; 5ainifiic erit ille nijlii soniper Deiis, illius aram S.ppc teucr noslrla ab ovjiilii.s jinbiiet agiiiis llte nip.i» errare boves , ut ccrnis , ot ipsuin Luderc qux veljsin cjlauio permisit agrcsti. Ille Deus est , non qui paucas boves , srstat, qui pascua bibernis a'stiva substituit, (|ui non calauio lanluni canlare, et agre.ste al- que inconditum carmeu ad aliquam lauicn obli'clationeiu modulari docult, sed loi arles .tot vocuni varict:ite.s, loi sonos, ali04 spirilu nnsiro, alios e\lerno, cintus cdi u- ros , comnientus est. ÎScque eniiii n:)s ra i.sla , qua' invc- nimus, dixeris; non uiapis,(]uani(iuod crosciuuis, quaui quod ad consli.ulum li nipus sua ccirpori officia r<'.s|)on- di'Ul. Nunc pucrilium deutiuni lapsus, luinc ad surgen- tem jam a;talem , et in n^busliorcin pradum lianscun lom puj)erlas, cl ullimus ille deus siucputi juvenl.e Icr- minuni ponens. lusita suut ni>bis ouiuium ,'i'laiuni, um- niuniquc artium seniina, niagisterque ex occullo Deus producit ingénia. VII. ÎNatura , iii(|uit, h.rc mihi prapsbit. Non inicllinis te, quiim liocdicis, unilari' nDuicri llro? Quid cniui alludesl natura , (|nain Diiis , ptdi\ina ratio, loti niu,n:>o et partibus cjus inscr(a? Quoli -s voles, tibi licol alilei- 188 SÉIS'ÉQUE. incorporée au monde entier cl à cliacuuc de ses parties? Tu peux, aulaul (|ue tu le veux , donner d'autres noms à l'auteur des clioses. Ainsi tu peux appeler avec raison Jupiter le très-boa et très- grand, et le Tonnant, et le Stator, non parce qu'il arrêta, suivant les historiens, après le vœu de l'iomulus, l'armée fugitive des Romains, mais parce que tout s'appuie sur sa bienfaisance : et que de lui vient toute force, toute stabilité. Appelle-le encore le destin, tu ne te tromperas pas. Car, puisque le destin n'est que la succession des causes encliat- iiées l'une à l'autre, Dieu est la première de tou- tes les causes, d'où les autres découlent. Tous les noms que lu lui donneras seront convenables, s'ils caractérisent quelqu'une de ses propriétés, quel- que effet de sa nature céleste. Chacun de ses bien- faits peut lui servir de titre. VIII. Nos philosophes pensent que c'est lui qui est le père Liber, et Hercule et Mercure : le père l.iber, parce qu'il est le père de toutes cho.ses , le véritable créateur de ces semences fécondes qui nous reproduisent par la volupté : Hercule , parce que sa force est invincible, et qu'après l'accom- plissement de ses travaux, il ira se reposer de ses fatigues au sein do la flamme : Mercure, parce qu'il est le principe de la raison, de l'harmonie, de l'ordre et de la science. De quelque côté que tu te tournes, tu le rencontreras devant toi ; rien n'est vide de lui : il remplit lui-même tout son ouvrage. Ainsi, tu ne gagnes rien, ô le plus ingrat des êtres! à dire que tu ne dois rien à Dieu, mais "a la nature; parce que la nature n'est pas sans Dieu, ni Dieu sans la nature; l'un et l'autre ne font qu'un ; leurs fondions sont les mêmes. Si tu avais reçu quelque chose de Sénèque, dirais-ta que lu dois 'a Anuceus ou à Lucius : tu ne chan- gerais que le nom , mais pas le créancier, puis- qu'il serait toujours le même, que tu l'appelles j)ar son nom , son prénom ou son surnom. De raêni<^ la nature , le destin , la fortune sont tous les noms (lu même dieu, dans les différentes fondions de sa puissance. Ainsi, la justice, la probité, la prudence, la force, la tempérance sont toutes qua- lités d'une même flme : si tu aimes l'une d'elles , c'est l'âme que tu aimes. IX. Mais, pour ne pas nous égarer dans uue discussion étrangère au sujet, je le répète, tous ces nombreux, ces importants bienfaits, nous sont accordés par Dieu, sans espoir de retour; car il n'a pas besoin de ce qu'il donne , et nous ne pou- vons rien lui donner. Donc, le bienfait doit être recherché pour lui-même : il ne faul avoir égard qu'à l'intérêt de celui qui reçoit; c'est à cela qu'il faut songer, sans consulter notre propre avantage. « Mais , répliquera-l-on , vous dites qu'il faut choisir avec soin ceux "a qui nous donnons, parce que le laboureur ue conlie pas ses semences aux sables. Si cela est vrai, nous consultons notre in- térêt en donnant , de même qu'en labourant et eu semant ; car semer n'est pas une chose que l'on recherche pour elle-même. D'ailleurs, vous faites un choix pour le placement de vos bienfaits; ce qui ne devrait pas être , si le bienfait devait être re- cherché pour lui-même; car, quelque personne que l'on oblige , et de quelque manière , c'est tou- jours un bienfait. » Nous ne recherchons la vertu pour aucune au- tre cause que pour elle-même. Cependant, quoi^ liimc nuctorem reram nostrarum compcllare; et Jovem illuiii optiiiiuiTi ac iiiaxiimiiii rite dices, it tonantcni , et sla:orem : qui non, ul liislorici Iradidcniiil , ex eoquod post votum susceplum acies llonianorum fiigientium ste- lit, sed quod stant licnelicio ejus dinuia, stator, stahili- toique est ; liunc eunideiu tt fatum si dixeris, non inenticris; nani quuin faliim nihil aliud sit, quam séries iniplcxa eausaruui, ille est prima (ininium causa, es qua cetcrcE pendent. Quascuraque voles illi noniina propiie ap;al)is, vimaliquam effectumque ca'lesliuni reruni con- tinentia. Tôt appellatioues ejus possuut esse, quoi nui- nera. V'III. Hune et Liberum palrem, et Ilerculem, ac îlcrcuiium noslri putiiit. Libeiiun palrem ; quia om- nium parens sit, quod al) eo primum inveula semiuum \is est, cousuUura per voluptatcm. Ilerculem; quia vis 2JI1S invicta sit, quandoquelassala fiicrit operibus edilis, in igneni recessura. Mercununi; quia ratio iM?ues illum est, uunierusque, et ordo, et scientia. Quocumqne te llcxeris, ibi illum videbis occurrcrilem tibi; nihil ab illo vacat : opus suum ipse implet. ICrgo niliil agis, iugratis- simemorlalium, qui le u'gas Uco dibere, sed uatura,'; qui Dec nalura sine Dro est, nec Dcus sine aatura; sed idem est utrumque, nec distat officie. Si quid a Seueca accepisses, Annaeo te .diceres del)ere, vel Lucio : non crcditorem mutares sed nomen; quoniam sive praeno- m?n ejus, sive nomeu dixisses, sive cognonien, idem lamcn ille essel. Sic tune naluram vocas, fatum, forlu- nam : onmiaejusdem Uei noniina suut, varie ulentis sua poteslale. Et justitia, probitas, prudenlia, fortitudo, frngalitas , unius auimi bona sunt; quidquid horum tibi placuit, aniinus placet. IX. Sed ne aliam disputalionem ei obliquo tiabeam , p'urinia bénéficia ac maiima in nos Deus confert sine spe rccipieudi ; quouiam nec ille coUato epet, nec nos ei quid(juam conferre possumus. Ergo beneficium per se expetendj res est, una speclalur iu eo accipientis utili- las ; ad banc accedanuis, sopositis comraonis nostris. Oicitis, inquit, diligenter eiigendos quibus bénéficia dc- mus,(|uia me agricola; quideni seniina arenis conimit- tanl. Quod si verum est, nostrani ulilitalem iu beneUciif dandis seqi.imur, quemadmoduni iu aranJo serendoqae : ueque cniin sercre, per se res expeienda est. Practerea quaM'ilis , cui detis bcncticiuin ; lino.l non essel facii'U.- DES BIENFAITS. 189 que nous ne devions reclierdicr aulre chose, nous examinons ce que nous faisons, quand nous de- vons faire, et comment : car tout dépend de l'a. C'est pourquoi , lorsque je choisis celui à qui je donne, je me comporte ainsi, pour qu'il y ait bienfait : car, si je donne à un infâme , il ne peut y avoir ni vertu , ni bienfait. X. La restitution d'un dépôt est une chose qui doit être recherchée pour elle-même : cependant je ne rendrai pas toujours, ni en tous lieux , ni en tout temps. Quelquefois il n'y aura pas de diffé- rence entre nier un dépôt et le rendre publique- ment. Je considérerai l'intérêt de celui 'a qui je dois rendre, et je lui refuserai son dépôt , s'il peut lui nuire. J'en agirai de même pour le bienfait : j'examinerai quand je dois donner, h qui , com- ment et pourquoi. Car rien ne doit se faire sans l'aveu de la raison ; or, il n'y a de bienfaits que ceux qui sont avoués par la raison, parce que la raison est la compagne de toute vertu. Que de fois entendons-nous ces paroles, de ceux qui se repro- chent leur don inconsidt'ré : J'aimerais mieux l'a- voir perdu, que de l'avoir donné "a un tel homme ? La perle la plus humiliante est une largesse in- considérée; et il est beaucoup plus fâcheux de mal placer un bienfait , que de ne pas le recou- vrer. Car c'est la faute d'un autre, si on ne nous rend pas: c'est la nôire, si nous ne choisissons pas pour donner. Dans le choix, il n'y a rien qui m'occupe moins , ainsi que tu te l'imagines , que de rechercher de qui je pourrai recevoir : car je choisis celui qui sera reconnaissant, non celui qui rendra. Or, souvent celui qui ne rendra pas est reconnaissant, celui qui a rendu est ingrat. C'est sur le cœur que porle mou estimation. Aussi, je me détournerai de l'homme riche, mais indigne; je donnerai au pauvre honnête, car. dans la plus profonde misère, il sera reconnaissant, et, si tout lui manque , le cœur lui restera. Dans le bienfait , je n'ambitionne ni profit, ni plaisir, ni gloire. Satisfait de plaire "a un seul, je donnerai pour faire mon devoir. Or, le devoir ne se fait pas sans choix. Ce choix, quel sera-1-il? le voici : XI. Je chercherai un homme intègre, simple, qui ait de la mémoire et de la reconnaissance, qui respecte le bien d'aulrui, sans être sordidement économe du sien; un homme bienveillant. Mais, lorsque je l'aurai choisi, quand même !a fortune ne lui donnerait rien qui pCit l'aider 'a s'acquiticr, mes vœux seront remplis. Si l'intérêt et un vil calcul me font généreux, si je no suis utile qu'à celui qui pourra m'êlre utile h son tour, je ne donnerai pas 'a celui qui part pour des régions écartées et lointaines; je ne donnerai pas a celui qui s'en va pour toujours; je ne donnerai pas au malade qui n'a nul espoir de guérison ; je ne don- nerai pas quand je serai moi-même mourant, parce que je n'ai pas le temps de recueillir. Mais ce qui te prouve que le bienfait est une chose reclierclitM; pour elle même, c'est qu'aux étrangers qui , pour quelques instants, sont pous- sés dans nos ports, qu'ils vont quitter aussitôt, nous offrons nos secours. Pour le naufragé in- connu, nous fournissons, nous équipons un vais- seau qui le reconduise. Il part, connaissant h peine celui qui l'a sauvé ; et, destiné désormais à dum, si per se Ix-noficium darc, eipclenda rescsset; quac quocumqne loco , et quocumquc modo darctiir, be- neficiam erat. Ilonestuni propler nullam aliam causain, qiiam propter ipsum , sequlnmr. Tanien et^i nibil atiud seqaenduni est, quaeriinus quid Tacianius, et quaudo , et quemadiiiodum : per haec cnim constat. Itaquc quuin eligo cui dcm lH;nencium, id ago, tit lienrnciuin sit, quia si ttirpi datur, nec bODestuni este polest, noc l)coc- ficium. X. Deposilum reddere, per se rcs ex|>elenda est : non tamen semper reddain, Dec quoliliet loco, nec quolibet tempore. Aliquando iiihil interesl , utruiu innticr, an pa- lan) reddam. Intuel)or ntilitatem ejus, cui redditurus lum , et nociturum itii deposilum negabo. Idem in l)cnr'- ficio faclam ; vidcbo quando dcm , cui dem , quemadmo- dnm , quare. Nibil enim .sine rationc faciendum est ; non est aulcm l)eneflcium , niki quod ratione datur : quoniam ratio oninis honcsti cumrs est. Quam iscpc hominum, donalionom suam incon«ullam objurcanlium , banc audi- mus Tocem , Mallem pcrdidisse , quam illl dédisse? Tiir- pisslmum genusdamni est inconsulta donatio, raultoque (fraflus, mate dédisse l>enencium, qnani non récépissé. Abena cnlm culpa est, quod non recipimus; quod cul •«laremas non cU^mus, nostra. In eleclione nibit minus. quam hncqudd tu ciistimas, spectabo, a quo receplurus siiii; elipu euiin eum qui gratus, non qui redditurus bit. Sa'pc autem et non reddilurus gratus est; et ingratus, qiiircddidit. Ad aniiaum tendit œslimaliorae.i. Idcolocu- plotein , sid jndigiium, pra-tiTiboj pauperi viro lioiio dabu. Ëritcniiu In sumnia inopia gratus, et quum oninla llli di'eiunt, supercrit aiiinius. Non lurrum ex beneliiio capto,non voluptalcni, non gloriani. Uni placere Cfin- tcntus, in bocdalic>,utqiiod oporlet, faclam. Quod opor- tct auleni , niin est sine eicctione ; quse qualis Tutura sit , intprrogas ? XI. Kligam vinim integrum , siropllcera , nieniorcm . gratum, alleiii abstlncntein , .>^ui non avare ton.irem, be- ncïoluni. Ilunc \ero quum elegcro, llcet nibil illl for- tuna tribuat, quo rererrc gratiam posslt, ex srnli'ulla rcs gesia erit Si ulililiis m* et .Mirdlda couipuiatii lllic- ralem facit, si nulli prosmn, nisi ut Inviccm llle niUii prosit; non dalK) bmePicium proficisccnli In diversas longinquas(]UC regiones, non da!)o abfuturosenipcr, non dabo -sic affecto ut .•■pcs cl nulla .vil convalcsccndi , non dabo ipse dcficicns , non cnlm balx-o lempus rcciplendi. .Itqui ut scias , rem per se e\pelendam esse , benefacere, advenls modo In noslrum drlatls portnm , et stallm abi- I luris, succurrimus. Ignoto naufrage navem, qua reveba- 190 SEiNkQUK. ne plus nous revoir, il fait sur les dieux la délé- gation de sa dette , et les prie de payer pour lui : en attendant, la conseieuce d'un bienfait ttériie suflit pour nous charmer. Lorsque nous touchons aux bornes de la vie , lorsque nous ordonnons notre testament, ne ro- pandons-nous pas des bienfaits qui ne nous proli- teront nullement? Avec quelle sage lenteur nous combinons, dans le secret de noire àme, combien et à qui nousdonnerons? Ktcependantquiiiiporle a qui nous donnerons, quand nous ne devons rien atlenJre de personne? Or. jamais nous n'y mot- tons plus de soin, jamais nous ne pesons davan- tage nos jugements, que lorsiiue, dépouillés de tout intérêt personnel , la vertu se présente seule a nos yeux. Nous sommes, au contraire, de mau- vais juges de nos devoirs, tant qu'ils sont faussés par l'espérance, la crainte et le plus lâche des vices, la voluplé. Mais, lorsque la mort nous isole de tout, lorsqu'elle envoie, pour prononcer, un juge incorruptible , nous choisissons les plus dignes pour leur transmetire nos biens; et nous ne réglons rien avec un soin plus religieux , que ce qui ne nous appartient plus. XII. Kt, par Hercule! c'est un grand conten- tement de pouvoir alors se dire : « Je rendrai ce- lui-ci plus riche; j'ajouterai quelque splendeur 'a la dignité decelui-l'a, enajonlanta ses richesses. » Si nous ne donnons que pour reprendre, il nous faudra mourir intestats. Vous appelez, nous dit-on, le bienfait une créance qui ne se peut acquitter ; or, une créance n'est pas une chose qui doive être recherchée pour elle-même. Lorsque nous disons que c'est une créance, c'est dans un sens ligure et métaphorique. Ainsi, nous disons que la loi est la règle dujusle et de l'injuste, et pourtant une règle n'est pas une chose qui doive être recherchée peur elle-même. Nous descendons à ces expressions pour démontrer plus clairement la chose. Lorsque je dis que le bienfait est une créance, il faut en- tendre que c'est comme une créance. Veux-tu t'en convaincre? J'ajoute qu'il ne peut s'acquitter, lorsque toute créance peut et doit être acquittée. Il faut si peu faire le bien pour son utilité , que souvent, comme je l'ai dit, il faut le faire, "a ses risques et "a ses périls. Ainsi, je défends un homme entouré de voleurs, pour qu'il puisse continuer s.» roule en sûreté. Je protège un accusé succombanl sous le crédit ; et , la cabale des hommes puis- sants se tournantconiremoi-même, je serai peut- être obligé de prendre, sous le coup des mêmes accusations, les tristes vêtements' que je lui aurai fait quitter; lorsque je pouvais suivre un autre parti, et regarder en sûreté des débats étrangers. Je caulionne un débiteur condamne, et, en m'en- gageant envers ses créanciers, je fais tomber les afflihes déj'a suspendues pour la vente des biens d'un ami : pour sauver un homme dont les biens sont en vente, je m'expose moi-même à voir vendre les miens. Personne, en songeant 'a acheter Tusculumou Tibur , pour y trouver un air salubre et une re- traite pendant l'été, ne pense "a disputer sur le rapport annuel : lorsqu'il aura acheté , il lui fau- dra entretenir. Il en est de même des bienfaits; car, lorsque tu demanderas ce que rapporte un ' Sordes .vêtement que portaient les accusés pcudant le ju- gemeut. tur, et damus et instruimus. Discedit ille , vii salis note .salutis auclore, et nunquam ainplius in conspecluni nostrom reversurus , debilores nobis doos delegal , pre- calnrqiie illi pro se gratiam referanl : in crini nosjuTal slerilis bencficii conscienlia.Quid quum in ipso vila; fine constitimus, quum te4anicnlum ordiuamus, non béné- ficia noliis nihil profu:ura diviilimus? quantum tenipoiis consumilur, quamdiu secrelo agilur, quanlum et qnibus demns? Quid enim inlerest, quibus dcmus, a nulle re- cepluri? Atqui nunquam diligeulius damus, nunquam magisjuiticia noslra toiquenuis, quam ubi, remolisulili- talil'us , solum ante oculos bonesluui stetit : tamdlu offieionim niali judiees, quamdiu illa dépravât spos ac melus, ac incrlissimumvilinm, voinptas. Ubi mors inlcr- clnsit omnia , et ad feiendam senleoliam incoriuplum judiccm niisit , qua;; inuis dignissimo^ , quibus nostra tra- danius; nccqu dqu;ra eurasancliorecomponimus, quam qudd ad nos non perlinet. XII. Et, mohercule, lune magna voluptas subit cogi- tantem, hune ego locnpleliorem faciam, tiujus dignitali, iidjectis opibus, aliquld splondoris affundani. Si non da- mus bcnelicia, nisi rercpiuii , intcstalis moriendum sit. Dicitis, inquit, Denencium creditum iasolubile esse : rre- diium autem non est res per se eipelenda. Quum creditum diiimus, imagine et translalione utimar. Sic et legem, justi injnslique regul:;m esse : et régula non est res per se cxpelenda. Ad haec verba demoustrandae rei causa descendimus. Quum dico creditum, intellîgitur tanqnam creditum. Vis scire? adjicio insolubiie, quum creditum nulluui nim sohi aut po-sit, aut debeat.' Adeo bcneficium uliliiatis causa dandum non est, ut fiEpe, quemadmodimi dixi, cum damno ac periculo dandum sit. Sic lationibus circumven'nm defendo, nt tuto tian ire permittalur : réuni gralia laborantem tueor, et honiinuni po:enliuni factionem in me converto, quas illi delraxero sordes , sub accusatoribus iisdem fortasse sumturus, quum abireiu parlera alteram possim, et se- curus speclare aliéna cerlamina ; spondeo pro judicato, et suspcnsum amici bonis libellum dejicio, crediloribus ejus me o' ligalunis : ut possim servare proscriplum, ipse proscriptionis pcriculum adeo. ÎVcmo Tusculanamaut Tiburlinum comparalurus , salubritalis causa , et iBstivi secessHS , quolo anno cmturus sit dispulat : quum emerit, tuendum est. Eadem in bencficiis ratio est; nam quum DES BIENFAITS. 19f bienfait, je te répondrai : une bonne conscience. Que rapporte un bienfait? Dis-moi, que rap- porte la justice, l'innocence, la grandeur d'âme, la chasteté , la tempérance? Si tu clicrclies autre cLose qu'elles, ce n'est plus elles que tu clierchcs. XIII. Pourquoi l'univers accomplit-il SCS révolu- lions? Pourquoi lesoleil ramène-t-il les jours dans leur inégale durée? Toutes ccsclioscs sont des bien- fails; car elles se font pour notre bien. De même que la fonction de l'univers est do faire mouvoir les corps célestes dans leurssplières harmonieuses; celle du soleil, de changer tous les jours le lieu de son lever et de son coucher , et de verser gratui- tement sur nous ses faveurs salutaires ; de même la fonction de l'homme est, entre autres choses, de répandre des bienfaits. Pourquoi donc donne- t-il? pour ne pas £tre sans donner, pour ne pas perdre l'occasion de bien faire. Votre plaisir a vous, Épicuriens, est d'abandonner "a une lâche oisiveté votre corps délicat, de vous assoupir dans un repos semblable au sommeil , de vous réfugier sous l'épaisseur de l'ombre, et dans de molles pen- sées que vous'appelez le calme; decarcsser la lan- gueur de vos âmes énervées; et, sous la charmille des jardins , d'engraisser de mets et de boissons vos corps pâles d'indolence. Notre plaisir h nous est de répandre des bienfaits, soit pénibles, pourvu qu'ils soulagent la peine des autres, soit périlleux, pourvu qu'ils délivrent les autres du péril; soit onéreux pour notre patrimoine, pourvu qu'ils adoucissent les besoins et la gêne d'autrui. Que m'importe que mes bienfaits me reviennent? Et quand bien même ils ne me reviendraient pas, il faut donner. La un des bienfaits est l'avantage de celuiqu'on oblige, et non pas le nôtre : autrement ce serait donner à nous-mêmes. Aussi, bien des choses qui rendent aux autres les plus grands services perdent leur mérite par la récompense. Le commerçant est utile aux cités, le médecin aux malades , le marchand d'esclaves "a ceux qu'il vend : mais, comme tous ces gens ne servent l'iulérôt d'autrui que pour le leur, ils n'obligent pas ceux auxquels ils sont utiles. XIV. Il n'y a pas de bienfait quand ou place pour son profit. Je donne tant, je recevrai tant : c'est un marché. Je n'appellerai point chaste la femme qui ne repousse un amant que pour renûammer; qui craint ou la loi ou son mari ; car, comme dit Ovide : « Celle qui n'a pas accorde parce que cela ne lui était pas permis , a réellement accordé. » C'est avec raison qu'on met au nombre des coupables celle qui ne doit sa cbastdé qu'à la crainte, et non "a elle-inênic. De même, ce n'est point donner que donner pour recevoir. Sommes- nous donc les bienfaiteurs des animaux que nous élevons pour noire usage ou pour notre nourri- ture? Somraes-nous les bienfaiteurs des arbres que nous cultivons, pour qu'ils ne soufircnt pas de la sécheresse et de la dureté d'une terre né- gligée et non renmée? Ce n'est point par un sen- timent d'équité ou de vertu qu'on se livre il la culture d'ini champ, ou h tout autre acte dont le fruit est en dehors de lui-nii'me. Le bienfait n'est pas l'expression d'une pensée avare ou sordide, mais humaine et généiense ; c'est le désir de don- ner, même quand on a déjà donné , d'ajouter aux anciens bienfaits des bienfaits nouveaux et répétés, inlerrogaveris , qiiid reddat , rcspondetio , lionam con- tcienliam. Quid reddit bcncficiuin? die lu milii, quid rrddnt justiti.i , quid innocentia, quid ningniludo aninji, quid pndicitia, quid temperaulia? si quidquam prieler ipsas. ipsas non prtis. XIII. Mundus in quid vices suas alisolvit? in quid sol diem eilendit et contrahil? Omnia isia benrOcia sunl; flunt enim n iliis profutnra. Quoniodo mundi «ifficiurn est, circumagere rerum ordinem; quomodo solis , loca mu- tare, ei quibusoriatur, in qu;i' codât, et hapc salularia nobis facere sine pra>mlo : ila viri ofllciuin est inler alia, et beneficium dare.Quarc ergo dat? ne non det, ne oc- casionemlienefaciendi perdat. Vobis ToUiplasest, inorlis olii facere corpusculum, et sccuriialemsopitissiniillimam sppelere, et snb densa umlma latilarc, tonerriniisqne cogilationilius, quas tranquillitatem vocatis, aninii mar- centis obleclare torporem, et cibis polionibusquc inlia bortorum latebram corpora icnavia pallenliii srginare : nobis voluptas est , dare bénéficia vel laliorinsa , dnm aliorum labores lercnt; vel periculosa , dum alios a peri- culi» eilrahant ; vel rationes noslrns accrnvatiira . dum îiliomm necessilalcs et anpistiasiaienl. Quid mca inler- cst, an rctipiam bénéficia? etiam quam non rccepcro, danda sunt. Beneficium ejus commndum spécial, cui praestatur, non nostrum; r,lioquin nobis illiid damus. Ilaque multa, qux sumniam utililalem aliis arrcnint, prelio pratiani perdunt. Mi rcator urbibus pnidctl, nie- dicus a-gris, niango vcnalibiis; sed onines isli , quia ad alicnum coniuioilum pro suovcniunt, ncc obliKant cos quibus prount. XIV. !Son est beneficium quod in qua-slum mittilur. Hoc dal)o, lioc ncipi.nin; auctio est. >on die, m puili- cam , qu.T amalorein ut incemlerel rcpulit; qua? aut le- gem , aut viriuu linuiit , ut ait Ovidius : Qua; , quia non licuit . non dédit . ill,i dédit. Non immerilo In numerum peccantiiun rrfcrlur, quaf pudiriliam tiuiori pnislilit. non sibi. Kndcrn nindo (|iii beneficium ut rccipcret dédit , non drdit. F.rgo et nos beneficium damus animalibus , qu.T aut usui , aut aliincnto futura nutrimus? beneficium danius atljuslis qiia' coli- miis, ne sircitate, aut inmint' et u'-plocli soli riurilia la- l)orenl? »mo ad acruni coleudom ei a-quo et tiono ve- nit , nec ad ullam rem , eujus e\tra ipsam Iniclus est. Ad beneficium dandnm non ailducit copilalio aTara , nec sor- dida,scd buiqana, librralis, cupicus dare etiam quum 192 SÉNEQUE. de n'avoir pour but que la somme des avantages qui reviennent a celui qui reçoit. Autrement c'est une action basse , sans mérite , sans gloire , que d'être utile, parce que cela profite. Qu'y a-t il de beau a s'aimer, a se ménager, à acquérir pour soi? Toutes ces considérations sont interdites par un véritable désir de bienfaisance : la bienfai- sance, de sa main puissante, nous entraîne même à la ruine, laisse là l'intérêt, trop heureuse de l'œuvre même du bienfait. XV. Est-il douteux que le dommage ne soit le contraire du bienfait? Or, de même que faire tort est une chose qu'on doit éviter et fuir pour elle- même, ainsi le bienfait doit être recherché pour lui-même. D'un côté, la honte prévaut sur toutes les récompenses qui invitent au crime ; de l'autre, nous attirent les charmes de l'honnêteté, tout- puissants par eux-mêmes. Non, je ne mentirai pas si je dis qu'il n'est personne qui n'aime ses bienfaits; personne dont l'âme ne soit disposée a voir avec plus de plaisir celui qu'il a comblé de biens; pour qui ce ne soit une raison de donner encore que d'avoir donné déjà; ce qui n'aurait pas lieu, si nos bienfaits ne nous charmaient par eux-mêmes. Combien de fois n'entends-lu pas dire ; « Je n'ai pas le cœur d'abandonner l'honume h qui j'ai donné la vie, que j'ai arraché du péril. 11 me prie de plaider sa cause contre des adver- saires puissants. Cela me coûte : mais que faire? Je l'ai déjà servi tant de fois. » Ne vois-tu pas qu'il Y a l'a-dessous un ressort particulier qui nous pousse au bienfait? D'abord parce que c'est notre devoir, ensuite parce que nous avons donné? Celui auquel nous n'avions d'atord aucune raison d'accorder , nous lui accordons ensuite, parce que nous lui avons accordé déjà. C'est si peu l'utile qui nous décide au bienfait, que nous persévérons à maintenir, à alimenter des services inutiles, par amour seul pour notre bienfait; et même, lorsqu'il a mal réussi , l'indulgence est aussi naturelle que pour un enfant dépravé. XVI. Les mêmes philosophes avouent qu'ils sont reconnaissants, non parce que c'est honnôt<', mais parce que c'est utile. Pour démontrer cette erreur, les preuves seront plus faciles; parce que les mêmes arguments par lesquels nous avons éta- bli que le bienfait était lîne chose a rechercher pour elle-même, nous serviront aussi pour la re- connaissance. Nous avons posé pour base de tous nos autres raisonnements, que la vertu ne doit être cultivée que parce qu'elle est vertu. Or, qui osera mettre en question si la reconnaissance est une vertu? Qui ne déteste l'ingrat inutile à lui- même? Eh quoi! lorsqu'on te parle d'un homme ingrat envers les services les plus signalés d'un ami, comment te sens-tu affecté? Uegardes-tn son action comme infâme, ou comme l'omission d'une chose utile et qui devait lui profiter? Sans doute tu le considères comme un méchant, au- quel il faut un châtiment et non un curateur; or, tu ne penserais pas cela, si la reconnaissance ne devait pas être recherchée pour elle-même, si elle n'était une vertu. D'autres vertus, peut-être, portent moins avec elles leur dignité; et, pour prouver leur noblesse, il leur faut des commentaires. La reconnaissance dedcrit, et aiigcre nnvis ac reccntibus vetera, unum ha- Ijcns proposituni , quanio ei, cui ]irtrslat, bono fulura sit; aliiiq^OQ liumilecst, sine 1 ude, sine gloria, prod- e.ise, quia expedit. Quid maguifici est se amare, sibi par- ccre, sibi acquireie? ab oinnilms isiis vera beneficii dandi cupido avocat : ad detiimenlum, injccla manu, traliit, et utililatcs reliuquit, ipso benefaciendi opère IcBlissima. XV. Numquid dnbiuni est, quin contraria sit beneficio injnrla? Quimiodo injuriain facere, per se vilanda ac fii- gicnda res est, sic l>eneficiuni dare, per se expetenda. lllic turpiiudo conira omnia pra'niia in scelus hortantia valet ; ad hoc invitât honesti per se efPicax speiies. Non iiieuliar, si dixero, neniinem non aniare bénéficia sua , neminem non ita coni|iosilum aninio, ut libentius cum videat, in queni mulla congessit ; cui non causa sit ileruni dandi beneficii, seniel dédisse ; quod non accideret, nisi nos ipsa delectarent bénéficia. Quani sxyie dicentem audias t Non sustineo illuni deserere, cui dcdi vitain, queme pe- liculo eripuil Rogat me, ut causam suam contra honii- nes gratiosos agam. Nolo : spd quid faciam? jam illi se- mel, iterumque affui. Non vides inesse isti rei propriam quanidam vim.qu.'e nos bénéficia dare cogit? primum quia opportet, diinde quia dedimns. Cui initio ratio non fuisset prastandi, aliquid ei prasslamus ob lioc, quia pm- stitimus. Adeoque nos <;d bénéficia non impellit uliliias, ut et iuutiiia lueri ac fovere perseTeremus, sola beneficii caritate : cui etiain infelicitcr dato, indulgere, tam uaturale est, quam liberis praxis. XVI. lidem isti graliam referre ipsos Taientur, non quia honestum est , scd quia utile ; quod non esse ita , minore opéra probandum est. Quia quibus argunientis collegi- mus ibeneficium dare, per se rem espelendam esse, iisdcni etiam hoc colligemus. Fixum est illud, a quo in cetera probationes uostrae excuut , honestum ob nullam aliam causam, quam quia honestum sit, roli. Quis ergo controversiam facere audebit, an gralum esse, honestum sit? Quis non ingratum detcstetur hominem , sibi ipsi ia- ulilem? Quid autem? quura iil>i narratur de eo, qui adversus sunmia bénéficia amici sui iogratus est, quo- modo id fers? utrum tanquani rem turpem fecerit, an tanquam utilem rem sibi et profuturam omiserit? Puto, nequam hominem existimas ; cui pœna , non cui curatore opus sit ; quoJ non accideret, nisi gratnm esse per se ei- petendum , honesiumque esset. Alia fortasse minus dig- nitatcm suam prasferuQt , et an sint honesta , interprète DES BIKNFAITS. (05 est mise en vue. et sa place est trop belle, pour qu'elle brille d'un éclat faible et douteux. Quoi de plus louable, quoi de plus universellement grave dans les cœurs que la reconnaissance envers ceux qui ont bien mérité de nous? XVU. Or, dis-moi quel motif nous y pousse? 1,'inlcrêt? Mais on est ingrat quand on ne le mé- prise pas. La vanité? Mais quelle gloire y a-t-il à pa\er ce qu'on doit? La crainte? Il n'y en a pas pour l'ingrat. C'est la seule cbose pour laquelle nous n'ayons pas de lois, comme si la nature y avait assez pourvu. Comme il n'y a point de loi qui or- donne l'affcclion pour les parents, la tendresse pour les enfanls; car il est inutile de nous [wusser où nous allons; comme il n'est besoin d'c\horlcr personne à l'amour de soi , qui nous possède dès noire naissance; ainsi n'avons-nous pas besoin qu'on nous exhorte 'a rechercher la vertu de nous- mêmes. Elle plaît par sa nature, elle a lellenicnt de charmes , que le méchant même , dans sou cœur, applaudit aux belles actions. Quel est l'homme qui ne veuille paraître bienfaisant? qui, au milieu des crimes et des injustices , n'ambi- tionne la réputation de bonté? qui ne colore de quelque ombre d'honncielé les actes les plus cou- pables, et ne cherche 'a paraître le bienfaiteur de ceux mêmes auxquels il a fait tort? Aussi les mé- chants souffrent-i!s dos remorcîmenls de ceux qa'ils ont outrages, et feignent-ils la bienveillance et la générosité qu'ils ne peuvent avoir. C'est ce qu'ils ne feraient pas si l'amour de la vertu, qui K fait rechercher pour elle-même , ne les forçait 'a poursuivre une réputation contraire b leurs mœurs, et h voiler l'iniquité dont ils convoitent les fruits, tandis qu'elle-même ils la délestent cl en rougissent. Personne ne s'est assez écarté de la loi naturelle, personne n'a assezdépouillériiommc, pour être méchant par gnût. Demandez à ces gens qui vivent de rapine, s'ils ne préféreraient pas obtenir par des voies honnêtes ce qu'ils doivent au vol et au brigandage. Celui dont le métier est d'ar- rêter et d'assassiner les passants aimerait bien mieux trouver ce qu'il ravit. Tu no rencontrera!! personne qui ne désirât jouir des fruits de son crime, sans le crime même. Un des plus grands bienfaits de la nature, c'est que la vertu rcpanfî sa lumière sur tous les cœurs : ceux raèirequi ne la suivent pas, la voient encore. XVIH. Une preuve que raffeclion d'un cœur reconnaissant doit être recherchée pour elle même, c'est que l'ingratitude doit être évitée pour elle-même. Car rien ne dissout et ne détruit l'accord du genre lunnain , comme ce vice. D'où vient notre sûreté, t-i ce n'est de la réciprocité des services? La seule garantie de notre vie, sou seul rempart contre les attaques subites, c'est ce commerce de bienfaits. Suppose-nous isolés : que somuies-uous? la proie des animaux, la vic- time la plus faible , le sang le plus facile à couli'r. Les autres animaux ont assez de leur force pour se défendre : ceux qui naissent pour errei-, jwur mener une vie solitaire, sont armés. L'homme n'est entouré que de sa faiblesse : ni ongles tran- chants, ni dents puissantes ne le font redouter : nu et inOruie, c'est la société qui le protège. Dieu lui a donné deux puissances, qui d'un être egent; hoc eiposUum est, pulcliriiuque , qunm ut splon- dor cjus dubic ac parum luceat. Quid tam iaudabilp, quid tara xqualiter ia omalum aaiinus receplum , quaui re- ferre bene meritis gratiam? XVII. Ad hoc, die mihi.qua: causa nos perducit?Lu- cruni? quod qui non coaleninil, ingralus e&t. Anibitiii? et qnxjactatio est solvisse, quod d('beb;is? Mctus? nul- Iu( ingrato : huic enim uni rei non posulmus legeni, laa- quani salis natura cavis!>et. Quo ntodo nuila Ici aniare pereoles , indulgpre liberis jubct : supervacuum est enim, ia quoi imus, impelll. Qqeniadmodum ncmo iii aiiiiircni nii cohortandus est, qucm adeo dura nascitur Iraliit : ila ne ad hoc quidem , ut bonpsla yier se pelât, riaccl suaple natura, adeoque gratiosa virtuspst, ut in^ilum sil etiam malii probare nieliiira. Quis est, qui non beneHcus vi- der! Telit? qui non inter scelera et injurias opinioncm Iw)- liitatis afTcctet? qui non ipsis i{ux iiiiputeulissinic fecil, s|)ecieni aliqnam indunt rerti ? velitqiic eliain iis vidorl benellciuni dédisse, quos "la-sit? Gralias itaquc agi sibi ab his , quos aflliierp, patiuntur : l>onosquc se :ic libé- rales Hogonl, qtiia prapstare non possunt. Quod non fa- cerent , nlsi illos honesti et pcr se eipetendi anior cogè- re! , morlbus suis opinionem contrariam qu:rrere , cl Df(;aitiain abdcrc, cujus fructut coocupiscitur, ipia ver.) odio pudoriqiie est : necquisqciani tantum a naturali |pgii manque doit être imputé 'a la fortune. On peut être éloquent et se taire; vaillant, et les bras croisés ou même en- chaînés; pilote, et sur terre, parce qu'une science consommée ne perd rien lors même qu'un obstacle l'empêche de s'exercer; ainsi on est reconnaissant seulement en voulant l'être, et sans avoir d'autre témoin de cette volonté que soi-même. Je vais plus loin. On est quelquefois reconnais- sant même en paraissant ingrat, lorsque l'opinion, interprète menteuse, dénature nos sentimens. Alors quel aulre guide snit-on que sa conscience, qui, même lorsqu'on l'accable, vous donne le con- tentement; qui oppose sa voix aux cris do la foule et de la renommée , place tout en elle-même , et voyant contre elle la multitude des opinions qui la condamnent, ne compte pas les voix, mais triomphe par son seul suffrage. Que si elle voit la probité livrée au cliàlimont de la perlidie, elle ne descend pas de la hauteur où elle s'est placée , mais .s'élève au-dessus de .son supplice. XXII. « J'ai, dit-elle, ce que je voulais, ce que je demandais. Je ne me repcns pas : je ne me re- pentirai pas, et jamais les injustices de la fortune ne m'abaisserontjusqu'à me faire dire: « Qu'ai-je vou- lu ? que me sert aujourd'hui ma bonne volonlé ? » Elle sert sur le chevalet, elle sert sur le bûcher : quand on promènerait la flamme sur tous mes membres; quand elle circulerait lentement au- tour de mon corps vivant ; quand ce corps, plein gato vacat cogitare : faciat licet omnia, quaî facere Ixinus aniicus et meinor ofOcii dcbct, si anioio «-jusoliversalur ipes , si lucri caplator est , et baiiiuni jacit. L't aves , quœ LjceratioDC corporuiii aluntur, lassa niorlio picora et ca- sura, e proilmo tpeculaatur; ita liic iiuniiact niorli, et drca cadaver volât. XXI. Gralus aiiimus ipsa virtnle propositi i^ui cipitur. Vis «cire liucila esse, ncc illiiiii utililale corrumpi? Duo tunt gênera grali lioiiiiois. Dicitiir gratiis, fiui aliquid pro eo qudd acccperat .rcddil. Uic lor tasse ostentarc se potest : liabct quod jaclct , ijuod proférât. Dicitur eratus, qni txino animo accepit bcneficium , Irnno dclH't. Ilic iii Ira coDscientiam cliisus est; qux illi contingcre |i(>t('St utilita» ex atfectu latcnii? Atqui tiic, eliam si ulua facere oibil |iotett, gratus est : ninat , débet, referrc gratlniii cupit. Qiiidqiiid ultra dcsideras, non ipsi dccst. Artilrx est eliam , cui ad eicrcoiidam arteni instrunii'nta iioo tiipp<'tiint , ncc minus canendi pcritus , cujus voceni eiau- diri frciiiilus obslrcpeitium non sinit. V «lo referre gra- tiam ; post hoc aliquid superest niihl , non ut gralus , sed ot solutus tini. Sxpe enim et qui gmliam relulit, ingra- tus est ; et , q'ii non rctulit , grains. T^ani ut omnium alla- rum virtotuin , ita bojus ad animl^nl Iota a'stiniatiu redit IIIc si in ortlcio est, quidqnid défait, fortuna peccat. Quomodo est diserlus etiain qui ticet, fortis eliam qui comprcksis manibus, vel et alligatis : quumodo gubor- nalur ctiani qui in sicco est , quia cunsummaUc scientio! nihil deest, eliam si ijuid obstnt quo minus se niatur : ita gratuscst, etiam qui vult taolum, nec lialtct bujus vo- luutalis sux ullum alinni, quam se, teslem. Inimu ani- plius adjiciam : est allquando gratus, ctiani qni Ingratus vidttur, quem mala interpresopiuio conlrariunilraducit. Ilic quid aliud sequitur, quam ip.sam couscicutiani?(in;e eliam oliruta dclectat, qua; concioni ac faniœ rcclani.il, et in se oninia repouit, et quum iugonltni ex altéra parte turban) contra scnticntiuni adsi>e\it, n(iu nuinorat sufiraKia, scd una scnlenlia vincit. Si verobonarii Milein perfidia: suppliciis affici \idct,non descendit c fastigio, sed supra pœnam suam ^onsi^lil. XXII. Ilabto, inquit, qiiod volui, qnnd pctii. Non pa-uiU't , nec p.icnilcbit , n« c iilla i:ii(|iiit;;tc me eo foriuiia pcrducct, ul hancvoccm andiani. Quid niilii volui? quid mihi nnnc priidest bona volunla>? l'rodcbt et iu eqnuloo, prodcst et in igne,(|nisi singulis njemliiis adiiioiealur, et panlalim vivuni rot pus liicunioal; licet ipsum corpus plénum bona conscienti.i slillcl; placcbit illi iguis, pcr 15. im SÉNÈQUK ona fides colluccbit. Nuni; (|iioquc illiid argiimon- tiiin, qiiaitivis dictum jam, rcducatur. Quid e>t qiiarc {!ra;i velimiis c«se , (luiim nioiMinur? quare singulDium pcipendaiiiiis ofUcia? qiiiire id nganius in oiiinem vitam iiostram menioria decerncntc, ne ciijiis officii vidoaiTiiir «blili? INiliil jam siipcrcst , qim spes porrigalnr; in illo lamen cardine posili , aliirc e rcl'us hiiinaiiis quarii gra- tis»innl voluniiis. Kst vidclicet magna in ipso opeic nier- cos rei , et ;id alliciendas mcnlos Iiorninuin inRons lioncsli pntentia : cnjns pulchriluilo aninios circinnfundit, et de- liniins adrniratione liiininis ac fntgoris siii rapil. At niulta hinc cominoda oriunliir. VA tiitior est Tita nielioribni , aniorque et sccunduni lionorum judicium , a>lasque seoii- rior, qiiam innoccnlia, qunin prata mens prosequilur. Fuisset enim iniquissiina rcrnni natura, si iinc tantuni hoiinin miseinni, et nnceps, et stérile fccisset, Sed illnd in ii^'re, an ad istnm virlutcni , qn.T Sippc e tiito ac facili i)(!i!nr. eliam persava, el nipes, et feris ac serpcntibns «il'scssum iter, fneris ilurns. XXtir. Non idco per se non est espelendnm, cui ali- qiii I eslra qu!)(;uo cmiilnnicnii adliaeret: fere eniin pul- c'K'îTiiiia qna) (ue , muliis et ndvenfiliis comilala sunt do- lliiiis ; sed illas Irahuiit, ipsa pr.TCcdunt. Nuni dubinm est, quin lioc humani generis doniicllium circoi:us solis ac lunaD vicibus suis lemperel? quin allorius colore alan- lar corpoia, tena» relaxeninr, inunodici liiimorcs com- primantur, alliganlis omnia Inemis Iristilia fran^alur; alterius tepore rfflcaci et penclrabili rigelnr nialuritiis fni- gum ? quin ad hujus ciirsum fecnndiias liumana respon- deal? quin ii!e annuni obsorvabilem ficerit circumaclu SUC; harcmenseni, rainoriliusse spntiis flectens? L't tamen deirahas ista . non erat i|ise sol idoneuni ocnlis speclacu- Inin, dignusquc adorari , si tanlum pra'leriret? non crat riiRnasnspecluInna, etianisi o'.iosnni sidnstransenrrerct? ipse ninndus qunlies per noclem ignés suos fudit cl tan- lum slcllarnm innunieraliilinm refnisit, quemnon inlen- lum in se teiict? quis sibi illa, tune qnuni miratur, pro- desse copilat? Adspice isia tacito succentii laliontia, qnem- adinoilnni velocilaleni snam sub s'ccie stanlis atque immoli opeiis abscondanl'.Quanluni ista nocle, qusm tu in nnmeruni ac discrimen dierum observas, agitur? quanta reruni turba sub hoc silentio cvolvitur? quanlam falornm seriem cerlus limes ediicit? Ista qua; tu dou aliter, quani in decoreni sparsa considéras, singula in opère sunt. Kec enim est, quod esisiimes seplem sola di^•cur- rerc , caetera harere; paucorum motus coniprchendimus ; DES CIEM' AITS. 1 La même raison i Hc peut pas faire un ingrat et un homme reron- i naissant. Leurs intentions doivent différer comme I leurs actions. L'un est ingrat par intérêt, contre son devoir : l'autre est reconnaissant par devoir, contre son intérêt. XXV. Nous nous proposons de vivre selon la nature , de suivre l'esemple des dieux. Or . dans tout ce que font les dieux, ils ne suivent que la raison qu'ils (uit de le faire ; a. moins que lu n'ima- gines qu'ils recueillent le fruit de leurs œuvres dans la \apeur des enUailles, (t les parfum.»! de l'encens. Vois tout ce (|u'iis élaborent chaque jour pour nous, tous les dons qu'ils nous distribuent , tous les fruits dont ils couvrent la terre, tous ces vents favorables qui font mouvoir la mer en souf- flant sur tous les rivages, et toutes ces pluies abon- dantes et subites, qui amollissent les plaines , ra- niment les veines taries dos sources, et, par de secrets conduits , leur versent de nouveaux ali- ments. Tous ces bicnfails, les dieux nous les accor- dent sans récom|>ensc, sans qu'il leur en revienne aucun avantage. Voil'a ce qu'observera notre rai- son, si elle ne s'écarte |us tiatiet , nec ideo lainen omnes honiines acieiii hibeut Lyncco simileiii : sic qui stullus est, non tam acria et coocitata liabct oninia , qnam quidam quasdair,. Oninia in omni- bus vilia sunt : sed non oinniii in singulis eivlant. liuDC nalura ad avariliam iiiipellit : hic lilidini, liic viao dc- dilus est : aut si nondum deditus, ila fornialus, ut in lioc iUuiii morts sui forant. Itaqne ut ad propositum re- verlar, nenio non ingralus est, qui malus est : hal>ot eniiii omnia neqiiitiae semiua : tamea proprie ingratus appellalur, qui ad hoc vitium vergit; tiuic ergo benefi- ciuiu non di'.bo. Quomodo niale filiae consulit, qui illam coulumelioso et s;epe repudiato collocavit : quomodo ma- lus paterfamilias liabebimr, qui ncgotiornm gestorum daniualo, patrimonii sut curaiu maudaverit : quomodo denientissinie tcstabilur, qui tutoreni filio reliqueril, pupilloruni spoliatorera : sic pessinie beiielicia darc di- cetur, quicuuque ingrates eligit, in quos peritura con- férât. XXVIII. Dii quoqiie , inqnit , niuUa ingratis tribunal. Sed illa bonis paiaverant ; conliuguiit aulcm eliani malis qiiia separaii non possunt. Satins est autein , prcdesss DES BIENFAITS. im part. Or, il vaut mieux faire du bien aux niccbanls a cause des bons , que de manquer aux bons a cause des méchants. Ainsi, le jour, le soleil, les révolutions de l'Iiiver et de l'été, les tcrapéra- tures intermédiaires du printemps et de l'au- tomne, les pluies, les sources d'eaux, U'svcnis alis«'s; tous. ces biens que tu cites, ont élé crées pour tout le monde : il était imp'ossiblc de faire des préférences. Les rois offrent des bunucurs à ceux qui en sont dignes; ils font des dislribullons mi'me a une foule indigne. Le blé des greniers l>nblic$ tombe aux mains du voleur, du parjure, de l'adiillcre, enlin de tous ceux qui sont inscrils sur les tablettes, sans distinction de moEalité. Enfin, tout ce qui est donné "a litre de citoyen et ixm "a litre d'bunirnc de bien , les bons et les mé- chants le reçoivent également. Ainsi il y a des dons que Dieu a verses en bloc sur tout le genre hu- inain : il n'y a d'exclusion pour personne. Eu ef- fet, il ne pouvait se faire que le vent fût favora- \>\e aux bons et contraire aux méchants : il était de l'inlériït général que le commerce des mers fût ouvert, (|uc l'empire du genre humain étendit ses limites. On ne pouvait soumettre 'a une loi la chute des pluies, pour qu'elles n'arrusissent pas les champs des vitieux et des méclianis. Il y a des choses laites |H)Ur tout le monde. Les villes sont bâiiis pour les méchants comme pour les bons : les m(mumenls du génie, publiés et ré|)andus, tombent dans des mains indignes; la médecine apporte ses secours même aux s<;('lérals; personne n'a su|iprinié les recettes salutaires pour empiVher les méchants d'ôlre guéris. Exige un conlrôle et une estimation des personnes, pour les dons qui se font séparément et en récompense du mérile, et non pour ceux qui sont indistinctement jetés il la multitude. Car il y a bien de la diffé- rence entre choisir et ne pas exclure. On fait droit même aux voleurs : les homicides eux-mêmes jouissent de la paix ; même celui qui a ravi le bien des autres, peut réclamer le sien. Les assassins et les meurtriers domestiques sont défendus con- tre l'ennemi par les nuirailles de la ville : le rem- part des biis protège celui qui les aie plus outra- gées. Certains biens ne pourraieni échoir à quel- ques-uns, s'ils n'étaient donnes îi tous. 11 ne faut donc pas argumenlerde ces choses auxquelles nous so I mes tous invités sans distinction : mais le bien- fait qui doit aber trouver quelqu'un de mon choix, je ne l'accorderai pas 'a un homme que jo sais ingrat. XXI.X. «' Par conséquent, dit-on, vous ne don- nerez pas un conseil 'a un ingrat qui vous consulte, vous ne lui permettrez pas de puiser de l'eau, vous ne lui roonircrcz pas son chemin lorsqu'il sera égaré'? Ou bien, ferez-vous toutes ces choses, sans vouloir rien donner? » Distinguons, ou du moins tâclurnsde distinguer, lin bienfait e.}t unp œuvre utile; mais toute œuvre utile n'est pas un bienfait; car il en est de si petites qu'elles ne méritent pas le nom de bienfiiil. Deux condilioi)» diiivent se trouver réunies pour caractériser le bienfait. D'abord la grandeur de la chose; car certains services ne sont pas 'a la hauteur de ce nom. Qui a jamais appelé bienfait un quartier do pain, une aumône de vile monnaie, ou la per- mission d'allumer du feu? Quelquefois cependant ces services sont plus utiles que les plus grands; ( t am malit proptcr bonos , qiiain linnt» clocsse propter iii.'ilos. Ita, qux rclers , dieiii , S(>I(>iii , liiriiiis x.slalisque (ui-siis, et média Toris aiituiiiiiiqiic teiiiperaiiirnta , im- liiTs, et ronl'uni I ausius , Truloriiiii sUtis flatus pro iiniTiTsis iiiveniTiint : eiccrperc singulos non poluerunt. liei biiDorcs rii^'uis dat, c;iiBiaiiuni ri ind guis Fru- inentiini puliliciiiii lani fiirijnam prrjurus et adiillrr ac- c'ipiuDt, et, >;iic di'tertii iiiuruiii, (|ui^quis incisus est; '{uidquid atiud ist, : nio:Muneuta ingcnioruui et ad iudignos pervenlura puliliravii edilio ; nicdicina fliam sceler.ilis openi uionslrat Couiposiliones renicdio- rum salularium nenio suppre;>i>it , ne sanareotur indigni. In his eiige censuram, et prrssnaruin aestimationcm , qoie soparatim tanquam digno dantiir : non in his , qux promiscue turf>ain aduiittunt. Multum rninirprirt, ulrum aliquem non l'xckidas, an eligas. Jus et furi di- cilur : pace etiain houiicidx fniuiilur : f^ua repelunt , eliani qui alicna rapucninl. I'cicussore.s cl dimii fcrruni eiei'cenlps murus al) hoste défendit : legum pra-s dio , qui pliirinium in illas peccavcrunt, prolegunlur. Qui- dam non poterant ca'triis conlingere , ni&i universis da- rcntiir. Non est ilaquc qiiod de islis dispules , ad quap publiée invitait sunini : illud quod judicio nieoad aliquem pcrvcnire débet, ciquem ingratum sciain , non daho. XXIX, Ergo, inijuit, nec cunsilium deliberanli dabis ingralo, iiccaquain hauriic permittes, ncc viam eiraoli nionslraliis? an, lixc (piidim facie.«, sed niliil donabii? Distinguam islud ; cerle tciitnbo dlstinguere. Bcncflcium est <)|Kra utiiis ; sed non oiiinis op»?ra ulilis binulicium est. Qiiii'dain enini Uiui eiigua sont, ut bencfitii nonien ni)ii orcupcnl. Diia.' res coire debeni, qnœ liomficium eniciaiit. Priiiium, rei miigniludii; qu nlaui enim sunt infia liiijus nouiinis mensiiniin. Quis bpn'ficiuni diiit quadrani paiiis, aut slipcui .xris abjecli, aut ignis ac-- ccnderdi fictani polestalciu? et iiilcrdum isia plus pro- 200 SÉNÈQUE mais leur modicité on ôte le prix , lors mcrac que la circoiisiance les a rendus nécessaires. Ensuite , ce qui est très-iiuporlant , il faut qu'en voulant offrir un bienfait a quelqu'un , je le fasse il son intention, que je l'en juge digne, que je donne de bon cœur, et que j'éprouve de la jouis- sance dans mon présent. Rien de fout cela ne se trouve dans les choses dont il est question. Car juous ne les donnons pas comme récompense au mérite, mais indifféremment, comme chose peu importante : ce n'est pas "a l'homme, c'est à l'hu- manité que nous donnons. XXX. Je conviens que, quelquefois, je donnerais certaines choses "a des hommes indignes , en consi- dération d'autres ; de môme que, dans la carrière des honneurs, des gens infâmes l'ont emporté, h cause de leur noblesse, sur des hommes habiles, mais nouveaux. Ce n'est pas sans raison que la mémoire des grandes vertus est sacrée , et plus de gens sont heureux de bien faire, quand le mérite du bien ne meurt pas avec eux. Qui a fait consul le (ils de Cicéron, sinon son père? Qui naguère a conduit Cinna du camp des ennemis au consulat? et Sexius Pompée et les autres Pompée? sinon la grandeur d'un seul homme , assez considérable autrefois pour élever, même sur sa ruine, tous les siens aussi haut? Quel litre a valu le sacerdoce, dans plus d'un collège , a un Fabius Persicus, dont les baisers rendraient stériles même les prières de /'homme de bien , sinon le souvenir des 'Verru- osus, des Allobrogicus et de ces trois cents qui, ,ii)ur la république , avaient opposé une seule fa- mille "a l'invasion des ennemis? C'est un hommage que nous devons aux vertus, de le5 honorer non- seulement quand elles sont présentes, mais aussi lorsqu'elles ont disparu de nos yeux. Demêmeque ceux qui ont fait les grandes actions n'ont pas voulu en restreindre l'ulilité 'a un seul âge , mais ont transmis leurs bienfaits pour vivre après eux ; ainsi notre reconnaissance ne doit pas se restrein- dre à une seule génération. Celui-ci a donné le jour "a de grands hommes : quel qu'il soit, il est digne de nos bienfaits; celui-l'a est né d'illustres aïeux , quel qu'il soit, que l'ombre de ses pères le protège. Comme les lieux les plus sales rayonnent sous les reflets du soleil , ainsi des hommes impuis- sants brillent de l'éclat de leurs ancêtres. XXXI. Je veux ici, mon cher Libéralis, justi- fier les dieux. Nous répétons sans cesse : A quoi songeait la Providence , de placer sur le trône un Aridœus? Est-ce b lui , penses-tu, que le trône fut donné? c'est 'a son père et h son frère. Pourquoi livra-t-elle l'empire du monde h Caïus César, cet homme si altéré du sang humain qu'il ordonnait de le faire couler en sa présence, comme s'il eût voulu s'en abreuver? Quoi ! penscs-lu donc que c'est 'a lui qu'il fut donné? c'est à son père Ger- manicus, "a son aïeul , "a son bisaïeul, et "a d'autres non moins illustres avant eux, quoiqu'ils aient passé leurs jours dans l'égalité de la vie privée. Quoi ! lorsque tu vis monter au consulat Mamcrcus Scaurus, ignorais-tu qu'il avait coutume de re- cueillir dans sa bouche béante le flux menstruel de ses servantes? En faisait-il mystère lui-même? Se souciait-il de paraître pur? Je le rapporterai un mot de lui sur lui-même, que je me .souviens .srnit, qiiain niaxima : scd tamen vilitas sua illis, eliam iil)i ti'iiipoi-e fada sunt neccssaria . detraliit pretiuni. Dcinde quod potissimum est, oportet accédât, ut cjus causa faciani, ad qucm volain pervcnire beneticium; dig- iitiiii<|iic pumjudiceni, et lilieiis id tril)iiani, percipiens- ijue c\ iiuinere nuo gaudiuin. Quoriiin niliil est in istis , de qiiibiis loqiiebaiiiiir. Nnii eniin laaquain digiiis illa Iribuinms, sed negligeiiter lanqiiara parva ; et non ho- inini damiis , sed buiiianilali. XXX. Alicimndo daturuin me eliam indignis qua?dam non ncgaverini , in honorem aliorum : sicut in petendis lionoribiis qnosdam lurpissiuios nol)ililas indusUiis, sed noïis, prœtulil. !Son sine ralione sacra est magnaninj virlulnm menioria , et esse plures bonos juvat , si gratia liouonni! non tnm ipsis cadat. Ciceronera rdinni qua; tes «onsuleni fecit , nisi pater ? Ciniiam nnper quie res ad Hinsnlatnmrecepitexhostium eastris? qiiajScxtuni Poiii- peinm, aliosquc Ponipeios, nisi unius viri magnitndo? taiifa qnondam , nt satis alte omnes snos etiam rnina ejus altdlleiet. Quid nnper Fabiuni Persienm , cujiis oseninm etiiim i iq)ediret viri vola buni, sacerdalem non in uiio riiUi'gio fecit, nisi Verrncosi, cl Allobrosici, et illi tre- nnli , qui hisliuni inciirsioni pro repnblica unaiii do- innin objorer.'nt ? Hoc debcmiis virlnlilius, ut uon pra-- senlrs solum illas , scd eii.nm ablalas e conspccta cola- mns. Qt:o modo illi id egerunt , ut non in unani a*latcm pnidesseut, sed bénéficia sua etiam post ipsos relinqne- rcul : iia et nos non una a'tate grali simus. Hic niagnos viros cenuil , difiuus est benetîciis, qn.ili,scumqueest ; dig- nos dédit. Hic egrefiiis majurilius ortus est; (|uali.<'Cumqae est, snb unibra snoruni laleat. L"t loca sordida reper- cussu solis illusli-anlur , ila inertes majoruni suoruni luce rcsplendeant. XXXI. Excusare hoc loco, mi Lil)eralis, deos vole. Interdum enim solemus diccre : Quid silii voluit Provi- denlia , qu;e Arida?um repno iniposuit? Illi putas l:oc datuni? pairi ejns datum est, et fratri. Quare C. Casa- rem orbi terraruni prafccit, liomincm humani sanguinis avidissimnm, quem non aliter fluere in c nspecln suo jubebat, quant si ore cxcepturus esset? Quid? ergotu illi hoc dalum e\is!imas? patri ejus Gernianico daluni, da- tum avo, proavoi'ue, et ante hos aliis non minus claris viris, etiam si piivati paresque aliis viLam esepcrunt. Quid? Tu, qnum M;inuTcum Scaurura Cos. facerel, i^norabasancillarumsuaiuninieustrunni orciIlnn)liiaial. ilo- niinem lam palani nliscornum , ad fascos , et ad tribiiDal admisisti? Dcmpe diim vctereiii illuin Sc^imuin , senatus principem cogitas , indigne fers sobolem ejiis jacere. XXXII. Deos vcritinillc est , ut alios indulgcntius tractent, prupter parentes aTosquc, alios propter futu- ram nepolnni pronepoluinquc , ac Innge sequentiiini pos- terorum indoiern. Nula est eniin illis 0()eris sul séries : oromumque illis rerum per manus suas ilurartini icientia ia aperto semper est : nubis ex abdito sut)it; et qux re- pentina putainus, iltis provisa Tcniunt r.c faniiliaria. Sint hi reges , quia majores eoniiii mm fuenint, qnia pro tnninio iinperio habnerunl jusiiliam , abslinentiain , quia non rempubticam silii, .«cd se reiputilicae dicavcrunt. Régnent tii, quia vir lM)niis quidam proaTus coruiu fuit, qui aniinum supra furtun;ini gessit, qui in dissensionc civili, quoniam iia expediebat reipublica; , vinci quain Tincere nialuil. Referri illi gratia taui longo spatio non poluil , in illius respcctuni iste populo pra-sideat ; nou quia scil aiit polcst , sed quia alius pro eo nicruit. Ilic rorporc deforniis est, adspcctii fwdus, cl oruainenta sua traducturus; jam me homincs accusabnnt, ca-cum et te- merarium dicent, ne.scicnlein quo loco, qua; sumniis ac eicetlentissiniis del)cntur , ponani. Al ego scio, alii nie istud dare, alii olim dcbituni soirere. Unde isti norunt illum quenidam, gldriic scquentis fugacissinium, eo vuln ad pericula eunteni, quo atii ex periculo redtHmt? nou- quam l>onum suum a publico disliuguentein ? Utii, in- quis, iste, aut quis est? unde? ncscitis; apud me istio expensoruni acceptorumquc raiiom-s dispungunlur. Ego quid cui delieani , scio; aliis post longam diem repouo, aliis in antrcessum , ac prout occa&iu,et reipublica* mctc facullas tulil. XXXIil. Ingralo ergo aliquando quxdam, sed non propter ipsuni ilat)o. Quid b\, ini|uit, uescis, utruni gra- ins sit, an ingratus? exs|>cclabis d'incc scias, an dandi beneficii lempus non aniiltes? Eispcct:irc longum esl: naui, ut Plato ait, difTicitis liuniaui aniiiii conjectura est; non eispeclare, temerariuni est. Huic res()ondcl)inius , nunqnam exspeclare nos cerlissimam roniiii comprelien- sionem : quoniam in arduo est veri exploiatio; std ca ire, qua ducit veri simililudo. Omne bac via procedit of- ficium ; sic serimus, sic n.iviganms. sic miliLimus, sic uxoris ducimns, sic libcros tollinuis; qmjin omnium ho- rum imerlus sit evcnlii<. Aj ea acccdinnis, de quilju.s 202 SÉNÈQUE. tout ce dont nous avons l)()n espoir. Qui, en ef- fet, garantirait au cultivateur une l)onne récolte, au marin le port, au ssldat la victoire, au mari la ciiaslelé d'une épouse, au pcie l'amour de ses cnfanls? C'est noire raison qui nous guide plu- Si tu promets, dil-ou , à quelqu'un un bienfait, et que tu découvres ensuite qu'il est ingrat , don- neras-tu, ou non? Si tu le fais, tu pèches sciem- ment ; car tu donnes a qui tu ne dois pas ; si lu refuses, lu pèclies encore, en ne donnant pas a tôt que la vérité Si , pour faire, tu attends une qui lu as promis. Ici chancelle votre conslunco, léussile assurée , si lu n'agis que d'après une cer- litude aljsolne, toute la vie s'arrête dans l'imiiio- Miité. Mais moi, qui toujours me laisse entraîner d'un côte ou de l'autre, non par le vrai, mais par le vraisemhlahle, je donnerai à celui dont la reconnaissance sera vraisemblable. XXXiV. Mais il peut survenir bien des circon- stances, à la faveur desquellesle mécliant se glisse h la place du bon, et où le bon soit repoussé comme méchant : car les apparences, d'après lesquelles nous jugeons, sont trompeuses. Qui le conteste? Mais je ne trouve point d'autre règle pour me dé- cider. Ce sont mes seuls guides pour me con- duire 'a la vérité : je n'en ai pas de plus sûrs; je mettrai tous mes soins à les apprécier le plus scru- puleusement possible et ne me rendrai pas trop promptement. Car il peut aussi m'arriver dans un comliut que ma main, (\u\ s'abuse et s'égare, di- ligc un trait sur mon concitoyen, et que j'épargne un ennemi le croyant mon ami. Mais c'est ce (jui arrive rarement , et nullement par ma faute , puis- at, et illuil superbum proniis- suni , nunquani siipienlem facti suipœuilere, nec un- quani enicndare quod ficerit , nec niulare cons lium. Non mutai sapiens cousiliuni, oninil)us bis manenlibus quœ crant, quuni sunicret. Ideo nunquani illimi |xcnileotia subit, quia nihit inelius illo lempore fieri (lotuit, quatii quod faetuni est ; nihil melius conslilui, quam quod conslitutum esl. Cœtenim ad oninia cum cjcplione vé- niel; si nih 1 incideril, quod impediat. Ideo onioia illi succcdere dicinius, et niliit contra (ipiiiiuneii) aceidere, qriia prasumit :;nimo, jiosse alicpiid inlervenirc, qnod destinala proliibeat. Imprndeuliuin isia lldiuin est, for- lunain sibi .'pnndcre; sapiens ulramque parlera ejiis m- gilat; scit quantum liccat crrori , quam inc^-rla siutbii- niana , qnain mulla consiliis obstenl; ancipi nu renim acliitiricaui sortem siispensus sequilur , et rousiliis cerli» iucertos eventiis. Eïceptio autem , sine qua nihil desti- nât, nihil ingredilur , et liic illum luetur. XXXV. Promisi beiiefieiuin , nisi si quid incidissel , quare non di-liereni dare. Oiiid enim , si quert.'iti'ni facit de intcgro consulcndi , et rae fidc libéral. Promisi advocalionem; postea apparuit , pcrillam causam pra'ju- dicium in piilrera meum quf ri ; promisi me peregre uiia eiilurum; tcd itrr inrestari latruciniia uuatialur; in rem prxseutem vciitunis fui ; «ed a;ger (itius , sod pucrpera un r Icnel. Onmia esse debeut cadrui , qua- fuerunt qmira promiltcrcm , ut promittenlis (idem tcneas. Qua; autem major fieri nmtalio po;cst , quani si te maluin vi- rum et inuratum compcri? quod tauquamdigno dat>am, indigno negabo, et irascendi ijuoque cauuui habcbo deceptos. XXXVI. Inspiciam lamcn, et quantum sit <}c quo agi- tur : daliit m^hi consilium promissa; rci modus. Si c\i- Ruum est , dal)o; non quia dignus es , ted qui.i promisi ; iiec tanquani muuu» dal>o, sed rci-ba mea redimam , et •urem niilii pervcllam; damno castigalw promiitentis tcmeritatem. Ecce ut doleat, ut postea consideralius !o- quaris; quod dicere solcmus, boguarium dil)0. Si niajus crit, non committam , quemaduiodum Mœcenas ait, ut scsierlio centics o!)ju| gandus sim. luler sese entra utruni- que œmparabo. Eslaliquid , iu eo quod promisi ris, per- tcverare : est rursus multuui iu eo, ne indigne lM!nc(l- cium des. Hoc tamen quantum sit , atlendenduni ; si levé, coonlvcamus; si vero niapno raibi aut deiriuienlo, aiit rut)ori fulurum , nialo semel e\cusare, quarc negavoriiii. quamsempcr, ijuare dcdcrim. Tolum , inquam , in eo est, quanti promissi niei vcrlia taxcnlur. Non tinliim quod lemere promisi , reiinet)o, sed quod non ncte dedi, rcpclam. Démens est , qui lidcm praslat errori. XXXVIl. Pbilippus Miici'donum rcx tial)cl)at niilitom manu forlem, cnjus in mullis etpeditionilms olili m e\- pcrtuj operam , sul)inde«i pra-da aliquiil illi virluiis causa donaveral, et boniincm veualis anima' crct)ris auctora- menlisaccenileliat. }iic naufi^igus in |)(lS^c.ssionc•s cujus- dam Macedonis cipulsus est; qui , ut iiuiilialuni est. :'.c- cucurril, tpiriluui rjus recnllpfiil; in viitam illiimsu.ini translutil, leclulo sno cessit, affectiini scuiiininicniiiuc ricrcavil, diebus trigiuta inip;nsa sua ciitavit , rtfo(it, . Tiaticoinstruvit, saliiode diientcni : (Iratiam lii)i refo- 204 SÉNÈQUK. avait répété : « Compte sur raa reconnaissance : que je puisse seulement voir mon général. » Il raconla à Philippe son naufrage , ne parla pas du service reçu; et, sur-lc-cliamp, demanda qu'il lui lut donné la propriété d'un certain homme qu'il désigna. Or, ce certain homme était son hôte lui-même, qui l'avait accueilli, qui l'avait },'uéri. Il arrive souvent aux rois, surtouten temps «le guerre, de donner les yeux fermés. Un seul homme juste ne suflit pas contre tant dépassions armées. On ne peut être en même temps homme de hion et hon général. Comment rassasier tant de milliers d'hommes insaliahles? Que leur revieii- (Ira-t-il si chacun conserve son bien ? Voil'a ce que se dit Philippe en envoyant le soldat en possession de la propriété qu'il demandait. Mais le Macédo- nien , chassé de son héritage , ne souffrit pas cette injusiice en silence, comme un pauvre paysan qui se serait cru trop heureux de n'être pas lui-même compris dans la as persisté "a prêter. Cinq cents deniers, ce n'est, comme on dit, que le prix d'un caprice; cela ne valait pas de rétracter sa parole Je me suis engagé pour un souper ; j'irai , même par le froid; mais non pas .s'il tombe de la neige. Je me lèverai pour aller 'a vos fiançailles, parce que j'ai promis, bien que j'aie une indigestion; mais non pas si j'ai la fièvre. J'irai au Forum lecautionner, parce que je l'ai promis ; mais non pas s'il faut le cautionner pour une somme indéterminée, et si lu m'ob iges envers le fisc. Il y a toujours , ai-je dit, celle restriction tacite, si je puis, si je dois, s'il eu est ainsi. Fais que les choses soient dans le même étal, lorsque tu réclames, que lorsque j'ai promis. H n'y aura pas de légèreté a te manquer, s'il est survenu du nouveau. Pourquoi s'éionner?La condition de ma promesse est changée, j'ai changé d'avis. Fais-moi la position pareille, et je suis le même. J'ai promis de comparaître pour loi. — Cependant tu m'as fait défaut. — H n'y a pas d'ac- tion contre Ions ceux qui font défaut; la force majeure est une excuse. XL. On peut faire la môme réponse "a cette question : faut il, de tonte façon, être reconnais- sant el toujours rendre un bienfait? Je dois mon- trer un cœur reconnaissant; mais quelquefois ma misère, quelquefois la piospérité de celui qui m'oblige, ne me permellent pas do remlre. Pau- vre, que rendrai-joà un lichc, 'a un roi. lorsqu'il y a des gens, surtout, qui sont blessés qu'on leur rende leurs bienfaits, et qui ne cessent de les ac- cumuler'? Que puis-je offrir de plus à de lois per- sonnages, que ma bonne volonté? Car je ne dois pas rejeter un bienfait nouveau , parce que je n'ai pas encore rendu le premier. Je recevrai d'aussi bon cœur qu'on nie donnera, et je four- nirai a mon ami ample matière "a exercer sa bien- faisance. Celui qui refuse de nouveaux bienfaits semble s'offenser des premiers.Jene rends pasia pa- reille. Qu'importe ? La faute ne vient pas de moi , s'il me manque l'occasion ou le moyen. Cilui-làm'a obligé : c'est qu'il en a eu l'occasion, le moyen. Fst- il homme de bien ou méchant? S'il eslliommc de bien , j'ai gagné ma cause : s'il est méchant, je ne la i)laide point. Je ne pense niênie pas qu'on doive s'eraprcsserde payerde retour, malgré eux, ceux 'a qui l'on offre le paiement, ni les poursuivre de sa reconnaissance lorsqu'ils s'y dérobent. Ce n'est pas les payer de retour, que de leur rendre contre leur gré ce que tu as reçu de bon gré. Il y a des gens qui, lors<|u'ils reçoivent (|uclque faible cadeau, en renvoient aussitôt un autre, maladroitement, et pensent s'être acquittés. C'est une manière de retoser, que d'envoyer de suite quelque chose dt-quivaleut , el d'effacer un présent par un pré- sent. Quehpiefois aussi , je no rendrai pas un bien- fait , quoique j'en aie le pouvoir. Dans quel cas ? ret, persereraTll credere, quia promiserat? Primum «lia condilio est in ciedito, alla in bcneficio. Pccuniœ etiam maie crcdilx ejnctio est; apprllarc debitorcin ad dicm po$.<>nin ; rt si foro cessent , portinnem fcrani ; he- neflcium et lolum peiit, et statini. Practerea hoc mali T rie»t, iludinati patriifaiuilia*. DeindeneZenoqiiidem, si roajnr fuisset lumnia , credere persévérasse!. Quingenli donarii sunt , illud , quod dici .solet , in innrbo consumât; fuittanti, non revocare pnimissuni suuni. .\d cœnain quia promisi , ibo, eti.-imsi frif;us eril; non quidoin , si niïes cadent. Surgam ad sponsalia, quia prnniisi , quam- Ti« non concoierim; scd non. si fcbricilavero. Sponsuni dcscendam, qui.i promisi; sed non si spondere in inrer- l'jni jubebis, si fisco obligabis. Subest, inquam, laciîa eiceplio, si poteio, si dcbebo, si ha'c ita erunt. F.ffice, ut idem status sit, qunm exigilnr , qui fnil, qunm pro- millerem. Destilucro levitas non crit, si aliquid inlei- venil novj; quid mlraris, qunm condilio prnniitlentis mutata sil, mulalum e.'sc ronsilium ? eadem mihi omnia pra:.sta; el idem sum. Vadimonium promittimus; tamen deseris; non in omne* daturaclio dcserentes; vis major eicusat. XL. Idem ctiap.i illa in quo'stionc responsum eiiisliina , an omnimodo referenda sil gralia, et an beneficium uti- que reddcndum sil. Animnni praslare gratiim delico ; cslenim aliquando me rcrerrc graliam non |)alitnr mea infelicitas , aliquanJio fclicilas (jus , ciii del)eo. Quid cnini régi, quid pau|)cr diriti ledilani? utiqiie qunm quidam ri'cipcrc beneHcium , injuiiani judicent, et bénéficia sub- inde aliis l)eiieliciis oncrent. Quid amplius in horurn pcr- sonam possimi, quani Telle? nrc enim ideo benclirium novum re jiccre debeo, quia nonduni prius rcddidi. Acci- piain lam libenter, qu;uii dabitur; et pra'bebo me aniiro meo eiercendic bonilalis sua- cnpacem materiaiu. Qui nova acci|)eie non vult, arccptis ofreudllur. Non rilio Rratiam ; quid ad rcni ? non est pcr me mnra , si aul oc- casio mihi deest, aiit f.icul:as. Ille prapsSilit mihi , iicmpc qimtn orcasiimem hahoret, qutnn ricullaletn. Utrimi bonus Tir est, an maUis? apud bonum \irum bon.un causiim hai)co; apud nialum non apo. Ne illuil quidem cxistinio faciendum , utrefcrrc praliani, eliam iiivi;ii bis quibus refeiiur, propercmus , et insiemus rcccdeiilibus. Non esl refcrre gratiani , quod volcns acceppris , rinlenti reddere. Quidam , quum aliquod illis missum est nuuius- culum , subiuile aliiid intompcsIiTC romittunl, et nihil se debcre leslanlur. llrjicieiidi genus est, protinus aliud mi SÉNÈQUE. lorsque je dois m'ôier à moi plus que je ne don- | épanchenienls de ta bonté, tu le regarderais pres- que comme le débiteur de tous les bienfaits qui se distribuent; et, aliu que personne ne se re- pente de son bienfait , tu es prêt à payer pour les ingrats. Tu es si loin de toute ostentation , si empressé de décharfjer ceux que tu obliges, que, dans toutes les libéralités, tu semblés vouloir ne pas donner, mais rendre. Aussi, ce que tu i répands de la sorte te revient avec plus d'abon- dance : car les bienfaits accourent en quelque sorte sur les traces de ceux qui ne les rappellent pas. Et de même que la gloire suit de préférence ceux qui la fuient , ainsi le bienfait récompense de fruits plus abondants ceux qui souffrent l'in- nerai â mon ami ; s il ne doit tirer aucun avan- tage d'une rcslilution qui doit beaucoup me pri- ver. Ainsi donc, celui qui se dépêche de rendre n'a pas le cœur d'un homme reconnaissant, mais d'un débiteur. En deux mois, celui qui est trop pressé de payer, doit a conlre-cœur : celui qui doit "a contre-cœur est un iniçrat. LIVRE CINQUIEME. I. Dans les premiers livres, je croyais avoir épuisé la matière, en examinant comment il faut gratitude. Il ne tient pas "a toi qu'on ne te re- demande des bienfaits, après en avoir déj'a reçu; tu ne refuseras pas d'en accorder d'autres ; qu'on les oublie, qu'on les dissimule, tu en augmentes le nombre et l'importance. Le but de Ion ârae grande et généreuse, est de tolérer l'ingrat jus- qu'à ce que tu l'aies fait reconnaissant. En sui- vant cette conduite, tu ne seras jamais trompé. i Car les vices cèdent auï vertus , si tu ne te bûtes donner, comment il faut recevoir ; car c'est à quoi se borne le bienfait. Si je vais au-delà, c'est moins obéir au sujet, que m'y complaire; or, il faut marcher plutôt où il nous mène, qu'où il nous convie. Car souvent il se présente des ques- tions qui séduisent l'esprit par quelque charme, et qui, sans être inutiles , ne sont pas nécessaires. Mais, puisque tu le veux, poursuivons; et, après avoir traité ce qui appartenait au sujet même, | pas trop de les haïr. entrons maintenant dans les questions qui , à vrai \ n. u„e maxime qui te plaît singulièrement, et dire, y sont plulôlcounexes qu'inhérentes, et dont [ que tu regardes comme sublime, c'est qu'il est l'examen scrupuleux, sans être un travail indis- i honteux d'être vaincu en bienfaisance. Mais ce pensable, n'est pourtant pas un travail sans fruit, i n'est pas sans raison qu'on a rais en doute si c'est Mais pour toi, Libéralis A:butius, pour ta nature i une vérité, et la chose est tout autre que ton es- noble et disposée 'a la bienfaisance, il n'y a jamais prit ne la conçoit. Car jamais il n'est honteux assez d'elogcs donnés aux bienfaits. Je n'ai jamais ; d'^rc surpassé dans les combats de venu, pourvu vu personne apprécier avec autant de bienveil- j que tu ne jettes pas les armes, et que, même vain- lance môme les plus légers services. Dans les doux | eu , tu cherches encore 'a vaincre. Tous n'appor- inTicem miltere , et niuuus munere expuagere. Ali- quando et bou reddam beuelicium , quum possim; qiiaii- do? si plus mihi detruclurus ero, quani lllï coll turus; si ille UDD eiit seiisurus uUam accessioneni recepio co, quo reddilo, iiiilii iiiultum absccssuruiii eril. Quifesliiiat uliquc reddere, non Iiatiet aiiinmm grali linmiiiis, sed debiloris. Et ut l)reviter, qui nimis cito cupit solveie, iuvilus débet; quiiuïitus débet, ingratus est. LIBER QUINTUS. I. In prioribuslibrisvidebarconsumniasscproposiluiii, quum liactiissem , quemadmoduni danduni cssel bcneli- cium, et quemadmodum accipiendum; hi enim suiit hujus iillicii fines. Quidquid ultra nioror , non servio niaieria;, sediudulgco; quas quo ducit, sequcnduni est, non quo invitât. Subinde enim nascelur , quod lacessat aliqua dul- cedine animuni, raagis non supervacuuni , quani ncces- sarinm. Veruin quia ila tIs , perseverenius , peractis qua; remconlinebant, scrutari ctiani ca, qu.-p, si vis veruni, conneia sunt , non cobaDrenlia ; quœ quisquis diligeiiter inspicit , nec facit opéra- preliuni , ncc tamen perdit ope- rara. Tibi autcni liomiai natura opiirno, et ad bénéficia propcn^o , Libéralis .ffbuti , nulla corum laadatio sali«- facit. Neniineni unquani vidi tam ben'gnum eîiam levis- simomin oflicioruni apslimalorem. Jam bonilas tua eous- que prolapsa est , ut tibi dari pu'.es beneficium , quod ulli datur; paraius es, ne qucni beneficii pœnileat, pro in- gratis dependere. Ipse usque eo abes ab omni jactaiione, usque co slatiin vis eionerare quos obligas , ut quidquid iu aliquem coufers , velis videri non praîs'.are , sed red- dere. Ideoque plenius ad te sic data revcrtuntur; nam fere seciuuutur benclici.i non reposcentem; élut eloria fugientes niagis sequitur, ita fructus beueDciorura gra- tins respiindet illis , pcr quos cliain esse ingratis licet. Per te vero non est niora , quo minus l)encficia qui accepe- runt, ultro répétant; nec rceusabis confine alia, et sup- pressis dissimulaiisque plura ac majora adjicerc. Propo- silum oplimi viri, etingentis aninii est, tani dui ferre ingialnm, donec feceris gratum. ÎSec te ista ml o dcci- piet; succunibunt vitia virtutil)us, si illa non rito odissc propcraveris. II. lUud utique unice tibi placet , vclut magnificc dic- tum : Turpe est bencficiis vinci. Quod an sit vcruni , non inimcrito quacri solet : longeque aliud est , quam mcnto concipis. Nunquani enim in i-crum boncstarum ccrtamino supcrari turpe est, dnmmodu arma non projicias, elvio DES BIENFAITS. 2(17 tent pas les mêmes forces, les mCmes moyens, le môme bonheur, à re\cculion d'une bonne œuvre, et c'est le bonheur qui règle au moins le succès des plus vertueuses entreprises. La seule volonté de se diriger vers le bien est louable, quoiqu'un mais ne la livre pns. Comme les Latédémoniens avaient "a cœur que leurs citoyens ne fussent pas vaincus , ils leur interdirent les combats oii la victoire n'est décidée ni par nn juge, ni j)ar l'événement même , mais par la voix du vaincu , autre principe plus agile ait pu la devancer. Ce j qui proclame sa défaite. Ce principe, qu'ils maiii- n'est pas comme dans les combats dont on offre an peuple le spectacle , où la palme annonce le plus habile; quoique l'a nu-mc le sort favorise sou- vent le plus faible. Lorsqu'il s'agit du devoir que chacun do son côté désire remplir le plus pleine- ment, si l'un a pu davantage, s'il a eu sous la main des ressources suffisantes "a son intention , si la fortune a secondé tous ses efforts ; si 1 autre, avec une volonté égale, a cependant rendu moins qu'il n'a reçu, ou s'il n'a rien rendu du (ont', jiourvu qu'il veuille rendre , et qu'il s'y applique de toutes les facultés de son âme , il ne sera [>as plus vaincu que celui qui meurt les armes 'a la iiiain , ^larce qu'il a été plus facile "a l'ennemi de le luer que de le faire reculer. Cette défaite que lu regardes comme honteuse, l'horarce de bien n'y est pas exposé ; car jamais il ne succombera , jamais il ne renoncera : juscpiau dernier jour de sa vie , il se tiendra prêt à combattre; et il mourra h son poste , avec la conscience d'avoir beaucoup reçu et beaucoup voulu rendre. III. Les Lacédémoniens défendent chez enx les combats du pancrace et du ceste , où la seule marque d'infériorité est l'aveu de la défaite. A la fcourse , celui qui atteint le premier la borne a surpassé les autres en vitesse , mais non eu volon- té. Le lutteur trois fois terrassé perd la palme , tenaient chez leurs concitoyens, de ne jamais s'a- vouer vaincus , la vertu et une volonté ferme le garantissent à tous les hommes; car l'àiiio est toujours invincible, môme dans la déraile. Aussi l'on ne dit pas que les trois cents Fa- bius ont été vaincus, mais tués. Régulus a été pris par les Carthaginois , mais non vaincu. Ainsi en est-il de tout homme qui, accablé sous les coups d'une cruelle fortune, n'a pas laissé fléchir son âme. Il en est de même pour les bienfaits : on on a reçu de plus grands, de plus nombreux , de plus fréquents, on n'est pourtant pas vaincu. Peut-être certains bienfaits peuvent-ils être surpassés par d'autres , si tu mets eu balance les choses données et reçues ; mais si tu compares celui qui doime et celui qui reçoit, en ne tenant compte que de I in- tention, la palme n'appartiendra ni à l'un ni 'a l'au- tre. Car il arrive souvent ([ue deux combattants, dont l'un est tout percé de coups, et l'autre légè- rement blessé, se retirent , laissant la victoire in- décise , quoique l'un paraisse avoir été inférieur. IV. Nul ne peut donc être \aîncu en bienfaits, s'il reconnaît qu'il doit, s'il vent s'acquitter, si, par ses sentiments, il balance les choses qu'il ne peut rendre. Tant qu'il persiste dans celte dispo- sition , tant qu'il se maintient dans cette volonté, sa rcconnaissimce se témoigne par des signes ex- lu» qnoqne velis Tincere. Non omnes ad bonum propo- silum rasdem alferiint vire», casdem facullatos, eunidcm fortuaam, quae optiiuoruin qiiiiqiic coiisilionini dun- taxnt eiitus tempérât. Voluatas ipsa rertiini pclcns , lau- danda est, etiaiiiii illam alius gradu velocioii anteccssil; nua, ut ia rertainiailms ad s|>ectaculum editis, m.lio- rem palma déclarât , quaniquain in illis quoquc sie|>e de- teriorein pra'tulit casus. l]l>ideonicioagitur, qiiod u!er- qiie a sua parle esse quam pleiiissirnum cupit, si aller plus potuit, et ad manum liabuit nialeriam sulTIcientein aniiiio Sun, si illi , qaaiituin conatus est, rorliina pcrml&il ; aller autcm vuluniate par est , eliainsi miuora quam ac- cepit reddidit, a ut om ni no non reddidil, sed vult rod- d-re , et to!o in hoc inlentns est animo ; lue non magis victusest, quam qui in armi» morilur; qucm occidere rarilius hosli» poluit, quam averlere. Quod lurpc exi>ti- nias, id accidere viro bono non polest, ul vin&itur : nnriquam enira succumbet, nunquam reruinlialril; ad ul- limum usque diem vite slabit paratus, et in bac statioiie niorielur; magna se accepisse prie se ferens , paria vo- luisse. III. Lacediemonii vêtant suos pancratin antcestu dc- ccrncrc , nbi infeiiorem ostendit ticli confcssio. Cursor cretam prior cnntinfzit : velocilatealium, nonaninin, nii- tfcessit. Luclatorter iilijectus penlidit palm.im , non lia- didit. Qnuni iniictoscssc Lnceda-niouii cives suos nia?iK> a>$tiinarcnl, nb bis crrtaniinibus rernoveruiit, in <|u:l)us victorcm facit non jlidcx , mm per se ipsc cxitus , std vos cedentis, et tradrrc jubcniis. Hoc quod illi In civihus suis custodiuut, virlus ac t»)na vnlunlas ouinibus prxsl:il, ne unquam vincanlur , quooiam quiilcm etiam iutcr super- untia aninius inviclus est. Ideo nemo Ircccntos F;il)ios victos dicit , sed occisos. Et Ucgulus captus est a l'œuis , non victus; et quisquis aliu.ssa>vienlis i'urluiiiL' vi lic po}i- dcrc upprcssus, non submittit animiini. lu bendiciis idem est : plnra aliquis accepit , majora, rrc<;uen',ioi'a; non tiinieu viclus est. Bénéficia forUissc bi-ucliciis vida sunl, si iolcr se dala et accepta compotes : si d.intcni et accipienlem comparavcris , quorum aniii.i cl i)cr se .tsU- mandisuut, pênes ncutrumeril palma. Solcl cnim ficri, utrtiain quum aller niullis vulneiibus coiifossuscst, aller leviler quidcm saucius , parcs ciisse dicuulur , quaravis aller videatur inferior. IV. Ergo nemo vinci polest beneficiis, si scit dcl)ere si vull refcrre, si quod rébus non potcst , animo aeqiiat. Hic , quam diu in hoc pcrmaucl , quam diu tcncl voluu- 208 SÉNÈQUE. térieurs : qu'importe de quel côté l'ou compte le i V. Il n'y a pas de honte à être vaincu par de plus de cadeaux? Tu peux donner beaucoup; mais moi, je ne puis que recevoir : tu as pour toi la fortune , j'ai pour moi ma bonne volonté. Tu n'as donc pas d'autre supériorité sur moi que celle de riiommc armé de toutes pièces sur un iiomme nu ou armé à la légère. Ainsi, personne n'est vaincu en bienfaisance, parce que la reconnaissance va aussi loin que la volonté. Car, si c'est une honte d'être surpassé en bienfaits, il ne faut pas rece- voir des hommes puissiiits "a qui l'on ne peut rendre la pareille; par CNemple, des princes, des rois , que la fortune a placés "a une hauteur d'où ils peuvent verser à profusion des largesses dont ils ne recevront qu'un prix nécessairement faible et inférieur. Je parle de princes et de rois auxquels on peut cependant rendre des services, et dont la haute puissance ne repose que sur l'accord et l'ap- pui des inférieurs. Mais il est des hommes qui sont 'a l'abri de tout désir, qui peuvent "a peine être atteints par les besoips de Ihumanité , aux- quels la fortune elle-même ne peut rien donner. Je dois nécessairement être vaincu en bienfaisance par Socrate. Je dois nécessairement être vaincu par Diogène, qui marche nu au milieu des trésors de la Macédoine, et foule aux pieds les richesses des rois. Ah 1 certes alors , "a ses propres yeux et h ceux des hommes auxquels un nuage ne voilait pas la vérité , ne paraissait-il pas bien au-dessus de celui qui faisait tout ])loyer devant lui? Il était plus puissant, plus riche qu'Alexandre, alors maître du monde ; car il pouvait refuser beaucoup plus que le roi ne pouvait donner. tels hommes ; car je ne suis pas moins fort si tu me mets aux prises avec un adversaire invulnéra- ble : le feu n'eu est pas moins briîlant parce qu'il rencontre une matière incombustible, et le for n'a pas perdu sa qualité tranchante, pour avoir à diviser une pierre solide que n'entament point ses coups , et qui résiste aux corps les plus durs. J'en dis autant d'un homme reconnaissant. 11 n'y a pas de honte pour lui à être vaincu en bienfaisance, si ceux qui l'obligent ferment tout accès 'a rc.>poir de restituer, soit par la grandeur de leur fortune, soit par la supériorité de leur vertu. Presque tou- jours nous sommes vaincus par nos parents. C^r nous ne les avons que dans un temps où nous les jugeons incommodes, où nous n'avons pas l'inle!- ligence de leurs bienfaits. Lorsque l'âge nous a donné quelque sagesse, et que nous commen- çons h comprendre que nous devons les aimer pour les choses mêmes qui nous éloignaient d'eux, c'est-"a-dire les réprimandes, la sévérité, et leur soin "a veiller sur une jeunesse imprudente , ils nous sont ravis. Peu d'entre eux ^parviennent à l'âge où l'on recueille les véritables fruits de la paternité : les autres n'en connaissent que le far- deau. Il n'y a cependant pas de honte "a être sur- passé en bienfaits par un père. Et comment y au- rait-il de la honte vis-'a-vis de lui, quand il n'y en a vis-'a-vis de personne ? Car, égaux sous cer- tains rapports , nous sommes inférieurs sous d'au- tres : égaux par les sentiments du cœnr, la seule chose qu'on exige , la seule chose que nous pro- mettions; inférieurs par la fortune, qui, si elle tatcni , gratuni aiiiinnm signis approliat : quirt irilerest, ab iitra parle inunuscula plura uumcrcnlur? Tu mulla (lare pôles ; at ego tantum accipeie possum : tecum stat fortiina , mecuni !)ona voluntas; laiiien lam par tibi suiii, «juam inuUis armalissimis nudi, aut levilerariiiati. ISenio iUi(|ue beiieficiis vincilur ; quia tain gialus est quisque , quain viiluil. ISiim si lurpe est beneliciis vinci , non opor- iel a praepotenlibus viris accipeie benelicium , quibus gratiam referrenon possis. A principibus dico.a regibus: c|uos en loco fortuiiii posuit, ex qno largiri niiilta pus- sent, pauca admodum et imparin rialis reccpturi. Ueges et principes dixi. qnibns laiiien polest opéra navari, et quorum illa excellons potenlia per- ininoruui consensum ininisteriumque constat. Sunt quidam exlra omneni >ul)- duc i cupldilatem , qui vix ullis humaiiis desidiriis cou- lingunlur; quibus nibil polest pr.Tslare ipsa fortuna. Necesse est a Socrate benelicio vincar; necesse est a Dio- pene, qui per médias l\lacedonuni gazas ruidus incessit, ealcatis regiis opibus. O na- ille luuc merito et silii et ca;- feris , quibus ad dispiclendam vciitalcm non eral oflusii ealigo, supra runi eniinere visus est, infra queni oninia jaceliant ! Multo polcnlinr, iiiulto locupletior fuil oiiniia lune possidcute Alcxondro; pins cnimerat, qu:id liic nol- let accipere, qnam quod iltc possct darc. V. Non est turpe, ab liis vinci; ncque cnim minus fortis suni, si ciini invulnerabili me boste commiltis : nec ideo ignis minus urerc potest, si in materism iocidit in- violabilem (lanimis; iiec ideo ferrum secandi vim perdi- dit, si non rccipiens icUun lapis solidus , in^iotaeque .^d- versus dura natura» , diïidendus est. Idem tibi de homine grato respondeo. ÎS'onturpiterTinciturl)enelinis, siabhis obligatus est, ad quos aut fortauce niagniludo, auteximia virtus adituni redituris ad se beneficiis clausit. A parenli- bus fere viDcimur; nam lanidiuillos habemus, quamdiu graves judicamus, et quam diu bénéficia ilturum non in- telligimus. Quum jam atas aliquid prndentia»eollegit, et apparere cœpit. propterilla ipsa eos aniari a not)is debere, propter qua; nouaniabanlur, admonitionfs , severitatem, et inconsulta! adolescenti*diligentein custodiam , rapiun- lur nobis. Paucos usque ad Terum frucluni a liberis per- cipienduiu jïerduxit a'ias : capteri liberos onerc sens^run!. Kon est tanien lurpe , ïinci beneficiis a parente ; qnidni non sit lurpe, quuni a nullo turpe sit? Quibnsdam enim et pares, et i m pares sunuis; pares animo, quem solum illi exigunt, quem nos ïolum promiftimus; inipares for- luna , qua^ si cui obstitit quo minus rcferret gratiam , non ideo illi tanquam viclo crubescendnm est. Non est turpe. uon conscqui , dnmmodo seiiuaris. S.Tpc necesse esl, anla DES BIENFAITS. 209 nous empêche de payer de retour, ne doit pas nous eu faire rougir comme si nous étions vaincus. II n'y a pas de honte a ne pas atteindre, pourvu qu'on poursuive sa Voûte. Souvent il est nécessaire de solliciter de nouveaux bienfaits avant d'avoir ac- quitté les premiers. 11 ne faut pas s'interdire la de- mande , ou la regarder comme honteuse , parce qu'on prévoit qu'on devra sans pouvoir rendre; car il ne dépendra pas de nous de n'avoir pas toute la reconnaissance possible. Il peut survenir du dehors quelque chose qui fasse obstacle. Mais nous ne se- rons pas vaincus en bonne volonté ; et il n'y a pas de lionie "a l'ôlre par ce qui échappe "a notre pouvoir. VI. Alexandre , roi de Macédoine , se glorifiait souvent de n'avoir jamais clé vaincu en bienfaits. Cet esprit superbe comptait-il pour rien les Macé- doniens, et les Grecs, et les Cariens, et les Per- ses, et tant d'autres nations soumises sans combat. Pouvait-il ne leur pas devoir cet empire qui s'é- tendait depuis un coin de la Thrace jusqu'aux rivages des mers inconnues? C'était Socralc qui pouvait se glorifier de cet avantage; c'était Dio- gène, par qui surtout il fnt vaincu. Oui, sans doute, il lui vaincu, cet homme qui dépassait la mesure de l'orgueil humaiu, le jour où il rencou- Ira quelqu'un à qui il ne pouvait rien donner, ni rien prendre. Le loi Archclaûs pria Socralc de venir à sa cour. On raconte que Socrale répondit qu'il ne voulait pas aller chez un homme dont il recevraitdes bien- faits sans pouvoir lui rendre la pareille. D'aboid, il dépendait de lui de ne pas accepter; ensuite, c'est de lui que serait parti le premier bienfait. Car il venait après avoir élc prié , et il donnait ce que le roi n'eût jamais pu rendre "a Socrate. Enfin, Archélaûs eût donné de l'or et de l'argent, pour recevoir en échan>;e le mépris de l'or et de l'ar- gent. Quoi ! Socrate n'aurait pu s'acquitter envers Archélaûs? Que pouvait-il recevoir d'aussi grand que ce qu'il donnait , s'il lui eût fait voir un hom- me qui savait les secrets de la vie et de la mort, placé sur les limites de l'une et de l'autre ; si, éclai- rant ce prince aveugle en plein jour, il l'eût initié aux mystères de la nature, qu'il ignorait tellement, qu'un jour d'éclipsé de soleil , il Ot fermer son palais et raser son fils, comme c'était la coutume dans les temps de deuil et de calamité? Quel bien- fait, si, l'arracliant de la retraite où se cachait sa peur, il lui eût ordonné de reprendre courage, en disant : « Ce n'est point ici une extinction du soleil, ce n'est que la rencontre de deux astres, au moment où la lune, qui décrit une foule moins élevée que le soleil, passe au-dossous de lui, le couvre do son disque, et nous le dérobe par son iillerposition. Tantôt elle n'en cache qu'une faible partie, si elle ne fait que l'effieurerh son passage; tantôt elle en couvre davantage , si elle interpose une plus grande partie de son orbe; tantôt elle l'intcrceple entièrement, si, par un cquililibre parfait, elle occupe le point intermédiaire entre la terre et le soleil. Mais bientôt ces deux astres vont, par leur vitesse, être envportés en sens contraire : déj'a le jour est rendu "a la terre ; et cet ordre subsistera pendant la durée des siècles, les- quels ont certains jours (ixcs el prévus où l'inter- position de la lune empêchera le soleil de verser tous SCS rayons. Kncore un moment., et l'émci- siou va se faire; le soleil va se dégager de cette alia IwDpficia petamus, qniin priera reddidimus. Nec ideo non petimui, autturpiter peiimus, quia non rcddi- luri del)cbimiis : quia non per nos crit niora , quo minuj gralissimi simus. Sfd inlerfcniet aliqutd eilrinsecns, quod prnliil>eat; nos lamcn nec vinceniuriininio, ncc lurpitrr hU rébus supcraltiniur , qux non tuut in noslra pole.<>tate. Vf. AleiandprMacpdonumrci Kinriari $oIel>at,a nulle »e l>enefidis Ticlum. Non est quod nimins aninii Macodo- nas, el (Ira-cos, et Garas, el Persas, el nationrs distric- tas $lne etcrcitu siispicial I ne lioc sil>i pricslitissc reg- niim a Thracine angulo porrcrtum n$;iuc ad litus inciig- nili maris judicet I Eadem re gloriari Socrales potuit , eadem Dingcnps, a quo uiique viclus esl. Quidni Tictns sit illo die, quo homo supra mensuram humaux supcr- biae lumens , tidit aliqucni , cui nec darc quidquam pos- set, nec eripere? Arclielaus rei Socralem roga?it, ut ad se vonircl ; diiisse Socrates traditur, Nolle se ad eum vrnire, a quo acciperet l>enencia , quuni reddcre illi pa- ria non posset. Primum, in ipMus polpstate erat non accipere; deinde ipsc date benenciuui prior incipieDat. Venieliat enini rogalus , cl id dabat , quod ulique illc non erat Socrali redditurus. Etiamnunc Archélaûs datunis erat auruin et argentum , receplurus contenilum aurl et argenli. ISon poterali^rgo Archelao refcrre Socrates gra- tiani?etquid lantum erat acceplurus, quantum dabat, si ostenilisset honiinem ïitffac morlis periluni,ulrlnsque (ini'S tenenlem? Si regeni , in luce média crrantem.ad rcrum naturam adnlisis^et, usquceo bujus ignarum, nt quo die soiis dcfectio fuit , regiam cludercl , el filium , quod in luctu ac rébus adversis moris est , tonderel ? QuaiilUNi fuissel bcnericium , si triiicntem e lalrbris suis c\lra\isi>el, et bonum aniniuni babere jussisset , dicens : Non est ista solis dcfeclio, srd duorum sidirum eoitiis, quum luna huniiliore cunens Tia, iufra ipsiim solem orbeni suum posuit, et illum olijeclu sui aliscundil; qua; modo p»rt<<$ ejus eiiguas, si iu transcur.''ii slrinxit, ob- durit ; modo plus tegit , si majoreiu partcm sui objecit ; modo e\cludit tutius aspectum , si rerto lihranicnlo inler solem tcrrasque média successil ? Sed jani ista sidéra hue et illo diducet Tclocilas sua ; jani recipicul dicni tena; , et hic ibit ordo per sccula , qua' disposilos ac pra'diclos dies habent , quibus sol intercursu luna." vetctur oranes radios cffundere. Paulum cispecta ; jani emergel, j.iin istam ve- 11 espèce di.' nuage, et délivré de tout obstacle, va répandre lihreuient sa lumière. i> Quoi! Socratc u'aurait pu s'acquitter envers Archélaûs , s'il lui eût appris "a régner ? C'élait déjà recevoir un grand bienfait de Socrate, que d'être rais à même de donner quelque chose 'a Socrale. Que vouhiit donc dire le philosophe'? lîsprit caustique , il avait coutume de s'exprimer en métaphores ; raillant tout le monde et surtout les puissants, il aima mieux refuser avec Onesse qu'avec orgueil et ar- rogance. 11 dit qu'il ne voulait pas recevoir de bienfailsd'un homme auquel il ne pouvait rendre la pareille. Il craignait peut-être d'être obligé d'accepter ce qu'il ne voulait pas : il craignit d'ac- cepter quelque chose d'indigtic de Socrate. On dira qu'il eût refusé si cela ne lui eût pas convenu. Mais il eût irrité contre lui un monarque arro- gant, qui voulait qu'on attachât un grand prix à tout ce qu'il offrait. Il n'y a guère de différence entre refuser de donner "a un roi, ou d'accepter de lui : il met sur la même ligne l'un et l'autre re- fus; et il est plus insupportable à l'orgueil d'être dédaigné que de n'être pas craint. Veux-tu savoir ce que .Socrate refusa réellement? Il refusa d'aller chercher une servitude volontaire, lui dont une ville libre ne put supporter la liberté. Vil. Nous avons, je pense , sufCsammt'nt exa- miné celle (|uestion , s'il est houleux d'être vaincu en bienfaisance. Ceux qui la font, savent bien que les hommes n'ont pasl'habitude de s'offrir des bien- faits "a eux-mêmes ; car il eût été manifeste, alors, qu'il n'y aurait pas de honte "a être vaincu par soi- même. Cependant quelques stoïciens ont mis en doute si quelqu'un pouvait être son propre bieu- faitour, et si l'on se doit de la reconnaissance. Ce qui faisait leur incertitude, c'était celte manière habituelle de s'exprimer : le me sait bon yré; et, je ne puis ni en prendre qu'à moi-même. ; je vi en veux; jem'en punirai ; je me liais, et d'autres lo- cutions semblables par lesquelles on parle de soi. comme s'il s'agissait de tout autre. Si je puis, disent- ils, me faire du mal, pourquoi ne pourrais-je pas me faire du bien ? D'ailleurs, si les services que je rends à d'autres, sont appelés des bienfaits, pour- quoi ceux que je me rends à moi-même n'en se- raient-ils pas"? Si j'avais reçu d'un aulre, je devrais; pourquoi, si je me donne à moi-même, ne devrais- je pas"? Pourquoi serais-je ingrat envers moi-même? N'est-ce pas moins honteux que d'être avare, dur, cruel ou négligent envers soi? H y a autant de honte 'a prostituer son corps que celui des autres. On blâme le complaisant qui se fait l'écho des pa- roles d'autrui, le louangeuf toujours prêt au mensonge ; mais on ne blâme pas moins celui qui se caresse, s'admire lui-même, et se fait pour ainsi dire son propre complaisant. Les vices ne sont pas seulement odieux lorsqu'ils se montrent au dehors, mais encore lorsqu'ils se replient sur eux mêmes. Qui admires-tu plus que celui qui sait se commander, qui est maître de soi? Il est plus fa- cile de gouverner des nations barbares, indociles au joug étranger, que de contenir son âme et de la faire son esclave. Platon remercie Socrate pour ce qu'il a appris de lui : pourquoi Socrale ne se remercierait-il pas pour ce qu'il s'est appris à lui- même? M. Calon a dit : Ce qui te manque, era- lut nuhem rclini]iict, juin exsolutus impedimenlis, lurciii suam litière inittot. Socratcs parera giatiam Arohrlao refer- re non possfl, si iliimi docuissct regnare? pariim scilicet magnum lieneliclum a Socratc accipiebat, si nllnm dare poluisset Socrali. Quare ergo lioc Socrales dixil? Vir fa- celus, et cujus per figuras sermo procedere siitilus erat, derisor omnium , maxime potcntium, maluit iltl nasute uegare, quam contuniaciter ac superbe. Dixil, se noile l)pneficia ab eoaccipcrc, cui non p(;sset paria reddere. Timuit fortnsse, ne cogerelur accipere (]na> nolle! : ti- muit, ne quid in;lignum Socrale aiciperet. DIcet aliqiiis: TSegasset, si nollct. Sed insliga.ssct in se regem insolen- tem.et omnia sua magno a'slimari volenlem. Niliil ad rem pertinct, utrum dare aliquid régi notis, an accipere a rege : in a'ipio utramque ponit repiilsam; et supcrho fasîidiri acerbius est , quam non timeri. Vis scire , qiiid xere noiueril ? ISolnit ire ad volunlariam serviuiteni is, cujus lilicrtatem civitas lit)era ferre non poluil. VU. Salis, ut exislimo, hanc partom lrartaïimu,s, an turpe csset beneficiis vinci . quod (|ui quarit, scil non so- lere tiomines silii ipsos beneficium dare; manifestmn cnim fuisset, non esfe turpe a se ipso vinci. Atqui apnd btoicos quosdam et de hoc anibigitur, an possit aliquis sibi t)eneficium dare? an debeat referre sibi gratiam? Qiiod ut viderelur qu.Trcndum, illa fecerunl : solemus dicere, Gratias mitii ago, et. De nnllo queri possam alio, quam de me. Ego mihi irascor, et. Ego a me pœ- nas csigam, et, Odi me, iiiulla praeterea hujusmodi, per qiia; unusquisque de se lanquam de altère loquitur. Si noccre, inqiiit,mihi possum, quare non el beDefîcia mihi dare possum? Prae suspiciens, et , ut ita dicam , assenlator suus. Viiia non tanlum qimm foris peccani , invisa .«-unt, .«ed quum in se retorquentur. Quiin niagis admiraberis , quam qui imperal sibi, quam qui se haliet in poleslale? Génies facilius est l>3rliaras, impatienle>qne alieni arbilrii, regere, quam animom .«unm conlinere, et Iradcre sibi. Plalo, inqnil, asit So- crali gratias , quod ab iUo didicil; quare Socratet sibi dod DES BIENFAITS. MJ prunte-!e a toi-môme. Pourquoi ne puis-je me ! donne, on reçoit : quand j'accorderais qiùn peut donner, si je puis me prêter? 11 est une inlinitc de recevoir de soi un bienfait, dès qu'on reçoit on circonstances où l'usage fait de nous deux hommes rend. Le transfert se fait, comme on dit, à laniai- différens. Nous avons coutume do dire : «Laisse- son, et cette dette illusoire est aussitôt effacce. moi meeonsulter; » ou «Je m'en tirerai l'oreille. • Car celui qui donne n'est pas autre que celui qui Si ces expressions sont justes , de même que l'on reçoit , c'est un seul cl même lionmie. Ce mot dc- penl s'irriter contre soi , l'on peut aussi se remer- voir , suppose toujours deux personnes : comment cier ; de même que l'on peut se faire des repro- pourrait-il s'appliquer h un seul qui se libère en ches, on peut aussi s'adresser des éloges; de même s'obligeant? Dans un globe ou uiiebulle il n'y a que l'on peut se faire du tort, on peut aussi se ni haut ni bas, ni coi:inicncement ni fui parce faire du bien. Le tort et le bienfait sont contrai- que le mouvement fait ciianger la position met rcs. Or, si nous disons de quelqu'im : il s'est fait devant ce qui était derrière, dessus ce qui était tort, nous pourrons dire : il s'est accorde un dessous : louies choses, de quelque côlé qu'elles bienfait. se tournent, reviennent toujours au même point. H VIII. lîst-il naturel dé se devoir "a soi-même? j en est ainsi d'un homuic, rcnmez-ledans tous les Il est naturel que l'on doive d'abord , et qu'en- j sens, il est toujours un. II s'est frappé : il n'a per- suite vienne la reconnaissance. 11 n'y a pas de dé- , sonne à actionner pour dommage : il s'est garrotté bileur sans créancier, pas plus que de mari sans \ il s'est emprisonné : il ne peut être poursuivi pour femme, ou de père sans fils. Il faut que quelqu'un ! voicsdefait. Il s'est donné quelque chose: aussitôt donue pour que quelqu'un reçoive : ce n'est don- j il a rendu à celui qui avait donné. On dit quelana- nerni recevoir, que de faire passer une chose de la ; turc ne perd rien, parce que loutcc qui lui est ôté main gauche dans la main droite. De même qu'on j lui revient; et que rien ne peut périr, parce que ne se porte pas soi-même;, quoiqu'on remue son [ rien n'a d'issue pours'échap|)cr , parce que toute corps et qu'on le déplace : de même que per- j cho.se est ramenée à la source d'où elle émane. sonne, quoique plaidant pour soi, ne s'appelle son . Quel rapp,)rt, dis-tu , entre cet exemple et laques- conseil , et ne s'élève une statue comme a un pu- j tion dont il s'agit? Je vais le le dire. Suppose que tron ; de même qu'un malade, qui se guérit parscs I lu sois ingrat ; le bienfait nest pas pour cela perdu : propres soins, n'exige aucun salaire de soi-même; | celui qui l'a offert, en juuit. .Suppo.se (juo tu re- ainsi , en toutes choses, celui quia su se rendre ■ fuses de reprendre : la chose est dans tes mains utile à soi-même, ne se devra cependant pas de ! avant d'être rendue. Tu ne peux rien perdre; car reconnaissance, parce qu'il n'aura personne en- | ce qui t'est enlevé, test néanmoins acquis'. Tu vers qui la témoigner. Quand j'accorderais qu'on j inurnes dans un cercle ; lu donnes en recevant- puisse être bienfaisant envers soi-même, dès qu'on I tu reçois en donnant. agat , quod ipsc se docuit ? Itl. Cato ait : Quod tilii dcest, a te ipso niuluarc; quarc dniiare milii non pnMum, si comniodare fmssuni? lunuinenibilia sunt, in ijuibus con- suctuduoos difidit. Dicere tolemus: Siot' loqunrmecuni ; et , Ego niilii aurem pcrtellam. Quic si vera suut, queiu- adiniidum aliquis silii irasci delict, sic et gralias agere ; quoiDodo objurgare se , tic et laudare ; quomudu danino sibi esse , sic et lucro po!est. Injuria et beneOcium cootni- na »unl; si dt' aliquo diciinus : Injuriam sibi fecit ; poteri- mus dicrre : tScnelicium sibi dédit. VlIINalura silii débet? PiaUira prius est, ut quis delieat , deinde ut gr tiam referai ; débiter non est sine creditnre , dou niagis quain maritus sine uiore , aut sine filio |>ater. Aliquis dare débet, ut aliquis accipial; non est dare , nec recipere , in deiteram manuin de sinistra transferre. Quuniodo nemo se portât , quamvis corpus suum nioveat et Iransterat; quomodo nemo, quainvis pri> ?e diteri:, affuissn sibi dicilur, nec statuant sibi tan- qnani palromi punit ; quoniodo , si aegcr cum cura sua conialuit,niercedeni a se non cjigit; sic in onini negotio, etiam quum aliquid prndesse sibi fecerit , non lamen de- l»l>il reftrre graliam sibi , quia mm lial>ebit , cui reforat. L't rjiiiccdam aliqueni dare sibi beneRcium , dum dat, et recipit ; ut conce.Jam aliquem a se accipere boueficium , dum accipit, reddit. Donii , quod aiiiut, -.ersura sini, et ïclut lusorium noiiu>n slatini transit. Nique enim alius datquam qui accipit, sed unii.s a. que idem. Hoc virbum: Dcbeie, non haliet nisi inlcr duos locura ; quoniodo crgo in uno consistit, qui se «bligando iilierat? Ut in orbe ac pila nihil estimum, nihil smiimuni, uihil exlrcniuni, nihil primum, quia iiiolu ordo nmlalur. et qiia.- seque- bantur praeredunt , et qua; ofcidebaut oriunlur, omnia quoniodocumque ierunt, in idem revertuutur; ila in homine existinia (ieri; quum illnm in uiulla niulôveris, unus est. Cœcidit se; injuriarum cum .|uo agat non ba- bet:alligaTit et clausil; de vi non tcnetur : lienelicium sil>i didil ; proliniis d;inli reddidit. Kcruui nalura nihil dicilur perderc, ()iiia quidquid illi aïellitur, ad illani redit ; necperire quidquam putest, quod (|uo escidatnon habet; sed eodem retolvitur uade disceJit. Quid simile, inquit, hal>et hoc ciemplum proposilœ qua-slioni? Di- cam. Puta te iugratum esse; non periltit l>encncium, habet illud qui dédit; piila te recipere noilc; apud te est, aniequani redilitur. (Son pôles qiiiili|iiaiii ainitlcre, quia quod de:rabilur, nihilominus tilii acquirilur. Jutrj le ipsuni orliis agitur: leciplcndo das : i?.\MK» accipis. 14. 2J-2 SÊNÈQUE. IX. On doit, dit-on, être bienfaisant envers soi-même; donc on doit être reconnaissant. D'a- bord le principe est faux, elles conséquences y répondent. On n'est pas bienfaisant envers soi- mônie; mais on obéit 'a sa nature qui commande l'amour de soi. De Ih vient cette sollicitudc'a éviter ce qui est nuisible, 'a reclicrcher ce qui est ulile. Ajiissi n'y a-t-il pas de générosité "a se faire des j dons, de clémence "a se pardonner, de pitié à être ! louché de ses maux. Ce qui , applil ignoscit ; uec niisericors, qui nialis suis tîingitur. Quod aliis pra'slare libei-.ilitas est, clcmeniia , mistriciirdia ; sibi piïstare, uatuia est. Beneficium rcs voluntaiia est; at prodesse sil3i, uecessarium est. Quo <|uis plura bénéficia dédit, beneficentior e>t. Quis un- quani laudatus est, quod sibi ipse fuisset auxitio? qiiodse eripulssct latronibus?Deiiio sibi beneficium dat, non nia- pis quam iiospitium; nemo sibi douai, non uiaj^is quoiii crédit. Si dat sibi quisque beneficium, scmper dat, sine inlevmissioue dat; Inire l)eneficiorum suoruni non polest numerum. Quando ergo graliam referet, quuui per lioc ipsum, quo graliam refert, beneficium de: ? Qiioniodo iiiim discernera poterit, ulrum det sibi, beneficium, au reddat, quum inlra eundera honiinem res geralur? Li- lieravi mepericulo; l)eneficiuni mihi dedi; itennn me periculo libère : utruni do beneficium, anreddo?Deinde k.; primum illiid concfidani, dare nos beneficium nohis; quod sequitur, non concedam; nam etiamsi damus, non debennis; quare? quia stalim recipimus. Acciperc bene- ficium nos oportet , deinde debere , deinde re ferre. De- bendi locus non est , quia sine ulla mora recipimus. Dat nemo, nisi alteri; débet nemo, nisi alteri ; redditnenio, nisi alleri. Id intra unum non potest fieri , quod to:ies duos e\igit X. Beneficium est, prafstilisse aliquid ntiliter; verbnm autem praestilisse, ad alios spectat. Numquid non dé- mens videliitur, qui aliquid vendidisse sibi se dicet?quia venditio alienatiii est, et rei sua? jurisqne in ca sui in alium translatio. Alqui quemadniodum vendere, sic dare aliquid , a s- dimittere est, et id quod tenueris, hatien- dum alleri tradere. Quod si est. beneficium nemo siW dédit , quia nemo dat sibi. Alioqui duo contraria in uno cocunt, ut idem sitdare, et accipere. EJoninnnc niul- tum interest inlfr dare et accipere: quidni? quum ex diverso ista verba posita sini ; atqui si quis sibi benelV- cium dat , nibif interest inler dare et accipere. Paullo ] an'e diocbam, qua^dam ad alios perlinere , et sic esse formata , ut toia significaiio illorum discedal a nobis. Fra ter sum , sed alterius , nemo est enim snus fraler. Par ' snni , sed allcui; quis est enim par sibit Quod compa- DES BIENFAITS. 2(3 antre objet; ce qui se réanit, sup[>ose un autre ob- jet. De même ce qui se donne, sedonuehautiMii; il n'y a pas de bienfait sans autrui. Cela ressort du terme lui-niûme qui signifie faire du l)ien. Or, on- ne se fait pas du bien, pas plus qu'on ne se favorise, pas [,ilus qu'on ne prend son parti. Je pourrais étcndie ce piincipe, elie fortifier de plu- sieurs exemples. Ko effet, le bienfait s'exeree sur descliosesqni exigent une seconde personne. Il y a des choses bouutles, belles, d'une haute vertu, qui n'ont lieu que vis-'a-vis d'un autre. On loue, on estime la bonne foi comme une des grandes perfections de la nature humaine : or, dit-on ja- mais qu'un homme a été de bonne foi envers lui- même? XI. Je passe maintenant 'a la seconde partie : Pour l'acquit d'un bienfait, il faut dépenser quel- que chose, comme pour le paiement d'une dette. Or, celui qui s'acquiite envers lui-môme, ne dé- pense rien , pas plus qu'il ne gagne en recevant de lui-même un bienfait. Le bienfait et le retour doivent aller et venir : il n'y a pas de rétiprociic chez un seul individu. Celui qui s'acquitte est utile "a son tour ii la personne de qui il a reçu; mais celui qui s'acqni lie envers lui-même , 'a qui est-il utile? à lui-même. Et qui donc viendra nier que la reconnai.ssance se plai e ailleurs que le bien- fait? Celui qui s'acquiite envers lui-uiênie est utile "a lui-même, lit quel est donc l'ingrat qui re- fuserait d'en faire autant? ou plutôt qui n'est p;:s devenu ingrat, pour en avoir fait aulatit?Si, dit- on, nous nous devons des remerciements, nous nous devons aussi de la reconnaissance. Or, nous oisons . je me remis grâces de n'avoir pas voul* épouser telle femme, de ne m'êlrc point lié avec tel homme. Lorsque nous parlons ainsi, c'est un éloge que nous nous d.')nnons; et , pour approuver notre action, nous abusons des termes du remer- ciement. Un liieiifait est une chose qui peut, lors- qu'elle a été accordée, ne jamais être rendue: celui qui s'accorde un bienfait, ne peut pas ne pas recevoir ce qu'il a donné : donc il n'y a pa* de bienfait. Un bienfait est reçu daus un moment, est rendu dans un autre. Dans un bienfait eu qu'il faut louer, ce qu'il faut admirer, c'est que, pour être utile a un autre, on a oublié son propre intérêt ; que pour donuer à un autre, on s'est dé- pouillé soi-même; c'est ce que ne fait pas celui qui se donne "a lui-même. Un bienfait est une chose sociale : il nous concilie les uns , il ohlig« les antres : se donner à soi n'est pas un lieu social, ne concilie personne, n'oblige personne, ne fait naître chez personne cette espérance qui faitdire: «Cet lioaimt^ est bon 'a cultiver :Uadonnù à un tel ; il pourra me donner à moi.» Il yabien- fait, lorsqu'on donne, non dans son intérêt, mais dans l'intérêt de celui auquel ou donne. Or, l'homme bienfaisant envers lui-même , donne dans son propre intérêt. Donc il n'y a pas bienfait. XII. Irouves-tu que je manque à ce que ja t'avais promis au commencement de ce livre? Di- ras-tu que je m'écarte de tout ce qui fait I impor- tance du sujet, ou plutôt que je prends de bonna foi une peini! perdue? Aitcmls : tu le diras avec plus de raison quand je t'aurai conduit à traveri ce labyrinthe; et, lorsque lu eu seras sorti , lu ritiir, sine allero non iolplligitur ; quod jungitor, sine altiro non est. Sic et quod dalur, sine altero non est, et JteacnciuHi s ne allero non est. Id et ipso Tocaliulo ap- parct, in (|i:o lioc cootinctnr, bcnefecisse. Kemo autcni sibi Ix-nericil , non nin^U quani sibi favrt , qnani suaruni l'artjuni est. Dititiiis hoc et pturilus exeniplis licet pro- sequi; qiiidni ? qiiuin lolrr ea sil h<'il>: nduni benefiriinn, (|ua- secumlani pors inani di sidérant. Qua-d.ini quiiiD sint iiiiat'sta , piili-licrrinia, suninix virlutis , nisi c:iin altero non lialM'nt l(HMnn. Laudutur, et Inler niaxiina tuiniani ceoeris liona Tidos cotitur; num quis ergo dicitur sibi (idem pni'stiiisse ? XI. Venio nunc ad uitiinain partem. Qui graliim re- fert, aliquid delii t imi>endere, sicntqui solvit pccnniain : iiihil auleni impei.dil.qni firatiam silii refert, non niiipis qnani e«Dsequi:ur, cpii beni"n(inm a se arcop t. Brncll- cium et RnitiîE relatio nllr» citrnque ire délient; intra iinum hominem non esl Ticissiludo. Qui ergo Krali;ini re- fert , invicem proilest ei , a quo cnnsccntns est aliquid ; qui sibi graliam refert, cui pnxlcst y silii. Et qnis non alio loco relalionem gralia." , ali» lieniTicium cogiial ? Qui Itnitiam sibi refert, sibi prodesl; et quis unquani ingra- luf noc noiuit Tacere? immo quis non iogralus fuit, nt hoc faceret? Si gratias, inquit. nobis agerc debemus, et graliam referre det)emus. Dicinius auteni : Ago gratia» niihi , quod illani uioreni niilui diiccre, et cuin illo mm coiilraxi societaleln. Quuni hue dicimus , laudanius nus; et ut fictuni nnstruni romprobcmus , Rratia.; ageuliuni Tcrbis abutiinrir. Benefiriinn est quod potcst, et <|nuni datumesl, n.inreil
  • i dat. Benelicium dare , siicialis res est , aliquem con- ciliât, aliquem obli|;al; sibi daie, non est siicialis res , nemincm conciliai , nemineni obligal , neniineni in spem inducil, ut dicat : Hic bonio colendus esl : illi lienencium dédit; dabit et milii. Benedciiuii est, quod ipiis non sua causa dat , sed (jus , cui dat. !-< qui sibi l)eneliciuin dat , Sun causa dat; non est ergo benelicium. Xtl. Videor libi jnni illnd, qiiod in principio diieram, inentilus? Dicis me aliessc ab eo (|ui operiB pretium facit: immo lolam operam Ixma fidc perdere? Exspecta; etiani hoc verius dices , simul ac te ad baslatebrai perduiero , a yi4 SÉNÈQUE. n'.iiirasnoii gagné, que d'ccliappcra desdifficnltés chant ; par conséquent, I"ifigral n'existe pas danf où tu étais maître de ne pas l'engager. Quel avan- la nature. lage y a-t-ila défaire péniblement des nœuds que Tout cela est vide de sens. Nous n'ailnieltons lu as attachés pour le plaisir de les défaire? Mais ! qu'un seul bien; c'est l'honncle : or, l'honnôte de même qu'on s'amuse quelquefois à les en trela- ne peut atteindre le méchant; car il cessera cer par passe-tomps, et pour donner à une main d'êlnî méchant, dès que la vertu aura pcnéiré inhabile l'embarras de les dénouer, ce que fait sans | jusqu'à lui. Mais, tant qu'il reste méchant, il ne Deine celui qui les a formés , parce qu'il en con- , peut y avoir de bienfait pour lui ; car le bien el le naît les complications et les obstacles, et de même ] mal sont incompatibles, et ne peuvent se rencon- <|ue ces diflicultés ont un certain charme, parce trer au même lieu. Aussi, personne ne peut lui qii'ellis exercent la finesse de l'esprit cl réveillent être utile, parce que tout ce qui lui tombe enlre l'atlenlion : de même ces arguments, qui ne pa- raissent que subtils et captieux, chassent de l'es- prit l'indolence et le sommeil. Car , tantôt il faut lui ouvrir de vastes champs où il se promène, tan- tôt il faut lui opposer des sentiers difficiles et ra- boteux , où il grimpe et se fasse laborieusement un passage. On dit que personne n'est ingrat. Voici comme on le prouve. Le bienfait est ce qui est utile : or, selon les stoïciens, personne ne peut être utile au méchant; donc le méchant ne reçoit pas de bienfaits, donc il n'est pas ingrat. En outre, le les mains, il le corrompt par un mauvais usage. De même qu'un estomac altéré par la maladie, et surchargé de bile, dénature tous les aliments qu'il reçoit, et fait de toute nourriture une cause de douleur; de même vous ne confierez rien 'a un es- prit aveugle, qui ne devienne pour lui un fardeau, qui ne tourne à sa perte et h son malheur. C'est ainsi que les hommes les plus heureux et les plus opulents renconirent le pins d'orages; et ils se re- trouvent d'autant moins qu'ils sont soulevés par les flots d'une mer plus vaste. Rien d'utile ne peut donc arriver jusqu'au méchant : ou plutôt rien bienfait est une chose honnête et louable. Or, pour que de nuisible ne peut lui arriver. Tout ce qui une chose honnête ou louable, il n'y a pas place <:hez le méchant : donc , non plus pour le bienfait : s'il ne peut on recevoir, il n'est pas tenu do rendre; par conséquent, il ne peut être ingrat. En outre, vous dites que l'homme de bien fait tout avec droiture : s'il fait tout avec droiture, il ne peut être ingrat. Ainsi , l'homme de bien rend lui convient, il l'assimile 'a sa propre nature, et les avantages extérieurs qui seraient utiles eu de meilleures mains, lui deviennent pernicieux. C'est pourquoi il ne peut accorder de bienfaits , parce que nul ne peut accorder ce qu'il n'a pas : il manque même de la volonté de bien faire. XIII. Quoi qu'il en soit cependant, le méchant le bienfait; le méchant n'en reçoit pas : si cela ! peut recevoir des dons qui ressemblent;! des bien- ost, personne n'est ingrat, ni le bon, ni le mé- I '^'Is; et s'il ne les rend, il est ingrat. Il y a des (iiiii)usqmnn evaseris, iiihiliniiplius a.ssecntiiseris, quam lit «as diflicultates effugeris, in quas licuit non dcscen- ilere. Qu^d cnim lioni est nodos operose solveie, quos ipse ut solvcies feceris? Sed quemadmoduni quidam iii olilectamenlum ac jocum sic illiganlur, ut eopum solutio impcrilodifllcilis .sit, quœ ille qui iiiiplicuit , sine ullo ne- gotio séparât , quia coniniissuras eoruni et moras novit ; et nihiloniinus illa liabent aliquam Toluptateni, tentant enim acumeii anlmorum et intentionem eicitant : ila haec quae videntur callida et insidiosa, sccuiitatem, ac segui- tiem ingeiiii auferunt; quit)us modo campus in que va- gentur, sterneiidus est, modo creperi aliquid el coDfra- gosi objiciendum, per quod erepant, et siillicite v_£ti- gium faciant. Dicitur nenio ingratus esse ; id sic colligi- lur. Benelicium est quod prodett; proiesse autein nemo liomini malo polcst, ut dicitis Stoici ; ergo lieneficiuni non accipit malus ; ilaque nec ingralus est. Etianinunc lieneficiuni lionesUi et prolialiilis res est. Apud iiialum iiulli lidu'.stie lei aiit probabili lociis est; ergo nec bene- ficio; qiKid si accipere non poiest, nec reddere qiiidprii débet; et idco non sit ingratus. Eliamnunc, iil dicitis, bnn:is vir oninia recte facit; si omuia recte facit, ingra- lus isse niiii potest. Bonus bencHciura reddit ; malus non ac«ipit; quod si est, nec lionus quisquam ingraln.se$t, uec malus; ita ingralus in reruni ualura est nemo. At hoc inane. Uniini est apud nos bouuni , lionestuni; id |)ervenire ad nialum non polcst; desinctenim malus esse, si ad illiim virlus iiitraverit. Quamdiu autem malus est, ncmoiliidare benoficium polcst; quia liona malaque dis- senliunt, nec in unuui eunt. Ideo nemo illi prodest, quia qiiidquid ad illum pervenit, id pravo usu corrunipit. Quemadmoduni slomachus niorbo viliatus , et coUigens bilem , quoscunique acceplt cibos, mutât, et oniae ali- mentuni in causam doloiis trahit; ila aniraus caecus, quidqnid illi commiseris, id onus suum , et perniciem et occasionem miseriaa f icit. Felicissimis itaque opulenlissi- nns(;ue pluriinum aî'slus subost, miiiu^que se inveiiiunt, qiio in majorera maleriam inciderunt, qua (luctuarcn- tur. Ergo nihil potest ad malos pervenire , quod prosit ; imnio nibil quod non noceal. Quiecumque enim illis ron- tigerunt, in natuiain siiani verluiit; et eslra speciosa , profiituraquesi melioridarcntur.illis pesiiferasunt. Ideo necbeneDciumdare possunt, quoniani neuio potest quod niin babet, dare; bic benelacieudi >oluutate caret. XIII. Sed quamvis ha'c ita .sint , accipere tamen ma- lus potest, quir beneflciis siniilia sint; quibus non reddi- DES BIEîNFAlTS. 21. • biens de l'âme , du corps , de la fortune. Les biens de l'âme sont interdils aux sols et aux incchanls; mais ceux-là y sont admis, qui peuvent les rece- voir, etqui doivent les rendre; s'ils ne les rendent pas, ils sont ingrats. Et cela ne résulte pas de noire doctrine seulement. Les pcnpatctieiens eux- mêmes, qui reculent bien plus loin que nous les li- mites de la fc'licilé humaine, assurent que lesmé- cbanls peuvent recevoirde légers bienfaits, et que celui qui ne les rend pas est un ingrat. Nous qui ne bienfails et par celui qui donne et par celui qui reçoit. Ainsi donc, celui qui trompe sous l'appa- rence d'un véritahle bienfait, est aussi bien un ingrat, que celui qui donne un soporifique, en croyant quec'csl du poison , est un empoisonneur. XIV. Cléanlhe va bien plus loin. « Quoique, dit il , ce ne soit pas un bienfait que reçoit le mé- chant, il n'en est pas moins ingrat , parce qu'il n'eût pas rendu quand même il eiît reçu. Ainsi, un voleur est déj'a tel, même avant de souil- considérons pas comme bienfaits les choses qui ne ; 1er ses mains , parce qu'il est armé pour le meur- doivent pas rendre l'âme meilleure, nous ne re- i ire, parce qu'il a la volonté de dépouiller ^t fusons cependant pas de les mettre au rang des avantages qu'on peut rechercher. Ces choses, le méchant peut les donner au bon , et les recevoir de lui; parexemple, de l'arfient, des vêtements, des honneurs et la vie ; et s'il ne sait pas les re- connaître, il mérite le nom d'ingrat. Mais, dit-on, comment y a-t-il ingratitude 'a ne pas rendre ce que vous ne voulez pas regarder comme bienfait. Il y a des objets qui, sans être identiques, sont néanmoins, à cause delcnr res- .serablance, compris sous la même dénomination. Ainsi, une boite, qu'elle soit d'or ou d'argent, a toujours le même nom : ainsi , nous appelons il- lettré, non celui qui est totalement ignorani, mais relui qui ne s'est pas élevé 'a la haute littérature : ainsi, en voyant un homme mal vêtu et couvert de haillons, ou dit qu'on a vu un homme tout nu. De même, les choses dont nous parlons ne sont pas des bienfails, mais elles en ont l'apparence. Alors, nous dit-on , si elles n'en ont que l'apparence , le méchant n'a que l'apparence d'un ingrat, il n'est pas ingrat. Erreur : car ces choses sont appelées de tuer. La méchanceté s'exerce, se manifeste , mais ne commence pas 'a l'œuvre. Ce qu'il a reçu n'était pas un bienfait, mais en avait le nom. Les sacrilèges sont punis , quoique personne ne puisse porter la main jusque sur les dienx.» Mais, dit-on, comment pcutH)n être ingrat envers un méchant, puis(|u'il est incapable d'un bienfait? Par la rai- son qu'on a reçu de lui quelqu'une de ces choses que les ignorants regardent comme des biens. Si les méchants les possèdent en abondance, il faut que la reconnaissance s'exerce sur la même ma- tière, et quelle que soit la (jualilé des choses, dès qu'on les a reçues comme des biens , il faut les rendre comme des biens. On est également débi- teur, soit qu'on doive des pièces dor ou des mor- ceaux de cuir frappés au coin public , tels qu'il y en eut à Lacédémone, et qui figurent l'argent comptant. La reconnaissance doit être du même genre que l'obligation. XV. Il ne vous appartient pas deiieniandcr coque c'est que le bienfait, et si la grandeur de ce beau nom peut descendre jusqu'à s'appliquer a uuema- tis, iogratus eril. Suolorl8, sunt lortuna-. llla aniiui booa a sliilto ac malo submoveatur ; ad haec adniitlilur, qua; et accipere polest , et dcliet red- dere; et »i non reddit, ingrafiis esl. Ncc hoc ci nosira cuastitulione taoluai. Peripatelici (|UOque, qui felicilatis liumaux looge lateque tcriniaus pimuot. aiunt uilnula l'i'ucficia pervenlur.i ad nialiis; tiax qui non reddit, io- graius esl. Nobis iiaquc bcuelicia csse non placet, qua; non suntaniniuni r.ii.iura nielioreni; conniioda t:inicn illa este, et ei|)eti-nd^i , non oeg^nius. Ilu-c cl vini bono dare malin polest , et accipere a bono ; ut |>ecuniani , vcs- teiD, honores, et vilam; qua.- sinon reddel, in inprali nomen incidet. At quoniodo iiigralum \ocas, eo non red dito , quod neg.u esse Ix-nenciuni ? Qiif d.iiii eliainsi vcra non sint, propter siniilitudinem eodem ync.ibulo com- prehensa sunl. Sic pyxidein, et argenteain et aurram di- cimus; sic illiteratuiii, non ci toto rudeni, sed ad lilera» alliores non perductuin ; sic qui maie vestituni et panno- sum Tidit, nudum se vidisse dicil. Benclicia ista non sunt ; liabcnl tanicn Ijcnelicii speciem.tQ'ioiiiodo isla sunt lanquara bénéficia , sic e! ille tanquam ingnit.i» est, non ingratus. • FaIsumest; quia illa bcneiiùa, cl quidatap- pellat, etqui accipil. Ita et qni veri benendi s|)ccic fe- I fellit, lam ingratus est, quam venellcus, qui soporcm , quuin venenuni crederel , niiscuil. I XIV. Cleanlhes uhenientius agit. • Licct, inquit, he- ; neUciuiii non sit qnod accq)it, ipsc tanien Ingralus est; I quia non fuit rcdditurus, etiani si accepisset. Sic lalro est, I etiain aniequani niaiiiis inquinct; quia ad occidcnduni jani annatns est , et halict spoliandi ati]ue interllcicndi Toluntntcm. EiereeUir et aiH,'ritur opère ne<|uilia, uon incipil. Ipsum quod acccpit, boneliciuni uon erat, sed vo- cabatiir. Sacrilegi dant pœnas, quanivis nemo usque ad deos manus porrigat. > Quoniodo, inquit, adversus ma- luin ingralus est quisquain , quum malo dari bcncliciuni I non possit? Ea scilicet rationi-, quia accepit ab illo aliquid : et bis , qua; apud iniperitus bona sunt ; quorum si nialis oqiiaest, ipse (luoque iu simili materla gratus e.sse de- bebit , et illa qualiacuinque sunt, quum pro lioni.s acce- pci ii , pro bouts reddere. /Es alienuni habere dicilur, et qiM aureos dcliel, etqui corium forma publica percus- smn, (|uale apud Lacectemonios fuit, quod usumnume- rata; pccunia." pr.estat. Quo gcncrc obligatus es , lioc Qdem eisolve. XV. Quid sini lienelicia , an et in hauc sordidam humi- lemquc maleriani deduci nmgnitiido nominis clari ifNat, 5I() SÉNKQUE. tière basse el sordide : c'est à d'autres à chercher le vrai. Vous, réglez votre âme sur l'apparence du vrai , el puisque vous parlez de vertu , adorez quoi que ce puisse être qu'on décore du nom de vertu. Mais, dit-on, puisque, selon vous, per- sonne n'est ingrat, de celte manière tout le mon- de est ingrat. Car, comme vous le dites, tous les sots sont méchants ; or, celui qui a un vice les a tous; or, tous les hommes sont sols et méchants ; donc, tous les lionmies .«ont ingrats. Eh! quoi donc? ne le sont-ils pas? N'est-ce pas l'accusation soule- vée de toutes parts contre le genre humain? N'est- ce pas le cri général, que les bienfaits se perdent; qu'il y a très-peu d'hommes qui ne répondent par des offenses aux plus grands bienfaits. El ne crois pas que nous seuls nous fassions entendre ces mur- mures, et mettions au rang du mal et du vice tout ce qui n'atteint pas la règle de l'honuôtc. Voici je ne sais quelle voix qui sort, n(m de l'école des phi- losophes, mais qui éclate du milieu de la foule, pour condamner les peuples et les nations : « L'hôte n'est pas en sûreté avec son hôle ; le beau-père avec son gendre : l'accord des frères est aussi une rareté : le mari menace la vie de sa femme, la femme celle de son mari. » On va bien plus loin aujourd'hui : les bienfaits sont convertis en crimes, et l'on n'épargne pas le sang de ceux pour qui on devrait verser le sien. C'est avec le glaive et le poison que nous recon- naissons les bienfaits : porter la main sur sa pa- trie, l'écraser sous ses propres faisceaux, c'est Ta la puissance, c'est l'a la grandeur. Tout homme se croit dans une situation obscure, et humi- liante , s'il n'est placé au-dessus de la république. Les armes reçues d'elle sont tournées contre elle, et voici la harangue du général : Combattez contre vos femmes, combattez contre vos enfants : atta- quez, le f'ec est quod hanc tantnm nostram murniurationem putes, pro pessinio piavoque niinieran- tium , (|uidquid cilia reeti foraiulam cccidit. Ecce nescio qui non ex philosophorum domo clamât; ex niedio cou- ventu populos gentesque diuimatura yoi railtilur, Non hospes ab hospite tutus , Non Rocer a genero; fratrmn quo(iue f;ratia rara est : Immiacl exitio vir conjugis , illa niariti. ïlocjam amplius est ; neneficia in scelus versa snnt; et .sanguini corum non parcilur, pro qnibus songuis fun- dendus est. Gladio, ac venenis beoefiiia seqniniui-; ipsi patriic manus affene, et fascibus suis illam premere. potentia ac dignitas est. Humili se ac depresso loco putal stare, quisquis non supra rempublicam stelit. Accpti ab illa eiercitus in ipsam convertuntur, et imperatoria con- cio est: Pugnate contra conjuges, pugnale contra libiTos; aias, focos, pénales, armis incessite. Qui ne triumpha- turi quideni inlrare urbem iujussu senalus deberetis, quibusque exercitum vicloreni reducentibus curia citra muros prœberetur; runc civibus caesis, perfusi cruore cognato, urbem subrectis intrate Texillis.Obmutescal in- ter mililaria signa libertas; et ille yictor pacatorqoe gen- tium populus, remolis procul bellis, omni terrore com- presso , intra muros obscssus , aquilas suas liorreat. XVI. Ingratus est Coriolanus; scro et post scfleris pœnitcnliaui plus posuit aruia , scd in medio parricidio posuit. Ingratus Calilina ; paium est iili capere patriam , uisi verterit , nisi Altobrogum in illam cohortes immiserit, et trans Alpes accilus hostis votera et iugenita odia salia- vcrit , ac diu débitas inferias GaUicis busiis duces Romani persolverint. Ingratus C. Marius, ad consulalum a caliga perduclus; qui nisi Cinibricis cîedibus Koniana funera a'quaverit, nisi civilis exiiii et trucidationis non tantum dederit signum , sid ipse signum fuerit , parum multatam ac repositam in priorcm locum fortuuam suau sentiet. Ingratus L. Sulla^ qui patriam dur:oribus remediis. DES BIENFAITS. 217 infligcrent à sa forlnne ramenée à son premier état. L'ingrat c'est L. Syila; luiquigucrilsa patrie avec des remèdes plus cruels que le danger. Après avoir marché dans le sang bumain, depuis la cita- delle de Préiiesle jusqu'à la porte Colline, il livra la Tille à d'autres combats, à d'autres massacres. Il égorgea deux légions entassées dans une étroite enceinte, ce qui était une cruauté après la vic- toire, un crime api-ès sa parole donnée ! Il fut l'in- veûteur des proscriptions. Grands dieux ! celui qui tuait un citoyen romain , recevait limpuuité Qu'importe ! les autres ont rougi le glaive de plus deiueurtres; mais, une fois rassasiés, ils l'ont dé- posé : César remit bientôt le glaive dans le four- reau, mais il ne le quitta jamais. Antoine fut in- grat envers son dictateur, lorsqu'il proclama qu'il avait été légitimement tué, lorsqu'il livra des provinces et des commandements a ses meutriers; tandis que sa patrie, déchirée par les proscrip- tions , les invasions et les guerres, recevait de lui, après tant de maux, des maîtres qui n'étaient pas même Romains ; elle qui avait rendu aux Achéens, et de l'argent : il ne lui manquait que la couronne ; aux Rhodiens, et 'a plusieurs villes célèbres, l'in- civique. L'ingratc'estCn. Pompée; pour troiscon- I tégrilé de leurs droits, et la liberté avec leurs im- sulats, pour trois triomphes, pour tant de digni- < munités, fut réduite 'a payer tribut à des cuimques. tés, presque touies envahies avant l'ùgc, larecon- ' XVII. Le jour entier ne sufliraitpas pour énu- naissance qu'il témoigne 'a la république, c'est de mérer tous ceux qui ont été ingrats, jusqu "a vou- la partager avec d'autres ambitieux, comme s'il ' loir ruiner la patrie dans ses fondements. Ce se- eûl du diminuer l'odieux de sa puissance en don- ! rait une lâche moindre, si j'entreprenais d'exa- nant à plusieurs un droit qui n'appartenait "a per- \ miner combien la république , a son tour, a été sonne. 11 est ingrat, lorsqu'il ambitionne des com- ' ingrate envers ses ciioy.ns Us meilleurs et les plus mandements extraordinaires, lorsqu'il distribue dévoués, etde prouver qu'elle n'a pas failli moins les provinces pour y faire son choix , lorse procia, alias cordes; legioiies duas, qnod cnideletst, post viclorinni , quud nefis, post ttilcm, in angulo congés as cotitrucidavit, et proscriptinneni coniniciitiis est : dii magni ! ut qui ciTcni Komanumoccidisset, iin|>ui>ilaleni,et pecaniam, tanlum non cificani acciperet. Iiigralus On. Pompeius; qui pro triDus consulatilms, pro triumpliis tribus, pro tôt tioao- ribus. quos ex m^ixima parte immaturus iuTascrat, hanc gratiam re publica; reddidit . ut fu possessionein ejusalios quoi]ue inducerct , quasi polcnli^ sux dctracturus invi- dion.si quod nidli liccre dcbcbat, pluribus liiaisset : dum eitraordinariaconrupiNcil impcria.durn provincias, ut eligat, distribuit;dum iia runi tertioTenipublicam di- Tidit, ut tanien in jua domo dua; partes csscnt, co rede- git populum Roinanum , ut saJTUs esse non pusset, oisi l)eiirficii) servilutis. Ingratus ipse Pompeii tiostis ac Vic- tor a Gallia Gcrinaniaque bcllum in url)eni circunirgit, et ille p!ebic(>la, illc popularis, castra ia circo Flaniinio posuit, propiii» quam Porsennœ fucrant. Tem|)cravit quidem jus crudelitatemque Victoria;; quod diccrc solc- bat , prsstitit - neniinem occidit nisi armatum. Quid crgo est?Ceteri arma cruentius exercuerunt, sali:'ti tamea aliquando abjeceruiy ; hic gladiuni cito condidil , nuu- quant posuit. lugra us .\ntouius in dictatorcni suuni, quem jurecxsum proiiuntiavit. iuterfeclores ejus m pro- viociasct impcriadiuiisit, palriani vero pro»criptiun bus, incursionibus, beh s lacerat^iui, post tôt mala dcslinavit ne Romanis quidem regibus : ut qux Acha'is, RhiHiiis, et plerisquc urbihus Claris jus integruni, lilicrtatenique cuin immuuitale redùiderat, ipsa tributnm spadouibus penderet. XVII. Dcficiel dies cuumeranlem ingrates usque in ultinia patrix cxilii. jïlquc inuiieusuni erit, .^i |)ei'cur- rere ccepero ipsa respublica (|uani ingrata in opiinios ac devolissimos sibi fnerit; quanique non minus saepe pcc- caverit, quani in ipsani peccatuni esl. Caniilluni in e\si- liuni nii.'it; Scipionem diinisit; exsulavit post Catiliu^im Ciciro, diruti ejus pénates, Ixina direpta , factuin quid- quid Victor Calilina fccissel. Itutihus iunocentiu; prelium lulit in Asia latere ; Catoni populus Komauus praturain negaïit, consulatuni pernegavit. Ingrali pul)licc .■.unius. Se quisque iuterroget; ucuio non uhqueni queritnr in- gralum. Atqui non potest lieri, ut omoes querautur, nis'<. quercnduni est de oniuilius. Omiies ergo iiigrati suiit. 218 SÉNÈQUE. sommes tous ingrats. Est-ce là tout? Nous sommes aussi tous cupides , tous envieux , tous lâches , et surtout ceux qui paraissent braves. Ajoute que tous les hommes sont ambitieux, tous impies. Mais il n'y a pas de quoi leur en vouloir. Par- donne-leur : ce sont tous des fous. Je ne veux pas le rappeler des choses équivoques , en te di- sant : Vois combien la jeunesse est ingrate. Quel est le fils assez simple pour ne pas souhaiter la mort de son père ? assez modéré pour ne pas l'at- tendre? assez pieux, pour ne pas y songer? Où est le mari qui craigne la mort d'une excellente épouse , qui ne calcule pas dessus? Où , je te le demande, où est le plardeur qui, après avoir été défendu , conserve le souvenir d'un si grand bien- fait au-delà des soucis du moment? Cela, chacun l'avoue. Quel est l'homme qui meurt sans se plain- dre , qui ose dire , à son dernier jour : J'ai vécu ; j'ai fourni la carrière que le destin m'avait tracée. Qui ne sort de la vie en luttant et en gémissant? Or, c'est de l'ingratitude de ne pas se contenter du passé. Tes années seront toujours trop courtes, si tu les comptes. Songe que le bien suprême ne consiste pas dans le temps; tel qu'il est, il faut en proDter. Il importe peu au bonheur que le jour de ta mort soit prorogé; car le délai ne rendra pas ta vie plus heureuse , mais seulement plus longue. Combien ne vaut-il pas mieux se montrer reconnaissant des plaisirs déjà goûtés; et, au lieu de supputer les années des autres, bien apprécier les siennes, et en faire son profit? Dieu a jugé que je méritais cela! cela me suffit. Il pouvait da- vantage; mais c'est déjà un bienfait. Soyons re- connaissants envers les dienx , reconnaissants en* vers les hommes, reconnaissants envers ceux qui nous ont donné quelque chose ; reconnaissants même envers ceux qui ont donné aux nôtres XVIII. Arrêtez: vous m'engagez indéfiniment, lorsque vous ajoutez ces mots aux nôtres. Mettez- y quelque borne. Celui, dites-vous, qui rend un service au fils, le rend aussi au père. Je vous de- mande d'abord d'où vient ce service , et jusqu'où il va. Ensuite , je voudrais bien être fixé sur cette question : si le service retombe sur le père, retombe- t-il aussi sur le frère, et sur l'oncle, etsurl'aîeul, et sur l'épouse , et sur le beau-père. Dites-moi où je dois m'arrôter , jusqu'à quel point je dois sui- vre celle série de personnages. Si je cultive ton champ, ce sera un bienfait; si j'éteins la flamme qui consume ta maison, si j'étaie celle-ci pour l'empêcher de tomber, ne sera-ce pas un bien- fait? Si je sauve ton esclave, je ferai valoir ce ser- vice ; et si je sauve ton fils . tu ne seras pas lié par mon bienfait? XIX. Vous citez des exemples qui n'ont pas de rapport. Celui qui cultive mon champ, ne rend pas service à mon champ , mais à moi. Celui qui étaie ma maison pour l'empêcher de crouler, n'oblige que moi ; car ma maison n'a point de sen- timent. C'est moi seul qui suis son débiteur , puis- qu'il n'en a pas d'autre. D'ailleurs, celui qui cul- tive mon champ ne prétend pas faire plaisir à mon champ, mais à moi. J'en dis autant de l'esclave; c'est une portion de ma propriété; c'est pour moi qu'on le sauve; c'est donc moi qui dois pour lui. Mais mon fils est susceptible d'être obligé : c'est Tantum?et cupidi oinaes, et maligni omnes , et timidi omaes , illi in primis qui videntur audaces. Adjice et am- bitiosi omnes sunt, et inipii omnes. Sed non est quod irascaris. Ignosceillis, omnes insaniunt. Nolo te ad in- cerla revocare , ut dicam, vide, quam ingratasitjuTenlus. Quis non patri suc supremum diem, ut innocens sit, optât Put modeiatus, cxspeclat?ut plus, cogitât? Quolus quisque uïoris optim» mortcm timet, ut non et compu- tet? Cui, rogo, cui litigalori défense tam magni bene- ficii ultra res proxinias niemoria duravit? lUud in con- fesso est; quis sine querela moritur? quis eitremo die dicere audet : Tixi , et quem dederat cursum tortuna , iieregi ? quis non recusans, quis non gemens exit? Atqui hoc in- grati est, non esse contentum pra;terito tcmpore. Seni- per pauci dies erunt, si illos numeraveris. Cogita non esse summum bonum in tempore; quantunicumquc est, boni consule. Ut proiogetur tibi dies mortis, nihil profi- cit ad felicitatem ; quoniam mora non sit beatior vita , sed longior. Quanto satins est, gratum adversus perceplas Toluptates, non aliorum anuos compulare, sed suos bé- nigne aestimare , et in lucro poncre ? Hoc me dignum jndicafit Deus ! hoc salis est. Potuit plus ! sed hoc quo- que beneficium est. Grati simus adversus deos, grati ad- versus homines, grali adversus eos, qui nobis aliquid praestiterunt ; grati eliam adversus eos, qui nostris prae- stiterunt. XVMI. In infinitum , heus, inquit, me obligas, qunro dicis, et nostris; itaque pone aliquem rinem. Qui fîlio beneficium dat, ut dicis, et patri ejus dat. Primuni unde, quo, qusero. Deinde illud ulique mihi determinari volo, si et patri beneficium datur, numquid et fratri? numquid et patruo? numquid avo? numquid uiori, et socero? Die mihi , ul)i debeam desinerc quousque personarum sériera sequar. Si agrum luum coluero, tibi beneficium dedero: si domum tuani ardentem resliniero , aut ne conddat excepero, tibi beneficium non dabo? Si servum tuum servavero, lilii imputabo; si Qlium tuum servayero, non habcbis beneficium meum ? XIX. Dissimilia ponis exempta ; quia qui agmm meum colit, agro beneficium non dat, sed mihi; et qui dommn meam, quo minus mat, fulcit, priestat mihi; ipsa enim domus sine sensu est. Debitorem me habet, quia nullum habet. Et qui agrum meum colit, non illum , sed me de- nieieri vult. Idem de servo dicam; mei mancipii res est, mihi servatur; ideo ego pro illo debeo. Filius ipse bene- ficii capax est; itaque illc accipit; ego l>enencio tetor ; DES BlEiNFAlTS. 21') donc lui qui reçoit le bieiifait : moi, je m'en rc- si mon fils emprunte de l'argent, je paierai son jouis, j'en suis touchc;mais je ne suis pas obligé, créancier, et cependant je ne devrai pas mol- le voudrais cependant , toi qui penses ne rien de- même ; parce que , si mon flis est surpris en adul- voir. que lu me répondisses : La santé du Dis, son tèrc , j'en rougirai , sans être moi-même adultère, bonheur, son patrimoine concernent-ils le père? Je dis que je vous suis obligé pour mon fils, non Sera-t-il plus beureux , s'il conserve son fils ; plus parce que je le suis , mais parce que je veux m'of- Dialhcureux, s'il le perd? Quoi donc! Celui qui, frir à vous comme débiteur volontaire. Toutefois, par moi , devient plus heureux , et que je mets "a de sa conservation résulte pour moi un grand con- l'abri du plus grand des malheurs, ne reçoit pas lentement, une grande utilité ; elle m'épargne la de bienfait? Non, répondez-vous; car les avan- cruelle blessure que m'eijt causé sa perte. Il ne lages procurés à d'autres, peuvent bien s'étendre s'agit pas ici de savoir si vous m'avez été utile, jusqu'à nous; maison ne peut les mettre sur lo mais si vous avez été mon bienfaiteur. Car, on compte que de ceux auxquels ils sont procurés, retire de l'utilité des animaux , et des pierres , et De même l'argent n'est redemandé qu'à celui desplantes ; on n'en reçoit pascependanldebien- auquel il fui prêté, de quelque manière qu'il fait, car le bienfait ne peut venir que de la vo- puissem'être parvenu. Il n'v a point de bienfaits lonté. Or, vous avez voulu donner, non au père, dont les fruits ne se fassent sentir'a ceux qui vous mais au fils ; quelquefois vous ne connaissiez pas le environnent , quelquefois même 'a ceux qui sont père. Ainsi , à cette question : N'ai-jc donc pas été placés loin de vous. H ne s'agit pas de savoir où va le bienfaiteur du père, en sauvantson (ils? opposez le bienfait, 'a parlir de celui qui l'a reçn, mais où cette autre : Ai-je donc été le bienfaiteur du père, d'abord il a été placé. Tu n'as d'action que contre que je ne connais pas, auquel je n'ai pas songé? un coupable, et cette action est toute personnelle. Que sera-ce si, ce qui arrive quelquefois, vous Mais, je te prie, ne dis-tu pas : Vous m'avez haïssez le père, et vous sauvez le fils? Vous pré- rendu mon fils; s'il eût péri , je ne lui aurais pas ; senterez-vous comme le bienfaitenr de celui dont survécu. Ne me seras-tu pas redevable pour sa ! vous étiez le plus cruel ennemi, lorsque vous vie, que tu préfères "a la tienne? Cependant, lors- ' l'obligiez? Mais, renonçant a la discussion dialo- que j'ai sauvé Ion fils, tu es tombe 'a genoux, tu guéc, je déciderai en jurisconsulte, qu'il faut re- asremercié les dieux, comme si tu étais sauvé loi- garder l'intention de celui qui donne. Il a donne même. Tu as4aissé échapper ces paroles : Il n'y a à celui à qui il voulait donner. S'il l'a fait en cou- pas de différence entre me sauver et sauver les sidéralion du père, c'est le pèrequi reçoitle bien- miens : vous avez sauvé deux personnes; que dis- fait; mais le père n'est pas lié par le bienfait ac- je? vous m'avez sauvé plus que moi. Pourquoi ces • cordé au fils, quand même il eu profite. Si cepen- paroles, situ ne reçois pas de bienfait? Parce que, I dant il en trouve l'occasion , il voudra aussi faire coollngor, non obligor. Velim Uimcn , lu qui dcl)ere non ■putas, rcspoDdeas niihi : Filii lion.l vaictudo, fclicilas, palrimonium , perlinct ad patrrm ? felicior tatiinisest, »i salvum liabuerit filiuin , inrolicior, si aniiscrit? Quid ergo? qui et felicior sit a me , etiurrlicilalis maxinis pe- riculo Iberalur, non sccipit l)enelicium ? Non , inqull; qaxdam enim in alios conferuntur, sed ad nos us(|ue por- manant; al) eo anlom ejigi quidque del)ol, in queni con- fertur; sicul pecunla ab eo pelitur, cui crédita est , quam- visad me illa aliquo modo Tencril. ISullum benrflcium est, cujus comtiiodum non et proxtnios langat, nonnun- quam etiam longiu» positos. Non qua;rilur, qno liencli- ciumabeocui datum est, transferalur, sed ubi primo collocetur; a rco libi ipso et a capile repelilio est. Quid ergo? oro te, non dicis. Filiuni mihi dnnasli, et si bic perisiet , Tirturus non fui? proejus Mta lienellrium non debe», cujus ïilam luœ prœfers? Etianinuncquum fdium tnum servati, ad gcnua priicuml>is , diis vota soItIs, tan- qnam ipse servatus. Illae Toces eieunt tll>l ; nihfl inler- est, mea an me servaferis; duos lervasti; iramo me roagis. Quare>ista dicis, si non accipi.'< beneHcium? quia cl si niius meus pecuniam muluam suniserit, crcdilori uunicrabo, non tamen ideo ego dvbucro; quia cl si fi- ; lins meus in adullerio deprehensus erit , ei'ul>cscam , non ideo ego ero aduller. Dico me tibi obligatum pro filio, non quia sum, srd qdia volo me offerre tibi debilorcm j volunlarium. At pervenit ad me siiiimia ex incolumitate I ejus voluplas , summa ulilitas,et orbitatis gra?issimum Tulnus efrugi. Non quœritur nnnc, an profueris niihi, sed an beneficium dederis; prodcst coini et animal, et lapis, et hcrba ; nec tamen beneflcium dant , quod nun- quam datur, nisi a volente. 'l'u auleni non vis pairi , sed niio dare; et intérim ne nosti quidem patrem. Itaque quuni dixeris , l'atri ergo benelicium non dedi , Olium ejus servando? contra oppone, l'alri ergo t>ericncium dedi, qnem non novi, quem non cogitavi? Et quid quod ali- quando e»enit , ui palrem oderis, filium serves 'C benefi- cium ci Tideberis dédisse, cui tune jnimicissinius eras, quum dares? Sed ul , dialogorum allercalione scposita , tanquam jurisconsultiis respondeam , uiens spectanda est dantis. Beneficium ei dédit, cui datum voluit. SicUt si in palris bonoreni fecit, pater accepit beneficium; sed pa- ter bencGcio in filium collato non obligatur, etiam si frui- tur. Si tamen occasionem liabuerit , volet et ipse pra- starealiquid; non tani|uam sulvcndi uecessilatem habcat) sed tanqiiain incipiendi cau.sam. Kepcli a |>atre bcucO- 220 SLNEQUE. quelque chose, non qu'il se croie dans la nécessite de s'acquitter, mais parce qu'il aura un motif pour commencer. On ne peul exiger nul retour du père : s'il rend quelque service en considéra- tion de celui-là , c'est de la justice, non de la re- connaissance. Car ce serait 'a n'en pas finir : si j'oblige le père, j'oblige aussi la mère, et l'aïeul, et 1 oncle, et les enfants, elles alliés, et les amis, et les esclaves, et la patrie. Où donc le bienfait commcncc-t-i! a s'arrêter? On tomberait dans cet insoluble sorite, auquel il est difficile de fixer un terme, parce que, se traînant pas "a pas , il ne cesse de gagner du terrain. On pose souvent cette ques- tion : Deux frères sont ennemis; si j'en sauve un, suis-jc le bienfaiteur de l'antre, qui veria avec peine qu'on n'ait pas laissé périr un frère qui lui est odieux? Il n'est pas douteux que ce ne soit un bienfait d'iMre utile à un homme, même mal- gré lui ; de même que ce n'est pas un bienfait de lui être utile malgré soi. XX. Quoi! dit-on, vous appelez bienfait une action qui affiige, qui tourmente? Bi-aucoup de bieiifiitsontdes dehors tristes et rigoureux : ainsi, le médecin coupe , brûle, attache pour guérir. Il ne faut pas considérer si on se plaint en recevant un bienfait, mais s'il doit réjouir par la suite. Un denier n'est pas mauvais, parce qu'un Bar- bare, qui ne connaît pas le coin public, l'aiiia refusé. Un bienfait a déplu , et cepoiulant il a été accepté : pourvu qu'il soit utile, pourvu qiie(c- lui qui donnait ait voulu qu'il fût utile, il im- porte peu qu'une bonne chose soit reçue de mau- vais cœur, lletourne la proposilion. Cet homme hait son frère ; mais il lui est utile de l'avoir. Je tue ce frère; ce n'e.st pas un bienfait, qnoii|u'il le regarde comme tel, etqu'il s'en réjouis.se. C'est nuire en traître que de se faire remercier du mal que l'on fait. Je comprends. Une chose est utile: alors il y a bienfait : elle est nuisible , alors il n'y a pas bienfait. Mais voici qui n'est ni utile, ni nui- sible, et qui cependant est bienfait. Je trouve mort le père de quelqu'un , dans un endroit écarté ; je l'ensevelis : je n'ai rien rien fait d utile pour lui; car p<'u lui importait de quelle manière il devait se dissoudre; ni pour le fils; car quel avantage en résultait pour lui? Je vais le dire ce qui en résultait. Il s'est acquitté par mes mains d'un devoir solennel et nécessaire. J'ai fail pour sou père ce qu'il aurait voulu, ce qu'il aurait dû faire lui-même. Cependant, pour que ce soil uu bienfait , il ne faut pas qu'il soit accordé 'a la com- passion , a l'humanité qui m'engage "a recouvrir un cadavre quelconque : il faut que j'aie reconnu le corjis, que j'aie songé que je faisais cela pour le fils. iMais si j ai jeté de la terre sur uu mort in- connu , je ne lie personne par ce service; j'accom- plis un devoir envers le pulilic. Mais pourquoi, diia-l-on, tant desoins pour savoir il qui tu donnes, comme si tu devais un jour redemander? Il y a des philosophes qui pensent qu il ne faut jamais redemander ; voici leurs rai- sons. L'homme indigne du bienfait ne rendra pas mêiiie quand on lui redemanderait : l'homniequi en est digne rapportera de lui-même. Uailleurs, si tn as donné à un homme de bien, atteuds; ne lui fais pas l'injure de réclamer, comme s'il ne devait I)as rendre spontanément : si lu as donné à un mé- chant, portes-cn la peine. Ne déshonores pas loo cium non del)el;si qiiid pro hoc bénigne f.icit, jnslus, non grains est. !Sam illud finiri non polcst ; si patri do bcnelicium , et nialri, et avo, et avuncnlo, et lil)iris, et affin bos. et anrcis, et servis, et p;iliia' L'Iii erjro b.ne- (iciuni iiicipit stare? Sorties enim i!te inexplicdiilis suliit, cui difficile est inodiini iiiiponere, quia paulaliniisuiTe- pit, et non desinil serpere. Illud solet (|ua;ii : Fralres duo dissident; si al'erum servo , an deni tieneficinni ei , qui fiatreminvisuni non periivse moleste lalnrusesl? INdn esldul>iuiii, quin benetlcium sil eiani invilo prodesse ; sicut non dodit l)eneficiuni, qui invitus profuit. XX. Benenciiiin, in(|uit, vocas, quo ille offenditur, <;uo lon|uetur? Multa bénéficia tristcni fronlcm et aspc- ratn hal)ent, queniadmo lum secarc et urej e ut sanes. et vincnlis coeicere. Non est speclanduni, an doleat qnis beneficio accepto , ted an gaiid re debeat. Non est miilus denarius, queni barbarus et ignarus foruiiu pulilicae re- jecit. Beueficiuni et od t, el aceef il; si modo id pnidest, si isqui dabal, ut prode^set dedil, iiibil releit an Imnani rem inalo aiiiuio quis accipial. .^gedoiu, lioc in coutra- riuni verte. Odit Iratieni stnini , qiu m illi exiwdit ha- bcre^ liunc ego occidi; non est lieiieficiuin, quainvis ille dicat esse, et gaudeat. Insidiosissime uocet, cui gratiae aguijtur pro injuria. Video. Prodesl aliqua rcs.etideo l)eneticiuin est; uocet, et ideo non est lM;oeficiuiu. Ecce quod nec prosit , uec uoceat , dabo ; et lanieu beneficium (SI. Patrciu alicujus in solJluduie exauiiiiem iiiïiui, cor- pus ejus scpeliïi; uec ipsi piofui, quid euiiu illius iutei'- erjt, quo j;enere dilalierelur ? nec lilio.quid eniiii per nue coniniodi accessit illi ? Dicaui quid cousccu;us sit : officio soif uiui et uecèssario per me lunctus esl. Pra'slili p;itri ejus, quod ipse pra'staro voljisset, nec non el »le- buisset. Hoc tameu ila l)eneficiuni est, si non niisericor- dia; el bumauitat! dedi, ut qui)dlibet cad ver aljscoudc- rein ; si d si corpus aguovi , si lilio tune hoc [iiastare nie coRit ivi. Al si terrani ignoto nioriuoiujeci , uultuui b^ibeo hujus oflicii dtbitoreni , in pul)licum bumonus. Uicet ati- quis, quid tantopere qua-ris, cui dideris beneficium, tan |uaui repe.ituius aliquando? Sunt qui nunquaniju- dicaul esserepetendum, et lias causas atferunt. Indiguus etiaiii lepetenti non reddet, dignus ipse per se refeict. Pra'terea si bono viro dedisti , exspecta ; ne injuriaui illi facias appellando, lauquam uon fuisset sua six)ntc reddi lurus; si nialo Tiro dedisti, plectere, Beneficinm verbo DES BIENFAITS. v)2i bienfait par un antre nom, en en faisant une dette. Daillenrs, quand la loi n'ordonne pas de rede- mander, elle le défcn('. Tout cela est vrai : tant que rien ne me presse , tant que la fortune ne m'y oblige pas, je demanderai plutôt un bienfait que je ne le redemanderai ; mais s"il s'agit de la vie de mes enfants , si ma femme ejt ex|U)sce a quelque péril , si le salut et Ja liberté de la patrie me for- cent d'aller où je ne voudrais pas , je commande- rai "a ma répugnance, et je prouverai que j'ai tout fait i)our me passer des secours d'un ingrat. A la fin, la nécessité de recouvrer mon bienfait sur- montera la honte de le redemander. Ensuite, lors- que je donne "a un homme de bien , je lui donne comme si je ne devais jamais lui redemander, à moins d'y être contraint. XXI. Mais la loi, dit-on, en ne permettant pas d'exiger la restitution, le défend. Beaucoup de choses n'ont pour elles ni loi, ni action , et l'usa- ge, plus puissant que toute loi, lésa consacrées. Au- cune loi n'ordonne de garder les secrets d'un ami. Aucune loi ne prescrit d'être fidèle "a sa parole , même envers un ennemi. Quelle loi nous oblige de donner à quelqu'un ce que nous lui avons promis? Cependant je me plaindrai de celui qui n'aura pas respecté une conlidence secrète , et je m'indigne- rai de voir manquer "a une parole donnée. Mais , dit-on, c'est faire du bienfait une créance. Point : car je n'exige pas; je redemande; et même je ne redemande pas, je ne fais qu'avertir. La dernière nécessité ne me poussera pas "a recourir a un homme avec lequel il me faudra longtemps lutter, s'il est assez ingrat pour qu'un avertissement ne lui suffise point, je passerai outre, et je ne le jugerai pas digne d'être contraint à la recon- naissance. De même qu'un créancier n'assigne pas certains débiteurs qu'il sait avoir fait banijue- route, et chez lesquels il ne reste plus d'honneur a perdre; de même je laisserai de côte certains in- grats affichés et endurcis , et je ne redemande- rai jamais un bienfait 'a celui dont il me faut l'ar- racher, non le recevoir. XXII. Il y a beaucoup d'hommes qui ne savent ni désavouer ce qu'ils ont reçu , ni le rendre; qui ne sont ni assez bons pour être reconnaissants, ni assez méchants pour être ingrats ; indolents et en-» gourdis, payeurs tardifs, mais non insolvables. Ceux-I'a je ne les sornlx) pu- dori meo , et testalior oninia nie fecisse , ne opus esset mihi autili» honiinis ingrati; novissinie rrcipiendi benc- Bcii necessit.u repetendi vcrecundiam vinrel. Dciiide, qamn bono viro beneOcium do , sic do, tanquam nuii- qoam repelilunis , nisi necesse fuerit. XXI Seà lex.inquit, non peiiiiittendoeiigerc.Tctnit. Mulla Ipgcm non lial)ent , nec aciioncm ; ad qui» consue- tndo vila; tiumana", lege omni valenlior, d,it aditum. Knlla lei jul)«l aniicorum sécréta non eloqui ; nulb Ici fidcm etiam inimico pra-stare. Qua- lei ad id prxslan- diim nos qnod alicui prnniisimiis , alligat? Querar lamen cum co i|ui arcaniim scrmonem non conlinuerit , et fidcm datam , necservatani , indignabor.Scd ex beneficio, in- qoit, l'reditum faci». Minime; non cnim exigu, sed re- pelo; et ne rcpeto quidem, sed admoneo. ISc ultima qni- dem nécessitas in hoc aget, ut ad enm veniam, ciini quo diii niihi lurtiindum .sit. Qui tam ingr,itui est, ut illi non sit s-ntis admoncri , eum transibo, nec dignum jndical)o , qui gratus esse cojatur. Quomo lo fœnerator qiiosdam dcbilores non appellat, quossiit deroxisse, et in quorum pudorem nihil snpercil, quod pereat; sic ego quosdam ingrates palam ac pertinaciter pra-teriio, nec ab ullo bcneflcium repelam, nisi a quo non ablalurus cro, sed recppurus. XXII. Multi sîint, qui noc negare sciunt , quod acce- penint, nec rcferre: qui nie tam boni sunt quani grali, nec lam in.ili qmm ingrati , segnes et tardi , li nia nomina, non iiiala. Ilos ego non appdlabo , sed commonef ci.iin , et ad offirium nliud agrntes cduram , qui staliui inibi sic respondebiint : ignosce , non niehercule scivi hoc te dcsider.ire , alioquin ultro obtuliaseni. Rogo ne nie in- gratum existimes; meniiui quid niibi pra'sliteris. Ilos ego quarcdubilcm et silii iiieliores et mihi f,iccre?yuem- cumque poluero, peccarc probibebo, niiiUo niagis ami- cum, et ne percet, et ne in me polissimiin peccet. Al- terum itii Itcneficium do, si illuni ingnilurn esse non pa- lior ; nec dure illi exprobial)0 qua; piasliti , sed qiiam potcro mollissimc, ut poteslalem refercnda- graliae fa- ciaui , renovabo raemoriani ejns, et petam beneflcium; ipsc me repclere intelliget. Aliquando utar verbis dunu- 222 SÉNÈQUE Car, s'il est désespéré , je ne le tourmenterai pas pour cela , de peur que son inimitié ne vienne s'ajouter a son ingratitude. Que si nous épargnons aux ingrats l'affront des avis, nous les faisons plus nonchalants à rendre. Mais ceux qui peuvent être guéris, qui peuvent devenir bons, si quelque chose les pique, les laisserons-nous périr faute de ces avis , par lesquels un père a quelquefois réfor- mé un Cls, une épouse ramené un mari égaré, un ami ranimé l'affection languissante de son ami? XXni. Pour réveiller certaines gens, il n'est pas besoin de les frapper, mais de les secouer : de même, dans certaines âmes, les souvenirs de la reconnaissance ne sont pas éteints, mais assoupis : réveillons-les. Ne vas pas changer ton bienfait en injure. Car c'est une injure , si tu ne redemandes pas afin de me faire ingrat. Ne puis-je ignorer ce que tu désires? Ne puis-je être engagé par d'autres occupations, détourné par d'autres objets, et per- dre ainsi l'occasion de rendre? Montre-moi ce que je puis, ce que tu veux. Pourquoi désespères-tu avant de m'éprouver? Pourquoi t'erapressser de perdre un bienfait et un ami? d'où sais-tu que c'est refus ou ignorance, mauvaise volonté ou im- puissance? Mets-moi à l'épreuve. J'avertirai donc, sans amertume, en secret, sans invective , de manière à ce qu'il croie ren- trer dans ses souvenirs , non y être rappelé. XXIV. Un certain vétéran, accusé pour quelques violences exercées contre ses voisins, plaidait sa cause devant le divin Jules , et son procès tournait mal. — «Voussouvenez-vous, général, dit-il, d'une entorse au talon que vous vous donnâtes en Es pagne, près du Sucron. » César dit qu'il s'en sou- venait.— ]>Vous souvenez-vous encore, continua-t- il, que voulant vous reposer, par un soleil très-ar- dent, sous un arbre qui ne donnait que très-peu d'ombre, le seul qui eût pu croître parmi les ro- chers arides dont le sol était hérissé, un de vos compagnons de guerre étendit sous vous son man- teau?»—«Commentne pas m'en souvenir, répondit César. Je me souviens même que, dévoré de soif, et ne pouvant me transporter jusqu'à une source voisine, j'allais m'y traîner sur les mains, lors- que le soldat, homme fort et vigoureux, m'ap- porta de l'eau dans son casque.» — «Pourriez-vous donc, général, reconnaître l'homme ou le casque?» César dit qu'il ne pourrait reconnaître le casque, mais que pour l'homme il le reconnaîtrait très- bien : et il ajouta , un peu piqué, je pense , de le voir interrompre l'information par une vieille his- toire : « A coup sûr tu n'es pas cet homme-là.» — 0 Vous avez raison, César, dit-il, de ne pas me re- connaître; car à cette époque j'avais tous mes membres. Depuis, j'ai perdu un œil à Munda, et on m'a retiré quelques os de la tête. Vous ne recon- naîtriez pas davantage le casque, si vous le voyiez, car il a été fendu en deux par un glaive espagnol. » César défendit que l'affaire allât j)lus loin, et fit don h son soldat des champs que traversait le chemin vicinal , cause de la querelle et du procès. XXV. Et pourquoi donc n'aurait-il pas rappelé ce bienfait h son général, dont les souvenirs étaient confus au milieu de tant d'cvéuements . et au- ribus, si emendari itlum spcravero posse; nam deplora- tum propter hoc quoque nnn eiagital)o, ne ex ingralo inimicutn faciam. Quodsi admonitionis quoque suggilla- tionem ingratis remiltimus , srgniores ad reddenda l)ciie- ficia facieiiius. Quosdam ïero sanaltiles el qui fieri l)oni possunt, si quid illos niomonlerit , pcrire paticmur, ad- monitione sublata , qua et pater filium aliquando corrcxit, et uxor maritum aberrantem ad se reduxit, et amicus languentem amici lidem erexil? XXIII. Quidam ut expergiscantur , nonferiendi, sed conimoTendi sunt ; codera modo quorundam ad rcfcreu- dam gratiam fides non cessât, sed langue! ; hanc per- ïdlamus. IS'oli munus tuum iu injuriani Terterc. Injuria est enim, si iu lioc non repelis, utingralus sini. Quid si ignoro , quid desidcres ? quid si occupationilms distiictus , et in alla vocalus, occasionem non observavi? ostende niitii quid possim, quidvelis. Quaredespens, antequaiu tentas ? Quare properas et beneficium , et amicum , per- dere? Unde scis, noliin, an ignoreni; aninuis, an facut- tas desit initii? experire. Adinonebo eigo, non aniarc , non palam, sineconvicio; sic, ut se redisse in mcnioriaui, non reduci putet. XXIV. Causani dicebat apud divum Julium ex vete- ranis quidam paulo violentior advcrsus vicinos suos,et causa premebatur. Meininisti, inquit, iuipeiator , in Ilis- pania taluni te torsisse circa Sncronem ? Quum Cssar lueniinisse se dixisset : Meininisti quideni , inquit , sub quadam arbore minimum umbrée spargente, quum Telles residere ferTentissimo sole , et esset asperrimus locus , ia quoex rupibusacutisunicaillaarboreruperat, quemdam ex commit itonibus penulam suam substravisse. Quum dixisset Ca-sar : Quidni meniincrim ? et quidem siti con- teclus, quia impedilus ire ad funtem proximum non po- terain, repère raanibus Tolebam , nisi commililo, bomo fortis ac slrenuus , aquam mibi in gatea sua attulisset. Potes ergo, inquit, imperator , agnoscere illuni bomi- neui , aut tllam gateam? C^sar ait, se non posse galeam agnoscere, houiinem putchre posse; et adjecit , puto ob hoc iratus , quod se a cognitione média ad Teterem fa- bulam adducoret ; Tu ulique ille non es. Merito , inquit, Cœsar, nie non agnoscis : nam quum hoc facluni e.'sl, in- tcgcr erain , postea ad Mundam iu acte oculus mihi ef- fossus est, et in capiie lecl;i ossa. ^ec galeam illani si Ti- deres agnosceres ; machasra euini Hispana divisa es;. Ve- luit illi cxhibere ncgo;ium Caesar; et agellos, in quibu» viciualis via, causa rixa: ac litium fucrat, uiiiiù suo do- navit. XXV. Quid ergo? non repeteret beneficium ab impe- ratore, cujus menioriam multiludo rerum confuderat? quem lortuna ingens , cxercilus disponcutem , non patie- DES BIENFAITS. quel sa haute fortune et toutes les armées dont il disposait, ne permettaient pas de songer à chacun de ses soldats? Ce n'est pas la redemander un bienrait , mais le reprendre après l'avoir placé en lieu sûr et disposé pour l'occasion : mais cepen- dant pour le prendre, il faut étendre la raain. Je re- demanderai donc, soit que je le fasse par nécessité, soit dans l'intérêt de celui auquel je redemande. Quelqu'un parlant à Tibère César, lui dit au commencement de son discours : • Vous souve- nez-vous » et il allait lui raconter quelques traits de leur ancienne amitié : « Je ne me souviens pas, dit Tibère, de ce que j'ai-été. » Pourquoi, a un tel homme, rappeler des bienfaits? C'est l'oubli qu'il fallait souhaiter. Il fuyait les souvenirs de tous ses amis, de tous ceux de son âge; il voulait que l'on ne considérât que sa fortune présente, qu'elle seule occupât, qu'elle seule fût racontée. lin vieil ami était pour lui un espion. Il faut plus d"a-propos pour redemander un bienfait, que pour le demander. Les mois doivent être si mesures, que même l'ingrat ne puisse dis- simuler. Si nous vivions au milieu de sages, il faudrait se taire et attendre : et cependant, même aux sages, il vaudrait mieux exposer co qu'exige l'état de nos affaires. Nous prions les dieux, à la connaissance desquels nulle chose n'échappe , et nos vœux les fléchissent moins qu'ils ne les aver- tissent. Le prêtre d'Homère rappelle aux dieux le mérite de ses fouclioDs, et le soin religieux qu'il a de leurs autels. Aimer les avis, en profiter, et obéir pour méri- ter de la complaisance est une vertu secondaire. Ils sont rares, ceux en qui l'âme est son meilleur guide, ei qui n'ont besoin que d'un léger mouve- ment du frein pour être dirigés de cftté et d'autre. Appèseuxviennentceux qui, avertis, rentrent dans la voie. Ceux-là, il ne faut paslospriverde guide. Même dans les yeux fermés , la vue subsiste ; mais elle ne s'exerce pas : c'est la lumière envoyée par les dieux , qui rappelle l'organe à se» fonctions. Les outils sont inutiles, si l'artisan ne les applique à son ouvrage. De même la bonne volonté subsiste dans les âmes : mais elle sommeille soit dans la mollesse et l'oisiveté, soit dans l'ignorance du devoir. Il faut l'utiliser : et, au lieu de l'abandon- ner par humeur au vice , supporter avec indul- gence les fautes d'une mémoire fugitive , comme les maîtres qui enseignent aux enfants. El de même que, souvent, l'aide d'un mot ou deux ra- mène toutle fil du discours "a réciter, ainsi un aver- tissement suffit pour réveiller la recoauaissance. LIVRE SIXIEME. I. Certaines questions, mon cher Libéralis, ne sont propres qu'à exercer l'esprit , et sortent des faits ordinaires de la vie. Il en est encore d'autres qui plaisent quand on les recherche, et prolilcnt quand on les a résolues. Je vais t'en présenter une foule de toutes sortes. C'est à loi , selon qu'elles te conviennent , a m'ordonncr de les trai- ter à fond , ou de les faire paraître sur la scène pour en montrer l'étendue. Celles même que lu me diras d'écarter aussitôt, ne seront pas sans profit : car il est bon de connaître même ce balurjingulù militibos occnrrere? Non est hoc rcpctere beDeOdiim , sed resamere l)ono luco posilum , et paratum; ad qnod Ismi d ut sumalur , maans porrif^eoda est. Répé- tant itaqne, quia boc aut necfssilale facturas ero, aut illias causa, a quo repotain. Til>erius Cxsar iuter inilia dicenti cuidam , Meminisli , anieqnam piuret notas fnmi- liaritabs yeteris proferret : Non mcmini , inquil , quid fuerim. Ab bocquidni non essetrepeteoduni Ijenedcium? optanda erat oblivio. ATersabatur omoiam amicorum et squalinra notitiam , et illam solam prxseatem fortunam suani adspid , illam solam cogitari ac narrari volehat ; ioqtiisitorem babebat Telerem amicum. Magis lempestive repcteudum est bcnenciiim, quam pctendum. Adbîbenda T'erbonim moderalio, ut nec ingratns possit dis^imulare. Taceodum el eupcctandum , si inler sapientes viTere- rous; et lameu sapientibns quoque indicare melius fuis- set, quid rerani nostraram status posceret. Deos, quo- rum notitiam nulla re» efrugit , rogainus ; cl illos Tota non eiorant, sed adnionent. Dii* quoque, inquam , Ho- mericus ille sacerdos allegal ofllcia , el aras religiose cul- tas. Moneri Telle ac posse , secundo t Irtn» est , el quo ob- sequeoles Cactis , parère. Hue illuc fra^nis! éviter motis flectendus est paucis aolmus, sui rector optimus. Proiimi sunl, qui admonili in viam redeunt. Ilis non est dm dc- trahendus. Opertis ficulis inesl acies , sed sine usu, quam lumen a diis immissum ad ministcria sua eïocal. Instru- menta cessant, nisi illa in opu.« suum arlifex nioverit. Inesl intérim animis Toluntns bona ; sed Inrpet, modo deliciis ac silu , modo offlcii inscitia. Ilanc ulilem lacère debemus; nec irali relinqucrp in vitio, sed ut magistri pueronim discentium, patienter ferre offeusationes me moriae labentis. Qua; , quemadmodum saepe subjecio uno aul altero Terbo , ad contextum reddenda; orationis ad- ducla est , sic ad referendani graliani admonitione revo- canda est. LTBER SEXTUS. I. Quaedam , Libéralis, virorum optime. eiercendi lantum ingcnii c^usa qD,Trunlur , et seniper extra vitam I jacenl; quadam el dum qiixranUir, (ilileclamenlo ^unl, 1 et qua^sita usui. Omnium lilii copiam faciani; tu illa ul- j cunque tibi Tisum eril. aut peragi jubeto. aiit ad expli- candum ludoruni ordinem induci. Ili qii(i<|ue, si abirr 2-24 SENEQUE. qu'il est inutile d'apprendre. Je vais donc me gui- , III. C'est un beau mot, selon moi, que le poêle der sur ton visage, et selon ce qu'il m'aura con- ' Rabirius fait dire a M. Antoine, lorsque voyant seillé, je m'arrêterai plus longtemps sur certaines que sa fortune se porte ailleurs , et qu'il ne loi questions, j'en rejetterai d'autres , et les mettrai reste plus que le droit de mourir (et encore au néant. fallait-il qu'il se bâiât d'en user) , il s'écrie : o Je II. Ou demande s'il est possible de reprendre n'ai plus que ce que j'ai donné. » O que de choses un bienfait. Quelques philosophes le nient, parce il pouvait avoir, s'il eût voulu ! Voila les richesses que le bienfait n'est pas une chose , mais un acte ; assurées qui , malgré toute l'inconslance des des- de même que le don n'est pas la donation , le na- | linécs humaines, restent toujours dans les mêmes vigateur n'est pas la navigation : et quoiqu'il n'y ait : mains: et plus elles seront accumulées, moins elles pas de malade sans maladie , cependant le malade exciteront d'envie. Pourquoi les ménager comme n'est pas la même chose que la maladie : ainsi si elles t'appartenaient? tu n'en es que le régis- autre chose est le bienfait , autre chose l'objet qui seur. Tous ces biens qui vous gonflent d'orgueil , nous est acquis par le bienfait. Le bienfait est in- qui vous transportent au-dessus des choses humai- corporel et ne peut être annulé; mais la matière nés, vous fonloubliervolre faiblesse, cesbieiisquc, du bienfait se transporte de côté et d'autre, et les armes à la main, vous gardez sous des portes change de maître. Aussi, quoique tu reprennes, : de fer, ces biens ravis avec le sang d'autrui, de- la nature ne peut pas révoquer ce qu'elle a donné. I fendus par le vôtre , pour lesquels vous lancez les Elle interrompt ses bienfaits, mais ne les anéantit ] fluttes qui vont ensanglanter les mers, pour les- pas. Celui qui meurtacependantvécu;celiiiquia j quels vous ébranlez les villes, sans savoir combien perdu les veux a cependant vu. On peut faire que ; de traits la fortune amasse contre ceux qu'elle va les choses qui nous parviennent ne soient pas ; on trahir ; pour lesquels les liens qui vous unissaient ne peut faire qu'elles n'aient pas été. Or, une por- : à un allié , ii un ami , a un collègue , ont été tant tion ilu bienfait , et même la plus essentielle , est J« fois brisés ; pour lesquels le monde entier a été ce qui en a été. Quelquefois on peut empêcher une broyé dans le choc de deux rivaux ; tous ces biens plus longue jouissance des bienfaits, on ne peut effacer le bienfait lui-même. Quand la nature sou- lèverait toutes ses forces, elle ne saurait revenir en arrière. On peut reprendre une maison , de ne sont pas à vous. Ils vous ont été remis en dé- pôt, et déjà ils attendent un autre maître, déj'a ils sont la proie d'un ennemi, ou des sentiments ennemis d'un successeur. Sais-tu comment lu peux l'argent, un esclave, enfin tout ce qui a porté le te les assurer? En les donnant en don. Consulte nom de bienfait; mais lui demeure constant et ; donc ton intérêt, et prépare toi une possession immuable. Nulle puissance ne peut faire que l'un certaine et inattaquable de ces richesses, que tu n'ait pas donné, que l'autre n'ait pas reçu. I vas rendre non-seulement plus honorable, mais protinus jusseiis , nonniliil acium crit : nam ctiam quod disccre supcrvacuum est, proilest cogiioscere. Ex vultu igitiirtuo peniit'bo, prout illesuasciitiiiihi : alia detiuelw diutius, alia expellam, et capile again. II. Au l)encficium cripi possit, qua?silum est. Quidam negautposse; non cnini res est, sed actio : quouiodo aliiid est iiiunus , aliud ipsa doualio, aliud qui uavigat , aliud uavigalio. Et quamyis aeger non sit sine moibo , non tauien idem est aegcr et moibus : ila aliud est bcne- ficium ipsum, aliud, quod ad unumqueui(|ue uostrum bcneficio pervenit. Illudincoipoiale est, iiriium non sit; nialeria vero ejus hue et illuc jaclatur , et domiuuni mu- tât. Itaque quum eripis, ipsa rerum nalura revocare qund dédit non polest. Bénéficia sna inteirumpit, non rescindil. Qui moritur, tiimen vi.tit : qui amisit ociilos, tamen vidil. Qua; ad nos pcrTenernnt , ne sint , eflici po- test ; ne fuerint , non potest; p;,rs auteni benelicii et nui- deni certissinia est , qua' fuil. Nonnunquam usu bene- ficii longiore prohibemur, l)eneficium quidem ipsum non eraditur. Licet onines iu liuc vires suas natuia ad- Tocel , retro illi agere se non licet. Potest eripi do- nius, et pecunia.ct niancipium, et quidquid est, in que ba'sit beneflcii nomcn; ipsum vero stablle et inimotum est. Kulla vis efriiiet , ne hic dederit , ne ille acceperit. III. Egregie niibi Tidetur M. Anion us apud Rabirium poetam, quum furtunam suam transeuntera alio videat, et sil)i nihil relicîum , praeter jus mortis, id quoque si cilo occupaverit , exclamare ; Hoc hatieo, quodcunque dedi ! O quantiun habere potu t . si voluissel ! Hae sunt divitia; ceit», in quacnuque sortis humanœ le\itatcuno loco permansurae ; qus quo majores fuerint, hoc mmo- remh:d)ebunt invidiam. Quid tanquam tuo parcis? Pro- eurator es. Omuia isia qua; vos tuniidos , et supra hu- mana elatos oblivisci cogunt vestrae fragililatis , quae fer- reis claustris custoditis arinati , quas ex aliène sanguine rapla vestro defenditis; propterquac classes cruentaluras maria deducitis, propter qua^ quassatis urbes, ignaii , quantum telorum in adverses forluna comparet ; propter qua> ruplis loties affinitatis . aniiciliae, collegii foederibus, inter conlendentPS duos terrarum orbis elisus e?! ; non sunt vestra; in depositi causa sunt.jani jamque ad alium dominum spectantia, aut hoslis ista , aut boslilis auimi successor , iuvadel. Qua-ris quomodo illa tua facias ? dono dando. Consule eigo rébus tuis , el certam libi earum alque inexpngnabilem possessioncm para, honestiore» illas non solum, sed tutioics faclurns; illud quod suspi DES BIENFAITS. plus sûres. Ce que lu admires, ce qui le fait croire à la richesse el a la puissance , esl flclri , lant que tu le gardes, par des noms grossiers. Cela s'ap- pelle maison, esclave, argent : quand tu l'as don- né, c'est un bienfait. IV. « Vous admettez , dit-on , que quelquefois nous ne devons pas à celui de qui nous avons reçu; doue le bienfait a clé repris. II y a beaucoup de cas où nous cessons de devoir , non parce que le bienfait nous a été ravi , mais parce qu'il a clé corrompu. Un homme m'a défendu en justice; mais il a outragé, violé, souillé mon épouse. Il ne m'a pas repris son bienfait ; mais , en y oppo- sant une injure égale, il me fait quille de ma dette; et, s'il m'a plus lésé qu'auparavant il ne m'avait aidé , non-seulement la reconnaissance est éleinte , mais j'ai le droit de me venger et de me plaindre, aussitôt que, dans la balance, l'injure l'eniporle sur le bienfait : ainsi le bienfait n'est pas ravi, mais surpassé. Eh quoi! n'y a l-il pas des pères si cruels, si infâmes, qu'il soit légitime et permis de les haïr el de les renier? Oiil-ils donc repris ce qu'ils avaient donné? Nullement : mais l'impiété des derniers momenls a détruit le mérite des premiers services. Ce n'est pas le bien- fait qui périt, mais la reconnaissance du bienfait, et je ne cesse pas d'avoir, mais je cesse de devoir. Ainsi un homme m'a prêté de l'argent ; mais il a brûlé ma maison : la dette est compensée par le dommage : je ne lui ai rien rendu , et cependant je ne lui dois rien De même, un homme fait quel- que cho.se pour moi avec bienveillance, avec géné- rosité, mais ensuite il me donne beaucoup de preu- ves d'orgueil, d'insolrnce, dceruaulé; il me met en position d'être aui.si libre envers lui que si je n'avais rien reçu : il a violé ses bienfaits. On n'a pas d'action contre son fermier, quoique le con- trat subsiste encore , si on a foulé aux pieds ses moissons, si on a coupé ses arbres, non parce qu'il a payé ce qu'il avait promis, mais parce qu'on a fait qu'il ne pouvait payer. Ainsi , le créancier est souvent condamné envers son débi- teur, s'il lui a enlevé, sous un autre titre, plus qu'il ne peut réclamer en vertu du prêt. Ce n'est pas seulement entre un créancier et un débiteur que s'établit un juge pour dire : tu as prêté de l'argent 'a cet homme; mais quoi? tu as emme- né ses troupeaux, lu as tué son esclave, tu pos- .sèdes siui champ, sans l'avoir acheté : estima- tion faite, tu l'en retourneras débiteur, après être venu comme créancier. La même compensa- tion se faitenlre les bienfaits et les loris. Sou- vent, ai-jc dit, le bienfait reste, mais n'oblige plus, lorsque le don a été suivi du repentir, lors- que II' bienfaiteur s'est trouvé raallieureux d'avoir donné, lorsquen donnant il a soupiré, froncé le sourcil , lorsqu'il a cru perdre plutôt que donniT, lorsqu'il a donné pour lui ou du moins non pas pour moi; lorsqu'il n'a cessé d'insulter, de se gîoriGer, de se vanter partout, de rendre son bienfait aiuer. Le bienfait reste donc, quoiqu'il ne soit pas dû ; de mêuie que certaines sonmics, pour les([U(llion abs- tnlit beaenciiim, sed opponemlo illi pnrem injuriam, solvit me debito : et si ptas Issit , quam ante profuerat , non tantum gratia eistingnitur , sed ulcisccndi querendi- que liliert'is fii , ubi in comparalione Ijencflcii pra-ponde- ratit injuria ; ita non aurerlur benelicium , sed vincitur. Quid? non tara duri quidam , et tani scclerati paires sunt, ut ilios arcrsari et ejurarc jus fasque sit? Nuniquid ergo illi abstalerunt , quaedederant? minime : sed impie- tas seiinentium tempr)nim, commendalronemomnis prio- ns ofllcii sustulil. Non beneficium tollilur , serl teneficii ffralia : et elllcitur, non ne hal)eam , sed ne delieam. Tanquam pecuniam aliqaii mibi credidit : sed dunium mearn incendit:pensatumest creriitum damno: nec red- didi illi , nec lamea debeo. Eodem modo et hic, qui ati- qoid bénigne adtersus me fecil, aliquid lil)eratitcr, sed poslea multa superbe , conlumcliose , crudelltcr: eo loco me posuit, ut pcrinde liber adversus eum essem, quasi non accepissem; vim beneticiissuisatluit. Colonum suum Dun tenct , quanivis tabetlis manentibus , qui segetem ejus proculcavil , qui »uccidit arbusla : non quia recepit quod pepigerat , sed quia ne nciperet , effecit. sic deliitori suo crtditor sxpe danmatur, ubi plus ex alla causa absiulit , quam ex crediti petit. Non laiituui inter credilorcm et debitorem judoi sedet qui dic;it : l'ccunisin credidisti; quid ergo? pecus abegisli , servum ejus occ «iisli , agel- luni, queni non enu-ras, possidcs: œstiinaiione fjcta , del)ilordiscede, qui cieditor vénéras. Inlerbeiicficiaquo- quc et injurias ralio conferlur. Sii'pe, inquaiii , benefi- cium m.iiiet, nccdel>elur, si sequuln est danleni piriii- tenlio , si miseruni .se dixit , quod dedisscl , si quum da- ret,su.spiravit, vultum adduiit,perdere se credidit, non douare : si sua cau^a,aut certe non mea (ledit : si non de- siit insultare, gloriari , et ubique jactarc, et acorbum munns suum facere. Mauct itaque beneficium, quamtl» non del>eatur : sicuti qusdani pecuniic , de quibus jiik creditori non dirilnr, debentur.srd non exiguntur. V. Dedisti beneficium : injurliim 5»itea fe cisli ; et bene- firio gralia dchetiir, ctinjuri.Tultio. >ec ego illi gratiam t.'i Î22(j SÉNÈQUE. fait, vengeante pour le tort. Non : je ne lui dois pas de reconnaissance , il ne me doit pas de châti- nieut : l'un et l'autre se détruisent. Lorsque nous disons : Je lui ai rendu sou bienrait; ce n'est pas dire que nous avons rendu la chose que nous avions reçue, mais un équivalent. Car rendre, c'est donner une chose pour une autre. Et en ef- fet, dans tout paiement , on ne rend pas la même chose , mais autant. On dit que nous avons res- titué une somme, quoique nous ayons compté de l'or pour de l'argent; et quand même nous ne donnerions pas des espèces, mais seulement une délégation on une promesse, le paiement n'en est pas moins parfait. Il me semble fentendre dire : « Que de peines perdues! Que m'importe de savoir que le bienfait subsiste, s'il n'est pas dû? Ce sont là de ridicules subtilités de jurisconsultes qui prétendent qu'il n'y a pas d'usucapion pour l'héritage, ii:ais seule- ment pour les choses qui se trouvent dans l'héri- tage , comme s'il y avait une différence entre riiéritage et les choses qui se trouvent dans l'hé- ntage. Décide plutôt ce qui peut rentrer dans la question, si, lorsque le même homme qui m'a ac- cordé un bienfait m'a depuis fait tort, je dois lui rendre son bienfait , et néanmoins me venger de lui ; si ce sont comme deux dettes différentes aux- quelles il faut répondre séparément ; ou bien s'il faut compenser l'une par l'autre, et n'avoir plus affaire ensemble, parce que le bienfait est effacé par le dommage, le donmiage par le bienfait. Car je vois que cela se pratique ainsi dans le forum : quelle est la jurisprudence de vos écoles? C'est 'a vous à le savoir. On sépare les actions, et pendant que nous poursuivons pour nne.chose, nous som- mes poursuivis de notre côté. Les formules ne se confondent pas, et si quelqu'un dépose chez moi de l'argent, et vient ensuite a me voler, j'aurai contre lui l'action de vol ; il aura contre moi l'action de dépôt. VI. Les exemples que tu me proposes, mon cher Libéralis, sont assujettis à des lois fixes qu'il est nécessaire de suivre : une loi ne se confond pas avec une autre. Chacune a sa marche : il y a une action spéciale pour le vol aussi bien que pour le dépôt. Mais le bienfait n'est soumis "a au- cune loi; j'en suis l'unique arbitre. J'ai le droit de comparer entre eux les services qn'un homme m'a rendus et les torts qu'il m'a faits, et de prononcer ensuite s'il m'est dû plus que je ne dois. Dans les exemples cités, rien n'est à notre discrétion : il faut aller où l'on nous mène. Dans le bienfait, tout est "a ma discrétion : c'est donc moi qui juge le tout ; je ne sépare point, je ne di- vise point ; mais je traduis au même tribunal le tort et le bienfait. Autrement, c'est m'or- donner en même temps d'aimer et de haïr, de me plaindre et de remercier; ce que la nature n'admet point, il vaut mieux , comparaison faite du bienfait et du tort, que je voie s'il ne m'est pas encore dû quelque chose. De même , si quel- qu'un, sur nos tablettes, écrit des vers par-dessus les nôtres, il n'efface pas les premiers caractères, mais ne fait que les recouvrir; de même le tort qui suit le bienfait l'empêche de paraître. Vil. Mais je vois ton visage, que je me suis imposé pour guide, se contracter, et ton front se charger de rJdes, comme si je m'écartais trop loin. delieo , nec itie iiiilii pœnam : aller ab altero absolvitur. Quuin dicimus , beneticium illi reddidi : non hoc dici- mus , illud nos quod acceperaiiius reddidisse : sed aliud proillo. Reddere enim est, rem pro re dare. Quidni? quuiii otniiis solulio non idem reddal.sed tanlumdera. Nam et pecuiiiain dicimur reddidisse, quaniïis nuniera- viinus pro argenleis auieos, quamvis non ialeivenerint nunirai , sed delcgalione et verbis perfecta solutio sit. Viderisniilii diccre: Perdis operam. Quorsum enini pcr- tinet scire nie, an ninneat quod non debelur? Jinisciin- sultorum istaîacii'.ae ineptiîesunl.iiui hereilitatein mgant usncapi posse , sed ca qua; in hcreditat sunt : tanqnam ijuidquani aliud sit heredilas, quain ea qua; in Iiercditate snnt. Illud niilii potius distingue, quod potesl ad rem porlincre, (junni idem hnmo licneficium n)ibi dédit, et poslea fecit injiu iani , ulrum cl beneticium illi reddere debeam, et me ab ilto niliiloiiiiiius vindicare, uc veluli duobus noniiuihus separalim rc.spondere : an altornm al- terl contribuere , et uihil negolii habere, ut Ijcneïïcium injuria tollatur, beneficio injuria. Illud enim video in hoc fore fieri; quid in vesira schola juris sit , vos sciaiis. Se- parantur actioncs , et de eo quod .ngiinus , de codem no- biscum agit'ir. ISon confunditur formula , si qui apud me pecuniam deposuerit, idem mihi poslea rurtum fecerit, cl ego cum illo furli agam, et ilie mecum depusiii. VI. Qua» proposuisli, mi Libéralis, eiempla, cerlis Icgibus continenlur, quas necesse est sequi : lex legi non miscelur. Ulraque sua via il: depositum h;ibel actionem propriani, tam mehercule quam furtam. BcneHciuro nulli legi .subjectum est : me arl)i:ro utilur; licet, me comparare inler se quantum profuerit mihi quisqoe , aut quantum nocuerit; tum pronunliaie , ulruni p'us del)ea- tur mihi , an debeam. In illis nihil est nos rae potestatis : eundum est, qua duciniur. In beneficio tota potevtas mea est: ego ilaque judico ilia; non separo, nec diduco, sed injurias ac bénéficia ad eundem judicem mitlo. Aliu(|uiD jubés me eodem terapnre amare et odisse, queri et gra- tias agere: quod natura non recipit. Potius comparalione facla inter se beneficii et injui'iae , >idebo an eliam ullro mihi debeatur. Quomodo si quis scriptis noslris , alios superne imprimit versus , prières literas non tollit , sed abscondit : sic beneGcium superveuiens injuria apparere non palitur. VII. Vultus tuns, cui regendum me Iradidi , coUigit rugas, et traliit frontem, quasi longios eieam. Viderii mibi dicere : DKS BIENFAITS. 227 Il me semble que tu dis : « Pourquoi donc aller tant à droite : dirige lacourseparici; préfère le ri- vage. » Je ne puis mieux faire. C'est pourquoi , si tu penses que nous avons assez discouru sur celle question, passonsà celle-ci :« Devons-nous quelque chose à celui qui nous a été utile contre son gré?» J'aurais pu m'exprimer plus clairement, si l'ar- gument ne devait êtreun peu général, aOn de mon- trer, en établissant imniédialeraent après une dis- tinction , qu'il s'asit de celle double question : « Devons-nous 'a celui qui nous a élé utile sans le vouloir, devons-nous "a celui qui nous a élé utile sans le savoir? » Car, si quelqu'un nous a fait du bien par contrainte, il est trop évident qu'il ne nous oblige pas, pour dépenser des paroles 'a le prouver. Celle question est facile à résoudre, ainsi que loulesicsquestionssemblablesquc l'on pourrait soulever, si chaque fuis nous reportons notre pen- sée vers ce point : Il n'y a de bienfait que pour ce qui nous est offert d'abord avec intention , ensuite avec une intention amie et bienveillante. Ainsi nous ne remercions pas les fleuves , quoiqu'ils portent de grands navires, quoique, dans leur cours abondantet perpétuel, ilsse promènent pour le transport de nos richesses, quoique leurs.eaux riantes et poissonneuses arrosent et fertilisent nos canipasncs. Personne ne croit devoir de la reconnaissance au Ml , pas plus que de la haine, si ses débordements ont été excessifs ou sa re- traite trop tardive. On ne reçoit pas de bienfaits du vent, même lorsque son souffle e. Ititque si huic satisfactam eiisiiinas, illo Iranseanius, an ei dehentitr aliqvid. fiii nnbin inritns profiiit. Hoc apertia» poini dice re , nisi prnpositio del)e- ret c»»e confii»ior , -it riislinclio ktatini siilKe(|iiiita oslen- derct nlriimqncqu3'ri,an eidebrrcmiis, qui nnliis, dum non Tutt , protuil ; et aa ei , qni dum noscit. ÎSani si quis cnactus aliqiiid Iwni Fecit , qiiin nos non oblige! , m;ini- tMlicis e«t , quam ut ulla in hoc verba iiiipendenda sinl. Et ha^c qasestio facile ei|)editilur , et si qiia similis huic moveri |)o'evt, si tolies illo cogiLitinneni nostram con- verterinius : iH'ncridum nutlum est. n'M qiind ad nos priinuni atligua cosilatin dcfert , dtindc ainicaetlwnigna. Ita<|ue neciluminibus grattas ii|nmus,qu.inivis au niacna n^ivigia patianliir, et ad subvehend-is copias largo ac pe- renni aWeo currant , aiit pi.scosa et amrpna pin|!uil)us artis iniprfluant : nec quiM|iiam Nilo beiieflriura deliore «e judicat, non magi< quam ikI um , si immiiclirus super- (luilt, tardci|ue rrcessii : nec Ti-ntus tiem-nciiiin dal, liret lenis cl lecundus aspiret , nec ulitis el saliil.ris ciliiis. N»ni qui bcnpflciom niilii daturus est , d^bct non tantum prodp5se, sed ye(\e. Idconcc mutis animalihus quidquam dclietur : et quam nmltos e priicr:t, auquiscire non poluiirquuni ulriqiie veile dtfueiil. Quid nnteni interesl, iitiuni me jul>eas uavi, aiil véhicule, aut lanceœ drbcreljcuericinni : an ci qui a."]iic quam isia propositum bencfacicndi nut- lum habuil , sed prijfuit casu ? Vltl. BeneOciumatlquis nesciensaccipit, ncmo a nes- cieute. Quomodo inulti» forluila sanant , me idco remé- dia sunt, et in Ounien aliciii cccidissc fiij^ore m ijino causa saniïatis ruit : quomodo quorundnm fliigcllis quar- taiio discus.ia esl , et mttus rcpenlimis aninmin in ali;im CTirani aveiiendo suspectas horas fcfellil : nec iileo qnid- ' (|uam horum, ttianisi saluli fuit, salularn esl : sic qui- dam nol>is prosonl.dum noiunt, imiro (|uia Dulunt; non tamen ideo illis iH-neficium debemiis, qiiod pcrnicicsa il- lorumoinsilia fdi'lunii dcllcxit in mclius. Anexislimasnic dcbcre ei qnidqnam, cujus manus, (|i]uni mcpeterel, [ percussit hoslem iiieum , qui nociiisscl , ni.'.i errastel ? ! Sa-pe ho.*ti» dum aperte (wjerat, fliam veris tcslibus sb- £8 SÉNÈQUE. a été sauvé par la puissance même qutopprimail, et les juges ont refusé à la faveur une condamnation que mérrlait la cause. Cependant il n'y a pas de bienfait pour l'accusé de la part du faux témoin et de l'oppresseur, quoiqu'ils lui aient été utiles; parce que l'on considère où a été dirigé le Irait, non pas où il a frappé ; le bienfait se dislingue de l'injure non par l'événement , mais par la vo- lonté. Mon adversaire, eu se contredisant, en of- fensant les juges par son orgueil, et en réduisant l'accusation à son seul témoignage , a rendu ma cause meilleure ; je ne cherche pas si son erreur m'a profité : sa volonté était contre moi. IX. Car, pour être reconnaissant , je dois avoir la même volonté de faire, qu'a diî avoir mon bien- faiteur en m'obligeant. Y a-t-il rien de plus in- juste que de haïr un homme parce que, dans la foule, il vous a marché sur le pied; parce qu'il vous a éclaboussé ; parce qu'il vous a poussé un peu hors de votre chemin? Or, qu'est-ce qui vous em- pêche de lui chercher querelle , lorsque la chose est une injure en soi, si ce n'est qu'il l'a faite a son iiis«? La même raison qui fait qu'il n'y a pas bienfail, fait aussi qu'il n'y a pas injure : c'est l'in- tention qui fait les amis et les ennemis. Combien d'hommes la maladie dérobe-t-elle à la guerre? 11 y en a qui, retenus par l'assignation d'un ennemi, ont évité d'être écrases par la chute de leur mai- sou ; quelques-uns ont dû au naufrage de nn pas tomber dans les mains des pirates. Cependant nous ne sommes pas redevables dans tous ces cas, parce que le hasard n'a pas la conscience de l'obligation : nous ne devons pas davantage a notre ennemi dont le procès nous a sauvé la vie, pendant qu'H nous tourmentait et nous arrêtait. Il n'y a de bienfait que ce qui émane d'une bonne volonté,- que ce qui est dans l'intention de celui qui doune. On m'a servi sans le savoir; je ne dois rien : on m'a servi en voulant me nuire; j'en ferai autant. X. Revenons au premier. Pour me montrer re- connaisiant, tu veux que je fasse quelque chose • il n'a rien fait pour ra'obliger. Pour passer au se- cond , tu veux que je montre ma reconnaissance par ma volonté de rendre, quand il n'a pas eu la volonté de donner. Car pourquoi parlerai-je du troisième, qui est tombé de l'outrage dans le bien- fait? Pour que je te doive un bienfait , il ne sufflt pas que lu aies voulu donner; pour que je ne le doive pas , il suffit que tu n'aies pas voulu. Car la volonté seule ne constitue pas un bienfait : mais ce qui ne serait pas un bienfail, si révénemeot manquait 'a la volonté la meilleure et la plus en- tière , n'est pas non plus un bienfait , si la volonté n'a précédé l'événement. Il ne suffit pas de m'ôlre utile pour que je te sois obligé, il faut aussi l'in- lenlion de m'être utile. XI. Cléanlhe cite cet exemple. « J'envoie, dit-il, deux esclaves pour chercher Platon a l'Académie et me l'amener. L'un le cherche dans lous les coins du Porlique, parcourt tous lesaulres lieux où il es- pérait le trouver, et revient h la maison après des coursesaussifatigantesqu'inuliles. L'aulres'asseoit prèsdupremierjoucurdegobeletsqu'il rencontre; vagabond et flâneur, il s'arrête 'a jouer avec d'au- tres esclaves ', et voit passer Platon qu'il ne cher- < f^ernaculis , esclave Dé dans la maison du malire. rogavU tideni , et rcum velut factione circi>mTenlum mi- serabilem reddidit. Quosdain ips:i qua; premebat , poten- tia eripuit : et judices quein dainnaturi erant causa , dam- nare gratia nolueruiit. ÎSoii tameu lii leo bcnencium de- deruiit, quaiiivis profucrint : quia tclum quo iiii.ssum sit, non quo pervenerit, quaritur, et beneficiuin ab in- juria distinguit non cventus , [.ed animus. Adversarius meus dum contraria dicit , et judiceni superbia olYendit , et in uuuin teïtein de me rem dcmiuit , causant niemn crexit. ÎSon quïroan pro me erraverit , contra ra(> TO^uit. IX. Pieiiipc ut gralus sini, velle debeo iderafacere, quod ille, ul benelicium daret, debuit. Numquid est ini- quius bomine, qui eum odit, a quo io Uuba ralcatus, uiit respersus , aut quo nollet, impulsus est? Atqui quid estaliud, quod illum querelie csiniat, quuui in re sit in- juria, quam ncscisse , quid facertt? Eadeni rcs efficit , ue hic beneficiuui dedcril, ne ille injuriam fecerit;et amiruni et ininiicum voluntas facit. Quam multos mililia; niorbus eripuit? quosdam ne ad ruinam douius suœ oc- currercnt, iuimicus vadimonio lenuit ; ne iu piralarum manus pervenirent, quidam naufragio conscculi suut. Nec bis tamen bencficium debemus : quniiiam evtia son- sum officii casus est; nrc inimico cujns nos lis .sorvavil, dum vexLlacdelinc t. Nonestbcmficiuni, niti qurda bojia voluntatc pioficiscitur , nisi illud agnoscit.qui dédit. Pro- fuit aliquis mihi dum nescit; nibil illi debeo : profuit quum Tellet nocere ; imitaboi* ipsum. X. Ad primum illnm reTertamur. Ut gratiam referam, aliquid facere me vis ; ipse ut beneflriuni mihi daret , nihil fecit. TJt ad alterum transeamus , vis me huic gra- tiam referre , ut quod a nolenle acc^pi , volens reddam. Nam quid do terlio loijuar, qui ab injuria in beneficium delapsus est? Ut benelicium libi delieam , parum est to- luisse te dare : ut non debeam , salis est noiuisse. Beneli- cium enim Toluntas nuda non efficit: sedquod l>enenciuni non essel, si optimae ac plenissimae volunlati fortuna dees- set, id îpque lieneficium non est, nisi forlunam voluntas anteccssit. Non enim profuisse te mihi oportet, ut ob hoc tibi obliger , scd es destinalo profuisse. XI. Cleanlhes exemplo ejosmodi utitur : i Ad quae- reudum , inquit , et arcf ssindum ex academia Plalonem , duos pueros misi; aller tolam porticura perscrutatusest, alia quoque loca in quibus illum inveniri posse sperabat , percucurrit, et domuni non minus lassus quam irritas rediit; aller apud proiimumcirculatorem resedit, et dum vagus atque erro vernaculis congregatur et ludit, Irans euntera Plalonem , quem non qua!sierat , inrenit. Illimi , iuquii , laudabimus pucrum , qui , qiwntum in se trat , DES BIENFAITS. a» diail pas. Nous louerons le premier esclave, quia fait, aulanl qu'il était en lui , ce qu'on lui avait ordonne; nous châtierons l'autre si heureux dans sa négligence. » C'est la volonté qui est 'a nos yeux la règle du devoir, vois quellesconditionselledoil réunir pour me rendre redevable. C'est peu de vouloir, si l'on ne m'a été utile • c'est peu de m'êlre utile, si ou ne l'a voulu. Carsuppose qu'on ait voulu me faire un présent et qu'on ne l'ait i>as fait; je jouis de l'intention, mais je ne jouis pas du bienfait : pour qu'il soit complet, il faut l'intention et la chose. De même que je ne dois rien 'a celui qui a bien voulu me prêter de l'argent, mais qui ne l'a pas fait, de même je puis être l'ami, mais non pas l'o- bligç de celui qui a voulu me rendre service , et ne l'a pas pu. Je voudrais aussi faire quelque chose pour lui ; car il l'a voulu pour moi. Mais si, plus favorisé de la fortune, je lui fais quelque don , ce sera offrir un bienfait , non rendre par reconnaissance. C'est 'a lui maintenant à me payer de retour : c'est de là que commencent nos comp- tes : mon nom se trouve en tête. XII. Je comprends déjà ce que tu veux deman- der : tu n'as pas besoin de parler; ton visage en dit assez. « Si quelqu'un, dis-tu, nous oblige pour son propre intéiêt , lui devons-nous quelque chose? Souvent , en effet , je t'entends te plaindre que les hommes se rendent a eux-mêmes certains services, et les portent au compte des autres. Je le répondrai, mon cher Libéralis; mais auparavant, je veux scinder celte petite question, et séparer le juste de l'injuste. Car il v a bien de la différence entre considérer si quelqu'un nous oblige pourvoi ou pour nous , ou s'il nous oblige et pour soi et pour nous. L'homme qui ne voit que lui , lui tout seul , et ne nous sert que parce qu'il ne peut au- trement se servir, est à mes yeux au mémo rans que celui qui donne à ses troupeaux le fourrage d'hiver et d'été , qui nourrit bien ses captifs pour qu'ils se vendent mieux, qui engraisse et élrillc des bœufs choisis ; au môme rang que le maître d'escrime qui dresse et équipe avec le plus grand soin sa troupe de gladiateurs. Il y a, comme le dit Cléanthe, bien loin d'un bienfait'a une spéculation. Xlll. Néanmoins je ne suis pasassez injuste pour penserne rien devoir à celui qui, en m'étant utile, l'a été 'a lui-môme. Car je n'exige pas qu'il s'oc- cupe de moi , sans égard pour lui : je souhaite . au contraire, que le bienfait qu'il m'accorde lui profite encore plus qu'à moi, pourvu qu'en don- nant il ait eu en vue deux personnes, et (|u"il ait partage entre lui et moi. Quand mi"nie il aurai! la meilleure part , pourvu qu il m'admette au partage, pourvu qu'il pense à deux, je serais non- seulement injuste, mais ingrat, si je ne me ré- jouissais pas de voir que ce qui m'a prolité, lui profite aussi. C'est le comble de l'exigence de n'ap- peler bienfait que ce qui doit causer quelque pré- judice à celui qui donne. Quant à celui qui ne donne que dans son propre intérêt, je répondrai : Tu te sers de moi; pour- quoi donc dis-tu que tûmes utile plutôt que je no te l'ai été à toi-même? Je suppose, dis-tu , qno je ne puisse obtenir une magistrature i|u'à condi- tion deracheterdix citoyens, sur un grand nombra quod jussus est fecit : bunc fcliciter iuertem castigabi- nius. • Voluotas est , qux apud nos ponit ofTicium: cujus fide qax conditio sit, ut me débite obstriogat. Parum est illi Telle, nisi profuit: paruni e&t profuisse , uiii to- luit. Puta enim ali(|ueni doaare voluisse, ncc douasse; aniiuum quideni ejus babeo , sed beneficium non babco : quod couvumniat et rcs , et auimus. Queniadnii:duni ei qui TOluit mihi quidem pecuuiam credere , sed non dédit, aibil debco : ita ei qui voluit mibi liencricium clare , sed Doo potuil, amicus quidem ero,scd non obligatus. Et Tolain illi aliquid prssiare : nam et ille voluit mibi; ce- terum si bcnigniore fortuna usus pracstitero , beneficium dedero, non gratiam relulero. Illo m bi gratiam debebit referre : bine in tium fiet : a me numeratur. XII. Intclligo jam quid velis quœrcre; non opus est te dicere : Quitus tuus loquitur. Si quis sua caus a nobis pni- fuit, eine, inquis , del>etur aliquid ? Iioc enim sa?pc te conqnereiitem audio , (|uod quadaui homiurs sibi pra'S- tant, aliis imputant. Dicam , mi Libcralis: sed prius banc qiia^sliuncubm ditidam, et rem a>quam ab iniqua sepa- rabo. Mullum enim inlerest , utiuin aliquis beutTiciuni nobis det sua rausa , an noslru : an sua et ncstra. Illc (|ul totus ad se ipcctat , et nobis prodett , quia aliter sIbi pro- desse non potest; eo loco niilii est, quo qui pecori suo bibcrnuni et lativum pabulum pios|;icît; eo loco, quo qui captives suos, ut connnodius ta'neanl , pareil , etopi- mus l)OTes saginat uc defricat; quo lanista, qui familiaui suaui sumnia cura exercet, atque ornai. Multum , ut ait Cleanlbes, a beneficio distat negoliatio. XIII. ttursus non suni tain iniquus, ut nihil ci de- beam, qui quuin mihi uiilis esset, fuit et sfbi. ISoii enim eùio , ut sine re^pectu sui mibi consulat : inimo etiani opto, ut beneficium mihi datum, td magis duuli pro- fuei'it : dummodo id qui dabal, duos intueus deder;t, et inter me seque divisent. Lictt id ipse ex majore parte possidoat, si modo me in consortium admisit , si duiis cogitavit : ingratus sum, non solum injustus, nisi gau- doo boc illi profuisse, quod pruderalmihi. Sunmin; ma- liguitatis est , non vooare lient (iciiim, u^si quod danteiM aliquo iuconmiodo alfecit. .\litrr ilh , qui hem liciuni d. t sua causa , respoudclHi. Ususme, quaru poiii:» le niilii protuisse diccs, quain me tiiii? Puta . inquit, aliter fierj non pofcrs me alils : hoc to- liini mea causa facis. Itaqne si ppctlorem te factura esset (Iccem caplivorum redemtio, decem aulcm soli caplivi pssemus , nemo quidquam tibi debeiet ex nobis : quia iiiliil habeies, quod culquam iniputares, a tua utitilate «eductum. Pion sum invidiisl)en('ricii interpres, nec desi- (jero illud niilu tantum dari, scd et tilti. XlV. Quldergo, inquit, si in sortem nomina vcstra conjici jussissem , et tuum uomcn inter rediniendos exis- set, nihil debcrcs raibi? ioinio debeicm, sed exigunm. Quid sit hoc , dicam. Aliquid istic mea causa facis , quod me adfiirtnn 'm ledeuiliouisadmitlis; quodnomenmeum exiit, sorti debeo : quod exire potuit, til)i. Adiluni milii ad bi'neficiuni luuni dcdisli, cujus niajoiem parlem for- tiiiiie debeo : sed hoc ipsuiu tibi, quod forluna' debere potui. Ilios ex loto pia>teribo, quorum mercenarium be- n, lu iuni est : ({und quidat, aon coniputal cul , sed quanti daiiu'us sit, quod undique iu se conversum est. Vendit uii/ii aiiquis fnimentuin . Tivere non possuro , nisi emero; scd lion debeo vitam, quia enii. Nec quam necessarium lueiit , a'stimo , sine que victurus non fui : scd quam in- Riatum , quod non habuissem , nisi eniissem ; in quo in- velicudo mercator non cogita^it quanluiii auxilii altatu- l'iis esset niibi, sed quantum lucri sibi. Quud euii, non debeo. XV. Isto modo , inquit , ne medico quidquam deberc te. nisi mercedulam, diccs ; nec prïeceptori, quia aliquid nimieraveris; afqui omuinm horuni apudnos magoa ca- rilas, magna revcrentia est. Adversus hocrespoudelur, quii'dam pluris esse , quam emuntur. Emisa n;edico rem iuii'stimabilem, vitam acvaleludinembonaui : a Ixmaïuin artium pra'ceptore studia libeialia , et animi cullum. Ila- {pie bis non rei pretium, sed operae solvilur, quoddeser- viuut, quod a rébus suis avocali nobis vacant; inerce- dem non raerili, sed occnpationis suaD ferunl. Aliud tamen dici potes! verius, quod statira ponam , si priu» quoniodoistud refellipossit, oslendero.Quœdam, inquit, pluris sunt quam Ta'nierunt, et ob hoc aliquid milii extra pro illis, qunmvis cmta sint, délies. Primum, quid in- teresl quanti sint, qunm de pretio inler ementem et Tcn- dentem c-nveneril? Deinde non emi illud suoprelio, sed tuo. Pluris est, mquit, quam vaeniit. Sed pluris t.t- nire non potuit : pre'.inm autem cujusque rei pro tom- DES BIENFAITS. Kl Elle vaut, dis-tu, plus qu'elle n'a clé vendue. Mais elle u'a pu se vendre plus cher : le prix de chaque chose dépend de la circonstance. Quand tu me vanterais ces ohjels , ils ne valent que ce qu'ils ont pu être vendus. D'ailleurs, celui qui achète à bon compte ne doit rien au vendeur. Ensuite, quand munie ils vaudraient beaucoup plus, il n'y a aucune faveur de ta part, puisque l'estimation ne se règle pas sur l'avantage et l'u- tilité réelle, mais sur l'usage et le prix courant. Quel prix assigneras-tu aux services du pilote «[ui traverse les mers , qui , après avoir perdu de vue la terre, nous fraie une route assurée 'a travers les flots , prévoit les tempêtes "a venir, et, au milieu de la sécurité commune , ordonne tout a coup de plier les voiles, de baisser les agrès, de se tenir prêt au choc de l'orage , et sait résistera sa fureur soudaine? Cependant le prix du passage nous ac- quitte d'un si grand bienfait. Comment apprécie- ras-tu un abri dans le désert, un toit pondant la pluie, un bain ou du feu pendant le froid? Ce- pendant je sais à quel prix je trouverai tout cela dansuueaubcrge. Combien faitpour nouscoluiqui étaie notre maison chancelante, et lient suspendu avec un art incroyable un bâtiment isolé que les crevasses lézardent du haut en bis? Cepeudant les étais se paient un prix fixe et modéré. Les murs nous garantissent contre les attaques des ennemis et les incursions subites des brigands; cependant ces tours, ces remparts qui siélèvent pour la sécurité publique, on sait combien gagne par jour le manœuvre qui les bâtit. XVI. Ce serait à n'en pas Unir si je voulais chercher plus loin tous les exemples qui prouvent que souvent de grands services coûtent peu. Pour- quoi donc dois-je quelque chose de plus au méde- cin et au précepteur? Pourquoi leurs honoraires ne suffisent-ils pas à m'acquitter? l'arec que da médecin et de préccpleur, ils se changent en amis, ol nous obligent moins par l'art qu'ils nous ven- dent, que par leur intention bienveillante et ami- cale. Si donc le médecin ne fait que me lâter la pouls, m'in.scrit sur la liste de ses clients, m'or- donne sans affection ce qu'il faut faire, ce qu'il faut éviter, je ne lui dois plus rien; parce qu'il ne m'est pas venu voir comme un ami , mais comme un client qui le mande. Je ne suis non plu» tenu à aucun respect envers mon précepteur, s'il m'a confondu dans la foule de ses disciples, s'il ne m'a pas jugé digne de soins personnels et par- ticnliers, s'il n'a jamais arrêté sur moi son atten- tion : lorsqu'il laissait tomber sa science pour tout le monde, je l'ai plutôt ramassée que reçue. Pourquoi donc devons-nous beaucoup à l'un et î« l'autre? Ce n'est pas que ce qu'ils ont vendu, va- lût plus que ce que nous l'avons acheté; c'est qu'ils ont fait quelque chose pour nous-mêmes. L'un a donné plus qu'on n'exige d'un médecin : il a craint pour moi, non pour sa réputation d ha- bileté : il ne s'est pas contenté d'indiquer les re- mèdes, il les a lui-même administrés. 11 a prisplacs au milieu de mes amis affligés; il est accouru dans tous les moments de crise : aucune fonction ne lui a semblé pénible, aucune ne l'a rebuté. Me» gémissements ne l'ont pas trouvé insouciiiot : dans la foule des malades qui l'invoquiiient, j'ai été son malade de prédilection; il n'a donné auxautres que le tempsque lui laissait rnon état. Ce n'est donc pas pore esl. Qaum liene ista laadaTeris, tanti sant, quanlo pluris ViPiiire non possiiiit ; practcrea nihil venditiiri l>is ipsisaliquid pra>stitcrunt. Illc magls pi'pcndit, quam medico necesse est : pro me, non pro fama artis, extiiuuit : non fuit conteiitus remédia mou- strare, sed admovit. Inter sollicitosasscdit, ad suspecta temporaoccurrit : nullum ministeriumoncri illi, nuUum fastidio fuit. GeiKitus nieos non securus audiiit; in turba radtonim invocantium ego illi potissima curntio fui; tan- lum aliii tatavit , qi-ar.tum U'ea raletudo purminrat. S32 SEINEQUE. coiunie h un méileciu, c'est comme à un ami que je suisobligé. L'autre, pourm'instruire, a supporté les faligaeset l'ennui : outre les leçons que le pro- fesseur donne en coinmun , il m'a transmis, il a inGItré en moi d'autres principes ; par ses exhor- tations, il a développé mes bonnes dispositions; tantôt ses éloges ont relevé mon cœur, tantôt ses avis ont secoué ma paresse. Il a forcé à sortir mon esprit lent et tardif, en le pressant de la main, si je puis dire ainsi : il ne m'a pas communiqué ce qu'il savait avec parcimonie et pour se rendre plus loug-temps nécessaire; mais il aurait voulu, s'il l'avait pu, verser en moi tout à la fois. Je serais un ingrat si ma reconnaissance ne le mettait parmi mes plus chers amis. XVII. Les courtiers , dans le commerce le moins élevé, reçoivent de nous an-dela dci prix conve- nu, si leur zèle nous paraît plus aclil ; cl nous ajoutons a la gralilicalion du pilote, du plus vil artisan , de l'iionune de journée. Mais , dans les arts libéraux qui sont le sou tien ourorncmcnlde la vie, celui qui croit ne pas devoir plus qu'il n'a piomis, est un iagrai. Ajoute que la communica- tion de cette sorte d'études est un lien d'amitié. Pans ce cas, on paie au précepteur comme au médeciij, le prix Ue la peine; on lui doil celui du cœur. XVIII. Platon passant un (leuvc dans une bar- que, sans que le batelier lui demandât rien, crut que c'était par égard pour lui, et dit que ce ser- vice engageait la reconnaissance de Platon. Quel- que temps après, le voyant transporter plusieurs autres iiersonnes gratuitement, avec le même zèle. il dit que Platon n'était engagé 'a aucune recon- naissance. Car pour que je le sois obligé de ce que tu fais, il faut non-seulement me le faiie "a moi, mais'a cause de moi. Tu ne peux imputer à per- sonne un bien que tu répands sur tout un peuple. Quoi donc? ne devras-tu rien pour cela? rien per- sonnellement : je paierai avec tout le monde ce que j'ai reçu avec tout le monde. XIX. Nieras-tu, dit-on, que je reçoive un bien- fait de celui qui me fait, sur sa barque, passer gratuitement le Pô? Je le nie. Il me fait quelque bien ; ce n'est pas un bienfait ; car il le fait pour lui, ouau moinstionpas pourmoi. Ensomnie, lui- même ne croit pas m'accorder un bienfait; mais il travaille ou pour la république, ou pour le voi- sinage, ou pour sa vanité , et il attend de ce ser- vice tout autre avantage que ce qu'il doit recevoir de chacun en particulier. Mais quoi? dit-on, si le prince accordait le droit de cité "a tous les Gau- lois, l'exemption d'impôts a tous les Espagnols, cliai|uo individu ne devrait donc rien à ce titre? Pourquoi non? Ils devraient non pour un bienfait personnel, mais pour leur part d'un bienfait pu- blic. Cependant, dites-vous, il n'a pas songé à moi. Au moment où il rendait service "a tous, il n'a pas voulu me donner la cité "a moi personnel- lement; sa pensée ne se dirigeait pas sur moi. Pourquoi donc lui serai-je redevable , puisqu'il ne m'avait nullement en vue lorsqu'il allait faire ce qu'jl a fait? D'abord, lorscju'il se proposait de servir tous les Gaulois , il se proposait aussi de me servir; car j'étais Gaulois, et s'il ne m'a pas signalé particulièrement, ii m'a compris sous la Huic ego non tanquam niedico , sed tanquani aniico , oliiigalus suin. Aller rursusdoceudoetlabortinet t;cdiuui tulit , praHer illa quœ a pracipici.tibus in coninmne di- cuiitur, aliqua inslillavit ac tradidit, hortando bonam in- dolcm erexit , et niodu laudilms fecit aiiimum, r.iodo od- inonitiunibus discussil desidiaui. Tum iii^eiiiu n Udens et pigruni , injecta , ut Ita dicara , manu , extraxit : uec qux sclebat, maligne disponsavit, quo diutius cssct neeessa- rius, sed cupiit, si posset, universa transl'uudere. In- gratus sum , nisi illum iutcr gratisïimas necessitudines diligo. XVII. Sordidissimorum quoque artificiorum inslitorî- bus supra coiistitiitum aliquid adjecimus , si iiol)is opéra illorum enixior visa est ; et guboniaiori , et opilici vilis- slnias mercis, et in dieni se locanti coroUarium aspersi- nius. In optiniis vero aitibus qiia; vltimi aut eouservant, aut excolunt, qui iiihil se plus cxitimat debere quam pe- plgit, ingralus est. Adjice, quoi! taliumstudiornm Iradi- lio niiscet amicos ; hoc quuni factum est , tam medico <|iiam prffcpptoii prelium operiE solvitur , auinii del)etui-. XVIII. Plalo quum flunien nave transissel, nec ab illo quidquam porlitor exegisset, hnnnri hoc suo dati:ni cre- deiis , dixit posilum illi esse apud Platonem oflicium. De nd« paulo post, quum aliuni nique alium gratis eadem transveheret sédu'ilate, negavit illi jam apud Platooem posilum officium. Nam ut tibi debeaui aliquid, pro eo quod praî.-tas , debes uon lanluni milii praeslare, sed tan- quani mihi; non pôles ob id quemquam appell..re, quod sparpis in populuni. Quid crgo? nihil tibi delwbilur pro hoc? lanquam ab uiio, uihil; cura omnibus solvara, quod tibi cum omnibus dobeo. XIX. Negas, inquit, ullum dare benencium enm, qui me gratuita uave per flumen Paduni tullt?nego. Aliquid boni facit, beneflcium nondat; faciteuimsua causa, aut utique nou mea. Ad summam, ue ipse quidem se mihi benelicium judicat dare : sed aut rcipublica; aut vicioice , aut ambitioui sux praestat , et pro hoc aliud quoddam commodumexspectat, quam quod a singulis rccepturus est. Quid ergo, inquit, si Piinceps civitalem dedcrit om- nibus Gallis , si immnnitatem Uispanis, nibil hoc uomine singulidebebunt? Quidni debeaot? debebunt autem noa tanquani proprium benelicium , sed tanquam publici par- teui. Nullani, inqnii, habuiî cogitationem mei. Illo tem- père, quo univcrsis proderat, noluit mihi pmprie civi- tatem dare: nec iu me direxil animuni. Ita quare ei de- beani qui me sibi nou subsliluit , quum facturas esset quod fccil? Primum , quum cogitavit Gallis omnibus pro- desse, et niihi cogitavit prodesse ; cram enim Gallas : ei DES BIENFAITS. 2Ô3 dénomination géncrale. Ensuite je ne suis pas redevable d'un bienfait personnel, mais commun : ciloyen de la nation , je ne paierai pas pour nwu coîuple; je contribuerai pour celui de la patrie. XX. Si quelqu'un prèle de Targent à ma patrie, je ne me dirai pas son débiteur; soit candidat, soit accusé, je ne reconnaîtrai pas celte dette: cependant, pour l'acquitter, je donnerai ma part. De même je me récuse comme débiteur pour un présent donné à tous ; parce qu'on m'a donné , il est vrai, mais non pour moi ; et même en me don- nant, on ne savait pas qu'on me donnait : néan- moins je sais que j'ai quelque chose "a rendre, parce qu'il m'est revenu quelque chose, bien que par un lonp; détour. Pour qu'une chose m'oblige, il faut qu'elle soit faite a cause de moi. D'après ce principe, dit-on , tu ne dois rien "a la lune ou au soleil ; car ils ne se meuvent pas pour toi. Mais , comme ils se meuvent pour la conservation de tous, ils se meuvent pour moi ; car je fais partie du tout. Ajoute encore que notre condilion et la leur est bien différente. Car l'homme qui m'est utile pour se l'être aussi "a lui-même, ne m'ac- corde pas de bienfait, parce qu'il me lait l'instru- ment de son utilité. Mais le soleil et la lune, quoi- qu'ils nous soient utiles pour eux-mêmes, ne le sont pourtant pas dans le but de l'être pour eux ; car que pourrions-nous faire pour eux? XXI. Je saurais, dis-tu, que le soleil et la lune veulent nous être utiles, s'ils pouvaient ne le vouloir pas : or, il ne leur est pas libre de ne pas se mouvoir. D'ailleurs, qu'ils s'arrêtent, qu'ils suspendent leurs révolutions I Vois par combien de rai-sonsceci se réfute. On ne veut pas moins, parce qu'on ne peut pas ne pas vouloir : au con- traire, c'est la plus grande preuve d'une volonté ferme , de ne pouvoir pas changer. L'homme de bien ne peut pas ne pas faire ce qu'il fait ; car il no serait pas homme de bien, s'il ne le faisait. Donc l'homme de bien n'accurde pas de bienfait , parce qu'il fait ce qu'il doit : car il ne peut pas ne pas faire ce qu'il doit. D'ailleurs, il y aune grande différence entre dire : Il ne peut pas ne faire cela puis qu'il y est forcé, ou , il ne peut pas ne |)as vouloir. Car, s'il est contraint de le faire, ce n'est pas à lui que je suis redevable du bien- fait, mais 'a celui qui le contraint. Mais, s'il est contraint de vouloir parce qu'il n'a rien de mieux "a vouloir, c'est lui-même qui se con- traint. Ainsi , ce que je ne lui devrai pas «piand il est contraint, je le lui devrai quand il se contraint. Qu'ils cessent, dis-tu, de vouloir! Ici je le prie de réfléchir. Quel est l'homme assez in- sensé pour ne pus roconnaiire comme volonté celle qui n'est pas en danger de périr , de se trou- ver jamais en opposition avec elle-même ; tandis qu'au contraire personne ne peut paraître vou- loir aussi fortement, que ce qui a une volonté con- stante au point d'être éternelle. Si nous accordons la volonté à celui qui peut aussitôt ne pas vouloir, ne la reconnaîtrons-nous pas "a celui dans la na- ture duquel il n'entre pas de ne pas vouloir. XXII. Eh bien! dis-lu, s'ils le peuvent, qu'ils s'arrêtent! C'est co:i.mc si lu disais : Que tous ces corps séparés par d'immenses intervalles, coor- donnés pour le maintien de l'univers, abandon- nic, etiain ti non mea, publica kimcD nota comprehen- clil. Ucinde egoqnoque illi non tanquam proprium delie- liu, sed commune: unus e populo, non tanquam pro me loWam, sod Innquani propatria conferam. XX. Si quis patri.T meae pccuniam credat , non dicam me iliiui de) itorcni , nec boc ss alieaum profliebor aut candidatus, autreus: ad cisoIveDdum tamen hoc pumentiini e.st firmo,' volunlalis, ne mulari quidem posse. Vir Ixinus mm potest non facorc, quoij facil: noi enim erit l:oniis , ni.'-i feceril; erpo nec bonus vir binpficiuin dat, qui.i fa- citquod debel ; non polest autein non facere, quod deliet. Pra;terca inultuui interest , uirnm dicas. Pion polest hoc non facere, quia cogilur; an , Non polest uolle. Nain si necessc est illi f cere, non debco ipsi beiiclicium , sed cojienli. Si neccsse csl il!i vtle oli hoc, quia nihil habcf niiliusquol veit, ipse se ci^il. Ha quod luiiquaiiicoao>a non debereni, taiii|unni eof!' nti riehco. Doviiiant, iuc]uit, vêle! Hoc loco tibi illud occniial. Qiiis laiii démens est, ut eam iieget voluntaleni essi>, ciii non est periculmn de&iiiendi , vertendiquc se in eonti ariuni ; quuin ei dl- Ter.'io ucmo a>qiie videridelieat Telle, quani eujiis \oluiitas usque co ccria est, ul Kterna sil .' An si is quoqiie V"ult , qui polest slatini nolle, is non videbilur vclle in cujus uatiirnni non cadit nolle? XXIf. Apedum, inquit , si possmit, resistanl I Hoc dicis.Oiimia isla ini^enlitius inervallis didnct, et in cusiodiam iiiiiTeisi disposila, s;ationes sii:i» deserant , sol>ila cuulusioue rcruio sidtra siilerilius iiicurraut, cl i54 iieiil leurs postes, que, daus le désordre subit des éléments, les astres se licurtcnt aux astres, que riiannnnie de la nature soit détruite, que les cieux lomhcnt en ruine, que ces corps , d'une vitesse si prodigieuse, arrêtent au milieu de leur course leurs vicissitudes déterminées pour lantdesiècles ; que ces astres , qui vont et reviennent alternative- ment, et dont les heureux contrepoids balancent l'équilibre du monde, s'embrasent d'un soudain incendie ; que toutes ces substances diverses se confondent et se mêlent en une seule ruine ! Que ic feu s'empare de tout, qu'une nuit stérile lui succède, et qu'un abîme sans fond dévore tous CCS dieux ! Faut-il donc, pour te convaincre, cette ciiute universelle? Mais ces astres le servent mal- gré toi; c'est pour loi qu'ils marchent, quoi- «juils aient une cause première et supérieure. XXlll. Ajoute maintenant que les choses exté- lieures n'agissent pas sur les dieux; mais leur éternelle volonté fait leur loi. Ils ont établi un ordre pour ne le changer jamais. Ils ne peuvent lionc paraître faire quelque chose sans le vouloir; parce qu'ils ont voulu faire durer ce qu'ils ne peuvent interrompre. Jamais les dieux ne se re- pentent de leur premier dessein. Sans doute il ne leur est pas libre de s'arrêter ou de marcher en sens contraire; mais ce n'est que parce que leur propre force les maintient dans ce qu'ils ont ré- solu : ce n'est point de leur faiblesse que vient leur constance, mais de ce qu'ils ne peuvent pas s'écarter de la voie qui est la meilleure : leur mar- che est tracée parleurs immuables décrets. Toute- fois, dans leur conslilution primitive, lorsqu'ils coordonnaient toutes choses, ils ont pensé aussi à nous, etils outtenucomptedelbomme. Ainsi donc SEJNEQUK. ils ne peuvent paraître se mouvoir seulement pour eux-mêmes, pour étaler leurouvrage, puisque nous aussi nous sommes une partie dccet ouvrage. Nous devons donc de la reconnaissance au soleil et 'a la lune et aux autres divinités; car, quoique leurs révolutions s'opèrent dans un but plus important, cependant ils nous servent, tout en marchant, àde plus hautes destinées. D'ailleurs, ils nous servent volontairement : nous leur sommes donc obligés, puisque ce n'est pas "a leur insu que leurs bienfaits tombent sur nous , et ce que nous avons reçu , ils savaient que nous devions le recevoir. Quoique leurs pensées s'élèvent plus haut, quoique leurs travaux aient un plus noble but que la conserva- tion de choses périssables; cependant, dès l'ori- gine du monde, leur prévoyance a pourvu aussi a nos besoins, etcetordrea été donné "a l'univers, alin qu'il paraisse que nous n'avons pas été un de leurs derniers soins. Nous devons de l'amoar à nos parents ; et pourtant beaucoup ne se sont pas unis pour engendrer. Mais on ne peut ac- cuser les dieux d'avoir ignoré ce (ju'ils Taisaient, puisqu'ils ont au même instant fourni à tous des aliments et des appuis; ils n'ont pas produit avec imprévoyance des êtres pour lesquels ils produi- saient tant de choses. La nature nous a médites avynt de nous créer ; et nous ne sommes pas si peu de chose que nous ayons pu lui tomber des mains. Vois combien elle nous a donné; l'empire de l'homme ne se borne pas à l'homme seul ! Vois jusqu'où nos corps peuvent se porter; les limites des terres ne sauraient nous arrêter; nous plon- geons dans toutes les parties delà nature! Vois jusqu'où peuvent s'élever nos esprits; seuls ils connaissent, ils interrogent les dieux, et, par un rupta reruni concordia in ruinarvi divina labanlur, con- testiisque vclocitatis citati^sinia? , in tôt secula proinissas vices, in nicdio itinere destituât; et quip nunc cuut al- lernis rfdeunt(|ue opportunis librannenlis, inundiim ex irauoteniperantia, repinlino coiicremcntiir inccndio, et ox tanla varietate solvantur, alque eaut in unum omiiia 1 IgDis cuncta possideat, quein deinde pigra nos occupet , et profunda vorago tôt i!eos sorbeal! Est lanîi, vt 'u coarguaris, ista concidere? l'rosunt tibi etiam invite , eunlqus ista tua causa ; ctiauisl major illis alia, ac prior causa est. XXIII. Adjice nunc, quod non extcrna coguutdeos, sed sua illis in legem irtcrna voluiitas est; slatuerunt (\ux non niutarent.Itaque non possunt videii ficluri ali- quid, quamvis nolint; quia quidquid desinere non pos- sunt, perscverare volueruut; nec unquani priini consilii deos pœnitel. Sine dubio stare illis et desciscere ic con- Irariuni, non licet ; sed non ob aliud , quam quia vis sua illosin proposilo tenet; nec inil)ecillitate permanent, sed quia non libcl ab optimis aberrare; et sic ire decretum est. In prima auteni illa conslilutiuuc, quuni universa disponerent , etiam nostra viderunt , r itionemque bomÎDif babuerunt. Itaque non possunt videri sua lautum camd deeurrere, et explicare opus suiun , quia pars operis su- nius et nos. Debemns crgo et so'.i, et lunas, et céleris ea'lestibus beneficiuni , quia , eliamsi poiiora illis sunt , in qua; oriuntur, nos lamcn in majora ituri juvant. Adjice, quod ex deslinato juvant; ideoque obHgali sumas, qui non in beneficiuni ignorantiura incidimus, sed ha-c qus accipimus , acceptiircs scierunt: et quanquam majus illis propositum sit, niajorqueactus sui fructus, quam servjre mortalia , tamen in noslras quoque ulilitates a prinripio rerum praemissa mens est, et is ordo mundo d:itus , ut appareat curam nostri non inter ultima habitam. Debe- mus paientibus nostris pietatem, et muiti non ut gifine. renl, coierunt. Dii non possunt videri nescisse, quid ef- fccturi essent , quum omnibus alimenta prolinus, et auii- lia provideruni; neceos per negligentiam genuere, quibus tam raulta gcnerabant. Cogitavit enini nos ante natura, quam fecit; nec tam levé opui sumus , ut illi potuerimu» excidcre. Vide quantum nobis perniiserit, quam non in- tra homines uumaui imperii cooditio sit ? vide in quanluin DES HIENTAITS. sublime enthousiasme, vont siéger auprès des in- telligences divines ! Saclie donc que l'Iiouinie n'est pas une œuvre de désordre et d'irréUexion. Pai mi ses plus nobles productions, il n'y en a pas dont la nature se fasse plus gloire, ou du moins à qui e'Ie fasse plus de gloire. Quel isl donc ce délire, d'entrer avec les dieux en controverse sur leurs bienfails? Comment seiait-on reconnai.-sant en- vers les-lioniMH'S avec qui on ne s'acquitte pas sans frais, liirsqu on nie avoir rien reçu de ceux dont on a tout reçu, qui doivent toujours donner et ne jamais reprendre? Mais quelle perversité, de ne pas se croire redevable envers quelqu'un , par cela seul qu'il est bienveillant, même envers ceux qui le renient, et de considérer la suite et l'encliaînemenl de ses bienraitscommeune preuve de leur nécessité. Je n'en veux pas! Qu'il les ^arde ! Qui les lui demande? A ces paroles, ajoute toutes les autres expressions de l'effronlcrie. Il n'en aura pas moins bien mérité de toi , puis(|uc sa libéralité te |>oursuit même quand tu la mé- connais, puisque le plus grand de ses bienfaits est de te donner encore en dé|)it de les plaintes. XXIV. Ne vois tu pasconmieul les parents con- traignent leurs cnf.inis, dès leurs plus lendres an- nées,'a souffrir des conlr.iriétés salutaires? Mal- gré leurs pleurs , malgré leurs répugnances, ils environnent leurs corps de soins empressés. De peur qu'une liberlé précoce ne conlrefasse leurs membres, ils les contraignent pour qu'ils se déve- loppent dans une bonne diredion. lîicnlôl ils leur inculquent les arts et l-s sciences, et triomphent de leur mauvaise V(donté par la crainte. Enlin ils plient leur jeunesse impétueuse h la frugalité, à la pudeur, aux bonnes mœurs, et, s'ils sont indo- ciles , ils les y obligent. Morne dans leur adoles- cence, lorsqu'ils sont déj'a maîtres d'eux-mêmes, s'ils repoussent par crainle ou déraison les remè- des salutaires, ils sont domptés par la contrainte et la servitude. Ainsi les pins grands bienfails sont ceux que nous recevons de nos parents, sans le savoir, ou sans le vouloir. XXV. A ces ingratsqui repoussent les bienf.iils, non parce qu'ils n'en veulent pas, mais parce qu'ils crai]tnent de devoir, ressemblent, dans un genre opposé, ceux qui, par excès de gratitude, font des vœux [jour qu'il arrive aux hommes qui les ont obligés quelque conirariété, quehjue mal- beur, qui leur soit une occasion de prouver leurs sentiments de reconnaissance pour le bienfait reçu. On demande si c'est bien agir, s'il y a de la piéié dans ce zèle. Je les comparerais volontiers h ceux qui, brûlant d'un amour aveugle , souhaitent à leur ami I exil pour l'accompagner dans sa fuite et sa solitude; la pauvreté, pour [)révenir ses iicsoins par des présents ; la maladie, pour s'as- seoir h son chevet; et qui le dévouent 'a tous les niauxqu'unennemipourraiiappeler sur I i. Aussi un fol amour a presque toujours les conséquences delabainc. La même chose arrive à ceux qui sou- haitent "a leurs amis des infortunes pour les sou- lager, et marchent au bienfait par le mal : tandis qu'il vaudrait bien mieux s'abstenir, qucdecher- clier par le crime une occasion de remplir un de- voir. Que serait-ce si un pilote demandait aux dieux des orages et d'effroyables tempêtes, pour corporil)ii$ vapari liccal, (iica- non coorcuil finelorranim, sed oninpui in partcni siii misU! vide, animi (|uantuin siiilrant, queniadmcHliiiii soli aiit oorcrint deos, «ut quarant , et mrnte in aliuni data divina coniitrniur! Scias, non esse honiincm luiiiultiiariiin) el jnrogilatum opus. Inler niaiinia rprnni siianini , natura nihil lialiet qiio mapis glorictur, aiitcerte cui glorietur. Quantiis Isie furor est , conlroïcrsiani diis njuncrii su! fjccrc? Quo- miMln adversus eos hic (rit grains, qnil)us gralia rrfeni linc impcndio non polestî qui negat ab hi< accepis-e se, a quitnis qnum maxime areipil; quielscmper datnri.simt, et nunqnam recepluri ? Quant;i aii'ein perï^rsit^is , ol> lioc alicui nondcberc, quia ctiam infilianti benignns est, et cnntinuationem iptani, smemqiie heneficionim , argu- mcnlnm vncare ntrcssario danlis ? Noio I sibi habcal 1 qiiis illnra rocat? cl < mne s a'ins inipudenlis aninii vores hi» adstrue. Non idpo de te minus merclur is, cujus li- l)eralitas ad tc.eliam dum nrgas, pervenit; cujnsqiie lieneficiornm vel hoc maximum , quod ctiam querenti datiiriis est. XXIV. Non vides , qnrmadmodum tener.im lil)eronnn infanliam parentes ad salubrium rerum patientiam co- ganl? Flentiuni corpora, ac repugnantium , diligenli eiira fovent : el, ne membra lit>ertas immatura detorqueat. in rectum eiilura conslringunt; et mox liberalia sludla inculcant, adbibito timoré noientibus. Ad ullimum, au- dacem juventam fnjgalilati, pndori , nioribus bonis, si pariim sequitur,coaclam applicant. Adulesceutibus quo- qne, ac jam potentibus sui, si remédia mclu aut intem- penintia rejiriunt , vis adhibctur ac scrvilus. Ilaque be- neficiorum niaxinia suni , qua; a parentibusaccipimus, dum aul nescimus, aut nolnmus. XXV. His ingralis, et repudiantibus bénéficia , non quia noiunt, sed ne delieant, similes sunt ex diverso ni- niis grali, qui aliquid inponimodi precari soient his qui- bus oliligati sunt, aliquid adversi, in quo alTectinn mc- morem accopti lienefleii approb«'nt. An hoc recte fnciant, el pia voluntate, qua'ritiir ; quorum animos simillimus est pravo nn)ore flagrantilius , qui cmieo; suit opiant es- silium, ut dcsertam fugientemque comilenior; optant in piain , ut magis desirteranli donrnt ; opiant nioibuni , ut assidcant: et quidquid iniinicus opt n I, aniaiiles \o- vent. Fere idem itaque exitus est odii , et aiiioris insani. Taie quiddam et his accidit , qui aniieis incommoda op- tant, qua»detrahaut, et ad l)eneficiuni injuria veniunt; quum satius sit vel cessare , quam per scclus ofticio locuni qna-rerc. Quid si gubernator a diis tempestates infestis- sinias.el procellas pelât, utgralior art sua periculo fiatf 256 SÉNÉ douiier. parle péril, plusdemérileà sou habileté! Que serait-ce si un général implorait les dieux, pour qu'une troupe nombreuse d'ennemis envi- ronnât son camp, franchît ses fossés dans son alta- que soudaine, arrachât ses retranchements devant son armée tremblante, ei plantât ses drapeaux vainqueurs aux portes mêmes du camp, afin de relever avec plus de gloire les affaires compromi- ses et chancelantes? Tous ces gens-la font prendre à leurs bienfaits une route détestable, qui invo- quent les dieux contre celui qu'ils veulent secou- rir, et qui veulent le voir renversé avant de le voir relevé. 1! y a inhumanité, il y a perversité dans la reconnaissance, lorsqu'on forme des vœux contre celui qu'on ne pourrait abandonner sans déshonneur. XXVI. Mon vœu , dis-tu , ne lui fait aucun tort, puisque j'appelle en même temps le mal et le re- mède. C'estavouerque tu es coupable; mais moins que si tu appelais le mal sans le remède. Il y a méchanceté h me jeter a l'eau pour m'en tirer ; 'a me pousser par terre pour me relever; "a me met- tre en prison pour me délivrer. Ce n'est pas un bienfait que de mettre un terme 'a l'outrage , et il n'y a jamais de mérite à détourner un malheur qu'avait provoqué celui qui le détourne. J'aime mieux n'être pas blessé que d'être guéri. Tu peux mériter ma reconnaissance en me guérissant quand je suis blessé , mais non en me blessant pour me guérir. I.a cicatrice ne plaît jamais que par com- paraison avec la blessure; mais si aises >\ue nous soyons de la voir se former, nous aimerions mieux qu'elle n'eût jamais été. Si tu souhaitais un pareil malheur'a celui dont lu n'aurais reçu aucun bien- QUE. fait, ton vœu serait inhumain : ne l'est-il pas bien davantage lorsque tu le souhaites il ton bien- faiteur? XXVIl. Mais, dis-ln, je demande en même temps il pouvoir lui porter secours. D'abord, si je t'arrête au milieu de ton vœu, déjà tu es un ingrat. Je n'ai pas encore entendu ce que tu veux faire pflur lui ; je sais ce que tu veux qu'il souffre. Tu appelles sur lui les soucis, la crainte , et quel- que chose de plus encore : tu souhaites qu'il ait besoin de secours; voila qui est contre lui : tu souhaites qu'il ail besDin de Ion secours; voil'aqui est pour toi : tu ne veux pas le secourir, mais t'aciiuit;er. Celui qui se presse tant, veut être dé- gagé, et non dégager. Ainsi la seule chose qui, dans ton vœu, pourrait paraître honorable, est juste- ment une honteuse ingratiiudc ; c'est la crainte de devoir. Car tu demandes non d'avoir le moyen de téniolgneia ton bienfaiteur ta reconnaissance, mais (|u'il soit dans la nécessité de l'implorer. Tu le don- nes la su périorité, et, cequiesl un cri;! e, lu mets ton bienfaiteur a tes genoux. Combien ne serait-il pas préférable de lui devoir avec bonne volonté, quede lepayerparderaauvaismoyens? Situ niais ta dette, tu serais moins coupable , car il ne perdrait alors que ce qu'il avait donné. Maintenant tu veux l'as- sujetiir "a toi par la perle de sa fortune, et, par le changement de son état, le réduire au point qu'il soit rabaissé au-dessous de son bienfait : puis-je te croire reconnaissant? Forme tes souhaits en présence de celui à qui tu veuxêtre utile. Appel- les-tu un vœu favorable celui qui peut appartenir "a la fois à la haine et "a la reconnaissance, cl qu'on jugerait indubitablement venu d'un adversaire et quid si imperator deos oret, ut magna vis bostium cir- cumrusacastris, fossassubilo impelu conipleat.el vallum trépidante exeicitu convellat, et in ipsis portis infesta signa constituât, quo majore cum gloria rébus lapsispni- fligatisque succurrat? Omnes isli beueliciasua delcstabili via ducunt, qui deos contra euni advocant, oui ipsi alfu- turi sunt, étante illos stemi, qu;im erigi volunt. Inhu- mana ista perverse grati aoinii nalura est, contra euni optare, oui honeste dee.sse non possis. XXVI. Non nocetilli voluni nieum, inqult, quia simul opio et periculum , et reinedium. Hoc dicis , uonnihil te peccare , sed minus quam si sine rcnicdio periculum op- tares. Nequitia est, utextrahas, uiergere; evcricre, ut suscites; uteniittas, includerc. ISon est bencficiuni , in- juria; finis; nec unquam id detiaxisse meritum est, quod ipse, qui detraiit, inlu'eral. Non vulnercs me nialo, quam sanes; potes inire gratiam , si, quia vulneratus sum,sanas; non, si vulneras, utsanandussim.îSunquam cicalrix, nisi coilata vulneri placuit; quod ila coissegau- denius, ut non fuisse mallemus. Si hoc ei optares , cujus nullum benefîcium baberes , inhumanum erat votum ; quauto inbumauius ei optas, cui bencGcium debcs? XXVII. Simul , inquit , ut possim ferre illi opem , pre- cor. Prinmm , ut le in média parle voti tui occupem , )ain inpratus es ; nondura audio quid illi vêtis praestare; scio quid iilum velis p^ti. Solliciliidinem illi et meliini, et majus aliquod imprecaris raalum : optas , ut ope indi- geat; hoc contra illum est; optas ut tuiindigeat ope; hoc pro te est; non succuriore vis illi, sed solvere. Qui sic properat, ipse solvi vult, non solvere. lia quod unum in voto luo honesmm videri poterat , ipsnm turpe ef in- gratum est, nolle debere; oplas enini , non ut lu facul- lateni h;il)eas referenda; gratiœ , sed ut ille necessilatem imploranda;. Superiorem tefacis, et quod nefas est , bene meritum ad pedes luos mittis : quanto satins est , honesta voluntate debere, quam per malam ralionem solveref Si inliliarcrisquod acceperas, minus peccares ; nibilenim nisi quod dederat, aniitteret; nunc vis illum subjici tibl jactura rerura suarum, et status mutatione in id devo- cari, ut infra bénéficia sua jaceat. Gratum te pulatm? coram co , cui prodesse vis , opta. Voium tu islud vocai, quod loler gratum et inimicum potest dividi? quod noa dubiies adversanum et hostem fccisse , si eitrema tacean- lur? Ilosles quoque optaverunt cai)erc quasdam url)e>. DES BIENFAITS. 237 d'unennemi, sil'on supprimait lesderniers mots? Des eiinemis .nussi out souhaité prendre cerlaines villes pour les conserver , vaincre certains adver- saires pour leur pardonner. Ces vœux n'en sont pas moins hostiles; car tout ce qu'il y a d'indulgence ne vient qu'après la cruauté. Enfin, quel caractère attacher h ces vœux , dont personne ne désirerait moins le succès que celui pour qui lu les fais? C'est mal agir envers lui que d'appeler sur sa lêle les colères des dieux afin de les détourner, c'est être injuste envers les dieux ; car tu leur imposes le rôle le plus fâcheux , lu le réserves le plus beau. Pour <|ue tu fasses le bien , les dieux feront-ils le mal? Si tii excitais contre lui un accusateur, pour l'écarter après; si tu l'engageais dans quelque procès, pour ensuite le dégager, personne ne dou- terait de ton crime. Quelle différence y a-t-il entre provoquer ce résultat par la fraude, ou par tes vœux, sinon , que tu vas lui chercher des adver- saires plus puissants? Tu as beau dire : Quel tort lui ai-je fait? Tes vœux sont ou superflus ou cou- pables, ou plutôt coupables quand même ils se- raient vains. Tout ce que lu n'obtiens pas est une grâce de Dieu ; tout ce que tu souhaites est un crime. Cela suflit : nous ne devons pas moins nous indigner contre loi que si tu avais réussi. XXVIII. Si mes vœux, dis-tu, se fussent ac- complis , ils se fussent aussi accomplis pour ce qui regarde ta sûreté. D'abord , le péril que tu me souhaites est certain , le secours incertain : en- suite, en supposant l'un et l'autre certains, c'est le mal qui vient en premier. D'ailleurs , toi seul connais la condition de ton vœu ; moi je suis sur- pris par la tempête , et j'ignore si j'aurai du se- cours, si j'atteindrai le port. El ne crois-tu pas que ce soit un grand tourment d'avoir eu besoin, quand même j'aurais reçu ; d'avoir eu peur, quand même je serais sauvé; d'avoir été accusé, quand même je serais absous? Jamais la fin des craintes n'est si douce qu'une sécurité solide et inébran- lable ne le soit plus encore. Souhaite de pouvoir me rendre mon bienfait quand j'en aurai besoin ; lie souhaite pas que j'en aie besoin. Si c'eût été eu ton pouvoir, le mal que lu me souhaites, lu me l'eusses fait toi-même. XXIX. Combien ton vœu serait plus honnête, si tu disais : « Puisse-t-il être en état de répandre toujours des bienfaits sans jamais en avoir besoin I Que toujours la fortune le suive, celle fortune dont il use si largement pour distribuer et secourir : que jamais il ne connaisse la disette pour donner, le repentir pouravoir donné. Que son naturel, dis- posé de lui-même "a l'humanité, 'a la compassion, 'a la clémence, soit réveillé et excité par la raullitude des gens reconnaissants : qu'il ait le bonheur de les rencontrer , sans avoir besoin de les mettre 'a l'é- preuve. Qu'il se laisse toucher par tout le monde, sans être obligé de loucher personne. Que la for- tune, toujours constante, lui continue ses faveurs, de manière à ce que personne ne soit dans le cas de lui prouver sa reconnaissanceaulrementquede cœur. Ces vœux ne sont-ils pas beaucoup plus justes, puisqu'ils ne te remettent pas 'a une occa- sion, mais le font de suite reconnaissant? Qui empêche, en effet, de pa\er de retour même la prospérité? Combien de moyens de rendre tout ce que nous devons , même aux heureux ! Un avis sincère, un commerce assidu, une conversation ut «ervarentî et vincere qnosdani, ut içnoscerent ; nec ideo noa bostilia Tob; m (|uibus, quod mitissiniiim est, po«t crudelilatem Tedil. Denique qualia esse judikas rota, qus nemo tibi minus volet, quant is pro quo Gunt , suc- eedere? Pessime corn eo agis, cui >is a diis noori, a le lacourri ; inique cum ipsis diis. Illis enim durissimas partes impoiiis , libi buinanas : ut lu prosis , dii noce- bunt?Si accusatorem subtnilteres, quem deinde remo- ^eres , si aliqua illum lite iniplicares , quam subinde dis- culeres , nemo de tuo scelerc dubitaret; quid interest, ntrum istud fraude tentelur, an voto? om quod polen- tiiires illi adversarios quaeris. Non est quod dicas : Quant enim illi injuriam facio? Volura tuum aut supervacuum est, aut injuriosum; immo injuriosiim , etiamsi initum. Quidquid nonefficis, Dei munus est ; injuria vero, quid- quid optas. Sal est; tilii non aliter debemus irasci, quam li feceris. XXVIII. Si Tola, inquit, valuisscnt, et in hoc valuis- lent , ut tutus esses. Primura , certum mihi optas peri- eulum siib incertoauiilio; deinde utrnmque certum puta; quod nocet, prins est. Praeterea, tu conditioncm\oli lui DOtti; me tempestas occupavit, portut ac prssidii du- binm. Quantum existiinas tormentum , etiamsi accepero, eguisse ? eiiamsi servalus fuero , trépidasse? etiamsi abso- lutus fuero, causam diiisse? Nullius metus tam gratus est Dnis, ut non gratior sit sulid:i et inconcussa securitas. Opia, ui reddere mibi bcneficium possis, quura opus erit , non ut opus sit. Si csset in tua potestate quod op- tas, ip.sc fecisses. XXIX. Quanio hoc honestius votum est : Oplo in eo statu sit, quo srmper bénéficia distribuât, nunquam de- sideret ! Sequatur illuni niatciia, qua tam bénigne utatur largiendojuvandoque, ut uunqiiam illi sit dandurum be- neflciorum inopia , datornm |vrnilentia. Naturam per se pronam ad bumanitatem, nd misericordiam, et cle- raentiam , irrilet ac provocct turba gratorum : (juos illi et baltere contingat, nec eiperiri necessc sit. Ipse nulli implacabilis sit, ipsi nemo placandus; lama-quali in eum furtuna indulgentia perscvciet, ut nemo in illum possit esse nisi c mscieiilia gralus. Quanto hxc jiistiora vnta sunl, quae te in nullam «iccasionem différant, scdgratum slatim faciunt? Quid enim prohibct referregratiani pro- speris rébus? quam mulla sunt, per quae quidquid de- bemus, reddere cliam fclicibus possumus? Fidèle consi- ïC8 SÉNÈQUE. douce et agréable , sans flatterie , des oreilles at- tentives dans les délibérations, discrètes dans les confidences, enfin rintirnilé de raffeclion. Per- sonne n'est placé assez haut par la fortune pour n'avoir pas d'autant plus besoin d'un ami qu'il a moins besoin de tout le reste. XXX. Une si triste occasion , tu dois la repous- ser de tous tes vœux, l'écarter bien loin, l'our pouvoir être reconnaissant te faut-il donc la co- lère des dieux? Ne corapreiids-tu pas que tu fais une faute par cela même qu'il en va mieux pour l'homme envers qui tu es ingral?Fi«ure-toi la prison, les chaînes , les accusations, la servi- tude, la guerre, la pauvreté ; voila les occasions que tu implores : si quelqu'un a tiaiié avec toi, voila les moyens qui doivent t'acquilter. Pourquoi donc ne pas souhaiter plutôt la puissance et le bon- heur a 1 homme à qui tu dois tout? Car, qu'est-ce qui t'empêche, comme je le disais , de te montrer reconnaissant, même envers les hommes qui ont atteint le faîte du bonheur? Tu en trouveras la matière abondante et variée. Quoi I ne sais-tu pas que l'on paie ses dettes même aux riches? Mais je ne veux pas t'enchaîner malgré toi ; supposons que l'opulence et la richesse ferment toutes les autres voies à la reconnaissance; je vais t'indiqner quelque chose dont le besoin se fait sentir aux plus hautes fortunes, et qui manque "a ceux qui ont tout. C'est un ami qui dise la vérité, qui arrache au concert unanime des flatteries un homme eni- vré de mensonges, et conduit a l'ignorance du vrai par l'habitude d'entendre toujours des pa- roles complaisantes au lieu de paroles honnêtes. Ne vois-tu pas dans quel précipice l'entraîne cette absence de toute franchise , cette amitié dégénérer en servile soumission : pas un ne cherche à per- suader ou h dissuader d'après la conviction de son cœur; mais, dansce combat d'adulations, le seul soin de tous les amis , leur seule émulation est de chercher "a qui caressera le mieux ses passions. Aussi les grands s'abusent sur leurs forces, et, comme ils se croient aussi puissants qu'on le leur dit, ils courent "a la conquête du superflu; ils se jettent dans des guerres inutiles qui doivent met- tre toutes choses en question , et troublent une paix utile et nécessaire. Emportés par des colères que personne ne contredit, ils ont; épuisé le sang des peuples, et fînissenl par verser le leur, tandis qu'abandonnant le certain , ils poursuivent l'in- connu, voient autant de honte 'a se laisser fléchir qu'à se laisser vaincre , et croient'a l'éternilé d'une puissance, qui n'est jamais plus chancelante que lorsqu'elle est a son apogée. Us ont fait écrouler sur eux et sur les leurs de vastes empires, sans comprendre que, sur ce théâtre éblouissant de grandeurs si vaines et si fragiles, il n'y a pas d'infortunes qu'ils n'aient dû attendre, du jour où ils n'ont pu entendre aucune vérité. XXXI. Quand Xerxès déclara la guerre "a la Grèce, il n'y eut personne qui n'excitât celle âme gonflée d'orgueil, qui oubliait combien était pé- rissable cette grandeur qui faisait sa confiance. L'un disait que l'ennemi ne tiendrait pas contre le bruit de la guerre, et tournerait le dos h la première nouvelle de sa venue : un autre , qu'il n'y avait pas à douter que la Grèce ne fût non- seulement vaincue, mais écrasée par cette masse formidable; que la seule crainte devait être de liura, assidua conversatio, sermo comis, et sine adula- tione jucucdus; aures, si deliberare Yelit, diligentes ; tutae, si crcdcre ; couvictus familiaritas. Neniineni tani alte secunda posuerunt, ut non ilti eo magis amicus de- sit , quia niliil absit. XXX. Ista tristis , et omni vote subnnovenda occasio , ac procul repellcnda : ut gratus esse possis , iratis diis opus csl? ÎSec ex hoc qnidem peccare te inteligis, qnod melius cum coagitur, cni ingratus es? Propone animo tno carcereni, vincula , sordes, serviluleni, bellum, egeslalem ; hœc sunt occasiones tui voti ; si quis lecnni contraxit, piT ista diniittilni-. Quin polius euni potenicm essfi velis , cui plurimum dtbes , et l)ealum ? Quid eniin, uldixi , vetat, le referre cliam suninia filicilaie praîdilis gr.liam, cujusplena lilnoccurretet varia nialei'ia?Quid ? tu ncscis delHIum etiam locupletibus soivi ? Nec le invi- lum dislringam. Onmia sane eicluseiil opulenla félici- tas ; nionslrabo libi.cujus rei inopia lal)orenl magna fasligia, quia oninia possidentibus desil. Scilicet ille, qui vcruui dical, el bomineni inler nienlienles slupenleni , ipsaque consueludne pro redis l)laada andiendi, ad ig- noranllam veii perductum , vindicet a consensu concen- tuque falsorum. ÎSon vides, quemadmodum illos in pras- ceps agal eistincla liberlas, et Ddcs in obsequinm servile subniissa , dum iiemo ei animi sui sculentia suadet , dis- suadelque , sed adulaudi cerlaraen est, et nnum amico- rum omnium officium, una conlenlio , quis blandissime fallal ? Ignoravere \iros siias, cl dum se lam magnes, quani audiunl , credunt , altravere supervacua , el in dis- crinicn rcrum omnium perventura bella ; utileni et ne- cessariam rupere concordiam ; seculi iram . quam ncmo revocabat, multorum sanguinem hauserunt, fusuri no- yissime suum, dum vindicaut iiieiplorata pro certia, ncct'que non minus esisiiniant lurpe quam vinci, el per- pétua crcdunl, quae in su i muni perducta mai^ime no- tant. Ingentia super se ac suos régna fregerunt, nec in- lellexerunl, in illa scena.e vanis el cilo dilTIucnlibus bonis refulgente, ex eo Icrapoie ip>os nibil non adversi exspeclare delmisse , ci quo n bil veii audire polueruot. XXXI. Quum bellum Grœciœ indicercl Xerses , ani- Ruim tumenlem, sil>us niarb , niiliii castra , eiplicandis equeslrilius copiis caiiipestria , fii palere oritim satis ad emiltenda omni manu tela. Quuni in buoc nioduni inulla midique laclarentur, qux hoiiiincni Dimia s&tiniatione tDÎ fureotem concilarent, Hemaratus Laceilasnionius so- lus diiit : • Ipsain illam qua sibi placeret multitudiacm , indigeslam et gravem, nietuendam esse dricenli : non eaim vires , sed pondus hal>ere; inimodica Dunquam ngi posse; Dec (liudurat-e.quidquid régi oonpotest.ain primo, inquit, slatim mon'e Lacunes ol>jecii , dabunt til)i sui ex- perimentiim. Tôt isia gentium millia treceoti moraliun- tur; bsrebuot in Tesligio flii, et commi.ssiis hibi angus- tias tucl>untur, et corporibus obstruent; lola illos Asia Don movel>it loco; lantas minas l>elli. et paeoe toliiis ge- neris bumani rueolis impetum, paucissimi sislent. Quum le mutatislegilmssuis natura trausmiserit, ia seniita bx- rebis, et xstimabis futura damna , quum pulateris quanli Tbermopylarum angusta consliteriot. Scies te tugari posse , quum fcieris posse retineri. Cedeut quidem tibi pitiribus locis, vclut torrentis raodoablati, cujascum magno terrore prima vis defluit; deinde hinc atque illinc coorientur, et luis te viribiis premeiit. Veruiii est quod dicitur , majorem belli apparalum esse , quiim qui recipi ab bis regioDibus possit, quas oppugnuri; constilui.s. Sed baec res coaira nos est; ob boc ipsum le Grsecia viucet , quia non rapit; uti toto te non potes. Prxierea , quie una rel>n8 salus est , occurrerc ud primos rerum impelus , et inciinatis opcm ferre non poteris , nec fulcire ac firmare labantia. Multo ante vinceris, quam viclum esse te sen- tias. Cclerum non est quod exercitum tuum ol> boc sus- tineri putes non posse, quia nunierus ejus duci quoque ignolus est. >ihillam magnum est, quod prrire non pos- sit; cui nascitur ia perniciem , ut alia quiescant, ei ipsa magniludiiie sua causa. • Acciderunt quIicuni emisil ; adnussos gregatim adulleros ; pererratam noclurnis comessationibns civitateni; forum ipsinn ac rostra, ex quibus patcr legera de adullcriis tii- terat , filia; in slupra placuisse , quotidianuni ad Maisjain concursum : quuni , ex adultéra in qua.'stuariam versa, jus omnis licentia- sub ignoto adullero peteret II.tc lam vindicanda Principi quam tacenda , quia quarunidani re- ruin turpiludo etiam ad vindicantem redit, paruiii po- tens ira; publicavcrat. Deindequum, inlcrposito teniporc, iu locum ira» subisse! verecundia , gemons, quod non illa silontio pressissel, qua; tamdiu nescierat, douce lojui t irpe esset, saepe exclaniavit : » horuni milii njliil accidis- sel, si aut Agrippa , .nut M.Tecenas vixisset. » Adeo lot lia- henli miliia hominum, duos repararc dilficile est! Ca'sa; sunl legiones, et protiuusscripla»; fracta cliissis, el irilra paucos diesnatavil nova; sajvituni est in opéra publica ig- nibus; surrexerunt meliora consunitis : Iota vita, Agripiix el Mïcenatis vacavit locus. Qnid pulem ? defuisse similes qui assumerentnr, an ipsius vitium fuisse, qui maluit quœri, quam quaerere? Non est quod exisiiinemas, Agrippaiu et Ma'cenatem solitos illi vera dicere ; qui si viitisseut, iuter dissimulantes fuissent, ftegalis iugeni) mos est, in pra?$eutium contunieliam amissa laudare, et bis virlutem dare vera dicendi,a quibus Jam audiendi periculum non est. XXXltl. Sed ut me ad propositum reducam, vides quam facile sit, gratiam referre felicibus, et iu summo humanarum opum po.^itis. Die i.lis non quod volunt au- dirc, sed quod audisse sempcr volent; plents auras adu latiouibus aliquando vera vox intret : da c insilium utile. Qua'ris , quid felici prapslare possis ? eflic.^ , ne felicilati sua; credat; ut sciât illam niultis et fidis manibiis conli- nendani. Parum in illum couiuleris, »i illi semel stultam nduiiam pcrniansura; semper polcntia- excusseris, do- cuprisque uiobilia esse quae ded t casus, el majore cursu fugere quant veuiunt : nec his portiouibus , quibus ad summa pervenlum est, reiro iri, sed sape inter forlu- nam maximam et ultimam nibil interesse? Nescis quan- tum sit prrtiuiii anncitis, si non inlelligis multuro le ei DES BIENFAITS. 2il noii-sculcinent dans les ramilles, mais dans les siècles; et dont il n'y a jamais plus disette qu'aux lieuï où l'on croit qu'ils abondent. Quoi ! tu l'i- magines que ce sont des amis qui sont inscrits sur ces registres qui fatiguent la mémoire et la main des nomcnclaleurs?Ce ne sont pas des amis, ceux qui viennent par gros bataillons frapper "a la porte , et qui sont classés pour ia première et la seconde audience. C'est un vieil usage des rois et de ceux qui copient les rois, d'enregistrer lout an peuple d'amis. C'est le propre de l'orgueil de considérer comme une faveur de te laisser entrer, et toucher le seuil de sa porte , de te réserver comme un honneur le droit de t'asseoir le plus près du portique, de raetire le pied avant les autres dans une maison où l'on trouve ensuite une multitude d'autres portes qui laissent encore de- hors ceux qui sont dedans. XXXIV. Ce furent, parmi nous, C. Gracchus , et, peu après, Livius Drusus , qui établirent une classiGcation pour leurs visiteurs : les uns étaient admis dans l'intimité , les autres en société , les autres tous ptîle-mêle. Ils eurent donc ainsi, ces hommes , des amis de première et de seconde classe, jamais de vrais amis. Appelles- tu ami celui dont le salut est réglé d'avance? Et penses-tu qu'il poisse t'oHvrir son âme , celui h qui tu ouvres ta porte avec lant de précaution, iju'il se glisse chez toi plutôt qu'il n'y entre? Comninit lui sera-il permis de s'élever jusqu"a s'armer de franchise, celui qui doit attendre son tour pour offrir un compliment vulgaire et banal , un bonjour donné "a Inut ve- nant. Aussi , lorsque lu rencontreras n'importe le- quel de ces liommes dont le lever met la ville en rumeur, quand mêiiio lu verrais les rues assiégées d'une foule immense , les places resserrées par les flots pressés de ces adulateurs qui se heurtent en sens coulrairo , sache que tu es arrivé dans un lieu plein d'hinimes et vide d'amis. C'est dans le cœur qu'il faut chercher un ami , non sous le portique : c'est l'a qu'il faut le recevoir, c'est la qu'il faut le retenir, c'est dans le sentiment qu'il faut le renfermer. Knseignc cela aux grands, tu seras retonnaissanl. C'est avoir mauvaise opinion de toi, que de te croire utile seulement aux affli- gés , superflu dans la prospérité. De même qiK; , dans les circonstances périlleuses , malheureuses et heureuses, lu le conduis avec sagesse, en faisant preuve de prudence dans le péril , de courage dans l'adversité, et de modération dans le bon- heur; de même, en tout événement , tu peux le montrer utile à un ami. Ne l'abandonne pas dans l'adversité; mais ne la lui souhaite pas ; car, dans de si grandes vicissiludes, il surviendra indépen- da'nmenl de tes vœux , beaucoup d incidents qui te fourniront matière "a exercer Ui bonne volonté. Celui qui souhaite des richesses à quel- qu'un pour en avoir sa part, ne pense qu'a lui- même, quoiqu'il paraisse faire des vœux pour un autre : il en est de même de l'homme qui sou- haite à son ami quelque malheur pour l'en déli- vrer par son aide et son affection. C'est de I in- gratitude; il se préfère à lui , et na tant "a cœnr de le voir malheureux, que poiirsc montrer recon- naissant ; et par conséqu nt il est ingrat. Car il veut se débarrasser, se soulager d'un fardeau qui lui pèse. Il y a bien de la dilférence entre s'em- presser à payer de retour pour rendre un bien- datnrnm , cui dederis aniicuni , rem non dnmil)us tantum, tcd scrulis raram; quie non aliubi niaeis decst, quani uhi credltar abundare. Quid? islos tu libères, quos vil nomenclalonim complectitur aul nicmoria , aut nianas, amirorum eiistimas esse ? Non sunt isli amici, qui .igmlne mngno janiiain puisant , qui tn primas et si-cundas ad- missionei digeruntur. Consuetudo ista re us est regibus, repesque simulanlH>u<. populum aniicoiniin describerc. Est proprium siiperblx, magno sestimare latroilum ac tactum sui liminls, et pro honore Hare , iit oslio suo pro- piu( assideas, ut gradum piior inlra dunium ponas in qua deiuceps niulta suot ostin , qn»' receplos quoqae e\- eludnnt. XXXIV. Apud nos prinii omnium C. Gracclius, et moi Livius Drusus inslituerunt segregarc turliani suani , et alios in lerre uni recipcre, alios cum pluribus, alius unitersos. Habuerunt itaque isli amicos primos, habuc- runt srcundos , nanqiiam veros. Aniicum Tocas , cnjus dsponilnr snlulat'O? aut potest hujus tibi palere fldcs, qui perfores maligne iipertas uonintrat, .sed illabilnr? Huic perrenirc asque ad dislrinpenrfanililierlateni lio't, cujiis vulpare cl publicuni terbuni et promiscunsii ignotis. Ave, DOQ oiti suo ordine emittitur? Ad quemcnmque ita- que islorum veneris , (|uoruni salulalio urbem conculit , «cito, etiam jiaiiimadTerteris obsessos ingenti fîc lucntia vil-os, ei coinnieantium in utramque parlera catervis iti- nera compressa , t.imen vciiire le In locuni liominilMit plénum, amicis vaaiiim. In pcclorc «micnn , non in atrio quxrilur ; illo recipicndus esi , illic retincndus, et In scnsns reconilendus. Hoc di>cc gratus es. )Iale de te exlslim;is, si inutilis es, nisi afilictu; si rébus bonis en- pcrvacuus. Qut madmodum le el in duliiis , et in advcrsiii. et in la-lis sapicnier geris. ut duliia |irudenlcr tracies, adtersa forùler, laeta modorate : ita in oninia ulilem le amic.i cxliilwre |iotes. Adversa ciiis .si nrc deserneris. nec opt^iverig , mulla nihilominus , ni non (iptrs , in tanl.i Tai'i('ta:e , (|uœ tibi mattriani eit-rccndip fidci pi-jcbcant, incident. Quenridmuduni qui optai civi iasalicui in hoc, ut illannn parb-m ipse serai, qnaiii\i5 pro illo videatn:- opiarc, sihi pnispieit : sic qui optât airico nliquam ncces- ►i;:ilcm, (juam adjuiorio suo fijcriur- (iii( uliat , qnod est ingrat!, se illi pn-Brerl , el tanti .Tstiiiiat illiim misoi-um es.se, ut ipsc grains >il , ob hoc ip-imi ingralns. Eione- rnre enim se vull , el ul gravi s.irrina liberare. Mulaim 342 SENE fait, oa pour ne plus être redevable. Celui qui veut rendre , se conformera aux intérêts de son bienfaiteur , et voudra attendre le moment favo- rable; celui qui ne veut que se libérer, désirera y arriver par tous les moyens; ce qui est faire preuve d'une coupable disposition. XXXV. Je l'ai dit, cette ardeur empressée est une marque d'ingratitude : je ne puis le montrer [ilus daironient qu'en répétant ce que j ai déjà dit. Tu ne veux pas n'udre un bienfait reçu, mais t'y soustraire. Tu semblés dire : Quand serai- je délivre de cet homme? Employons tous les moyens pour ne plus lui être obligé. Si tu souhai- tais de le piiyerde son propre fonds, tu se!ais loin de paraîiro reconnaissant : ce que tu souhai- tes est encore plus coupable. Car tu le détestes , et lu dévoues cette tête sacrée par les plus sinistres imprécations. Nul homme, que je pense, ne douterait do la monstruosité de ton unie , si tes malédictions appelaient otivertemciit sur lui la pauvreté et la captivité, la faim et la terreur. Qu'importe que ces paroles ne soient pas expri- mées dans Ion vœu'? 11 serait plus rationnel de .«iouhaiter quelqu'un de ces maux. Ya donc, et regarde comme un acte de reconnaissance ce que ne forait pas niêuse un ingrat qui ne se laisse pas aller jus(pi"a la haine, mais seulement jusqu'au désaveu du bienfait. XXXVI. Qui donnerait 'a Énée le nom de j)iciix , (si, pour arracher son père "a la captivité, il eût désiré que sa patrie fût prise? Qui le donnerait aux jeunes Siciliens , si , pour donner un bon exem- ple aux enfants, ils eussent souhaité «pie l'Etna, qui:. plus ardent et plus enflammé que de coulume, se répandît en torrents de feu , et leur fournit l'oc- casion de déployer leur piété filiale, en arrachant leurs pères à T incendie? Rome ne doit rien "a Sci- pion , si pour (inir la guerre Punique , il l'a ali- mentée ; rien aux Décius, pour avoir sauvé la patrie par leur mort, s'ils ont souhaité aupara- vant que la triste uécessité des choses donnât lieu a leur glorieux dévouement. La plus grande infa- mie d'un inodecin , serait de chercher de la be- sogne. II s'en est vu plusieurs qui, après avoir provoqué et développé la maladie , pour avoir plus de gloire 'a la guérir, n'ont pu la combattre , ou n'en ont triomphé qu'il force de tourmenter le malheureux patient. XXXVIl. Callislrate, dit-on, du moins Héca- ton le raconte ainsi, parlait pour l'exil, accom- pagné de plusieurs citoyens qu'une ville tumul- tueuse et livrée "a la licence bannissait avec lui : un d'entre eux souhaitant que la nécessilc for- çât les Athéniens de rappeler les exilés, Callis- Iralc repoussa avec indignation l'idée d'un tel retour. Notre Kutilius fut encore plus énergique. Quelqu'un lui disant, pour le consoler, que la guerre civile était imminente, et qu'il arrive- rait bientôt que tous les exilés reviendraient : Quel mal t'ui-je fait, lui dit-il, pour me souhaiter un retour plus affreux que mon départ? J'aime mieux que ma pairie ait à rougir de mon exil qu'a géiuir de mon retour. Cela n'est pas un exil, qui fait plus de honte h tout le monde qu'au condamné. De même que ces hommes illustres conservaient un juste sentiment de leur devoir de citoyens, en inlerest, uiruiii pmperes referre graliam, ut reddas be- ncOcium , an ne dt'l)cas. Qui reJdere vult, illius se com- modo aptal) t, et idoneum illi venire tenipus volet : qui niliil aliud qnain ipse liberari vult, quomodncunique ad iKic cupiet pcrvenire ; qui)d est pessima; volunlatis. XXXV. Ista , inquam , niiiiia feslinatio iiigrati est ; id nperlius exprimere nonpossuiii, quainsi repetiveni quod dixi. INon vis reddere acceptum beneliciuiii , sed clfugerc. rioc dicere videris, quando isto carebo? quoeuQique modo railii laboraudum est , ne isti oblisatus sim. Si op- taros ut illi solveres de suo.inultum abcsse vilereiis a gralo: lioc quod optas, iniquius est. Exsecraris enini 11- luni, et caput sancluiu tibi dira imprecatione dcfigis. îy"cnio,ut exisliniD.de immanitate animi tui dubitaret , fci aperte illi paupeitatein, si caplivilatoni, si fauiem ac niftuni iiuprecarcris Aliquid inleresl, uirurn vox isla voti sit tui? Saiiius aliquid enim liorum optns I 1 nunc , e( hoc. cssc grali piila . quod ne iusratus quiilcni faceret, qui modo non u-que iu odium, scd tautum ad inficiatio- iieni bencficii perveniret. XXXVI. QuU piniii dii-et ^neam.si palriani capi vo luerit, utcaptivitate palreni cri|)iat.' Quis Siculosjuve- ues, ut Ixma libei'is exenipla nionstrarent, si opiaverunt ut ilEtua immensa ignium vi supra solltum ardens et ia- censa praecipilct, datura ipsis occasionem eibibendx pie- latis, ex medio parcntibus incendio raptis? Nibil dtbcl Scipioni Roma , si Punicum bellum n! Qiiiret, a!uit : oibil Deciis , quod morte patriam servarerunt , si piius optave- runt, ut devotioni forlissima; locuni ultima rcruni néces- sitas faceret. Gravissima iafamia est medici, opus quee- rere. Multi quos auxerant niorbos, et iucilaTerant, ut majore gloria sanarenl, non potuerunldiscutere, autcum magna miserorura vexalione vicerunt. XXXVIl. Callistratuui niunt, ita certeHecaton auclor est, quum in exsilium iret, in quod nuillos simul cum illo seditiosa civilas el intcmpcranter libéra cxpulerat, opiaute quodam , ut Alboniensibus nccessilas pfsiiluendi exsuies csset , abominatum taleni rcdiluui. Rulilius ni>s- ler animosins : quum qnidnm illuui eoiisu!aretur, et di- cerct iuslare arma civilia , brevi futurnm, ut umnes ci- sules reverterenlur : Quid tibi , inquit, mali feci, ut niihi pejorem redilum , quiini exilum optares? Malo, ut palria exsilio uieo erubescat, quaui reditu mœret. ÎS'on estislud l'xsilium , cujus nemincni non magis, quam daninoluci pudel. Queniadmodum illi serxavenint lx)noruni ciTium ofricinni,qui reddi sibi penaies suos nolucrunt cladecom* Di:S BIKISFAilS. ne voulant pas rentrer dans leurs pénates au prix d'une calamité publique, parce qu'il valait mieux que deuï bonimes fussent frappésd'un mal injuste, que tous d'un mal commun; demiime celui-là ne conserve pas un sentiment de reconnaissance , qui veut que sou bienfaiteur !>oit accablé d'adversités pour les écarter de lui : quand sa pensée serait honnête, ses vœux seraient coupables. Ce n'est point une faveur, encore moins une gloire, d'é- teindre l'incendie que tu aurais allumé. X.XXVIII. Dans quelques villes, un vœu impie a clé considéré comme un crime. Il est du moins certain qu"a Atliènes, Demades Gt condamner un homme qui vendait des choses nécessaires aux fu- nérailles : il prouva qu'il avait souhaité de faire un gain considérable , ce qui ne pouvait lui arri- ver que par la mort d'un grand nombre de ci- toyens. Cependant on a mis en question s'il était juste de le condamner. Peut-être désira-t-il , non de vendre beaucoup, mais cher, et d acheter à bon marché ce qu'il voulait vendre. Puisque le com- merce consiste dans l'aclial et la vente, pourquoi n'interpréter son voeu que sous un rapport, tandis que le gain se trouve dans les deux';* D'ailleurs il faudrait condamner tous ceux qui sont dans le même commerce; car tous veulent la même chose, c'cst-'a-dire qu'ils le souhaitent intérieurement. Ce serait condanmer la plus giande partie des himimes. Lequel, en effet, ne fonde pas son pro- fit sur le donm)agc des autres? Le soldat qui sou- haite la gloire, souhaite la guerre : la cherté des vivres est rrs|M)ir du laboureur : la multitude des procès fait le prix de l'éloquence : une année mal- saine fait le profit du médecin. Ceux qui débitent les marchaiiilisej de luxe s'enricliissenl p;ir la cor- ruption de la jeunesse. Qu'aucun orage, qu'au- cun incendie n'endommage les maisons, les ou- vriers seront sans travail. Le vœu d'un seul homme a été puni, et c'est le vœu de tout le monde. Crois- tu qu'un Aruntius, un Atérius et les aulres qui s'exercent à l'art do capter les leslamenls, no lor- ment pas les mêmes vœux que les dosignaiours cl les libitinairos '? Kiicore coiix-ci no connaissent pas ceux dont ils ^ouhailolll la mort : au liou quo ceux-l'a désirent la mort «le leurs plus iiiliuios amis, dont ils espèrent le plus, en vorlu de ooiio amitié même. Personne ne vil nu préjudice dos premiers: ceux qui diffèrent do mourir, iii^noiit les derniers. Car coux-ci souhaileiit iinn-voult'moiit de recevoir ce qu ils ont méiiié par une ImiiIouso servilité, mais encore de se voir délivrés d un iii;- pôt onéreux. Il n'y a donc pas à douter qu'ils no forment, à- plus forle raison, le vœ:i ([uo l'on n'a puni qu'on un seul homme : (piaiid la mort de quelqu'un doit leur être prolilahlc, sa vie doit leur être nuisible. CopcncLiiil los \œii\ de ces gens-l'a sont aussi notoires qu'impunis, lùilin , que chacun s'interroge , poiiolro les scorels do sou cœur, et examine co qu'il a souli.iiie en silonce ; combien de vœux qu'on n'osor.iit pas s'avouei ;i soi-même ! comliieu pou qu'on puisse faire devant témoins I XXXl.X. Néanmoins, loul coqui osl réprolk'iisi- ble n'esl pas pour cela ['unissable : témoin oo vœu dont il est (|ucsiion entre nous, d'un ami qui, usant mal de sa Ihiiiuc volonté, tond>e dans lo vice qu'il veut éviter; car. on se |)rossant de lo- ' Directeurs et empInyf'A iIcj tt^H'moni' s fniiflnes muni, quia tatius cral du(a iiiiiiuo ni lo .iflici , qiiani oinne» puI)ll(o : ita non serval grati liomiiiis aireclum, (|ui lienc de se mereiitiin diniciittiitibus viill oppriini, qnas ipsesutiniOTCat; (|iii ollainsi lioiio cogitai, nialcprc- catur. Ne lii patrociniiiiii oiiideiii , neduni in glorlani est, incendiiim oislinxissc , <|uod fi'ceris. XXXVIir. In et. Quuni imisiet nepolialioex emln et ven- dilo, qnare tolum ojii- in un^m parlem trahis, quum locram ei alracpie sU? l'raeterea onmes licet , qui in isia nogotiatione sunt, damni's : omncs enim idem volunt, id esl, intra se oplant. Al.npnam Iviminum parlem danina- liis; ciii enim non ei alicno incoinmodo 10^1111? Miles bellum optai, si ^'oriani; nnrirolani annon.-p cariliis eii- gil ; cloqiienli.-e exceptât prctium lilinni nuiueni.s; mi'- ilicis gra\i.s anuus in quashi esl; in-stilores delicalaruin mereiumjuvenlii.s Cii-nipti locuplclal ; niilla lenipeslalo, nulli) igné la danlur teoia , j.ic^liil opéra fahrilis. L'nin» «olum deprebeusum est, omniiuii simile esl. .\n lu .\r- runlium et Aleriuin, il eeleros qui raptandnrum lesla- mentoruMi arleni profe^si sunl non piit.iseadeiii lialK-re, quae de.vign it>res cl libiliiiariov, viti ? illi 'amen qiionini n,nrles optent, nesilnol ; lii faniiliarissinnini quoniquc, ex quo propler aiiiiorenlur. Non esl ilaqiK' liidiiuiii , (,'uin lii iiiaiiis (lun I daniualum e>l in uno, opiin!; quihus (|nisi|uis uuirle profulunis est, »iia ni'oet. Onniiuin laoïen islnnim lani noia sunt vola , qiiam inipuriila. Deniqiie se ijo s'|iic c.)!i sul t, et in srereinni («'CloHs soi redeat, elinspiclat qnid lacilus oplaveril; quain niulta sunt vola. c|iiii'eliamsil)i fa- leri piidit! quaui paura. qua-faeerccorani teste po.ssimus. XXXIX. .Scd lion, quidquid repre' eiidenduiii, eliain dainnandiim esl : ieul lu* voliuii .iiiiici, (|;ind in mani- liiis est, maie iilenlis boni voliinlie, el in id viiiuni in- ciil'-nlis , ip-dd exilai; nni (iuiii gr; tiiiii aniiii:!iii fesliii:it IG. 241 tnoigner sa reconnaissance, il devient ingrat. C'est dire : Que mon bienfaiteur soit à ma discrétion! qu'il ait besoin de ma reconnaissance : que sans moi il ne puisse compter sur sa vie, son honneur, sa sûreté : qu'il soit si malheureux que tout ce que je lui rendrais lui tienne lieu de bienfait. Voila ce qu'entendent les dieux! Qu'il soit envi- ronné de pièges domestiques, dont, seul, je puisse le délivrer. Qu'il soit poursuivi par un ennemi puissant et acharné, par une foule menaçante et armée : qu'il soit pressé par un créancier ou un accusateur! XL. Vois comme tu es juste! Tu ne lui souhai- terais rien de tout cela, s'il ne t'eût pas accordé de bienfait. Pour passer sous silence les autres torts plus graves que tu commets, en rendant le mal pour le bien, tu es au moins coupalde en ceci, que tu n'attends pas le moment convenable pour chaque chose : or, il y a autant de mal 'a le devan- cer qu'a rester en arrière. De même que le bienfait ne peut pas être recouvré 'a tout moment, de même il ne peut pas être "a tout moment rendu. Si tu me rendais sans que j'eusse besoin, tu serais ingrat: ne l'es-ln pas bien davantage en me forçant d'avoir besoin? Attends : pourquoi ne veux-tu pas que mon présent reste chez toi? Pourquoi supportes- tu si impatiemment une obligation? Pourquoi, comme si tu avais affaire 'a un usurier impitoya- ble , le presser de solder nos comptes? Pourquoi me chercher des difQcultés? Pourquoi exciter les dieux contre moi? Comment donc exigerais-tu un paiement, toi qui t'acquittes de la sorte? XLl. Ainsi donc, Libéralis, apprenons avant tout 'a devoir tranquillement les bienfaits 'a saisir SËNEQUE. les occasions de rendre , sans les amener de force : souvenons-nous qu'il y a de l'ingratitude dans cette impatience même de se libérer au premier moment. Car nul homme ne rend de bon cœur ce qu'il doit contre son gré; et ce qu'il ne veut pas garder chez lui , il le considère comme un fardeau, non comme un présent. Combien n'est-il pas plus honnête et plus juste d'avoir toujours sous les yeux les bienfaits des amis; d'offrir le retour, non de le faire accepter de force; enfin de ne jamais se croire pressé d'une dette? Car un bienfait est un lien commun qui enchaîne deux cœurs. Dis : Il ne tient pas 'a moi que ton bienfait ne te revienne : je désire que tu le reçoives avec joie. Si le sort menace l'un de nous deux, si les destins ont dé- cidé que lu sois obligé de reprendre ton bienfait, ou moi d'en recevoir un nouveau, que celui-là donne plutôt qui en a l'habitude. Je suis tout prêt. « Turnus ne restera pas en arrière !» Je le ferai connaître mon cœur "a la première occasion : en attendant, j'ai pour témoins les dieux. XLII. Souvent, mon cher Libéralis, j'ai remar- qué en toi, et pour ainsi dire touché du doigt, cette disposition qui le fait l'alarmer et l'impa- tienter de peur d'être en retard dans les devoirs. Cette inquiétude ne convient pas à un cœur re- connai.ssant , qui se doit au contraire une entière confiance, et tous ces scrupules tombent devant la conscience d'une véritable affection. C'est pres- que un outrage de dire : Reprends ce que je le dois. Que le premier droit du bienfait soit de lais- ser celui qui a donné , choisir le moment pour recevoir. — Mais je crains que les autres ne parlent mal de moi. — Ce n'esl pas bien agir que d'être re- ostendere, ingratus est. Hic, ait, inpotestatem nicani re- cidat , gratiam meam desideret , sine me salvus , honestus, tutus esse nna possit; tam miser sit, ut illi beneQcii loco sit , quidquid redditur. Ha!c diis audienlibus I Circumve- niant illuni domesticae insidlœ, quas ego possim solus op- primere; instet potcns inimicus et gravis, infesta lurba nec inermis, et créditer urgeat et accusalor. XL. Vide quam sisœquus! horum optares uilill, si tibi l)eneficium non dedissct. Ut alia taceam, qua> pra- Tiora committis, pessima pro optimis referendo, hnc cerle delinqnis, quod non exspectas suum cnjusque roi tempus : quod ieque peccat, qui non sequilur, quam qui «ntecedit. Quomodo non semper benelîciura rccipicndum est, sic non ulique reddendum. Si niihi non desideranli redderes, ingratus esses : qunntoingralior es, qui deside- rare me eogis? Exspecta ; subsidere apiid te niunus meum non vis? quareol)ligotum moleste feis?quare, quisi cnm acerbo fœneralore, signare parem properas? Quid milii negolium quœris? quid in me deosimniitlis? quomodo eïigeres, qui sic reddis? XLI. Ante omnia ergo, Librralis , hoc discnmns , bc- DeQcia secure del)cre , et occasiones reddcndoruni oljsor- vare, non manu facere : liane ipsam cupiditatem primo quoquc temporeliberandi se , mcminerimus ingrali esse. Scmo enim libenter reddit, quod invitus del)et : et quod apud se non vult esse, onus judicat esse, non munus. Quanto melius ac justius, in promtu habcre meriia ami- corum et offerre, nm ingerere; necobaeratum se judi- care? quoniam beneGciuui commune vinculuni est, et inter.se duos alligal. Die, nihil moror, quo minus tuum revertatur ad te ; opto hilaris accipias; si nécessitas aller- ulii nostrum imminet , fatoque quodam datum est , ut ant tu cogarisbeneficium rccipere, aut ego ac* père, det potiusquisolet.Egopaia!ussum. • NullamorainTiirnoIi; ostendam Iiunc animum , quum primum tempus adve- nerit : intérim dii lestes snnt. XLII. Soleo , mi Libéralis , notare hune in te affeclum, et quasi manu prendere , verentis et aestnantis , ne in ullo ofllcio sis tardior. Non decet gratum animum sollicitudo, conlra summa fldncia sui , el ex conscientia veri amoris dimissa omnis anùelas. Tanqut^m convicium est. Recipe , quod dcl)eo : hoc primum l>enofirii diti sit jus, ut reci- piendi lempus elig.it . qui dédit. At vereor, ne homines de mo sequius loqunntur. Mate agit, qui Urax, mn con- DES BIENFAITS. connaissant pour le public el non pour sa con- science. Tu as deux juges de ion action : toi-même, (|ue tu ne peux tromper; le public, que lu peux décevoir. Mais quoi ! si aucune occasion ne se pré- sente, serai-je toujours redevable?Tu léseras, mais tu le seras ouverti-menl , mais tu le seras de bon cœur, mais tu verras toujours avec grand plaisir le dé|>ot (|ui reste cliez toi. On se repont d'avoir reçu lorsqu'on s'afOige de n'avoir pas encore ren- du. Pourquoi celui qui t'a paru digne que tu reçus- ses de lui, le parait-il iudigne que tu lui doives? XLIII. C'est une grave erreur de croire qu'il y ail de la grandeur d'âme a beaucoup olfrir , 'a beaucoup donner, à verser des bienfaits dans le sein de beaucoup, h remplir des maisons : tout cela ue prouve pas une graudeàme, tuais une grande forlune. Ou ignore combien, souvent, il est plus difficile, plus méritant de réserver ses dons que de les répandre. Car, sans déprécier ni l'une ni l'autre conduite, y ayant parité de mérite entre deux actions que la vertu inspire , il ne faut pas une âme moins élevée pour devoir que pour donner. Et môme l'un est d'autant plus difncile que l'autre, qu'il faut plus de soins pour garder ce qu'on a reçu, que [wur le donner. Il ne faut donc pas s'agiter pour rapporter promptement , ni se presser mal "a propos ; parce que c'est une faute égale de manquer l'occasion de la reconnaissance, el de la brusquer bors de saison. Il a fait un place- ment sur moi : je ne crains ni pourini ni pourmoi. Toutes ces sûretés sont prises: il ne peut perdre son bien^ail qu'avec moi : il ne le perdrait pas même avec moi. Je lui en ai su gré; c'est-à-dire que je l'ai payé. Celui qui s'occupe trop de rendre un bienfait suppose qu'un autre s'occupe trop de le recevoir : monirons-nons disposés;! lout :s'il veut recouvrer son bienfait, suppoi tims-le, rendons-le avec joie. S'il aime mieux ([ue nous le gardions, pourquoi déterrer son trésor? pourquoi en refuser la garde? Il mérite de pouvoir faire son cLoix. Quant à l'opi- nion et à la renommée, mettons-les h leur place, qui est de nous suivre el non de nous guider. LIVRE SEPTIEME. I. Bon courage , mon cher Libéralis : « Tu Ioh- ches au rivage. J'abrégerai mon discours el ne t« retiendrai plus dans les détours d'un long prcani- bnle. » Ce livre renferme le reste du sujet ; et , i» matière étant épuisée, je cherche de tous côtés, nonce que je dois dire, mais ce que je n'ai pasdit. Donne toutefois tou approbation 'a ce qui reste, quand même ce serait superflu pour loi. Si j'eussp voulu me faire valoir, j'aurais dû faire grandii mon œuvre par degrés, et réserver pour la lin les morceaux capables de réveiller la satiété. Mai> j'ai accumulé d'abord tout ce qui était le plus iin- |)ortant. Alainlenant je ne fais que recueillir ce qui m'est échappé. Et assurément, si lu m'inter- roges, je ne (>cuse pas (ju'il inipelx>? Debebis; i>ed palani debebis , sed libonter debehis, sed cum magna Toluptateapud te d posilum irilnt'beris. Piruitel accepti bc- uefk-ii , quein noiidunireddilipigut; quarequitibi dignus visus est, « quo accipvres , indignix videatur, cui debeas? XI. III. In MLigais rrrorilms suni, qui ingen.is aoinii rredu:it, prufcrrc, donarc, plurium sinuni ac donium icplere : qiiuni ista inlenluni nouniagnus animus fadat, srd magna fortiina. IScsciunt, qunnto Intérim majus ac (lifllcilius sll capere, quam fundere. >am ut uibil al- ler! detntham, i|Uoni;imulruniqurul>i ei >irtuti' fil, par es.; non miiioris est aninil bencficiuin del>cre, qu;im dare : eo quidem operos'us hoc quam illud , qui> majore (iiligenlia cusiodiuulur accepta , qnam dantur. Ilaque non ni trepidandum, quam cito rtpoiianms, nec procurrcn duni intenipcïlive, quia œque dclinquil, qui ad refercn- dani graiiam suc tcniporc cessai, quam qui aliène pro- peial. Posilum est illi apud me : nec illiu» Domine, nec mco liraeo. Bene illi cautum est : non p test hoc l)oncn- cium pcrderc, nisi mecum.immo ne mecum qniilim. l'ui illi gralias , id esl , rcinli. Qui niniis de ÏH-nedcio rcd- rifmlo cogitai, nimis cogilare ullcruin de ricipiemlo pulal : pra-slet se in ulrumque facilem; .si Tult rcc ipi r» lieueGcium, referanms, rcddaniusqiie Ixli. Illnd B\ua nos cusiodiri maTull : quidtbesaurumcjuscruinius? (|U'd cuslodiam rccusan>us? dipnus est, cui uiruin volet, li- ceal. Opinionem quidem et faniam eo loco hal>caii:ui, lanquam non duceie, sedsequi debcat. LIBER SEPTIMUS. 1. Bonum, mi Libéralis, hal>eas aaimum toIo : In manibus lerrae. Non hic te carminé loiigo, Atque pcr ambagn et \onga emrsa tenetio. Reliqua hic lil>er cogit, cl eihausta mateiia, circumspi- cio, non quddicam, sed quid non dixeriiii. Boni tanieii cousules quid(|uid supiresl, quum tibi &upcrfucrit. Si voluissem tenocinari mibi , debuit paulalim opus crescere, et ca pars in fiuein reservari , quam quililK't e.iani salla- tus appeterel. Sed quidquid maxime necessarium diat . in primum coogessi : mine si quid e'futzil, recolligo. tS'cc, mebercule , si me inlerrogas, nimis ad rem eiistiniu |)«r- linerc , ubi dicla sint quae regunt mures , pcrseipii r.(- tera, non in remcdiiim aiiiini, sed in oxcrcilationem in- pinii inventa. Kgiegic rnim boc dlrcrc ftpindriiis (J;ni- 240 SÉNÈQUE. Il Qu'il est plus prolilahlo de coiin.iilio un petit udinbrc c nusquam dimittere, immo afligere et partem sui fcrere, eoqne qtiolidiana meditatione perduci. DES BIENFAITS. 247 tout, cl (lès qu'il en a besoin, elles soient à sa dis- position, qu'elles lui reproduisent sur-le-clianip la dislinelioii del'liomièlectdu désliounéte, cl lui apprennent «luil n'y a pas d'autre mal que le dés- liounéte, pas d'autre bien que l'honnête. Que sur cette règle, il distribue tous les actes de sa vie , que, d'après cette loi , il fasse tout, il exige tout : qu'il considère comme les plus malheu- reux des mortels, quel que soit l'éclat de leur fortune , les esclaves de leur ventre et de leurs plaisirs, ceux dont l'àme s'engourdit dans une lâche oisiveté. Qu'il se dise 'a lui-même : La vo- lupté est fragile, passagère et sujette au dé- goîit : plus on s'en abreuve, plus elle se trans- («rine tantôt en un senliment contraire, que suit toujours le repentir ou la honte. En elle rien n'est beau, rien n'est conforme à la nature de l'homme, de tous les êtres le plus près de la divinité : c'est une chose basse qui emprunte le ministère des membres les plus vils et les plus honteux , et qui se termine par je ne sais quoi d'abject. La volupté digue d'un homme, d'un liéios, n'est pas de remplir, d'engraisser son corps, d irriter ses désirs, tlontle repos est notre plus grande sûreté ; mais de se mettre "a l'abri de toute in(|uiélude , et de celle qui réveille l'ambi- tion des hommes, en guerre les uns avec les au- tres, et de celle dont les amertumes ont une ori- gine céleste, quand nous croyons des dieux ce que raconte la fable , quand nous les jugeons d'après nos propres vices. C'est cette volupté toujours égale, toujours libre de crainte, jamais ennuyée d'elle-même, que goûte le sage dont nous traçons le portrait. Instruit des lois divines et humaines, il jouit du présent, sans dépendre de l'avenir. Car rien n est solide pour qui se porte vers l'iu- certain. Exempt des soucis rongeurs «jui déchirent l'àme, il n'espère rien , ne désire rien, ne remet rien au hasard, content de ce qu'il a. Et ne crois pas qu'il si)it content de peu de chose : tout lui appartient; non comme tout appartenait 'a Alexan- dre, qui, lorsqu'il s'arrêta sur les bords de lu mer lîouye, possédait moins qu'il n'avait acquis. Il n'était pas même maître des régions qu'il occu- pait, qu'il avait conquises, puisque Oncsicrita errait sur l'Océan qu'il avait mission d'explorer, et cherchait de nouvelles guerres sur une mer in- connue. ÎS'étail-ce pas assez découvrir son indi- gence, que de porter ses armes au-delà des bornes de la nature? que de se jeter avec une aveugla avidité dans des espaces profonds, inconnus, im- menses? Qu'importe combien de royaumes il ra- vit, il donna , combien de terres il accabla de tri- buts? il lui manque tout ce qu'il désire. III. El ce ne fut pas le défaut d'Alexandre seu- lement, qu'une heureuse témérité conduisit sur les traces de Liber et d'Hercule, mais de tous ceux que la fortune altéra en les abreuvant. Vois Cyrus et Cambysc, [wrcours toute la galerie des monar- ques persans, en trouves-tu un seul qui, rassa- sié, arrête les bornes de son empire? un seul i|Me la mort n'ait surpris au milieu de queK]ue pensée d'agrandissement? Cela n'est pas étonnant. Tout ce qu'obtient la cupidité est aussitôt absorbé, en- glouti. Pen importe ce qu'on accumule ; c'est un abime sans fond. Le sauc seul est maitre de toutes lit sua .spnnle occurruot salutaria, et ubique ac slatim desidiTaia pra>sto siiit, et sine niora ulla veiiiat illa tur- |iis honestique disliucliii, sciatqiie nec nialum essn ulliim nUi lurpe, nec bonuni nisi hunestiiiii. H;ic rrgula fita- opéra distribuât : ad haiic Irgeiii et agat cumia , et ex'i- gai : niUerriinosque iDurtaliuin ludicel, inquanliscuniquc npibui r(Tul(!rtiunt, «eolri ac libidioi d.dilds, quorum aninius incrli o.io lorpet. Dicat ipse sibi : Volupt s fra- fiitis Cit. lircTls, faitidio olijecta : quoaudius hausta es!, citius in coDIrarium recideus, ctijus snblnde ntTPs-c est iiut po-oitrat , aut pudeat. In qua nihil est magiiificuni , autquod nr.tnram honiinU, diis proiimi , dereal ; iTs hu- milis, iiieiubrorum lurpium ac viliuin niinisteriii Tciiiiiis, e\ilu rœda. Isla est Toluptas et iKiminc et viio dipna , non iiiiplere corpus, nec saginarc, nec ciipiditaies ini- larc, quarum tulissima est quies : sed rerturtialione cri- tère , et ea quaiu hoininuin inler se riiantiuni ombitus MincuUt , et ea quse inlolerabilis ci alto venit , nbi de dii< faniiB creditum est, vitisque illos no.stris a?stiniavimu». Ilanc «nluptatcni a-qnalrm, inirepidani, nunqnam sen- suram siii txdium , percipit hic qiiein dcrorniamus qnain mithiic : qnl, nt ita diram, diïini juris atqiie humani peritiis . pra-senlilms gaudel , e\ fuluro non peodct ; ni- bll eoiiti firmi h.il)ot , qui in incerta propensus est. Ma- gnis itaque curis eiemptus, et dlstorquentlbusinentem, nihil speral, aut cupit, nec se millit in duliiuin, suo con- tentus. Nec illum oistinies parvo esse ccintenlum ; omnla illius sunt , non sic , quemadmoHum Alexandri Tucrunt ; rui, qiiainqiiaiii in libire maris Ruliri steterat, plus dec- rat quaiii qua venerat; illius ne ea qnideni rrant, qua tenetMt, aut viceral, qiiuin in Occano Onesicrilus praj- missus explorator erraiet , et liella wi iRuoto mari quéB- rcrct. Non satis apparbat innpem esse, qui eitra na- lur;i' terminos arma proferret ? qui se in profundum , inexpliinitiiin et inimonsuni, aTJdilate cjrca prorsus im- milterel? Quid intci est , quoi eripueril rcyna, qiiotde- deril, quantum lerrariim tributo pienial ? l:;iitiiiu illi dcest, quantum cupit. III. ÎSec hoc Alevandii tiintum xilium fuil , qiiein per Libcri IIcrcllli^qne vpsligia felix leinerilas epit , sed om- nium quos forliinn irrilavit inipiendo. Cyriim et Cambj- scii , et totum rcKiii Pcisiti sieniiiia percenso; quem in- veiiies; cui niodiim imperii salietas feceril? qui non Ti- lara in aliqua ulleriiis prorrdendi cogitatione finieritT >t'C idmirumest; quidquid ciiiidita'.i contingit, peni- liis hauriliiretcondilur; nec interest, (|iianlnm roquod incxpleliile rsl , longeras. Cntis est sapiens, cnju-i oni- iiia sunl, nec ci diftlcili lund.i. Non liai'el niiUeniliis ^■IIJHIPIOIJP 2'iX SÉJNÈQUE. ilioses, el n'a point de peine à les garder. Il n'a pas de lieutenants à envoyer a travers les mers, pasdecanipsa tracer sur les rives ennemies, pas de garnisons à distribuer dans des positions avanta- geuses: il ne lui fautni légions ni corpsdecavalerie. De même que les dieux immortels gouvernent sans armes leur empire, el veillent sur leur œuvre dans le calme de leur sublime séjour , de même le sage leraplit sans trouble se<; devoirs, (jueUjue étendus ([u'ils soient, et. le plus puissant et le plus ver- tueux parmi les hommes, il voit tous les autres au-dessous de lui. Tu peux rire : mais quand dans ton âme, qui franchit les distances el les profon- deurs des solitudes , lu parcours l'Orieiil et l'Oc- cident, quand tu vois cette mnllituded'animaux, celte abondance de biens que la nature a répandus pour notre bonheur, il y a quelque chose de vrai- ment digne d'un grand cœur "a faire entendre cette parole de Dieu : Tout cela est "a moi. C'est ainsi qu'on n'a plus rien a désirer ; car rien n'est au- del'a du tout. IV. Voilà, dis-lu, ce que je voulais : je te liens: il faut voir comment lu le dégageras de ces lilets où toi-même lu l'es enlacé. Dis-moi comment on peut donner quelque chose au sage, si tout lui appartient. Car ce qu'on lui donne est aussi "a lui. Ainsi donc on nepeutaccorder un bienfait au sage, puisque tout ce qu'on donne, on le donne du sien : pourtant vous prétendez qu'on peut donner au sage. Mais apprends que je le lais la même ques- tion au sujet des amis : vous prétendez que tout est commun entre eux : donc personne ne peut donner a un ami , car ce serait donner sur le bien commun. Kien n'empêche que la même chose n'appartienne au sage el à celui qui la possède, "a qui elle a été donnée et adjugée. Par le droit civil, tout est au souverain; el cependant toutes ces choses, dont le souverain a la possession univer- selle, sont distribuées entre plusieurs maîtres , el chaque chose a son possesseur. Ainsi uous pou- vons donner au souverain une maison , un es- clave, de l'argent, sans qu'on dise que nous lui donnons du sien. Car la puissance sur tout est au souverain , la propriété est 'a chacun. Nous ap- pelons limites des Athéniens et des Campaniens, des plaines qu'ensuite les voisins enire eux distin- guent par des délimitations particulières. Tout le territoire appartient à l'une ou "a l'autre républi- que, et porte ensuite le nom de son maître parti- culier. Ainsi nous pouvons donner nos champs 'a la république, quoiqu'on dise qu'ils sont à elle; parce qu'ils lui appartiennent d'une autre façon qu'à moi. Met-on en doute que l'esclave avec son pécide n'appartienne à son maître? Cependant il fait des présents "a son maître. Car il ne résulte pas que l'esclave n'ait rien de ce qu'il n'aurait rien si son maître n'y consenlail point; et ce qu'il donne de plein gré n'en est pas moiùs un présent, quoiqu'on pût le lui ravir même contre son gré. Comme nous avons prouvé que toutap- l)artpnait au sage (car désormais c'est un point convenu entre nous), il s'agit maintenant d'éta- blir par des exemples la question qui nous oc- cupe , c'est-à-dire comment il peut rester matière à libéralité envers celui que nous reconnaissons comme maître de tout. Tout ce qui est dans la Irniis marin legalos, necmctauda in ri pis liostiiiliiis castra, Doii opportuDis castcllis disponenda {irccsidia; non opus est legione , nec equeslribus turniis. Qiicniadniodum dli iiniiiortales regnuni inernics regunt , et illis rerum sua- rum ex edito tranquilloque lulcla est ; ila hic officia sua , q'iamvls lati.ssime pateanl, sine tuinullu obit : et omne liumanum gcnus, potcnlissimus ejus op'.imusqne, infra se videt. DcriJeas lieet; iiigeetis spirilus tes est, quuiu priculem Occideutemque lu.'tiaveris nnimo, quo cliHin remota cl salilndinihus interclusa pcnctraiitur . quum tôt aaimiilia , tanlam copiani rcnnii , qu;is iia!ura bectissime limdit, aspexeris, eiiiiltere liane Dei voccni : Ila-c onmia nica sunt. Sic fit, ut uitiil ctipiat; quia niliil esteiira omriia. IV. Hoc ipsum , inquis , volui ; lenco te : yoIo vidcre, quoiiiodo ex liis laqucls , in cpios tua sponte decidisti , expliceris. Die niilii , queniadiiKidiini potest aliquis do- nare sapienti , si onmia sapienti sunl? nam id quoque quod illi donat, ipsius est. Itaqiie non potest dari benefi- eiuin sapieuli; cui quidquid dalur, de suo dalur; atqui rticilis , sapienti posse doaari. Idem autem me scilo et de aniicis iuterrog:ire. Omnia dieitis illis esse communia ; ^igo nenio quidquani amico donare potest : docat euim illi communia. ÎS'ihil prohibet aliquid et sapienîis esse, et ejus qui posbidet, cui datuni et assignatum est. Jure ciiill omnia régis sunt ; et tamen illa quorum ad reg( m perlinet universa possessio , i-n singulos dominos descript i sunt , et nnaqua-que rcs habct possessorem suum. Itaquedare régi et domum , et mancipium , et pecnniam possumus: nec dare illi de suo dicimur. Ad rcges enini potestas om- nium pertinet , ad singu'os proprietas. Fines Athenien- sium aut Campanorum vocamus , quos deinde inter se vicini privata terminatione distinguunt ; et lolus ager hujus aut illius reipublicae est : pars deinde fuo domino quoque eensetur; ideoque donare agros nostros reipublicae pos- sumus , quamvis illius esse dieantur : quia aliler illius sunt , aliler mei. Numquid dubium est , quiu servus cuni peculin domini sit ? dat t;imen domino suo munus. >oa cnim ideo nibil habet servus , quia non est babiturus, si dominas illum haliere uoluerit; nec ileo non est munus. quum Tolens dédit, quia potuit eripi , etiamsi noiuisset. Quemadmodum probemus omnia , nunc enim omnia sa- pienîis esse , inler nos conTenit , illud quod quapritur col- ligendura est , quomodo liberalilalis materia ailvers us eura supersil , cujus universa esse concessimus. Omnia patris sunt, quas in Iil)eroruni manu sunt : qnis tanien nescit , DES BIKNFAITS. 253 possession des enfanls appartient au père : qui lie sait toutefois que le fils peut donner au père? Toutes choses appartiennent aux dieux : cepen- dant nous leur faisons des offrandes , nous leur jetons une pièce de monnaie. Si ce que je possède esta toi, il nes'eusuit pas que ce ne soit pas à moi; car la luême chose peut être a toi et a moi. Celui, dis-tu, à qui appartiennent des prostituées est un enlremelleur : or, tout appartient au sage; mais dans le tout sont comprises les prostituées; donc les prostituées apparlieiuient :iu sage : or, celui auquel appartiennent les prostituées est un entremetteur, donc le sage est un entremetteur. C'est d'après le même raisonnement qu'ils veulent que le sage ne puisse rien acheter : Personne , di- seiil-ils, n'achète ce qui est 'a lui : or, tout est au sage ; donc le sage u'achète rien. De même ils ne veulent pas qu'il emprunte , parce que per- sonne ne paie d'intérêt pour son propre argent. C'est ainsi que l'on nous oppose des subtilités sans nombre, quoique l'on compreoue très-clairement ce que nous disons. V. En effet, je dis que tout appartient au sage ; mais de manière néanmoins à ce que chacun ait son droit personnel sur ses biens, de même qu'un bon roi possède tout par droit de souveraineté, quand chacun possède par droit de propriété. Le temps viendra de prouver cette vérité. En atten- d.'int, il suffit pour notre question que je pui.«se donner au sage ce (pii appartient au sage d'une façon , à moi d'une autre. Et il n'y a rien d'éton- nant que je puisse donner quelque chose à celui qui possède tout. J'ai loué la maison. Il y a l'a quelque chose ii toi , tiuelquc chose à moi : la chose est 'a toi , l'usage de la chose est 'a moi. Ainsi tu na peux toucher aux fruits de ton champ malgré ton fermier, quoiqu'ils naissent sur ta propriété; et s'il y avait cherté ou disette de vivres. « Hélas I tu regarderais en vain les vastes provisions d'un autre , » nées sur ton terrain , placées dans ton fonds, accumulées dans tes greniers. Quoique maître, tu n'entreras pas dans la maison que j'ai louée ; tu n'emmèneras pas ton esclave , s'il est à mes gages; et lorsque je t'aurai loué un chariot, ce sera de ma part un bienfait si je te permets (h} t'asseoir dans la propre voiture. Tu vois donc qu'il peut se faire que quelqu'un , en recevant ce qui lui appartient, reçoive un présent. VI. Dans tous ces exemples que je viens de citer , la même chose a deux maîtres. Comment? c'est que l'un est maître de la chose, l'autre de l'usufruit. Nous disons les livres de Cicéron , et le libraire Dorus les appelle aussi ses livres; et il y a vérité des deux parts. L'un les appelle les siens comme auteur , l'autre comme acquéreur ; et l'un et l'autre disent bien. Car ils sont a l'un et 'a l'au- tre; mais pas de la même manière. Ainsi Tile-Livu peut recevoir ses livres de Dorus, ou les lui acheter. Je puis donner au sage ce qui est personnellement à moi, quoique tout soit à lui. Car, quoique, a la manière des rois, il possède tout par sa conscience, tandis que la propriété de chaque chose est lé- partie sur chacun, il peut recevoir et devoir, acheter et emprunter. Tout appartient "a César ; mais le fisc renferme ses biens personnels et par- ticuliers : sa propriété universelle est dans l'em- pire, sa propriété personnelle dans son patri- moine. On peut, sans diminuer son autorité, dunarc all(|ii'd et fli um pitri? Oiiiaia deorum sont : t^imcn cl dIU |H).suiiiiu» dniuiiii , et slipem jecimus. Non iiieo quud liatieo. iiieuiii oi>ii ot, m tniira e>t : polest fi)iin idnii osse niciiin el luuin Is, iii<|iiii , cnjus prusti- tula- siiiit , Itiio est : oinnia aiilnii sa,):eiitls suni ; inlcr omnia aulein et pntslilulaj ^u;.l : er){o et proslitutée sa- pieiitis siiut : leiio.iiiteni est, cujiu prustiiuti- «unt : ergo »aplens est leiiii. Sic iilum Ttlaiil eiiiere; dicunt eniiii : Neiiio rem siiaiu ciiiil : omnia iuicm sapicaiis suiit : crRo sapiuii.'i nilill einil. Sic vêlant et muiiiuni sumere , (piia nrnio usurani pi o pecuiiia sua pcnHal. Inniiiiier. bilia «uiit, ptrqua; civillautur, quuiu pulclierrime , quid a nobis dicalur , inleliigaiit. V. Knim sic cniul I sapicnlis esse dico, ut Diliiliiniiniis propriamqiiisqiicinrebiis suis domiuium tiabeat; quem- a Imodum sub uptiino rege oinnia rci iinperio po^sidel, sioguli duniinio. Tcmpus i»t;us piobauda; rei leniel; in- térim hoc huic quacstioni sat est, id quod aliter sapirnUs, aliler meum est , nie pl. It.iqne i.ee Tructus langes. coinno tuo prohibenlér, qnamtis tua in posscssione nai- caotur : et si annuiia carior fiierit, aiit famés. Heu frustra inagniini allrriussprctabisacervuin, in tuu natuin, in tuii posittim . in linrrea ilurum tna. Nec conducluni nieuni ,qu.iiiqiinin sis diiminus, intrabis: nec servum luura , nici-cenariuni meum abduces: et quum alu te rhediiin cou 'iixcro, beiicncium accipies, si tilii in ve- hirulu tuo s(''ulluni sacrile- gium esse ; quia quidquid sublatum est ex eo loeo qui deorum erat , in eum tiansfertur locurn, qni deorum e.st. ïlic respondetur : Omnia quidem deorum esse , sed non omnia iliis dicata. In bis observari sacrilegiuni , quas rcligio Diimini adscripsit. Sic et toluni muudum deoiun! esse iniraortalium templum, solum quidem aniplitudine iliorum ac magniHcentiù dignuui : et taniena sacris pro- fana discerni, et non omnia licere iu angnlo, cui noiuen fani imposituni est, quie sul) cœlo et conspectu ^idenun Ucenl. [iijui'iam sacrilegus Deo quidem non p» est liiccie; queai eitra ictiun sua divinitas posuit : sed punitur, quia lanquam Deo fecit. Opinio illum nostra ac sua obligat pœna;. Quomodo ergo sacrilegus videtur, qui aliquid aufert sacri, etiauisi quocumque transtulit, quod surri- puerat, intra terminos est mundi : sic et sapienli furtum piitest (ieri. Aufertur enim illi non ei his quae universa liabet, sed ex his quibus dnminus inscriplus est, quae vi- riiim ei serviunt. lUam alteram possessioneni agnoscet , banc noiet habere, etsi poterit : emiltetquc iliam Tocem , quani romanus imperator emisit, quum illi ob virtalem et bene gestam rempulilicara tantum agri decernerctur, quantum arando uno die circuire potuisset : Non est, inquit.vobis eoopuscive, cui plus opus sit, quam uni ciïi. Quanio majoris yiri putas, respnisse boc munus quaui meruisse? multi enim fines aliis abstulerunt, sibi nemo conslituit. VIll Ergo quum aniniunisapicntis intuemur potentem omnium, et per universa diniissum, omnia illius esse dicinuis , quum ad boc jus quolidiauum , si ila res tule- rit, capite ceusebilur. Multum iuterest, possessio cjus animi magnitudine astimetur , an censu : l;a'c universa habere, de quibus loqueris, abominabitur. Pion referam tibi Socratcm , Chrysippum , Zenouera , et celeros iiiag- nos quidem vinis , majores qnideni , quia in laudera >c- DES BIENFAITS. 331 gloires anciennes. Tout à l'heure je te citais Démc- Irius, que la nature me semble avoir fait naître de nos jours, pour montrer qu'il ne pouvait être change par nous , ni nous changes par lui ; homme d'une sagesse achevée, quoiqu'il ne l'avoue pas lui-môme, d'une constance inébranlable dans ce (|u'il a résolu, avec cette éloquence qui convient il do graves matiires, sans apprêt , sans expres- sions tourmentées, mais d'une nature élevée, cl, partout où l'emporte le mouvement de l'esprit, suivant toujours son objet. Je ne doute pas que la 1 Providence ne lui ait donné une telle vertu et une ■ telle éloquence, pour qu'il lie manquât h notre siècle ni un exemple , ni un sujet de reproche. j IX. Si quelqu'un des dieux voulait livrer "a Dé- | niétriusia possession de nos richesses, à la coadi- | lion expresse qu'il ne pourrait en rien donner, j'ose affirmer qu'il les rejetterait en disant : «Quant a moi, je ne m'enchaîne pas à ce fardeau insup- portable , et je ne vais pas jeter un homme libre dans cette fange profonde. Pourquoi m'offrir les maux réunis de tous les peuples. Je n'accepterais même pas ces choses, quand je pourrais les donner ; car j'en vois beaucoup qu'il ne me conviendrait pas de donner. Je veux passer en revue ces trésors qui éblouissent les yeux des nations et des rois. Je veux examiner ce qui est le prix de votre sang et de vos âmes. .Montre-moi d'abord les dépouilles du luxe, soit que tu veuilles me les déployer une h une, soit, ce qui vaut mieux, que lu me les présentes en un seul monceau. Je vois l'écaillé Ir.ivaillée en lames finement délices, et l'enveloppe des animaux Içs plus difformes et les plus lents , achetée des sommes immenses, et cette bigarrure, qui en fait le charme , enrpruntant à des couleurs étrangères les apparences du vrai. Je vois là des tables, du bois-estimé la fortune d'un sénateur, et d'autant plus précieux que la difformilé de l'ar- bre l'a tordu 'a un grand nombre de nœuds. Je vois l'a des vases de cristal , dont la fragilité aug- mente le prix ; car eu louies choses la jouissance s'accroît |)our les insensés en raison des risques qui devraient la faire éviter. Je vois des coupes murrines; car on n'eût pas assez fait pour le luxe si les convives n'eussent fait circuler dans d'immenses pierreries les boissons <]u'ils vont bientôt vomir. Je vois des perles, non pas une attachée 'a chaque oreille; car les oreilles sont exercées "a porter des fardeaux ; mais ces perles sont accouplées et superposées les unes au-dessus des autres. Le délire des femmes n'aurait pas suf- fisamment asservi les hommes, si deux ou trois patrimoines ne leur pendaient à chaque oreille. Je vois des vêtements de soie , si l'on peut appeler vêtement ce qui ne protège ni le corps, ni la pu- deur, et avec lequel une femme ne pourrait en toute assurance jurer ([u'elle n'est pas nue. Nous faisons venir "a grands fraisées étoffesde paysigno- rés même du commerce, afin que nos matrones ne puissent montrer 'a leurs amants dans la chambre à coucher, plus qu'elles ne monlrent au public. » X. « Que fais-tu donc, avarice? Par combien de choses précieuses ton or est-il vaincu? Tons ces objets que je viens de ciler sont plus honorés et tiistoriini iovidia non obstat. Pau!o nntc Denicirium re- t ili , quem iiiihi videturrernm uatura noslris lulisse t<>m- |)(ii'il)us , ut oslendcret , nec illuni a nol)is rorrumpi , nrc nos ail illocorripi posse : virum exacta; , licot nfgpt ipse , sipieiilia;; firmsrque in tiis, qiia; propo^uit, conslantia» ; eliiquenlix vero ejus, qua; ros forlissimiis dcceat, non c.iiuiiinataB, nec in vcrlia soUiiilae, sod ingenli aDJino , priiiit inipelii» Iulit, res sua.s proscqucntis. Hiiio non du- l)ilo , qiiin ProTidrntia et lalctu vilani , et talem diccndi farnllalenrdcder t, ne aut excmpluin seculo nostro, aut C(>ii\iciuni dccsspt. IX. Demclrio m res nostras allquls dennim possiden- da» ïelit tiaduTc stib li-ge ccrta, ne llceat don:iic, aflif- niaveiim repudtaltiriiin, dicturuinvc : • Kgi) ïero me ad isliid iuextricalMlc pondus non allico, nec In allam fa-- ceiii icruin hune expediluin lioniinoin demillo. Quid ad incdefers populorum onmiuni iiiala I quœ nrc daiunis qiildfm ritcipcieni : quonlain inulla video, qiia; me do- nare non deceal. Volo sul> conspcclii mco ponere, quas Cnliiim ocul s rcgnmque praislringuntl \olo intueri preiia sangululs, anlinarumipic \eslraruni? Prima milii loMiria! (i|K)lia propone; sive illi \is per ordinem cipan- dcrc , klvn , ut csl nielius , in unnin accrvuin dare. Video elalioralam icnipuloM dittinclone te&liidinem, et f-n- dissimorumpigerrinioruniqueaniniaIii.nl Icsîas, iiipcn- tibus pretiis enipla», in quihiis ips i illa'ina' |ilacel v.iiie- tas, subditis niedicainentis , in .siiiiiliindiiicin vcii coio- ratur. Video istic inensas, et a'stinialiini linnnni scnatoris < censu , eo pretiosius, (|uo illud in pluies nodos , arlu i is j ii'IVlicitaa lorsil. Video is, le crvslallinn, quorum acccndit Trapililas preliuni; omnium imiIiii n'ruiii >o!upt.is ipud iiiiprriios. ipso quofugaie débet perkulo, cre.seit. Vicloo niiiirhina (Niciila; parum siilieei luxuria macno fucril, nisi qiioriare:ur Dii dea?que , quara pusiUo illutn au mum aut bonorare vuluit, aut corrunipcre! Kedden- dum egregio viro teslimouiui» est. Ingentem rem ab illo dici aQdivi,quuni miraretur Caii de.nentiam , quod se putasset taiili possemutari.Si teutare , iuquit , nicconsti- luerat, loto illi fui cxperiendus iniperio. XII. Sapienti ergo donari aliquid potesl, eliain si sa- pienlis omnia sunt. .A^que nibil proliibet, quum omnia amicis dicamus esse coumiunia ; aliquid cniico dooari. Nou enim mibi sic cum amico communia sunt , quoniodo cum socio, ut pars mea sit. pars illius; sed quomodo patri matriciuc coonDuues libcri sunt : quibus quum duo DES BIENFAITS. 253 tout, je ferai en sonc que celui, quel quil soit, ui m'i ssocir; avec lui , sache qu'il n'a rien de coiiiiium avec raoi. Pourquoi? parce que ce lien n'existe qu'entre les sagos , qui seuls connais- sent rarailic : les autres ne sont pas plus des amis (jue des associés. Ensuite il peut y avoir commu- nauté de différentes manières. Ainsi , les quatorze bancs' appartiennent 'a tous les chevaliers romains : néanmoins la place que j'y prends me devient propre ; si je la cède h quelqu'un , quoique je lui cède une chose qui nous est commune, je suis pourtant censé lui donner quel(|ue chose. Il y a des choses que l'on ne possède que sous certaines conditions. J'ai une place sur les bancs équestres, non pour la vendre, non pour la louer, non pour l'habiter, mais pour voir le spectacle. Je ne men- tirai donc pas si je dis que j'ai une place sur les bancs équestres : mais, lorsque je viens au théâtre, si tous les bancs sont pleins, j'y ai légalement une place, parce que j'ai droit de m'y asseoir, et je n'en ai pas, parce que ceux qui ont ce droit en commun avec moi les occupent toutes. Sache qu'il en est de même entre amis. Tout ce qu'a noire ami nous est commun avec lui : mais il a en pro- pre ce qu'il possède, et je ne puis en u.ser .«ans son aveu. Tu te moques de moi, diras-lu. Si ce qui est à mon ami est à moi , n'ai-je pas droit de le vendre. Non sans doute, pas plus que les ])laces au théâtre, et cependant elles te sont communes avec les autres chevaliers. Ce n'est pas une preuve que quelque chose ne soit pas 'a toi parce que lu 'Dan« le< amphithéâtres, les chevaliers romains avaient <|natorze bancs réservés. ne peux ni la vendre, ni la consommer, ni la mo- difier en bien ou en mal. Car elle est à toi-même , quoiqu'elle soit à toi sous certaine condition. J'ai reçu , mais tous ont reçu de même. XIII. Pour ne pas te retenir plus longtemps, un bienfait ne peut être plus grand qu'un autre ; mais les choses qui font la matière du bienfait peuvent êire plus î!randes : elles peuvent être plus multipliées , lorsque la bienveillance se livre à ses effusions et se complait eu elle-même, "a la manière des amants, dont les baisers multiplié.s et les étroits embrasseincnls n'accroissent pas l'amour, mais l'exercent. La question i]ui se présente en- suite a élé déj 1 épuisée dans les livres précédents : aussi nous ne ferons que l'effleurer légèrement. Car les arguments <|iii ont servi peuvent se trans- porter ici. Ou demande si celui qui a tout fait pour rendre un bienfait, l'a rendu. La preuve, dit-on , <|u'il n'a pas rendu, c'est (|ii'il a tout fait pour rendre. Il est doue évident <|u'il n'a pas fait ce qu'il n'a pas eu occasion de faire Ainsi, un dé- bileur n'a pas remboursé son créancier, si, ayant cherché de quoi le rembouiser, il ne l'a pas trouve. Il entre dans les conditions de certaines choses d'exiger que l'iiilenliou soit suivre de l'effet ; dans d'autres , l'inlention tient lieu de l'effet, si on a tout essayé pour y arriver. Si un médecin a tout fait pour guérir, il a rempli son rôle. Malgré la condamnation d'un accuse, l'ora- teur conserve tout le mérite de son éloquence , s'il a usé de toutes les ressources du droit. Les hon- neurs du commandement sont rendus même au général vaincu, s'il a rempli ses fondions avec tuDt, non siaguli singnlos babent, sed singiili hinos. Primum omnium jam cfnri.ini , ut qiiisquis est isie, qui me in sociclatem «ooat, sciât se nihil inecum hatiere coni- niUDC. Quart? (|uia lioc consurtiuin soluin iuler sapienles est, inter quos aniicili i est ; celt-ri non mgisaniici sunt, quant socii. Deinde plunbas niodis communia sunt. Kqui'stria omnium cquiluni Kumanorum anal : in i>lis tanien locus meus lit proprius, qucm ooupavi ; hoc si cui ccssi . quamvis illi communi re cosscrim, tainen ati- qiiid dédisse videor. Quardani qtiDrumdani subcerta cim- dltiooc .\unt; lial>eo in equi-vtribu: locuni, non ut tco- dam. Don ut hicem. non ut hal>ilcm ; in lioc tanlum, ut «pcctem. l'ropttTea non mcoliar, si dicam me halwro in equesVibus liicum : sed quum in Ibcatruin vcni , si piena sunt equeôtria, et jure babeolocum illic, quia sedere mihi licct; et non liabco, quia ab bis.cum qulbusjus mihi Inci commune est , occupatus est. Idem inter anii- cos pnta (leri. Quidquid h.nbet nniicus, commune est nobiï ; sed illius proprinm est , qui lenct ; uti bis, illo no- Icnle, non possum. Dérides me. inquis. Si quod amici est, meam est, liceat mihi vendere. Non licel; nam nec rquestria, et lanien ronimuni:i tibi cum céleris equitibus «uni. ^(m est argumenlum, ideo 3li(|nid tuum non esse, qma vendere non potes, quia coosumerr, qnia niutarc in détenus aiit meliui non potes. Tuum cnim est, oliam quod sub lege certa tuum est. Accepi , sed cuiic i niii> minus. XIII. Ne le trabani longius, Ijenelicium majus rsse non polcst; ea per qi»r; lieneliciuni dniur, possim! esse majora : et plura , in qux se undiquc benevolentiii effun- dat, et sic silii indnl^eat, queniadmodum amantes soient ; quorum plura oscula , et compleius nrctiorcs , non aii- pent amorem, sed exercent. Ilapc qnuquc, qua- venil quxstio, protliKala est in prinribus : itaque breviler per- itiing-'tur. I^os.sunt enini in banc,(|u3' data sunt nliis, argumenta iransterri. Qne5.ivit , nec invenit. Qua'dmi ejus conditionis sunt , ut effi'taic; oninia a le liabeo. Injuriam niihi facis, si nie quidiiuani aniplius desidcrare judicas. Pleni.ssinie ad me pervenit aninius luus. Die, in- quit, niibi; reddidisse beneficium diceres illum, qui sic graliani relnlit? Eodem ergo loco esl, qui leddidil.ct (pii non reddidit. Conlra, nuuc illud pojic, si oblilus cssetacceptibenelicii , si ne (enlasset quidom gratusesse, negares illnm gratiam reluli.sse. At bic diebns noclilins- que se la.ssavil, et omnibus aliis renuntia- it officiis, buic uni imminens, et operalus, ne qua se fugeict occasjo. F.odem ergo loco erunt, illc qiri curam rcferend.f gralia' abjecit, et bic qui nunquam ab illa recessit? Iniquus es, si rem a me exigis, quum videas animcini non dcfuissc. \d sumrnam , puta , quuni capius esses . me pecurriaui muluatum , rébus nreis in securitatc m créditons opiiesi- lis , navipasse hieme jani s:pia , pir infesta lali-ociuiis li- lora, ernensuni quidquid pcriculi afferre putest eliam pacatnm marc : pcragratis omnibus solitudinilius, quum quos nemo nou fugiebat ego quivrerem, tandem ad pi- ratas per-veni : et jam te alius icdeiner-at; negabis me gi'atiamrelulisse?eliamnesi in illa navigatione pecuniam, quaiu saluli tua'couti'aierum , nauTr'agiispeididi? etiani- iie si in virrcula iiriac deti'abere tibi volui, ipse incidi? Ts'egabis nie relulisse graliam? Al nieherele Allieiiienses, Hrirniodium it Arislogitunem, lyrannicidas vocant; et Mucii manus in boslili ara iclicla, instar occisi PorscOcT! fuit: (tscmper conlra forlunani liictata virlus, eliain cilra cireclurn piopusiti operis, enilull. Plus prarslitit, (pii fugien es occasiones seculus esl, et alla atqne alla caplavit, per ipia? referre giatinin posset, quam quem sine rrllo siidure gi'aliim prima fecit occasio. XV. Diras, inipiit, res ille libi pivrstilit, Toliintateni. el rem; lu ip.iixpie illi dnas dcbcs. Merilo isluri d cer« ci, (jiri (ihi rcddid 1 vohmta cm oliosam; buicvero, qui DKS BIENFAITS. qu'une volonté oisive, mais non a celui dont la volonté s'épuise en efforts et ne néglige aucun niuyen : car il donne les deux cboscs , autant qu'il est on lui. D'ailleurs il ne faut pas toujours calcu- ler d'après le nombre. Quelquefois une chose en vaut deux. Ainsi le dou se trouve remplacé par («tte volonté si active, si avide de rendre. Si le cœur sans la chose ne sufflt pas pour être recon- naissant, personne n'est reconnaissant envers les dieux , auxquels on n'offre que la seule volonté. Mais, si je ne puis donner davantage a celui que je dois payer de retour, pourquoi donc ne serai-je pas reconnaissant envers un homme au même prix qu'envers les dieux? XYI. Si pourtant tu me demandes mon opinion, si tu veux que je te signifie ma réponse , jc'le di- rai : Que l'un se croie remboursé, que l'autre sache qu'il n'a pas rendu : que l'un affranchisse, que l'autre reste enchaîné; que l'un dise : j'ai reçu, que l'autre réponde : je dois. Dans t'iute question ayons pour but le bien général. Il faut interdire aux ingrats toute excuse où ils puissent se rclran- cher, qui leur serve 'a déguiser leur mauvaise vo- lonté. J'ai tout lait! eh bien! fais encore. Quoi? Penscs-lu que nos ancêtres fus>ent assez insensés pour ne pas comprendre combien il est injuste de mettre au mime rang celui qui a dépensé au jeu ou aux plaisirs l'argent reçu d'un créancier, et celui qui, par suite de vol, d'incendie ou de quel- que accident plus fâcheux, a perdu le bien d'aulrui avec le sien? Cependant ils n'ont admis aucune excuse, afin d'apprendre aux hommes qu'il faut, avant tout, remplir ses engagements. Car il valait mieux reluser au polit nombre même une excuse légitime, pour que tout le monde ne fût pas lente d'en chercher une frivole. ïu as tout fait pour ren- dre : cela suffit pour lui; c'est trop peu pour loi. Car, de même que lui, s'il comptait pour rien la constance et les efforts de Ion zèle , seruit indigne de la reconnaissance; de même, toi, tu es ingnil, si, lorsqu'il prend en paiement la bonne volonté, tu ne restais son débiteur d'autant plus volontiers qu'il le tient quitte. Mais ne va pas l'emparer de celle quittance, ni faire venir de lémoins : n'en poursuis pas moins les occasions de rendre; Rends à I un , parce qu'il redemande; 'a l'autre , parce qu'il te fait remise; "a l'un, parce qu'il est mé- chant; à l'autre, parce qu'il ne l'est pas. Et ne crois pas (ju'il t'appartienne déjuger la question suivanle : Si on a reçu un bienfait d'un sage, est- on tenu de rendre lorsqu'il a cessé d'être sage, pour >e tourner au mal? Car tu lui rendrais nn dépôt qu'il t'aurait confié étant sage; lu lui paierais sa créance même quand il deviendrait méihanl. D'où vient qu'il n'en serait pas de même du bienfait? Parce qu'il est changé, le change-l-il? Quoi! Si lu recevais quel(|ue chose d'un homme bien por- tant , lu ne lui rendrais pas s'il était malade : tan- dis que nos obligalions s'accroissent toujours en- vers un ami en raison de sa faiblesse. Or, celui-stjre possumus. Sed M huic quoque, cui reTerre graiiam delwo, nihil aliud prsstare possuoi, quid est, quare non eo adtentus hominem gratus »im , quo nlliil amplius in deos conrrro ? XVI. Si lanien quid senliani qua'ris , et vis signare res pousam; hic beneficium recepis.se se judicet; iile se sciai non reddidisso. Hic illuni dimittat : ille se teneal; liic dicat, halieo; ille rcspondeat, dcl>eo. In onini qua"stii)iie pro|Kis:tuin sit nohl» liiinuin pahlicum. Pra'cludcnda; sunt excusalionrs ingmtis, ad qnas refugcrc possint.et suli quilius inniiiilioiicni suani légère. Oiiinia feci ! fac eliaiii nunc. Quid? lu tam iinprudenles judicas majores nosiros fuisse, ut iiun intelligerent iniqul.ssimum esse, eodcni loco lialieii eum qui pccuniam , quam a creditore icct'pcrat, liliidinc nul alca ab^unisil, cl cuni qui inccn- i.'io , aut latronnio, aut alùiuo cr.su trisliori- , rlicna c:iin suis perdidil? nullam excusationem receporunt, ut honii- nos scirent Tideni utique pr;r.slandani. Sutius oiiiui crat a paucis ptiani justiim eicusalioncm nonacoipi, quara ab omnibus aliquam Icntari. Oninla feoisli ut redderes. Hoc i!!i salis sit; lilii parurii. TSani queniadmndiira ille, si eniiam cl sedulam operani transirc pro irrita patitur, cui gratia rcrcralur indigiius est : ila lu ingratus es, uisi ei , qui voluntatcm bonani in soliilum accepit, co libeu- lius di'bes, quia diniilleris. >on rapias hoc, nec tesleris; ocrasionrs reddendi niliiliirninns quapras. K(ddc illi, quia reprtit; huic, (|uia reinillit : illi , quia malus; huic, quia non malus. Idenijup non est, (|uod ad le liane qua'S- tioiieni judices pcrtincre; an, <|U0(l benclîcium (|uis a sapicnle accepeiit, rrddorc debeat, si ille desiit esse sa- piins, et in uialum versus (st. Rcdderes enini et dcposi- tum, quud a supicnlc accepisse.s; et cliam malo redderes crediiuni : quid est, cur non el bcncficiuni? Quia niula- lus est ille, te nuitiit? Quid? si qu d a sano aecep.sses, a;gro non redderes; quuiii plus jenipcr iinbecillo amiro del>eamus! Et liic a-ger estanimo: adjuvetur, fera ur; slullitia morbus est animi. Distinguenduui hoc, quo ran- gis inlelligalur, exis;imii. X\ II. I)no biiul bénéficia; ununi,quo(I darc nisi sa- 25(i • SÉNÈQUE. sont parfaits cl véritables. Les autres , vulgaires i volonté. Voila tout ce que j'ai à faiiv. Que ce qu'il et inférieurs, dont nous autres hommes grossiers nous faisons l'échange. Nul doute que ceux-ci ne doivent être rendus h qui que ce soit, qu'on de- vienne homicide , ou voleur, ou adultère. Les cri- mes sont soumis aux lois : le juge les punira mieux que l'ingrat. Que nul homme ne te fasse méchant parce qu'il l'est. Je jetterai son bienfait au mé- chant , je le rendrai a l'homme de bien ; 'a celui-ci parce que je lui dois , à celui-là pour ne pas lui devoir. XVIII. Quant "a l'autre espèce de bienfaits, il y a doute : si je n'ai pu les recevoir qu'en raison de ma sagesse , je ne puis les rendre qu'à un sage. Suppose en effet que je rende : lui ne peut rece- voir ; car il n'en est plus susceptible; il a perdu la faculté d'en user. C'est m'ordonner de renvoyer la balle à un manchot. 11 y a folie à donnera quel- qu'un ce qu'il ne peut recevoir. Pour commencer à répondre par oîi lu unis, je ne lui donnerai pas ce qu'il ne pourra recevoir ; je lui rendrai même ce qu'il ne pourra reprendre. Car je ne puis obli- ger que l'homme qui reçoit : je puis me libérer seulement si je rends. Une pourra en faire usage? C'est son affaire. La faute en est à lui, non pas à moi. XIX. Rendre , dit-on , c'est remettre à qui peut recevoir. Car si lu dois du vin à un homme , et qu'il l'ordonne de le verser dans un filet ou un crible, diras-tu que tu as rendu, ou voudras-tu rendre une chose qui, au moment où tu la rends, L'àl pordne pour Ions deux? Rendre , c'est donner M que tu dois à celui qui en est le maître , avec sa reçoit do moi lui reste, c'est un soin qui ne me regarde pas. Je ne lui dois pas la tutelle, mais ma parole ; et il vaut beaucoup mieux pour moi qu'il n'ait pas , que de ne pas lui rendre. Dût mou créancier porter immédiatement au marché ce qu'il aura reçu , je n'en rendrai pas moins. Même s'il fait une délégation à une femme adultère, à la- quelle je devrai compter l'argent, je paierai , el si sa robe est détachée , lorsqu'il verse daus ses plis l'argent qu'il reçoit, je donnerai encore. Car je suis tenu de rendre , non de conserver on de surveiller ce que j'aurai rendu. J'ai sous ma garde le bienfait reçu , non le bienfait rendu. Tant qu'il est avec moi , qu'il reste intact : mais, dût-il glis- ser des mains de celui qui reçoit, je dois rendre à qui redemande. Je rendrai à l'homme de bien, quand il conviendra; au méchant, quand il de- mandera. Tu ne peux , dit-on , lui rendre le bien- fait tel que tu l'as reçu. Car tu as reçu d'un sage, tu rends à un fou. Non. Je le lui rends à lui , tel qu'il peut maintenant le recevoir ; ce n'est point par mon fait qu'il a perdu sa valeur , mais par le sien ; je rendrai ce que j'ai reçu. S'il revientà la sagesse, je le lui rendrai tel que je l'ai reçu ; tant qu'il est parmi les méchants, je le lui rends tel qu'il peut le recevoir. Mais, dit-on, si non-seulement il est de- venu méchant, mais féroce et monstrueux comme Apollodore ou Phalaris , lui rendras-tu le bien- fait que tu en avais reçu? La nature ne com|>orto pas chez le sage un aussi grand changement. Car, de la plus haute vertu tombé au plus profond du vice , il doit nécessairement conserver même dans picDs sapienti non potest t boc est absolutum et vcnim beneficium; altcrum , vulgare, pleboium , cujns ioter nos imperilos commerciiira est. De hoc non est dubium, qiiin illi, qualisciimque est, debeam readcre, sive liomi- cida, sive fur, sive adulter evasit. Habent scelera leges suas ; meliusistos judei.quam ingratus.emendat; nenio te niaUun , quia est, facial. M;iIo beneficium projiciani, bono reddaiii; huic, qnia dcbeo; illi, ne debeam. XVItl. De altero beneficii penere dubitatur, quod si acciperc non polui nisi sapiens , ne reddei e quidem nisi sapienti possuni. l'uta enim nie reddere; ille non potest recipere; non est jam luijus lei capax; scienliani utendi perdiriit. Quid si me remitlere mancopilam jubcas? stul- tnui est dare alicui , quod acc'pere non possit. Ut respon- dere ab ultinio incipiam : ÎSon dabo illi , quod aecipcre non potcrit; rcddam, ctiaiu si recipere non poteiit. Obligare enim nou possnm, nisi accipientem ; liberari tantum, si reddo, possum. IlJe nti illo nou potcrit ? vi- dent; pênes illum erit culpa , non pênes me. XIX. Rcdderc esl, inquit, acoepturo tradidisse. Quid enim si cni Tinuni debeas, et hoc ille iofunderc rcticulo juboat, aut cribro; reddidisse te dices , aut reddere voles, que 1 dum rcddilur, inter iuo.s porcal? reddere, est id quod debeas, ei cnjus est, volenti dare; boc unum mibi praestandiim est Ut quidem habeat quod a me accepit , jam ulterioris est curae. Non tntelam illi , sed fidem de- beo;multoque salins est, illum non babere, quam me non reddere. Et creditori statim in macellum laturo, quod acceperit, reddam; etiam si mibi adultérant, oui numerera, delegaTerit, soKam : et si nummos quos ac- cipiet , in sinum suum discinctus fiindct , dabo. Reddcn- duni enim mihi est, non servandum , quum rcddidero, aut luendum. Beneficii accepti , non rpdditi caslodiam debeo. Dum apud me est, sahum sit; ceierumlicet acct- pientis nianibus effluat, dandum est reposcenti. Reddam bono, quum espedict; malo , quum pctet. Taie, inquit, beneficium, quale accepis i, mm illi potes reddere. Ac- cepisti enim a sapienle; slulto reddis. ÎS'on ; reddo illi, quale nunc potest ac^ipere , ncc per me fit quod détenus, sed per illum, id quod accepi, reddam. Gui si ad sapien- tiam rcdierit, reddam quale accepi; dimi in roalis est, reddnm qnalc ab illo p.itest accipi. Quid, inquit, si non lan!um malus faclus es' , sed férus, sed immanis, qualis Apollodorus , aut Phalaris : et huic beneficium, quod acceperas, rcridcs? Mutaiionem sapienlis tantam natora non patUnr; nam in p.^ssima ab optimis lapsu». necesse DES BIENFAITS. 257 le mal quelques vestiges du bien. Jamais la vertu ne s'éteint si complètement, qu'elle ne laisse dans l'âme des empreintes trop profondes, pour qu'aucun changement puisse les effacer. Les bêtes fauves élevées au milieu do nous , si elles s'échap- pent dans les bois, conservent quelque chose de leur première éducation ; elles tiennent le milieu entre les animaux les plus doux et les bêtes vrai- ment féroces qui n'ont pas subi la main de l'homme. On ne tombe jamais au dernier degré de la mé- chanceté , lorsqu'une fois on s'est attaché 'a la sa- gesse. La teinte est trop vive pour pouvoir dispa- raître entièrement, et se changer en une autre conleur. D'ailleurs , je te demanderai si cet homme n'est que féroce dans l'âme , ou s'il se déchaîne pour devenir une calamité publique. Tu m'as cité Apollodore et le tyran Phalaris : si le méchant leur ressemble intérieurement, pourquoi ne lui ren- drais-je pas son bienfait, afln de n'avoir plus rien de commun avec lui? Mais, s'il se plait dans le sang humain, s'il s'en abreuve, si sa cruaut(! s'exerce au supplice sur des êtres de tout âge, s'il s'emporte non parcolcre, mais par je ne sais quelle fureur de détruire, s'il égorge les (ils sous les yeux de leurs pères, si, non content d'une simple mort, il a recours aux tortures; et non-sculenient fait brûler, mais rôtir ses victimes; si son palais est toujours baigné d'un sang nouveau, c'est peu de chose de ne pas lui rendre son bienfait. Tous les liens qui m'unissaient a lui, il les a bridés en vio- lant les droits de la société humaine. SI , après m'avoir rendu service, il portail les armes contre ma patrie, tout son mérite serait effacé, et ce serait un erime de lui témoigner de la reconnaissance. Si, sans attaquer ma patrie, il est un fléau pour la sienne ; si , loin de mon pays, c'est le sien qu'il op- prime , sa dépravation l'a néanmoins séparé de moi. Même s'il ne devient pas pour moi un en- nemi, il me devient odieux ; ma première règle, que je mets avant ses services, est de me rappe- ler ce que je dois au genre humain, plutôt que ce que je dois a un homme. XX. Mais, quoiqu'il en soit, quoique je sois en tout libre envers lui, du moment où, violant toute justice, il a fait que rien ne pouvait être entrepris injustement contre lui, voici la règle que je croirai devoir observer à son égard. Si mon bienfait ne doit pas ajouter aux forces qu'il applique 'a la ruine commune, ni raffermir celles qu'il a; si c'est une chose de nature à pouvoir être rendue sans qu'il eu résulte aucun malheur public, je la rendrai. Je sauverai son Dis en bas âge. En quoi nuit ce bien- fait à aucun de ceux que déchire sa cruauté? .Mais je ne lui donncr.ii pas d'argent poursoudoyer ses satellites. S'il désire du marbre et des étoffes, ces fanlaisics de luxe ne feront de mal a personne ; mais je ne lui fournirai ni soldais, ni armes. S'il demande comme un beau présent des comé- diens , des concubines et autres choses qui pui>sent amollir sa férocité, je 1rs offrirai v.iiDutiers. Je ne lui enverrai ni trirèmes ni galères couvertes d'airain; mais je lui enverrai des vaisseaux de parade, des gondoles et antres fantaisies de rois folâtrant sur la mer, mais si sa santé est entière- ment désespérée, de la même main que j'offrirai un bienfait "a tout le monde, je le rendrai a lui ;car est etiam in malo vestigia l>oni leneal. Numiuam Innliiin Tirtas etstingiiilur, ut uoa cerliores aoimo notiis impri- mât, (|iiani ut illas eradat ulla inutatio. Fcrae inler nos eilucatx, quum iu silvas erupeiunt, slii|uid niansiietu dinis pristioie retineat : tantuinque a placidissiniis ab- luot, quantum a teris feris et nuaquam humaiiain ma- nooi passis. IS'enio in summam neqiiitiatn inridit, qui UDquam bsrsit sapieatis ; allius intectu] est , ijuani ut ei loto elui , cl Iransire in colorem aliliin possit. Deinde in- terrogo. utrum i.<^te Terus sit animo tan:uni, an et io per- niciem pulilicim cjcurral? Proposuisti cnim niilii Apol- lodomm et Phalarin tf rannum , quorum si naturani hal)ct intra se malus , quidni ego isti bcncdcium suum rcddam, ne quirt raihi cum eo sit juris amplius? Si vero sanguine humano non tanlum gaudct et pascitur, sed et Fuppliciis omnium aelatum crudelil^tcm insatiabilcm eiercct , ncc ira, sed ariditate quadam sEPTiondi furit , si in ore p.iren- luni filiosjiigulat , si non contentus simplici morte , dislor- quet, née urit solum periturns. sed eicoquit , si an ejus cruore semper rccenti madet; parumestbuic beoencium iiDH reddere. Quidquid erat , quo mihi cohareret, inlcr- risajuris liiimani societas al)scidit. Si prsstilisscl qnidem midi a'iquld, sed arma patris nres inferret ; quidquid miTucra!, pcrdidisset , et refiirc illi giatiain scdus ha- Iteretur : si non palriani meain impugnat, sed suée gra- vis est , et se|>usitus a mca gcnte, suani cxagitat ; al)sci- dit uiliilominus illimi tanta pravilas aninii : etiam si non inimicum , invisum mihi crticit : priurquc raihi ac potier ejus nfncii ratio est, quod humano generi, quam quud uni homini dcbeo. XX. Sed quamvis hoc ita sit, et ex eo tempore omuia mihi in illumsint libéra , ex qui), corrumpcndofiisrmme, ut nihil in eum nefjs esset , effeceiil : illuni mihi servan- dum modum credam, ut si beuenrium illi nieum ncque Tires majores dalurum est in cxitiuin commune, ncc confirnialuruin quas hal>rt , id autein erit, qu(Kl illi rcddi sine pcrnicie pul)lica possit; reddain. ScrvalK) (ilium ejus infaulem; quid hoc Ijenediium oliest cuiquani eoruin , quos crudehlas ejus lacirat? pecuninm (|ua; salcllileni slipenrtio tencat, non subministrabo. Si niarmora et ves- tes desidcraverit, nihil obcrit ciii>iuani id quo luxuria ejus insiruitur : militera et arma non suggciani. Si pro magno pelet munere artifices sccnir, clscorta, ri qua; fcriiatcni ejus cmolliant, libens offeram. Cui iriremcs et a^ralas non mitterem, lusorias et cubiculalas, et alla lu- dihria rrgum in mari lasciTienlium mittam. Kt si ci tnt'i 17 à de lels caractères, il n'y a de remède que le tré- pas, elc'estun bonheur de mourir, pour celui qui ne doit jamais revenir a lai. Mais celte perversité est rare, et on la compte au nombre des prodiges, comme un tremblement de terre, ou l'éruption des feux qui jaillissentdes cavités de la mer. Ecartons- uous-en donc, et parlons de ces vices qui appel- lent la haine mais non l'horreur. A ce méchant, que je puis rencontrer dans chaque carrefour, que redoute un chacun, je rendrai le bienfait que j'en ai reçu. 11 ne faut pas que sa méchanceté me pro- lile : que ce qui n'est pas a moi retourne a son maître, bon ou méchant. Avec quel soin j'exami- nerais cette dernière alternative, s'il ne s'agissait pas de rendre mais de donner? A ce propos je me rappelle une anecdote. XXI. Un certain pythagoricien avait acheté d'un cordonnier des chaussures grecques , objet impor- tant, quand on n'a pas d'argent comptant. Quel- ques jours après il revient a la boutique pour payer : il la trouve fermée; il frappe 'a plusieurs reprises. — «Pourquoi perdre ton temps, lui dit un voisin ; ce cordonnier, que tu cherches, est mort et réduit en cendres. Ce qui peut-être est cruel pour nous, qui perdons nos amis pour toujours, doit rêlrc fort peu pour toi, qui sais qu'il doit renaî- tre. I) Il raillait le pythagoricien. Notre philosophe remporta sans regret ses trois ou quatre deniers, les faisant de temps en temps sonner. Bientôt se reprochant ce plaisir secret qu'il avait eu de ne pas rendre , et se rappelant combien ce faible gain lui avait souri, il retourna a la même boutique. SÉNEQUE. en disant : « Cet homme est vivant pour toi; rends ce que tu dois. » Ensuite, à travers la porte, à l'en- droit où s'entr'ouvrait la jointure, il introduisit ses quatre deniers et les jeta dans laboutique, pour se punir de sa coupable cupidité, et pour ne pas s'accoutumer au biend'autrui. XXII. Ce que lu dois, cherche à qui le rendre ; et si personne ne demande , fais sommation à toi- même. Qu'il soit bon ou méchant, cela ne le regarde pas. Paie-le, et accuse-le; et songe que chacun de vous a des devoirs différents : il lui est ordonné d'oublier, il t'est prescrit de te souvenir. Ce serait une erreur cependant de croire , lorsque nous disons que le bienfaiteur doit oublier , que nous voulions effacer de son âme le souvenir d'une action des plus honnêtes. Nos préceptes sont quel- quefois outrés 'a dessein, pourqu^on les ramène à leur véritable mesure. Lorsque nous disons : Il doit oublier, nous entendons qu'il ne doit pas pu- blier, se vanter, ni se rendre importun. Car il y a des gens qui s'en vont raconter dans tous les cercles le bien qu'ils ont fait. Ils en parlent 'a jeun; ils en parlent dans l'ivresse; ils le jettent aux in- connus; ils le conlieutaux amis. C'est pour affai- blir cette mémoire exagérée et accusatrice, que nous avons prescrit l'oubli au bienfaiteur, et en lui commandant plus qu'il ne p uvait accorder, nou» lui avons conseillé le silence. XXIII. Toutes les l'ois qu'on a peu de cnnflance dans ceux que l'on commande, on exige plus qu'il ne faut, afin d'obtenir tout ce qu'il faut. Si l'hyperbole exagère, c'est pour arriver au vrai eJHS saoitas despcrata fucrit, eadem manu bciieficium ijniDil)us dabn, illi reddani; quando ingcniis talibus vila: exitus remeiiium est; optiniumqiie est ohire ei, qui ad se nunquam rediltinis est. Sed liasc rara neqiiitia est , et scniper portenli loco tial)ila , sicut tiiatiis Icrra?, et de eavernis maris igiiium eruplio. Itaqueab illa rcccdamus; de his loquamur viliis, qu.-D detestamur sine horrore. Huic honiini malo, quem iiivenire in qui.lihcl foro pos- sum, quem sliigtili liment, reddam beiiclicium quod ;iccepi. Non oportet niibi ncfiiiitiam cjus pnidesse : quod meuni non est, rcdeat ad doniinuni , bonus sit an malus. Quam diligentcr istud exculercm , si nou reddercni, sed dareni? Ilic locus fal)ulam poscii. XXI. Pythagoricus quidam cnierat a sutoro pli.Tcasia, rem magnam, non praisonlilius nummis. Post aliquot dies Tcnil ad talicrnam, rcdditurus; et i|uuni clausam (liu pulsarct, fuit qui dicerct : quid perdis «|)er3ni luani ? ^Htor ille quem quicris , elatiis, conil>ustus est. Quod no- lis fortn.'se molestuni est, qui in xlcinuin noslios aniit- limus, lil-.i minime, qui sois futurum, ut ren:iscatur; jo- (.ilus in Pylhogoiicuni. AI pbilosoplius nos!cr 1res aut quatuor denarios, non invita manu, doniuin reiulit, subinde conculiens. Deinde quum reprehendisset banc .siiam non rcddcndi lacilani voluptatcm, intelligens arri- sisse sit)! illud lucellum, redit ad eanidem lal)ornam, et ait : nie libi vivit : redde, quod debes. Deinde perclaus- truni , qua se conimissura laxaverat , quatuor denarios in tabcrn;'.ni inseruit, re niisit, pœnas a se exigeas im- proba» cupiditatis , ne alicno assuesceret. XXII. Quod debes , quaere cni reddas : etsi nemo poscet , ipse le appella. )lalus an l)ODussit , ad te non per- linet. Redde, cl accusa, non obiilus, quemadmodum in- ternes officia divisa sunt; illi oblivio imperata est, tibi meminisfc mandavinius. Errât tamen, si quis eiistimat, (|uura dicimus eum qui benclicium dédit , oblivisci opor- tere , exculcre nos illi memorinni rei pra»sei-tim honestis- sima' ; qua.'dam praecipinius ultra moduui , ut ad Terum et suiim redeanl. Quum dicimus, memiuisse non detjct; boc Tolumusintelligi, prapdicare non débet, necjaclare, nec gravis esse. Quidam enini beneficiura quod dederunt, omnibus circulis narrant; hoc sobrii loquuotur, hoc cbrii non continent: hoc ignotis ingcrunt, hoc araicia conimiltunt. Ut ba?c nimia et exprobratrii memoria sub- siderct, obliseivi eum qui dédit, jussimns; et plus impe- raudo quam pra[>$tari poterat, silentium suasimus. XXIII. Quelles parum flducix est in bis quibus impe- ras , amplius est exigendum qnam salis est , at praesletur quantum salis est. In boc omni hyperbole eileDditor, ul ad vcruui mendacio venial. Itaquc qui diiit. Qui dndore nives anleirenl , cursibiis auras : I>nr le mensonge. Ainsi, le poêle, en disant: « Pins hiaiic que la neige, plus léger que les vciils, » a (lit ce qui ne pouvait ôlre, afin qu'on en crût le plus possible; et celui qui a dit : « Plus ferrae qnun rocher, plus rapide qu'un torrent, » n'a pas imagine qu'il persuaderait qu'un liornme fût plus ferme qu'un rocher ; jamais l'hyperbole n'es- père tout ce qu'elle ose : mais elle affirme l'in- croyable pour arriver au croyable. Lorsque nous disons : Que celui qui a donne oublie, nous di- sons qu'il paraisse oublier : que le souvenir ne se montre pas , ne s'afliche pas. Lorsque nous disons qu'il ne faut pas réclamer un bienfait, nous ne proscrivons pas rnlièrcmcnt le droit de réclama- lion; car souvent il faut aux méchants une assi- gnation, aux Imns un avorlissemcnt. Kh quoi? n'indiquerai-je pas l'occasion à celui qui l'ignore? No lui dcvoilerai-je pas mes besoins? Pourquoi lui laisser dans son ignorance un motif de mentir ou de se plaindre? De temps 'a autre , il faut un averlissemcnt, mais discret; que ce ne sait pas une demande, encore moins unesommalion. .WIV. Socralc dit un jour tout haut, en pré- .sence de ses amis : « J'aurais acheté un manteau , si j'avais eu de l'argent. » C'était ne demander a personne, eu averlissant tout le monde. Ils se di.s- putèrent tous le droit de le lui offrir. Cela devait être Que c'était peu de chose , en effet , que re- cevait Sociate! Mais celait beaucoup d'être celui dequiSocralererevait. Pouvait-il les réprimander plus doucement? « J'aurais acheié un manteau, si j'avais eu de l'argent. » Apres cela, celui qui se DtS BIENFAITS. ai'J hâla le plus, diin;ia frop lard. Déj'a Socraleavaiteu besoin. C'est en vue des sommations riïoureuses, que nous défendons de redemander : non p.liii qu'on ne le fasse jamais, miiisafin (|ii"oii le fasse avec discrétion. XXV. Arislippe , prenant un jour plaisir a res- pirer des parfums : « Maudits soient, dil-il, les efféminés qui ont compromis une aussi douce chose ! » On peut dire de même : Maudits soient les méchants et importuns délateurs de leurs bien- faits, qui ont fait proscrire une aussi douce chose que les avertissements entre amis! Pournioi, j'u- serai de ce droit de l'amitié, et je redemanderai un bienfait h celui de qui je l'aurais demandé : il regardera comme un second bienfait le pouvoir de me le rendre. Jamais , mêmcau milieu ih mes plaintes, je ne dirai : « Je l'ai accueilli jeté parla mer tout nu sur le rivage ; insensé, je l'ai admis au partage de l'empire. » Ce n'est pas l'a un aver- tissement; c'est un reproche : c'est appeler la haine sur le bienfait; c'est faire que l'ingratitude soit permise ou qu'on s'y plaise. Il sufOt de réveil- ler les souvenirs par des paroles modestes et affec- tueuses : « Si j'ai bien mérité de toi , si quelque douceur t'est venue de moi. • Alors, à son tour, ii dira : « Comment n'as- tu pas bien mérilé île moi? Tu m'as accueilli jeté tout nu sur le li- vage. » XXVI. Mais , dis-tu , nous n'y gagnerons rien : CCI ingrat désavoue; il a tout oublié : que dois-je faire? Tu me demandes une chose Irè.s-imporlanle, et par laquelle il convient de couronner ce Irailé: quod non polerat fieri, diiit : ut credcrclur quaiitiim plurimiim |iosset. Et qui dl\it , His iininobilior scopulis , violenlior smne nemini bocquidem se persnasuram putiTit.aliqiniii !arn immiiblleni, easc, quant sco|>u!um. ?(unqii.ini laiilinii tperat hypcrbola, qnnn.'uin audct: srd inciTdibilla nllir- niat , ut ad rredibilia perven ai. Qiium dicinuis, (pii l)e- nellrinni deii t, nbliviscalur : lioc diciniiis, Mniilis .sit obiiti>; uienioria rjus mm appareat, ncc incun-al. Qmiiii dicinius , Ijourficium ropc i non oportere, non ei tul.) repctilioncii tollimcis; FiB|>epniniopusest malis eiac oic-, eliam bonis adnioni ione. Quid ergo? occnsionem r^'uo. ranli non ostcndam? necessilatcs illi roea» non detepain? qnare nescisse se ani mpnliatur. aut dnirai? Intcrvenial aliqnando ad nonitio, sed verecunda, quse non poscat, nec in jus vocel. XXIV. .Socrates amicis audicnlibns : • Emisscni, inquit, pallium , »i rinnwnot hal)crcm. • Ncniinem poposc I, oni- ncs admonnit; a que a''ci|HTet.. anibiliis fuit. Quidni «set? Quantutnm cniin erat, quod Socrates accipiebal? at mulhim eral, eum fuisse, a cpio Socrales accipirrt. >uin >ros casllgare molliui (lotiiit ? « Emisscm, inipjil, palliam, ^l numnios halxTeni. • Posl lioc quisquis propc- raTerit , srro dat; jam Socrati dcfuil. Proplcr arerbnç ciactores reptterc prohiliemus; non ut nimiiu.im fi;\t, sed ul parce. XXV. Ari^lippnsali(^uandodeIeclalnsl:n^ncn'n: «iiialc, incpiit , istis effeniina'.is cveniat, qui rem t'Oi bellam in- raniaverunt I • Ideiridirenduni e^t : nnle istis improbis et im|)orlunis l>encficiorini siinruni qu.idrupl.ilorilMis e^e- niat, qui Lini JH-llain rem, ndiimnilionein intor amicns, sustulerunt! F.co lamcn iilar hoc jinc amicili.T , et bc- neficinm ab eo ropelani.a quo peli.sscm : qui alloriu» beneficii loroarceptiiruse-t, poluissc reddere. Nunquam, ne qucrens quidem , dicam : Kjfcliim littori" nnt'Dm Exccpli . et rpgni démens in parle l(»c.ivl. îSon est isia admonillo ; convicium est. Une, est in oïliimi bpnpriai iaiii , et in qna banc materiam consumiiipri decd , 17. 2()0 SÉNÈQLE. l'omraent faiil-il supporter l'ingratitude? Avec calme , douceur et magnanimité. Jamais l'insensi- l)ilité. l'oui)!! de l'ingrat ne te blessera au point ris inter rapienles referenlem. Si indigraris ingratos esse, indignare luxuriosos. indig- nare avaros , indipnare inipudicos , indignare acgit>» ae- formcs , seues pallidos. Est islud grave Tiiiuni, est inio- DES BIENFAITS. sni plaias-loi des vieillards pâles. Sans doute c'est un viceaffreuï, intolérable, qui désunit la société, qui sape cl ruine la concorde, unique soutien de notre faiblesse; mais c'est un vice si commun, que celui qui s'en plaint n'y peut échapper. XXVIII Examine en toi-même si lu l'es acquitté envers tous tes bienlaiteurs, si jamais entre tes mains aucun service ne s'est perdu, si le souvenir de tous les bienfaits t'accompagne sans cesse. Tu verras ceux qui furent accordés h ton enfance ou- bliés avant la jeunesse, ceux qui furent verses sur ton adolescence corrompus avant ta vieillesse. Les uus nous les perdons, les autres nous les jetons; ceux-ci ont disparu insensiblement de noire vue , ceux-l'a , nous en avons détourné les yeux. Pour excuser "a tes yeux la faiblesse, je te dirai d'abord que la mémoire est fragile élue sufDt pas 'a la mul- titude des choses. Il est nécessaire qu'elle perde 'a mesure qu'elle reçoit, et que le présent étouffe le passé. De l'a vient le peu d'influence que la nour- rice conserve sur toi : c'est que le propres de l'âge a éloigné de toi son bienfait. De lu vient que lu n'as plus de respect pour ton précepteur. Ainsi , il arrive qu'occupe des comices consulaires, ou devenu candidat du sacerdoce, lu as oublié les suf- frages qui t'ont donné la questure. Ce vice, d.ml tu le plains, peut-être en fouillant avec soin, tu le trouveras caché dans quelque repli de ton cœur. Il y a injustice 'a l'irriter contre le crime commun, il y a sottise 'a l'irriter contre le lien. Pardonne pour être absous. Tu peux rendre l'ingrat meil- leur par l'indulgence; mais "a coup sûr tu le ren- drais pire par la sévérité. 'Se vas pas endurcir son front : s'il lui reste quelque pudeur, souffre qu'il la conserve. Souvent la voix trop éclatante du re- proche a fait tomber le masque 'a l'ingratlludc en- core timide. Nul ne crainl d'être ce qu il paraît dq'a : la pudeur surprise se perd. XXIX. J'ai perdu mon bienfait! Disons -nous donc que nous avons perdu les offrandes consa- crées aux Dieux? Le bienfait est parmi les choses consacrées; quand il réussirait mal, il est bien placé . Cet honmie n'est pas tel que nous l'av4oiis espéré. Soyons tels que nous avons été; ne lui res- semblons pas. La perle remonte au jour du bien- fait : elle ne se découvre que maintenant. Ce n'est pas sans quelque honte pour nous que nous dé- nonçons l'ingrat : car se plaindre qu'on a perdu un bienfait, c'est avouer (ju'on a mal donné. Autant que nous le pouvons, plaidons la cause de l'ingrat au dedans de nous-mêmes: peut-être n'a-t-il pas pu: [K-ut-êlre n'a-t-il pas su; peut-être rendra-t-il. Certaines mauvaises dettes sont devenues bonnes par la patience et la sagesse du créancier qui loi a .'•outenues et assurées p.ir des délais. Il nous faut faire do même. Réchauffons une foi languis- sante. XXX.J'ai perdu mon bienfait! Insensé, tu ne con- nais pas la date de la perle. Tu as perdu, mais au moment que tu donnais: aujourd'hui. scidc.menl lu l'en aperçois. !\lênie dans les choses qui sont comp- tées connue perdues, la modéialiim jirolile gran- dement. Les maladies de l'àme , comme celles du corps, veulent être traitées avec précaution. Les fils qu'on eût démêlés avec le temps, se rompent si on les lire brusquement. A quoi bon Icsimprc- Ifrobilcd quod dis.socicl hominos, quod cnnconliaiii , qua imljccillilas nostra ruicitur, scindut iic (lis^ipct : sed usque eo vulgare est, ut illud ue (|ui querlliir qiildeni ctfuiçeril. XXVIII. Cogita teciim, an qiiit)iiscuiiique dcbiiisli, giatiam retuleris, an iiullimi iiii(|iiain apud le iXTictlt ni- D'tiuni, an omnium le l>enericiui'uin nninoiia coiiiiletiir. Videbi< qux puero data sunt , aille adol scrntiain ilapsa; quae in jufenom ciillala sunt, non p<-i durasse in scntclii- tem. Quo-dani perdidimus. qiiipdiin pi'iijc-ciiiui.s; qiia-- dam a conspeclu nostro paulaliin cvicrunt; a (juihusdaiii oculos aver imii<. Lit exrusem tilt iiiciiioria, et rei'um IuiIki! ii«u iul- flcit; nec^'sse est quantum rccipit , cniit.al , et anlitpii.ssi- nu recentiuimii obruat. Sic factuin est, ul miniiiia apiiil le nuti-icis esscl auclnritiis; qu'a heniTicliini ojus Ion;-!»» irlaiiequens posuil; sic faclum est , ut piiFC('ptiiri.s iil>l liiin fsset ulla vcncraliu : sic cvenit, ul tiica c n^iil^ria occupalo comilia.aut saccrdoli(]ruiii caiididalo, (|U.t- •tursetuffragatorexcideret. l'ortassc xiiiiiiii, dcqiin (|uc- r. ris, si le diligcuter exciissciis , in .siiiu iiiveuics. Inique puhlico irasceris crimini : stullc, luo; nt al)Siilvaiis, l(,iiosce. Meliorem illum fjcic» fcicndo, uliquc pejorcm riprobrando: non r.'it (pioil frontoni ejiis indiiri's; sino, si ((iiid est pillions icsiiliii, sii-vot. Sa'|ie dnbiain veru- luiidiam xoi conviiianlis darior rnpil; neiiio id essii, quod jani vidi'liii', tiiiii'l; d'pi'elicnsiis pudor aniitiitur. XXIX. Perilidi hrnirkiiiin. >nMiqnid qua; consecrn- xiinus, pcnlidissi' lU'ii (iiciiniis! In ei' consccrata lioncfi- ciuni est, cliaui si mile respiniiiit. Iienc collalnni. Non est ille. qnalcni spcraviinns. .Siiiius qiiales fniiiins nos, ci dissiniiles; daioiiniii Iniic ricUiiii , niiiic app.'n'iii:. Iii{;r.!tiis non sine n slio piidiiie pi'n licneilaii si!,'iiiiiiiest. Qiian- liini possuniiis, cansaiii cjns apud nas a^anius ; loi-ltsfe non poluit, fi)ila~sci.'nnia\it . lorlassif ic.nrnsosi.yua'- ilani nniiiina liona lenius uc sapii iis creiiilnr fi'cil.qui >ustiiiuit. ac nioia Tovlt. Idem iiubi» facionduiii; nu;ii;i- uni^ lidciu laii::ii'd un. XXX. Pcnlidi liiiicricliini I Slulle. non nosll dclri- incnli lui linipor!; pfrilidisii , s^'il (piuni daics; nunc (Kilani racinin vu.. Kli^iin in liis qiia' vidcntiir in prrdito, iiiodi'raiiopliiriniiiniprijfnit. Cl corpiirnni.ilaarninuruni luullilcr \ilia Ir.iilanda siiiit : sa'pc i|iiod cxplicavit niera, [leilinacia liahtniis alirn(«iiiii csl. Q;iid opns esl nial»- iliilis? qnid qutrelis? ipiid inscclalinne? quars illum li 'ml calions, les plaintes, les outrages? Pourquoi le li- bi'ier loi-même? l'oun]uoi l'affranchir? Dès que tu le déclares ingrat, il ne doit plus rien. Quelle raison y-a-t-il d exaspérer l'Iionmie auquel lu as reudu de grands services, pour, d'un ami douteux, en faire un ennemi déclaré , pour qu'il se cherche un défenseur dans notre propre honte? Et il ne manquera pas de gens qui diront : «Je ne conçois pas comment il ne peut supporter celui auquel il doit tant : il y a quelque chose là-dessous. Il n'y a personne qui, par ses plaintes, ne jette quehjue tache sur la dignité d'un supérieur, quand même il ne pourrait la souiller : et nul ne se contente d'inveuler des fautes légères; car l'cx. géralion de la calomnie provoque la crédulité. » XXXI. Tu suivras une bien meilleure route, en conservant avec l'ingrat l'apparence de l'amitié, ou même l'amitié s'il revient "a la vertu. Une boulé opiniâtre triomphe des méclianls : et il n'y a pas de cœur assez dur, assez ennemi de tout ce qui doit être aimé, pour ne pas être entiaîné vers les gens de liien, auxquels il va devoir celle obli- gation de plus, (|u'il sera impunément insolvable. Dirige d'aboid tes pensées de ce côté. On n'a pas i'0{,-,)naii mes services : que ferai-je? Ce que font les dieux, généreux auteurs de loules ciioses : ils commencent par verser leurs bien- faits sur l'homme il son insu ; ils les continuent "a l'homme ingrat. L'un les accuse de négligence, l'autre d'injustice; celui-ci les bannit de son univers et les suppose relégués dans les ténè- bres , oisifs, indolents, inoccupés. Pour un an- tre, le soleil, "a qui nous devons la division du tonrps entre le travail el le repos , qui nous em- SÉNÈQUE. pêche d'être plongés dans l'obscurité et la coiifn- sion d'une éternelle nuit; qui règle l'année par son cours , nourrit les corps, fait germer les stv. menées et mûrir les fruits ; le soleil est quelque pierre , quelque globe de feux fortuitement agglo- mérés, enfin tout autre chose qu'un dieu. Néan- moins, semblables "a de bons pères qui sourient aux colères de leurs petits enfants, les dieux ne cessent pas d'accumuler leurs bienfaits sur ceux qui doutent de l'auteur des bienfaits : d'une main toujours égale, ils répartissent leurs dons sur tous les peuples, n'ayant reçu en partage qu'un seul jx)uvoir, celui de faire le bien. Ils arrosent les ter- res de pluies opportunes, ils agitent les mers par le souffle des vents, marquent les heures par le cours des astres; ils tempèrent les hivers et les étés par l'haleine bienfaisante des zéphirs cares- sanis, ils supportent avec calme et bonté les er- reurs des âmes déchues. Imitons-les. Donnons, même si nous avons donné beaucoup eu vain : don- nons 'a d'aulres, donnons à ceux mômes qui nous ont fait perdre. La destruction d'une maison n'em- pêche persoime delà rebâtir; et quand laflammea consumé nos pénates, nous jetons de nouveaux f :ndements sur la terre encore chaude; souvent nous élevons des villes sur le même sol qui les a engloulies : tant l'âme est opiniâtre "a conserve!- bon espoir. Le travail de l'homme cesserait sur la terre et sur la mer, si les mauvais succès n'étaient suivis de nouvelles tenlalives. XXXll. Il est ingrat : ce n'est pas "a moi qu'il ;i. fait lort, c'est à lui-même. Moi , j'ai joui de mon bienfait en l'accordant. Je ne donnerai pas avec moins de cœur, mais avec plus de soin. Ce que j'ai l>rras? (itinre dimitlis? Si insniliis est, jani nihil ileljet. Qniu nilio est cxacorbare eiini, in (|U('ni niagua contu- leris , lit ex aniico duliio fiai non diibius iniinicus, et pa- ticKiiiiuni sibi nostra iiifainia (|uaTal? Ni'c desil : uescio qiiid est, quod cuin , ciii taiilum debuil, ferre non pii- uiil : subest aliiiiiid. ISeniO mm supcrioris diguilatem iHierciido, cliani .si non in(|ninavit, aspersit : ncc quis- iiuiiiii lingere contei)tus est levia, quum iiiagnitudinc luendtcii fidein (jiia'rat. XXXI. Qiianio illa nieiior via, qiia scrvatur illl species : niicilia", ef. si i-everli ad saiiiialem velit, ctiam aniici- liayViucit nialos perlinax iioiiitas; nec qiiisqiiaiu lani duri iufestique adversus dilif;cnda aiiinii est, ut etiarn vi I raclns Iwnos mm ainct : qui! 'iis hoc qiioquo cœpit debere, quod inipune non solvit. Ad illa ilaque coRilatinnes tuas llcftc. Non-es' niilii relati gratia; quid faciam? quod dii omnium reriim opiiini aiicloros ; qui bénéficia i<;noranli- Imsdare incipiiuit, iiigralisiiersevei-aiil. Abus iltisobjic t ucglit:entiam nosiri, alius iiiiquitalnii , aliiis illos extra iiiuudmii suuni projicit.et ignavos, bebetesquc sineUicc, .sine ullo opère desliluit. Aliiis soient, cui debemus, quod mter laboreiu qiiieteniquc tcmpus divi.'imus, quod , non lencbris immcrsi, confusionem aeternae noclis effugimos , i|U(>d annam cursn suo tempérât, et corpora alit, sata e\ocat, percoquit fructus, saxum aliquod, aut fortuiio- runi ignium globuni , et quidvis poilus quam deum ap- pi'll )t. Nitiiluniiaus lamen more optimorum pareolum^ qui maleilictis suoriim iufantium arrideut, non cessant dii licnellcia couRerere, de beneficioruiu auctorc dubilaa- tibus ; sed œquali tenore bona sua per génies populosqiie dislribuunl, unam potcntlara sortit! , prodesse. Spargunt opportunis imbiibus terras, maria Uatu movent, side- rum cursu notant tempora , hienies œstatesque iaterventu lenioiis spiritus molliunt; errorem labentium animorum placidi ac propitii ferunt. Imitemur illos; demus, cUam, si luulla iii iiritum datasint; demus nihiloniinus aliis, demus ipsis , apud quos jactura facta est. Keminem ab excilanda donio ruina deterruit, et quum pénates ignis absumsit, fundamenta tepcnic adhuc area ponimus, et- urbes haustas sa^piiis eodein solo condimus. Adeo ad bo- nas spes pertinax animiis est. Terra luarique liuman» oper.ieessarcnl.nisinialccadentiaiterum tenta rclibuissel. XXXII. Ingialiisest; non mihi fecit-injuriam , sed sibi; ego bénéficie nieo , quum darein , ttsus sura , nec ideo pi- DES BIEWFAirS. 2li5 perdu avec celui-là, je le gagnerai avec d'autres. A celui-là môme je donnerai encore ; et semblable au bon laboureur, à force de soins et de culture, je triompherai de la stérilité du sol. Mou bienfait est perdu pour moi; lui, il est perdu pour tout le monde. 11 u"y a pas de grandeur d'âme à donner et à perdre ; de la grandeur d'âme, c'est de per- dre et de donner. griusdabo, sed diligentiusî quod iDhoc perdidi, abaliis rvcjpiain. Sed liuic ipsi bencGciuiii dabu iterum , et lan- quauk bonus agricola , cura cultuque sterililatem suli viu- cani. Periiln)iliibeneGciuni;iste omnibus. ISoiicsl iiiagni aaiiiii, dare et perdcre; hoc est uiagiii aninii, perder» et dare. 83S {888S {8888880S DE LA CONSTANCE DU SAGE, «M QUE L'INJURE N'ATTEINT PAS LE SAGE. LIVRE UNIQUE. A ANNiEUS SÉUÉNUS. ï. Je puis dire à Iton droit , Sérénus , qu'il y a entre les stoïciens et les autres sectes qui fout pro- lëssiou de sagesse, autant de différence qu'entre l'homme et la femme : bien que l'un et l'autre sexe cunlribuent également au bonheur de la vie com- mune : l'un semble né pour commander, l'autre pour obéir. Les autres philosophes agissent avec mollesse et complaisance , 'a peu près comme ces médecins domestiques et de famille, qui prescri- vent à leurs malades non les remèdes les meilleurs et les plus actifs, mais ceux qu'on veut bien accep- ter. Les stoïciens, au contraire, marchant dans la route des vrais hommes, s'occupent moins de la faire paraître agréable 'a ceux qui s'y engagent, que de nous sauver au plus tôt, et de nous transporter dans ces régions élevées qui sont tellement hors de la portée des traits, qu'elles domincut la for- tune. — Mais la voie où ils nous appellent est es- DE CONSTANTIA SAPIENTIS. I. Tantam inter Stoicos , Serenc , et ceteros sapien- tiam professos intéresse , quantum inter feminas et mares, non immerito diierim ; quum alraqiie turba ad Titœ so- (ielatem tantnndem confirai, scd altéra pars ad obse- qaendum , altéra imperin nata sit. Céleri sapientcs mol Mter et blande, ut fere domestici et faroiliares nicdici a-gris corporibns , non qna optimum et celcrrimum est , nic- dentnr, >ed qua licel : Stoici virilem ingressi viam , non Dt amoena ineuntibns videatnr cur». babent , sed ut qaam- primum not eripiant , «t in lUam editum verticem edu- carpce et raboteuse. — Est-ce donc par la plaine qu'on gaguo les hauteurs ? Et môme celte route n'est pas si malaisée que quelques-uns se l'imagi- nent. C'est la première partie seulement qui a des pierres et des rochers, et semble sans issue; sou- vent ainsi la plupart des objets vus de loin pa- raissent escarpés et liés entre eux tant que fa dis- tance trompe les regards. Ensuite, quand on s'en approche, ces mêmes objets, dont l'illusion des yeux avait fait une seule masse, se dégagent insen- siblement, et ceux qui, dans l'éloignement, sem- blaient taillés "a pic, reprennent la forme d'une douce pente. Dernièrement, lorsque nous vînmes a parler de M. Calon, tu t'indignais, toi qui ne peux souffrir l'injustice, que son siècle l'eût assez mal compris pour mettre au-dessous des Valinius cet homme qui s'élevait au dessus des Pompée, des César; lu trouvais révoltant que, lorsqu'il com- cant ,, qui adeo extra omnem teli jactuni snrre\it , ut su- pra forlunani emlnc.il. Al ardua per i|ua; Tocanmr et confragosa suut. Quid eiiim plauu adilur cxcelsura? Sed ne tara abrupla quideni suut, quim quidam pulaiil i prima lantumpars saia rupesque habct.el invii speciem, sicut plcra<|ue e\ longiiiquii speciilaiilibiis abscisa etcon- neia videri soleiil, (|uuiu acii-ni ioiigimpiilas fallat. Deinde propius adeunlibus cadcm illa , qua; in unuin cougcsserat error oculoruiii , paulalini adaperiunlur ; lum lllis , qucB prœcipilia c\ inlerviillo app.irebaiit , redit lene fastigium. Nuperquum incidissct niciilio M. Calonis , indigne fere- bas (sicut es ini(piilalii inipalicnsi quod Catonem xta« 2f.tj SÉNÈQUL. haltail une loi, ou lui eût arraché sa togn eu plein Ibrum; que, depuis les Rostres jusqu'à l'arc de Fabius , traîné par les mains d'une faction sédi- licuse, il eût subi les propos insultants, les cra- cliats et tous les autres outrages d'une multitude eu délire. Je te répondis alors (jue si tu avais su- jet de l'offenser, ce devait êlre pour la république qu'un Clodius, d'uue part, de l'autre, un Valinius, et les plus méchants citoyens mettaient a renchère, sans comprendre, dans l'emportement de leur aveugle cupidité, qu'en vendant l'état ils se ven- daient eux-mêmes. II. Pour ce qui est de Caton , je le disais de te rassurer ; que nul sage ne pouvait recevoir d'in- jure ni d'offense , et que Calon nous avait été don- né par les dieux immortels comme un modèle de sagesse , encore plus sîir qu'Ulysse et Hercule dans les âges anciens. Nos stoïciens les ont procla- més des sages invincibles aux travaux , coutemp- leurs de la volupté, vainqueurs de toutes les crain- tes. Mais Caton n'eut pas a combattre des bêles féroces; c'est une lulte qui convient à un chasseur et à un paysan; il ne poursuivit pas de monstres avec le fer et la flamme, et ne vécut pas dans un temps où l'on croyait que le ciel se reposait sur les épaules d'un homme ; depuis longtcnq)s on était revenu de l'antique crédulité, et le siècle s'était élevé aux plus hautes connaissances. Calon fit la guerre a la brigue, ce vice aux mille formes, à "l'insatiable soifdu pouvoir, que n'avait pu satisfaire le partage du monde entier entre trois hommes , aux vices d'une cité dégénérée qui s'affaissait sous sa propre grandeur : Seul resté debout , il étaya la république chancelante , autant que le pouvait faire la main d'un seul homme , jusqu'il ce qu'en- fin entraîné, précipité lui-môme, il s'offrit a par- tager la ruine qu'il avait si longtemps retardée. Alors on vit s'anéantir en même temps ce qu'il était criminel de séparer : Caton ne survécut «as a la liberté, ni la liberté a Calon. Crois-lu doac que le peuple ait pu lui faire injure, parce qu'il le dépouilla do sa préture ou de sa toge , parce qu'il arrosa cette tète sacrée des ordures de sa bou- che? Non : le sage est partout en siirelc; il ne peut être atteint ni par l'injure, ni par l'of- fense. 111. Il me semble voir ton âme s'échauffer et s'enflammer; tu es prêt a l'écrier : « Voila ce qui compromet l'autorité de vos enseignements ! Vous promettez de belles choses , que l'on n'ose pas même espérer, bien loin qu'on y puisse croire ; ensuite , lorsque faisant sonner de grands mots, vous niez que le sage soit pauvre, vous ne niw pas que souvent il n'ait ni esclave , ni vêtement, ni toit, ni aliment ; lorsque vous niez que le sage puisse déraisonner, vous ne niez pas qu'il puisse êlre aliéné et tenir des discours extravagants, et oser tous les actes où l'entraîne la force de la maladie ; lorsque vous niez que le sage soit es- clave, vous convenez qu'il peut êlre vendu, qu'il peut exécuter les ordres d'un maître, et remplir auprès de lui toutes les fonctions serviles. Ainsi , après (jue votre orgueil s'est dressé de toute sa hauteur, vous descendez aussi bas que les aulres, en changeant seulement le nom des choses. Je soupçonne qu'il y a quelque chose de pareil dans sua parum iatellexissct , f;uod supra Poiiipeios et Ca'sarcs surgentem infra Vatinios posuisset, et tibi iiidigiiuiu vi- debatur, quod illi dissuasuro legeni , toga in Foro isset erepta , quodque a llostris usque ad arcuin Fabiamiin per seditiosiB faclionis manu.s traclus, voces iniprobas , et sputa , cl oiUDes alias insan;e tiiultiiiidiuis conlumclias peilulisset. Tune ego respondi habcrete quod reipublica; noniine raoverpris , quam liinc P. Clodius , bine Valinius, ae pessimus quisque venundabat, et cidilale,qaara tolus orbis in Ires divisas satiare non po I terat, adversns vilia civilatisdegenerantis, et pessumsua j mole sidenlis, slelit soins, cl cadentem rcmpublicaiu , i quantum modo nna rclrahi manu poterat, rclinuit; do- nec vel abreptus, vel abstraelus, comilem se diu susten-"- \ tata; ruina; dodit; simulqiie essiiucta sunt, qis oeias erat dividi. Neque enim Calo posl libcrlatem viiit, nec I Irbertas post Catonem. Hinc lu pulas injuiiam fieri po- ; luisse a |)opulo, quod aut pra'turani illi detraiit, aut to- : gamVquod sacrum illud capul purgameulis cris asper- ; sit? Tutus est sapiens, nec ullaafrici aut iujuria, aut cou- i tumelia polest. j III. Videor mihi intucri aniraum luum iccensura,cl I effervescentera ; paras acclamare : • Ila'c sunt quae auc- toritatem praceplis vestris delrahant : Magna proraittis, et qua; ne oplari quidem , nedura credi possiut ; deiude ingentia locuti, quum pauperem negaslis esse sapientem, non negatis sotere illi et servum , et vcslem , et teclam , et cibum déesse ; quum sapientem negaslis insanire, non negatis el alicnari , et parura sana verba emitlere , et quidquid vis moibi cogit, audere; quum sapientem ne- gaslis servuni esse , iidem non itis iufilias , et ïennm îtu- rum , el imperala facturum , et domino suo seprilia pite- stiluriim niinisteria. lia, sublalo aile supercifio, in eadeni quie cilcri , dcsccndilis, mutatis rerum nominibu». Taie DE LA CONSTANCE DU SAGE. 267 celle tuaninie qui , au premier abord, est belle et magaiiiqae; que le sage ne recevra ni injure, ni offcuse. Or, il y a une grande différence entre placer le sage au-dessus de l'indignation, et le placer au-dessus de l'injure. Car si vous dites qu'il souffrira avec courage, il n'a aucun privi- lége : il lui arrive une chose vulgaire , et qui s'apprend par l'habitude de l'injure, la patience. Si vous dites qu'il ne reçoit pas d'injures, c'est-à- dire que personne ne tentera de lui en faire , je laisse l'a toute affaire, et je nie fais stoïcien. » Quant à moi , je n'ai pas prétendu parer le sage de l'éclat d'un titre imaginaire, mais le placer en un lieu où nulle injure ne puisse l'atteindre. « Eh quoi ! il n'y aura personne qui le provoque, per- sonne qui l'éprouve? » Il n'y a dans la nature rien de sacré qui échappe au sacrilège ; mais les choses divines n'en sont pas moins dans une sphère sublime, quoiqu'il se trouve des gens qui adressent leurs coups impuissants 'a une gran- deur bien au-dessus de leur portée. Nous appelons invulnérable non pas ce que rien ne frappe , mais ce que rien ne blesse. A ce signe , reconnais le sage. N'est-il pas constant que la force (|ui n'est pas vaincue , est plus assurée que celle (|tii n'est pas attaquée? On peut douter d'une puissance non éprouvée ; mais on peut à bon droit regarder comme la fermeté la plus assurée celle qui a re- poussé tous les assauts. Ainsi , persuade-toi bien que le sage est d'une nature meilleure quand au- cune injure ne lui nuit , que quand il ne lui en est fait aucune. J'appellerai brave celui que les guerres ne doniplenl point, (lue l'approche des i forces ennemies n'effraie point, et non celui (jui s'engraisse dans l'oisivelé , au milieu de peuples indolents. C'est ainsi que j'entends que le sage n'est exposé "a aucune injure. Peu importe donc combien on lui lance de traits, puisqu'il est im- pénétrable "a tous. De même que la dureté de cer- taines pierres les met a l'épreuve du fer, cl que le diamant, qui ne i)cut être ni taillé, ni brisé, ni usé, émousse au contraire tout ce qui s'y atlaque ; de même qu'il y a des matières qui ne peuvent être consumées par le feu , mais qui , au milieu - des flammes conservent leur forme el leur con- sistance ; de même que les rochers qui s'avancent dans la mer, brisent la fureur des flots, et ne portent aucune trace des orages qui les battent depuis tant de siècles; ainsi est ferme l'âme du sage : elle a tant ramassé de forces, qu'elle est aussi assurée contre l'injure que les choses dont je viens de parler. IV. Kli quoi! n'y aura-t-il personne qui tente de l'outrager? On le tentera; mais l'injure n'ar- rivera pas jusqu'à lui. Car une trop grande dis- lance l'éloigné du contact des choses inférieures , pour qu'une force nuisible puisse s'étendre jus- qu'à lui. Alors mi^me que les grands nés pour l'empire, et qui tirent leur force de l'asservisse- ment volontaire de la foule, lâcheraient de lui nuire. Ions leurs traits tomberaient avant d'at- teindre le sage, comme ceux qui, chassés dans les airs par l'arc ou la balisie, s'élancent au- delà de notre vue, et cepcudant décrivent leur courbe bien en-deçà du ciel. Quoi donc ! alors (juc ce roi slnpiJe obscurcissait le jour par une nuée itaquc aliquid et In h(!C e.cie puicliruni atque nngnificuin rst; nec injiirimi ncc COQ- tuniellam accepturum rsse sapicotem. ^lultuin aiitem in- terest , utrum sapientem extra indienalioacm , an cilra iajuriam pouas. INam si dicis , iUuni a-quo aninio lata- rtiin,Dui:uui liabet prlvilei^iiin]; conliKJt illi res vulga- rii, e< qusdiscitiir ipsa liijuriarum assiduilalc , patlentia. Si negai accopluruiii injuriam , iil est , neiiiineni illi ten- tatiiruni faccre ; omnibus relictis nogoliis , Stuicus flo. i Eso Tero sapienteni non lnia(;inario honore Terborum exornare con&titui , sed eo luco |>onere , quo nutia per- niittatur injuria. • Quidergo? ncmo erit quilacessat, qui lentet 1 > ?titiil in rcruiii nalura tani sacrum est , qiiiid Mcrilegum non invenlat; sed non ideo divina minus in subilmi Miot , si eilstunt , qui inagiiiludincm , mullum ultra se positam , non icluri appctnnl. Invulnerabile est, non qnod non feritur , sed quod non Ij'ditur. Kx bac tibi nota aapienlem eibibeo. NumquiJ dubium est, quin cer- tias robur sit, quod non vincilur, quam quod non laces- «llur? quum diibis .sint vires ineipcrtx-; ac nicrito cer- tissima flrmilas bat>eatur , qu» omnes incursus rcspiiit. Sic tu sapientem melioris scilo esse aatune , si nullius iJli injuria nocet, quam si nulla sil. El illum fortem virum iioun, qucm bella non subiguni, nec - noxium. Ilaque non refrt , quam multa in illum conji- cianlur lela , quum sil nul i (wnelrabilis. Quomodo quo- rundam lapiduni inexpugnabilis ferro duritia est , nec secari adamas , aiil ca-di , vel deteri potest, sed incurren- tia ullro rctuudit ; (luoniadniodum qusdam non possunt ignc consumi , sed ilamiiia circumfusa rigorem suum ha- bitumqiie conservant ; quemadmodum projecti in altum scopuli marc frangunt, nec ipsi ulla sœTitiic vestigia, tdt verberati seculis , ostentani ; ita sapienlis animus soli- (lus est , et id loboris collegit , ut lam tutus sit ab iujuria, quam ilta qux reluli. IV. • Quid igitur? non eritaliquis qui sapienti facere tcnlet injuriam? • Tenlabit, sed non perventuram ad euni. Majore euini intervallo a contactu inferiorum ab- ductus est , quant ut ulla vis noiia usque ad illum vires suas perferat. Eliam quum (lotentcs , et impcrio editi , et consensu servienliura validi , nor4?re ei inlendent; tara cilra sapientem omnes eoriim iuipetus déficient , quanv (|ua; nervo lormentisve in allumcxprimunlur. quum ex- tra visum eisilierunt, citra cœlum lamen fleeluntur.. Quid ? lu pulas , quiiin slolidiis ille rex multitudine Ic- loruin diem ottsciuassct , iiltani sagiltam in solem inti» 268 SÉINÈQUE. de flèches, crois-tu qu'uue seule ait frappé le so- leil? Crois-tu que les chaînes qu'il plongeait dans l'abime aient pu toucher Neptune? Comme les choses divines échappent à la main de l'homme , comme ceux qui d'élruisent les temples , ou fon- dent les statues, ne font pas tort au ciel ; ainsi , tout ce que l'audace, l'arrogance et l'orgueil ten- tent contre le sage, demeure sans effet. — « Mais il eût mieux valu que personne n'eût la pensée de lui faire outrage. » — Tu souhaites au genre hu- main une chose difficile, des mœurs inolTensives. Que l'outrage ne soit pas fait, c'est l'intérêt de celui qui doit le faire, non de celui qui ne peut en souffrir, quand même il serait fait. Je ne sais pas même si le sage ne témoignerait pas mieux combien est forte sa tranquillité au milieu des assauts : Ainsi un chef d'armée ne prouve jamais mieux la puissance de ses armes et de ses troupes que par une sécurité calme sur la terre ennemie. Distinguons, si tu le veux bien, Sérénus, l'in- jure de l'offense. La première est de sa nature plus grave; celle-ci est plus légère , et grave seu- lement pour les gens susceptibles; elle ne blesse pas , elle froisse. Telle est cependant la faiblesse et la vanité des esprits, que, pour la plupart, rien n'est si cruel. Ainsi, tu trouveras un esclave qui aimera mieux être battu de verges que recevoir un soufflet, et qui supportera plus volontiers la mort et les coups que des paroles offensantes. Nous en sommes venus 'a ce point de déraison , que non-seulement la douleur, mais l'idée que nous nous en faisons est un supplice pour nous; ainsi l'enfant s'effraie dune ombre , d'un masque difforme, d'un visage contrefait , se met à plea- rer aux noms désaj;réables h son oreille, aux si- gnes qu'on lui fait avec les doigts, et à toute autre chose, dont la brusque illusion le surprend et le fait fuir. V. L'injure a pour but de faire du mal a quel- qu'un; or, la sagesse ne laisse pas de place au mal. Car elle ne coimaît qu'un seul mal , la honte, qui ne peut pénétrer où sont déj'a l'Iionneur et la vertu : donc l'injure n'ai rive pas jusqu'au sage. Car si l'injure est un mal dont on souffre, comme le sage ne souffre d'aucun mal, aucune injure n'at- teint le sage. Toute injure ôte quelque chose 'a celui qu'elle attaque , et nul ne peut recevoir une injure sans quelque préjudice de sa dignité , de sa personne, ou des choses extérieures : or, le sage ne peut rien perdre ; il a tout renfermé en lui ; il n'a rien commis à la fortune ; tous ses biens sont des biens solides; il se contente delà vertu, qui n'a pas besoin des dons du hasard. C'est pourquoi son trésor ne peut ni augmenter, ni diminuer; car ce qui est parvenu à sou comble, n'a plus de place pour s'accroître. La fortune n'enlève que ce qu'elle a donné ; or, elle ne donne pas la vertu , donc elle ne Tôle pas. C'est une chose libre, inviolable, que rien n'émeut, que rien n'ébranle, tellement endurcie contre le sort, qu'on ne saurait même la fléchir, loin de la vaincre. Les plus menaçants spectacles, elle les regarde d'un œil fixe : son vi a^e ne change pas , qu'on lui pré- sente la disgrâce ou le bonheur. Donc le sage ne perdra rien dont il puisse ressentir la perle. Il n'a qu'un patrimoiue, la vertu dont ou ne pourra disse? aut demissis in profundum catcnis IN'eplur.iiiii po- tiiisse contingi? Ut cœteslla Imniaiias inaims e(luj;iuiit , et ab bis qui templ;i dirimut , aut simiilacra cniillant , nihil divinitali nocetur; ita quidquid fit in sapienlcni proterve, petulanter , superl)c , frustra tcnlatur. « At jatius erat, neminem esse qui faccre vellet ! » Rcni difii- dtem oplas humano peneri, iuuocentiani. l^t unn licri eorum inlercst qui facturi sunt , non cjus ([ui pa:i , ne si (iat quidem, non potcst. Imnionescio, lin niagis vires sapicntia ostcndat tranquillitatis iiiter laresscntia; sicut nKiximum arguiuenium est imperatoris, armis virisque pollcnlis, tuta securitas cl in hostium terra. Dividanius , si til)i vidctur . Serene, injuriain a eontumelia ; prior illa natura gravier est; ha'C levior, et lanUini delicalis gravis : qua non lœdunlur, sed offendunlur. Tanta est tamen animorum dissolulio etvanitas, ut quidam nihil acerl>ius putent. Sic inventes servuni , qui fiageliis quam colaphis casdi malit, et qui niortem ac verbera tolerabi- lioracredat, quam ccmluniellosa verba. Ad tantasinep- tias pervcnlum est , ut non dolore tantuni , sed doUiris ojiiiiione vexemur : more puerorum , quibus metus in- cutit umbra , et personarum deformilas, et depravata faciès; lacrmas veroevocant nomina paruni grala auri- Ims . et digitorum mo us, et a!ia , quse impetu quodain erroris improvidi refiigiunt. V. Injuria proposiluni lioc habe". , aliquem matoaffi- cere; miilo autim sapienlia no:i rcliiiqnil liKuiu. L'nuni enini maliim illi est turpiludo; qu e iutrare eo, ubi jam virtus Iionestuni'iui' est , non poti'st ; injuria ergo ad sa- picntcni non pcrvcnit. ÎNani si injuria alicuius mali pa- tientia esl , sapiens aueni nullius uiali est paliem , nulla ad sapienlera injuria perlinet. Omuis injuria deminuli:» ejus est, in quem iucurnt, uec potest qiiisquam injuriaai accipere sine aliqiio delrimento vel dignilatis, vel cor- poris , vel rerum eslra nos positaruni ; sapiens autem niliil perdere potest; onmia in se reposuit, nitiD fortuns crédit , bona sii:i in s.>!:do liabet , contentus virlule, qua; fortuiiis non indiget. Ideoque «ce augeri, nec minui potcsi; nam in .>:uniiiiuni perdueta increcienti non habent locum. îSihil eripit fortuna , nisi qiiod dédit ; virtut«n autem n(in dat ; ideo nec deiraliit. L'l>cra est , inviolabilis, imninta , incoucussa ; sic con'.ra casus indurat , ut nec iucliuari quidom , nedum vinci iwssit. Adversus appara- tus lerribilium reclos ocnlos tenet , nihil es vulla mulat, sive illi dura , sivc secunda ostenlanlur. Itaque mhil per- de!, quod porire scuburus sit. Unius caim in possessioiie DE LA CONSTANCE DU SAGE. 269 jamais le ilc|)Ossi;der ; de toul le reste, il n'use qu'à titre d'emprunt : or, qui s'afflige de perdre ce qui n'est pas à lui? Que si l'injure ne peut rien endommager des choses qui sont personnelles au sage, parce qu'elles sont garanties par leur propre ver(u, on ne peut faire injure au sage. Démé- trius, surnommé Poliorcèles, avait i>ris Mégare. Comme il demandait au pliiloso[>lie Stilpon, s'il n'av.iit rien perdu. « Rien , repondit celui-ci, car tous mes biens sont avec moi. » Et cependant son patrimoine avait été livré au pillage, ses tilles avaient été ravies, sa pairie était tombée au pou- Toir de l'étranger, un roi, qu'entourait unearmée victorieuse, l'interrogeait lui-niêrae du haut de sa grandeur. Stilpon lui ravit ainsi son triomphe, et au sein d'une ville esclave, il témoigna qu'il élail^iion-seulement "a l'abri de la victoire, mais "a l'abri du dommage ; car il avait avec lui les vrais biens qui sont in.saisissables. Mais ceux qu'il voyait disperser, piller, emporter, il ne les considérait pas comme siens , maiî comme accidentels , et soumis aux caprices de la fortune : aussi ne les aimait-il pas comme des choses qui lui fussent propres. Car tout ce qui arrive du dehors est d'une possession incertaine et fragile. Vois main- tenant si un voleur, un calomniateur, vm voisin pui.ssant, ou quelque riche exerrant cet empire que donne une vieillesse sans enfants, pont faire du mal 'a cet homme h qui la guerre et ce terrible ennemi qui professait le bel art de renverser des villes, ne put rie.i enlever. Parmi les glaives ctincelants de toulicinus polens, aul dives ali(|uis regnum orba- senectulii e^errens , faccreiiijuriam |>ossit, cnl l)elluin et hostis ille cf^res'aiii arleni (|unssepsi modo e ruinis donuis, el inreudiis undi- quc relucenl bus, flanunas per snneuinem fugi. Filias me: s qui casus babeal , .-îu pejor pnblico , ncscin. S lus, cl senior, et hosllia circ.i nie oninia videns, lameu lu- 270 SÉNÈQUE. sauves ; je conserve , j'ai encore tout ce que j'avais à moi. Tu n'as pas lieu , Démétrius, de me croire le vaincu , toi le vainqueur : ta fortune a vaincu laa fortune. Ces choses périssables et qui changent de maître . où sont-elles? je ne sais. Quant à mon véritable avoir, il est avec moi, il sera toujours avec moi. Ces riches ont perdu leur patrimoine, ces libertins leurs amours, et leurs courtisanes aimées publiquement , au grand scandale de la pu- deur; ces ambitieux, la curie, le forum, et les lieux arfccics a l'exercice public de tous les vices; ces usuriers ont perdu leurs tablettes, où l'avarice, dans l'illusion de ses joies, calcule d'imaginaires richesses; et moi j'emporte les miennes entières et sans dommage. Et maintenant interroge ceux (|ui pleurent, ceux qui se lamentent, ceux qui, fiour leurs trésors , opposent leur poitrine nue aux glaives menaçants; ceux qui fuient l'ennemi, courbés sous le poids de l'or. » Reconnais donc, Sérénus , que cet homme accompli , tout plein des vertus humaines et divines, ne saurait rien per- dre. Ses biens sont environnés de solides et impre- nables remparts. Ne vas pas y comparer les murs de Babylone , où sut pénétrer Alexandre , ni ceux de Carthageetdc Numance , que détruisit un seul bras; ni le Capitole ou sa citadelle : la l'ennemi a laissé sa trace. Les murailles qui protègent le sage iMd a l'abri de la flamme et de tout assaut : elles ri'offrent aucun accès; elles sont hautes, insur- montables, égales aux cicux. VII. Il ne s'agit pas de dire , selon la coutume, que notre sage ne se trouve nulle pari. Ce n'esl pas un vain portrait forgé pour honorer la nature hu- maine, ni l'image grandiose d'un être mensonger. Tel nous affirmons qu'est le sage , tel nous l'avons montré et le montrerons. C'est une rareté sai« doute, qui ne se rencontre dans les siècles qu'a des intervalles lointains ; car les choses grandes, qui excèdent la mesure ordinaire et commune, n'apparaissent que rarement. Au surplus, jecrams bien que ce M. Caton, dont le nom servit d ar- gument "a cette controverse, ne soit même au- dessus de notre modèle. Enfla , ce qui blesse est plus puissant que ce qui est blessé. Or, ia me- chancelé n'est pas plus forte que la verte, c'onc le sage ne peut être blessé. L'injure n'est essayée que par les mcMibants contre les bons; entre eux les bons sont en paix; les méchants ne sont pas moins hostiles entre eux qu'aux bons. Que 8 il n'y a que le faible qui puisse être blessé, comme le méchant est plus faible que le bon, et que «es bons n'ont 'a craindre l'injure que de ceux qui ne sont point leurs pareils, l'injure n'atteint pas le sage. Car il n'est plus liesoin de te rappeler qu'il n'y a de bon (jue l'homme sage. « Si , dis-tu, So- cratea été condamné injustement, il a reçu une injure. » 11 faut ici bien nous entendre : il peut arriver que quelqu'un me fasse une injure, et que moi je ne la reçoive pas ; si quelqu'un , par exem- ple, me dérobe quelque chose dans ma métairie, et le dépose dans ma maison , il aura fait un vol , je n'aurai rien perdu. Ua homme peut être mal- faiteur, sans avoir faille mal. Celui qui coucheavec sa femme, la prenant pour celle d'autrui, est adul- tère , ([uoique sa femme ne le soit pas. On m'a donné du poison ; mais il a perdu sa force en se fcgrum iiicolumemque esse ccnsiim iiieuni piofilcor; le- neo.habeo quidquid raei li.ibui. ISoii est qnod me vic- tum, viclorenKiue le credas; \icit lortiiiia nm fortunam meain ! Caduca illa, et doiiiinuin nmlaiilia, ubi sint nes- cio;quod ad res iiieas pertinct, iiiecimi sniit, inecuni eriint. Perdiderunt isti divites patriinonia , libidinosi amores suos, et niagii > pudoris ini|)cndi<) dilccta scorla , ambiliosi curiani , et forum , et loca cxercondis in publico vitiis drstinata ; feiieialores perdiderunt lal)ellas suas, quilmsavaritia falso laeta divitiasiiuagiiialur; ego quidcm oninia intégra illibataque lial)eo. Proinde istos inlerroga qui lient, qui lamenlanlur, strictis gl^idiis nuda pro pe- cunia corpoia oppouunt, (;iii hcstem onerato sinu fu- giunt. » Ergo iia lieue, Sercue, pcrfcctum illum virum, humanis divinisque virtulibus plénum , nihil perdere. liona ejus solldis et inexsuperabililjus nuinimcntis prœ- *cinct:\ sunl. ISon Babylonios illi muros contuleris, quos Alexander intravit; non Carthaginis aut Numantia' niœ- nia, iina manu capta; non Capitolium , aiccmve; habent isia hostile vestigium. Illa (iu:e sa|)ienteni luentur , a Ilamnia etab incursu tuta stint ; nullum iutroitum prae- liont , excelsa , inexpugnabilia, diisaqua. VII. TS'on est quod é'icas, ita ul suies , bunc sapicnlem c utrum nusqiiam inreniri. Non Pinginius is'ud liumimi Ingenii rnnum decus, nec ingentcm imagioem falsx rei concipimus; sed qualem conlirmamus, eibibuimiis, el cxbibcb mus. Raro forsitan,magnisque afiatum interral- lis inrenitur; nefiue enim niagaa. et eicedentia solitum ac vulgarem niedum , crebro gignnntur ; ceterum hic ipse M. Cato , a cujus menlione tiaec disputatioprocestit, vereor ne supra nostrnm eiemplar sit. Denique yalidiu» débet esse quod lœdit, eo quod la'ditur;nOQ est autem foriior nequilia virtnle; non potest ergo laedi sapiens. In- juria in bonos nisi a nialis non tentatur; bonis inter se pas est; mali tara bonis perniciosi quam inter se. Quodù hcdi nisi inlirmior non polest , malus autcra bono infir- mior est , nec injuria bonis, nisi a dispari, verenda est, injuria in sapieuiem virum non cadit. lUud enim jam non es adni: nendus , ncminera bonum esse nisi sapieateiii I' Si injuste , inquis, Socrales d3ninatusest,injuriam ac- cepit. » Hoc loco intelligert nos oportet, posse evenire , ut faciat aliquis in{uriam mihi , et ego non accipiam: taiiquam si quis rem quam e villa mea .^^urripuit, in domo niea ponat; ille furtum fecerit , ego nihil perdidcrim. Po est alipiis nocens fieri .qtiamvis non uocuerit. Si quis cum uxore sua tanquam aliéna concumbal, adultèrent, quaniTis illa adultéra non sit. Aliquismibi venenum dédit, sed viin suam reinixium cibo perdidit; venenum illud DE LA CONSTANCE DU SAGE £7t iiiêlanl avec les aliments; en me donnant ce poi- son . on s'est chargé d'un crime , encore qu'on ne m'ait pas fait de mal. Il n'en est pas moins un as- .«assin, celui dont j'ai trompe le fer en lui opposant ma toge. Tout crime, même avant l'exécution, csl, quant 'a ce qui sufGt'a la culpabilité, déj'a con- sommé. Certaines choses sont dans un tel état de connexion et de réciprocité, que l'une peut être sans l'autre; et qu'au contraire celle-ci ne peut être sans cclle-l'a. Ceque jedis, je vais lâcher de le rendre clair. Je puis mouvoir les pieds sans cou- rir ; je ne puis courir sans mouvoir les pieds. Je puis , quoique dans l'eau , ne pas nager ; si je nase, je ne puis pas n'être pas dans l'eau. Il en f es>. ainsi dans la question qui nous occupe. Si j'ai reçu une injure, il est nécessaire qu'elle ait été faite; si elle est faite, il n'est pas nécessaire que j? l'aie reçue. Car il peut survenir bien des choses qui détournent l'injure. Le hasard peut abattre la main qui me menace, et détourner le trait qu'on m'a lancé : de même l'injure, quelle qu'elle soit, peut être repoussée, arrêtée en chemin par un obstacle quelconque ; en sorte qu'el'c aura été faite et non reçue. VIII. D'ailleurs, la justice ne peut rien souffrir d'injuste; car les contraires ne s'allient pas : or, l'injure ne peut être faite qu'injusleincnl; donc l'in- jure ne peut être faite au sage. Et il n'y a pas lieu de l'émerveiller que personne ne puisse lui faire injure; car personne ne peut non (dus Uii faire du bien. Il ne manque au sage rien (piil puis.sc ac- cepter en don ; et le méchant ne peut rien donner au sage. Car il doit avoir avant que de donner; or, il n'a rien qu'un sage soit flatté de recevoir. Il n'y a donc personne qui puisse, soit nuire, soit être utile au sage; c'est ainsi que les divinités n'ont besoin d'aucune aide, et sont au-dessus do toute offense. Or, le sage est placé le plus près des dieux; il est leur voisin; et, à la mortalité près, il est semblable à la divinité. Il s'élance, il monte vers ces hauteurs, au sein de l'ordre, de la paix, où tout marche d'un pas égal et harmonieux , dans une bienfaisante sécurité; né pour le bonheur pu- blic, utile'a lui-même et aux autres, rien d'abject ne souille ses désirs, rien ne le fait pleurer, lui qui , appuyé sur la raison , traverse avec un cou- rage divin les vicissitudes humaines. Et quand je dis que l'injure n'a pas de prise sur lui , ne crois pas qu'il s'agisse seulement de celle qui lui vient de l'homme ; la fortune môme est impuissante; elle qui, toutes les fois qu'elle engage une lutte avec la vertu, n'en sort jamais son égale. Si ce dernier ternie, au-delà duquel sont impuissantes les colè- res de la loi, comme les menaces des plus cruels tyrans, où vient se briser l'empire de la fortune, est accepté par nous d'une âme égale et tranquille ; si nous savons que la mort n'est pas un mal, encore moins une injure, nous supporterons bien plus fa- cilement tout le reste, et les dommages, et les souf- frances, et les ignominies, et les déplacements, et la pertedenns enfants, et les violen les sépara tiens- quand mêineloules ces ca^amilés environneraient le sage , elles no l'engloutira lent pas; encore moins pcnt-il être ébranlé par des secousses isolées. Ets'il endureaven constance les injures de la fortune, que pourront contre lui celles des hommes puissants, qu'il sail n'être que lesinslrumenls de la fortune? IX. Il souffre donc lout, comme il souffre tiando, «ct'lcre so oblipavit , ctiamsi non nociiit. Non mi- nus latro est , ciijus lelum npposiLi vcslc clusuin c^t. Om- nia tcclera eliam ante effcclum opcris, qunnlum culpae satisest, perfecU suot. Quapdam ejus condilinnis sunt, eitiac vice copulanlur, ut altornm sineaKcro esse posait, alterum sioe allero oun po&sil. Quod dici>, conabor lacère niaoïrestum. Possum pedes niovcrc , ut nou curram ; currere non possum, ut prdes non movcam; pos.^um, quamvis iu aqua tiui, non natare; si nu[o, non possum iu aqua uon esse. Ex hac sorte et hoc est , de que agitur; si iajuriam acccpi, uecesse est f^^clam esse; si est tacta, Don est Qccesse accepisse me. Mulla eniiu incidcre pos- snnt, quse ■ul)niovc;:nt injuriam. Tjtintentaui maniim dejiccre casus potest , et emissa tela dcclin:ire ; ita inju- rias quatescunque potest alii|ua res depellere, et in inc- dio intercipere , ul et factx sint . nrc accepta;. VIII. Prastere^ nitiil injustum justilia pati poirst , quii □lin coeunt contraria ; injuria aulem non prtest fier! , aisi injuste; crgo sapienli injuria non polest fierl. Pii'C est qu(i(pio placiilo- que sniiii» arcipimus , et scinius morti m maliiiii n n esse, ol> hoc ne in,uriam quidem; niullo fucillus alia lnleiabi- mus, dan:na , dulorcs, ignominies , locoruni couiniula- tiones, orbitales, discidia; qua; siipifulem , eiiamsi uui- versa liicumvenianl , n ui(id< r.nte fert, quanto niagis hcniluum l'oUiiliimi , (puis scit fri-. luiia; monus esse? 272 SÉNÈQUE. les rigueurs de l'hiver et i'interûpéri? du ciel, et les ardeurs de l'élé, et les maladies, et tous les autres accidents du hasard. Il n'a d'aucun homme assez bonne opinion pour croire qu'il fasse quel- que chose par riiflexion; cela n'appartient qu'au sage : il y a chez tous les autres absence de raison ; ce ne sont que fraudes, trahisons, mouvements désordonnés de l'âme , mis par le sage au nombre des accidents. Or, nous sommes hors de la portée des coups et des outrages de tout ce qui est fortuit. Le sage considère aussi quelle latitude offre 'a l'in- jure tout ce qui peu t nous jeter dans quelque péril ; par exemple, un accusateur suborné, de fausses imputations, les fougueuses colères des grands, et tous les autres brigandages qui s'exercent sous la toge. Une autre injure fréquents, c'est de dé- rober à quelqu'un, soit les proflts d'une affaire, soit une récompense longtemps poursuivie; c'est d'enlever une succession à qui l'avait captée a force de soins, de ravir la faveur d'une maison opu- lente. Le sage échappe à tout cela , lui qui ne sait pas ce que c'est que de vivre dans l'espoir ou dans la crainte. Ajoute encore que personne ne reçoit une injure sans en être ébranlé : dès qu'elle se fait sentir, on s'émeut. L'homme fort, au contraire, ne connaît pas l'éraolion ; maître de lui-même, il jouit d'une paix profonde et inaltérable. Il est flair que si l'injure le touche, elle le trouble et lui ôte sa liberté. Mais le sage est étranger "a la colère, qui provoque l'idée de l'injure; com- ment donc serait-il étranger à la colère, s'il ne rélait à l'injure, qu'il sait ne pouvoir lui être faite? De l'a celte assurance, ce contentement; de Ta cette joie continuelle qui le transporte ; de'ià cette sérénité qu'il oppose aux chocs qui lui vien- nent des choses ou des hommes ; tellement que l'injure même lui proflle, en lui servant à s'é- prouver lui-même, a souder sa vertu. Faites si- lence, je vous en conjure; prêtez à cette vérité une âme et une oreille attentives; le sage est exempté de l'injure. Et pour cela rien n'est re- tranché "a vos emportements, rien "a vos avides pas- sions, rien à votre aveugle témérité, rien à votre orgueil. C'est en vous laissant tous vos vices que nous cherchons l'mdépendance du sage; nous ne prétendons pas qu'il ne vous est plus permis de faire injure, mais que le sage repousse au loin toute injure et se défend parla patience et la gran- deur d'âme. Ainsi, dans les jeux sacrés, beaucoup n'ont triomphé qu'en fatiguant, par une opiniâtre patience , les bras qui les frappaient. Il faut placer le sage au rang do ceux qui , par de longs et con- stants exercices, ont acquis la force de supporter et (!e lasser tous les assauts. X. Maintenant que nous avons achevé la pre- mière partie de notre tâche , passons à la seconde , où, par des arguments, dont quelques-uns nous sont propres, mais dont la plupart appartiennent 'a tous, nous combattrons la réalité de l'offense. C'est quelque chose de moins que l'injure, dont on peut se plaindre plulô't que se venger, et que la loi ne juge digne d'aucune réparation. Cette disposition naît de la faiblesse d'une âme qui se révolte d'un manque d'égards, soit en action, soit en parole. Cet homme ne m'a pas reçu quand il en recevait d'autres; quandje parlais il détournait IX. Omnia itaqiie sic patitur , ut liiemis rigorcm , ut intcmperaDliam coeli, ut fervores ninrbosque, et cetera forte accidentia. î\ec de quoquam tani bene jndieat, ut illum quidquam pulet consilio fccisse, quod in uno sa- piente est; aliorum omnium non consilia , sed fraudes , ctinsidiœ, et molus animnruminciinditi surit, quos casi- bus adnumeral. Omne autem fortuituui cilra nos sanil , et injniiatur. Illud quoque cofjital, injuriarum latissinie patcre niateriam illis, per qua? pcriculum ni)bisqua?situm est; ut, ::ccusatore siil)m;sso, aul crimin stione ûilsa , aut irritatis in nos poteiitiorum niolibus, qu.Tquc alla iuier togatos lalrocinia .sunt. Est et illa injuria fre(iuens,si lucrum aticui escussum est, aul prasmium diu taptituni; si magno labore affectata lieredilas aversa est, et cpicPs- luosaî domus gratia erepta ; hase effusit sapiens , (jui nrs- cit nec iu spe, nec in melu vi\ere Adjico mmc, quod in- /uriam Qenio immola mente accipit, sed ad sensuni ejiis perlurbalur ; caret autem pertnrbatione vir erectus, mo- derator sni , allae quietis et placida;. Nam si iliuni tangit injuria , et moTet , et impedil; caret autem ira sapiens , quam excitât injuria; sppcies; nec aliter careret ira , ni.si eî injuria , quam scit sibi non posse fieri. Inde tani ercc- tas ketusque est, iude conlinuo gaudio elafus , adei) ad offensiones reriuu hominumque non conirahitur . ut ip.sa ilti injuria usuisit, per quam experimentum sui capit , et virtutem tentât. Faveamiis , obsecro vos , huic propo- sito, a-quisque etanimis et ainit)us assinuis, dum sapiens njuria; excipilur ; nec quidquam ideo petulanliae nostrae, aut rapacissimis enpiditalibus, aut caîca» temeritall su- perbia'que delrahilur. Salvis viiiis vestris , bapc sapienli liberlas qua'rilur ; non , ut toIùs fjcere non liceat inju- riani , aginius, sed nt ille omnes injurias in altum dimit- tat , patientiaque se ac magnitudine animi defendat. .Sic in certaniinibus sacris plerique vicere; cœdentiuni manus obtinata palientia fat ganio Ex hocputa génère sapien- tcm eorum , qui escrcitatione longa ac fidell, robur peipetiendi hssandique omnem inimicam vim consecutl sunt. X. QuoniaiTi priorem pailem percurrimus, ad alteram transeamus ; qua jam quilîusdam propriis, plcrisqoe ïero conminnibus conîumeliam refuiabimus. Est minor injuria , quam queri magis quam exscqui passumos . qiiain leges quoque nulla dignam > indicta pulaverunl Il une affecliin". movet bumilitas animi contrahentis se ob f.'cliiin diclumqne iuhonorillcuni. Ille niehodie non ad- nusit , qnum alios admitteret; sermonem meum autsn DE LA CONSTANCE DU SAGE. 273 dédaignensement la tête , ou me riait au nez ; ce n'est pas au milieu du lit, c'est au bout qu'il m'a placé ; et antres griefs de même force. Quel nom leur donnerai-je? Ce sont les plain- tes d'une âme dégoûtée, auxquelles s'abandon- nent volontiers la mollesse et la prospérité; car on n'a pas le loisir d'y songer quand on est me- nacé de maux plus sérieux. Les esprits inoccu- pés, naturellement inflrmes et efféminés, qui, à défaut d'injures véritables , s'irritent par caprice , s'émeuvent de ces riens , dont toute l'importance Tient d'être mal interprétés. Ce n'est donc montrer ni sagesse, ni conflance en soi-même, que d'être touché d'une offense. Car , à coup sûr, on se croit méprisé ; et cette blessure ne saurait atteindre qu'une âme qui, en quelque manière, se rape- tisse et s'humilie. Mais le sage n'est méprisé par personne ; il a conscience de sa grandeur ; il se dit à lui-môme que nul n'a tant de droits sur lui ; et toutes ces misères, que je n'appellerai pas des in- fortunes, mais des ennuis de l'âme, je ne dirai pas qu'il les surmonte : il ne les sent même pas. Il est d'autres disgrâces qui frappent le sage, mais sans l'abattre; comme la douleur du corps, les infir- mités; la perte des amis, des enfants; les mal- heurs de la patrie déchirée par la guerre. Je con- viens que le sage est sensible h tont cela; car nous ne lui attribuons pas la dureté de la pierre ou du fer. Il n'Y a pas de vertu 'a endurer ce qu'on ne sent pas. XI. Que fait-il donc? il reçoit certaines bles- sures ; mais il les reçoit pour en triompher , pour les guérir, pour les fermer. Quant a ces autres plus légères, il ne les sent même pas; il n'use pas contre elles de la force qu'il déploie ordinairement contre le mal; mais, ou il n'y prend pas garde, ou il croit ne devoir qu'en rire. D'ailleurs, comme la plupart des offenses viennent des gens super- bes, insolents , et qui soutiennent mal la prospé- rité, le sage a pour dédaigner cette enflure du cœur la plus belle de toutes les vertus, la santé de l'âme, sa grandeur. Devant elle passent tou- tes ces vanités , comme les images mensongères de nos rêves, comme les apparitions nocturnes^ qui n'ont rien de solide, ni de réel. Il songe en même temps que tous ces hommes sont placés trop bas , pour oser regarder avec dédain ce qui est tant au-dessus d'eux. Le mot offense (coniu- melia) vient de mépris { contemptus ) , parce qu'on n'imprime cette sorte d'outrage qu"a celui qu'on méprise. Or, on ne méprise jamais plus grand, ni meilleur que soi, alors même qu'on se donne des airs de mépris. L'enfant frappe au visage son père, défait et arrache les cheveux de sa mère, la couvre de crachats, étale aux yeux des siens ce qu'on doit tenir caché, et ne se fait pas faute de paroles obscènes ; et cependant nulle de ces choses ne s'appelle offense : pourquoi? parce que celui qui les fait ne peut mépriser. Par la même raison nous nous amusons des bons mots de nos esclaves, bien qu'offensants ponr les maîtres, et de cette hardiesse qui s'assure bientôt des droits sur tous les convives, quand elle a commencé par le maître de la maison. Plus un homme est mé- prisé , plus il sert de jouet , plus sa langue est sans frein. On achète même pour cela de jeunes escla- perlie arersatus est, aut palam risit ; et non in mcdio me lecto, sed imo collocavit; et alla hiijus nntx. Qux quid Tocem , nisi querelas nauseanlis animi , in quas fere de- licali et felice» iadduot ? dod vacat eoim bxc notare , cui pejora imtaal. Nimio otio ingénia nalura infirma et maliebria , et inopia verfE injuriœ lasciTlcntia , bi> com- moTenlur, quorum pars major constat vitio interpretan- Us. Itaque nec prudentiae quidquara in se esse , nec (idu- daeostendit, qui contumelia articitur; non dubie enim contemtuni se judicat ; et hic morius non sine quadam bumilitate animi crenit , supprimcotis se ac descendentis. Sapiens autem a nullocontemnitur, magnitudinem suam noj;et omnes bas quas non miserias animorum , sed moleslias diierim , non vincit , sed ne sentit quidem. Alia sunt qun' tapientem feriunt, ctiamsi non perrertunt; utdolorcor- poris, et débilitas , aut amicorum liberurumque amissio , et patris Ix-Uo Qagrantls calaniitas. Hsc non ncRO sentire npientem ; nec enim lapidis illi duritiam ferrivc asseri- mus; nulla virtu» est, quœ non srntias , pcrpcti. XI. Quid ergo est? Quosd;im ictus recipit; sed re- ceptos evincit , lanal, et comprimit; baec Tero minora ne •eiilit quidem, oec advenua ea solita illa Tirictc utitur dura tolcrandi : sed aut non annotât , aut digna risii putat. Prœlerea , quum magnam partcm contumeliarum superbi insolentesque faciant, et mate felicitatem feren- tes ; habet quo istuni affectum intlatum respuat, pulcher- rimam rirtutem omnium , animi sanitalcm , magnitudi nemque. Illa , quidquid hujusmodi est, transcurrit, ut vanas somniorum species , visusque noclurnos , nihil ba- hentes solidi atque veri.-Simul illud cogitât, omnes in- feriores esse, quam ut illis audncia sit tanio eiceltiora despioere. Contumelia a conlenitu dicta est; quia nemo, nisi qucm contemsit, tali injuria notât; nemo autem ma- jorera me'kiremqueconlemnit, clianisifacit aliquid quod contemnentes soient. Kam et pucri os pareiiliim feriunt, et crioes matris turbavit laceravitque infans , et spuio aspersit , aut nudavit in conspectu suorum tegenda , et ïert)is obscœnioribus non pepercit : et nihil borum con- tamellaro dicimiis; qiiare? quia qui fecit, contemnere non potest. Eadera causa est, cur nos mancipiorum nos- trorum urbanitas, in dominos contnmeliosa, delectct: quorum audacia ita dcmum sibi in convivas jus facil , si coîpil a domino. Ut quisque conlemlissimus et lurlibrio est, ita solutissimae linguœ est. Puerns quidem in hoc merctntur procaces, eteorum impudeuàam acuunt, cl 27i ves effrontés, on aiguillonne leur impudence, on les tient sous un maître pour qu'ils pratiquent l'insolence avec art; ce ne sont plus Ta pour nous des offenses, mais des jeux d'esprit. . XII. Or, quelle folie d'être tantôt charmé, tan- tôt offensé d'une même chose, et d'appeler im- perlinence , dans la bouche d'un ami, une parole qui, dans celle d'un esclave, est un aimable sar- casme I Ce que nous sommes avec les enfants, le sage l'est avec tous les liomraes , enfants encore après leur jeunesse et sous leurs theveux blancs. Ont-ils gagne quelque chose avec l'Age , ces hom- mes dont les âmes sont malades , chez qui l'erreur seule a grandi , qui ne se distinguent des enfants que par la taille et la forme du corps ; d'ailleurs, aussi légers, aussi volages, poursuivant les vo- luptés sans discernement, peureux, pacifiques, non par caractère, mais par crainte? Qu'on ne dise pas qu'il y ait quelque différence entre eux et les enfants, parce que ceux-ci sont avides d'os- selets, de noix et de jetons , et que ccux-l'a le sont d'or, d'argent, de villes; parce que les premiers jouent entre eux à la magistrature, contrefont la prétexte, les faisceaux et le tribunal, tandis que les seconds, au Champ-de- Mars, au Fo- rum, au Sénat, jouent sérieusement les mêmes jeux; parce que les uns, amoncelant le sable du rivage, élèvent des simulacres de maisons, et que les autres, pensant faire de grandes choses en s'occopant à entasser des pierres, des murailles et des loils, ont rendu périlleuses deschoses inventées pour la siîrelé. Ainsi , dans l'enfance et dans l'âge avancé, les erreurs sont pareilles; seulement les unes tombent sur des faits différents et d'uue jilus SÉNEQUE. grande importance. Ce n'est donc pas sans raison que le sage accepte les offenses des hommes comme des enfantillages. Quelquefois, comme à des en- fants, il leur inflige une punition qui soit pour eux une douloureuse leçon ; mais ce n'est pas qu'il ait reçu l'injure, c'estparce qu'ils l'ont faite, et pour qu'ils ne la fassent plus. Ainsi nous domp- tons les animaux parles coups; et, sans nous met- tre en colère quand ils refusent le cavalier, nous leur imposons le frein, pour que la douleur triom- phe de leur résisiance. De la sorte se trouve aussi résolue cette objection qu'on nous oppose : Pour- quoi le sage, s'il ne reçoit ni injure ni offense, en punit-il les auteurs? Il ne se venge pas, mais il les corrige. XIII. Et pour quelle raison croirais-tu donc que cette fermeté d'âme ne se rencontre pas chez le sage, puisque tu peux la signaler chez d'autres hommes, guidés, il est vrai , par des motifs diffé- rents? Quel médecin se met en colère contre un frénétique? Lequel prend en mauvaise part les imprécations d'un fiévreux auquel il interdit l'eau froide? Le sage est dans les mêmes dispositions envers tous, que le médecin envers les malades, don! il ne craint pas de toucher les parties hon- teuses , si elles ont besoin d'être pansées , ni d'exa- miner les déjections et les sécrétions, ni d'es- suyer les invectives quand le délire les transporte. Le sage sait que tous ceux qui marchent sous la toge et la pourpre, bien portants et colorés, ont l'âme peu saine : il ne voit en eux que des mala- des hors d'eux-mêmes. Aussi ne se fâche- t-il même pas œntre eux , si, dans leurs accès, ils se permettent quelque violence contre leur médecin ; snb magistro habent , qui probra medilate effundant ; nec bas contumclias vocanius, sed argulias. XII. Quaiila autem dementia est, iisdem modo delec- tari, modo offendi; et rem al) amico dictam malcdiclum Tocarc, a servulo, jociilare coiiviciiim? Qucm animum nos advorsus pueros liabomus, liiinc sapiens adversiis omncs, quilnis etiani post jiiventam canosque puerililas est. An (|iiidqiiam isli piofcccrimt , quibus animi mala sunt, auctique in majus crrores; qui a pueris magnitu- dine taiilum foiniaqiic corporiim dilTerunt; ceteriim non minus vagi inceilique , vuliiptatem sine riiirctu appclen- tes, trcpidi, et non ingenio, sed fonnidiue qiiieii? Noq ideo (|iiidqir'.mintcrillos pucrosque intéresse qiiis dixerit, quod illis talonim niicunique et aris mmuli avarit a est, Jiis auri argentique et urbinm; qiiod illi lnti»r ipsos ma- gistralns gernnt,et pra-lextam fasccsqncaclrilninal imi- tantui', bi cadcm m campe foroque et in curia serio In- duDt:ini in liltoilbus arena; congestu simiilacia domunni excitant , hi , ut magnum aliquid agenles , in lapidibus ac parictil)us , et teclis nioliendis occupât! , ad tutelain cor- porum inventa in periculumvertenint? Ergo par pueris , toogiusqtie progressis , scd in alia niajoraqne crror est. Non immcrito ilaqne borom contunKlias sapiens nt jocos accipit; etaliquando illos, tanquam pueros, malo pœna- que admnnet et afflcit : non quia accepit injuriara, sed qiiia fecerunt, et ut dcsinant facere. Sic cnim et pecora verbere domantiir; nec irascimur illis, quuni sessorejn rccnsaverint, sed coni|)escimus , ut dolur rx)i:tamaciani yincat. Ergoct illud solutum scies , quod nobis oppouitur. Qiiare si non Kccipit injuriam nec conluraeliam sapiens, punit eos qui fecerunt? non enim se ul>.iscitur, sed illos cmendal. XIII. Quid est autem, qiiare banc animi Qrmilalrm non ci'cdas in viruiu sapienlcinc^dere, quum tibi in ;liis idim noiare, sed non es eadem causa liceat? Quis enim phrcnelicomedicus irascitur? quis febr-icilantis et a frj- pida probibiii malcdicta in nialam parlem accipii ? Ilune affcciuni .idrersus oniucs habet sapiens, quem ndversas a'gros suos mcdicus, quorum nec ol)scoBna , si remcdio egent , ciin'.rcciare , nec reliquias et effusa intueri dedig- natur, nec per furorem sœvientiura excipere conficia. Scit sapiens, omnesbos, qui logati purpuratique ince- dunt, valentes coloratosque maie sanos esse; qnos non aliter vidrt, qaam a>gros intemocrantes. Ilaquc ne suc- wmm DE LA CONSTANCE DU SAGE. 27S et In morne indifférence qu'il oppose à leurs liom- mages, il l'oppose à leurs insultes. Connue il ne se croit pas honoré, si un mendiant loi fait sa cour; ni offensé, si un liomme des derniers rangs de la plèbe ne lui rend pas son salut ; ainsi ne se prise-t-il pas davantage , parce qu'il sera prisé par une foule de riches. En effet , il sait qu'ils ne dif- fèrent en rien des mendiants , ou plutôt qu'ils sont bien plus malheureux; car les mendiants ont. be- soin de bien peu , les riches de beaucoup. Et puis il ne se chagrinera pas si un roi des Mèdes ou un Attale d'Asie , qu'il aura salué , passe flèrcraent et sans dire mot. il sait que leur condition n'est en rien plus digne d'envie que celle de l'esclave an quel échoit, dans un nombreux domestique, le soin de traiter les malades et les fons. Irai-je m'iuili- gner de ne pas me voir rendre une politesse par un de ces marchands qui, près du temple de C;is- tor, vendent et achètent de méchants esclaves, dont le rebut encombre leur boutique'? Je ne le pense pas. Que peut-il, en effet, y avoir de Iwn dans celui qui ne possède rien i\m ne soit mau- vais? Ainsi donc le sage tient aussi peu de compte de l'honnêteté ou de la nialhonnôlelé de cet liomme que de celle d'un roi. Tu as sons loi des Parthes, des Mcdes, des Bactriens; mais m ne les contiens que par la crainte; mais ils ne te permettent pas de détendre ton arc; mais ce sont les derniers des esclaves, mais ils sont à vendre au plus offrant, mais ils ne soupirent qu'aprcs ini nouveau raailre. Le sage ne peut donc s'émouvoir d'aucune offense; car si les hommes diffèrent en- tre eux, le sage les estime tous semblables, en ce que leur folie est égale. Si une fois il se rabais- sait jusqu'à s'émouvoir d'une injure ou d'une of- fense, son âme ne pourrait jamais être en repos; or, ce repos est le bien propre du sage. Et il ne se risquera pas, en se vengeant d'une insnllc , à faire honneur à l'homme qui l'a commise. Car s'il est un homme dont le mépris nous chagrine, né- cessairement son estime nous réjouit. XIV. Il y a des gens assez fous pour croire qu'une femme peut leur faire outrage. Qu'impor- tent SCS richesses, le nombre de ses* porteurs, le" poids des bijoux (|ui chargent ses oreilles , l'am- pleur de sa litière ;■ Ce n'en est pas moins un ani- mal sans raisin , féroce et esclave de ses passions , si toutefois de saines ddctrines, de laborieuses éludes, ne l'ont pas corrigée. Il y en a qui trouvent mauvais d'être coudoyés par un friscur, qui ap- pellent offenses les rebuis d'un portier, la morgue d'un nonienclaleur, les hauteurs d'un chanibrier. Oh! quel rire tout cela doit soulever, quelles vo- luptés doivent remplir l'âme, quand, en dehors des erreurs tumultueuses de la foule , on contem- ple sa propre tranquillité ! — Quoi donc ! le sage ne s'approchera pas d'une porte que défend un gardien brutal? — Pourquoi non? si une affaire indispensable l'appelle, il en tentera l'accès; et cet homme, quel qu'il soit, il l'adoucira en lui jetant de la pâture comme 'a un chien hargneux. Il ne s'indignera pas de défienser quelque chose pour franchir le seuil d'une maison , en songeant qu'il y a des ponts où l'on paie lepassage. Il don- nera donc aussi a cet autre, quel qu'il soit, qui lève des contributions sur les visites : il .sait ache- craset qu'dcm , si quid ia morbo petulantius aiisi siint ad- versus medentem, et que animo lionores cnrum nibilo feslimat , eodi-m paruni honoriflce facta. Quciiiadmoduin nOD pLifcl »il)i, si illummendicuscolucrit.nec coiittimc- liamjudicabil, tiilli botnoplebisullinia^salutanti niiitu.im Mialationeni non reddiderit : sic Dec se stispicict quirleni , ti illitm miilti di?itC8 suspcxerint; scit eoim illos nihil a Dieodicis differre, imino raiseriorcs esse; illi enim exigtin, bi muito egeat. Et rursum non tangelur, si illum rei Medoruin. Atlalasve Asis, salutaotem silentio ac vultu aiTOganti tr.insierit ; scit slatiim cjus non magis lialiere quidqiiani iovldendum, qiiani ejus cui in niagna laiiiilia cura obligit sgros iusanosi|iie composcere. Num moleste fcram, si mihi non reddiderit nomen aliquis ei bis qui ad Casioris ncgotianlur, oequam tnancipia emcntcs ïcn- denlesqae, qiiornm laberna- pessimorum sertoriim lurlia refcria' siinl? non , nt pnto ; qiiid enim is lioni baliet , siil) qoo iicmo nisi malus esl ? Krgo ut liiijiis bumanilalem in- homanilaleinqiie negligil, iia et régis. Habes sub te Par- IIms , ^I.^'os , et Bactrianos ; scd quos melu ront'nes , Md propter qnos remiltere arcum til)i non contingit, srd pMtremos, sed vénales, sed noviim auciipantes domi- ■lom. Nrillins ergo movehitui- con'umnlia; omnes enim Mer se differunt ; sapiens quidem parcs illos , ob squa ■ lem stultitiam, omnes putat. Nam si «emcl se dimiscrit co, ut aut injuria niovea>r;r, aul coniuiuclia , non polerit unquani essesecnru»; secuiilas aniem proprium bonum sapientis est. ISec commiltet, nt ^iiidic.indosilii corlume- liamraclam, bonoreni halwat ei qui fecit; necesse est enim, a quo quisqnc conlemui moleste fert , suspici gaudeat. XIV. Tauta quosdani dcnientia tcnet , ut conlumeliam sibi posse Deri putenl a niuliere. Quid rcferl, quantum habeat, quot lecticarins, quaui oneratas aures, qnam laxaiii sellam?X(|ue imprudensaniniulest, et nisi scientia arcc^silac multa ernditio, reriim, cupiditattMn inconti- nens. Quidam se a ciiieiario impulses moleste feront , et contuiiicliam vocanl osliarii difticullateni , nomenclaloris superbiam, cubicularii suptrcilium. O quanlus iiitcr isia risus tolleudus est , quanta voluptiite implendiis aniiDUs , ex alien rum errorum tumullu, coutemplîiiili quietem suam! « Quid erpo? sapiens non accedel ad fores, qua» durus jauitor obsidtt? • Illc ¥Cro, si rcs necessaria voca- bit, experietur, et illum , quisquis erit. tauquam canem acrem. ol)jccto cilio lenict, nec indignabitur aliijuid ira- pendere, ut linien transeat, cogilans et in ponlilms qni- bïisdani pro transitu dari. Ilaquc illi qiio Que c'est là presque parler en homme ! Élève un peu plus la voix , et chasse-la tout à fait. Cette maison du sage, petite, sans orncmenis , sans fracas, sans appareil, n'est surveillt-e par aucun de ces por- tiers dont la vénalité fait ses choix dans la foule : mais ce seuil libre , qui n'est pas encombré de gardiens, la fortune ne le franchit pas,: elle sait qu'il n'y a pas place pour elle où il n'y a rien à elle. Que si Epicure lui-même, quia tant accordé quod ostiariolibcrerespondit, quod virgam ejiis fregit; quod ad dominum accessit, et petiit coriuni. Fccit se ad- versarium qui contendit, et ut vincat, par fuit. • At sa- piens colapliis percussus , quid faciet? » quod Cato , qiuini illi os percussum esset : non excanduit, non vindicavit injuriam; nec remisit quidem, sed factam nés -vil. Ma- jore animo non agno\it, qu.im ignovisset. ISou diu in hoc ' liasrebimus; quis eiiim nescit , uiliil ex his quœ credunlur bona aut mala, ita videri sapienti ul omnilms? Non res- picitquid homines turpe judicent, aut niiscruin; non it qua populus : sed ut sidéra conlrarium mundo iter inten- dunt, ila hicadversus opinionem omnium vadit. XV. DesinKoiiaquedicerc : « Non accipiet erpo sapiens injuriam si caîdetur ? si oculus illi cnietui? non accipiet conlumel am , si <)l)scœnorum vocilius im|)i()l)'s per forum ageturV si in conTivio régis, rcrunibeie infra mensara.vesciquecum servis ignominiosa officia sortitisju- l)ebilur? si quid aliud ferre cogelur coruni , qiiaj excogi- lari pu !(iri iiigcnu.» niolesla possunt? » In ciuantumcuni- que isla vel naiiiero, vel magnitudine crCTcrint , ejusdcm natarse emoî. Si nou tangent illuiu parva, ne majora giùdom; si non langent pauca , ue phira quidem. Sed ex imbecillitate vestra conjecturam capitisingeotis anim! ;et quum cogitaslis , quantum putetis vos pati posse , sapieo- tis patientiae paulo ulteriorem terniinum ponitis. At illuin la aliis mundi fiuibus sua virlus collocavit , nihil vobis- cum comnmne habcntem. Quare etsi aspera , et qusn- tumcumque toleraiu gravia sini , audituque et visu refu- gienda, non obraetur eorum cœtu, et qualis singulis, talis universis obsistet. Qui dicit, illud tolcrabile sapieuti, illud intoleral>ile , et aninii magnitudinem intra certos fines tenet, maie agit; vincit nos fortuna, nisi tota vinca- tur. ISec putes islam Sloicam esse duritiani. Epicunu, queni vos palronum ineriias xestrae assuinitis, putatisque mollia ac desidiosa prauipere , et ad volupt;ites ducentia , «Raro, inqnit, sapienti interïenit fortuna. ■ Qnam psne emisit viri vocem ! Vis tu fortins loqui , et illam ex toto subnioTcrc?Domusha>csapienlisangusla, sinecullu, sine «trepitu, sine apparatu, nullis obscrvatur janitorihns, turbam venali fastidio digebi-cntibus : sed per hoc limca vacuum, et ab Ostiariis libeium , fortuna non transit, scit nnn esse illic sibi locum , ulii sui niliil est. Quodsi Kpicurus quoque , qui corjxiri plurimum induisit, adTer- sus injurias exsurgit : quid apud nos incredibile videri DE LA. CONSTANCE DU SAGE. 277 h la matière , se met au-dessus de l'injure, qu'y a-l-il, dans ce que nous prétendons , qui doive sembler incroyable , ou au-dessus de la mesure des forces bumaines? Lui soutient que les inju- res sont supportables au sage, nous qu'il n'y a pas d'injure pour le sage. XVI. Il ne s'agit pas de dire que cela répugne à la nature. Nous ne cinlcslons pas qu'il ne soit fâcheux d'être battu , d'être mal mené, de perdre quelque membre ; mais nous contestons que dans toutes ces choses il y ait injure : nous ne leur dis- putons pas la puissance de faire souflrir, mais le nom d'injure, qui ne peut être admis sans blesser la vertu. Qui de nous deux est plus dans le vrai, nous le verrons : quant au mépris de l'injure , l'un et l'autre nons sommes d'accord. Tu deman- csoin du sage, mais seulement «l'un homme clairvoyant qui puisse se dire : «Ai-je mérité ce qui m'arrive, ou ne l'ai-je pas mérité? Si je l'ai mérité , ce n'est pas offen.sc , c'est jus- lice : si je ne l'ai pas mérité, c'esL 'a celui-l'a de rougir, qui a commis l'injustice. Et qu'est-ce donc qu'on appelle offense ? Il s'est raillé de ma tête chauve , de mes yeux malades , de mes jam- bes grêles , de ma petite taille. Est-ce une offense que de s'entendre dire ce que tout le monde voit? Un mol qui nous fait rire devant un témoin, nous indigne devant plusieurs ; et nous ne laissons point aux autres la liberté de dire ce que nous nous disons tous les jours. La raillerie modérça nous amuse ; immodérée, elle nous irrite. » XVII. Chrysippe rapporte qu'un homme se fâ- cha pour avoir été appelé mouton de mer. Au sé- nat , nous avons vu pleurer Fidus Cornélius , gen- dre de Nason , parce que Corbulon l'avait appelé autruche pelée. Contre d'autres reproches qui dé- chiraient ses mœurs et sa vie, il était resté le front impassible; contre cette absurde invective, il ne retint pas ses larmes. Tant l'âme est faible quand la raison l'abandonne I Que dirai -je de notre indignation , quand on imite notre voix , notre démarche , quand on contrefait quelque dé- faut de notre corps ou de notre langue, comme s'ils étaient plus apparents dans ceux qui les imitent que dans nous qui les avons I Quelques- uns ne veulent pas entendre parler de vieil- lesse, de cheveux blancs , de cet âge enfin où tous demandent à parvenir. Il y en a d'autres qu'en- flamme le reproche de pauvreté : et pourtant la cacher, c'est soi-même s'en faire un crime. Aussi, pour ôter toute ressource aux impertinents , h ceux dont tout l'esprit est dans le sarcasme , il faut être le premier a entamer le sujet : nul ne prête à rire aux autres, quand il commence de lui-même. Vatinius, cet homme né pour être un objet de risée et de haiue , nous est donné comme |X>!cst, aut siipra humnns nalarx nirn'oiriim? Ille ait in- jurias toleraliilvs esse Mipienli, nos injurias non esse. XVI. Nec est quod dicas, lioc naliira; rfpugnare. Non negamuareni incoinmodani esse , verlicrari et inipelli, et aliquo membro carerc, sed unniia jsta negaiimt injurias esse; non sensum illisdoli>ris detralilnius, sed nninen in- jurix, quod non polest recipi virtute salva. Uler verius dicat, videbinuis; ad contemtum quidcni Injuria- uterquc consentit. Quaeris quid inier duos intcrsil? Qnnd inter gladlalores fortissimos; quorum aller prernit vulnus, et i-tat ingradu, aller rcspicicns ad clanianteni pnpulum signilicat nibil esse , et intercedi non patitur. Non est i|uod putes magnum quo dissidcmus. Iliud , de quo »gi- tur, quod unuui ad nos pcrtinet , ulracpie eicmpla liur- t:iDtur tcnntcnincrc injurias, et, quasinjuriarum uuiliriis ac suspiciones ditcrim , coolumelias, ad quas dcspicicn- dii&non saiiienli opusisl TJro, sed tantuni ccessit ! QuM , quod ofrendimur, si quis ser- moucm nosiruiii iinititur, si quis iiice.ssum,si quis ri- tiuni aliquod cnrporis aul lingux cxprimit? quasi niitiora illa (tant ali» imitante, qiiam nobis niricntibus. Senectu- teni quidam inwtiaudiiint, elcanos, clalia, ad qua? TOlo pervenitur. l'anperlalis nialcdiitiini (|iiosdam perussit, quam sibi objccit, qiijsqiiis abscondit. Iiaque raaleriape- tulanlibus et pcr contunieliam nrbanis delrabitur, si ul- tro illam et prior occupes; nenio aliis lisum piœliuit, qui e\ se cepit. Vaiinium iHimiuem iiatum et ad risum, el ad odinm , scurram fuisse venusium ac dicacera , racmoiiai proditum est. lu ped«8 sucs ipse pluriina dicabal, «t ia 278 un railleur agréable et facétieux môme force l)ons mots sur ses pieds goutteux , sur les incisions de sa gorge : c'est ainsi qu'il échap- pait aux brocards de ses ennemis, pins nombreux encore que ses inOrmités, et surtout à ceux de Ciccron. Ce que put obtenir de soi, en se faisant un front d'airain , cet homme 'a qui les outrages répétés avaient désappris la honte, pourquoi ne l'obtiendrait pas celui eu qui les études libérales et le culte de la sagesse auraient porté leurs fruits? Ajoute que c'est une sorte de vengeance d'enlever à l'offenseur le plaisir de l'offense. On l'entend dire : Quel malheur ! je crois qu'il n'a pas com- pris! taî'.t il est vrai que tout le succès de l'offense est dans le sentiment et l'indignation de l'offensé. Ensuite l'offenseur ne manquera pas de trouver son pareil , qui saura bien le venger. XVIll. Caïus César, parmi les autres vices dont il regorgeait, avait un merveilleux penchant 'a lancer le sarcasme partout où quelque défaut lui donnait prise , lui qui offrait une si féconde ma- tière "a la risée. Qu'on se flgure cette hideuse pâ- leur qui décèle la folio, ces yeux louches, cachés sous un front de vieille , la laideur de ce crâne pelé et parsemé de cheveux d'emprunt ; vois le derrière de cette tôte hérissée de soies rudes , et ces jambes grêles , et ces pieds énormes. Je ne fl- uirais pas , si je voulais raconter eu détail les ou- trages qu'il vomissait contre ses parents et ses aïeux, et tous les ordres de l'état; je raconterai seulement ceux qui causèrent sa mort. Parmi ses intimes était Asiaticus Valéfius, homme fier et h peine capable do supporter patiemment une in- jure faite 'a un autre. C'est a lui qu'en plein ban- quet, c'est presque dire en assemblée publique, fauces concisas ; sic inimicorura, quos plurcs habebat quam niorbos, el in primis Ciceronis uibanilatem effugit. Si ille hoc potuit duri:ij oris..qui assiduis conviciis (icpu- dere didicerat , cur Is non possit , quisludiis liberalibiis, et sapicnlia; cullu, ad aliqucm profectuiu perTenerit? ' Adjicc , quod penus ullionis est , eripere ci qui fecit , con- tumelia; Toluptatem. Salent dicere : niiserum njo., puto non iuiellcxit ! adeo fruclus coatumelia; in sensu et indig- nalione paticnlis est. Deinde non décrit illi aliquando parem invenire qui te qiioque vindicct. XVIII. C. Ca?sarin',erce!cra villa , quibusabnndal)at, contumcliosus miral)ili!er fcrel)atui' oninilius aliqua nota feriendis, ipse malcria risus benignissima. Tanta illi pal- loris insaniani tfstantis fœditas erat, tanla oculorum sub frontc anili latenlium torvitas, tanta capi.is destituli, et cmcudicaliscapillis aspersi deforniitas; adjice obsessam setis cerviccni , et eillitatcm cruruni , et cnoruiilalem pe- duni. Immensum est, si velim singula rercire, perquœ in oatres , avosque suos contumeliosus fuit, per qua? in uni- versos ordines : ea refcram , qua; itliira esilio dideruiit. Aiiaticum Valcrium in primis amicis bahebat, feroceni vlrum, el vii a?quo anlino aliénas conliiniclias laliirum. SÉKÈQUE. 11 disait lui- il reprocha, d'une voix éclatante, les habitudes galantes de sa femme au Ut. Justes dieux ! un mari entendre cela, un prince le savoir, et pousser as- sez loin l'impudence pour raconter à un consulaire et à un ami, que dis-je, a un époux . et son adul- tère et ses dégoûts de prince! Chéréas, tribun militaire, dont le cœur était plus haut que la pa- role, avait une voix languissante et cassée, qui faisait de lui quelque chose de suspect. Lorsqu'il venait prendre le mot d'ordre, Caïus lui donnait tantôt Vénus , tantôt l'riape ; reprochant à ce guerrier, d'une façon ou de l'autre, sa nature ef- féminée; et lui-même il se montrait eu robe trans- parente, en pantoufles, en bracelets. Chéréas fut donc contraint de recourir au glaive pour ne plus demander le mot d'ordre. Ce fut lui qui , parmi les conjurés, frappa le premier; ce fut lui qui fendit d'un seul coup la tète de l'empereur : puis vinrent, de tous côtés, se plonger dans le sang de César des poignards vengeurs des injures pu- bliques et privées. Mais le premier qui agit en homme fut celui qui paraissait le moins homme. Le même Caïus ne voyait dans tout que des offenses , non moins incapable de les supporter que prompl "a les faire. Il s'emporta contre Hérennius Macer, qui l'avait salué du nom de Caïus ; et ce ne fut pas impunément qu'un premier centurion l'appela C.aligula. Né dans les camps, c'était une coutume de lui donner ce nom et celui d'Enfant des Lé- gions; il n'était pas autrement connu des soldats ; mais Caligula lui semble un sarcasme outrageant, dès qu'il a chaussé le cothurne. Cela même sera donc pour nous une consolation , quand noire humeur accommodante dédaignera la vengeance , de savoir qu'il se trouvera quelqu'un pour châtier Huic in convivio , id est , in conciine, voce clarissîma» qiialis in coneubitu essct uior ejus, objecit. Dit boni t hoc virum audire , principem scire , et usque eo licentiam pcrveuisse, ut non dico consulari, non dico aniico, sed tanluni marilo princcps et adulteriuni suum narret , et faslidium? Chaereae, tribuno militum, sermo non pro manu erat, languidus sono, et Infracta voce suspectior. Huic Gaius signnm petcnli modo Veneris , -«lodo Priapi daltat : aliter atque aliter exprubrans armato moUitiam. Hxcipsepcr lucidus, erepidalus, auratus. Coegit ilaque illum uti ferro, ne saepius signum peteret. Ille primas inter conjurâtes manum sustulil ; ille cervicem mediam uno ictu discidit : plurimum deinde undique publicas ac privatas injurias ulcisceutium gladiorum ingestum est; sed primus vir fuit, qui minime visus est. At idem Caius omnia contumelias putabat, et sicut ferendarum impa- tiens, facicndarum cupidissimus. Iratus fuit Herennio Macro, quod illum Caium salutaverat; nec impune cessit primipilario,quodCaligulani dixerat. Hocenim incastris natus , et alumnus legionum vocari solebat , nullo no- mine mililibus familiarior unquam factus; sed jam C:i- ligulam convicium et probrum judicabat cothurnalus. DE LA CONSTANCE DU SAGE. 27» l'insolence, l'orgueil et l'outrage ; car ces vices ne s'épuisent jamais sur un seul homme et dans une seule offense. Interrogeons les exemples do ceux doutoous louons la patience : voyons Socrate as- sister aux comédies qui lui prodiguent piii)liquc- ment les sarcasmes, les recevoir de l))!iiic' grâce, et n'en rire pas moins que le jour ( ù sa femme ][antbippe l'arrosa d'une eau imiiionùo. On repro- chait 'a Anlislhèue d'être né d'ur.o mère barbare et thrace : il répondit que la mère des dieux était dn mont Ida. XIX. 11 ne faut jamais en venir aux rixes et aux coups : reculons bien loin , et quelque outrage que nous fasse un insensé ( c;ir l'insensé peut seul outrager), n'en tenons pas compte. 11 faut voir du même œil les hommages et les affronts du vul- gaire, sans se chagriner des uns, sans se réjouir des autres. Autrement la crainte ou le déplaisir des offenses nous fera négliger beaucoup d'affaires essentielles ; nous ne nous empresserons pas à nos devoirs publics et privés, même dans les circon- stances capitales, si, dans notre angoisse, nous tremblons comme des femmes de rien entendre qui nous désoblige. Quelquefois aussi , courroucés contre les puissants , nous trahirons nos rancunes par l'intempérance de notre liberté. Or, la liberté n'est pas de ne rien supporter. Détronipons-nous. La liberté consiste 'a mettre son âme r.u-dessus de l'injure, h se rendre tel, qu'on trouve en soi- même toutes ses joies, à se détacher des chuses extérieures , pour ne pas mener uni: vie inciuièlc , qui redoute tous les rires , toutes les langues. \L\\ effet, qui ne pourra nous oliouser, si un seul le Ergohoc ipsnm solatioerit, clismsi nislra facilitas ul- tiuneiD omiscrit, fuiuruni iiliqucm, qui (i'imos c^igat a procace, et suporbo, et injurio o : ijikc » lia niiii()iiani in uno boniiae, et iu una cuntiiiiiilii cun^uiiiiiiiiii!'. Itosjji- ciaiiius eoruin ricmplii, quoinni lauciaiuui palientiam; ut Socrali» , qui coma'diaruiii pulilcalos in su et spccta- tos sales iii partiin bonmi accc|.it, lisitquc nuii iiiluus, quant quura ab more Xaalliippe ii!!nimiH i aqua perfun- derelur. Anliithcni malerbriiliara cl Tlucssa objicioba- tnr; respondit, et dcoruui nMiroui l.ia.'ar.i i; se. XIX. >on est in rixauiC(rlluclalioii> n qua voiiipnlum : procul aurercodi peJes sunl, et qirdipiid luiruin ab ini- prudenlioribus (iet ( lieri auleni nisi ab inipiiideniibus non potcst ), Dogligciiduni. El honores et injuria; vulgi, ia proniiscuo halcndi sunt; nec bis dulcnduin, ncc illis gaudeodum. Alioquin inult i , linuire contuincliaruiii aut lœdiu, oecessaria oniittenius ; cl publicis privatisque offi- ciis, aliquando cliam salutaribus, non oicurrciuns , dum muliebris nos cura angit, nliquid centra anlinura audien- di. Âliqnando eliam obirati polenlibus, di'lppcmns hune «rectum intcmperanli libertale. Non est aulcni liberUis, nihil pâli. Fallimur; libertas esl, animiim supponere in- juriij, et cum facere se, es quo loli) silii gaudcnda ye- peut? Mais le sage et le disciple de la sagesse n'u- seront pas du même remède. A l'homme im- parfait et qui se dirige encore par les jugements de la foule , uons devons représenter qu'il lui faut vivre au milieu des injures et des offenses. Les acciûeiits prévus soûl toujours plus légers. IMiis vous êtes élevé par votre naissance, votre rencmiuée, votre patrimoine, plus vous devez montrer de cœur : et vous rappelant que les sol- dats les plus grands se tiennent eu première ligne, supportez les offenses, les paroles outrageantes, les diffamations et les autres opprobres, comAie ils supportenU les clameurs de l'ennemi , les dards lancés de loin cl les pierres qui , sans blos-er, tombent en retonlissant sur les casques. Q"ant aux injures plus graves, snt hez les endurer comme des traits qui percent tantôt vos armes, tantôt vos poitrines, sans qu'ils puissent vous abattre, ni même vous faire reculer. Quelque danser, quel- que force eiiiieiiîic qui vous presse et vous assiège, il est toujours houleux de céder. Défendez le poste que vous assigne la nature. Vous demandez quel est ce poste? celui d'homme. Le sage a d'autres ressources tout opposées ; car vous, vous combat- tez encore; pour lui la victoire est acquise. No soyez pas rebelle "a votre biiiiheur, et pendant quo vous marchez à lu vérilé , uourrissez 'a votre tour l'esiiérance du triomphe ; recevez avec amour des doctrines meilleures, cl aidez-en l'effet par vos discours et vos suffrages. Qu'il se rencontre un homme invincible, uu homme contre lequel la fortune ne puisse rien , c'est Ta ce qui importe a la république du genre humain. niant; extcriora dcdncerc a se, ne inquiéta agenda sil vi:a , omniiim risus, omnium linguas liinenli. Quis est eniui.qui non posri conlunieliam facere, si quisquara poicsl? DiïCîso auleni rcnicdio utetur sapions, assecla- t.H-qiio sapicnlia;. Iii'.perficlis cniin, et adliuc ad publi- runi se judicium dirigcnlibus, hoc proponcudum est, intrr injurias ipsosciinlunieliasquc deberc vcrsaii. Oni- nia Icviora accidunl cispcclanlilms; De l'a , prenant à partie la nature , Aristote lui in- tente un procès peu digne d'un sage. Il l'accuse de n'avoir de faveurs que pour les animaux , dont l'existence se prolonge pendant cinq ou dix siècles ; tandis que l'homme, né pour des destinées si grandes et si diverses, se trouve arrêté bien en- deçà de ces limites. Non , nous n'avons pas trop peu de temps , mais nous en perdons beaucoup. DE BREVITATE VIT^. I. Major pan iDortalium , Paulline , de natur» mali- gnitate conqueritur, quod in eiiguum tcyi gigoimur , quod bsc tam velociler, tam rapide dati nobis temporis fpatia decurrant ; adeo ut, eiceptis admodum paucis , ceteros in ipso Titae apparatu vita destituât. >ec huic pu- blico, utopinantur, nialo, tiirlta tantum et imprudens Tolgus ingemuit ; clarorum quoque ïironira hic affectus qnerelas CTOcaTit. Inde illa maiimi medicorum eiclania- lloert: • Vitam broTem esse, loDgam artem. » Inde Arittoteli , cnm rerum natura eiigcnti, minime conTe- I sapicnti vire lis est ; illam animalibus taotum indul- La vie est assez longiie ; et il nous a été donné ane latitude sufGsante pour mener à fin les plus gran- des choses , si tous nos jours sont bien occupés. Mais, après qu'ils se sont écoulés dans les plaisirs et l'indolence, après qu'ils ont été dépensés à toul autre chose qu'au bien , le terme fatal vient enfin nous surprendre ; et cette vie que nous n'avions pas vue marcher, nous apprenons qu'elle esl passée. 11 en est pourtant ainsi : nous n'avons pas reçu la vie courte, mais nous la faisons courte . nous ne sommes pas pauvres d'années , mais nous en sommes prodigues. De même que d'immenses, de royales richesses entre les mains d'un mauvais maître sont dissipées en un instant , tandis que des biens même médiocres , confies à une direc- tion habile, s'accroissent par un bon emploi; ainsi la vie ouvre une vaste carrière à qui sait bien l'ordonner. II. Pourquoi nous plaindre de la nature? Ce n'est pas elle qui manque de générosité : la vie / sisse , nt quina aut dena secnla educerent , homini in tam niulta ac magna genito , tanto cileriorem terminura stare. Non ctiguom temporis hat>emus ; sed multum perdi- mus. Salis longa vita, et in raaximaruni rerimi consiim- mationeni large data est, si tuta bene collocaretur. Sed ubi per liixum .ic ncgiigentiam denuit , ubi nulli rei boan impenditur ; ullima demum necessitatc cogentc , quam ire non intelleximus, transisse senlimus. Ita est : non ac- ccpimus brcvera Titam , sed fecimus ; nec inopes ejus , sed prodigi snmus. Sicut anipls et rcgiae opes, ubi ad malum doniinuin pcrvenerunt, momento dissipantur , at quamvis modica;, si bono custodi traditae suut , usa crescunt ; ita a;las nostra bcno disponenti multum palet. II. Quid de rerum natura qucrimur? illa se bcuigne 282 SÉNÈQUE. est assez longue pour qui sait en user. Mais l'un est dominé par une insatiable avarice; l'autre s'applique laborieusement à d'inuliles iravaux; un autre se noie dans le vice ; un autre croupit dans l'inertie; un autre est agité d'une ambition toujours dépendante du jugement d'autrui; un autre, dans l'entraînement d'une passion mercan- tile, est poussé, par l'espoir du gain, sur toutes les terres , sur toutes les mers. Quelques-uns sont tourmentés de l'ardeur des combats ; toujours rê- vant à mettre les autres en péril , ou craignant d'y tomber eux-mêmes : il en est qui, faisant "a des supérieurs une cour sans proûl, se dévouent h une servitude volontaire. Plusieurs ne s'occupent qu'à envier la fortune d'autrui , ou à maudire la leur. Beaucoup d'autres, sans aucun but certain, cèdent à une légèreté irrésolue , inconstante, im- portune h elle-même , qui les jette sans cesse en de nouveaux projets. Quelques-uns ne trouvent h rien assez d'attraits pour exciter leur activité; et c'est engourdis et bâillants que la mort vient les surprendre. De sorte que je tiens pour vraie cette sentence écbappée comme un oracle au plus grand des poètes : « La plus petite partie de notre vie est celle que nous vivons. » Car tout le reste de la carrière n'appartient pas à la vie , mais au temps. De tous côtés les vices nous assiègent, nous accablent : ils ne nous permettent ni de nous reinetlre sur pied , ni de relever nos yeux vers la ccntemplaiion du vrai ; mais ils nous tiennent plongés dans l'abime des passions. Jamais il ne nous est donné de revenir a nous, môme lorsque le basard amène quelque re- lâche : nous flottons comme sur une mer orofonde où, même après la chute du vtnf, il reste encore des ondulations; et jamais nos passions ue nous laissent un instant de calme. Tu crois i^eut être que je parle de ceux dont les misères sont étalées au grand jour. Regarde ceux dont le bonheur at- tire la foule empressée : leurs biens les étouffent. Que d'hommes pour qui les richesses sont un far- deau 1 Que d'hommes qui , dans la carrière de l'é- loquence, où chaquejourilss'efforœirtdcdéployer leur génie, vomissent le sang de leur poitrine épuisée! Que d'hommes pâlis par de continuelles voluptés! Que d'hommes à qui le peuple de clients qui les assiège ne laisse aucune liberté! Parcours cnfln tous les rangs, depuis les plus humbles jusqu'aux plus élevés. Celui-ci fait plaider pour lui , celui là plaide pour un autre ; l'un voit sa vie en péril , l'autre le défend , un troisième est juge. Personne ne s'appartient; chacun s'use au pro- Ct d'un autre. Informe-toi de tous ceux dont les noms s'apprennent par cœur : voici à quels signes tu verras qu'on les reconnaît : « Celui-ci cultive tel personnage, celui-là tel autre ; nul ne se cultive soi-même, t Ensuite, rien de plus ex- travagant que la colère de quelques-uns ; ils se plaignent de la hauteur des grands qui, lorsqu'ils voulaient les aborder, n'ont pas trouvé un mo- ment pour eux. Comment ose-t-il se plaindre de l'orgueil d'un autre, celui qui jamais ne trouve un moment pour lui-même? Et pourtant cet homme, quel qu'il soit, qui t'a regardé, j'en con- viens, d'un air insolent, t'a regardé du moins; il a prêté l'oreille à tes discours; il t'a fait place à ses côtés; et toi , jamais tu n'as daigné ni te re- garder, ni l'écouter toi-même. gessit : vitii , si scias uti , longa est. Alium insaliabilis te- net avaritia ; alium ia supervacuis lal)oiil)us opcrdsa se- diililas; alius vino madet; alius inertia torpcl; alium de- fatigat ex aiicuis judiciis suspeiisa semper amiiitio ; alium mercandi pra^ceps cupidilas circa oiiines terras, omnia maria, spe lucri, ducit. Quosdam torquet cupido mili- tia; , nunquam non aut alienis pcriculis inlentos , aut suis anxios, sunt quos ingratus superiorum cullus vnluntaria servitule consumât. Multos aut affeclalio aliéna; fortune, aut sua; odium detinuit; plerosquc nihil certinn srquen- tes, vaga etinconstans, et sil)i displicens levitas , per nova consilia jactavit. Quibusdira nihil quo cursum diri- gant, placet, sed maiceutes oscitantrsc|ue fa:a deprelicn- dnnt; adeo ut quod apud maximum poctarum more ora- culi dictumest, verum esse non dubi;eni : Exigua pars est vita; , quam nos vivimus. Celernra quidom orane ypatium, non vila , sod tempiis esl. Urgenlia cii'cumstant Titia nniliquc; nec icsurgere, nul in dispccinm veri atto'lere oculos sinunt, sed niersos, e! in cupidiliitibus infixos premunt. INunqnam illis iccnr- rcre ad se licet, si quando pliqua quips fortuito conîiyit ; velut in profundo nuri , in quo post vcntum quoqae Tolu- laliocst, Ciict'.um''.:r, neo unquam illis a oupidiutibus suis o!ium insia". De istis me putas disserere , quorum in confesso maîa sunt? aspice illis, ad <|uorum felicitatem conciu'rttir : bonis suis etrocaulur. Quam mul;lc graves suîit divilia"? qu:.ui multjrum eloqueulia , quotidiano os:ent.indi ing,nii sp;;lio, sanguineiu cdiicit?quam multi conlinuis volupl itibiis jjalient? q \;'.m nniitis nihil lil)eri rcliuquit circunifusus clicntium pipulus? Omnesdenique istos, ah inPimis nsque ad summos, pererra ; bic adrocat, hic adest; ille peridiiatur, ille deTcnlit, ille judic:it. Ncmo .t, insoleuti quidem vultu, sed aliquan- do rcspexit ; ille anres suas ad tua verba demisit; iîîe ta ad lalus suum rccepil ; tu non inspicere te imquam , nua auùire dignatnscs. DE LA BRIÈVETÉ DE LA VIE 283 fn. Il n'y a donc pas a faire valoir , auprès de qui que ce soit , ces bons oflices ; car , lorsque tu les rendais, c'éiait moins par le désir d'èlre avec un autre, que par impuissance de rester avec toi- même. Quaud tous les génies qui ont jamais brillé mettraient en commun leurs méditations sur ce sujet, jamais ils ne pourraient assez s'émerveiller de cet aveuglement de l'espril humain. Nul ne laisse usurper son champ ; et, pour la plus petite discussion sur le bornage, on fait voler les pierres et les javelots; et chacun souffre qu'on empiète sur sa vie ; bien plus, c'est nous-mêmes qui y iir- troduisons le nouveau possesseur. On ne trouve personne qui veuille partager son argent ; et cha- cun distribue sa vie à tous venants. Tous s'atta- chent à ménager leur patrimoine; mais, dès qu'il s'agit de la perte du temps , ils sont prodigues 'a l'excès du seul bien dont il serait beau d'être avare. Qu'il me soit donc permis d'apostro- pher quelqu'un dans cette foule de vieillards: € ïe voilà parvenu, je le vois, au terme le plus reculé de la vie humaine : lu as cent ans ou plus sur la têlo; hé bien! récapitule la vie. Dis, sur ce temps, combien t'a ravi un créancier, com- bien une maîtresse, combien un accusé, com- bien un client, combien tes querelles de ménage, combien la correclion de tes esclaves, combien tes courses officieuses "a travers la ville. Ajoute les ma- ladies que nos excès ont faites ; ajoute les momenis restés sans emploi ; tu verras que lu as beaucoup moins d'années que tu n'en comptes. Tâche de te rappeler combien de fois tu as été constant dans une résolution; combien de jours ont eu la desti- nation que tu leur promettais; quel avantage tu as retiré de toi-même ; combien de fois ton visage a été calme , ton cœur intrépide ; combien lu as fait de besogne en de si longues années; combien de gens ont pillé ta vie, sans que lu comprisses ce que lu perdais; combien l'ont dérobé de temps les vaines douleurs, les folles joies, les convoitises avides, les doux entreliens; combien peu il l'est resté du lien ; tu reconnaîtras alors que la mort e;t prématurée. » IV. Quelle en est donc la cause? Hommes, vous vivez comme si vous deviez vivre toujours : ja- mais il ne vous souvient de voire fragilité; vous ne remarquez |)as combien de temps a déjà passé : vous le perdez comme s'il y avait plénitude, sur- abondance; tandis que ce jour même, que vous sacriliez h un homme , 'a une chose , sera |)eui- êlrc le dernier. Comme mortels, vous craignez tout; vous désirez tout, comme si vous étiez im- morlels. Tu entendras dire 'a plusieurs : o A cin- quante ans , j'irai vivre dans la retraite : "a soixante ans, je renoncerai aux emplois. » Et de qui donc as-tu reçu caution pour la durée de ta vie? Qui pernietira que tout se passe comme tu l'arranges? N'as-tu pas honte de garder pour toi les restes de ta vie, et de ne destiner à la sagesse que le temps qui n'est plus bon "a rien? Qu'il est lard de com- mencer "a vivre au moment même où il faut cesser I Quel fol oubli de la condition mortelle, de remet- tre "a cinquante ou soixante ans les résolutions .sensées, et de vouloir débuter dans la vie à un âge où peu d'hommes parviennent. Enlends les paroles qui échappent aux personnages les plus III. Non est itaque , qund Ista orficia cuiquam lmp:i- tet; quoDiani quidcin quum illa faccrcs, non esse cuin alio viilebas, scd trcnin c.«se non potcras. Omuia I cet, quEe unquan) ingénia fulserunl , in hue uuuni cnnscntiant, Dunqnam sati< hanc hiinianaruni nieatinni c;:liglueni nii- rabunlur. Pra'dia sua occupari a nullu paliiiiilur, et si eiigua conleotio est de modo fîn'iim , ad lapides et arma disciirruDt; in vitam suani inccdere allossinunt, inimo vero ipsi eliain possessorcs cjns fuluros indiicnnt. iSi iiio inTcnitur, (|ni pecnniamsuaindividere «dit; tiiain uuns- qiiisqtie quam niulàs dlstribuit ! Adslricti suni in coiiti- nrndo palrimonio ; siniul :id temporis jaclunim ventuni est, prufiisissimi in eo, cujus unius lioncsla avaritia est. Lil)ct itaque ex scniorum liirba comprehendere aliqucm ! • Pcrvenisse le ad ultinitini a-tatis liuniana.- vidi'nius; ccnicsimus lil>i , Tel supra, preniilur anniis; agcduni, ad ciiniput.'itioncm a'talcm luam revoca! Die, quanlum e\ isto tempore crcditor, quantum anilca, qiiaiituni rcus, quantum clirns abstulerit; quantum lis uxoria, quantum servorum cocrcitio , quantum officiijsa pcr ur- lieni discursatio. Adjice raorbos, qui» manu fccimus; a.hicc, quod et sine usu jacuit; videbis le paucioics an- i!i>» habere, quam numcras. Repctc m^moria tecum , qiiando cerlu consilii fueris, quotas qmsque dies, ut de:tinaïcras, rccisseril; qui tlbi usiis lui fueril; qunnilo in slalu suo vultus, «^jando aniiuus intrepidnsj quid tihi in tam lonpo ;pvo facti operis sil; nuam umlli vitam tuam diripueiint, te non scntienle quid pci'derps; quan- lum vanus dnlor, slulta la'lllia , avida cupiditas, blanda convcrsalio ol)<:ulerit ; quam ciignum tibi de lue relic- tum sil; inlclltg«', le inimaluruni niori! » IV. Quid *rgo est in caus:i ? lanqnam si-mper victuri yiïilis; numiuim vobis fr.igililas yestra s iccurrit. Non obscPTalis quantum jmi Icmporis Iransierit; velul ex pleno et abumlanti iK?rd!lis , ipiuiit intérim lorlasse ille ipse , alicui vrl honiini vel rci donalus, ullimus dics sit. Omnia, tanquam niorlalos, linielis; omnia, tanimam imniorlalcs, roncupiscilis. Audies ])U'rosi|iie dicenles ; « A quin(|ua(;esimo in olium seccdam; sexau'esimus annus al) officiis nie demillel. • Et quem land m lou'jlDiis lil.e prx-deni accipis? (|uis isla , siruli disponis , ire patielm ? Non pudel te reli(iui is vila' iilii rcserv.irc, et td solum lempus bona- menti dcstinarc , quod in niiilam rem con- ferripossU? Quarii sérum e^t , Innc vivere iiicipere, (luum desinendnm ot? qua; tani slulla niorlalitalis obli- ïio, in quinquagesiuium et sexagesimum aur.um didene sana coiisilia ; et indc Telle vilam inchoare , quo panci [lerduscrunt? Potcnlissimis, et in altmn sublalisiiomiui- 284 SÉNÉQUE. puissants, les plus haut placés; ils désirent, ils vantent le repos , ils le préfèrent à tous leurs liiens. Ils aspirent à descendre de leur faite, pourvu qu'ils le puissent sans danger. Car, bien que rien au dehors ne les menace ou les ébranle, la for- tune toutefois peut s'écrouler sur elle-mêrae. V. Le divin Auguste, à qui les dieux accordè- rent plus qu'à tout autre mortel, ue cessa d'invo- quer le repos, de réclamer quelque relâche aux soins de son gouvernement. Tous ses discours le ramenaient sans cesse vers les vœux qu'il fai- sait pour obtenir du loisir. C'est par cette conso- lation douce, quoique illusoire, qu'il charmait ses travaux, en répétant « qu'un jour il vivrait pour lui. » Dans une de ses lettres, adressée au Sénat, où il promettait que son repos ne manque- rait point de dignité, et ne démentirait point sa gloire précédente, se trouvent ces mots : « Mais de tels projets seraient encore plus beaux a réa- liser qu'à concevoir. Toutefois, dans mon im- patience de voir arriver un moment tant désiré, j'ai pu me permettre, puisque ce bien se fait encore attendre, d'en goûter par avance la douceur par le seul plaisir d'en parler. » Le repos lui semblait chose si précieuse , qu'à dé- faut de la réalité, il l'anticipait par la pensée ! Ce- lui qui voyait tout dépendre de lui, qui disposait de la fortune des hommes et des nations , pensait avec bonheur au jour où il dépouillerait sa grandeur. Il avait éprouvé combien ces honneurs, dont l'é- clat éblouissait toute la terre , coûtaient de sueurs ; combien ils cachaient do secrètes inquiétudes. Forcé de combattre a main armée d'aboro ses con- citoyens, ensuite ses collègues, puis enfin sespa- renls, il versa des flols de sang et sur terre et sur mer. Entraîné par la guerre en Macédoine, en Sicile, en Egypte, en Syrie, en Asie, sur pres- que tons les rivages, il dirigea contre lesétrangers ses armées fatiguées du meurtre des Romains. Tandis qu'il pacifie les Alpes, qu'il dompte les ennemis incorporés à l'empire dont ils troublaient la paix ; tandis qu'il recule les limites du monde romain au-dcl'a du Rliin, de l'Euphralc et du Danube, au soin même de la ville s'aiguisaient contre lui les poignards des Muréna , des Cépion , des Lépidns, des Egnatius. A peine a-t-il échappé 'a leurs embûches, que sa fille et une foule de jeunes nobles , liés par l'adultère comme par un serment, épouvantent sa vieillesse fatîjjuée, el lui font craindre pis qu'une nouvelle Cléopâlre avec un autre Antoine. 11 retranche ses ulcères avec ses propres membres; d'autres renaissent aussi- tôt. Comme un corps trop chargé de sang, il y avait toujours rupture de quelque côté. Aussi , appelait-il le repos : c'était dans cet espoir, dans cette pensée qu'il trouvait un allégement à ses tra- vaux. C'était là le vœu de celui qui pouvait com- bler les vœux de tous. Ce Marcus Cicéron, dout la vie s'agitait entre les Catilina et les Claudius, les Pompée et les Crassus, les uns ses cunemis avoués, les autres ses amis douteux ; qui, ballotte avec la république, la gouverna au milieu des écueils, et prit enfin sa retraite ; qui n'eut ni re- pos dans la bonne fortune, ni courage dans l'adver- sité, combien de fois nemaudit-il pas son même con- sulat qu'il avait loué non sans sujet, mais sans fin? bus excidere voces videbis , quibus oliuni oplciil , lau- dent, omnibus bouts suis praereniiit. Cupiuot iuleriin ex illo fastigio suo , si tuto liccat , desceadere. Nain ut niliil estra lacessat , aut quatiat, in se ipsa forluna mit. V. Diïus Augustus , cui dii plura quam ulli prseslitc- runt, non desiit quietem sibi precari, vacationom a re- publica pctere. Omnis ejus sermo ad hoc sempcr revo- Intns est, ut sibi spcraret otium. Hoc labores sucs, ctiamsi faiso, dulcitamenoblectabat solatio : « Aliquaudo se victurum sibi. a In quadam adsenatum niissa epistola, quum requiem suam non vacuam fore dignitalis , nec a priore gloria discrepantcni , pollicitus esset, hîpc vcrba m¥eni : « Sed ista Deri spcciosius , quam pniniitti pos- sunt; me tanien cupido temporis optalissimi mibi pro- vexit, ut quoniam rerum lœtitia moratur adhuc, praci- perem alii|uid voluptatis ex verl)oruni dulcedinc. " Tauta visa est res otium, ut illam, quia usu non potoral, co- gitationc pracsunieret ! Qui omnia videbat ex se uno pon- dentia , qui lioniinibus gcntibusque fortunam dabat , illum diem la^tissimus rogitaltat , que magnitudiuom suam exuerct. Expcrtus crat, quantum illa boua , pcr onuies ertras fidgentia , sudoris exprimeront , quantiun occul- taruui sollicitudiumn tegercnt ; cum civilnis prijuimi , deinde cum collegis, novissime cum affinibus, coactus armis decernere, mari terraque sauguinem fudit; per Macedoniam , Siciliani , jEgyplura , Syriam , Asianique, et omnes propc oras belle circumactus , Romana ca?de lassos exercitus ad cxterna belle conTerlit. Dum Alpes pacat, imniiitosque médias paci et iniperio hostes perdo- mat , dura ultra Rhenum , Euphratem et Dinubium tw- minos movet, in ipsa urbe , Murena; , Caepionis , Lepid', Egnatiorum in eum mucrones acnebantur. Nondum Iwi rum effugerat insidias ; fitia , et tôt nobiles juTcnes adut- terio veliit sacramento adacti , jam infraclam aeUitem ter- ritabaut ; plnsque et itcrum timenda cum Antonio nm- lier. Hac ulcéra cum ipsis membris abscidcral ; alla sub- nascebanlur"; velut grave mullo sanguine corpus , parle sempcr aliqua rurapebalur. Itaque otium opiabat ; in hn- jus spe et cogitatione labores ejus rcsidebant; lioc votum crat ejus , qui Toti compotes facere poterat. Marcus Cicero intcr Catilinas Clodiosque jaclalus, Pompeiosque et Crassos, partira nianifestos inimicos, parlim dubios aniicos, dum lluctualur cum repuldica , cl illam pessum euntem tenet, novissime abductus, Dec se- cundis relius quietus, nec adversarum patiens , quotient illum ipsiun consulatum suum non sine causa , sed sirs DE LA BRIEVETE DE LA VIE. 283 A quelles Irisles lamentations ne se livre-t-il pas dans certaine lettre adresséeb Atticus, au moment où Pompée le père étant déjà vaincu, le fils ranime encore en Espagne son parti abattu! « Tu me de- mandes, dit-il, ce que je fais ici. Je vis à moitié li- bre dans mon champ de Tusculum.» Puis il ajoute d'autres réflexions, où il déplore le passé, se plaint du présent, et désespère de l'avenir. Cicéron se dit à moitié libre! Jamais, par Hercule, un sa^c n'ac- ceptera un nom si humiliant; jamais il ne sera à moitié libre : toujours il jouira d'une liberté en- tière et solide , affranchi de toute chaîne, dans la plénitude de ses droits, supérieur h tous les au- tres. Qui pourrait, en effet, être au-dessus de ce- lui qui est au-dessus de la fortune? VI. Livius Drusus, homme hardi et violent, qui renouvela par ses lois la funeste époque des Gracques, ayant toute l'Italie pour son immense cortège, hors d'état de prévoir l'issue des choses, qu'il n'avait ni le pouvoir de mener à fin, ni la liberté d'abandonner, une fois- qu'il y fut en- gagé, maudissait, dit-on, sa vie agitée dès son berceau , et disait : « Que lui seul , même dés son enfance, n'avait jamais connu de jours de fête. » En effet, encore en tutelle et revêtu de la prétexte, ii osa recommander des accusés aux juges , et in- terposer dans le Forum son crédit avec tant d'ef- ticacité, qu'il demeure constant que plusieurs jugements furent arrachés par lui. Jusqu'oîi ne devait passe pousser une ambition si prématurée? On pouvait déj'a calculer la somme des maux pu- blics et particuliers que préparait une audace aussi précoce. C'est dune tardivement qu'il se plaignait « de n'avoir pas connu de jours de fêle; » lui, dès son enfance, séditieux et tyran du Forum. On est incertain si lui-même se donna la mort : car il tomba tout à coup frappé d'une blessure à l'aine: quelques-uns doutèrent que sa mort fût volontaire, nul, qu'elle ne fût opportune. 11 serait superflu de rappeler l'exemple de tant d'autres hommes qui , lorsqu'ils paraissaient les plus heureux d'entre tous, rendaient contre eux-mêmes un témoignage sincère, en confessant tous les actes de leur vie. Mais ces plaintes ne changeaient ni les autres, ni eux-mêmes. Car 'a peine ces paroles étaient échap- pées de leur bouche, que leurs passions les rame- naient à leurs habitudes. Oui , certes , votre vie , se prolongeât-elle au-delà de mille ans, serait encore trop bornée; car il n'y a pas de durée que ces vices ne dévorent. Aussi , cet espace que la nature traverse en courant, mais que la raison peut étendre, doit nécessairement bientôt vous échapper; car vous ne saisissez pas, vous' ne re- tenez pas, vous ne retardez pas dans sa course la chose de toutes la plus rapide ; mais vous la lais- sez fuir comme chose superflue et réparable. Je mets en première ligne ceux qui n'ont d'autre passe-temps que le vin et la débauche; car il n'en est pas de plusliontcnsemcnt occupés. Les autres, quoique séduits par les illusions d'une vaine gloire, ne sont pas sans grandeur dans leurs égarements. Tu peux passer en revue les avares, les lionmies colères, ceux qu'entraînent des inimitiés ou des guerres injustes; il y a dans tous ces défauts quel- que chose de viril ; mais être l'esclave de son ven- tre et de la débauche, c'est une tache infamante. Hne laudalnm, deteslatur? Qaam flcbilcs Toces eiprimit in quadam ad Atticum ppistoia , jain tirto patrc Pom- peio, adhiic fllio in Hisp:min Tracta arma rrfoTente? • Quid acjani, inquit, tiic quaris? moror in Tusciilano meo semitilier. • Aliadeinrepsadjicit,quibus et prioipin a-lalem complorat , et de présent! queritur , et de fiitura desperat. Srniiliberuni pien> in tam hnmile Ddmeii procède! , nun- quain i>eiiiilil)er eiil; intégra; scinper tit)erlatisettolida>, loiulus , et sui juris , alllor céleris. Quid eniiu supra euiu potest esse , qui supra furtunani est ? Vi. Lifius Drusus, Tir ;'ceret lehemens, qnum le- ges novas et mata (iracctiana niovissel, stipalus in- genll lolius Italia; aelii, exituni rerum non providens, quas nec agere licebat , ncc jam lil)enini erat semel in- choalas relinquere, eisecraïus inquieUim a priniordiis tilara , dicitur diii-^se : • Uni sibi , uec puero quidcin , nnquam feriai coniigjsse. • Ausus euim et pupillus ad- buc et praetextatus , judicilius rcos coniinendare , et gra- tiam siiain foro interponere tani efficaciter, ut <|ua'dani judicia constet ali illo rapia. Quo iiou iiTumperet tam immatura ambiiio? «cires in nialum in|2eus , et privatum et publicuiD , cvasuram illani tani prscocem audaciam I Sero itaque querebatiu*, i nullas sibi ferias contigisse, • a puero seditiosus, et foru gravis. DispulaUir, au ipsesibi raatms atlulerit ; sul>ito enim Tulnere pcr ingiien acccplo colliipsus est; aliquu dul)iLintc, an mors voluntarla essct; nullo, an teinpesiiva. Sii[>er?acuum est commemorarc plures,qui quum aliis fclicissinii tidercutiir. ipsi in se verum test moninm diierunt , prodenles omnem actuni annoruni suuiuni. Sed liis quereiis uec alios inutaveruot, nec se ipsos. Nam quum verlia erupenmt, affertus ad consuetuilinem relal)unUir. Vestra niebercule viia, licet supra mille annos excat, in arctis.simuni contralietur ; ista \iUa uullum non seculum devoratmnt; hoc verotpa- tiuni, quod , quHuivis natura currit, ratio dilatai, cito vos effiigiat necessc est. Non enim apprehendilis , nec retinetis, nec velocissimx omnium rei moram f.icitis, sed al>ire ut re'ii supervacuam ac reparabileni siuitis. In pri- mis antcm et illos numéro, qui nulli rei , nisi vino ac li- bidini vacant; nulli enim lurpius occupati sunt; ceteri, etiamsi vana glorix imagine teneantur , spcciose tamen errant. Licel avaros mihi , licel vel iracundos enunieres, >el odia exercente.s injusta , vel bella ; oiiiues isli viriliu» peccant; invenlrem ac lU>idinem projcclorum inlioucsla labes est. Omaia islonim tempora eicute ; ad.tpicc v^uam- 286 SENÈQUE. Ewmiue maintenant l'emploi que ces gens-la font de leurs jours ; vois quel temps ils passent à comp- ter leur or , quel temps à dresser des emlmelies , quel lenips à trembler, quel temps à courtiser, qutl temps à être courtisés, quel lempsa offrir ou à recevoir caution , quel temps a donner des re- pas qui sont maintenant des fondions publiques; tu verras que ni leurs maux ni leurs biens ne les laissent respirer. Eiilin tout le monde tombe d'ac- cord que rien de bien ne peut êlre fait par un homme trop occupé; il ne peut cultiver ni l'élo- quence, ni les sciences libérales; car uii esprit surcharge ne reçoit rien profondément, mais re- jette tout comme un fardeau qu'on lui impose. L'homme occupé nesouKc'a rien moins qu'à vivre; aucune chose pourtant n'est plus diflicile à savoir. VU. Pour les autres sciences, des profcsseu-rs se trouvent partout et en grand nombre : on a même vu des enfants en comprendre si vite quel- ques-unes, qu'ils auraient pu les enseigner aux autres. Mais c'est toute la vie qu'il faut apprendre à vivre ; et , ce qui te surprendra peut-être davan- tage, toute la vie il faut apprendre à mourir. Bien des hommes illustres, mettant de côté tout soin embarrassant, renonçant aux richesses, aux crapldis, aux plaisirs, ne se sont occupés, jusqu'au terme de leur carrière , que d'une seule chose , de savoir vivre; et plusieurs cependant ont avoué, en quittant la vie, qu'ils ne le savaient pas encore. Tant s'en faut que ceux dont nous parlons puissent le savoir. Il est , crois-moi , d'un grand homme, élevé bien au-dessus des erreurs hu- maines , de ne rien laisser échapper de son temps • aussi, la vie est-elle très-longue pour celui qui , tant qu'elle a duré, s'esl voué tout entier 'a elle. Il ne s'en est rien trouvé de stérile ou d'inoccupé; il n'en a rien mis 'a la disposition d'un autre ; car il n'a rien rencontré qui fût digne d'être échangé con- tre son temps, dont il a été l'économe dépositaire. Aussi, son temps lui a suffl; au lieu que, néces- sairement, le temps a dti manquer a ceux dont la viefutlivréeen proie'a tout un peuple. Etne va pas croire (|u'ils n'ont pas le sentiment de leur perte. La plupart de ceux qu'une grande prospérité ac- cable, tu les entendras souvent s'écrier au milieu de leurs troupeaux de clients, du conOitdes pro- cès, ou autres honorables misères: «Je n'ai pas le temps de vivre ! » Pourquoi non? parce que tous ceux qui t'attirent "a eux, t'enlèvent à toi- même. Combien de jours t'a ravis cet accusé ! combien ce candidat I combien cette vieille, fati- guée d'enterrer ses héritiers! combien ce riche, qui fait le malade pour irriter l'avarice des cap- tateurs! combien ce puissant ami qui le donne une place, non dans son amitié, mais dans son cor- tège! Vcriûe, dis-je, un à un , et passe en revue tous les jours de ta vie : tu verras qu'il n'en est resté pour toi qu'un fort petit nombre, et encore des plus inutiles. Celui qui a obtenu les faisceaux tant souhaités, n'aspire qu "a les déposer, et s'écrie souvent : « Quand celte année sera-t-elle passée? » Celui-là qui préside aux jeux, et qui avait consi- déré eonnne une grande faveur du sort, que leur célébration lui fût échue : « Quand, dit-il, serai-je débarrassé? » On s'arrache cet avocat dans tout le Forum ; la place est encombrée d'un si grand con- cours d'auditeurs, que tous ne peuvent l'entendre. Il s'écrie pourtant : « Quand les fêtes vicndrout- diu computent, quamdiu insidicntur, quamdiu tiineant, quamdiu cotant, quamdiu colanlur, quantum vadiinonia sua atque aliéna occupent, quantum convivia, qua-jam ipsa oftlcia fual; videbis, queniadniodum illns rospirare non siiiant \el mala sua. Tel bona. Denique inter omnes conveiiit , nuljani rem bene oxerceri posse ab homine occiiiialo; ni)» eloi|uentiam j non libérales disciplinas; «juaiido dislrictus animus nibil altius recipit , sed omnia \elul inculc.Ua rospuit. ISihil minus est homiuis occupa!! qiiam vivcro; niillius rei difficilior est scientia. VU. I^rolessores aliarnm arlium Tulgo nmltique snnt; quasdam voro ex his pucri adraodimi lia percepisse visi sunt , ut ctiaiu pra cificre possent ; vivere tota vila discen- dura est; et quiid nii'f>is forlasse mirabere , tota vila dis- cendum es) niori. Tôt maximi viri, reliais omnibus im- pcdimcntis, quum diviliis, officiis, volupla'.ilms rcnun- tiassenl, lioc ununi in esU'eniam usque slatem egerunt, til viTere scircnt; jHures lamcn ex bis nondum se scire conîessi e \itn abicinnt; ncdmn ut isti sciant. M iC»i. mihi cicd;-, et supra humanos errorcs emi- Dentis viii est, niliil ex suo tempore delibari sinere; et Cdeo vita ejus longissima est, cui quanlumcuraquc patuit. tottmi ipsivacayit. Nibil inde incultum otiosumqae jacnit; nihil sub alio tuit; neque enim quidqn:im reperil dignuni, quod cum Icmpoi'e suo pernmlaret ciistus ejus pardssi- inus. Ilaque satis illi fuil; bis vero ucce»se est defuisse, ex quorum vita nmltnm populus tulit. Nec est quod pu- tes, hinc illos non intelligere danmum suum ; plerosque corleaudiesexhis ([nos magaafelicitas gravai, inter clien- tium prcges, aut causarum actiones, aut cèleras hones- las miserias exclamare interdum : « Mihi vivere nonli- cct ! » Quid ni non liccat? omnes illi qui te sibi advo- cant , tibi abducunt. Illc rcus quot dies abslulit? quot illc candidalus? quot illa anus, efferendis heredibus lass:i? quot ille ad in-itandam avariliam captantium siniulalus a?ger?quotille potentioramicus, qui vos non in ajiiicilia, sed in appaiatu habet? Dispunge, inquam . ac recense vitie tusp dies; lidebis paucosadmodumet ridiculos apud te resed'sse. Asseculus ille quos optaveral fasces, cupit pouere, et subinde dicit : « Quando liic annus prajlcr- ibit?» Facit ille ludos, quorum sortem sibi obtingere magno osslirnavit : c Qunndo, inquit, islos effugiamî » Diripitur ille toto fore palronus, etmagno concursu om- nia, ultra quam audiri potest, complet : ■ Qoando, io- DE LA BRIÈVETÉ DE LA VIE. 287 elles suspendre les affaires? > Chacun précipite sa vie; et, faiigaé du présent, on est travaillé des impatiences de l'avenir. Mais celui qui a consacré tout son temps à son profit personnel , qui règle cbacune de ses journées comme sa vie entière , ne désire ni ne redoute le lendemain. Y a-t-il. en effet, une seule heure qui puisse lui apporter un plaisir nouveau? 11 a tout connu, tout goûté jus- qu'à satiété. Quant au reste , que l'aveugle fortune en décide comme elle l'entendra; sa vie est déjà en sûreté. 11 peut y ôtre ajouté , il ne peut en être rieu retranché ; et encore il peut y être ajouté de la même manière qu'un homme dont l'estomac est rniisasié, mais non rempli, prend encore quel- ques aliments, mais sans aucun appétit. VIII. Ainsi donc, parce qu'un himime a des cheveui blancs et des rides , ne va pas croire qu'i' ait longtemps vécu ; il n'a pas longtemps vécu > mais il a longtemps duré. Quoi donc! penses-tu qu'il a beaucoup navigué celui qui, surpris dès le p«)rl par une tempête cruelle, se trouve battu c'a et l'a, et tourne toujours dans un même espace sous le souffle changeant des vents déchaînés? Il n'a pas beaucoup navigué; mais il a beaucoup flotté. Je m'étonne toujours quand je vois certaines gens demander aux autres leur temps , et ceux que l'on supplie si faciles 'a l'accorder. Chacun considère l'affaire pour laquelle on lui drmande son temps; mais le temps même, aucun n'y songe. Comme si c'était un rien que l'on demande, un rien que l'on accorde, on se joue de la chose la plus précieuse de toutes. Ce qui les abuse , c'est que c'est une chose incorporelle, qui ne saute pas aux ^enx : c'est pour cela qu'on l'estime si peu , ou que plutôt on lui reconnaît k peine une valeur quel- conque. Les hommes les plus nobles reçoivent des libéralités annuelles, et donnent en échange leurs travaux, leurs services, leurs soins : personne ne met un prix à son temps ; chacun en fait pro- fusion, comme s'il ne coûtait rien. Mais regarde les mêmes hommes quand ils sont malailcs; s'ils voient d'un peu près la mort qui les menace, ils embrassent les geuoux du médecin; s'ils redoutent le supplice capital , ils sont prêts, pour vivre, à donner tout ce qu'ils ont : tant il y a de désac- cord dans leurs sentiments. Que si l'on pouvait faire connaître "a chacun le nombre de ses années a venir, aussi bien que celui des années écoulées, quel serait l'effrni de ceux qui verraient le pea qui leur en reste! Comme ils en deviendraient économes! Or, il est facile de ménager un bien, si petit qu'il soit, lorequ'il est assuré; mais il faut conserver avec plus de soin encore celui qui peut manquersans qu'on sache 'a quel moment. Ne crois pas, toutefois, que ces gens ignorent combien le temps est chose prck-ieusc. Ils ont coutume de dire à ceux qu'ils aiment fort qu'ils sont prêts 'a leur donner une partie de leurs années. Ils donnent en effet, mais sans intelligence; ils donnent de façon a se dépouiller eux-mêmes, sans proGt pour les autres; ils ne savent même pas qu'ils se dé- pouillent : aussi supportent-ils facilement le dom- mage d'une porte cachée. Personne ne te restituera les années ; personne ne te rendra 'a toi-même. La vie suivra le chemin qu'elle a commencé ; sa marche ne sera ni ramenée en arrière, ni suspen- due; elle ne fera pas de bruit; elle ne fera rien qui t'avertisse de sa rapidité, mais elle glissera qnit, res proferentiir? t Précipitât quitque vitam tuam , et futuh drsiderio laborat, praneatium taedio. At ille , qnj Dulluni non tempiis in usassuos conrort , qui oiiines rijcs tanqu^ni vliam ordinat , nec optât crastinuin , nec tiniet. Quid eniiD est , quod jaui iitia bora oova; Tolnptatis possit tfferre? Oiiinia nota , omoia ad satielalem pircrpta sunt; de crtero fort fortuiia, ut volet , ordinct ; vila J.iin in tulo est. Huic adjici potcst, detrahi nihil ; et adjici aie, qucai- admodum aliqiiis veolre saturo jaiu , non plcuo , aliquid cibi, (|uod DPC déciderai, c pit. Vlil. >on est itaqiie, qiiod quem-inam propler canos aut rugas (lûtes diu it\is!.e: non ille dia ^i\it, sed diu bit. Quid enini? si ilbim mul niii putes nritigavl.sse, quem ss'va tempcstasa porUi excep uni bue et illuc lulil, »c ïiriluis veniorum ex divcrso fur(>nliuui f;cr oadcm spatia in orbem cgil? non iIIp mul uni navîgaïif, scd multum jac'atus est. Mirari solio, quum vd o ali(|uos tempus pptcre, et eos , qui rugnntur, r.'ci iinios. Ilbid iitcrque spectat , propterqnod lenipuspelilunie t;ipsum tempus quidem nralev. Quasi uiiiil petitur, quasi uihl dalnr; re omninm preliosissima ludltur. Fallit autein illos ; quia res incorporalis est , quia sub oculos noo ve- nit; ideoque vilissima sstimatnr, immo paene Dullum prctiuoi ejus est. Aniiua congiaria honiiues clarissimi ac- cipiunt , et bis aut laborem , aut operam , aut di igeoliaiu suam locaut; nemo a:stini:it tempus; uiuntur illo laiius, quasi grainilo. At eo&drm wgvos vide, si mortis pericu- lum admolum est prOf >ius , niedicoriira gcnua tangentes : ti metunnt opilale snpp'icium, omiiia sua, ut vivant, pan-itiis impendere; tauta in iliis discordia affcctuum est. Quod si po.^set , qurmadniodum pra>teritorum aunoruui cujiisque ounierus propoui , sic fuluroiuin; quum >do illi, qui paucos vidèrent snperesse, trcpidarent, quoniodo illis panèrent? Atqui facile est quaniTis eiiguum dis- pensare quod crniim est; id del>et scrvari dit grnttus quod nescias quaniJo deficiat. Nec est tamen , quod ign >- rare put. s illos, qnam cara rcssit. Dicere soient i s, quos validi'simc diligunt, paratns se partrm anmiruin suo- tniii ilarc. Dam, nec inlelligunt; dant auteni il:i , ul sine i lorum iurreniento sibi deliahanl; sed boc ipsom an de- trabant , ucsciunt ; iiieo lolerabllis est illis jaetura dctri- raeuti latcDlis. Nemo restiluet annos , nenio iterum le libi redilel. Ibi qua OFiit a.'las, nec cursuni suum aut retcx bit a.t si'ppriuiet; uil.il lumaltuabitor, n.liit atl- 288 SÉNÈQUE. en silence. Ni les ordres des rois, ni la faveur du peuple ne la feront aller plus loin • elle remplira la carrière qui lui fut assignée le premier jour : nulle part elle ne se détournera; elle ne s'arrêtera nulle part. Qu'arrivera-t-il? Tues occupé, la vie se hâte ; la mort cependant arrivera , et bon gré mal gré il faudra te livrer a elle. IX, Or, comment pourrait être prêt , je le de- mande, aucun de ces hommes qui font étalage de sagesse , et sont trop laborieusement occupés pour être capables de mieux vivre? Us arrangent leur vie aux dépens de leur vie, et font des disposi- tions pour un avenir éloigné : à quoi perd-on la plus grande partie de la vie? à différer. Tout ajournement nous arrache le premier jour ; il dérobe le présent, en nous promettant l'avenir. Le plus grand empêchement de la vie , c'est l'attente qui dépend du lendemain. Tu perds la journée d'aujourd'hui : ce qui est encore dans les mains du hasard, tu en disposes; ce qui est dans les tiennes , tu le jettes. Quel est ton but? Jusqu'où s'étendent tes espérances? Tout ce qui est 'a venir repose sur l'incertain : vis dès cette heure. Voici ce que proclame un très -grand poète, voici les utiles leçons que chante sa muse inspirée par le soufQe divin : « Le jour le plus précieux pour les malheureux mortels, est celui qui s'enfuit le premier. » Pourquoi tarder, dit- il , pourquoi remettre? Si tu ne t'empares de ce jour, il s'échappe ; et quand tu t'en seras em- pare, il s'échappera encore. Il faut donc combattre la rapidité du temps par la promptitude à en user. Il faut se hâter d'y puiser comme dans un torrent impétueux dont le cours doit cesser. Etremarquo que pour mieux te reprocher l'infini de tes pen- sées, le poète ne dit point la vie la plus précieuse, mais le jour. Comment oses-tu dans ta sécurité , dans tes lenteurs , en présence du temps dont la fuite est si prompte , prolonger au gré de ton avi- dité et les mois et les années, et la longue suite des âges? On te parle d'un jour, et d'un jour qui s'enfuit. 11 ne faut donc pas en douter : le jour le plus précieux est celui qui le premier échappe aux mortels malheureux , c'est-'a-dire occupés : leur? esprits, encore dans l'enfance , sont accablés par la vieillesse, qui les surprend dépourvus et désar- més. En effet, ils n'ont rien prévu ; ils sont tom- bés dans la vieillesse 'a l'improvisle et sans y pen- ser : ils ne sentaient pas que tous les jours elle s'approchait. De même qu'un récit, une lecture , ou quelque pensée intérieure trompent le voya- geur sur la longueur du chemin, et qu'il s'aper- çoit de son arrivée avant d'avoir su qu'il appro- chait ; ainsi , ce chemin de la vie continuel et rapide , qu'éveillés ou endormis nous parcourons du même pas, les hommes occupés ne le mesurent que lorsqu'ils sont au bout. X. Ces principes que j'ai posés , si je voulais les diviser et les déduire en forme d'arguments, je ne manquerais pas de preuves pour établir que la vie des hommes occupés est extrêmement courte. Fa- bianus, qui n'était pas un de ces philosophes de parade, mais un vrai sage à la manière antique , avait coutume de dire : « C'est "a force ouverte et non par des subtilités qu'il faut combattre les pas- sions; et ce n'est pas par des atteintes légères, mais monebit velocitatis suae; tacita labelur. Non illa se régis imperio, non favore populi longius proferet; sicut missa est a primo , decurrct; nusqmim diverlot , nusquara re- morabitur. Quid fiel ? tu occtipatus es , vita festinal ; mors intérim aderil , ciii , velis uolis , vacaiidum est. IX. Potesne quisquam , dico, homiuum eorum, qui prudentiam jactant, et operosius occupait sunt, qu.im ut melius possint vivere ? Impendio vila; vitam instruunt, cogitationessuas in li)ngum ordinani ; maxima porro vita; jactura di\aéio est. Illa primum quenique eilrahit diem , illa cripit prajsenlia , dum ulteriora promitlit. Maximum yivendi impcdiraentum est eispectatio, quac pendet ex crastino. Perdis hodiernum; quud in manu fortnnîE po- silum est , disponis; quod iu tua , diuiittis. Quo spectas , que te eilondis? omnia qua; ventura sunt, in incerto ja- cent; protinus vive. Clamât eccc maiimus vaies, et vclut divino ore instinctus salutare carmen cauit : Optima qnœqiie dies miseris mortalibas œvi Prima fugil Quid cunctaris , inquit , quid cessas? Nisi occupas, tu- git; quum occupaveris, tamen fugiet. Itaque cum celc- rilalc teraporis ntendi velocitate certandum est; velut ex torrente rapido , ncc semper casuro, cite haurienanm est. Ilocquoque pulcherrime ad exprpbrandam infinilam cogilationem , quod non optimam quamque attatem, sed diem dicit. Quid securus, et in tanta teraporum fuga lenlus, menses tibi et annos, et longam seriem, utcun- que aviditali tuae visum est , exporrigis? de die tecum lo- quilur.etde hoc ipso fugiente. >on duliium estergo, quin prima quaeque optima dies fugiat mortalibus mise- ris, id est, occupatis ; quorum puériles adbnc animes senectus opprimit, ad quam imparati inerniesque ve- niunt. ISihil euim provisuni est; subito in illam , nec opi- nantes inciderunt; accedere eam quotidienon senlietiant. Quemadmodum aut sermo , aut lectio , aut aliqua interior cogitalio iter facientes decipit; pervenisse se anle sciant, quam appropinquasse; ita hoc iter vitae assiduum etcita- tissimum , quod dormientes vigilantesque eodem gradn facimus , occupatis nonapparet, nisi in Bue. X. Quod proposui , si in partes yelim et argumenta di- ducere, multa mihi occurrent, pcr qnae probem brevis- simam esse occupatorum vitam. Solehat dicereFabianus, non ex his calhedrariis philosophis, sed ex veris etanti- quis : « Contra affeclus impetu, non subtilitatc pugiian- dum , nec minutis vulneribus , sed incursu averteadam 1 DE LA BUlÈVliTË DE LA VIE. 2S9 par une impélueiisc allaqiic, qu'il faut détourner i ravie : on la possède sans inlerruplion et sans une pointe traîlresse : car il faut dmoiisser l'arme alarmes. Le présent ne s'obtient que jour par du sophisme, et non jouer avec. » Cependant, en reprochant aux hommes leurs erreurs, il ne faut pas seulement les plaindre, mais les éclairer. La vie se divise en trois époques : celle qui est, cellequifuljCellequidoitctre. Deceslroisépoqucs, celle que nous possédons est courte; celle que nous posséderons est incertaine; celle que nous avons possédée est assurée : car sur elle la fortune a per- du tous ses droits; et il n'est au pouvoir de per- sonne de la ressaisir. C'est Ta ce (pie perdent les hommes occupés; car ils n'ont pas le loisir de per- ler un regard en arrière; et quand ils l'auraient, il n'y a rieu d'agréable dans le souvenir de choses que l'on regrette. C'est avec déplaisir qu'ils re- tracent a leur esprit le temps mal employé, et ils li'osent se rappeler ces jours où le vice, que voi- liient alors les séductions d'un plaisir présent , se montre à nu dans les souvenirs. Nul homme ne se reporte volontiers vers le passé, si ce n'est ce- lui qui a toujours soumis ses actions a sa pro[)re censure, laquelle ne s'égare jamais. Mais ce- lui que dévora une ambition sans frein , qui pro- mena partout ses superbes mépris, qui lit abus de la victoire, qui vécut de fraudes et de trahisons, qui fut un déprédateur avare , un dissipateur in- sensé, doit nécessairement craindre .sa mémoire. lit pourtant cette poniou de noire .ie est sacrée, inviolable, échappée aux hasards de l'humanité, et hors du domaine de la fortune : ni la pauvreté, ni la crainte, ni l'invasion des nialadies ne peu- Teiil la troubler : clic ne saurait être ni agitée ni jour, ou plutôt moment par moment : mais tous les jours du passé .se représenteront à toi, quand tu l'ordonneras; ils se laisseront passer en revue et retenir "a ton gré. C'est ce que les hommes oc- cupés n'ont pas le loisir de faire. Il est d'une âme paisible et calme de revenir sur toutes les époques de la vie; mais l'esjirit des lionmies occupés est comme sous le joug ; ils ne peuvent se retourner et regarder en arrière. Leur vie s'est donc perdue dans un abimc; et de même que la quantité nV fait rien , quand on verse quelque chose dans un vase sans fond et qui ne peut rien contenir, ni garder; de même, il n'importe guère combien il est accordé de temps, s'il n'est retenu par rien : il s'échappe à travers ces âmes brisées et percées 'a jour. Le présent est très-court, si court que quelques hommes l'ont nié. En effet, il est tou- jours en marclie; il court et se précipite : il a cessé d'être avant que d'arriver; et no s'arrête pas plus (jue le monde et les astres, qui, dans leurs continuelles révolutions, ne connaissent pas le re- pos , et ne restent jamais à la même place. Ainsi donc, le présent seul appartient aux hommes oc- cupés ; et toutefois ce temps si court, qu'il est in- saisissable, leur échappe encore, distraits qu'ils sout par mille affaires. XI. Enlin, veux-tu savoir combien peu long- temps ils vivent? Vois combien ils désirent de vivre longtemps. Des vieillards décrépits mendient dans leurs prières un supplément de quelipies années. Ils se façonnent en jeunes gens, ils se beicent do ncicm non probnni; cayillaliunem cnim rctiiiiil: dtl)erc , non vclllciri. i Tamen ut illls crror esprobretur siius , diircndi , non lanium deplorandi snnt. In tria toinpora \ita dividiiur: quud est, quod fuit , c! (]iiiid fu'nruni est. Kx his qnod a^lmus , \)re\f ut ; qncid acuiri sunius, diibiuni ; quod ef^iiniis, ccrluin. IIoc c&t «niin, in qu»d forîunajns perdidil , quud In nuit lis arlii- Iriuni rrduci pe dccepit, avare rapuil, prolixe iffudit, iiecossc esl niciniiriam snam tiineat. Alqui ha-c csl pan toniporis uostri sacra ac di-dicat.i , oiiincs limnanos aisus supir- gressa , cxlra reguiim fm-luna? subilucta ; quani non iuo- pia, non metns , non niorborum iiitursus exaRital. Ila-c oec turbari , nec eripi potc.^t; per|;cliia cjus et intrcpida pOiscMio est. Singuli tanliim dies , cl hi per iroiiiacul pra'senles sunl ; at pra'tcrili Icnipoiis oiiines , (juuiu jus- scris, aderuni; ad arbilriuni luuin se inspici ac deliiioii patii'iilur; (|uod f.iccre occupitis non vacal. Secune et quiela- incnlis ot , in onincs vila; suac parles discurrcrc : occupaliirum aiiimi vcliit siib jngii sunl; llectcre se ne, rcspiccrc nin pussunl. Abiii i;>ltur vila conini in profun- duiu, et ut nihit |)nidesl, (ii;aiitumlibet ingéras, si non subcst quod cxcipial, acservcl; sicniliilrererl , quan uni k'iiiporis dc'.ur , si non est ulii siibsidat ; per (ji.assos l,i- ratosquc aninios Ir.insiuillilur. T'rasens leiiipii.» lireviss'- muni esl, adio qiiidem . ul quibiudani nullnni (iilcaliii-; in ciiisn enini seniper csl , lliiilet pra'cipitatur; ante ilr- sinit esse, quani vcnit; nec nia^is nioram patiiur , (;iiaiii inunilus , aul sidéra , (iiionim irreipiicta senqier a(;i.'a;:o . nunquain in eddeni <(s:if:io iiiaiiet. Soliim ijjilm- ad oc- ciipalos pra'sons pcrlinet teiupus; qnod laiii brève e>t, lit arripi non pnssit, cl id insiini illis, disiriclis in niulla , subducilur. XI.Deniqiievissciie, quatii iiondiit vivant? viiie qiiaiii ru|iiantdlu vivcie. Deeiepili seiies panconini aiinoniin acccssioneni volis iiientiicanl; nànoics natu se ipsos cssu fineiint, nicnilr.cio silii l>lan<{liinliir , cl tain lilicnler failunl, quaiu si fala una deciplanl. J^iin vero qnum illas 19 «X) SÉNf.QLi;. mensonges, cls'abusont avec autant de fonfiance que s'ils pouviiient en même temps tromper le destin. Mais si (|uel(|iic infirmité vient Ici avertir de leur condition mortelle , avec quel effroi ils se voient mourir ! Ils ne sortent pas de la vie, ils en sont arrachés. Ils s'écrient qu'ils ont été des in- sensés de n'avoir pas vécu ; qu'ils écliappent seu- lement "a cette maladie , et ils vivront dans le re- pos. Alors ils reconnaissent comhien il était iiiulile d'amasser des biens dont ils ne devaient pas jouir, combien tous leurs travaux furent impuissants et stériles. Mais ceux dont la vie s'est passée loin de toute affaire, pourquoi ne la trouveraient-ils pas assez longue? Ilicn n'en est sacrifié, rien n'en est gaspillé pour l'un ou pour l'autre, rien n'en est livré "a la fortune, rien ne s'en perd par négli- gence, rien n'en est retranché pour en faire larges- se, rien n'en resle sans emploi. Tous les moments sont, pour ainsi diie, jjlaccs "a intérêt. Aussi, quelque courte (|u'o'lc soit, elle leur suffit gran- dement : c'est pourquoi le sage n'hésiiera pas è marcher vers la mort d'un pas assuré. Tu me demanderas pcul-êlrc quels sont les honiniesque j'appelle occupes. Ne va pas croire (joe je réserve ce nom seulement pour ceux qui n';diandonnent les basiliques que lorsque les chiens viennent leur donner la chasse ; pour ceux que tu vois magnifi- quement étouffes dans la foule de leurs clients, ou heurtés avec mépris par les clicnls des autres; pour ceux que d'obséquieux devoirs arrachent de leurs maisons pour aller se presser à la porte des grands ; pour ceux a qui le préleur adjuge "a l'en- can un profit infâme qui sera pour eux quelque jour une plaie dévorante. Il y a des geas dont le loisir même est affairé : dans leur villa , dans leur lit, au sein de la solitude, quoique éloignés de tous , ils sont insupportables il ea-x-raêraes : !a vie de certains hommes peut être appelée non une vie de loisir, mais une oisive occupation. XII. Appelles-tu homme de loisir celui qui range avec une méticuleuse symétrie des vases de Co- rinlhe, qui n'ont de valeur que par la manie de quelques fous, et passe la plus grande partie de ses jours "a polir des lances rouillées? et celui qui , au gymnase (car, ô dépravation! les vices dont nous sommes souillés ne sont pas même romains), va, pour contempler les jeunes coraballanls, s'in- staller dans le lieu même où ils si) froileni d'huile? et celui qui accouple , par âge tt par couleur, ses troupeaux de lutteurs? et celui qui nourrit la vo- racité des athlètes les plus renommés? Appelles-lu hommes de loisir ceux qui passent plusieurs heu- res chez un barbier, pour se faire arracher le moindre poil qui leur sera poussé pendant la nuit, pour tenir conseil sur chaque cheveu , pour qu'on rétablisse leur coiffure dérangée, ou que de cha- que côté l'on ramène les cheveux sur leur front dégarni? Comme ils s'emportent si le barbier, croyant raser des hommes, y met un peu de né- gligence! Comme ils senfiamment, si l'on coupe quelque chose de leur crinière, si quchpies che- veux dépassent les autres, si tous ne tombent pas en boucles bien égales! Quel est celui d'entre eux qui ne préférât voir sa patrie en désordre plutôt que sa coiffure? qui ne soit plus inquiet de l'ajus- tement de sa tête que du soin de sa vie? qui n'ai- mât mieux cire bien coiffé que vertueux? Appelles- lu hommes de loisir ceux dont le temps est par- aliqm iinbeciilitas mortalilatisadiiioQuit, qucinndmodum pavcntes moriuntur, non taii(|uam cxeaiil rie viia, seil liiiiqu.im extrahantarl Sultos se fuisse, qiuid non vite- lint, elamitant, et, si modo evaseiinl ex illa valciuiline, in otio victiiros. Tune, quan> frustra paraveriul, quibus nen fiuercntur, qiiam incnssnm omnis lalior cecidcrit, atos? Quid4hi, qui in coinpooeDdiSj DE LA BRIÊVtTÉ DE LA VIE. i>91 (âgé entre le peigne rt le miroir? Et que dire de ceux qui sont toujours appliqués à composer, a écouter, à réciter des chansons ; qui, forçant leur voix , formée par la nature à rendre des sons fa- ciles, simples et agréables, la plient à de languis- santes modulations ; dont les dnigts sonores mar- quent toujours en cadence la mesure de quelque mélodie; qni, mcnie au milieu de circonstances sérieuses, et souvent tristes, s'amusent à fredon- ner enire leurs dents? Ces gens-là n'ont pas de loisir; ils ont des affaires sans portée. Quant 'a leurs festins, par Hercule, je ne les compterai point parmi les moments de repos, quand je vois avec quelle solliciludc ils rangent leur vaisselle, avec quelle reclierclie ils retroussent les tuniques de leurs eunuques, avec quelle anxiété ils suivent un sanglier de la cuisine 'a la table, avec quelle célérité, au siijnal donné, leurs esclaves sans poil s'empressent 'a leurs fonctions, avec quel art les i oiseaux sont déciupés en flnes aiguillettes, avec quel soin de malheureux petits esclaves essuient les matières vomies par l'ivresse. C'est avec cela qu'ils se fout une réputation de niagniflcence et de délicatesse , et leurs vices les accompagnent si constamment dans toutes les péiiixles de leur vie, qu'ils ne peuvent ni boire, ni manger sans osten- tation. Tu ne CD^iipteras pas sans doute parmi les hommes de loisir ceux qui se font porter ç'i et l'a eu chaise et en litière, et qui ne manquent jamais l'heure de leur promenade , comme s'il ne leur était pas permis de s'en abstenir; et ceux qui ont besoin qu'on les avertisse quand ils doivent se lu- ver, quand ils doivent se baigner, quand ils doi- vent souper : leur àme allanguie est tellement énervée par la mollesse, qu'ils ne sauraient dire par eux-mêmes s'ils ont faim. J'ai ouï dire qu'un de ces voluptueux (si pourtant on peut nommer volupté cet oubli de la vie et des habitudes hu- maines), au moment où plusieurs bras l'enlevaient da bain et le plaçaient sur un siège, demanda : 0 Suis-je assis? » Et cet homme qui ignore s'il est assis, penses-tu qu'il sache s'il vit, s'il voit, s'il est en repos? Il me serait difllcile de dire s'il mérite plus de pitié pour l'avoir ignoré, ou pour avoir feint de l'ignorer. Ces gens, sans doute, oublient beaucoup de choses; mais il y en a beau- coup où ils sinmient l'oubli : certains vices les charment, comme des preuves de pnispérilé. Ce serait passer pour un homme obscur tt méprisa- ble que de savoir ce que l'on fiil. Va croire maintenant que nos mimes outrent la vérité, quand ils tournent en ridicule i.oire luxe. Par Hercule, ils ca passent beaucoup plus (juils n'en inventent; et cette foule de vices ijui passent toute croyance a pris un tel essor, qu'aujourd'hui nous pouvons accuser les mimes d'être au-dessous du vrai. Il se rencontre un homme tellement enseveli dans la mollesse, que, pour savoir s'il est assis, il lui faut consulter quel(|u'un ! XIII. Celui-là n'est donc pas un homme de loi- sir; donne-lui un autre nom : il est malade, ou plutôt il est mort. L'homme qui a du loisir a le sentiment de son loisir; mais cet autre est à peine vivant, qui a besoin tnrquent? quorum dipili aliquod ioter se carmen metienlps s^-mper s(in.inl; quorum ipium ad res sérias, sappe et tri>tis , artliil)i,i tunt, exauditur laciia modulatiu? Non hahent istio;iu:ii, >ed iners ncgolium. CunviTia mebi rculc borum non po- tuerim inter vacantia tcmpora, cpium videam, qu,;ni iolliciii ariientuni ordinent, quam dili^ienter cxolet)rum •uururatuuicassucciDgaut, quam susiiensi sint , qu'imodi) apcra C{x|uo exeat : quanta ccli rilate, sisno dato, (;lal)ri ad mioisSeria discurraiit : quanta arte scindiinlur ares in friisla non enormia : quam curiiisc infelices pueruli ebrio- rum sputa d-'lengtant. Ex liis elepnntia; lautitia;quc fama raptalur, et usque eo in omne.s vitae surccssus iiiala sua illos si'qimntur, ut nrc hibnl sine aml)ilii)ne. noc cd.int. Jiec illos quidem inter oliosos numeravcris . qui si lia se et leclica bue et illuc ferunt, tt ad gcslalionum suarum, quasi dcsercre illas non liceat , lioras occurrunl; qrios, quando lavari debeant, quaniio natari', qiiando cœnare, alius admonet : et usque eo niiiiio dflicali animi languore ioiruntur, ut p«r se scire doo possiot an esuriant. Audio quemdam ex dclicatis (si modo dfliciaî Tocan'la; snnt Tiiakii t-t coosurturlinLMi bumanam didisC'.-re!) , quiim ex haln^o inter iiianuselatus, etins'll.i positus esset.dixisse intorrogando : • Jam srd>"0? • Hune tu igminintem an scdeal, piitns scire an vivat , an videat. un otiosus sit? non facile dixeiim . uirum mngis mi-ercar, si hoc igno- raiil, an si seignorarefînvit. Multarumquidemreruniob- livionem sentiunl, sid nultarum et imitantnr; quxdniii vit a iilos, quasi felirilatis nrgnmen'.n, d' lectant. ISimis bn- niilis et coutemli hominis esse vidctnr, scire quid faciit. I nunc, et mimos umlla mcnliri ad exprobraiidam luxu- riom pula. Pbira meliorrul') pra'lereunt quam liodunt. et taula incrcdibilinni viliorum copia, ingcnioso in hoc unurn scculo, proces-it, ul jam niimonirn argucre possi- nms negi gi'Utiam. Esse aliquoni , qui usque eo deliciis interii rit, lit au scdeal , allfri credal ! XIII. ÎSon e^t ergo oliosm hic; aliud noincii imponos: a'gensl; imnio mortuus est. Ilie oliusot, ccii olii sui sensus est ; bic vero scniivivus, qui ad intelliginiJos coi-- lK»ris sui habitus indice opus est; quoniodo potest bic ali- cuJMS temporis dominus esse? Pcrsequi singulos longuu» est, qnr.nim au! latrunculi , aut pila , aut excoquiiidi iu "02 SENÉQUE le corps au soleil. Ce ne sont pas des hommes de loisir, ceux pour qui les plaisirs deviennent, une f-rande affaire. Car pour ceux qui, dans les lettres, s'appliquent a d'inutiles études, personne ne doute qu'avec toutes leurs peines ils ne font rien : et déjà chez les Romains aussi le nombre en est assez grand. Ce fut la maladie des Grecs de chercher quel nombre de rameurs accompagnait Ulysse, lequel fut écrit le premier, de l'Iliade ou dcl'Odyssée, si ces deux poèmes étaient du mèmeauleur,etaulres questions de même importance , qui , "a les garder pour soi, ne peuvent procurer aucune satisfaction intérieure, et il les communiquer aux autres, font paraîlre non plus savant, mais plus ennuyeux. Voici que les Romains, à leur lour, sont envahis par ce goût frivole des études sans profit. J'enten- dais ces jours derniers un certain l'hilosophe rap- porter ce que chacun des généraux romains avait tait le premier. Duillius avait le premier vaincu sur mer; Curius Dentatus avait le premier mon- tré des éléphants a son Iriomphc. Encore, quoi- que ces c(mnaissancos ne mènent pas "a la viaie filoire, elles s'exercent sur des exemples emprun- tés aux belles actions de nos concitoyens. Une telle science n'est guère prolitable : toutefois il y a même dans ces choses vaines un certain éclat de souvenir qui nous flatte. Nous pardonnons aussi "a ceux (jui cherchent lequel fut le premier à conseiller aux Romains de mouler sur un vais- seau : ce fut Claudius, surnommé pour cette rai- son Caudex, nom que les anciens donnaient à un assemblage de plusieurs planches ; d'où les tables publiques sont appelées Codes; et de nos jours encm-e, les navires qui, do temps immémorial , apportent les jirovisions sur le Tibre, s'appellent Caudicaires. Sans doute il n'est pas sans impor- tance de savoir que Valérius Corvinus s'empara le premier de la ville de Messana, et que le premier de la maison Valéria, empruntant son nom 'a une ville prise , fut appelé Messana, puis vulgairement Messala, au moyen d'un changement de lettre. Nous pouvons encore permettre h quelqu'un de se mettre en peine de savoir que L. Sylla, le pre- mier, introduisit, daus le cirque, des lions dé- chaînés, tandis qu'auparavant ils étaient attachés, et que le roi Bocchus envoya des archers pour les tuer. Cela peut encore se pardonner. Mais que Pompée, le premier, ait présenté dans le cinpiC dix-huit éléphants pour les faire combattre con- tre des condamnés, a quel bon résultat cela mène- t-il? Le premier de Rome, que son exirème bon- té fit comparer, dit-on, à ceux qui furent les premiers chez nos ancêtres, crut que c'était un genre de spectacle mémorable, dinvenler une méthode nouvelle pour faire périr les honmies. \U conibatlent : ce n'est pas assez; ils sont mis en pièces : ce n'est pas assez ; il faut qu'ils soient écrasés par l'énorme masse des éléphanls. Il va- lait mieux laisser de pareilles choses daus l'oubli, de peur que plus tard quelque homme puissant ne les connût, et ne voulût encore enchérir sur ces actes inhumains. XIV. 0 quel épais nuage répand sur l'esprit hu- main une haute fortune ! Sans doute il se croyait au-dessus de la nature, lorsqu'il livrait des troupes d'infortunés "a des bêtes féroces, nées sous un au- tre ciel; lorsqu'il engageait le combat entre dis animaux si disproportionnés; lorsqu'il versait des sole corporis cura , consuinsere vitam. ISfin siint oliosi, <]uoriiiii voluplales niultnin negotii lialnnl. Nain de illis iienio (iul)itavit, quin opcrose niliil ogant, qui in litera- rum inulilium studiis detiiienliir; qua; jani iipiid Hoina- luis qiiojue magna inamis est. (irajccriim iste iiiorbus fuit, quœrere, quem nunicium remipuni Ulysses ha- biiisset : prior scripta csset llias , an Odyssoa ; pra-terea , ;m ejusdem e.sset auctoris. Alia deiiiceps hujus uolaî; quas .sive conlineas, uiliil tacitam conscii'ntiaiîi juvant : sive proferas, uon doctior vidoberis, .sed niolestior. Eccc Ro- iiiaiios quo(|ue iuvasit inane sLudium supcrvaeua dis- cendi! His dietiusaudivi quemdam sapientcin ref^Tenlem, i|ua.' prinius qiiisque es llomunis diicibus fecisset. Primus nnvali pralio Duillius vicit, prioius Cui'ius Dentatus in tiiiiniphoduxitclephantds. I^iiainnunc isla , etsi ad vcram |i!oi'iaiu non tendunt.circa civiliuio tanien operuni eseni- pla versaulur. Tiuu est prufntura lalis scicuiia; est taniea qua;n()Sspeciosaieruinv3nUaledetineat.Hi)Cc|uoquequa.'- len ibus reniittanms . qiiis llomanis priiiiiis peisuasit n;i- vcni conscendcrc? Claudius is fuit; Caudex ob lioc ipsuni appellatus, quia pluiiuui tiilmlarum conte^lu";, caudex npud iintiquos vocal)atiir ; undc publica» tabulic , codices dicuntur : et uaves nunc quoquc , qme ex antiqiia consue- tudine per Tiberiin comnieatus subvehunt, candicariae Tocantiir. Sane et hoc ad rein perlineat, quod Valerius Corviuus priiinis Messanara vicit, et prinius ei faniilia Valerioruni, urbis capta? in se translato nooiine Messana appellatus e>t, paulatimquc vulgo permutante literas, Messala dictas. IS'uni et bocqneniquam curare permillas, qnod primus L. Sulla in circoleones solulos dédit , quuni alioquin alligali darentur, ad cimlidinios cos mi.vs.is a rege Bocchoiacnlaloril)iis? et lioc sane rcniiitatur. ÎS'uni et Pompeium prinium in circo elepliantoruni duodevi- ginti pugnam edidisse, oonimissis more pra-Iù noxi s biv minibus, ad nllam rem bonain pertinet? Princcps civi a- lis, et inter antiquosprinci| es, ut fama trad dit, bonitatis exiiuia;, nieniorabile pnlavit speclatuli geinis, novn more perdere lioniincs. Depugnan!? païuni est; lanci- nantur? parum es!; iagenli mole animalium exleraotur. Satius crat isla in oblivionem ire, ne quis fiostea polens disceret, invideretque rei minime bunidna". XIV. O quautnm caligiuis menlihus humanis objicit magna félicitas! IHe se supra rcniui naturani esse tune ci-cdidil, qmim tôt misernrum horainum catcrvas sub alio cœlo nalis bclluis iil)jiccret; quuni bellum iiiter lam disparla animaliacommiltercl;quum in conspcctu populi DE LA BRIÈVE flols (le sang en présence du peuple romain , qu'il devait bientôt conlraindrc à en verseï' à son lonr davantage. Mais lui-même, plus tard, victime de la perfidie des Alexandrins, présentasa tête au der- nier des esclaves, et comprit alors enfin toute la vaoiiéde son orgueilleux surnom. Mais , pour reve- nir au sujet dont je me suis écnrté, et pour mon- trer sur d'autres points les inutiles travaux de certains hommes, le même savant racontait que Mélellus, après avoir vaincu les Carthaginois en Sicile, fut le seul Romain qui, devant son char de triomphe, fit marchercent vingt éléphants captifs; que S; lia fut le dernier des Romains qui agrandit le Pomœriuin, tandis que nns ancêtres n'avaient pour coutume de l'aïrandir (lu'aprcs une cou- quête sur l'Italie, mais non sur les provinces. Encore est-il plu.i utile de savoir cela que d'ap- prendre, comme il l'affirmait, que le mont Avcn- lin est en dehors du Poniœrium , pour l'une ou l'autre de ces deux causes : soit parce que les plé- béiens s'y retirèrent, soit parce que Rémus, in- terrogeant les oiseaux sur cette colline, ne les trouva pas favorables! et mille autres choses en- core qni sont on controuvces ou semblables à des mensonges. Car, quand tu leur accorderais qu'ils disent loutceladebounefoi, quand ilsgarantiraieiil ce qu'ils écrivent, de qni ces vains travaux corri- geront-ils les travers, de qui réprimeront-ils les passions, qui feront-ils plus brave, plus juste, plus libéral'? Notre Fabianusdisaitsouvent qu'il ne savait s'il ne valait pas mieux ne s'appliquer à au- cune étude, que se perdre dans celles-l'a. Les ^euls liommcs qiri aient du loisir sont ceux qui se re- lisent dans la sagesse : seuls ils vivent; car non- l'É DE LA VIE. 295 seulement ils veillent soigneusement sur leurs jours, mais à leurs années ils ajoutent les siècles. Tous les âges (jui se sont écoulés avant eux leur sont acquis. Oui , si nous n'étions pas tous pleins d'ingratitude, nous reconnaîtrions qu'ils sont nés pour nous, ces illustres fondateurs des sainies doctrines, que pour nous ils ont préparé la vie. A ces éclalaiiles merveilles qui, tirées des ténè- Ijres, rayonnent au grand jour, nous initie le labeur d'aulrui : aucun siècle ne nous est interdit ; dans tous nous sommes admis ; et si , dans la puis- sance de notre âme, nous voulons franchir les li- mites étroites de l'humaine faiblesse, il est vaste l'espace où le lemjis nous permet de nous déve- lopper. Nous sommes libres de discuter avec So- crate, de douter avec Carnéade, de nous reposer avec Kpicure , de vaincre la nature humaine avec les Stoïciens, de l'on (repasser avecles Cyniques, et de marcher d'un pas égal avec la nature, contem- porains de tous les siècles. Pourquoi, durant ces instants si passagers, si courts, si périssables, ne me livrerais-je pas de toute mou âme à ces con- ceptions immenses, élernellos, qui m'associent aux plus grands des mortels? Tous ces gens qui s'empressi'iit "a de frivoles devoirs, qui se tour- mentent , eux et les autres , lorsqu'ils amont bien satisfait leur manie, lors(|u'ils auront, chaque jour, frappé il toutes les portes, lorsqu'ils n'en auront passé aucune qu'ils aient trouvée ouvci te, lorsqu'ils auront colporté dans les différentes mai- sons leurs salutations intéressées, combien de monde auront-ils pu voir dans cette ville innnense et agitée de tant de passions diverses? Combien s'en trouvera-t-il dont le sommeil, les débauches Romani niultnm sanpulnis famleret, mox plus ipsiim lundere coaclurus. At idem posiea Aleiauilrina perlldia dccfplus, uttinio Diancip'o IraiistodieDdiini se prxbuit, tum démuni inlcllccta iiiani jactalionecognomicissui. Sod lit illo reveriar undcdrcessi, et in alla iiialeiia osleu- ilam siiperfacuani qUDrumdani diligentiam , idem nar- raliat , Metcttiiin , victis iu biudia Fœois , triumphantem , UDimi omnium Romanortim ante ciirrum centum et vi- glnli capli>os eleph:iiilus duxitse ; Sultam ultimum Ilo- inanorum protulls.llla, qiiris ad liicem ernla», alieno labore deducimur; nullo niiliis seculi) intci'diclum est : in omnia adniitlimnr : et si mag- niiudinc animi cgredi humana) inibecillitalis angustia» llt>el , innltnm por quod spalicmur lenipnris est. Dispii- tnro ciini Socratelicct, dubitare cuni Carne.ide, cnm Epi- ouroqnicscerc, liominis naturam cum Sloiiis vincere, cuin Cynicis exccdcro, cum rcniin iiutnia in cr)ns(irtiiini oninis a!vi paiilcr iiiccdcre. Quidnl ali boc exi^u" et c.t- duco Icmporis transilu , in alla nos t ilo dcmus aniiiio. qiiie imniensa , qua; a;lcrna sunt , qiix' cum iiielioribus communia? Isti qui per officia disciirsant, qui se atios- que inquiétant, quum bene ins.inieiinl , (iiium omnium liuiin.T (|UoUdic pcraiiilmlavcrint, nec iillas apnitas fore» praîterierint, quum por divcrsas donios incritoriani salii- lationem circumiulerint : quoliim quemque ex tam iui- mensa, et variis cupidilatihus dislricla, url)« potcruni 294 ou la dureté les auront éconduits? Combien qui, après leur avoir fait subir les tourments d'une longue attente, leur échapperont, sousle'prétexte d'une affaire pressée? Combien éviteront de sortir par leur vestibule encombré de clients, et s'enfui- ront par quelque secrète issue? comme s'il n'était pas plus cruel de (roniper que de refuser sa porte! Combien, à moitié endormis et allourdis encore des orgies de la veille, entr'ouvriront à peine les lèvres pour balbutier avec un dédaigneux bâillement le nom mille fois annoncé de ces misé- rables qui ont hâlé leur réveil pour attendre ce- lui d'un autre! Mais ccux-l'a, disons-le, peuvent se complaire dans leurs véritables devoirs, qui, tous les jours, vivent dans l'intimité des Zenon, (les Pylhagore, des Démocrile , des Arislote , des Théopliraste, et des autres grands maîtres de la science morale. Il n'est aucun de ces sages qui n'ait du loisir pour eux , aucun qui ne renvoie (■eux qui viennent "a lui plus heureux et plus ai- mants , aucun qui souffre qu'on se retire les mains vides. Et la nuit, et le jour, tout mortel peut les aborder. Aucun d'eux ne te forcera , tous t'ap- prendront à mourir; aucun d'eux ne dissipera tes années; chacun t'offrira le tribut des siennes: SÉNEQUE. rer sur les plus grandes comme sur les plus petites choses; avec qui, tous les jours, il prendra con- seil sur lui-même, de qui il entendra la vérité sans outrage, la louange sans flatterie, à l'image desquels il pourra se former. Souvent nous disons qu'il ne fut pas en notre pouvoir de choisir nos parents, que le hasard nous les a donnés. Et pour- tant il nous est permis de naître 'a notre gré. Il y a des familles de nobles génies : choisis celle où tu veux être admis : l'adoption ne le donnera paâ seulement l'héritage du nom , mais des biens eux- mêmes; ces biens, tu n'auras pas 'a les garder avec une sordide parcimonie : ils s'accroîtront d'autant plus que tu en feras part "a plus de gens. Ces sages t'ouvriront le chemin de l'éternité; ils t'élèveront 'a une place d'où personne ne le ren- versera : voil'a le seul moyen de prolonger une vie mortelle, bien plus, de la convertir en immor- talité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'ambition a commande par ses décrets, tout ce qu'elle a élevé par ses efforts , s'écroule bien vite : il n'est rien que ne démolisse une longue durée, et elle frappe de préférence ce qu'elle a consacré. Mais la sagesse est à l'abri de toute atteinte; au- cun âge ne peut la détruire , aucun âge l'affaiblir. nul ne te compromettra par ses discours; nul ne I Le siècle suivant, et tous les autres 'a mesure qu'ils te mettra en danger par son amitié; nul ne te lera chèrement acheter sa faveur. XV. Tu retireras d'eux tout ce que lu voudras: il ne tiendra pas 'a eux que plus tu auras pris , plus tu ne puises encore. Quelle félicité, quelle belle vieillesse attendent celui qui s'est mis sous leur patronage! Il aura des amis avec qui délibé- s'accumuleront, viendront ajouter quelque chose aux respects qu'elle inspire : cir l'envie s'attache "a ce qui est proche , et nous admirons plus facilement ce qui est placé au loin. La vie du sage est donc fort étendue : elle n'est pas renfermée dans les limites assignées aux autres. Seul il est affranchi des lois du genre humain. Tous les siècles lui sont soumis \idere ? quam inulli crnnt , quorum illos aut .«omnu», aut tuiuria , aut inhumanitas sul)inoveat? quam mulli.qui iWoi, quum diu torserint , siniuliita festinatinne traa-cur- rant 7 quam miilti per refertuni cllentil)us atrium prodiie vitabunt , et piT nbscuros aedium aditus profugien. ? quasi noD iiihumaoius sit decipere, quam cxcliidere ! quam iDuUi tiestcriia crapula semisouincs tt {rraves, illis miscris soninum siuuii rumpenlibus, ut alienum eispectent, vix allevatis lal>ils iususurniturn niillies nomtn, oscita'.inne superbissima rertdeut? Hos in veris nfHciis moniri lictt dicamus , qui Zeuoncm, qui Pjthagoram quu- i minus , quantum plurimum ceperis , baurias. Qua; illum félicitas, quam pulchra seneclus manct, qui se in borum clientclam contul 1 1 Ilabcbit ciim quihus de mini- mis niaxiniisque rébus deliberet, quosile se quoiidie con- sulat , a quilius amliat verum sine contuniela , lau-tetur sine adulatione, ad quorum se similituainem elTuigut. Solemus d cere , nou fuisse io noslra polcstale , quos sor- tireriiur par^-ntes; sorte nobis dates; noliis vem ad nos- Irum ail)itrium nasci licel. >'i>bliissinii)rum ingeniorum famil s snnt; élise in quam «d^cisci relis; non in nonien laiitum ad"ptab(Tis, scd in ipsa bona , (jux non eiunt sordide uec maligne custo lieuda : majora lient , qno illa piuril)us divi^e^is. Ui tibi dabunt ad aelernilalera iter, et le in illum locnm, ex quo nemo ejiiiet, ml)leïalmnt; hii'c una ra:io est eilendendae murlalitatis , imnio in im- ntortaliiatcni vertendie. Honores, nionumenla, quidquid aut decrelis «mlàlio jussit, ant oiMribus eistruiii , cito subruilur; nibll non longa deniolitur velus:as, et moret ceins, qU(Mi consecravit. Sapientije noceri non polest, nulla delebit aelas, nulla diminuet ; sequens ac deinde scm- per ulterior ali juid ad venerationem conferet , quoniam quidem in ricinotersaturinvidia : simplicius longe posita niiramur. SapieMtis ergo multum palet vita : non idem illum , qui ceteros , lerminus includi: ; solus generis hu- nani legibus soivitur; oninia illi secula , ut Deo, ser- \iunt. Transiïit lempus alitiuod? hoc recordatione corn- DE LA BfilEVETÉ DE LA VIE. 293 comme h Dieu. Le temps passé, il le ressaisit p;ir le souvenir; le présent, il sait en user; raveiiir, il en jouit d'avance. Tous les temps, réunis en un seul, lui font une longue \ic. !\ljiis qu'elle est courte et inijuiète l'existence de ceux qui oublient le passe , négligent le présent et redoutent l'ave- nir ! Ce n'est qu'arrives au dernier moment , qu'ils comprennent trop tard, les malhetireux , qu'ils ont été si longteni|)s occupés "a ne rien faire. XVI. Etdeceque parfois ils invoquent lu mort, ne va pas l'en faire un argument pour prouver qu'ils mènent une longue vie. Leur folie les agite de passions aveugles qui les poussent vers ce qu'ils craignent : souvent aussi ils ne désirent la mort que parce qu'ils la redoutent, ^e va pas non plus regarder comme une preuve qu'ils vivent long- temps, de te que souvent le jour leur paraît long, de ce qu'en attendant le moment lixc pour leur sou- per, ils se plaignent que les heures marchent len- tement. Car, si quelquefois leurs occupations les abandonnent, ils se consument dans le repos où elles les laissent, et ne savent ni comment l'em- ployer, ni comment s'en débarrasser. ,«•••!•. clier- cbcnl-ils une occupation quelconque; e.i.-.i.s l'in- tervalle, toutes les heures leur sont à charge : c'est ainsi que, lorsqu'un a annoncé le jour d'un com- bat de gladiateurs, lorsqu'on attend l'épotiue lixéo pour tout autre spectacle ou divertissement, on voudrait franchir les jours intermédiaires. Quand ils défirent une chose, tout retard leur parait long. Mais ces heures qu'ils aiment sont rapides et fugi- tives, et d'autant plus rapides qu'elles sont plus souillées. Car ils fuient une chose pour une autre, et ne [)envent se fixer longtemps à une seule pas- sion : les jours ne leur sont pas longs, mais odieux. Combien, au contraire, leur scn'.blent courtes ces nui's qu'ils passent dans les bras des courtisanes et dans le vin? .\ussi , les poêles qui, dans leur délire, entretiennent par des fictions les égare- ments des honmics, onl-ils imaginé que Jupiter, enivré des voluptés d'une nuit amoureuse, en doubla la durée. N'esl-ce pas enflammer nos vices que de les consacrer par l'aulorilé des dieux, et d'offrir une excuse aux déportemenls lîu mal dans l'evcmplc de la diviaité? Peuvent- elles ne pas leur sembler si courtes, ces nuits qu'ils achètent si cher? Ils perdent le jour dans l'atientcdela nuit, la nuit dans la crainte du jour. Leurs plaisirs mêmes sont inquiets, agités par des terreurs diverses, et, au milieu de leurs plus vives allégresses vient les surprendre cette soucieuse pensée : « Combien cela dnrera-t-il? » Cette ré- flexion a fait pleurer sur leur puissance les rois, moins séduils par la grandeur de leur fortune, (ju'effrayés du terme qu'ils voyaicntdans l'avenir. Lors(ju'il déployait sur les vastes espaces des cam- pagnes ses bataillons, dont il ne ralcnlait pas ii; nombre, mais l'étendue, cet insolent roi de Perse vcisa des larmes, "a l'idée que dans cent ans per- sonne ne devait survivre d'une si belle jeune.s.se. Mais lui-même, qui pleurait, il allait, pour eux, hiiler l'heure fatale; il allait perdre les uns sur la terre , les autres sur la mer, les autres dans le combat , les autres dans la fuite ; il allait dévorer en peu d'instants toutes ces existences, pour les- i (pielles il redoutait la centième année. prehcndit; ÏD.stat? hoculitur; veaturum est? hnc pra;- l'ifiit. Lnngamilli \itani facitoiiinium teniporuni in unum collatio; illorunil>re'i.siiinia ac sollicitis&ima .Ttas ni, qui prajleritorum obllviscuiilur, prarsciiiia ncgligiipt, de fu- luro tiineol; quum ad extrcnia veueriot, »eru iiiielligant nii^eri, tamdiu se, dum uiliil agiitit, occupât!» fuisse. XVI. Nec e«t, quod hoc argumenlo probari putes, « loiigam illos agere vitam, quia interdum morlem in- vociiul. • Vexât illos itnprudeotia iacerlis afTcctibus, et iiicurrcmibus ia ipsa qua- metuunt; niorlcm .sa-pe ideo opt'nt, quia liment. Illud quoque arcuniciituni non csl, qu'id pûtes, diu vivenlium, • quod sape illis longus vi- delur dies : quod dum veoiant ad coodictum tf mpus cŒux, larde ire horas quenintur; » nam si quando illos desc- ruut occupationes, ia otio relicli a^stuaot, nec quoinodo id disponant, aut cxtraliaat, sciunl. Ilaque ad occupa- tiunem aliqaam londunt, et quod iDlerjacet, omne tem- pus grave f si : tam mebcrcule , quain quuni dies niuneris gtadiatorii edictus est, aut quuiii alicujus alterius vel spec- taculi Tel voluplalis etspectatur constilutum, trausilire medios dies ToluDl. Omnis illis speralœ rci longa dilalio est. .\tillnd tempus, quod amant, brève est, etprirceps, breviu.'que roulto Dt suo Tilio ; aliunde eoim alio f rans fu- giunl , et consislere in una cupiditale non possunt ; non sunl illis longi dies, sed iuvisi. At cunira, quani exigua' norles vidcntur, qiias in conipleiiU scorloruni, aut vinu eiifrunt? Inde Hmn poelarum fumr , fabulis hiiiiianos encres alentium , quibus visus esl Jupiter, voluplatecoii- cubitus delinilHS, dnpiicasse noctem. Quid aliud csl viiia nostra incendere, quam auclores Illis inscribere deos, et (lare imii'lio, esemplo divinitnlis, eicusatam llccutiam? PossuDi islis non brevissima<\ideri nnctes,quas tam cani morcantur? dieni nociis cïspectiiiii)ne perdunt, iiocleni luris melu Jpsa; voluplalcs cn.runi Irepida; , et variis ler- roribus inquietie suot, sul)ilqiic quum nia\imc exsultan tes sollicila cocitaiio : • Ila-e quiini diu? • Ab hocalfectu reges suam lleverc poleniiain, nec illos niagniludo for- luDX sux dclectavit, sed veiituriis alicpiando (inis ester- ruit. Quum |kt niai;na camp jrnni spjtia porrigeret eier- cilum , nec nnmeruni ejus, sed mcnsuram cduipreben- dcret Persanim rex insiilcnlissinius, lacrymas profudil, quod inlia ccntum annos nenio ex lanla juvenluie super- futurus esscl. At illis eral admolurus fatum ipse, qui fle bat, perditurusque alios in terra, alius in mari, alios i» pra;lio, alios io fuga , et inlra eiiguum tempus consuma tnros illo», quibus ceotesimuni annnm timcbat I 296 SEÎSEQUE XVIt Et d'où vient que leurs joies sont inquiè- tes ? C'est qu'elles ne reposent pas sur des princi- pes solides, et sont troublées par ces riens qui les (ont naître. Et que pensos-lu que soient les instants dont ils avouent eux mêmes les misères, quand ceux pour lesquels ils se gloriûent et se placent au-dessus de l'iiumanilé , ne sont pas sans orage? (es [)ius grands biens sont tous pleins de sollici- tudes, et nulle fortune n'est moins assurée que la plus haute. Pour conserver notre honlieur, il nous faut un nouveau bonbeur, et pour les vœux accomplis, il faut encore faire d'autres vœux. Car tout ce que nous tenons du sort est peu solide; plus on est élevé, plus la chute est facile : or per- sonne n'est séduit par ce qui menace ruine. Elle est donc non-seulement très-courle, mais nécessaire- mcu t très-mal heureuse et la vie de ceuxqui gagneu t avec de grands efforts ce dout la possession leur en coulera déplus grands : ils acquièrent h grand'- pcine les biens qu'ils désirent, ils conservent avec inquiétude les biens qu'ils ont acquis. Et cepen- dant on ne tient nul compte du temps qui ne doit jamais plus revenir. De nouvelles occupations remplacent les anciennes; l'espérance nourrit l'es- pérance ; l'ambition nourrit l'ambition. On ne cherche pas la fin des misères , on en change le sujet. Nos honneurs ont-ils tourmenté notre vie? Ceux d'autrui nous ont pris plus de temps. Can- didats , sommes-nous "a la Un de nos brigues? nous allons quêter des suffrages pour les autres. Dépo- sons-nous , fatigues, le rôle d'accusateur? nous (irenous celui de juge. A-t-on' cesse déjuger? on veut présider le tribunal. A-t-on vieilli gérant mercenaire des biens d'autrui? ou est tenu par ses propres richesses. Marius a quitté la chaussure de soldat , il s'est chargé des soucis du consulat. Quinlius s'empresse- t-il d'achever sa dictature? bienlôt on le rappellera de la charrue. Scipioii marchera contre les Carthaginois, avant l'âge voulu pour une si grande entreprise : vainqueur d'Annibal, vainqueur d'Autiochus, ornement de sou propre consulat , caution du consulat de son frère, si lui-même il n'j met obstacle, il sera placé prés de Jupiter. Oui; mais sauveur de la patrie, les séditions civiles le poursuivront : jeune homme, il aura dédaigné des hommages qui l'égalaient aux dieux; vieillard, il se complaira dans l'ambiliou d'un exil obstiné. Jamais ni le bonheur, ni l'iu- fortune ne nous épargneront les inquiétudes : les affaires nous interdiront le repos. On n'en jouira jamais, toujours on le désirera. XV m. Arrache-toi donc 'a la foule, mon cher Pau- liiius, et après plus de traverses que n'en comporte le nombre de tes jours, retire- toi dans un port plus tranquille. Songe combien de bourrasques tu as essuyées , combien d'orages domestiques in as affrontés, combien de tempêtes publiques tu as appelées sur toi. Assez déj'a ta vertu s'est témoi- gnée par des épreuves laborieuses et pleines d'a- larmes; essaie ce qu'elle pourra dans le repos. Que la plus grande part de la vie, et certes la meil- leure , ait été dévouée à la république; prends maintenant pour toi quelque chose de Ion temps. El je ne t'invite pas "a un repos lâche et indolent, je ne t'invite pas à ensevelir dans le sommeil , dans les voluptés chères à la foule, tout ce qui te reste dévie dans le cœur. Ce n'est pas là se repo- ser. Tu trouveras encore de plus graves affaires XYII. Quid , quod gaudia quoque eorum trépida suiit ? non cniinsolidiscausis inniluntur, sed eadem.quaorinn- liir, vjiuitate tmbaniur. Qualia autem putes tenipora esse ciiam ipsoruin confessione misera, quiim liœc quoque, ijuibiis se altoIUinl, et supra horainem efferuut, panim sincera sinl ? Maxiiiia qua-que boiia sollicita sunt : ncc ulli foiliinx' minus bcne, quani optiina;, creditur. Alia feli- chatii ad tucudam fclicitatcni opus est, et pro ipsis, qua; .succcsseruut relis, vota facienda sunt. Omneenim, quod fiii'tuilo evcnit, inslaliile est; quo altius surre;-';rit, op- piiitunius est in nccasum ; neniineni porro casura delec- laii!. Wi-serriuiani crgo necesse est, non tauUini l)revis- siiviam, vilam eorum esse, qui magno parant lal)ore i;uod majore possi(lcant:operose assequunturquîBTolnnt, atuil tcnent (\ax asseculi sunt. ISulIa intérim nuuquam amplius rcditiui temporis est ratio. Novœ occupationes \eleril)us s il)s iiuuntiir, spes spem excitât, amljitioneni aml)ilio; miseriarum non finis quieritur, sed niateria mu- latur. iVo.stri nos tionores torserunt? plus temporis alieni aufcrunt. Candidali lalwrare desivimiis? suflragatorcs incipiinus. Accusanrii deposuiimis molesliam? judicandi uanciscijnur. Judeï dosiitesse? quasilor est. Aliccorum bonorcuu incrcenaria procuralione consennii? suis opi- l)us detineiur. Mariumcaliga dimisitpconsulatuscïercet. Quintius dictaturam properat pervadere ? ab aratro revo- catùtur. Ibit in Pœnosnonduni tanta;malurusrei Scipio, Victor Hauuil)alis , victor .\u.iochi , sui consulatus decus, fraierui sponsor; ui per ipsum niora sit, cnm Jove re- poucliir? civiles servatorem agitabuntscditiones, etpost fastidi'.os a juveue diisa'quns tionores, jam seneni contu- niacis essilii deleclabit anibitio. Nunquara deernnl Tel fe- lices. Tel misera; solliciludinis causai; per occupationes intercludetur olium : nuni|uam agctur, seniper optabitr.r. XVllI. ExcerjK; itaque te Tulgo, Paullinecarissime, et iu Iranquiltiorem portum, non pro aîlalis spatio jac- lalus, tandem recède. G igita quot fluctus subieris, quoi tempeslales partim privatas sustinueris , parlim publiées in te convcitcris. Salis jam per laboriosa et inquiéta do- cumenta exhibila virtus est : cxperire, (;uid in o;io faciat. Major pars aïtalis, certc raelior , Rp'pul)lica data sit ; ali- quid temporis tui sume etiani tibi. TV'ec te ad sesnem aut inericm quietem toco; non ut somno, et caris turbae to- luptalibus, quidquid est in le indolis Tivîe, demergas. Xoii est istud acquiescei'e : inveuics mrjira omnibus ad- que colles dont tu t'es jusqu'ici si noblement acquitté, et tu les traiteras avec loisir et sécurité, 'lu administres , il est vrai , les revenus de l'uni- vers avec réserve , comme étant ceux d'aulrui : avec zèle, comme s'ils étaient les tiefis; avec res- pect, comme étant ceux de l'Etal. Tu le concilies l'amour des peuples, dans une fonction oii il est diflicile d'éviter la haine : et cependant, crois- moi , mieux vaut régler les comptes de sa vie que ceux des subsistances publiques. Cette force d'âme capable des plus grandes choses , retire-la d'un niinislcre honorable sans doute , mais peu propre à rendre la vie heureuse, pour l'appliquer 'a toi- même. Songe que si dès la première jeunesse tu l'os donné de tout cœur aux études libérales, ce n'était pas pour devenir l'honnête dépositaire de plusieurs mille mesures de froment ; lu avais fait espérer de loi quelque chose de plus grand et de plus élevé. On ne manquera pas d'hommes qui joignent à une laborieuse activité une intégrité scrupuleuse. Les chevaux pesanls sont plus pro- pres ù p'Tler des fardeaux que les coursiers de noble race : et qui jamais accable leur {jénéreuse ardeur sous un lourd bagage? Songe d'ailleurs a combien de sollicitudes t'expose une si pénible charge. C'est au ventre des hommes que lu as af- faire; un peuple affamé n'enlend aucune raison , ne se calme devant aucune justice, ne fléchit de- vant aucune prière. Naguère, dans les jours où périt Caîus César, sans doute avec le Irisle re;;ret (s'il est encore quelque senlimcntdans les enfers) do voir, en mourant, le peuple romain lui sur- vivre, il ne restait de subsistances tout au plus que pour sept ou huit jours. Tandis qu'il enchaîne DE LA BRIÈVETÉ DE L.V VIE. 297 dos navires pour construire ses ponts, qu'il joue avec les forces de l'empire, on en éiait venu à ce dernier de tous les maux, même pour des assié- gés, la disette de vivres. La mort, la famine et tous les ébranlcmenls publics qui suivent la fami- ne, voil'a ce que faillit nous attirer celle contre- façon d'un roi insensé, d'uu roi étranger, si malencontreux dans son orgueil. Quels durent être alors les sentiments des magistrats chargés des approvisionnements publics? Menacés du fer, des pierres, du feu, du glaive, ils voilaient (hi plus grand mystère un mal encore caché dans les entrailles. Ce fut sage, sans doute ; car certai- nes maladies doivent être traitées sans que les malades aient conscience de leur élat : beau- coup d'hommes sont morts d'avoir connu leur mal. XIX. Rentre donc dans une pensée plus calme, plus sijre, plus grande. Cniis-lu que viiller à ce que le blé entre dans les magasins, sans que, dans le transport, il soit altéré par la fraude ou la négligence, à ce que Ihumidilé ne puisse le gâter ou l'échauffer, "a ce que rien n'y manque sur le poids ou la mesure; crois-lu , dis-je, <|ue ces soins puissent être comparés à ces études sain- Ics cl sublimes (jui le révéleront et la nature des dieux, et leurs joies, et leur condition, et leur forme; quel sort attend Ion âme, dans quel lieu nous dépose la nature , lorstjuo nous sommes af- franchis de notre corps? quelle puissance soutient au milieu de l'espace les corps les plus pesanls de cet univers, balance dans les hauteurs les corps les plus légers, porte au sommet de l'élher la matière , enflammée, imprime aux astres leurs révolutions, hue Ktrenue tractatis operibiis, quœ repositus et securus «lillcs. Tu quidcni orliis lenaruin nitioues adniinisiras, liKii iibstiiiealer quani alicua.s , Uim ilitigeiiier quam tuas, lam rcligiose quain piililicas ; iii oflicio amoreiii conse- qiieris,ia quoudiutM vilarcdifnciie est :>>cd tanien, niihi cr(.'dc, satius est vit,x' sua; rationes, quam rruinonti pu- lilici nosse. Islum aniiiii vigorcm, rcriiin maxliiiarum capacUsiniuiii, a mioisterio liODorilico quidem , sed pa- rmi! ad bcalam vitani aptu, ad le rcvoca : et cogita , ndu id egisse te ab xtatc prima, oinni ciiUu studioruiii libe- raliiiiii , ut libi limita niillia frumeuti bcne coiiimittf reii- lur : iiiajus qiiiddani et altius de te proiiiiseras. Nuii dec- niiitct frugalilatis eiaclœ humilies, cl jalxiriosa.- o|)crn va, dans un procès pour d'obscurs plaideurs, men- dier les applaudissements d'un auditoire ignorant, perd haleine et s'éteint! Honte à celui qui , plus tôt lassé de vivre que de travailler, expire au mi- lieu des occupations! Honte à celui qui meurt en recevant ses comptes, et devient la risée de l'héritier qu'il a longtemps fait attendre ! Je ne puis passer sous silence un exemple qui se pré- sente à mon esprit. Le vieillard Turannius fut un administrateur économe et actif : après sa qua- tre-vingt-dixième année, ayant été destitué par Caïus César de ses fondions de préfet des sub- sistances, il se fit dans sou lit envelopper du drap mortuaire , et ordonna à tous ses esclaycs , qui l'environnaient , de le pleurer comme mort. Toute la maison déplorait le loisir de son vieux maître, et les lamentations ne cessèrent que lorsqu'on lui rendit les travaux de sa charge. Est- il donc si doux de mourir occupé? La plupart des hommes ont la même manie : le désir du travail survit au pouvoir de travailler; ils combattent contre la fai- blesse de leur corps ; ils n'estiment la vieillesse fâ- cheuse que pour cette seule cause; elle leséloigne (les affaires. Après la cinquantième année , la loi n'appelle plus le soldat ; après la soixantième, elle dispense le sénateur des fonctions de la curie. Les hommes obtiennent plus difUcilement le repjs d'eux-mêmes que de la loi. Cependant, tandis qu'ils entraînent, et sont eutrainés ; tandis que l'un trouble la paix de l'autre, qu'ils se rendent mutuellement malheureux, la vie passe sans fruit, sans plaisir, sans aucun proflt pour l'âme. 11 n'y a personne qui se mette la mort devant les yeux ; il tet? Cetera deinceps ingentibus plena niiraculis. Vis tu , rclicto solo, mente ad ista respicere? nunc, dum calct siiiiguis, vigentil)iis ad lueliora eundum est. Eispeclat le in lioc gencre vilae multuiii bonaniin ailium , amor vir- tutiim atijue usas, cupiditatum oblivio , vi\endi atque morieiidi scientia , alla reruui qtiies. Omnium qiiidem occupatorum conditio misera est; eorum tamen miserri- roa, qui ne suis quidemoccupationibus laboiant; ad alie- num dormiunt somnum , ad alienum ambulant graduni , ad iillenuHi comedunt appetitum; amare etodlsse.res omnium liberrimas, jubenlur. Ui si velint scire quam brevis ipsorum vila sit, cogitent ex (|uota parle sua sit. Quum viderisitaquepraîtcxtam sa>pe jam sunilam , quum célèbre in foro nomen , non invideris. Isia vila; daamo paranlur : ut unus ab iltis numeretur anuus, omnes an- nos suos contèrent. Quosdam autem (|uum in sumnmni ambitionis eniterentur, inter prima luctanles, .xtas reli- quit; quosdam qnum in consummationem dignilalis pcr mille iodigniiates irrtipissent, misera subiit cogitatio, ipsos laborasse in tilulum scpulcri : quorunidom ultima senectus, dum in novas spes, ut juvenla, disponitur, in- ter conatus magnos et improbos invalida defccit. XX. Fœdus ille, quem in judicio pro ignotissimis liii- gatoribus grandcm natu , et imperitœ coronoe assenlalio- nes caplanteni, spiritus liquit! turpis ille, qui vivendo lassus citius, quam iaburando, iuteripsa orPicia collapsus est! tiirpis, quem accipicndis immorienlem raliouibus diu tractus risit hères ! PraBlerire , quod mihi occurrit cxemplum , non pussum. Turannius fuit cxacliB dlligen- tiœ senes : qui post annum nonagesimum , quum Taca- tionem procurationis a C. Ca;saro ultro accepisset, com- ponise in lecto, etTelutexanimem a circumstanle faniilia plangi jussil. Lugebat donius olium domini seuls, nec finivit ante tristitiani, quam labor illi suus restilutus est. Adeone juvat occupatum mori ? Idem plerisque animus est ; diulius cupidilas illis laboris , quam facultas est : cum imbecillilate cor|ioris pugnant; seneclutem ipsam nuUo alio uomine gravem judicant, quam quod illos se- pouit. Lex a quinquagesimo anno militem non cogil, a sexagcsimo seuatorem non cilat ; difficilius homines a se otiiim impétrant, quam a lege. Intérim dum rapluoturct rapiunt, dum alter alterius quietem rumpit, dum mutno sunt miseri , vita est sine fruclu , sine voluptate, sine ullo profeclu animi : nemo iu conspicuo morlcm habe! , nrnto DE LA BUIÈVETE DE LA VIE. 2!)f) n'y a personne qui n'étende bien loin ses espé- rances. Quelques-uns encore ro!;lent d'avance ce qui est au-delà de leur vie, des sépulcres d'une grandeur démesurée, des dédicaces de monumeuls publics , les jeun funèbres de leur bûcher , et d'ambitieuses obsèques. Mais, par Hercule, les funérailles de ces gens-l'a devraient, comme s'ils n'avaient guère vécu , se faire aux torches et aux flambeaux '. ' On enterrait ainsi les eiirauti. non procnl spes ioiendit. Quidam vcro dispoGunt ctlam i.h (|Uce 11! ra ritam sunt, mules magnas si'pulcrurum , et operuiii publicorum dedicatioaes, et iid roguni munera. et ambitiosas cisequias. At , mehcrcule , istorum fuaera, tanquam minimum Yixerint , ad faces et ad cereos du- cenda sunt. sssscssssstssssssssssssssssssssssssssssoessssssô DU REPOS ET DE LA RETRAITE DU SAGE. / ....XXVIH. Dans les cirques, la foule esl d'ac- cord pour nous recommander les vices. Quand nous n'aurions jamais recours qu'à des remèdes salutaires, toujours est-il que par elle-même la retraite nous fera proQt : isolt's, nous deviendrons meilleurs. Dira-t-on qu'il est permis de diercher cotte reiraite auprès des hommes les plus vertueux, el de choisir que'quc modèle sur lequel on règle sa \ie? Cela ne se fait pas ailleurs que dans le re- pus. Alors on peut atteindre le but qu'on s'est une fois proposé , quand il n'intervient personne qui , secondé par la multitude, détourne noire juge- inenl encore mal affermi : alors marche d'un pas égal , el tout d une tenue, cette vie, (|UG brisent el dispersent les projets les plus contraires. Car, entre lous nos maux, le pire c'est que nous clian- poonsde vices : ainsi, nous n'avons pas même l'a- vantage de persévérer dans un mal qui nous était familier. L'un nous plaît après l'autre; et, pour ajouter 'a notre tourment , nos jugements ne sont pas seulement dépravés, ils sont encore capri- cieux. Toujours llotlanls, nous embrassons une chose el puis une autre : ce que nous avons cher- ché, nous l'abandonnons; nous cherchons le nou- veau ce que nous avons abandonne : le désir, le regret se succèdent tour h tour dans notre âme. t"n effet, nousdé|)endons tout entiers des jugements d'aulrui, et ce qui nous semble le meilleur esl ce qui esl recherché, vanté par le grand nombre, non ce qu'on doit vanter et rccheichcr. ^ous ju- geons la roule bonne ou mauvaise, non par elle- même, mais par ces mille traces dont il n'est aucune de gens qui reviennent. Tu me diras : « Que fais-tu, Sénèque? Tu désertes ton paiti. Assurément vos Stoïciens disent : Jusqu'au der- nier terme de la vie nous serons a l'œuvre; nous ne cesserons de consacrer nos travaux au bien commun, d'assister les misères particulières. DE OTIO SAPIENTIS. XXVIII. Cirri nobis magno consensii vilia cnnimendiint. Licel nihil .iliud qtiam qiiod sit salulare Icnlcmus , proilerit lanicn per se ipsurii .seccdcri»; nu'lin- re» erimus singuli. Qiiid, qiiod sccederc .nd opliinos ù- ros , et aliqucd cKcmpInm «ligore, ad qitod vitani dirrg.i- nms, licet? qnod nisi in olio non fil. Tune polest nbii- ncrc qiiod semcl placiiit, ubi nemo intervcnit, qui judi- cium adiiiic iinbecillum , iiopnlo adjulorc, detorqucat; lune iwtest ïila a'qnali et une tcnore procedcrc , quam (•ropoiilis diversissimisscindlmiis. Nani inter cetera ma'a illudpessiniuni est, quod vitia ipsa mulamus; sic ne Hoc quidem noliis ronlincit perm.merc in m:i]n jam fanii- liari. Aliud ex alio plaect; vexalqne nos hoc qiro(|iic, quod judicia nnstra non t;intum prava, sed etiiim levia stint. Fluclunmns , aliudque et allô eomprchrndimus ; pptiia rclinquimns , rolicia repctlniiis; altern.T inter cu- piditalem nosiram et p liomiiie eti^itur , ut pnisit hoiiilnllius, si (ieri polest, niultis; si niliius, paucls; si micus, proximis; si minus, sil>i. Nam qiiuin se iitilem céleris efficit, CDmiuuni; agit iicgotiuin. QiiDmodo qui se deterioreni facit , non sibi laalunuiiodo Doc<'t , scd cliam oninibas iis , quibus mclior Taclus prodesse polui^sel ; sic >i quis lienedese nierclur, hoc ipso aliis prodest, quod illis profiiluruin parât. XXXI. Duas respubiicas animo cnmpleclamur, niterani macnani, et vere publicam, qua clii alquc lioiiiiQcs con- tineniur, in qua iiiid ad hune angulum respicimus, aut ad illum , sed lermiaos civilalis nostro.- cum sole incli- iDur; alteram, cui nos ad.scripsit conditio oa.^crndi. ({«"c aut Altieniensium erit, aut Carthaginiensiuni, aut alle- riusalicujus urbis, qua; non ad onmespenineath.imincs, sed ad certes. Quidam eodeni tcraporc ulriqupreipublica) dantiiperam, majori minorique; quidam taulum niinoii : quidam tantum majori. Iluic majnri rcipublicx et in olio desertire possumus ; imo Tcro nescio , an in otio melius, ut quxramus, quid sit virtus, una plurcsve sinl? nalura ■n ars bonos riros facial? uoum sit hoc, quod maria ter- rasquc, et mari ac terris inserla conipleclilur, an mulla ejusmodi corpora Drus sparseril? con inua .vit omnis et ptena matcria , ei (|ua ouncla pignuntur, an didncta, et solidis inane perniiviurn sit ? Deiis scdens opus suiim spec- Ict, an traclet ? ulrumnc eitrinsccusilli circumfusus sit, an toli inditus? imniortalis sit niundus, an inter caduca, et ad tcnipu.snala, nuinerandiis? Ilacqui contemplatur, quid Dco praesbt? ne tanta ejus opéra sine teste sint. Solenins dicere, summum boniim esse, secundum na- turam vivere : natura nos ad utrumque genuit, et con- teniplationi rerum, et actioni. XXXII. Nunc probcmns quod prius diiimiis. Qiiid porro? hoc non crit probalum, si se uniisi|uisqiie con.sii- tucrit, quantam cupidilalem liabeat ignuta nosceiidi, quam ad onincs falxdas excitetiir? Navij^dnt quidam . et laborcs pereprinationis 'ongissinia! ima meriede pcrpo- tiuntur, co^nnscendi aliqiiid a1)ditum rcniotuni(|ue. Ila'c rcs ad spectacula populos conirahil , b.ec cogit pra'iliis i rimari , secrclior.i exquirerc, aniiquitales evolvcre, mo- res barhararum audire gentium. Curiosum nobis naliira iugeniuni dédit; et artis sibi ac pulchiitudinis sua; con- scia , spcclalorcs nos tanlis reruni speclaculi.'; Ronuit, perditura fructum sui, si Lim magna, tam clara, Uim 304 SENEQUE. qu'elle perdrait loul le fruit (l'elle-mcine, si des ouvrages si grands, si splciidides, si habilement conduits, si achevés et beaux sous tant de formes, n'étaient montrés qu'a la solitude. A(in que tu n'ignores pas qu'elle veut être contemplée , et non point seulement aperçue, vois quelle place elle nous a marquée. Kn nous établissant au milieu d'elle-même, elle nous a donné de promener nos 1 égards sur toutes choses, et non-seulement elle a formé Thomme droit, mais, comme elle le des- tinait encore à la conlemplaiion, pour qu'il pût suivre le déclin dis astres depuis le levant jus- qu'au couchant, et tourner son visage 'a mesure que tourne le monde , elle l'a fait avec une tête haute, posée sur un cou flexible. Ensuite elle a produit sur la scène six planètes de jour et six planètes de nuit, et s'est déployée dans toutes ses |)arlies , voulant que le si)eclaclc offert 'a la vue de l'homme lui fit désirer de connaître le reste. Car nous ne voyons pas les objets aussi nombreux , aussi grands qu'ils sont; mais notre regard se fraie un chemin par sa propre curiosité et jette les fonde- montsdu vrai, dételle sorlequ'e dans cetle recher- che arrive a (ravers les clartés jnsqu'aux ténèbres, et trouve quelque chose d'antérieur au monde hii- inênie. D'où les aslros sont-ils sortis? Quel fut l'état de l'univers, avant que chacune des parties se séparât du tout? Quelle raison démêla les cho- ses dans ce gouffre de confusion? Qui leur assigna des places? Est-ce de leur propre nature que les corps pesants descendirent, que les corps légers prirent leur vol en haut? Ou bien , malgré la résis- tance et le poids des corps , quelque force souve- raine leur a-t-elle "a chacun imposé la loi ? Ou bien encore, est-il vrai, ce qui est la me Heure preuve que l'homme est forme d'esprit divin, est-il vrai qu'une part et comme une étincelle des feux sa- crés, tombant sur la terre, se soit fixée dansées lieux étrangers? Notre pensée force les remparts du ciel , et ne se contente pas de savoir ce qui lui est montré. Ce que je sonde, dit-elle, c'est ce qui s'étend au-del'a du monde : l'espace est-il sans fond, a-t-il aussi ses limites? Quel aspect ont les choses qui n'y sont pas comprises? Sont- elles informes, confuses; occupent-elles un même espace dans toutes leurs dimensions; sont-elles aussi disposées avec une certaine élégance? Tien- nent-elles a cet univers? en sont-elles 'a de gran- des distances , et roulent-elles dans le vide? Soiil- cc des corps indivisibles, qui forment tout ce qui est et tout ce qui sera; ou bien, la substance des corps csL-elle continue et muable dans son entier? Les éléments sont-ils opposés entre eux , ou bien , sans se combattre, tendent-ils "a une seule lin par des moyens divers? L'homme étant fait pour de telles recherches, juge combien peu de chose est le temps qui lui a été donné, encore qu'il se le réserve tout entier. Dût-il n'en lai.sser rien déro- ber par sa complaisance ni rien perdre par sa né- gligence , dût-il ménager ses heures avec la plus grande avarice et atteindre les dernières limites de l'existence humaine ; dût-il ne rien déranger "a l'or- dre que la nature avait établi en lui pour obtenir la connaissance des choses immortelles, toujours l'homme sera trop mortel. Donc, je vis suivant la nature , si je me livre à elle tout entier , si je l'ad- mire , si je l'adore. Or , la nature a voulu que je fisse deux choses : agir et vaquer à la contempla- sul>tililer ducta , tam nitiila, et non uno génère foniios:i, soliliiilini oslenderet. Ut scias illam speclari Toluissc, non tantuni aspici, vide quem nobis locum dederit. In média njs sui p;irte constituit, ctcircunispectum omnium nolns dédit: ncc erexit tantummodo liominem, sed etiam ad cotileniplationem factiim, ut ab orlu sidéra in occasuni labenlia prosequi posset , et viillura siiiun circumferre cum to!o, sul)lime fecit illi caput, et collo fiexibili im- pcsuit. Deinde sen;i per diem , scna per noctem signa produxit; niillam non partem sui espUcuit; ut per lia;c qu» obtnlei-at ejus oculis, cupidilalem facerct etiani celc- rnruin. IS'ec eoim oninia , ni'c tania visinms, quanta snnt : sed aeies nostra aperil sil)i iuïcs;ignndo viam, et fuudamenta ver i jacit , ut inquisitio transoat es apcriis in obscura, et aliquid ipso niundo iiiveniatanliquius. tinde hta sidéra exiennt?quis fiierit universi status, anteipiani singula in partes discederint? qucC ralio mersa et con- fusa diduxeril? quis loca rébus assigniivcril? suapte na- tiu-a gravia desccnderint, evolaverint levia; an prœter nisuni pondusque corporum altior aliqua vis legeni sin- gulis dixerit? an illud vcrum sil, quo maxime probalur, liominem diviui spiritus css^», partem ac vcinli scintillas 1 quasdam sacrorjm in terras desiluisse, atiue alionnloeo lia'sissc? Cogitatio noslra cœli munimenla perrumpit, nec contenta est, id quod ostenditur scire. Illud, inqiiil, scrutor, quod ultra nmudum jacet : utrumae profunda vastitas sit, an et hoc ipsum lerm nis suis cludalur? qua- lis sit tiabitus exetusis : informia et confusa sint,:.n ia l omneni partem lautuindem loci oblinenna, an cl illa in aliquem cultum descripia srnt? huic cohaîreant mundo, ; an tonge ab hoc secesscrint, et in vacuo volulenur? iiidi- : vidua sint, per qua; strnilur onme id quod natum fulu- t rumque est, au continua corum materia sil , et per totnni nmtabilis? utruni contrai ia inter scclemenla sint, an non pugneut, sed per diversi conspirent. Ad ttBCC qua-renda natus, ffslima.quam non mullum acceperit tenqiiris, 1 etiam si illud totum sibi vindicet. Oui licet nihil f.cilltatc eripi, uihil negligenlia patiaturexcidere, licet boras ava- rissime servct, et usque lu ultima.' stalis humana* îenui- nos procédât, n?c quidquam illi ex eo quod natura ccu- stituit, fortuna concutiat; tamen bomoad iuimortalium coguitionem nimis niorla'.is est. Krgo secundum nalurani vivo, si tolum me illi dedi, si illius admiratnr cultorquc suai. Natura auleni utriini- DU REPOS DU SAGP:. r>05 tinn. Je les fais toutes deux , car la contempla- tiou mêrue ne saurait être sans l'action, o Mais, me dis-tu, il importe de savoir si on la recherche pour son plaisir , ne lui demandant rien, qu'une contemplation assidue, sans résultat : en cfret, elle est douce, elle a des charmes qui lui sont propres. » A cela je te réponds : Il n'importe pas moins de savoir dans quelle intention tu embras- ses la vie civile. Est-ce donc pour toujours vivre agité, sans jamais prendre le tempsdc lever les re- gards des choses humaines sur les choses divi- nes? De même que pour s'adonner aux affaires, sans aucun amour de la vertu , sans culture de l'esprit, et ue produire que des œuvres nues, on ne mérite pas l'approbation ( car tout cela doit s'allier et se mêler ensemble); de même c'est ua bien imparfait, languissant, que cette vertu qui s'abandonne 'a un repos inactif , cl jamais ne re- vise ce qu'elle apprend. Oserait on nier qu'elle doive essayer d'avancer dans la pratique, et non- seulement rêver à ce qu'il faut faire, m.iis par- fois encore mettre la main à l'œuvre, et conduire ses méditations jusqu"a la réalité? Mais quoi ! si ce u'cst pas du sage que vient le retard, s'il n'y a point faute d'ouvrier , mais d'ouvrage , ne lui permettras-tu pas de rester avec lui-même? Dans quelle intention le sage se rctranche-t-il dans le repos? N'est-ce pas pour savoir que, seul avec lui- même, il peut encore faire des actes qui profite- ront à la postérité? Oui, nous afflrmons que Zenon et Chrvsippe ont accompli de plus grandes choses que s'ils eussent conduit des armées, géré des fonctions et fait des lois; ils en ont fait non pour une seule ville , mais pour le genre humain tout entier. Pourquoi ne conviendrait-il pas "a un homme de bien, ce repos dans lequel il gouverne- ra les siècles futurs , et portera la parole, non pas devant un petit nombre, mais devant tous les hom- mes de toutes les nations, et qui sont, et qui se- ront? En somme, je le demande, n'est-ce pas sui- vant leurs préceptes que vécurent Cléanthe . et Chrysippe, et Zenon? Certes, tu répondras qu'ils ont vécu cumme ils avaient dit qu'il fallait vivre. Or, aucun d'eux n'administra la république. — « Ils n'eurent, dis-tu, ni la fortune, ni le rang où l'on prend d'ordmaireceuxquisontappelésau maniement des affaires. » — Toujours est-il qu'ils ne menèrent pas une vie paresseuse, et trouvèrent moyen de rendre leur tranquillité plus utile aux hommes, que les courses et la sueur des autres. Aussi n'en ont- ils pas moins passé pour avoir beaucoup fait, bien qu'ils n'eussent rien fait dans la république. Au surplus, il y a trois genres de vie, entre lesquels on a coutume de- chercher le meilleur : l'un est tout a la volupté, l'autre "a la contem- plation , le troisième à l'action. Et d'abord , met- tant de côté le débat et cette haine implaca- ble que nous avons jurée aux sectateurs des au- tres écoles, voyons si toutes ces choses n'arri- vent pas "a la même lin sous des noms différents. M celui qui tient pour la volupté n'est sans con- templation ; ni celui qui se consacre à la contem- plation n'est sans volupté; ni celui dont la vie est destinée h l'action n'est sans contemplation. « Il est bien différent, dis-lu , qu'une chose soit le qne facere me volait , et apere , et contemplationi vacare. Utrumqne facio, qiioniaai ne contemplatio quidem sine actione est. t Sed rcfcrt, inqais, an ad banc voluptatis causa acces.serit, nihil aliud ei illapetens, quam as.^i- dnam contemplationem , sinf eiitu ; est enim dulcis.et babet illecebras suas. • Adversas hoc tilii rospondco: leque refert , quo animo civilem agas viuim , an ut scm- per inquielus >ii, nec uoquani sumas ullum tempus . quo ah hunianis jd dlTlna respicias. Quomodo res appeterc , aine utlo \irtDlnm aroore, et sine cuitu ingenii , ac nudas «dere opéras, luiriime proliabile est ( misceri enini ioler te irta , et conseri del>eDt); sic imperfectum ac langui - dura tMnum est, in otiiim sine aclu projccla virtus , nun- qoam id qnod dedicit ustendens. Quis oegat illam de- bere profeclas snos in opère tentare , nec tanluni , quid taciendum sit, cogilare, sed etiam aliqU'tndo niaouiii eiercere, et, ea quœ nieditala snnt, ad verum porducerc? Quid? si per ipsum sapientem non est mora , si non ac- lor deest, sed agenda désuni; ecquid illi secum esse per- miUes? Quo aninio ad otium sapiens secedit? ut sciât se- cum quoque ea aclurum , per qua; postcris prosit. Nos eerte sunius, qui dicirous, cl Zenonem et Chrysippum majora rgisse, quara si duiissent eiercitus , gessissent honores , leges tulissenl , quas non uni civitati , sed loli liu- mano gcoeri iulerual. Quid crgo esl, quare taie olium non cun>eniat IxiuoTiro.per quiidfutura sccula ordinel, nec apud paucos conciooetur, sed apud ooines omnium geu- lium bomincs, quique sunt, quiqueeruut? Ad summam quaero, an ei pracceptis suis vixerint CIcanIhes, etCbry- sippus, et Zenon? Non dubicres|)ondebis, sicillos viiisse, quemadmodum dixeranlesse vivinduni. Alqui nemo illo- rumrempublicamadminislravit.« ^onfuitilli$,inquis,aut fortuna , aiit drguitas , qua; adniilli ad publicanim rciuni tractationem solit. • Sid ii leiii niliilonilnus non segneiii egerc vilani; invenenmt , qisi snni , quamvis nihil publiée agereiit. Prieterea Iria gênera sunt vils, inler qua>, quod sil optimum, quxri solel; uaum vuluplati vacat, al.eruni contemplalioni, tertium actioni. Prinmm, deposila con- tenlionc deposilo<|ue odio,qui)d iniplacahile diversa si'- quentiliMs indiiinms, videamus.an ha-c oriinia ad idem sub alio lilulo perveiiiinl. Nec il!c, (|ui Toluplalnin pro- bat,sine contcmplatione est; nec ille , qui contempla- tioni inservit, sine voluptale est; nec ille, cujus vita ac- tion! deslinalii est , sine contemplalione rsl. • Plniiiiiiiiii , inqiiis, discriminis est, ulrum aliqua irsproposllum, un -2i) 506 SÉNtQLE. but ou l'accessoire d'un but qui n'est pas elle- inème. » Sans doute la différence est grande : toutefois l'un n'est pas sans l'autre. Cet homme lie contemple pas sans action ; celui-là n'agit pas sans conleraplalion. Celui mime que nous nous accordons 'a réprouver, le Iroisième, ce n'est pas une voluplé inerie qu'il estime , mais une volupté qu'il rend solide par sa raison. — « Ainsi donc celte secte de voluptueux est rlle-mêrae en ac- tion ! i) — Pourquoi ne serait-elle pas en action , quand É(iicure lui-même dit que parfois il quit- tera la volupté et désirera la douleur, soit quand le repentir planera sur la volupté, soit quand il faudra éviter une douleur moindre par une dou- leur plus forte? — « A quoi tend ce propos?» — A rendre évident que la contemplation plaît à tous les hommes. D'autres y aspirent : pour nous c'est un lieu de relâche, non un port. Ajoute'a cela que, d'après la loi de Chrysippe, il est permis de vivre dans le repos : je ne dis pas par résignation, mais par choix. Ceux de notre école disent que le sage ne doit prendre emploi dans aucune république. Mais qu'importe que le sage arrive au repos soit parce que la république lui manque, soit parce qu'il manque lui-même a la republique? Si la ré- publique doit manquer a tous (or, toujours elle doit manquer à ceux qui la cherchent avec dé- dain), je demande dans quelle république le sage ira prendre emploi. Dans celle d'Athènes? Là, So- crale est condamné; Aristote s'enfuit pournel'ôtro pas; la, l'envie opprime les vertus. Tu ne médi- ras pas que le sage puisse prendre emploi dans celte république. Sera-ce dans celle de Carlhage? Là , règne éternellement la sédition ; là , la liberté e-t mortelle à tous les gens de bien; le juste, l'honnête sont au plus bas (aux; contre les en- nemis s'exerce une cruauté sauvage, qui traite en ennemis même les citoyens. Le sage devra fuir encore celte république. Si je les veux passer tou- tes en revue, je n'en trouverai aucune qui puisse tolérer le sage, ou que lesage puisse tolérer. Aussi bien , si je ne trouve pas une république comme celle que nous imaginons, dès lors le repos de- vient une nécessite pour tous, puisque la seule chose qu'on pouvait préférer au repos n'cxisle nulle pari. Qu'un homme dise qu'il est fort bon de naviguer, et ensuite nie qu'il faille naviguer surcetie mer où l'on voit tant de naufrages, où s'é- lèvent souvent de subites tempêtes qui emportent le pilote à l'opposé de sa roule; cet homme, je crois, me défend de lever l'ancre, bien qu'il me prône la navigation. proposili alterius accessio sit. « Sane prande diserimcn; tamen alleium sine altero non est. iSec ille siue aciione contemplatur, nec hic sine contemplaiione ag t. ÎSec ille tcrlius, dequo nialc esislimare consensiraus , voluplatem inertenj probat , scd eam , quam ratione cfficit firniam sibi. « Ita et hœc ipsa voluplaria si-cta in actu est! • Quidni in actu sit, quum ipse dicat Epicurus, aliquando se rccessuruni a voluptale, dolorem eliani uppelituruin , si aut voiuptali imniineblt pœnitenlia , aut dolor ininor pro graviore sumetur? « Quo perlinet hoc diccre? » Ut appariât, contemplitioneni placcre omnibus. Alii pctunt illan) ; nobis ha-c stalio est, non portas. Adjice niinc bue, quod c lege Chrysippi viverc otioso licel; non dico, ut otium patiatur, sed ut cligat. Negant nostri snpientein ad quamlibet remptiblicam accessurum. Quid autcm inter- cst, quomodo sapiens ad otium veniat; utrum quin res- publica illi deest, an quia ipse rcipulilicae? !>i oiruibus defutura respublica est ( semper auteni deerit fastidiusc qua"reulil)us), intcrrogo, ad quam rcmpublicam sapiens accessurus sit ? Ad Atheniensium , in qua Socrates dam- natur, Aristotclcs, ne damnarelur, fugit? in qua oppri- mit invidia virtules? ÎSt'gabis niilii accessurum ad banc rempublicam sapicntcm. Ad Carthagiuiensium ergo rem- pul)licam siipieiis accedet, in qua assidua scditiu, el op- limo cuique infesta lil)erlas est, sumraa a-qui ac boni vi- litas , adversus bostes inhuiiiana crudeliias , ctiam adver- sus suos hostili»? Et hanc fugiet. Si perceosere singulas voluero ,nullani iuTeniam, qua; sapienlem, aui quam sa- piens p:iti possit. Quod si non inveniur illa respublica , quam nobis flngimus , inc'pit oiimibus esse oiuro neces- sarium, quia, quod unum pra-ferri poserai otio, nn$- quam est. Si quis dicii optimum esse narigare, deinde negat naviganduiu in eo mari, in quo naufragia Oeri so- leanl, et fréquenter subitae lenipeslales sint, quae reclo- rem in cunlrarium rapiant; puto, bic me vetat naveiu solvere, quamquam laudat naYigalionem SCeC0C8SSCS88SC80088SOS88S8SO8SSS88CSSS8SSSS8SS DE LA TRANQUILLITÉ DE L'AME. I. Eu iulerrogeant mon âme, Sénèque, j'y ai trouvé quc'ques vices apparents et manifestes, et que je pouvais touclier au doigt ; d'autres plus voi- lés et caciiés dans ses profondeurs; d'autres qui, sans être continuels, reparaissent par intervalles : ceux-l'a je les appellerai les plus fâcheux de tous, ennemis nomades, épiant toujours le moment de nous assaillir, et avec lesquels on ne sait jamais s'il faut se préparer a la guerre ou se reposer dans la paix. Toutefois, l'état habituel que je surprends chez moi ( car pourquoi ne te dirais-je pas la vé- rité, comme 'a un médecin? ), c'est de n'être ni franchement délivré de ceux que je crains et que je hais , ni de nouveau leur esclave. Sans être au plus mal, je me trouve dans un étal douloureux et pénible, ni malade, ni bien portant. Et ne va pas me dire qu'à leur naissance toutes les vertus sont faibles , et qu'avec le temps elles prennent de la consistance et de la force. Je n'ignore pas que le mérite qui s'adresse aux yeux, comme l'éclat d'une dignité, la gloire de l'éloquence, et tout ce qui tient aux suffrages d'autrui, grandit avec le temps : les vertus qui assurent la véritable force, et les qualités qui , pour plaire, se couvrent d'uu certain vernis extérieur, attendent leur effet des années, dont l'action graduelle consolide leurs couleurs. Cependant je crains que l'habitude qui raffermit toutes choses n'enracine plus profon- dément chez moi ce défaut dont je l'ai parlé. Un long commerce avec le bien comme avec le mal devient un attachement; mais il m'est moins fa- cile de te faire connaître en résumé qu'en dé- tail cette infirmité de mon âme, qui, incertaine entre les deux, ne se penche fortement ni vers l'honuèle ni vers le déshonnêle. Je le dir.ii les accidents que j'éprouve : c'est à toi de trouver un nom 'a la maladie. J'ai un goût prononcé pour l'c- conoraie, je l'avoue : ce qui me plaît, ce n'est pas DE TRANQUILLITATE ANIML I. loquirenti mihi in me qusdaro vitia appareoant , Seneca , ia aperto posita , qoae manu prenderem ; qua;- dam olwcnriora, et in reccssu; qiia-dam non cononu^i ; •ed ex intepT.nilis redcuntia, qu.-B yel m lestissima diie- rira , ut liostes vagoj , et ex occasiiinibus assiilicntos , per quosneulmm licel, nec lanquam in bello paraîuni esse , ncc tanquam in pace sccurum. Illiini tiimcn hat)ilum in mematime deprehendo (quareenim non verum, ul nic- dico, ratear?), necliona fldeliberatum iis, qua; timeliam «toderam.nec rursus obnotium. In statu ut non pcs- flmo, ita maxime qncrulo et moroso posilus simi ; nfc »grolo, nec valco. Non est quod dicas, omnium virlu- tum teoera es?e principia , lempore ipsis durameninm et rol>ur accedere. Non ignore, etiam qua; in spccii'm lalio- rant, dignitatem diro, et eloquenlia» fiiniam, et qniri- quid ad alienum suffragium venit, niora couv:,lesccrc , j et quœ veras vires parant . et qii.-e ad placenduin fiico quodamsul)()rnantur, exspecl;inl ann is, (lonec paulalini colorem diulurnit s ducal ; scil ego veri'or no con>ue- tudo, qua" reluis affiTtcons nnliaiii , liocviliiini in nie al- lius figat. Tain liononiin quani iiiaoruni lon^a ((inver- salio aniorem induil. Ila-c aiiiiiii iiiter iitruni(|UP diibii , nec ad recM fortiler, me ad prava vergcntis, infiriiiKas qualissit, non tam senicl lilii pos-suni quam per parles ostendere. Diram qua? accidarU inihi ; tu moi l!0 noiiien inventes. Tenet nie snmmiu nnior parcinMiiia-, fatenr; placct non in iinibitioiicm cutiile composiluni, non ex '■20. 308 SÉNÉQUE. un lit b draperies ambitieuses, ce n'esl pas un vê- tement que l'on retire du fond d'un coffre, que l'on presse a force de poids et de machines pour lui donner du lustre ; mais c'est une rol)e com- mune , a bon marclic. que l'on garde et que l'on porte sans inquiétude. J'aime une nourriture que n"ap[irclc point , que ne surveille point une troupe d'esclaves; qui n'ait point été commandée plu- sii'urs jours d'avance, et ne soit pas servie par une multitude de bras ; n.ais facile à préparer et a disposer; qui n'ait rien d'exotique ni de rare, qui puisse se trouver partout , qui ne soit à charge ni à la bourse ni a l'estomac , et qu'il ne faille pas rendre par où elle estentrée. J'aime un échan- son simplement vêtu et un esclave sans prélenlion ; l'argenterie massive démon père, homme de cam- pagne, sans ciselure, sans nom d'ouvrier; j'aime une table qui ne soit ni remarquable par la va- liété de ses nuances, ni célèbre dans la ville par les maîtres élégants qui l'ont successivement pos- sédée, mais qui serve 'a mon usage, sans que les yeux des convives soient distraits par l'admiration, ou enflammes par l'envie. Mais, tout en aimant celte simplicité, mon esprit se laisse éblouir par l'appareil de quelque pédagogium, par ces es- claves plus richement vêtus, plus couverts d'or que dans une pompe publique, par des légions do serviteurs resplendissants. J'ai plaisir 'a voir cette maison où les pieds ne foulent que des ma- tières précieuses, où les richesses sont dispersées dans tous les coins, où brillent même les toiis, où se presse une foule avide, accompagnement ordinaire des patrimoines qui tombent. Qucdirai- jc de ces eaux limpides jusque dans leurs profon- deurs, qui s'épanchent en nappes autour des salles de festin, et de ces banquets dignes du théâtre où on les dresse? Moi qui sors tout rouillé de ma longue frugalité, sitôt que je me vois entouré de ce luxe splendide , et que j'entends retentir tout cet appareil , ma vue chancelle, et mon es- prit résiste plus facilement que mes yeux. Je me retire donc , non plus mauvais , mais plus triste : et , dans mon étroite demeure, je ne marche plus la tête si haute; un chagrin secret me travaille, et je doute si je ne dois pas préférer ce que je viens de voir : de tout cela il n'y a rien qui me change, mais rien qui ne m'ébranle. Il me plait de suivre les mâles leçons de nos maîtres , et de me jeter au milieu des affaires publiques : il me plait d'as- pirer aux honneurs et aux faisceaux , non par goût pour la pourpre ou les haches, mais pour être plus en mesure de servir mes amis , mes pro- ches , mes concitoyens , tons les hommes enfin. Formé par eux , je suis de plus près Zenon , Clcan- the et Chrysippe ; car , si aucun d'eux ne s'est mêlé aux affaires, il n'est aucun d'eux qui n'y ait envoyé .ses disciples. Survient-il quelque choc à mon esprit inaccoutumé 'a combattre de front, ou quelque humiliation, comme il y en a tant dans la vie humaine, ou quelque obstacle difficile h vaincre ; des choses peu importantes deman- dent-elles beaucoup de temps; je retourne a mon loisir , et , comme les chevaux , même fati- gués, je double le pas en regagnant la maison. J'aime à renfermer ma vie dans son intérieur. Que pas un seul jour ne me soit enlevé; rien ne pourrait me dédommager d'une si grande dépense. Que mon âme s'attache à elle-même, qu'elle s'en- .ircula prolata veslis, non mille ponderibus autlornicnlis splendere cogeiilil)us pressa; sid domcslic;i et \ilis, uec .servais , nec suinciida sollicite. Place! eilms , queiii ncc pareut familia< , noc speclent ; non ante multos impcraliis dies, oec niulloruin manibus niinislralus, sed paral)ilis farilisque ; niliit liabens arcessitl prcliosivc , ubilibet non defiiturus, nec palrinioiiio gra\is, nec corpori , nec rediturus qua intraverat. l'Iacct niialstcr lucullus et rudis vernula; argenluiM grave rujlici patris, sine iillo opère et Domine arlificis; et nicnsn non varielate macularuni cons«|>rOTideo; faniiliariler eoim doioetlica a.^picimut, et semiXT jndicio tavor ontcit. l'uto , mullos potuisse ad sapienliam perveDire, aisi putassent se pervenisse, nisi quirdani io se dissinmiassent , qua:dam apertis oculis traosiluissent. Non est cnim , quod nos magis aliéna ju- dices adulatioae perire , quam nosira. Quis sibi reruni dicere ausus est? quis non inter laudantlum blandieo- tiunique positus grèges , plurimum tamen sibi ipse assen- latus est? Rogo itaque, si quod babcs rcmediuni, quo liaoc llncluationem meam sislas, dignum putes me, qui tibi Iranquillitatera debeam. Non esse poriculusos mo;us auimi , ncc quidquam tumulluosi afrerentes , tcio : ul vera tibi limilitudine id de quo queror eipriniain , non lem- pcslatc-ïcior , sed nausea. Delrahe crgo qiiidquid hoc est roali, et snccurre in conspectn lernirum laborauli. II. Qiiœro.mchercule.jamdudum, Sorcnc, ipsctacilus, cui lalcni affectum animi similem pulnii ; ncc ullius pro- pius admoverlra eiemplo, quam coiuni qui ex Kmga cl gravi >alclud>nc cipliciti , nioliiiiiculis levibusque inté- rim offensis perstriguniur , et quum riliquias effugerint, suspicionibus tamen innuielanlur , nicdicisquc jam saoi manum porrigunt , et onmem calorem corporls sui ra- lumoianlur. Horum, Scrcne, non parura sanum eitonr- 310 SEN piéris; mais ils ne sont pas encore accoutumes à la santé : ainsi frémit encore une mer calme, un lac qui se repose de la tempûte. Tu n'as pas besoin de ces remciles violents, par lesquels nous aussi nous avons passé, et qui consistent, tantôt a faire effort sur toi-même, tantôt à (egourmander, tantôt à insisler plus vivement. Il ne te faut plus que ces soins qui viennent en dernier, comme d'avoir con- fiance en toi-même , de te persuader que tu mar- ches dans le droit cliemin sans te laisser détourner par les traces de cette foule errante qui croise ta loule, ou qui s'égare aux alentours même de la lionne voie. Ce que tu demandes est quelque chose de gi and , de sublime , et qui te rapproche de Dieu, c'est d'être inébranlable. Cette constante sta- bilité de l'âme, appelée chez les Grecs 6uy.im et sur laquelle Démocrile a fait un excellent traité, moi je l'appelle tranquillité ; car il n'est pas né- cessaire de copier les Grecs et de cahiuer les mots sur une forme étrangère : la chose dont il est question doit être designée parquelque mot ayant la force de l'expression grecque et non sa physio- nomie. Nous cherchons donc comment l'âme peut marcher d'un pas toujours égal et sûr, d'accord avec elle-même , contempler avec bonheur ses propres biens, sans interrompre ce contentement, et se maintenir dans un état paisible, sans ja- mais s'élever ou s'abaisser. Ce sera la la tranquil- lité. Comment y parvenir? Cherchons-le d'une manière générale : tu prendras du remède com- mun autant que tu en voudras. Nous allons donc montrer au grand jour le mal tout entier, afin que chacun y reconnaisse sa part : et tu comprendras ÈQUE. aussitôt combien tu as moins à faire avec ce dé- goût de toi-même que ces hommes enchaînés h de spécieux principes de conduite, et dont la maladie s'est décorée d'un tilre imposant, lesquels s'obs- tinent dans leur rôle menteur, plutôt par honte que volontairement. Tous sont dans les mêmes con- ditions; et ceux qui sont tourmentés par leur mo- bilité, par l'ennui, par l'inconstance, qui aiment toujours ce qu'ils ont abandonné ; et ceux qui sont énervés et engourdis. Ajoute ceux qui , semblables aux homnies qui ont le sommeil difficile , se tour- nent sans cesse, et s'arrangent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, jusqu'à ce qu'ils trouvent le re- pos par la fatigue : "a force de refaire de jour en jour leur façon de vivre, ils s'arrêtent enfin à celle où les surprend non le dégoût du change- ment, mais la vieillesse, trop paresseuse pour in- nover. Ajoute ceux qui sont immobiles dans la vie, non par constance , mais par inertie. Ils vivent non comme ils veulent, mais comme ils ont com- mencé. Les variétés du vice sont innombrables ; mais toutes ont un même résultat, le déplaisir de soi-même. Cela vient de la mauvaise disposition de l'âme, et de l'irrésolution ou du peu de succès des désirs : ou bien l'on n'ose pas, ou bien l'on n'obtient pas tout ce que l'on ambitionne ; et , ap- puyé tout entier sur l'espérance, on est comme elle variable et inconstant : c'est ce qui arrive né- cessairement "a ceux qui restent suspendus entre des vœux contradictoires. Toute leur vie est in- décise ; ils s'instruisent et se forcent 'a des actions honteuses et difficiles ; et , lorsque leur peine est sans récompense, ils maudissent un déshonneur pus, sed sanitaliparumassuevit; sicutest quidam tremor eliain tranquilli maris, aut lacus, quuni ex tempestale requicvit. Opus est itaque nou illis duriorilius.qua; eliain transcurrimus, ut alicubi ol)sles libi, alicubi irascaris, iilicubi instes gravius; sed illud, quod uliinium venit, ut fidcni tibi halicas , et recta ire via te credas , nihil avoca- tus triiusversisniuUorumTestipiis,passiiii discurienliuni, quornmdaui ciica ipsam erranlium viôin. Quod desideras autem , magnum et summum est Dcoque vicinum, non tonculi. Ilanc stabilem animi sedcm Grœci Ou/<.:av to- caut, de quaDeniocriti volumencgrej;ii:m est; ego tran- quillitalem voco; iicc enim imitaii , et liansferie verba ;:d illorum forniam ncccsse est; rcs ipsa , de qua agilur, aliquo siguanda nomine est, quod appcllationis gra"ca» vini débet babere, non fadcm. Ergo qua'rimus : quo- inodo animus simper a?quali seeundoque cursu eat , pro- pitiusque sibi sit, et sua lœtus adspiciat; et hoc gaudium noninterrumpat, sed placide sliitu mancat, uecatlollens seuntjuam, nec deprimens. Id tranquillitas eril. Quo- uiodo ad liane peiveniripossit, in universum (luaM-amus; sûmes tu ex publiée lemedio , quantum voles. Totum in- teriir. >ilium in médium protriibendum est, ex quocng- noscet quisque parleni suam; .>;imul tu intclliges, quanlo minus negotii habeas cum fastidio lui, quam bi quos ad professionem speciosam alligatos, et sub iugenti litulo laborantes, in sua simula tione pudor magis, quam tu- luulas lenet. Omnes in eadem causa sunt, et hi qui levi- tate vexanlur, ac tipdio, assiduaque mutatioae propositi, quibus seniper magis placet quod reliquerunt; et illi, qui marcent et oscitantur. Adjice iilos, qui uon aliter, qnam quibus difGcilis somnus est, versant se, et hoc alque illo modo componunt, donec quielem lassitudine inveuiant; statum vita? sux tormando subinde, in eo novissime ma- nent, in quo illos non mutandi odiuni , sed seoectus ad novandum pipia dcprebendit. Adjice et illos, qui non constanlia in vita parum levés sunt, sed incrlia. Vivunt, non quomodo volunt, sed quomodo ca'perunt. Innume- rabilcs deinceps proprictales sunt , sed unus elfectus vi- tii , displicere sibi. Hoc oritur ab intempérie animi , et cupiditatibus limidis , aut parum prosperis , ubi aut non audent , quantum concupiscunt , aut non consequuntnr , et in spemtoti prominent, semperinstaliilcs mobilcsqne; quod necesse est accidere pendeutibus ad vota sua. Omni vita pendent, et inhonesta se ac difficilia docent, cogunt- que; et ubi sine pra'mio lalxir est , torquet illos irrilum dcdccus , nec dolent , prava sed frustra voluisic. Tuoc DE LA TUANQUl Inutile, et regrettent non d'avoir voulu le mal, mais de l'avoir voulu en vain. Alors ils se parta- gent entre le repentir d'avoir commence, et la crainte de recommencer; également incapables de commander a leurs désirs et d'y céder , ils se laissent insensiblement gagner à ces doutes de l'esprit, à ces incertitudes d'une vie qui ne peut suivre son cours, à ce honteux sommeil d'une âme abusée dans tous ses vœux. Tout cela est en» core plus grave lorsque , en Laine d'un n'.allicur si cbèreraent acheté, ils cherclienl un asile dans le repos , dans les études solitaires, dont ne peut s'accommoderunespritqui ambitionne les emplois publics, qui se tourmente du besoin d'agir, cl, na- lureifement inquiet, ne peut trouver en lui-même que peu de consolation. Aussi , privé de ces dis- tractions que les affaires mêmes apportent aux hommes actifs , on ne peut supporter sa maison , sa solitude, son intérieur; et l'àme, livrée 'a elle- même, se regarde avec dégoût. De l'a cet ennui, ce déplaisir de soi-même , celte agitation de l'ame, qui ne se repose sur rien , et cette inquiète et cha- grine impatience de l'inaction. Alors, comme on rougit d'avouer la cause de son mal , la honte rc- fouleàl'intérieur toutes les angoisses ; et les désirs, renfermés 'a l'étroit dans un lieu sans issue , s'é- touffent eux-mêmes. De l'a la mélancolie et l'engour- dissement, et les raille fluctuations d'une àme in- certaine , toujours en suspens pour les entreprises commencées, toujours aux regrets pour celles qu'elle a nianquées. De l'a cette disposition 'a maudire son repos, à se plaindre de n'avoir rien 'a faire ; de là cette jalousie , ennemie jurée de l'a- grandissement d'autrui. Car l'aliment de l'envie , LLITE DE L'AME. îll c'est l'oisiveté mécontente; on voudrait voir tom- ber tout le monde, parce qu'on n'a pu s'élever. Bientôt dépitée des succès des autres, désespérant des siens, l'àme s'irrite contre le sort, se plaint du siècle; et, retirée dans ses profondeurs, elle y couve son chagrin,. par ennui, par dégoût d'elle-même. En effet, i'e.spril humain est natu- rellement actif et porté au mouvement : toute occasion de s'exciter et de se distraire semblo agréable , surtout aux mcclianles âmes, qui s'u- sent volontiers, dans les occupations. Comme cer- tains ulcères provoquent la main qui les envenime, et se plaisent 'a l'attouchement, comme dans la gale hideuse tout ci- qui irrite le mal est une joui.s- sancc, ainsi dans ces c-prits où les passions sont en éruption, comme dcsulcèrcs malins, le travail et la peine ont aussi leur bonheur. Il est encoie des mouvements qui, même avec une certaine douleur, charment notre corps; comme de se re- tourner dans son lit, de changer de côté avant même qu'on soit las, et de se rafraîchir f>ar la diversité des positions. Tel l'Achille d'Homère , se couchant tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos , épuise toutes les positions; ce qui est le propre des malades, qui ne peuvent longtemps su[)por- ter la même chose , et cherchent uu remède dans le changement. De l'a ces voyages sans suite, ces courses errantes sur les livagcs, ceite mobilité qui essaie tantôt de la nier, tantôt de la terre, toujours cnnomiu du présent. Mainlenant allons en Campanie ! Bientôt on se dégoûte des belles campagnes; il faut voir des pays incultes : par- courons les forêts du Hrultium et de la Lucanie I Cependant au milieu de ces déserts il faut encore illos et p ipsx occupatioues disciirrentibus prxbent, do- mum , solitudioeni , parietere quod aganl, et alicnis increiiieiitis iiiiiiiicis- niiia iatidia. Alit eniin liforem infclii iocrtia ; et oinncs dettrul nipiuat, quia se doo potuerunt pro\ebcre; et ei hnc deinde aversatione alienorum processuum , et sun- runi desperaliunc , oliirasrens forliiiiie animus , et de se- culoqneren», et in angulos se rctrahcns, et pirna; incu- bons sua? , duin ta'det sui , pi|;eti{ue. ISattira cnim liuina- uns animus afjilis est, et prduus ad inotns; f^T:\\a omois illi escilandi se al).^t^ahendiqne niateria est, gratior pes- simis quibusque ingeniis , (|ti;e ncoupali()nil)iis lilunler dcicruninr. Ut ulcéra qua-dani nociluras maniis nppe- lunt et laclu gaudcnt, et firdam curpoiuin scaliicni de- leclat. quidquid exaspérât; non alllrr dixerini bis nien- lilius, in quas cupiditales velut uiala nlcer.i ern|)ei'nut , voluplali esse lal)oreni veiatii)nciiiqni'. ^init enini quas- dain , quie corpus (|UO(|tie nostiuni cuni <{Uodam d.ilori! dclec ant; ut, versaie se, et niutare nondnni fessuni ia- lus et allô atque alio posilu vcnlilari. Qiialis ille Home- riens Aciiilles est, niiidii prunus, nio losupinns, in vari03 hahilus se ipse conipoiicns: quod pmpriuni a'gri est, uihil (liu pâli, et mulationilms ut lenuiliisuii. Inde pcre- grinati.ines siiscipinnlur vapîc, et lilora percrranlur , et modo mari se, niod» terra cxpcritur seuiper priPsen- lil>us infesta lenilas. ÎSunc Canipaniam f«liinms 1 jani de- licata fastidio suot; incnlta videantur; Rrultlos el I.uca- 512 quelque chose oùreposer dos yeux délicats, après la continuelle aspérité de ces lieux effroyables. Allons voir Tarente, et ce port renommé, et ce beau ciel d'hiver , et ces maisons dont la magnificence ne serait pas indigne même de leurs anciens hâ- tants. Le moment est venu de diriger nos pas vers Rome : trop longtemps nos oreilles se sont repo- sées loin du bruit et du tumulte : il nous tarde de goûter le plaisir de voir couler le sang humain. Un voyage succède à l'autre , un spectacle rem- place un autre spectacle ; et, comme dit Lucrèce : C'est ainsi que cliacun se fuit toujours soi-même. Mais a quoi bon , s'il ne peut s'échapper? Il se suit lui-môme , compagnon incommode qui ne se quitte pas. Sachons donc bien que ce qui nous tourmente ne tient pas aux défauts des lieux, mais aux nôtres. Trop faibles pour rien supporter, nous ne pouvons endurer ni la peine, ni le plai- sir, ni ce qui vient de nous, ni ce qui vient d'ail- leurs. Aussi , certains hommes ont-ils été poussés à se donner la mort, parce que, changeant tou- jours de projets, ils retombaient dans le même cercle , sans espoir de trouver rien de nouveau. Alors commença le dégoût de la vie et du monde même; et, dans son délire furieux, le voluptueux s'écria : « Jusques 'a quand la même chose ! » III. Contre cet ennui tu me demandes quel est, à mon avis , le remède à employer. « Le meilleur serait, comme dit Athénodore, de s'occuper du maniement des affaires , de l'administration de la république, de fonctions civiles. Car, comme il est des hommes qui passent leur journée en plein SÊNÈQUE. soleil , à prendre de l'exercice pour fortifier leur corps, et que, pour les athlètes, il est essentiel de donner la plus grande partie de leur temps à l'en- tretien de leurs bras et de cette force dont ils font profession ; de même pour nous^ qui préparons no- Ire esprit aux luttes civiles, n'est-il pas bien plus beau d'être toujours en haleine? Car, si l'on se pro- pose d'être utile à ses concitoyens et aux hommes, on s'exerce et on profite en même temps, lorsqu'on se place au centre des affaires, et qu'on administre, selon ses facultés , les intérês publics et particu- liers. » — « Mais, ajoute-t-il, comme dans cette folle ambition des hommes , dans cette foule de calomniateurs qui tournent en mal les actions les plus droites, l'innocence n'est guère en sûreté, comme elle doit rencontrer plus d'obstacles que de succès, il faut s'éloigner du Forum et des af- faires publiques. Même dans le foyer domesti- que , une grande âme a l'occasion de se déployer. Car, si la vigueur des lions et des autres animaux est comprimée dans leurs cages , il n'en est pas de même de l'homme , dont l'uctivité grandit dans la retraite. Cependant il se renfermera de manière qu'en quelque lieu qu'il ait caché sa solitude, il puisse être utile 'a tous et à chacun, par ses talents, ses paroles et ses conseils. Car celui-là n'est pas seul utile a la république , qui produit les candi- dats, défend les accusés, et décide de la paix et de la guerre; mais celui qui instruit la jeunesse , qui , dans une si grande disette de bons précep- teurs, forme les âmes à la vertu , arrête dans leur fougue, et ramène ceux qui se précipitent vers le luxe et les richesses, ou , s'il ne fait autre chose, nos saltus persequamur! Aliquid tamen inter déserta amœni requiratur, in quo luiuriosi oculi longo locorum horrenlium squalore relevenlur. Tarentum petalur, lau- dalusque portas, et hiberna cœli mitioris, et tecta vel antiqua; satis opulenta turbœ. Jam llectamus cursuni ad Urliem; nimis diu a plausu etfragorc aures Tacaverunt; juvat jam et humano sanguine frui. Aiiud ex alio iter suscipitur, et spcclacula speclaculis mulanlur; ut ait Lucretius, HOC se qiiisque modo semper fugit. Sed quid prodcst, si non effugit? sequitur se ipse, et urget gravissimus cornes. Itaque scire debemus, non lo- corum viiium esse quo laboramus, sed nostrum. Infirmi sumus ad omne tolerandum , nec lal)Oi'is patientes , nec \oIuptatis, nec nostra;, nec ullius rei diutius. Hoc quos- dam egitad mortera, quod proposita saspe mutando, in eadem revolvel)antur, et non reliquerant novitati locum. Fastidio illis esse cœpit vita , et ipse mundus ; et subit illud rabidarum deliciarum : Quousque cadem? III. Adversus hoc taîdiumquoauxilioputem ulendum, quaîris. « Optimum erat, ut ait Athenodorus , aciioue re- rum et reipubllca; tractatione , et officiis civilibus se de- tiaere i nam ut quidam sole, et exercilationc , et cuia corporis, diem educunt , alliletisqne utilissimura est , la- ceitcs siios,roburque cui se uni dicaverunt , majore teni- poris parte nulrire ; ita nobis animum ad rerum civiliuni cerlanien paranlibus, in opère esse, non longe pulcber- rimum est? Nam quum utilem se (fûcere civibus morta- libusque piopositum habeat, simul et exercelur et pro- flcit, qui in mediisse officiis posuil , communia privataque pro facuUate adminislrans.» — « Sed quia in bac, inquit, tam iasana hominum ambitione, tôt calumniatoribus ia deteriusrectatorquentibus, parum tuta simplicitas est, et plus fsturum semper est quod obslet, quam quod succé- dât , a foro quidem et publiée recedendum est : sed habet, uti se etiam in privato lare explicetmagnusaninms; nec, ut leonum auimaliumque impetus caveis coercetur, sic hominum , quorum maxime in seduclo actiones sunt. Ita tamen dchluerit, ut.ubicumqueotiumsuum abscouderit, piodesse velit et singulis etuniversis, ingenio, voce, con- silio. Nec enim is solus leipublicœ prodest , qui canni- datos exlrahit , et tuetur reos , et de pace belloque censet; sed qui juvenlutem exhortatur, qui in tanla lx>norunt prœceptorum inopia, virlute inslruil auimos, qui a*l pecuniam luxuriamque cursu ruentesprensatacretraliit, et si nihil aliud , certe moratur, iu priiato publicura ne- golium agit. \u ille plus prsstat, qui ioter peregrinos & DE LA ÏKANQUl au moins les rclarde ; celui-là rempliten son parti- culier une fonction publique. Le magistrat qui pro- nonce entre les étrangers et les citoyens, ou le préteur urbain, qui répète a tous venants la for- mule de l'assesseur, fait-il davantage que celui qui enseigne ce que c'est que la justice, la piété, la pa- tience, le courage, lemépris delà mort, la connais- sance des dieux, et quel bien gratuit c'est qu'une boune conscience? Ainsi donc, si tu consacres à l'étude le temps que tu dérobes aux fonctions pu- bliques, ce n'est pas déserter, ce n'est pas man- quer 'a tes devoirs. Car ou ne considère pas comme soldats seulement ceux qui combattent sur le champ de bataille, et défendent l'aile droite ou l'aile gau- che, mais aussi ceux qui protègent les portes, qui occupent un poste moins dangereux, mais non inutile, qui font les veilles de nuit, qui gar- dent le dépôt d'armes : toutes ces fonctions, quoi- qu'elles ne coûtent pas de sang , comptent cepen- dant comme services. ST tu le recueilles dans l'élude, tu éviteras tous les dégoûis de la vie; lu n'invoqueras pas la nuit par ennui du jour; tu ne seras ni à charge 'a loi-même, ni inutile aux au- tres. Beaucoup rechercheront ton amitié, et il y aura autour de toi alflucnce de gens de bien. Car jamais la vertu, quoique obscure, ne demeure inconnue; elle laisse voir des signes qui lui sont propres, et quiconque en est digne peut la suivre 'a la trace. Si nous brisons tous les liens qui nous unissent à la société, si nous renonçons au genre humain , si nous vivons uniquement con- centrés en nous-mêmes, cette solitude, vide de koute occupation , amènera bientôt l'absence de toute affaire. Nous commencerons à faire des con- LLITÉ DE L'AME. 5i3 structions , 'a jeter bas des maisons , à déplacer lo mer , 'a conduire des eaux à travers tous les obsta- cles des lieux , et à mal employer le temps que la nature nous a donné pour en bien user. Quelques- uns en sont avares, d'autres en sont prodigues; ceux-ci le dépensent de manière "a pouvoir en ren- dre compte, ceux-l'a de façon 'a ce qu'ail n'en reste rien. Aussi rien n'est plus révoltant qu'un vieillard d'un grand âge qui n'a d'autre preuve, pour témoi- gner qu'il a longtemps vécu, que le nombre de ses années. » Quant à moi , très-cher Sérénus , \\ me semble qu'Atiiénodore se soumet trop aux circon- stances, et fait retraite trop promptement. Non que je conteste qu'il ne faille quelquefois reculer; mais ce doit être insensiblement, "a pas lents, les drapeaux saufs, et avec les honneurs de la guerre. Il y a plus de gloire et de sûreté auprès des enne- mis, 'a se rendre les armes a la main. VoiPa, selon moi, ce que doivent faire la vertu et le disciple de la vertu : si la fortune prévaut et lui enlève les moyens d'agir, il u'ira pas aussitôt tourner le dos, et fuir sans armes, cherchant un asile, comme s'il y avait un seul lieu où la fortune ne pût l'atteindre : mais il faut qu'il se môle aux affaires avec plus de réserve , et qu'il cherche avec dis- cernement en quoi il peut être utile à la patrie. Ne peut-il faire la guerre? qu'il aspire aux charges civiles. Est-il réduit "a la vie privée? qu'il se fasse orateur. Le silence lui est-il prescrit? qu'il aide ses concitoyens de ses consultations particulières. Ne peut-il , sans danger , se présenter au Forum ? que dans les maisons, dans les spectacles, dans les repas , il se montre bon compagnon , ami Adèle, convive tempérant. S'il a perdu les droits du ci- cives , aat urbanus praitor adeunlibas assessoris verba proDuoliat, quam qui ducct quid sit Juslitiu , quid pielas , quid patienlia, quid forlilndo, quid niorlis contemtus, quid deonim intelleclus, quaai eratuitum honum sit bona cooscicDtia? Ergo si teoipiis in sludia conrcras, quod >iil)daicris officiis , non dcserueris , nec niunus detrccla- veris. Neque eniin ille solus militait, qui in arle stat, et cornu dextram la^rumqne défendit; ir'liili Ciini[iuin d;ire. Prœ- cliisiini lilii tiilnin: I est. ft rostiis pro'iibcris, aut co- niiliis? ri'spice post le , quontuin Inlissinianiin repionum pa'cal , (|uantimi pnpuljiniiii I jSunqmiin libi it;i niagna pars otistrueliir, ni non major relinqnalur ! Si'd vide, ne totuiii istud vilium Inuin sit ; non vis eniin nisi consul, aut prytanes, aut ceryx, nnt suftes adininisrarercinpu- lilicaMi Quid si niililare nolis, nisi inippralor, aut trit)u- nus? Klianisi alil prirnani fronlcm teucbnnt, le sois in- ter triai'ios p :smt : InJe voce, adliortiliorie, ejeniplo, aninio milita. Pra-cisis ((uoqne nianibus ilte in prœtio in- venit, quod parlibns conlVral : qui slat lantuni , et cla- mure juvr,-l. Taie quiddani faciès, si a prima le reipublica' parte Ibrtuna suljinoveril; sles lamen, clamore juves; si quis l'auces oppresserit, slcs t:inien, et .silentio juves. lNunquaminutili< est opL'ra civlsl)oni: auditueiiim, visu, Tuitu , nu"ai , obstination'' tadani, citra fjnstum laclunique, odore pi-oficiunl; ita virtus utililaleni eliain ex longiuqno el la- tcu» fundit, sivc spatiatur cl se u'.ilur suo jure; sivc pre- carios habet accessus, copi turque vêla contrahere ; sive oliosa mutaqueest, et aiipusio circuniscripta, sive ad- aperla, in quocumqnc hal)itu est, prodest. Quid lu pa- rum utile putas cvcmplnm licue quiescentis? Longe ila- que op.inmm est niisccre o ium rébus, qnoliens actuosa vitainr ed mentis lortuiiis , autcivilatiscondilione prohi- belur. ÎSunquam enim usque eo inlerclusa sunt onioia, ul nulli ac i(ini honesla; locus sil. ÎSiimqiiid potes inve- iiiie urbem miserioreni , quant Atheniensiumfuil, quum ilhim tr ginta tvranni diTelli'rent? Mille Irecontos cives, optimum qucmque, occidenint : uic flnem ideo facicbat, sed initab ;t se ipsa sajvitia. In qiia civiiatc erat Ariopa- pos, reli<;iosis>iniuni judiciura, in qua sintiis populus- que senatui similis : coibat qnotidie carnificum triste col- legium, cl infilix curia tyrannis anpusta. Poteratne illa civilas coaqu escere , in qua lot tiranni orantquolsa- felliles fsseul? ÎSe spes quidem ulla recipienda? libertatis auimispolerat offerri : nec ulli romedio locus apparebat, conira tantain vim maloruni; unde enim miserscivitati lot Ilarmodios? Socrales ta;ntu in medio er .1, et higen- tes patres consolabatur, et desperantes de republica exliorlabalur, et divililnis, opes suas mcluentibus, ex- probrat)at seram iHTiculosxr.voiilitrpœnitrDliam; elimj» DE LA TRANQUILLITÉ DE L'AME. 51â dif (le leur funeste avarice , et donnait a ceus qui voulaient l'imiter un grand exemple , en marchant libre au milieu de (rente maîtres. Cependant cetce iiiûme Albcnes le tua dans sa prison; et cet homme, quiavail impunément brave toute unelroupede ty- rans, la liberté publique ne put endurer la sienne. Tu vois donc que, dans une république opprimée, le sage trouve encore l'occasion de so montrer; et que, dans une république heureuse, florissante, régnent l'argent , l'envie et mille autres vices, tyrans sans armes. Ainsi, selon l'état de la république, selon que nous le permettra la for- tune, il faut nous déployer ou nous replier sur nous-mêmes : dans tous les cas , nous nous re- mnerous , et nous ne resterons pas engourdis dans les liens de la crainte. Au contraire, celui-l'a sera ■vraiment homme , qui , menacé de tous côtés par le péril, environné du tumulte des armes et des chaînes, ne voudra ni briser, ni cacher sa venu. Car il ne le doit pas; il voudra se conserver et non pas s'enfouir. Si je ne me trompe, c'est Curius Denlatus qui disait qu'il aimait mieux être mort que vivre mort. C'est le pire de tous les maux , d'être effacé du nombre des vivants avant que de mourir. Mais si tu es venu à une époque dif- ficile , il faut donner davantage au repos et 'a l'étude, et, comme dans une navigation péril- leuse, regagner au plus vite le port: n'attends pas que les affaires te quittent, mais fais toi-même divorce avec elles. IV. Nous devons d'abord nous considérer nous- mêmes, puis les affaires que nous entreprenons, enfla ceux pour qui ou avec qui nous agissons. Avant tout, il faut savoir s'apprécier, parce que souvent nous croyons pouvoir plus que nous ne pouvons. L'un succombe pour trop se fier "a son éloquence : l'autre charge son patrimoine de plus de dépenses qu'il n'en peut supporter; un troi- sième accable son faible corps de fonctions trop pénibles. La timidité de ceux-ci les rend peu pro- pres aux affaires civiles, lesquelles exigent un front assuré ; la Ocrlé de ceux-l'a n'est pas de mise à la cour. Quelques hommes ne sont pas maîtres de leur colère, et, au moindre dépit, ils éclatent eu propos téméraires. D'autres ne peuvent retenir leurs saillies, ni s'abstenir de bons mots,dange- reux. A tous ceux-l'a le repos convient mieux que les affaires. Une nature alticre et impatient*) doit éviter les excitations d'une liberté périlleuse. Y. Il faut ensuite peser ce que nous entrepre- nons , et comparer nos forces avec les choses que nous voulons tenter. Car il doit toujours y avoir plus de puissance dans le porteur que dans le far- deau , et nécessairement le fardeau accable lors- qu'il est plus fort que celui qui le soulève. Et puis il est des affaires qui sont moins importantes que féoondes et qui deviennent le germe de beaucoup d'autres ; or il faut fuir toute affaire d'où il nait des occupations nouvelles et compliquées. On ne doit pas s'engager dans un lieu d'où l'on ne puisse li- brement revenir. Mets la main aux affaires dont tu dois voir, ou du moins espérer de voir la fin ; abandonne celles qui se prolongent 'a mesure qu'on y travaille, et qui ne s'arrêtent pas aux limites que tu leur avais fixées. VI. Il faut également bien choisir les hommes, tari Tolentibus maenmn circumrercbat excmplar, quum inler tiiginta domiaos lilier incederet. Huiic lamen AlheniE ipsie iii carcere occidcruut; et qui tuto insulta- verat agmini lyranaorum, ejus libertatem liberlas non tiilit : ut scias et in aftlicla republica esse occasioncm s i- pienli liroad te proferenduni , et in llorenli ac beala, pecuniam, infidiani, mille alla viiia inertu'a regnare.Ut- cumtue ergo se respublica dabit , ulcuinque fortuna per- raiUet, ib aul cxplicabimus nos, aut cou:raheinus ; uli- que aiovebjmas, necalligati melu torpebimus. Iiniuo ille vir fuerit, qui periculis undique immineuiibus, ainiis circa et catenis fremcntibus , non aliserit virluleni , nec absconderit. Non cnim débet ; servare se voluit , nec ob- ruere. Lt opinor, (.urius Denlatus aicbat , malle esse se niortuum , quam vivere. Cliinium malorum est , ei viïo- ruin numéro eiire, anlequ::m moriaris. Sed facicndum erit, si in reipublica; tempus minus Iractabile incideris, ut plus olio ac lileri» «indices : nec aliter quani in pcri- culosa navigalinne , subinde porlum pelas : nec ejspectcs ddncc res te dimitlant, sed ab illis te ipse disjungas. IV. Inspicere autem debemus prinium nosmetipso», dcinde qna; aggredimur negolia, deinde ens quorum rausa , aut cum quibus ageudum est. An;e onmia nccesse est se Ipsum .rstimarc, quia fere plus nobis vidcuuir posse quam possumus. Alius elnquentia* flducia prolnbi- tur ; alius palrimonio suo plu? imperavit, quam ferre possit : alius iniirmum corpus labor ioso oppressit oflicio. Quorumdara parum idonea est verccundia rébus civilibus, qua; firmam fronteni de.siileranl- qiiorunidam contuma- cia non facit ad aulam; quidam non liabcntiramiu poles- latc ; et illos ad temeraria verba qua'libcl indignalio ef- ferl; quidam urbanitalem nosciunt contineie, nec pcri- culiisis al)slinrnt salibns. Unmibus bis utilior negotio quies est; ferox impaLiensquc natura irritamenta noci- lura; libertatis evitit. V. ^stimanda suiit deinde ipsa , quae aggredimur, et vires nosTic cuin rébus , quas lentaluri sunius, compa- raodx. Débet enim semper plus esse viriuiu in aclore, qu^im in ouere; necesse est opprimant oncra.qua; fe renie majora sunt. Quidam pia-terea non lom magna sunt neg'tia, quam fecunda, niullunique negiiliorum fe- runl; etba-c refugienda sunl, e\ (|uibus noia occu|)alio niulliplexque nascilur. Nec accedendum eo, uudu lil)er regressus non sit : bis admovenda maiius esl , quorum fimm aut facerc, aut cerle sperare posMs. Kelinqiienda, qua; latins aclu procedunt, nec ubi proposucris desi- nunl. VI. Ilomiuum nliquc delcctus liabendus esl, an digni Z16 SÉNËQUE. Toir s'ils soûl dignes que nous leur consacrions «ne partie de notre vie, ou si la perte de notre temps doit leur profiter. Car il y a des gens qui nous imputent a dette les services que nous leur rendons. Athénodore dit qu'il n'irait pas même souper chez un homme qui ne lui en aurait au- cune obligation. 'Fu comprends làen, je pense, qu'il irait encore moins clicz ceux qui compensent par leurs dîners les services de leurs amis, et font de leur table une distribulion de rations, comme s'ils étaient intempérants pour faire honneur aux autres. Eloigne d'eux les témoins et les spectateurs ; ils ne se plairont pas h une orgie secrète. H faut encore considérer "a quoi ta nature est le plus pro- pre , à l'activité des affaires, ou aux loisirs de l'é- lude et de la contemplation , et te porter du côté où t'appelle Ion penchant. Isocrate ne craignit pas d'user de violence pour arracher lîphorus au bar- reau, le jugeant plus apte à écrire l'iiistoire. Car un esprit contraint réussit mal , et tout travail est inutile en opposition avec la nature VII. Mais rien ne charme autant l'âme qu'une amitié douce et fidèle. Quel bonheur de rencon- trer des cœurs bien préparés, où tout secret puisse s'épancher en sûreté , dont la conscience te soit moins à craindre que la tienne, dont les entre- tiens calment tes inquiétudes, dont la sagesse te conseille, dont la gaieté dissipe ta tristesse, dont la vue seule te réjouisse! Ces amis, nfuis les choisi- rons , autant que possible, exempts de passions. Car les vices s'insinuent, se communiquent de proche en proche , et corrompent par le contact. Aussi, de même que, dans la peste, il faut bien se garder de s'asseoir au lit de ceux que l'atteiote brûlante du mal a déj'a touchés , car ce serait appeler le danger et respirer le mal; de même, dans le choix d'un ami , nous mettrons nos soins à nous attacher les cœurs les moins corrompus. C'est un commencement d'épidémie que le mé- lange des gens sains et des malades. Ce n'est pas que je te recommande de ne suivre , de n'at- tirer personne que le sage : où, en effet, trouve- rais-tu celui que nous cherchons dans tant de siècles? Le meilleur, c'est le moins mauvais. A peine pourrais-tu le flatter d'un choix plus heu- reux , si parmi les Platon , les Xénophon, et toule cette génération enfantée par Socrate, tu cher- chais des hommes de bien ; ou si tu avais a ta dis- crétion ce siècle de Caton , qui produisit bien des hommes dignes de naître au temps de Caton , et aussi beaucoup d'autres, les plus méchants qu'on eût jamais vus , les plus grands artisans de crimes. Il fallait, en effet, beaucoup d'hommes de l'une et l'autre sorte, pour que Caton pût être bien compris : il devait rencontrer et des gens de bien pour mériter leur approbation , et des méchants pour éprouver sa vertu. Mais aujourd'hui, dans une si grande disette d'hommes de bien, nous de- vons être moins difficiles dans nos choix. Evitons surtout les gens tristes, qui se plaignent de tout, qui se plaisent "a chercher partout des sujets de chagrin. Fût-il bienveillantet fidèle, uncompaguon toujours inquiet, toujours gémissant, est le plus grand ennemi de ton repos. Vlll. Passons maintenant aux richesses, la source la plus féconde des misères humaines. Car sint, qnibus partem vilie nostrae impendamiis, an ad illos temporis nostri jactura perveiiiat. Quidam eiiim ultro officia nostia nobisimputaot. Alticnodorus ail : « ne ad cœniim quidem se iturum ad eiiin , qui sil)i nil pro lioc dcliituriis sit. » Pulo inleliigis, inullo minus ad l'Os itu- rum , qui cum amicorum ofliciis parem meusam faciuut, qui fercula pro congiariis numerant : quasi ni alienum hororcm intempérantes sint. Dénie illis testes spectalores- que , non delectaliit popina sécréta. Considcrandum est, utruni natura tua agendis rébus, an otioso studio cou- lemplationique aplior sit : et eo iuclinanduni, quo te vis ingenii defert. Isocrates Ephorum injecta manu a fore snbduxit, utilioreni componcndis mouunientis bistoriaruin ratus. Maie enini respondent coacla ingénia; reluclaute natura irritus labor est VII. Nil (amen feque oblectaTerIt animum ,quain .imi- cilia fidclis et dulcis. Quantum bonuni est , iibi sunt prce- parala pectora, in quas luto secreluiii omue descendat, quorum conscienliain minus quani tuaiii timeas, quo- rum serino sollicitudinein lenint , senieniia consiliuni eipcdiat, hilaritas Iristiliam dissipct , couspectus ifise dc- lectet? Quos scilicet yacuos, Idem scias licet de pauperilras locnplelibasque , par illis rsse tormentum; nlrisqne cnim pecuuia sua obbaesit , nec sine sensu re- "Telll potest. Tolerabillns autcm est , ut dixi, faciliusque , ntin ac(|nlrere, quam amitterc : ideoqiic Ixtiores videbis, quos nuifquam fortuna respciit, quam quos de$eruit. Vidit hoc Diogones, vir ingputisanimi , et effecitne quid «ibi eripl posset. Tu istud paiipcrtalrm, inopiam, eges- tatem Toca , et qnod \oles ipnominiosum securilati no- nien impone ; putabo hune non essn felicem , si quem inihialium infeneris, cui niliil pereat. Ant ego fallor, aut rcgnum est.inter avaros, circumscriptores , latro- nes , plagiarios, unum es^e cui noceri non possit. Si quis de felicitaic Diogenlt duliitat , potest idem dubitare et de deorum immortalium statu , an parum l)eate degant, quod illis non praedia , nec horti sint, nec aliène colono rura pretiosa , nec grande in foro fœnus. Non te pndet , quisquis divitiis adstupes? Respice agedum mundum : nudos videbis deos, omnia dantes, nihil babentes. Hune tu pauperem putas , an diis immorlalibus similem, qui se forluitis omnibus eiuit? Feliciorem lu Dcmetrium Pom- peianum Tocas, quem non puduit locupleliorem etse Pompeio? ISumerus illi quolidie servorum , velut impera- tori eiercitus, rcterebatur, cui jam duduni divitix esse debaerant duo vicarii , et cclla laxior. At Diogeni servus unicus fugit, nec eum reducere, quum monslraretur, tauti putavit. • Turpeest, inquit,Manem siDeDiogeoe posse vivere, Diogencm siuc Mane non posse. > Videlur mibi dixisse : Age tuum nogotium , fortuna; nihil apud Diogenem jam tuum est ! Fugit mibi servus ? iiumo liber abiil. Familia vestiarium petit . victumque ; lot Tentres avidissimorum animalium tucndi sunt; emenda Tcstis, et custodienda; rapacissimx manus, et flenliuni detcstan- tiumque minisleriis ulcndum. Quanto ille felicior, qui nihil ulli débet, nisi qui facillinie negat, sibi? Sed quo- niam nunesttaDtura roborisnobis , angustanda certesunt patrimonia, ut minus ad injurias fortuna; simus eipotiti. 518 SÉNÈQUE. même I Mais puisque nous n'avons pas assez de force en nous, il faul borner notre patrimoine, pour être moins exposes aux coups du sort. Les hommes petits qui peuvent s'envelopper de leurs armes sont de plus de services que ces grands corps qui débordent les rangs, etque leur vastesnr- face offre de tous les côtés aux blessures. La meil- leure mesure de fortune est celle qui, sans tom- ber dans la pauvreté, ne s'en éloigne pas beaucoup. IX. Or, cette mesure nous conviendra, si d'a- bord nous aimons l'économie , sans laquelle aucun patrimoine ne suffit, aucun n'est assez vaste. Elle nous conviendra d'autant mieux que le remède est toujours "a notre portée, et que la pauvreté même peut se convertir en ricbesse, avecle se- cours de la frugalité. Habituons-nous à repousser le faste, et en toutes choses consultons l'utilité et non l'éclat. Mangeons pour apaiser la faim , bu- vons pour la soif; que nos appétits n'aillent pas au-del'a du besoin. Apprenons à faire usage de nos membres , 'a ne pas disposer nos vêtements et nos repas suivant les modes nouvelles, mais suivant les mœurs de nos pères. Apprenons "a redoubler de continence, à réprimer le luxe, 'a modérer la gourmandise, "a adoucir la colère, a regarder la pauvreté d'un œil calme, a pratiquer la frugalité,^ dussions -nous rougir d'opposer h des besoins naturels des remèdes peu coûteux ; enfin , "a en- chaîner les espérances effrénées, les ambitions de l'âme qui s'élance vers l'avenir, et à faire en sorte que nous devions nos richesses plutôt à nous-mêmes qu"a la fortune. 11 est impossible , je le répète, au milieu des coups si muUipliés, si aveugles du sort, de s'en garder si bien que de nombreux orages ne viennent pas assaillir ceux qui déploient au vent de larges voiles : il Tant nous resserrer sur un espace étroit , pour que les traits de la fortune frappent dans le vide. Aussi, parfois l'exil et les disgrâces sont devenus des préservatifs, et de grands maux ont été guéris par des maux plus légers, alors qu'un esprit, re- belle aux enseignements, n'admettait pas un traite- ment plus doux. Pourquoi ces adversités ne lui seraient-elles pas profitables, si la pauvreté, l'i- gnominie, une ruine totale le menacent? Un mal s'oppose a l'autre. Accoutumons-nous donc 'a sou- per sans être entourés de tout un peuple, "a nous faire servir par un petit nombre d'esclaves, 'a ne porter des vêtements que pour l'usage qui les a fait inventer, à nous loger plus 'a l'étroit. Ce n'est pas seulement dans les courses , dans les luttes du cirque , mais aussi dans celte carrière de la vie qu'il faut se replier sur soi-mâne. Même les dé- penses pour les éludes , quoique les plus hono- rables , ne me semblent raisonnables qu'autant qu'elles sont mesurées. Que me font ces biblio- thèques, ces livres innombrables dont le maître pourrait à peine lire les titres, s'il y consacrait toute sa vie? La quantité accable l'esprit et ne l'insiruit pas : il vaut beaucoup mieux s'attachera un petit nombre d'auteurs , que s'égarer avec des milliers. Alexandrie vit brûler quatre cent mille volumes , superbe monument de l'opulence des rois. Que d'autres le vantent avec Tile-I.ive, qui dit que ce fut une œuvre de goût et de sollicitude royale. Pour moi, je n'y vois ni goût, ni sollici- tude, mais un luxe scienlitique : que dis-je, scien- tifique? ce n'élaitpas pour la science, c'était pour Habiliora sunt corpora pusilla , quae in arma sua coniralii possunt , quani quae superfunduntur, et undique mngni- tudo sua Yulueril)us objecit. Optimus pecuniaB niodus est, qui nec in paupertatem cadit, nec procul a paupertate discedit. IX. Placebit autem haec nobis mensura , si prias par- cimonia placuerit, sine qua nec ullas opes sufficiunt , nec ullx non satis paient : prri non studjonini iostru- menta , sed cœnntionum ornamenta sunt. Parelur itaquc litirorum quantum salis sil , aihil in apparatuni. Hones- tius, inquis , in lios imiwnsas , quani io Corialtiia picias- que l^ibulas efruderim. Viliosum est uliique , quod oi- mium est. Quid lial)es cur ignoscas boniioi armaritim Cf dro aU\ae ebore captanti , corpora conquirenti aut igno- torum auctorum, aut improl)alorum , et inter tnt niillia libroruni osclianti , cui vuluniinuni suonitn Trontes maxi- me placent, litulique? .\pDd desidiosissimos ergo videbis, qui(|uid nratlonum hisloriarumque est , et tecto tenus exsiructa loculamenla; jam cnim inter balneariaet thcr- nias bibliolheca quoquc, ut necessarium domus orna- iiienlum, expolitur. Ignoscercm plane, si e sludiorum nimiacupidine orirctur; nunc i»ta exquisita , et cum ima- ginlbus suis dcscripta sacrorum opéra ingeniorum , in sprciem et cultum parietum comparantur. X. At in aliqiiod genus i'iUe difllcile incidisti , et tibi ignoranti vcl publica fortuna Tel privaUi laqucuoi impc- gil, quem nec solverc possis, nec abrampere. Cogila compeditos primo aegrc ferre encra et impedimenta cni- rum; dcinde , ubi non lodignari illa , sed pati proposuc- runl, nécessitas fortiter ferre docct, consuetudo facile. Inventes in quolibet génère vila; obleclamenla, et remis- siuncs, et voluptiites , si nolucris malani putare vitam potius, quani invidiosam facerc. IN'ullo milius nomine de nobis natura nieruit , quam quod (juuin sciret , quil)us srumuis nascercmur, calaniilatum niollimenlum, con- sul tudinem, iavenit, cito in familiarltatcm gravissima adducens. ISemo diiran t si rerum advcrsarum camdeni vim assiduitas tialierct, quam primus ictus. Omnes cum fortuna coputati sumus ; aliorum aurea catena est et taxa, aliorum arcta et sordida. Sed (|uid rcfcrt? eadem cuslo- dia univcrsos circumdedit; alligatique.sunt etiaiii qui alli- gaverunt, nisi tu forte Icviorem in sinisira calenam pu- tao. Aiium boni)res, aliuni opes vinciunt ; qtiosdam nobi- litas , quusdam humilitas preniit; quibusdam alicn;! supra caput imperia sunt , quiliusilam sua ; quosdam eisilia uno locotenent, quosdam sacerdotia. Oiunis vita servitiiim est. Assuesccudum ilaque conditioiii su;c , et quam mi- nimum de illa querendum; et quid>{uid lial>et circa se commodi, apprcbendcndum est. Niliil tam accrbum est, in quo nonsquus animussolatium inveniat. Exigua; sa'po arca-'inmuUos usus,dcscril>entisartc, paluere, ctquam- vls angustum pedem dispositio fccit tiabitabilcm. Adbibo SÉNÉOUE. cultes , oppose la raison ; ce qui est dur peut s'a- 1 fa fortune se retirer a sa discrétion ; mais de prem» mollir, ce qui est étroit s'élargir , ce qui est pesant s'alléger si on sait le porler. II ne faut pas d'ailleurs laisser nos désirs s'égarer sur des objets lointains , mais seulement leur permet- tre des excursions à notre portée, puisque nous ne pouvons entièrement les renfermer en nous- mêmes. Renonçant done 'a ce qui ne peut se faire , ou à ce qui se fait difûcilement , atlaclions-nous à ce (|ui est placé près de nous, et qui nous convie à l'espérance; mais sachons bien que toutes choses sont également frivoles, et que, malgré la diver- sité de leur apparence , elles ont au fond même vanité. Et ne portons pas envie 'a ctux qui sont places au-dessus de nous : ce qui nous semble hauteur, n'est qu'un précipice escarpe. Au con- traire , ceux qu'une fortune perfide a placés sur ce terrain glissant, seront plus en sûreté , si , dé- pouillant l'orgueil d'une grandeur naturellement orgueilleuse, ils abaissent, autant qu'ils le peu- vent, leur fortune a un plus humble niveau. Il en est beaucoup qui , par nécessité , sont enchaînés h leur élévation , et qui ne peuvent descendre qu'en tombant; mais ceux-l'a mômes témoignent que leur plus pesant fardeau est de se voir contraints d'ôtre h charge aux autres, au-dessus desquels ils ne sont pas élevés , mais attachés. Que par leur justice, leur douceur, l'humanité de leurs lois, la bienveillance de leur autorité, ils se préparent des ressources qui rendent leur chute moins pe- sante; et cet espoir les consolera des dangers de leur position. Rien toutefois ne les assurera mieux contre ces orages de l'âme , que de fixer toujours quelque limite "a leur grandeur, de ne pas laisser dre conseil d'eux-mêmes pour s'arrêter, et bien en-deç'a du terme. Quelques désirs viendront en- core peut-être irriter l'âme ; mais ils seront bor- nés, et ne l'entraîneront pas dans les incertitudes de l'infini. XI. C'est aux esprits incomplets, médiocres et malades , que mon discours s'adresse, et non pas au sage. Pour lui , ce n'est point avec timidité ni pas 'a pas qu'il doit marcher ; car telle est sa con- fiance en lui-même, qu'il n'hésitera pas d'aller au-devant de la fortune , et que jamais il ne recu- lera devant elle. Et en effet, il n'a pas lieu de la craindre , puisqu'il compte comme choses précai- res non-seulement ses esclaves, ses biens, ses di- gnités, mais aussi son corps, et, ses yeux et ses mains, et tout ce qui peut lui rendre la vie plus chère, et même sa personne. 11 vit comme si sa vie était un emprunt, préparé a la rendre sans regret à la première sommation. Et il n'est pas dégradé à ses yeux , parce qu'il sait qu'il ne s'ap- partient pas; mais il met à toutes choses autant de soin et de prudence qu'en met un homme probe et religieux a surveiller un dépôt qui lui est confié. Quand il lui sera ordonné de rendre, il ne se querellera pas avec la fortune ; mais il dira : « Je te remercie pour tout ce que j'ai eu et possédé. Il m'en a coûté beaucoup, c'est vrai, pour administrer tes biens ; mais puisque tu l'ordonnes, je le les rends avec reconnaissance et de grand cœur. Si tu veux me laisser quelque chose de toi , je consens encore à le garder ; si tu en décides autrement, voici l'argent monnayé et ciselé, ma maison , mes esclaves, prends, je le remets tout. » rationem difficultatibus ; possunt et dura moUiri , et an- gusta laxari , et graïia scile ferentcs minus preinere. Nou sunt praelerea cupiditates in longinquum mittcnda', scd in vicinum illis egredi peruiittamus, quoniam includi ex toto non patiuntur. Relictis his , qu£e aut non possunt fieri, aut difGculIer possunt, prope posila speique nostra; alludentia sequamur; scd sciaiuus , oniiiia a;que levia esse extrinsecus diversas faciès habentia, introrMis pariler vana. Nec inTideamusalliusstanlibus; qiia; excelsa vidc- banlur, prœrupta sunl. Illi rursus, quos sors iniqua in ancipili posuit , tutiores crunt supet biam delrahendo ré- bus per se superbis, et foitunam suani, quam maxime poterunt, in planuni deferendo. Multi quidom sunt, qui- bus necessario haerendum sit in fastigio suo , ex quo non possunt nisi cadendo de.'cendere; sed hocipsum lesten- tur, maximum onus suum esse, quod aiils graves esse coganlur. nec sublevatos se, sed suffixos: justitia , man- sueludine , humana legc, et l)enigna manu pra-parcnt multa ad secundos casus praesidia , quorum spe sccurius pendeant. Nihil lamen a?que hos ah liis animi fluctlbus V)iulica¥erit, quam seniper aliquem incrementis ternii- um flgere ; nec fortuna; arbitriiim dcsineudl dore , sed se ipsos, multoquidem citra eitrcma, hnrtentur consis- lere. Sic et aliqux cupiditates animum aruent, sed Hni- tœ; non in immensum incertumque producenl. XI. Ad imperfectos et médiocres et maie sanos bic mens sernio perlinet, non ad sapieulem. Huic uon timide, nec pcdetenlim ambulandum est; tanta enim fîduria sni est , ut obviam fortunxire non dubitet, nec unquam loco illi cessurus sit; nec bal>et ubi illam timeat, quia non mancipia lantum possessionesque et dignitalem , sed cor- pus quoque suum , et oculos , et nianum , et quidqtiid est cariorcm vitam facturmn, scque ipsum, inter precaria numéral, vivitque ut commodalus sibi, et reposcenlibns sine tristilia redditurus. ^'ec idée est vilis sibi , quia scit se suum non esse ; sed omnia lam diligenter faciet, tam circumspecte , quam religiosus bomo sanctusque solet tueri fidci commissa. Quandocunque auteni reddere ju- bebitur, non querelur cum fortuna, sed dicet : c Gra- ttas ago pro eo quod possedi , babuique. Magna quidem res tuas mercede colui , sed quia imperas , cedo grains libcnsque : si quid habere me tui volueris, etiamnunc servabo; si aliud placet, ego vero factuni «ignatumqne argenlum .domum, f^imiiiamquc meamreddo,restituo,> DE LA TRANQUILLITÉ DE LAME Sommes-nons appelés par la nature qui fut notre 321 premier créancier, nous lui dirons : « Reprends «ne âme meilleure que tu ne me l'as donnée : je n'hésite, je ne recule pas. Je te rends librement un bien que tu m'as donne "a mon insu : emporte- le. • Retourner d'où l'on est venu , qu'y a-t-il la de si pénible? On vit mal quand on ne sait pas bien mourir. Il faut donc, avant tout, rabaisser le prix de l'existence , et compter la vie au nom- bre des servitudes. Parmi les gladiateurs, dit Ci- céron , nous prenons en haine ceux qui par tous les moyens cherchent à conserver la vie ; nous fa- vorisons ceux qui portent sur leur visage le mé- pris de la mort. Rappelle-toi qu'il en est ainsi pour nous ; car souvent la peur de mourir est une cause de mort. La fortune , qui se donne à elle- môme des jeux , s'écrie : « Pourquoi t'épargnerai- je, animal méchant et poltron? Puisque tu ne sais pas tendre la gorge , tes blessures n'en seront que plus nombreuses et plus profondes. Mais toi , tu vivras plus longtemps, et tu mourras d'une mort plus prompte, toi qui as envisagé courageusement le glaive sans détourner la tête , sans opposer les mains. Celui qui craint la mort ne fera jamais acte d'homme vivant. Mais celui qui sait que cet arrêt lui fut signiQé, au moment même qu'il fut conçu, vivra selon les termes de l'arrêt, et pui- sera ainsi une force d'âme suffisante pour que rien de ce qui arrive ne soit imprévu. Car en regar- dant de loin, comme devant arriver, tout ce qui est possible , il amortira tous les malheurs. Pour l'homme préparé, pour l'homme qui s'y attend , le mal n'offre rien de nouveau ; il n'est accablant que pour celui qui vit sans inquiétude dans la Appellaverit natura, qus prior nobis credidit; et buic dicenius : • Recipe animiiin nieliorem quain dedisli; non tergiverser, ace rerugio; paralum lialics a voleute, cjuod non seotienti dedisti : aufer! > Reverti uode veneris, qnid grave est ? iiiale vivet quisquis oesciet t>ene inori. Uuic itaque primum rei pretium dclrahenduni est , et ipiritiis inter servilia numeraiidus. Gladiatores, ait Ci- cis scias; saepc enim causa moriendi est timide mûri. Fortuna illa qua; ludos sibi facit ; a Quo , iaquit, te rescrvem , malum et Irepiduni animal? eo magis coDvulneniberis et confodicris, quia ucscis pra>- berc jugulum. At tu et vives diuliui , et moricris expcdi- liu», qui terrum non subducla ccrvice, nec manibus op- positis, sed auimose recipis ! iQuimnrtem tiniebil, niliil unquam pro homine vivo facief; at qui scit bocsibi, quum concipcretur, stalim cdodictum, vivet ad forinulain et siiiiul illud (juuque eodem animi roljore pr;eslabit, ne quid ei his quœ cveniunt , subitum sit. Quidquid enim fleri polcst quasi fulurum pruspicicndo , ujalorum om- nium impetus molliet ; qui ad piipparatos cispectanles- que albil afferont oovi , securis et beata taotum «pcc- perspective du bonheur. La maladie, la captivité, la ruine, l'incendie, rien de tout cela n'est inal- lendu. Je savais dans quelle demeure orageuse la nature m'avait renfermé. Combien de fois , dans mon voisinage, ai-jc entendu les derniers adieux adressés aux morts I Combien de fois, devant ma porte, aijc vu les torches et les flambeaux précé- der des funérailles prématurées ! Souvent a retenti à mes oreilles le fracas d'un édifice s'écroulant. Bien des gens que le forum, la curie, la convci- sation avaient rassemblés autour de moi , la nuit les enlevait. Combien de mains réunies dans une étreinte amicale ont-elles été séparées 1 M'élon- nerai-je de voir un jour arriver jusqu'à moi des dangers qui sans cesse planent sur moi? Pourlani, la plupart des hommes, quand ils se mellont m mer, ne songent pas à la tempclo. Jamais, pour une bonne chose , je ne rougirai de tiler un mau- vais auteur. Publius , le plus élevé des poètes tra- giques et comiques, toutes les fois qu'il renonçait aux bouffonneries déplacées et aux quolibcls qui s'adressaient aux derniers bancs de l'amphithéâ- tre, a dit entre autres mois au-as!« repentibus; qax> in summuni cacumen , deinde in imoia f DE LA TRANQUl jnsqnaax racines, et tonjonrs à vide. C'est une vie semblable que mènent la plupart de ces hom- mes; et on pourrait à bon droit l'appeler une re- muante oisiveté. Quelques-uns, courant comme h un incendie, font pitié a voir : c'est au point qu'ils beurlent les passants, les font tomber par terre et tombent avec eux. Cependant, après avoir bien couru, soit pour saluer quelqu'un qui ne leur rendra pas leur salut, soit pour suivre les funérailles d"un inconnu, ou le procès d'un plai- deur de profession, ou les Oançailles d'un homme qui change souvent de femme, soit pour escorter une litière que de temps à autre ils portent eux- mêmes ; ils renlrent enfin chez eux, accablés d'une inutile fatigue; ils jurent qu'ils ne savent pas eux-mêmes pourquoi ils sont sortis, où ils sont allés, et le lendemain ils iront recommencer les mêmes courses. Toute peine doit donc rapporter quelque chose, doit tendre 'a quchpic but : or, ce u'est pas le travail , ce sont des chimères qui oc- cupent ces esprits remuants, non moins que les fous. Car ceux-ci même ne s'agilent pas sans un certain espoir; ils sont excités par quelque image, dont leur espi it malade ne comprend pas la faus- seté. Il en est de même pour ceux qui ne sortent que pour grossir la foule : des causes vaines et frivoles les promènent à travers la ville, et, sans qu'ils aient rien à faire, Taurore les chasse de chez eux : après avoir en vain frappéa plusieurs portes, après avoir salué tous les nomeuclatcurs, après avoir été repoussés de plus d'une maison , il n'y a encore personne qu'ils trouvent plus difliciiemcnt au logis «lueux-mêmes. De celle mauie résulte un vice des plus odieux, l'habitude de se mettre aux LLITÉ DE L'AME. 525 écoutes, de s'enquérir des secrets publics et privés, d'apprendre une foule de choses qu'on ne peut, sans péril, ni raconler ni entendre. C'est h cela , je pense, que Déraocrite faisait allusion en disant : « Celui qui veut vivre tranquille ne doit entre- prendre que peu d'affaires, soit publiques, soit privées. I) Cela se rapportait sans doute aux af- faires inutiles. Car, pour celles qui sont néces- saires, on doit non-seulement entreprendre beau- cuup, mais même n'en pas fixer le nombre; si toulefuis nul devoir important ne nous aii|)cll(; , il faut nous abstenir. XIII. Car celui «[ui fait beaucoup donne h la fortune beaucoup de prise sur lui. Le plus .sûr est de la mettre rarement à l'épreuve; du resie, de penser toujours à elle, et de ne rien se pronicllre de sa loyauté. Je m'embarquerai, si quelque ac- cident ne m'arrête; je serai préleur, si quelijue obstacle ne s'y oppose; celte affaire me réussira, si quelque malheur ne s'en mêle. Voilà comment nous disons que rien n'arrive au .sage contre son attente ; nous ne l'avons pas exempté des acii- deuts, mais des erreurs de l'homme : toutes cho- ses ne tournent pas comme il l'a voulu, mais comme il l'a prévu ; or , il a prévu avant tout que quel(|ue chose pouvait contrarier ses projets. Il est certain que la douleur d'une passion déçue touchera bien plus légèrement ton âme, lorscjuc tu ne te seras pas flatté d'avance du succès. XIV. Nous devons aussi nous rendre souples et faciles,' pour ne [as trop nous attacher à nos pro- jets. Passons dans le chemin où nous mènera le sort, cl ne craignons pas lescliangemenlsdedessein ou de condition, pourvu que ce ne soit pas la lé- inanes aKuntur. Ilis pifriquc siiiiilcni TiLini agunt, quo- rnoi Doa iiiinierito i|U s iui|uicliiiii inerliam diieril. Quo- rumdam, qua«i ad inccniliuni currentiuiii, niUeroris; us- i|ue eo iinpcllunl ohvios, et se alosque pra'cipitant; ^num iateriin cucurrcrint , ant salutiituri aliqiiein nou resalutatunini , aul fuiius ignuti honiinis pn»cciitun , sut judicium sn'pe li.igaiitis , autsponsalia s.ipc nubeu.is, et leciicani afTeclali quiUusUain lucis et ip^i tulcriat; deiade doniuin cuni supervacua redcuiitcs lassiiiidiuc , jurant Descissese ipsos , quareeiieriiit, ubi fueriat, pos- tera die erraturi pcr eadeni illa vcsligia. Oiiiuis itaqiie labor aliquo rcterutur , iiIii|uo ropicial. ^(>u iudusiri.i inquietoi et iosanos, fjtsce rerum iiiiagiues agitant; nain ne illi quidein sine alii|ua spc mjveuur; proriiat itios alicujus rei speciei , cujus Taoitateni raplu ii.eiis iiuacuar- guit. Eodem nuido unuiiiqueii.que ci liis, qui ad augeii- dani turbaiu eieuiit, inanos et levés causa; per urbt'iu circumducunt, nitiilque halientein in quo h;borct lux orta expeUH; etquuni motturuiii frustra liminibus illisus uoniencliitorcs persalutatit , a miillis exdusus, ni'iiiincm e« omnibus riilliciliu» doiui , quain .se , convcnit. Ex hoc nialo dcpcndet illud tctcTriinuin %itiuni , auscuUatio, et imblicuruni secretorumque inquiùtia, et niiiUaruiu rcruin scientia , qux nec tuto narrantur , ncc tiito audiuutur. Ilocsecutuni pulo Deinucriluin ila c(rpis,se : • Qui tran- quille volet vivere, nec privaliui agat nuilui, ncc pu- bliée ! » ad supervacua stilicet rcfiTcntcui. iNani si neees- saria .sunt, et privalim et publiée ni)n taiituni nmlla , sed innunierabilia agenda suul; u!)i vero nullum oiticiuni sulenine nos citai, iuhihendic iic.ioncs sunl. XIII. Kam qui uiullaaKit, sape furluna; poteMalciu suifacit; quim tulissimum est raro eiperiri, eeteruiii seniper de illa cogitarc , et silii nihil de Tidc ejus pr oiiiil- tere. Navigabo, nisi si quid incidcrit; et pra'tdr liarn , nisi si qiiidobstitcrit; et negnliutio niibirespondeliil, nisi si quid intervenerit. Hoc est qnare sapienti nitiil eonlra opiuioneni dicamus aceidere; nonijiuni easil>us!iniiiinuni eicepimus , scd erroribus; nec illi onuiia, ni voliiit, ce- duiit, sed ul cogilavit; inprimis autem cogilavit, atind posse propositis suis resislere. Nccesse est aiiteni leviu.i ad aniumm perveiiirc dcstitula; cupiiliialis dolorcm, cui succe.ssuni non uliquo proniiseiis. XtV. Faciles eliam nos fiicerc debemus, ne nimis iles- linalis rébus indulgeainus; Ir nseaniiis in ea, iu qua; nr;s casus deduxerit; ncc nmlaliones ant consilii ant status pcrliiucscanius; duininudo noi levilas , inimicissiinum -21. 524 SÉNÈQUE. gèreté, le vice le plus ennemi du repos, qui nous entraîne. Car l'obslination est nécessairement in- quiète et malheureuse, la fortune hii enlevant toujours quelque chose ; plus fâcheuse encore est la légèreté, qui ne peut s'arrêter a rien. Ce sont deux excès également contraires a la tranquillité , de ne pouvoir rien changer , ni rien souffrir. Il faut donc que l'âms , rentrant en elle-même , se détache de tous les objets extérieurs, qu'elle ait confiance , qu'elle se réjouisse en soi , qu'elle es- time ses propres biens , et se retire autant qu'elle peut de ceux d'autrui ; qu'elle s'appuie sur elle- même , insensible aux pertes, et prenant en bonne part jusqu'à l'adversité. Notre Zenon, apprenant <|uc tous ses biens venaient de périr dans un nau- frage: « La fortune, dit-il, m'ordonne de philo- .sopher mieux à mon aise. » Un tyran menaçait de la mort le philosophe Théodore , et d'une mort sans sépulture. « Tu as, dit-il, de quoi te satis- faire; j'ai une pinte de sang a ton service : quant a la sépulture, quelle ineptie de penser que je m'inquiète de pourrir sur la terre ou dessous? » Canus Julius, homme des plus remarquables, qui n'a rien perdu de sa gloire, même pour être né dans notre siècle , ayant eu avec Caïus une longue altercation, ce Phalaris lui dit, au moment où il s'en allait : « No te flatte pas au moins d'une folle espérance ; j'ai ordonné ton supplice. » — H Je te remercie, reprit-il, excellent prince! » Quelle était sa pensée? je l'ignore ; car il se pré- sente il moi plusieurs conjectures. Voulait-il le braver etlui montrer toute l'étendue d'une cruauté qui faisait de la mort un bienfait? ou lui repro- chait-il cette démence de tous les jours, qui obli- geait à lui rendre grâces ceux dont il tuait les enfants, et dont il ravissait les biens : ou bien, recevait-il avec plaisir la mort comme un affrau- chissement? Quoi qu'il en soit, sa réponse partait d'un grand cœur, o Mais, dira-t-on, Caïus aurait pu le laisser vivre. » Canus n'avait pas cette crainte : pour de tels ordres on connaissait l'exac- titude de Caïus. Croiras-tu que Canus passa dans la plus parfaite tranquillité les dix jours d'mter- valle qui devaient s'écouler entre sa condaranatiou et son supplice ? Les discours , les actions , le calme profond de ce grand homme dépassent la vraisem- blance. Il jouait aux échecs lorsque le centurion traînant une troupe de condamnés, vint l'avertir. Canus compta ses points, et dit "a son adversaire: « Ne va pas, après ma mort, dire faussement que tu m'as gagné. » Puis, se tournant vers le centurion : « Tu seras témoin que je le dépasse d'un point. » Penses-tu que Canus jouait sur ce damier? Non; il se jouait. Ses amis étaient con- sternés de perdre un tel homme, o Pourquoi vous affliger, dit-il : vous vous demandez si les âmes sont immortelles ; moi je le saurai lout'a l'heure. » Et il ne cessa pas, jusqu'au dernier moment, de chercher la vérité , et de demander 'a sa mort une solution. Son philosophe l'accompagnait; et déjà on approchait de l'éminence oii tous les jours on faisait des sacrifices à César notre dieu : « A quoi penses-tu , Canus? dit-il , et quelle idée t'occupe? » — « Je me propose, répondit Canus, d'observer, dansée moment si rapide, si l'âme se sent en aller. » Et il promit, s'il découvrait quelque quieli vitium , non escipiat. Nam et perlinacia necesse est anxia et misera .sit, c.ii forluna saepe aliquid extor- que!; et levitns niulto gravior, nusquaiii se conliuens. IJIrunique inrestuin est tranqiiillitati, et nihil niutare posse, et niliil pâli. Utique aniiiius ab omnibus externis in se revocandus est; sibi coiilidat, se gaudeat, sua siis- piciat, recédât, quantum potest, ab alieuis , et se sibi applicet , damna non sentiat, eliam adversa bénigne in- tcrpretetur. Nuntialo naufragio, Zeno nosler , quum omnia sua audiret sulmiersa, jubet, inquit, me lorHiiia cxpediliusptiiloscpliari. Minabatur Tlieodoro philosoplio tyninnus niorlem, et quideniinsepultam. «llabes, inquit, ciir tibi placeas ; hcmina sanguinis iu tua potesiate est ; nam quud ad sepnlturam peitinet, o te ineptura , si pu- tas interesse, supra terram, an infra putrescam.» Canus Julius, vir iuprimis magnus, cujus admiratinni ne lioc quidem obslat, quod uostro seculo natus est, cuni Caio diii altercatus, postquam abeunli Phalaris ille dixit : « Ne fi)rte inepta spe lit)i lilandiaiis, duci te jussi ! « • (initias , inquit , ago , oplirae princeps ! » Quid sen- serit, dubito; multa enim occurruut niibi. Conturaelio- sus esse yotuit, et oslendere quanta crudelitas esset, in qua mors bcneliciura erat? An exprobravit illi quolidia- oam dcmeQtiam?agebaQt enim grattas, et quorum liberi occisi , et quorum liona ablata erant. An tanquam liber- tatem libenter aceepit? Quidquid est, magnuanimo res- poadit. Dicet aliqnis : Potuit post liœc jul)ere illmn Gains vivere. Non limuit tioc Canus; nota erat Caii in talibus itnperiis fides. Credisne illum decem medios us- que ad supplicinm dies sine ulla sollicitndine exegisse ? Terisimilenon est, qua; yir ille dixeril, quîerecerit, quant in tranquillofuerit? Ludebat latmnculis.quum centurio, agmen perilnrorum trahens. illumquoquecicitarijubel. Vocatus numeravit calcules, et sodali suo : « Vide, in- quit, nepostmortem meam mentiaris te »icisse! » Tuni aunuens cenlurioni , « Testis , inquit , cris , une me anle- cedeie. > Lusisse tu Canum illa tabula putas? illusil. Tristes erant amici talem amissuri viruni. > Quid mœsti, inquit, estis? Vos qusritis, an immoriales animx sint ; ego jain sci ini ; » cec desiit in ipso veritatem fine scru- laii, et ex niorle sua quaestioneni habere. Proseqncbaiur illum philosopbus suus. nec jam procul erat tunmlus, iu quo Caisari Dec nostro fiebat (;uotidianum sacrum. « Quid, inquit. Cane, nunc cogilas? aut quœ tibi mens est? » « Observare , inquit, Canus, proposui illo velo- cissimo niomento , an sensurus sit animus eiire se ; • proniisitque , si quid explorasset, circumiturum amicos et indicaturuiu quis cs^et animarum status. Ecce ia me DE LA TRANQUILLITÉ DE LAME. â2S cbose, de revenir trouver ses amis, pour leur dé- voiler la condition des âmes. Voilà de la tranquil- lité au milieu de la Icmpôte ! Voilà un homme digne de l'élernité! lui qui appelle le trépas en témoignage de la vérité; qui, placé aux dernières limites de la vie, interroge son âme qui s" échappe; et qui non-seulement veut apprendre jusqu'à la moit, mais encore apprendre quelque cbose de la mort elle-môme. Personne n'a philosophé plus longtemps ! Mais il ne faut pas quitter brusque- ment un si grand homme, dont on ne doit parler qu'avec vénération. Oui, nous transmettrons ton nom à tous les siècles , illustre victime, qui liens une si grande place dans les forfaits de Caïus ! XV. 11 ne suTOt pas d'éloigner les causesper- sonnellcs de tristesse : quelquefois nous sommes atteints de misanthropie, et nous nous repré- sentons toute la foule des crimes heureux, et l'honnêteté si rare, et l'innocence si obscure, et la bonne foi négligée quand on n'y trouve rien à gagner, et les prolits et les prodigalités également odieuses de la débauche, et l'ambition dépassant uiâme ses propres bornes , jusqu'à chercher l'éclat dans la turpitude. Alors l'âme se perd dans les ténèbres; et, comme si c'en était fait des vertus, lesquelles il ne lui est ni permis d'espérer chez les autres, ni proGtable d'avoir en elle, une som- bre nuit l'environne. Il faut donc nous accou- tumer à regarder les vices des hommes non comme odieux, mais comme ridicules; imitons Démocrite plutôt qu'Heraclite. Car celui-ci pleu- rait toutes les fi)is qu'il sortait en public ; celui-là riait. L'un, dans tout ce que nous faisons, no voyait que misère, l'autre que folie. Il faut donc attacher à tout peu d'iniporlance, et tout sup- porter avec calme; il est plus dans l'humanité de se moquer de la vie, que de la déplorer. D'ailleurs, on mérite mieux du genre humain à en rire qu'à en pleurer. Dans le premier cas, on laisse quel- que place à l'espérance; dans le second, il y a sottise à gémir sur ce qu'on désespère de pouvoir corriger. Enfln , à tout bien considérer , celui qui ne peut s'empêcher de rire a plus de caractère que celui qui ne peut retenir ses larmes ; car il ue remue en lui que l'affection la plus légère de l'âme, et, dans tout cet appareil de la vie, il ne voit rien de grand, rien de sévère, rien même de sérieux. Que chacun se représente toutes les causes qui peuvent nous réjouir ou nous attrbter, et il re- connaîtra la vérité de ce que disait Bion : « Toutes les affaires des hommes ressemblent à des comé- dies, et leur vie n'est pas plus respectable, ni plus sérieuse que des desseins ébauches. » Mais il vaut mieux accepter tranquillement les mœurs communes et les vices des hommes, sans se lais- ser aller ni aux rires ni aux larmes. Car , se tour- menter des maux d'autrui serait un supplice éter- nel; et se réjouir des maux d'autrui, c'est un plaisir inhumain ; comme aussi c'est une compas- sion inutile, que de pleurer et de composer son visage, parce qu'un homme va meltre son fils enterre. Il faut de même, dans tes malheurs privés, accorder à la douleur, non ce qu'exige l'usage , mais la raison. Car bien des gens versent des larmes seulement pour les faire voir, et ils ont toujours les yeux secs dés qu'il n'y a point de témoin : ils pensent qu'il y a de la honte à n« pas pleurer quand tout le monde le fait. Ce tra- dia tempestate tranquillilas I eccc aaimaa sternilate dig- niu, qui ralum suum in arguniealum Teri vocat, qui in nitinio illo gradu | osilus eieuntem aoimam perconlatur, Dec usque ad inorleni lantum , sed aliquid eliain ci ipsa morte discit ! ISenio diutius pbiliisopbatus: . Sed sa- lins t'st , pulilicos moies et hunianu \\l\;> placide acci- perc, uec in risum , ncc in lacrimas excidcre. Nam alii- nis malis torqueri , a?tcrna miseria est ; alienis dclectari malis, viilnptas inhumana ; sicut illa iiiiitilis humanilas, (lere, quia aliquis filium efferat, et frontem suani (in- gère. In luis quoque malis id agerc le oportet ut dolori tanlum des quantum poscit ratio , non quaulum cousue- tudo. Plerique enim lacrimas fnndunt, ut ostendant , et loties siccos oculos habent, quolies spectalor dcfuit , lurpe judicantcs non Here , quum omnes faciant. Adei) pcnitus hoc se nialum flxit, ei aliéna opinioac pcndere. 326 SENE vers, de dépendre de l'opinion d'aufrui , a pris de si profondes racines, que le sentiment le plus naïf, la douleur, s'est appris à feindre. Vient en- suite une considération qui, d'ordinaire, et non sans raison nous attriste et nous jette dans le découragement, c'est la mauvaise fortune des hommes de bien. Ainsi, Socrate est obligé de mourir en prison ; llutilius, de vivre dans l'exil ; Pompée et Cicéron, de tendre la gorge 'a leurs tlionis; et ce Galon , la vivante image de la vertu, de témoigner , en se jetant sur sou glaive , que la républi(]ue périt avec lui. On doit nécessairement s'affliger quand la fortune distribue de si injustes récompenses : et chacun de nous, que peut-il es- pérer en voyant ce qu'il y a de meilleur souffrir ce qu'il y a de pire? Que faire donc? Voir com- ment chacun d'eux a supporté l'infortune, et, si c'est avec fermeté, envier leur grand cœur : s'ils sont morts lâchement et comme des femmes, en les perdant on n'a rien perdu. Ou bien leur fermeté les rend digues de ton admiration , ou bien leur lâcheté les rend indignes que tu les plaignes. Quoi de plus honteux pour nous, si la mort cou- rageuse des grands hommes nous rendait timi- des? Louons ce héros digue de tant de louanges, et disons : D'autant plus heureux, que tu as été plus brave, tu as échappé aux misères humaines, "a l'envie, à la maladie ; te voila sorti de prison : tu n'as pas, devant les dieux, mérilé la mauvaise fortune, mais que désormais la fortune ne pût rien contre toi. Mais, pour ceux qui reculent et qui, sous le coup de la mort, ramènent leurs re- gards vers la vie, ii faut les livrer au bourreau. QUE. Je ne pleurerai ni l'homme qui se réjouit, ni l'homme qui pleure. L'un a déjà essuyé mes lar- mes ; l'autre a fait, par ses larmes, qu'il n'est plus digne des miennes. .Moi je pleurerai Hercule qui se brûle vivant; Kégulus, percé de mille pointes; Caton , supportant ses blessures avec tant de courage? Tous ces hommes, au prix de quelques instants, ont gagné de devenir éternels : c'est par la mort qu'ils sont parvenus a l'immortalité. Ce n'est pas un médiocre travail que de se composer laborieusement, de ne jamais se montrer simple, ainsi que tant de gens dont la vie n'est qu'un dt"- guisement, une parure d'ostentation. Quel tour- ment que cette surveillance assidue de soi-même, que celte crainte d'être surpris hors de ses habi- tudes! Nous ue sommes jamais libres de souci, quand nous croyons qu'on nous juge tontes les fois qu'on nous aperçoit. Car bien des choses ad- viennent, qui nous dévoilent malgré nous; et si bien que réussisse celle attention sur soi-même, cependant la vie n'est pas plus douce, plus tran- quille pour ceux qui vivent toujours suus le masque. Mais quel contentement renferme celle simplicité franche, qui n"a d'autre ornement qu'elle-même, qui ne jette pas un manteau sur ses mœurs? Toutefois celle vie même s'expose au mépris, si elle se révèle tout entière "a tous. Car il y en a qui dédaignent ce qu'ils voient de trop près ; mais ce n'est pas la vertu qui risque de se déprécier en s'offrant aux regards , et il vaut mieux être méprisé pour sa simplicité, que d'être tourmenté par une dissimulation perpétuelle. II faut toutefois eu cela une juste mesure. Car il y ut in simulat'onemetiamsimplicissinia rcs , dolor, veniat ! Sequitur pais, qu:B solet non imnierito contristare , et in .soliciludinem aiiiiucere, ul)i bonorum esitns mali sunt. X]l Sucrâtes cogitur in carcere luori, Rulilius in cxsilio vivcrc , Punipeius et Cicero clienlibus suis pia'hcre cer- viceni ; Cato ille , virluluni viva imago , incunibens gla- dio, siinul de se ac de icpublica palain facere. Nccesse est torqueri, tani iniiiuj pra?niia forlnuampersolvere; et quid sibi quis(|iie nunc spcret, c,uum vident pessinia op- timos pati ? Quid ergo esl? vide quomodo quisi|ue illorum tulei'il;et si fortes fuerunt, ipsoruin illos auinios desi- dera; si muliebriler et iguave peiierc, nlbil periit. .\ul digni sunt, quorum vii'lus tlbi placeat; aut iudigni, quo- rum desideretur ign nia. Quid cnim est lurpius , quam si maximi viri liniidos fort.ter nioriendo faciunt ? Laude- nius loties dignum laudibus, etdicamus : ïanto fortior, tanto fciicior! humanos cffugisii casns, livoreni, inor- bum; exisli ci custodia; nou lu dignus mata forluna diis Tisus es, sed indignus in queni jam aliquid fortuna posset ! Subducentibus veto se, et in ipsa morlc ad vitam respec- tantibus nianus injicienda; sunt. IScminem flebo la-tum , ncmiucm flentem; ille lacrimas meas ipse abslersit; liic suis lacrimis cffccit , ne uUis dignus sit. Ego Herculeni fleam , quod vivus uritur , aut Begulum , quod tôt clavis configilur, aut Calunem, quod vuluera sua forliter lulilî Omnp.ii isli levi teniporis inipensa inveneruiit, quoundo aeterni fièrent; ad ininiortaliaem niorieudo veneriint. Est et illa soliciludinumnon mediocj is materia. si te an\ie coniponas , nec ulli siuipliciteros eudas; qualisniultoruni vila est, ficla, et oslenta.ioni parala Torquet enini a.ssi- doa obscrvatio sui, et dcprehendi aliter, ac folit,nie- tuit; nec unquani cura solvinmr,ul)i loties nos aeslimari pulamus, quolies aspici. Nani et nuilla incidunt, qus iuvilos dénudent; et ut bene cédai tanta sui diligen ia , nontamenjucunda vila, aut secura est, seraper sub per- sona viveniium. Al iila quantum babet voluptatis sincera et per se ornala simplicitas, nihil obtendens moribus suis? Subit lamen et haîc vila conlenilus pcriculum, si omnia onmibus patent; sunt cnim qui fasiidi.mt, quid- quid propius adicrunt. Sed nec*irtiiti periculuni est, ne aduiota oculis revilescat; et salins est sinqilicitale con- tcnini, quara perpétua siinulatione torqueri. Modum ta- men rei adhibeamus; niullum inteiest, simpliciter viïas, an ncgligenter. Mullum etin serecedendum est; conîer- satio enim dissimilium bene composita disturbat, et re • novat affcctus , et quidquid imbecillum in animu , nec DE LA TRANQUl a bien de la différence enlre vivre simplement ou avec trop d'abandon. Il faut souvent se retirer en soi-même ; car la société do ceux qui ne nous res- semblent pas trouble l'harmonie de notre âme, réveille les passions, irrite toutes les plaies du cœur qui ne sont pas bien fermées. Il faut néan- moins entremêler , alterner ces deux choses, la solitude et le monde. La solitude nous fera désirer les hommes, et le monde nous-mêmes; Tune sera le remède de l'autre. La solitude nous guérira de l'aversion pour la foule; la foule , des ennuis de la solitude. Il ne faut pas toujours tenir l'esprit tendu vers la même chose; il faut quelquefois le ramener au plaisir. Socrale ne rougissait pas de jouer avec des enfants; Caton réjouissait parle vin son esprit fatigue des affaires publiques; et Scipion, ce héros, ce triomphateur, s'exerçait "a la danse, non pus en se déhanchant avec mollesse, comme font aujourd'hui ceux qui, même en mar- chant, se laissent aller à des poses plus molles que celles des femmes; mais à la manière de nos an- ciens héros, lorsque, dans les jeux et les fêtes, ils s'abandonn.iient à une danse virileoù iU n'eussent rien perdu de leur honneur à être vus, même des ennemis de la patrie. Il faut donner du relâche à l'esprit; après le repos il se relève plus fort, plus ardent. De même qu'il ne faut pas trop exiger d'un champ fertile, car une fécondité toujours active l'épuiserait bient'it; de même un travail assidu brise la vigueur de l'âme. Un instant de repos et do distraction lui rend ses forces. L'assiduité du travail produit dans les âmes l'affaissement et la langueur. Les hommes ne seraient pas entraînés avec tant d'ardeur vers les jeux et les divertisse- LLITÉ DE L'AME. S27 ments, s'ils n'y trouvaient naturellement un cer- tain plaisir, dont le trop grand abus ferait perdre à l'esprit toute solidité et toute vigueur. Car le sommeil aussi est nécessaire "a la réparation des forces; cependant, le prolonger jour et nuit se- rait une mort. 11 y a une grande difféience entre relâcher les choses, ou les délier. Les législateurs ont institué des jours de fête pour réunir les hom- mes dans des réjouissances publiques ; ils ju- geaient nécessaire d'interrompre leurs fatigues par ces délassements. Et de grands hommes, m'a- t-on dit, se donnaient chaque mois certains jours de congé : d'autres partageaient chaque journée entre le repos et les affaires. C'est ainsi , je m'en souviens, qu'Asinius Pollion , ce grand orateur, ne se laissait retenir par aucune affaire, passé la dixième heure; de ce moment, il ne lisait pas même ses lettres, de peur qu'elles ne lissent naî- tre quelque soin nouveau; mais pendant ces deux heures, il se reposait des fatigues de toute la jour- née. D'antres s'arrêtent au milieu du jour, et re- mettent 'a l'après-midi les affaires de moindre importance. Nos ancêtres défendaient d'ouvrir, dans le sénat , une délibération nouvelle après la dixième heure. Les soldats se partagent les veilles, et ceux qui reviennent d'une expédition ont la nuit franche. Il faut ménager l'esprit et lui accor- der de temps à autre un repos qui soit comme un aliment 'a ses forces : la promenade dans des lieux découverts, sous un ciel libre et au grand air. élève et agrandit l'âme. De temps à autre un voyage en litière, un changement de lieu redon- neront de la vigueur, ainsi qu'un bon repas, quelques coupes bues au-delà du nécessaire : par- pcrcuratom est, ciulccrat. Mitcenda tamcn isla, etal- lernanda »uat , soliUido et trequeiitia. Jllii noL'is Taciet honiinam desidcrium , ha-c nosUi ; et erit altéra altcriiis reniedium; (xtiuni turbx saaabit soliludo, la-dium soM- tud nis turba. Nec in eadeiii inlentioDea'(|ualitcrreiiiieDda mens est, sed ad jocos reiocaada. Cuii! pueris Sociales ludere non ei"ubescel)al; et Caio vinu laxaliat aniniuiii , curis pul>licis faligatum; et Scipiu triunipliatc illnd et mititare corpus movit ad numéros, non nidlliter se in- fringens, ut nuncnios est etiam inccssu ipso ullra niulie- brem mollitieni lluenlilius; sed ut illi antiqui >iri sole- Iwnl, Inter lusum ac festi lempora , ^irilcni in nioduni tripudiare, non facturi detriiiientuRi , eijani si ab hosti- bu5 suis spectarenlur. Danda est remissio auimis; nu-lio- res acrioicsqiic rcquicli surgcnl. Ut ferlllil)us agris uou est irnperandum , cilo enim cihauriet iltos uunquam in- termissa TecuDditas ; ita animorum inipcliis assiduus labor frangit. Vires récipient paulum rcsoluli et rcmissi. ISas- citur ex assiduitate laboruni animorum lieltetatio quœ- dam, et laoguor. Piec ad hoc tanta homiuum cupidi^it tcnderel , nisi uaturalcm quamdam voluptatem haberet lusu? jocusquc, quorum frequens utus, omne auimis pon- dus omnemque ïim eripiet. îant; quuiem l'ollionem Asinium , orato- rem mn(.'mim, niemiuiniMs, queni nulla risu ti'a dcoimani reùriuit; ne epi>tolas quidein posi c.im himini li'^cl)it , ne quid uova? cura; nascerctur; sed liilius di< i lassitudi- nemduabus illis lioris p(incl)at. Quidam uieilio die iiitiT' juuxcnuit , et in poslmcridianas boras aliqciid li'vioiis opéra; dislulcrunt. Majores quoqni; noslri novam relatio- ncm, post tioraui dccimam, in senalu fieri vetabant. Mi- les vigilias diïidit , et nox iniiuunis est ab espedilioue re- dcuniium. Indulgcndum est aniuio; djndiimijm; subinde otium, quod alinuuli ac viriuni loco sil; et in ambula- lionibus apertis vagandum , ut colo libero cl nmlto spi- rilu augeat atlollati|ue se animus. Aliquaudo veclatio iter- quc et mutjta regio ligorcm dabunt, couvictusque et li- 528 SÉNÈQUE. fois même on peut aller jusqu'à l'ivresse , non pour s'y noyer, mais pour s'y distraire. Car elle chasse les soucis, remue l'âme jusque dans ses profondeurs, et, entre autres maladies, guérit la tristesse. L'inventeur du vin a été appelé Liber, non parce qu'il provoque la licence des paroles, mais parce qu'il libère l'âme de la servitude du chagrin, la soutient, la fortifie et l'enhardit à toutes sortes d'efforts. Mais, dans le vin comme dans la liberté , la modération est nécessaire. On assure que Selon et Arcésilaûs se livrèrent au plaisir du vin. On a reproché à Caton l'i- vrognerie : ceux qui lui adressent ce reproche me feront plus facilement voir une vertu dans ce défaut, qu'un vice chez Caton. Néanmoins, quoi- qu'il ne faille pas en user trop souvent, de peur d'en contracter la mauvaise habitude , on peut quelquefois appeler l'âme au plaisir et à la liberté, et s'écarter pour un temps d'une sobriété trop austère. Car si l'on s'en rapporte au poète grec : (I 11 est doux quelquefois de perdre la raison. » Platon a dit : « Vainement un homme de sang- froid frappe aux portes des Muses ; » et Aristote : « Il n'y eut jamais de grand génie sans un grain de folie. » 11 n'y a qu'une âme émue qui paisse parler dans un langage au-dessus du vulgaire. Lorsque, dédaignant les pensées de tous les hom- mes et de tous les jours , elle s'élève dans ses in- spirations sacrées , alors elle fait entendre des ac- cents surhumains. Tant qu'elle se renferme en elle-même, elle ne peut atteindre rien de sublime et aucune cime escarpée. Il faut qu'elle s'écarte des routes battues , qu'elle prenne son essor, et que, mordant son frein, elle entraîne son. guide et le transporte en des lieux qu'il n'aurait osé de lui-môme escalader. Voilà , cher Sérénus , par quels moyens on peut conserver la tranquillité de l'âme , la regagner, et résister aux insinuations du vice. Mais n'oublie pas qu'aucun d'eux n'est assez fort pour garder un bien si fragile , si notre âme chancelante n'est environnée de soins constants et assidus. beralior potio ; nonnunquam et usque ad ebrietatem ve- niendum , non ut mergat nos, sed ut déprimât. Eluit enim curas , et ab imo animum movct ; et ut morbis quibusdam, ita tristiliae medetur : Liberque non ob licentiam linguae dictus est inTentor vini, sed quia libérât servilio cura- rum animum , et asserit, vegetatque et audaciorem in oranes conatus facit. Sed ut libertatis , ita vini salnbris moderatio est. Et Solonem, Arcesilaumque induisisse vino credunt. Catoni ebrietas objecta est ; facilius effleiet , quisquis objecerit , hoc crimen bonestum , quam turpem Catonem. Sed nec séepe faciendum est, ne animus malam consuetudinem ducat; et aliquando taraen in eisultatio- nem libertatemque extrahendus, tristisque sobrietas re- movenda paulisper. Nam , sive Grasco poetœ credimus , • Aliquando et insanire jucundum est : » sive Platoni , « Frustra poeticas fores compos «ui pcpulit : » sive Aristo- teli , • NuUum magnum ingenium sine mixtura demeu- tix fuit. • Non potest grande aliquid et supra ceteros loqui nisi mota mens. Quum vulgaria et soUta contem- sit, instinctuque sacro surreiit eicelsior, tune demom aliquid cecinit grandius ore mortali. Non potest sublime quidquam et in arduo positum contingere, qnamdia apud se est. Desciscat oportet a solito, etefferatar, et mordeat frenos, et rectorem rapiatsuum; eoque ferai quo per se timuisset ascendere. Habes , Serene carissiine, quae possint tranqniUitalem tueri , quae restituere , quae surrepentibus vitiis résistant. Illnd tamen scito , nibil horum satis esse validum, rem imbecillam servanti- bus , nisi intenta et assidua cura circumeat aninram 1»- bentem. COCS088COOSSOSt :s8ss3Q£e £ ssssssssssse DE LA CLÉMENCE. LIVRE PREMIER. I. Je me suis proposé, Néron César, d'écrire sur la clémence, pour le servir en quelque sorle de miroir, el, en te montrant à toi-même , te faire arriver a la première de toutes les joies. En efTet, quoique le véritable fruit des bonnes actions soit de les avoir faites, et qu'aucun prix digne de la vertu ne se trouve en dehors d'elle-môme , il est doux pourtant de contempler, de parcourir une bonne conscience; pois de jeter les yeux sur cette foule immense, discordante, séditieuse, effrénée, prête à s'élancer également à la perte des autres et à la sienne, si elle vient à briser son joug; il est doux de pouvoir se dire : a C'est moi qui suis le préféré entre tous les mortels, choisi pour rem- plir sur la terre les fonctions des dieux ; c'est moi qui suis parmi les nations l'arbitre de la vie et de la mort. Le sort et ,1a condition de chacun sont dans ma main. Ce que veut donner la fortune à chacun des hommes, elle le déclare par ma bouche : c'est de notre réponse que dépend la joie des peuples et des villes. Nulle pariie du monde ne fleurit que par ma volonté et ma faveur. Tous ces milliers de glaives que ma paix retient dans le fourreau , vont eu sortir à mon signal. Quelles nations seront anéanties, lesquelles seront transportées , lesquelles rece- vront la liberté, lesquelles la perdront, quels rois deviendront esclaves, quels fronts seront ornés du diadème royal, quelles villes tombe- ront, lesquelles seront fondées, tout cela est'de mon ressort. Avec ce pouvoir de tout faire, je n'ai été entraîné à ordonner d'injustes supplices ni par la colère, ni par la fougue de la jeuuesse, ni par la témérité et l'obstination des hommes, qui siiuvent chassent la patience des cœurs les plus calmes, ni par cette gloire cruelle fréquemment LIBER PRI.HUS. I. Scrit>ere de clementia, Kero Csur, ioititni, ut quodammodo speciiU vice fuogerer, et te tibi ostendereni perTentarum ad TOluptatem niaximam omnium. Quam- vi« enim recle factorum vcrus fructus sit fecisse, nec ul- lum yirtutuni pretium dignum lllis eitra ipsas sit , juvat iosp'cere et circuire tx>aam conscienliam , tum immittere oculos In hanc immensam mnltitndioem , discordera, se- ditiosam, impoleolem, in perniciem alienam suamque pariter eisultaturam , ai hoc jugum fregerit, et ita loqui (ecum : « Ego ei omnibn» morlalibua placuj , electusque fum , qui in Icrris deorum vice fungerer; ego *ilœ necis- qae gentibus arbiter qualem quisquc sortcm ttatnm- que babeat, in manu mea |)ositiim est. Quidculquc mor- taliuni fortuna datum velit , meo ore prouunti^it : ei nostrn responso Istitia; causas populi urbcsque concipiunt. Nulla pars usquam, nisi volente propitioque me, fliirel. Haec lot millia gladlorum , qus pai mea comprimit , ad nulum nieum stringentur : quas oationes fuoditus eisclndi , quas Iransportari , quibus libcrtnlem dari , quil)usei'lpi, quos reges niancipia fieri, quoriimque capili rcgium ciicum- dari decus oporteat, qua* ruant urbcs, qux oriantur, mea jurisdiclio est. In bac tanta Tacultate rcruin , non ira me ad'iniqna supplicia compulit, non juïcnilis impetus, non temeritas hominum et contumacia , qua; ssrpe Iraa- quillissimis pectorihus quoquc palientiam extorsit : non ipsa ostentandx pcr lerrorcs polrnliae dira , sed frequcns 30 SÉNEQUE. ambitionnée par les maîtres des empires , de faire éclater ma puissance par la terreur. Chez moi , le glaive est renfermé ou plutôt captif, tant je suis avare du sang môme le plus vil. Il n'est personne à qui le titre d'homme, à défaut de tout autre, ne fasse trouver faveur auprès de moi. Je tiens la sévérité cachée, la clémence toujours en exercice. Je m'observe, comme si je devais rendre compte aux lois que j'ai tirées de la poussière, que j'ai évoquées des ténèbres pour les mettre au grand jour. Je me suis laissé toucher par les jeunes an- nées de celui-ci , par les vieux jours de celui-là. J'ai fait grâce à la grandeur de l'un , "a la petitesse de l'autre; et quand je ne trouvais aucune cause d'indulgence, je pardonnais pour moi-même. Au- jourd'hui, si les dieux immortels m'appelaient à rendre compte, je suis prêt à leur rendre compte du genre humain. » Oui, César, tu peux hardi- ment proclamer que de toutes les choses confiées à ta foi , à ta tutelle, lu n'as rien enlevé "a la répu- blique, soit en secret, soit par violence. Tu as ambitionné uiie gloire bien rare et que n'obtint ja- mais aucun prince, celle de ne point faire de tort. Tu n'as pas perdu ta peine, et celle bonté singu- lière n'a pas rencontré des appréciateurs ingrats ou malveillants. Tu ns acquis la reconnaissance. Jamais un homme ne fut aussi cher "a un autre homme que lu l'es au peuple romain , toi, son bien suprême et durable ! Mais c'est un grand fardeau que tu t'es imposé. Personne ne cite plus le divin Auguste, ni les premiers temps de Tihcre César ; personne ne cherche hors de toi-même un exemple qu'on désire te voir imiter. Ce qu'on demande , c'est que tout ton règne réponde "a cet avant-goût de la première année. Ce serait tbos« difficile , si cette bonté qui t'appartient n'était pas naturelle, si lu ne l'avais empruntée que pour un temps ; car personne ne peut longtemps porter le masque. Tout ce qui est déguisé reprend bientôt sa nature; tout ce qui repose sur la vérité, tout ce qui , pour ainsi dire, a des racines solides, ne fait que croître et s'améliorer avec le temps. C'é- tait une grande chance que courait le peuple ro- main , lorsqu'on ignorait encore quelle directioa prendrait ton naturel généreux. Maintenant, les espérances puhliques sont assurées de leur accom- plissement; car il n'est plus à craindre que tu lombes tout-a-coup dans l'oubli de toi-même. 11 est vrai que l'excès du bonheur rend exigeant; et jamais les désirs ne sont assez modérés , pour s'arrêter à te qu'ils ont atteint. Pour nous , un grand bien n'est qu'un pas vers un plus grand, et les plus folles espérances naissent d'un bonheur inespéré. Aujourd'hui , cependant, tu forces tes sujets d'avouer qu'ils sont heureux, et qu'il ne manque à leur félicité que de durer toujours. Biea des motifs leur arrachent cet aveu , le plus tardif que fasse Ihomme : leur sécurité profonde, source abondante de biens , leurs droits places au-de!^su$ de toute atteinte. Les yeux s'arrêtent sur cette heureuse forme de gouvernement, 'a laquelle rien ne manque pour parvenir "a la plus haute liberté, que la licence qui se détruit elle-même. Mais ce qui surtout pénètre également les plus grands comme les plus petits, c'est l'admiration de la clémence. Car tous les autres avantages , chacun les éprouve ou les désire plus grands ou plus pe- tits, en proportion de sa fortune; ta clémence mngnis imperiis gloria. Condiiura, immo constrictura apud me ferium est suinma parciinnnia etiam vilissiiiii saiipiiiiiis; iieiiio non, ciii alla desiiit, hoiniiiis iiomioc iipud me grutiosus est. Sevei-itatem abditam, demcnliam iu prociuclu habeo; sic me custodio , lauqu m legilius, quas ex situ ac lenel)ris in liiceni cvocavi , ralioneiii red- ditui'us sim. Allerius cTlate prima motus sum, allcrius ultima : aliiiin digiiitali donavi, alium luiiiiilitati; (]iio- tiens iiiillaiii iineneram misericordiœ causam, milii pe- perci. Iludie dits immorlalilms, si a me raliouem répé- tant, annumerare çenus luimanum piratus sum. « Potes lioc, Caesar, pra'dicare audacter, omnium , quaeia fidera tulclamque luam venerunt, niliil per le, ueque vi, neque clam reipulilicie ercpium. Karissimani laudem , et nulli ailhuc pj iiicipum concessam con; upisli, innocentiam. ÎNoa perdis operain; uec bimilas ista tua sinfrularis ingralos aut niaiignos «siiiualores nacta est; reftrlur tibi gralia. IS'emo uaus bomo uni homini tam carus unijuam fuit, quam lu populo romano , magnum longumque ejus bo- numl Scd ingens tibi omis imposuisti; ncnio jam divum Augustum , nec Tiberii Cœsari.s prima tempera loquitur; uemo quod te imilari vêtit cxemptnr çxlia le q»a?ril. Prindpatiis tuus ad anni gustum eiigitnr. DifBcile hoc fiiisset, si non naturalis tibi isia bouitas essel, sed ad tempus sumia; ncmo enim potest person^m diu ferre. Ficta cilo ii) natiiram suam rccidunt; quibus veritas sub- est, qua'que (ut iladicani ) eî so'ido enascuntur. lempore ipso in majusmcliusqueprucedunt. Magnamadil>ataleaiii populus nmianus, qimm incertuni csset , qu > se statim noliilis indoles daret. Jain vola publica in tulo sunt; Dec enim |R'riculuin est, ne te subita lui cipiat oblivio. Facit quidem avidos niniia félicitas; ncc tam leraperalae cupi- d laies sunt unquam, ut in eo, quod contiugit, desiaant; gradns a niaguis ad majora lit, et spes improbissimas compIfcUmtur insperala assecuti. Omnibus tamen nunc civibus luis et lia"c conftssio ciprimilur, esse felices : et il!a , niliil jam bis acccdere bonis p sse, niNi ut perpétua sint. Multa iilos cogunt ad hnnc cnnIVssionem , qua aulla in homiiic lardior est : securitas alla , aflluens; jus supra omnini injuriani positiim. Obvcrsatur oculis liflissiiDa forma rcipnlilica;, cuiad summain liberlalem nihil deest, nibi percun li liconlia. Pra;cipue tamen œqualis ad maii- mos imniosque pervenitclemenlia; tuas admiratio. Cetera enim bona pro porlione forluua" suep quisque sentit aul DE offre à tous le même espoir. Et il n'est personne qui s'applaudisse assez de son innocence, pour ne ])as se rejouir d'avoir sous les yeux la clémence prêle a tendre la main aux humaines erreurs. II. Il en est, je le sais, qui pensent que la clé- mence est un encouragement "a la méchanceté; car sans le crime elle est superflue, et c'est la seule vertu qui reste oisive parmi les gens de bien. Mais d'abord, de même que la médecine, qui ne sert qu'aux malades, est néanmoins en honneur au- près des gens bien portants, de même la clémence, bien qu'elle ne soit invoquée que par les coupa- bles , est pourtant révérée par les innocents. Ensuite elle trouve 'a s'appliquer même en la per- sonne des innocents , parce que la fortune quel- quefois lient lieu do crime : et la clémence vient en aide non-seulement à l'innocence, mais souvent encore "a la vertu, lorsqu'il arrive, selon la con- dition des temps , que des actions louables sont exposées à être punies. Ajoute qu'une grande partie des hommes peut revenir "a rinno<-ence. Il ne faut pas cependant pardonner au hasard. Car, lorsque toute différence e>t effacée entre les bons et les méchants, la confusion survient et le vice fait irruption. II faut donc user de ré- serve, et savoir distinguer les caractères guéris- sables de ceux qui sont dé.vcspérés. I.a clémence ne doit êlre ni aveugle, ni biinale, ni resircinie; car il y a autant de cruauté °a pardonner "a tous, qu'à ne pardonner 'a personne. II faut un terme moyen ; mais comme un juste équilibre est difû- cile, si la balance doit pencher d'un côté, que ce suit du côté de l'humanité. LA CLEMENCE. 331 III. Mais ces choses se diront mieux en leur place. Maintenant je diviserai mon sujet en trois parties. La première servira d'introduction. Dans la seconde, je démontrerai la nature et les aitri- buis de la clémeuce. Car, comme ceriains vices imi- tent la vertu , on ne peut les en distinguer qu'en maripiant la verlu de signes qui la fassent recon- naître. En Iroisièmelieu nous rechercherons com- ment l'àme arrive a cette vertu, comment elle s'y affermit , et se l'approprie par l'usage. Or, il faut^ tenir pour constant que de toutes les vertus, nulle ne convient plus "a l'homme, parce que nulle n'est plus humaine : et cette vérité est reconnue non- seulement par nous , qui voulons que l'homme soit con>idcré comme un animal sociable, né pour le bien connnun do tous, mais encore par ces philo- sophes qui abandonnent l'homme 'a la volupté, et qui rapportent, toutes leurs paroles, toutes leurs actions "a leur utilité. Car, si riiominc cherche le calme et le repos, la vertu la plus appropriée a sa nature est ci Ile qui chérit la paixetqui relient son bras. Cependant, de tous les hounnes, ceux à qui la clémence convient le plus sont les princes et les rois. Car une grande force n'est bomirable et glorieuse qu'autant (prclle a le pouvoir d'être utile; et c'est un fléau qu'une pois>ance qui n'est capable que de nuire. Enfin , la grandeur n'est stable et bien assurée que lorsque' tous savent qu'elle existe moins au-dessus d'eux que pour eux; lorscjue tous les jours on éprouve que la sol- licitude du prince veille au salut de chacun et de tous ; lorsqu'à son approche on ne s'enfuit pas comme devant un animal méchant et dangereux eupcctat majora minoraqae : ei clcmenlia nmnes idem speraot. Nec est qiiis(|uam, cui lani talde iniiDcrnti.i .«lia placeat, ut non sLire in cnospectu cleuieiitiain, p^rat^ini bumaoiserroribus, gaudcat. II Esse autem alii|uns scro, qui cjpmi'nti.i (vsslmum queinque puteut siisliiieri , quoniam iiisi post criiiien su- pervacua est, cl sola liua di|;iii iav(Keat, etiani innoceules culuiit. De'nilc hal)el liajc in persoiia quoque iuuucentiuni tocuni, quia intérim fortuna pro culpa est : ni'C innocenlix- lanluni ciementia succurrit , «ed sappe virtuli , quuniam quidem condilione teniporum iiiciduot quicdam, qua; pussint laudala puoiri. Adjce, quod magna pars boniii.uni esl, qua; reïert ad inni)cenliam possit. .Sed non lamcn vuIro ignoscerc deccl ; nani ul)i discrimcn inler niaUis Ixhios- que sul>laluni est, conFusiusequitur.ct viiimum eruptio. laque adliilicuda est moderatio , qua; sanabilia ingénia distineucre a deplorali» sciât, ^ec proniiscuani hal)ere ac Tulgarem clementiam oportet, nec aljscisam ; nam tara omnibus ignoscere crudelitas est, quam nulli. Mo- «toin tenerc debenuis; sed quia dinicile est tcmperamen- tum, quidquid xqun plus Tuturum est, in partem buma- niorcm pra-ponderct. Itl, Sed ha'C suo loco meliiis diccnlur Nunc in Ires parles (miiieni banc niateriain dividam. Prima crit nianu- njissiimis : secun la , (jna; n"tiiraiii clenii'n:i;e lial)itumque demoiislret; mm <|:mm sint vitia qua'daiii virtules imi- lanlia , non passunt seccrni, fiisi signa qnibus dgno- scanlur impressi ris ; tertio locoijuaTcnnis, qnonioilo ad banc \irtu;em pcrducatur nniinns, quiimndo ciirilirmct cam, et usu siiam facial. Nnllani Tcro ei omnibus \irtii- libns ii:agis hnmini coiiTcnirc, (|iiuni sil nulla liiimanior, ciinstct necpsse esl : non siiltnn int' r uns, (|tii biiniiiicm , sorialc animal, commuui bnno gciii uni vidcri ^oUlmus; sed eliam inler illiis , qui honiiiicm \oliiplati douant, quorum omtiia dicta factaqnc ad iitililatcn; sunni s|)ec- tint; nnm si qnietem petit cl olimn, banc vMUileni na- tiirœ suœ nactus est , qiia; |)aceni am t , et luaiiiis reliuet. iSulliim lamcn cicmenlia ex omnilins niagis, qiiani re- gcm aiit princ:pcm deccl. lia enini magna' vires decori glori;cque suni, si illis saliilaris potinlia esl; nam pcsli- lera vis est , Talcre ad noccuduin. Illius deinum magni- ludo sUbilis fundalaquo esl , ijucin omncs mm lani supra se esse, qiiam prose, sciuni; cnjiis curam esculiaro qui s'claucc de son antre, mais que de toutes paris, au contraire, on vole vers lui comme vers un astre lumineux et bienfaisant ; lorsque pour lui on est prêt à s'exposer aux glaives des conspira- teurs, a lui faire un rempart de cadavres, et, si le soin de sa vie l'exige, à joncher sa route de victimes humaines. Les veilles des sujets protègent son som- meil ; pressés autour de lui, leurs poitrines défen- dent sa poitrine; ils forment une muraille contre les dangers qui le menacent. Ce n'est pas sans raison que les peuples et les villes s'accordent ainsi pour protéger et chérir leurs rois , pour se sacrifier, avec tout ce qui leur appartient, toutes les fois que t'exige le salut du chef de l'empire. Et ce n'est ni faire trop faon marché de soi , ni faire acte de folie que de livrer au fer tant do milliers de têtes pour une seule, de racheter par tant de morts une seule vie, et quelquefois celle d'un vieillard inûrme. De même que le corps eutieresl au service de l'âme , bien qu'il soit beaucoup plus étendu , beaucoup plus apparent, tandis que l'àme subtile se dérobe aux regards, et ne connaît pas même la retraite où elle se cache ; cependant c'est pour elle que travaillent les mains, les pieds, les yeux; c'est elle que protège notre enveloppe extérieure; à son ordre, nous nous reposons; à son ordre , nous courons empressés. Quand ce maître commande, s'il est avare, nous labourons la mer pour gagner des richesses ; s'il a du cœur, nous u'hésilous pas à livrer notre main aux Qani- racs, à nous .précipiter volontairement dans le gouffre; ainsi cette immense multitude, groupée autour d'une seule âme, est gouvernée par son SÉNÈQUE. souffle et modérée par sa raison ; tandis qu'elle succomberait sous le poids de ses propres forces, si elle ne s'appuyait sur la sagesse d'un chef. IV. C'est donc leur propre sûreté qu'aiment les peuples , lorsque pour un seul homme dix légions se rangent en bataille , lorsque le soldat s'élance au premier rang, lorsqu'il présente sa poitrine aux blessures, pour que les drapeaux de son empe- reur ne reculent pas. Car c'est lui qui est le lien d'union de la république; c'est lui qui est le souf- fle vital que respirent tant de milliers d'hommes qui ne seraient par eux mêmes qu'un inutile fardeau et une proie facile, si cette âme de l'em- pire en était détachée. « Le roi vit, tous ont une même pensée; il meurt, tout lien est brisé. » Ce malheur serait la destruction de la paix ro- maine , et ruinerait la fortune d'uu si grand peu- ple. H seraàl'abridecedangerlantqu'ilsaurasup- porter le frein : si une fois il le brisait, ou si, quel- que révolution l'en ayant dégagé, il refusait dele reprendre, cette unité, ce faisceau d'un grand em- pire se briserait en mille éclats : Rome cessera de dominer du jour où elle cessera d'obéir. Aussi, n'est-il pas étonnant que les princes, les rois, ou. quelque nom qu'on leur donne , ces gardiens de la fortune publique, soient aimés au-delà des affec- tions privées. Car, si pour les hommes sages l'in- térêt public est préférable a l'intérêt particulier, il en résulte qu'ils doivent encore plus chérir celui eu qui la république s'est transformée. Depuis longtemps le César s'est tellement incorporé avec la république , qu'on ne peut retrancher l'un sans pro salute singulorum atque nniversorum quotidie cipe- riuntur; quo procedente, non, tiiiiquani maluni aliquod aut Doîium animal e cubili prosilierit, diffiigiunt , sed tanqiiam ad clarum ac beuelicum sidus ccrlatiiii advo- laiil, objicerc se pro illo mucronibus insidiantiuiii paraiis- siiui, et substernere corpora sua, si per slrageiu illi liu- nianain iter ad salutem slfuendum sit. Soinnuiii ejus noc- turnis cxcubiis niuuiunt; lalera objecli ciicuiiifusique defenduut ; incurrenlibus periculis se opponunl. ÎSou hic est sine ratione populis urbibusque consensus, sic prote- gcndi amandique reges, et se suaque jactaudi , quocuin- que dcsideravcrit imperantis salus. ISec hœc vililasest, aut deinentia , pro uno capile tôt niillia excipere ferrum , ac mnltis mortibns unam animani rcdimere, nonnunquam senis et invalidi. Quemadmodum tolum corpus anirao de- servit, et quum boc tanio niajus tantoque speciosius sit, ille in occulto maneal tenuis, et in qua sede latitet incer- tus î lamen manus, pedes, ocuM negotiuni illi gerunt: illum hcBC cutis munit; illiusjussu jacemus, aut inc|uieti discurrimus; quum ille imperavit, sive avarus doniiuus est, mare lucri causa scrutaraur, sive ambitiosus, jam- dudum dexieram llammisobjeiimus, aut voluntarie sub- siluinius; sic hœc inmiensa mnililudo, uuius anima; cir- cumdala, illius spiritu regilur, illins ratioue ficctitur, pressura se ac fractura viribns suis , nisi cODsilio sustine- retur. IV. Suam itaque incolumitalem amant, quum pro uno bomine denas legioncs in aciem deducuut, quum ia pri- ma fronle procurrunt, et adversa Tuloeribus pectora fe- runt, ne imperatoris suis signa vertanlur. Ille est euim vinculum, per quod respublica cohaerct ; ille spirilus vi- talis , quem baec tôt millia trahimt, nihil yer ipsa se fu- tura nisi onus et prxda , si mens ilh impcrii subtrabatur. Rege incolumi mens omuibus una : AmUso riipere fidem. Ilic casus roraana; pacis exitium erit, bic tanli forlu- uam populi in ruinas agct. Tamdiu ab isto periculo ab- erit bic poptilus , quamdiu sciet ferre frenos; quos si quando abruperit, vel aliquo casu discussos reponi sibi passus non erit , haec unitas et bic niaximi imperii con- textus in parles mullas dissiliet : idemque buic urbi do- rainandi finis erit ..qui parendi fuerit. Ideo principes re- gesque et qnocumque alio nomine sunt, tutores status publici , uon est mirum aniari ultra privatas etiam neces- situdines. Nam si sauis hominibus publica priratis potiora sunt, sequitur, ut is quoque carior sit, in quem se rcs- pubUca convertit. Olim enim ita se induit reipublicx Cjb- DE LA CLEMENCE. 333 les perdre lous deun. Car il faut à l'un des bras, comme a l'aulre une tête. V. Il semblerait que mon discours s'écarte loin du but; mais, par Hercule! il pénètre au fond du sujet; car si, comme je viens de l'établir, tu es l'âme de la république, elle est ton corps : tu vois , je pense , combien la clémence est néces- saire; car c'est toi-même que tu épar{,'nes lors- que tu semblés épargner un autre. Il faut donc cparguer les citoyens même coupables , ainsi que tu en agirais avec un membre malade ; et si par- fois il faut tirer du sang, retiens la main, de (leur de faire une incision plus forte qu'il'n'est besoin. Donc, comme je le disais , la clémence est sans doute dans la nature de lous les bommes; mais c'est surtout chez les souverains qu'elle est glo- rieuse, parce que par eu\ elle trouve plus à con- server, elle trouve pour se déployer une plus ample matière. Quel faible mal, en effet, produit la cruauté privée! mais la fureur des princes est «ne guerre. Bien qu'il y ait accord entre toutes les vertus, et que l'une ne soit ni meilleure, ni plus honorable que l'autre , quelques-unes cepen- dant conviennent davantage à certaines person- nes. La grandeur d'âme sied 'a tout mortel , même à celui qui n'a rien au-dessous de lui. Qu'y a-t-il , eu effet, de plus grand, de plus noble, que de vaincre la mauvaise fortune? Cependant , cette grandeur d'âme est plus au large dans la prospé- rité, et se fait mieux voir sur le tribunal que sur la place. La clémence , quelque demeure qu'elle pénètre, la rend heureuse et paisible; mais, dans celle des rois , plus elle est rare, plus elle est ad- mirable. Qu'y a-t-il , en effet, de plus remarqua- ble que de voir ceici dont la colère ne rencoulre pas d'obstacle, dont les sentences les plus rigou- reuses reçoivent la sanction de ceux même qui périssent, qui ne doit de compte "a personne, même de ses plus violents emportements, et que personne ne tenterait de fléchir, se mellrc "a lui-même un frein, et faire de sa puissance un usage meilleur et plus doux? Il se dit a lui- même : « Malgré la loi, il n'y a personne qui ne puisse tuer; il n'y a personne qui puisse sauver, excepté moi. » Une grande fortune exige un grand cœur; car si on ne s'élève jusqu'à elle, si on ne se place plus haut , on la ravale elle-même plus bas que la terre. Or, c'est le propre d'une grande âme d'êlrè calme et tranquille, de regarder du haut de son mépris les injures et les offenses. C'est aux femmes qu'appartiennent les empor- tements de la colère; c'est aux bêtes féroces, et encore aux moins généreuses , à redoubler leurs morsures et leurs attaques sur un ennemi terrassé. Les éléphants et les lions abandonnent celui qu'ils ont renversé; l'acharnement ne con- vient qu'aux animaux ignobles. Une colère cruelle et inexorable ne sied pas à un roi; car il ne se montre guère supérieur à l'homme vers lequel il se rabaisse en s'irrilant contre lui : mais s'il donne la vie à ceux que menace la mort, s'il donne les dignités ii ceux qui méritent de les per- dre, il fait ce qui n'est possible qu''a celui qui peut tout. Car la vie peut être arrachée même 'a un supérieur, jamais elle ne peut être donnée qu"a un inférieur. Sauver, c'est le priviléije d'une haute fortune : et jamais elle ne doit être tant admirée que lorsqu'il lui arrive de pouvoir ce que peuvent sar, ut seduci alterum non possit sine alriiisque pemicie; oam ut illi viribus opus est, ila et hujc capite. V. Longius vldetiir recessisse a pronosito oiaiio mea : at meherculcs rem ipsam prcmit. Nam si , quod arihuc oniligilur, animus rcipublica; tu es, illa corpus tuum : »ides, utputo, quara necessaria clementia sit; llhienim parcis.quuni Tideris alteri parcere. Parcendum ilaque ettellain improbandisclvibiis, non aliter quant membris langueutlbus ; et si quando misse sanguine opus est, sus- tinendum est , ne ultra , qnam nccesse sit , incidas. Est ergo , ut dicebam , cipinentia omnibus quidcni bomlni- bus secundum naturam, maiime tamen décora impe- raloribus : quauto plus habot apud illos qiiod servet, qiiantoque in majore m,ileria apparct. Quaatnlom enim nocet privata crudelitas? Principuni sacvilla, liellnm est. Quum autem Tirtutibus inler se sit concordia , nec ulla altéra melior aut honestior sit , qihTdam tamen quibu.s- dam personis aptior est. Dccet magnanimitas quemlibct morlalem , eliam illum infra queni nihil est. Quid enim majus, aut fi>rtius, quam malam torlunam retnndere? Haec tamen magnaniniiias in bona fortuna laiiorem lo- cum habet, meliusque in tribunal!, quam in piano cou- •picitur. Clementia in quamcumque domnoi peryenerit, eam felicem tranquillamque pra'stabit ; sed in rcgia quo rarior, eo mirabilior. Quid enim est mcmorabilius, quam eum, cujus irae nihil obstat, ciijus graviori senlenlia' ipsi qui pereunt asscutiuntur, quem nenio intcrrogaturus est, immosi vehcmcntius eicanduit, nec deprecaturus qui- dem, ipsum sibi manum injicere , et potestate sua in mc- lius placidiusque uti? hoc ipsum cugilanteni : occiderc contra legem nemo non polcsl ; scrvare nemo , pra-ter me. Magnam fortunam magnus animus decct, qui nisi se ad illam extulit,ct altior stclit, illam quoijuc iufni ler- ram deducit. Magni autem atiiuii est proprium, placi- dum esse, tranquilluinque, et injurias atque «rrenstones superne despicerc. Miilicbre est, furerc in ira; feniruni vero, nec generosarum quidem, pra;raordcre et iirgcre projectos. F.lephanti leoncsque transeunt, qna; impule- runt; ignobilis bestia; pertinacia est. ISon decet regcni sxva et inexorabills ira; non multum enim supi m eum emiuet , cui se irascendo etxquat; at si dat vitiim, si dut dignitatem periclitantibus et meritis aniilterc , facit quod nulli nisi rerum potcnti licct. \ ila enim eliani superiorj eripitur, nunqnam nisi inferiori datur. Servare proprium est eiccllentis fortuna; ; qua; nunquam magis .'uspiii de- bet, qnam quum illi conlingit idem pos!>e quud diii. 334 SÉNÉ les dieux, au bienfait desquels, tous, bons et mc- clianls, nous devons la lumière. Que le prince donc s'inspire des senlinionls de la divinité; (pic, parmi ses sujets, il en voie avec amour quol(|ues- uns, parce qu'ils sont utiles et bons; qu'il laisse le reste d:ins la l'ouïe ; qu'il se rélicite de l'existence de ceux-ci, qu'il lolcie ceux-l'a. VI. Songe ipie tu es dans cette ville où la mul- titude, dont les flots se pressent sans relâche a travers de larges rues, étouffe dès qu'un obstacle interrompt le cours do ce rapide lonent; où le peuple se fait jour vers trois Ibéàlres 'a la fois , où l'on consomme toutes les moissons du monde en- tier : en quelle solilude, en ([uel désert se clian- gerail-clle, s'il n'y restait que ceux qu'absoudrait un juge sévère! Quel est le magistrat interroga- teur (jui ne soit repréliensible devant la loi même au nom de laquelle il inlerrogc? Quel est l'accu- saleur qui soit exempt de faute? Je ne sais même s'il est quelqu'un qui se monlrc plus dillicile il accorder le pardon que rinuiune qui, le plus sou- vent, a eu besoin de l'implorer. Tous nous avons commis des fautes, les uns de plus graves, les au- tres Je plus légères; les uns do propos délibéré, les autres par l'impulsion du hasard , ou par l'enlrai- iiemcnt d'une perversité étrangère; (lueUiues-uos n'ont pas su persister forlcment dans de bonnes resolutions, et perdent leur innocence à regret et à leur corps défendant. Non-seulement nous avons failli, mais jusqu"a la fin de la vie nous conlinue- rons a faillir. Quand même il serait quebiu'uii qui eût si bien purilié son âme, que rien p.e pour- rait plus ni la troubler, ni l'égarer, cependant il QUE. n'est arrive 'a l'innocence qu"a travers le péché- VII. Puisque j'ai parlé des dieux , je proposerai au prince le plus bel exemple sur lequel il puisse se former, en se montrant envers ses sujets ce qu'il voudrait que les dieux fussent envers lui. Lui conviendrait-il de trouver les divinius inexo- rables pour SCS fautes et ses erreurs? Lui convien- drait il qu'elles le poursuivissint jusqu'au dernier cliâlinienl? Qui d'entre les rois peut être assuré que les aruspices ne recueilleront pas ses restes? Que si les dieux , dans leur indulgence et leur justice, ne punissent pas aussitôt par la foudre les crimes des puissants, combien n'cst-il pas plus juste qu'un homme établi au-dessus des hommes exerce son empire avec douceur, et se demande si l'aspect du monde n'a pas plus d'agréments et de charmes pour les yeux , durant un jour pur et serein, qu'au milieu des éclats répétés du tonnerre qui ébranlent l'espace, et des feux qui brillent de (onics parts? Or, le spectacle d'une autorité paisible et modérée n'est pas autre que celui d'un ciel pur et sans nuage. Un règne cruel est tumul- tueux et voilé de ténèbres; les peuples tremblent et s'épouvantent 'a des bruits soudains, et celui-là même qui trouble tout n'est pas il l'abri des se- cousses. On excuse plus volontiers chez les hom- mes privés l'opiniâtreté de la vengeance ; car ils peuvent être blessés, et leur ressentiment vient de l'injure : ils craignent d'ailleurs le mépris; et ne pas rendre la pareille 'a l'offenseur semble de la faiblesse , non de la clémence. Mais celui 'a qui la vengeance est facile , s'il y renonce , obtient sûre- ment un renom de bonté. Dans une condition ob- quorum licneficio in lucem edimur, lani bnniquani rnali. Ueoruni itaque sil)i animuni assercns princeiis, alios ex civibus suis, (juia utiles l)()niqucsunt, lil)CHs videal, al os iu numeruui roliuquat : quosdaiii esse gaudeal, quosdam paiiatur. VI. Cogita te in liac ciïitate , in qua tiirlia per lalissi- nia itinera sine inicrmissione delluens clidilnr, quolicns aliquid ol)stitit, quod cursum cjus vciut loircutis rapidi niorarelur ; in qua Irilius eodeni Icuii'ore thcatiis via' postulantur; in qua consuniitur. quidquid terris onMiil)us aralur : quanta soliludo et vaslilas futura sit, si nitiil re- lin(iuilur, nisi quod judex severus absolverit ! Quotns qui.S(iue ex qua'sloril)us est , qui non ea ipsa Icgc tenealur, qua quierit ? Quolus quisquc accusiitor vacat cutpa? et nescio , an nenio ad dandaui veniani difficilior sil, quaui qui illani pelerc saepius nieruit. Peccaviiuns ouinrs : alii gravia.alii levio.''a, alii ex deslinato, alii Torte iulpul^i, aut alic'un ne(|uilia alilali ; alii iu lionis cousllils paruni forliter s:elinius, et innoeenliaui inviti ac rcnileulcs per- didiuius. iVcc delinquinius taututn, scd usque ad e\lre- niuni a'vi delin(|ucunis. Elianisi ipiis tani l)eue purgavil auimuui.ut niliil obturliare euai aniplius possit ac fal- lere, ad inuocentiaui tanieu peccando pervcuit. VII. Quoniani deorum feci mentionem, opiime tioo cxonipluru piiucipi constiluam, ad quod formetur, ul se talini esse civilms, quales sibi deos velit. Eipedit ergo lialiere inpxnrabilia peccalis alque erroribus iiumiDa? cxpedit usque ad ultiniam inlesta pernîcicm? Ecqnis re- guin erit tutus, cujus uon membra aruspices colligant? quod.si dii placabiles et éequi delicta potentium non sla- liui fuliuinilius persequuulur, quauto aequius est, liomi- neui lioniinilius pra'positum niiti anime cxercere impe- rinui, et cogitare, ulruin nuindi status gratior oculis pulclu'iorciue sit sereno et pure die , an quuni fragoribus crebris ouuiia quatiuntur, et ignés hinc atque illinc nii- cnnt? Alqui uon alia faciès estquieli moderaliqne iuipe- rii , quani screui cœli et uileulis. Crudele reguuui, tur- biduni , teucbrisque oliscnruui est, iu;er treiuentes et ad repentinunisouiLuui eipavesccutes, ncceoquidemqui ouniia Uu'bat incoucu>so. Facilius privatis iguoscilur piMlin:iciler .se viudicantilius; ix)ssunl enim la?di, dolor- (|ueeoruniali injuria venil; liment pra.'tereacx)utemtiini; et uon relulisse la'dei.libus gratlaui, infirmilas videtur, non clenieutia. At cui ultio iu lacili est. is oniissa ea, certam laudem niausuctudinis conscquilur. Iluniili loco posiiis cxercere niauuni, liligare, in rixam procurrcrc. DE LA GLÉMENCK. 535 scare, on est plas libre de menacer de la main, de se disputer, d'engager une querelle et de sui- vre les penchants de sa colère. Entre pareils, les coups sont légers. Dans un roi, même les cris et l'intempérance de paroles dérogent à la majesté. VIII. Tu trouves pénible pour les rois de se voir arracher la liberté de parler, qui appartient aux plus humbles. « C'est, dit-on, une servitude, et non un empire, n Eh quoi! ne sens-tu pas eu effet que c'est h nous l'empire, h loi la servitude? Elle est tout autre, la condition de ceui qui sont cachés dans une foule qu'ils ne dépassent pas ; leurs vertus, pour se faire jour, ont longtemps h lutter, et leurs vices sont enveloppés d'obscurité. Mais toi, la renommée recueille tes actes et tes paroles , et nul ne doit davantage s'inquiéter de la réputation qu'il aura, que celui qui doit en avoir une grande , par quelques actions qu'il la mérite. Combien de choses ne te sont pas permises, qui, grâce à toi, le sont pour nous'i' Je puis, dans tous les quartiers de la ville, me promener seul et sans crainte, quoique nulle suite ne m'accom- pagne, que nul glaive ne soit chez moi , ni à mon côté : toi , dans ta paix , il te faut vivre armé. Tu ne peux t'écarier de ta fortune; elle t'assiège, et n'importe où tu veux descendre, elle le poursuit de son imposant appareil. C'est là la servitude de la grandeur suprême, de ne pouvoir s'amoindrir : mais cette nécessité t'est commune avec les dieux; car le ciel les retient aussi captifs, et descen- dre leur est aussi peu permis, qu'il serait pour loi peu sûr. Tu es enchaîné 'a ta grandeur, l'eu de personnes sentent ros mouvements : nous pou- vons aller, revenir, changer nos allures, sans que le public en ait conscience : toi, il ne t'est pas plus qu'au soleil doinic de le cacher. Une écla- tante lumière t'environne, et tous les yeux sont tournés vers elle. Tu crois sortir, et (u t'élèves sur l'horizon. Tu ne peux parler sans que ta voix retentisse chez toutes les nations de la terre : lu ne peux être en colère, snns que tout tremble : de même tu ne peux frapper un homme, sans ébranler tout ce qui l'entoure. De même que la foudre tombe au péril d'un petit nombre, au grand effroide tous, de même les emportements du pouvoir suprême répandent la terreur bien plus loin que le mal ; et ce n'est pas sans raison. Car, dans celui qui peut tout, on envisage moins ce qu'il fait que ce qu'il pourrait faire. D'ailleurs, dans la condition pri vée, la patienceaprcs les injures reçues expose àen recevoir de nouvelles : la clémence garantit la sé- curité des ruis. De fréquentes rigueurs répriment la haine d'un petit nombre, irritent celle de tous; il faut (]ue la volonté de sévir cesse avant le motif. Autrement, ainsi que les arbres taillés se repro- duisent par de nombreux rameaux , et que cer- taines plantes repoussent pins touffues quand on les a coupées ; ainsi la cruauté des rois augmente le nombre do leurs ennemis, en les détruisant. Car les parents et les enfants de ceux qui furent tués, et leurs proches, et leurs amis, se lèvent "a la place de chacune des victimes. IX. Je veux te prouver la vérité de celle asser- tion par un exemple pris dans ta famille. Le divin Auguste fut un empereur clément, si l'on ne commence à le juger qu'à dater de son empire. ac morem irœ suas gerere, liberius est; levés inter paria ictus sunl; régi vocireraliuquoque, Terborumquc intcm- perantia non ei inajestale est. Vm. Grave putas, eripi loquendi arbitrium regi- hus, quod Immilliml bahent? • L>ta , inquil.ftcrvitusest, non imperiuni . • Quid lu ? non expcriris isUid nobis esse , libi servilutem? Atia condilio est eorum qui in turlia, quani non eiredunl, lafenl : quorum et virlutcs ut appa- reant, diu luctaotur, et vilia tenebras habent. Vi-stra facta dictnque rumor cicipit : et idée nullis mapis curan- dumest, qualem famani hal)eant, quam qui qualcnicuin- que miruerint, maga:im liabituri sunl. Quam mulla tibi Don licent, quœ nol)i» benencio tuo licvnt? Possuni in qualibet parte urbis solus incedere sine liuiore, quani\is Dullns sequalur cornes , Quitus sil demi , nullus ad latus (jladius : lilii in tua pace arniato viTPuduui est. Aberrarc a fortuna tua non potes ; olisidet te , et quoeumque des- cendis, magno apparatu sequilur. Est hx'c sumniae map- lliludinis servilus , non posse fii ri minorem : scd cum dlis tibi conimuois isla nécessitas est ; n^im illos quoque ccrlum allifjalos tenet : nec magis il!is descendere datum c»t, quam lilii tutuni. Fastigio luo atritus es. ÎSostros luotui pauci sentiunt; prodire nol)i«, ac recédera , et mutare babilum sine lensu pulilico licct : libi non magis , quam soli, latere cimliogit. Mulla coulra le lux est: omnium in istam conversi oeuli suiit. Pnidire le pulas? oiiris : Imjui non |K)tes , nisi ut vocem luaiu , qua; ubi- quc sunt génies, eicipiant; irasci non potes, nisi ut ora- nia Iremant; sic nem neni potes afiligere, nisi ut quid- quid circa fiieril, qua;iatur. Ul fulmina paucorum peri- culo cadunt, omiiiciui nielu; sicaniniadversiones niagna- ruui poteslalum terrent lalius, quam noccnl : uon sine causa. Non cnim quantum fecerit, sed quantum facturus sit,cûgitaturineo, (|ui cmnia potcsl. Adjice nunc, quod privalos liomincs ad acdpieiidas injuri; s opporluniorcs acceplarum patientia facit : rcgbus cerlior est ci man- sucludine securitas. Çuia frcquens vindicla paucorum odium reprimil, omnium irritai : volunlas oporlel anie s evicndi , quam causa , dcllciat. Alioquin quemaduioduni praîcisaB arlwres plurimis ramis repullulant, et mulla satorum gênera, ul densiora hurgant, reciduntiir; ita regia crudelitas augot ininiicorum numeruin tollendo. l'arenlcs euim lil)crii|UO eorum , qui inlerfecli sunt, et propinqui, et amici, in locum singuloruni succedimt. IX. Hoc quam veriim sil, adnionere te esemplo do- mcsiico volo. Divus Auguslus fuit milis princcps , si quis 556 Mais, quand la république avait plusieurs maîtres, sa main usa du glaive. A l'âge que lu as maiute- dant, a peine sorti de sa dis-huitième année, déjà il avait plongé son poignard dans le sein de ses amis ; déjà il avait, par des embûches , me- nace la poitrine du consul M. Antoine; il avait été le collègue des proscripteurs. Mais , lorsqu'il eut dépassé sa quarantième année , pendant son séjour dans les Gaules, il lui fut donné avis que Lucius Cinna, homme d'un esprit étroit, lui dres- sait des embûches. On lui dit où , quand et com- ment il devait frapper ; un des complices était le dénonciateur. Auguste , résolu de se venger de lui , flt réunir ses amis en conseil. Sa nuit fut agi- tée : car il songeait qu"il allait condamner un jeune homme noble, et h cela près irréprochable , petit-fils de Cn. Pompée. 11 ne pouvait dt'ja plus se résoudre à la mort d'un seul homme ; et pour- tant, avec M. Antoine , il avait dicté l'édit de pro- scription au milieu d'un souper. 11 gémissait , et faisait entendre des paroles entrecoupées et con- tradictoires : « Quoi donc ! souffrirai-je que mon assassin s'en aille libre et tranquille, quand je suis en alarmes? Il ne serait pas puni, ce- lui qui, menaçant une têle tant de fois épar- gnée par les guerres civiles, échappée à tant de combats maritimes et terrestres , après que les terres et les mers sont pacifiées , entreprend, non de me tuer, mais de m'immoler ? » Car il voulait le frapper pendant le sacriflce. Puis, après un intervalle de silence, élevant la voix, il s'em- portait beaucoup plus violemment contre lui- même que contre Cinna : « Pourquoi vis-tu , si SÉNÈQUE. tant d'hommes ont intérêt à ta mort? Quand s'ar- rêteront les supplices? Quand s'arrêtera le sang? Je suis pour les jeunes nobles une tête dévouée, contre laquelle ils aiguisent leurs poignards. La vie n'est pas si précieuse que, pour ne pas périr moi-même, il faille perdre tant de monde! » Enfin sa femme Livie l'interrompit : « En croiras- tu , dit-elle, les conseils d'une femme? Fais ce que font les médecins ; lorsque les remèdes ordi- naires ne réussissent pas , ils emploient les con- traires. La sévérité ne l'a pas encore profilé : après Salvidienus est venu Lépidus; après Lépidus, Muréna ; après Muréua, Caîpion ; après Cœ[)ioii , Egnatius; je ne nomme pas les autres qui rou- gissent d'avoir tant osé : essaie maiulenant du moyen de la clémence. Pardonne a L. Cinna ; il est découvert : il ne peut déjà plus te nuire; il peut encore être utile à ta gloire. » Heureux d'a- voir trouvé un avocat dans sa cause , Auguste remercie son épouse , donne aussitôt contre-ordre aux amis qu'il avait convoqués en conseil, et mande Cinna tout seul. Renvoyant alors tout le monde de sa chambre, après avoir fait placer un second siège pour Cinna : « Ce que je le demande avant tout, lui dit-il, c'est de ne pas m'intcrrompre, c'est de ne pas l'écrier au milieu de mon dis- cours : il le sera donné ensuite le loisir de parler. Je t'ai trouvé , Cinna , dans le camp de mes ad- versaires , non pas devenu , mais né mou ennemi : je t'ai donné la vie , je t'ai rendu tout Ion patri- moine. Aujourd'hui tu es si heureux, si riche, que le vaincu fait envie aux vainqueurs. Tu de- mandes le sacerdoce ; et repoussant de nombreux illum a principatu suo aestimare incipiat. In commimi quidem republica gladium movlt ; quum hoc X'iatis esset quod tu nunces, duodevicesiiiium egressus annum, jara pugiones in sinum amicorum absconderat, jam insidiis M.Antoniiconsulislatuspelierat, jam fueratcoilcga pro- seriptionis : seJ qiiiim annum quadragesimum transisset, etiuGallia morarelur, delatum est ad eum indicium, L. Cinnam, stolidi ingenii virum, insidias ei slruere. Diclum est et ubi , et quando, et quemadmodiim aggredi vellet : unus ex conseils dcferebat. Consliluit se ab eo vindicare; consilium amicorum advocari jussit. Nox illi inquiéta erat, quum cogitaretadolescenlemnobileni, hoc dctracto, integrum, Cn. Pompeii nepotem damnamlum. Jam unum hominem occidere non potcrat, eum M. An- tonio proscriptionis edictum inler cœnam dictarat. Ge- mens subinde voces eniiltebat varias , et inter se contra- rias. « Qiiid ergo? ego percussoiem nioum socurum am- bulare patiar, me sollicito? Ergo non dabit pœnas, qui lot civilibus bellis frustra pelitum caput, tôt navalihus, tôt pedestribus prœliis incolume, poslquam terra mari- que paï parla est, non occidere constituit, sed immolare ?. uam sacrincantein placueral adoriri. Rursus silentio in- tcrposito majore multo voce, sibi, quam Cinn», irascc- batur. « Quid vifis , si perire te tam mallomm interest f quis finis erit suppliciorum ? quis sanguinis? Ego sum nobilibus adolescentulis eipositum caput, in quod mucro- ncs acuant. ISon est tanti vita , si, ut ego non peream, tam multa perdenda sunt. » Interpellatit tandem illum Livia uxor :et, « Admiltis, inquit, muliebre consiliam? Fac quod medici soient ; qui ubi usitata remédia noa procedunt , tentant contraria. Severitate nihil adbnc pro- fecisti : Salvidienum Lépidus secutus est, Lcpidum Mu- rœna , Muraonam Csepio, Cœpionem Egnatius, ut alios taceam , quos tantum ausos pudet : nunc tenta quomodo tibi cedat cleraentia. Ignosce L. Cinnap; deprehensus est : jam nocere tibi non potest, prodesse famae tua» polest. » Gavisus , sibi quod advocatum invener,it , uxoii quidem gratias egit : reuuntiari autem eitemplo amicis, qaos in consilium rogaverat, imperavit, et Cinnam unum ad se arcessit: dimissisque omnibus e cnbiculo, quum alteram Cinnae poni catbedram jussisset: « Hoc, inquit, primuni atepeto.ne me loqueutem interpelles, ne medio ser- mone nieo proclames : dabilur tibi loquendi libemm tempus. Ego te, Cinna , quum in hostium castris lUTenis- sem, non factum tantum mihi inimicum, sed natnm ser- vavi , patrimoniura tii)i omne concessi, Hodie tam fellx DE LA CLÉMENCE. 337 corapdlitcnrs dont les pères avaient combattu près de moi, c'est à toi que je le donnai. Après avoir si bien mérité de toi , tu as décidé de m'assas- siner. • A ces mots, Cinna s'écrianl qu'un tel égarement était bien loin de lui : « Tu liens mal ta promesse , Cinna , reprit-il ; il était convenu que tu ne m'interromprais pas. Tu veux, je le répète, m'assassiner. » Puis il indiqua le lieu, les complices , le jour, le plan de la conspiration , le bras auquel le fer devait être confié. Ensuite , le voyant les yeux baissés et gardant le silence moins par respect pour la convention faite que par la conscience de son crime : • Quel est ton but? luidil-il. Est-ce [>our régner toi-même? Par Her- cule! le peuple romain esta plaindre, si entre toi et l'empire je suis le seul obstacle. Tu ne peux même défendre la maison : ces jours derniers , dans une contestation privée , tu as succombé sous le crédit d'un alfrancbi. En es-tu donc a ne trouver rien de plus facile que de choisir César pour adversaire? Soit; si je suis le seul em- pêchement à tes espérances. Mais s'accommode- ront-ils de toi , les Paulus , les Fabius Maximus , les Cossus , les Servilius, et celle longue suite de nobles, non de ceux qui portent de vains titres, mais de ceux qui honorent les images de leurs aïeux? » Je ne reproduirai pas tout son discours , qui remplirait la plus grande partie de cet écrit : car il est certain qu'il parla plus de deux heures , voulant prolonger ce supplice, le seul qu'il lui préparât. « Cinna, continua-t-il, je te donne la vie une seconde fois ; la première , c'était à un en- nemi; maintenant, c'est 'a un traître et à un par- ricide. Qu'à daler de ce jour notre amitié com- mence : luttons désormais à qui mettra le plus de loyauté , moi en te donnant la vie , toi en me la devant. » Depuis, il lui offrit de lui-même le consulat, en lui reprochant de n'avoir pas osé le demander. Auguste n'eut pas d'ami plus fidèle , et fut son seul héritier. Il n'y eut plus personne qui formât de complot contre lui. X. Ton aïeul pardonna aux vaincus; car, s'il n'eût pardonne, sur qui eût-il régné? Ce fut dans le camp ennemi qu'il recruta Silluste, et les Coc- ceius, et les Dellius, et toute la cohorte de ceux qui avaient les premières entrées. Déjà , par sa clémence, il avait conquis les Domitius, les Mes- sala, les Asinius, les Cicéron , et toute la fleur de Rome. Et Lépidus lui-même, comme il lui permit de mourir tard ! Pendant un grand nombre d'années, il le laissa conserver les insignes de la principauté, et ce ne fut qu'après sa mort, qu'il consentit à ce qu'on lui transférât à lui-même le souverain pontificat. Il aima mieux qu'on l'ap- pelât un honneur qu'une dépouille. Celle clémence lui assura le salut et le repos : c'est elle qui le rendit cher et agréable, quoiqu'il eût imposé son joug 'a des têtes qui n'y étaient pas encore façon- nées; c'est elle qui, aujourd'hui, lui vaut une renommée qui accompagne rarement les princes, même de leur vivant. Nous croyons qu'Auguste est un dieu , mais sans qu'on nous l'ordonne. Nous reconnaissons qu'il fut un bon prince et mé- rita le nom de père ; et la seule raison , c'est que même les outrages , qui d'ordinaire sont pour les princes plus sensibles que les crimes , ne provo- es , et lam divcs , ut victo victores invideant. Sacerdotium tibi petenti, praeteriii» compluribus , quorum parentes roecum niilita?erant , dedi. Quum «c de te mei-uerim , o<'cidere me coiuiiluisti. > Quum ad banc Tocem cicla- niasset, procul banc ab se abessc dementiam : • Non prsstat, inquit, fidem, Ciona; convenerat ne interlo- querrris. Occidere, inquam , me paras; • adjecit locum, socios, dieni , ordinem insidiarum , cui commissum csset ferrum. Et quum defiium vidcrct, Dec ex conventione jam, sed ei conscieiitia tat. Ipsum Lepidum quaiiidiu mori passus est ! Per multos annostnlit ornamenta priucipis relinentem: et pontiGcatum maiinum , non nisi mortuo illo , trans- ferri in se passus est ; maluit enim illum honorem vocari , quam spolium. Haec enm clcmentia ad salutem sccurit i- temque perduxit; baîc gratum ac favoraliilem reddidil , quanivis nondum subactis reipulilicfe ccrvicibus nianiiiii imposuisset ; baschodicque pr.-B8lat illi famam , qua; vix viïis principibus servit. Deum esse, non tanquam jussi , credimus. Bonum principem Augustuni , et l)ene illi con- venisse pareiilis nomcn, fateiiiur; ol) iiiillam aliani cau- sam , quam quod contunielias qiioque suns , qn,c acer- ±1 538 SÉNÈQUE. quèrenl jamais cb-iz lui la cruauté; c'est qu'aux i par les passions, &i entraîner par la témérité, ni paroles offensantes il se contenta de rire; c'est corrompre par les exemples des princes sespré- qu'il semblait être puni quand il punissait ; c'est décesseurs, jusqu'à faire des expériences pour qu'après avoir condamne les complices des adul- tères de sa lille , bien loin de les faire mourir , il essayer combien on peut abuser de ses sujets, on émousse le glaive du pouvoir. Tu as fait, César, les relégua, et leur délivra des ordres ccrils pour | que notre ville est pure de sang; et cette gloire, garantir leur sûreté. Or, si l'on considère com- dont s'est vantée ton âme généreuse, o de n'avoir bien il y a d'hommes tout prêts a se charger des j pas versé dans le monde entier une seule goutte colères du prince cl 'a lui offrir en don le sang d'au- , de sang, » est d'aulaut plus grande, d'autant plus trui, c'est la pardonner, que de faire plus que ; étonnante, que jamais le glaive ne fut conflc à de sauver la vie, c'est 'a savoir la garantir. '• plus jeunes mains. La clémence apporte,^ non- XI. Voil'a ce qic fit Auguste vieillard , ou du seulement plus d'honneur, mais plus de sûreté , moins quand ses années inclinaient vers la vieil- elle est en môme temps lornement des empires, lessc. Sa jeunesse fut emportée, ardente de co- lère , coupable de bien des actes sur lesquels il reportait sos yeux avec regret. Personne n'oserait comparer h. ta clémence celle du divin Auguste, i paiiculi meo jussu occi- duDtur. • Hoc non est nicntitiis ; pnuci Siillx videhaiiiiir. Sed nio< illeSutla; • ConvRcjnannir, quomodo liostitius irasceodum nit , utiqiie si in liosUle ui>men cives , et ex eo- ileni c<>rpnrcal)rupli, transieiint. • Intérim lioc ipiod di- cebam, clemen'.iaemcit, ot masnuni inter regein trran- nomqne discrimen sil : uterque licet n m miniis armis valletur; srd aller arma habel, qiiibus in nninimentum pacis niiliir; aller ul iiiaf;nt> timoré magna odia compes- cat. yec illas ipsas msnus, qiiitms se commisit, seciirus adspicit; contr.triis in contraria agitur; nani et invisus est, quia limetur, et limeri Tult, quia inTisns esi ; el illo eutecrabitiversu, qui niuUos dédit prxcipite>,nlilur : Oderint dum metuant Ignanis quanta rabics oriator, nbi supra modum odia creverjnt 1 Temperatus enim limor culiil)et aniinos ; assi- duus vero cl acer, et eitrema udniuvens, in audaciam ja- ceatMCicitat, et omoia experiii roadet. Sic feras lincis et pinna clusas conlineas; ensdcm a Icrpo eques tclis in- ccssal : leiitabunt lugam per ipa <]we fugerant , procul- cabuiitquc rorniidiuem. .\cerrinKi viriuseil.quiim uUima nfcesiiias extuudil. Keliuqual oporiel stciiri alii|uid me- lus , nmltoquc plus spei (|ujm periculoruni oslenlel : alio- quiu ul>i quiescenti paria nioluuulur, incurrere in pcri- cula juval, et aliéna anima al)uli. Placido Irauqnilloqiiu regi lida sunl auxiiia sua , quibus ad conmiuntm salutcni utalMr : gtoriosusquc mile» ( pubi c;c enim securilali dare operam Tidelur) omnem l.ilmrem libous [Killliir, ut pa- renlis cus;os. Al illum acerbum et saaguinarium necussc e^l gi'avenlur slipatores sui. XHI. iNon polest habere quisqnam bona; ac fidœ vo- luntatis miuislros, quilms in tornienlis', et equulco, et ferramentis ad m;irtem paraiis utitur, quibus non ailler quam bestils humines objectai : omnibus rébus noxior ac sollicilior, ul qui domines deosque lestes ac vindices faci- norum timcat,eo perdurlus, ul non liceal illi mulaie mures. Hoc enim inler cèlera vel pessiiimm habel crude- îilas, quod prrscvcrandum esl, ncepteur 'a ses lorilasiofeslistampatrumquamfilioruin manibuseripuit. XV. T. Ariuni.qui Dlium dcprchensum in parricidio eisilio daniuavit, causa ciignila, ucmo non suspeiit, quod coQlenlus eisilio, et eisilio delicalo, Massilio* par- ricidam continuit, et annua illi prxititit, quanla prae- slare intègre >olebat. Hxc liberalilateffecit, ut, in qua citilate nun(|uam deett patronus pcjoribus, nemo dubi- taret,quin reus mcrito damnatus e^!>et, queni ii pater damnare poluisset, qui odisse non poteral. Hoc ipso eiemplo dabo , quem comi ares bnno pairi bonuni prin- cipem. Cogniturus de filio T. Arius advocavit in consi- llum Caesarem Angusliun; Tenit in privatos pénates, as- «editjpars alirniconsilii fuit. Non diiit : • Imino inmeam domum Tcniat. iQuod si factuni csset, Ca-taris tutura erat eognilio, nonpdlris. Audila causa, eicussisque om- nibus, et bis qux adulescens pro se dixerat.ct his qui- bus arguebatur, petit, ut scntentiani suara quisque scri- bcret, ne ea omnium (leret, qua> (Jacsaris fuisset. Deinde, (H-iusquam aperlrentur codicilli, juravit se T. Arii bo- minis locnpletishereditatem non adilnrum. Dicet aliquis, pusillo animo; timuit ne yideretur locum spci sua; ape- rire relie Glii damnalione. Ego contra scnlio. Quilibet umli-um d('biiits«| adTcrius opiniouos maligoas ).alis fl- ducis liabere in l)ona conscieotia : principes multa d«- bent etiam famae dare. Juravit se non adiiurum bcredi- talem. Arius quidem eodem die et alterum heredem per- didit; sed Cssar lilicrtateni seutcntix sua; redemit;et postquam approliavit graluilam esse sevcrilatcm suam , quel principi scmpcrcurandum est, dixit : Relegandum quo paIri videielur. >'un culleum, non serpentes, non carcerem decrevit, nienior non de quo censerel, sed cul in consiliu esset. Slollissiino gcncre pœnx contentuni esse debere patrcni diiit in lillo adolesccntulo, impulse in id scelus, in quo se, quod proiimuni cratab innocenlia, timide gessisset : debere illum ab urbe et a parentis ocu- lis submoveri. XVI. O dignum , quem in cnnsilium paires advoc»- renll o dignum, quem coberedem innocenlibus liberis scribcrcntl Haie clemenlia principem decet, ut quo- cunqne venerit, mansuetiora omnia taciat. Nemo rcgi tam vilis sit, ut illum perire non sentiat; qualiscunqne , pari impcrii est. In magna imperia ei minoribus petamus cieirplum. Non est ucam imperandi genus; impera» princcps ciïibus suis, paler liberis, praccptor discenti- bus, tribunus vel cenlurio niililibus. Nonne pessimos patcr videbilur, qui assiduis plagis libcros «liaraci l«- 542 SENÈQUE. élèves, le tribun ouïe centurion à ses soUats.Ne i regarderait-on pas comme le pins mauvais des ] pères celui qui sans cesse accablerait ses enfants ' de coups, même pour la cause la plus légère? Quel , est le précepteur le plus digne d'enseigner les ', sciences libérales , de celui qui se fera le bourreau j de ses disciples , si leur mémoire est en défaut , si leur coup-d'œil n'est pas assez rapide pour lire ; sans hésiter, ou de celui qui, pour les instruire et les corriger, aime mieux les reprendre et les faire rougir. Donne-raoi un tribun ou un centurioncruel: il fera des déserteurs, et ils mériteront l'indulgence. Est-il donc juste de commander aux hommes avec plus de rigueur et de dureté qu'aux animaux muets? Cependant l'écuyer habile n'effarouche pas le cheval par des coups redoubles. L'animal de- viendrait ombrageux et rétif, si une main cares- sante ne le flattait. Le chasseur en fait autant, lorsqu'il dresse de jeunes chiens a suivre la piste, ou lorsque, après les avoir exercés, il s'en sert pour lancer ou pour suivre le gibier. H n'est pas sans cesse à les menacer; car il refroidirait leur ardeur, et tout ce qu'ils ont de feu s'éteindrait sous l'inlluence décourageante de la crainte; mais il ne leur laisse pas non plus la liberté de s'écar- ter et de courir au hasard. Ajoute h ces e emplos celui des bê(cs de somme même les plus pares- seuses : quoiqu'elles semblent nées pour les ou- trages et les mauvais traitements, une excessive cruauté les contraint 'a secouer le joug. j XVII. De tous les animaux le plus intraitable est l'homme; aucuii n'a besoin d'être conduit avec plus d'art, aucun n'exige plus d'iiuhilgence. Qu'y ; a-t-il , en effet, de plus insensé que d'avoir honte ; de se mettre en colère contre des bêtes de somme et des chiens , et de faire que la pire condition soit celle de l'homme soumis à l'homme? Nous traitons les maladies sans nous irriter contre elles ; or, le vice est une maladie de l'âme, qui exige un traitement doux et un médecin satis rudesse pour le malade. Il est d'un mauvais médecin de désespé- rer, pour se dispenser de guérir. Il en est de même pour le trailcmenldcs âmes malades : celui auquel est confié le salut de tous ne doit pas premiè- rement rejeter tout espoir, ni déclarer les symp- tômes mortels. Qu'il lutte coulre les vices, qu'il résiste ; qu'aux uns il reproche leur maladie ; qu'il trompe les autres par un régime doux , et les gué- risse plus vite et plus sûrement par des remèdes déguisés. Que le prince mette ses soins non-seule- ment à sauver, mais encore à ne laisser que des cicatrices honorables. Il n'y a, pour un roi, nulle gloire dans un châtiment cruel. Qui doute, en effet, de son pouvoir? 11 y a, au contraire, une très-grande gloire, s'il commande à sa violence, s'il arrache beaucoup de victimes à la colère des autres, et n'en immole aucune "a la sienne. XVIII. Commander aux esclaves avec modé- ration est un mérite; et il te faut songer non combien tu peux les faire souffrir avec impunité, mais ce que te permet sur eux la loi du bien et de l'équité; or, elle commande d'épargner même les captifs et les hommes achetés a prix d'argent. N'est-elle pas bien plus juste encore, quand elle ordonne de ne pas abuser , comme d'un esclave , de l'homme libre, noble et honnête, mais de le traiter comme un citoyen que tu domines par Ion rang, dont lu es le tuteur et non pas le maître? Les esclaves trouvent un asile près de la statue du priuce : quoiqu'on puisse tout contre eux , il y a vissiniis causis, compescet? Uter autem pra?ceptnr libe- ralilnis sliidiis dignior, qui excurnificnbit discipiilos, si nicmoria illis non consiiterit, aut si paruni agilis in le- gendo ociiUis liiEseril; an qui monitionil)us e! vereeundia emendare ac docere malit? Tril)uuum centurioneniqno da sasvura; descrtores faciet, qui'.uis tamon ignoscittir. Nuniquidnam ajquum est, gravius lioniiui et durius im- perari, quain imperalur aninialilms mutis? Atquicquura non crebiis verberibus exterretdoniandi peritusniagister. riet cnim forniidolosus et conlumax , nisi cuin tactn blan- diente permulseris. Idem facit venalor, qui inslituit catu- los Tcsligia sequi.quique jam cxercitatis uliturad esci- tiindas vel persequcndas feras. ÎNcc crebro illis niinatiir; contundet eniiu animos , et quidquid est indolis comnii- nuetur trcpidalione degeneri ; nec licenliam vagandi er- randiquepassim concedit. Adjiciashis licet tardiora agen- tes junienta , quae quum ad conlnmelias et niiserias nata sint , nimia saîvitia coguntur juguni deirectarc. XVII. Nullum animal morosius est, nulluni majore arle liaclanduni , quam homo ; nulli magis parceudiim. Quid euim stultius , quant in jumentis et canilius orubesceic iram exercere , pessima antcm conditione sub homioe hominem csse?Morbis medemur, nec irascimur : atqui et hic ntorbus est animi; molleni medicinam desideral , ipsumque medenteui minime infeslum ffgro. Mali me- dici est , desperare , ne curest. Idem in his, quorum ani- niiis alfeclus est, facere debcbit , oui crédita salus om- ! niuni est; non cito spem projicere, nec niorlifera signa pronuntiare. Lucteturcum \itiis, résistât; aliis niorbiim I Mium exprobrel; quosdam molli curatione decipiat, citius \ nieliusque sanaturus reniediis fallentibus. Agal princeps I cturm , non tantum salutis , sed eliani honcs:a; cic: Iricis. I iVulla régi gloria est ex sa'Ta animadversione; quis cnim j dubilat posse? at contra maxima, si vim suam continet, si multns iras aliéna; ei'ipuit, ncmincm suîe impendit. ] XVIII. Servis imperare moderate , laus est ; et in man- cipio cogilanduni est, non quantum illud impune pati possit, sed quantum tibi permittat a'qui iMjnique natnra, <;ua' parcere etiani captivis et pretio paratisjulwt. Quanto i justius jubet, hominibusliberis, ingcnuis, honesUs, non ut inancipiis abnii, sed his qnos gradu antecedas, quo- ruraquc tibi non Iradila sei vilus sit , sed tutcla ? Servii DE LA CLEMENCE. 343 des choses qu'interdit contre riiomnie le droit eoiiiraun des êtres; car tout lionime est de la même .nature que toi. A qui Védiiis Pollion is'était- il pas encore plus odieux qu'à ses esclaves, lui qui engraissait ses murènes de sang humain , et luisait jeter ceux (jui l'ofiensaient dans un vivier rempli de véritables serpents? O homme digne de mille morts! soit qu'il réservât pour sa tahie les murènes auxquelles il donnait à dévorer ses es- claves, soit qu'il ne les nourrit que pour les nour- rir de celte manière. De mOnie que les maîtres cruels sont signalés dans toute la ville comme des olijels de haine et d'exécration, de inêuie l'injus- tice et l'infamie des rois se déploient sur un vaste théâtre, et leur nom est livré 'a la malédiction des siècles. Conib'ten eût mieux valu ne naître jamais , que de compter parmi les hommes nés pour le malheur des autres ! XIX. On ne peut rien imaginer, pour un souve- rain,de plus beau que la clémence, dequelquema- nière et 'aqucique titre qu'il ait été placé au-dessus des autres. Nous avouerons toutefois qu'elle a d'au- tant plus d'éclat et de grandeur, qu'elle s'exerce dans la souveraine puissance, laquelle ne saurait £tre nuisible, si elle suit les lois de la naluie. C'est la nature, en effet, qui inventa la royauté : on peut s'en convaincre en observant les autres ani- maux , entre autres les abeilles, dont le roi occupe la demeure la plus spacieuse, la plus centrale et la plus sûre. En oulre, exempt lui-même de toute charge, il fait rendre aux autres compte do leur travail : "a sa mort tout l'essaim se disperse. Jamais les abeilles n'en souffrent plus d'un , et elles cher- ' chent le plus vaillant aux combats. Du reste, ce roi se fait remarquer par sa forme , diffère des autres en grandeur et en éclat. Voici surtout ce qui le dislingue : les abeilles sont très-iras- cibles, et, eu égard "a leur petitesse, très-ar- dentes au combat : toujours elles laissent leur aiguillon dans la plaie; le roi, au contraire, est sans aignillon. La nature n'a pas voulu qu'il fût cruel , ni qu'il exerçât une vengeance qui eût coulé trop cher; elle lui a donc refusé un dard, et a laissé sa colère désarmée. C'est l'a un puissant exemple pour les grands rois. Car la nature a pour habitude de se dévoiler dans les petits détails, et d'offrir, dans ses moindres ouvrages, des leçons pour les grandes choses. Rougissons donc de ne pas atteindre à la sagesse de ces faibles insectes, nous pour qui la modération est d'autant plus néces- saire, que notre violence est plus désastreuse. Plût aux dieux (|ue l'homme fût soumis "a la même loi, que ses armes se brisassent avec sa colère, qu'il ne lui fût permis de frapper qu'un seul coup, et qne sa haine ne pût s'exercer "a l'aide de forces étran- gères ! car la fureur se lasserait aisément si elle se satisfaisait d'elle-même, et si elle ne dépensait sa force (pi'au péril de la vie. Cependant, même avec ses mo\ens actuels, elle ne peut se donner car- rière en toute sécurité. Car on doit nécessairement craindre autant qu'un a voulu être craint; on doit surveiller toutes les mains, se croire menacé même alors qu'il n'y a pas de complots, et n'avoir aucun instant libre de terreur, list-il un homme qui consente 'a supporter une si misérable exis- tence , lorsqu'il est possible , sans faire de mal aux ad slatuiim licet confugcrc; quiim in srrvum oninia li- cciiiit , esl aliqiiid , quod iu tioniinem liccre cuiiiiiiunc jus auiniaotiiiin velct; (|uia ejusdeiii iiatui at?0 liuiiiiiirni mille iiiortilms digiiuni ! sive de\orandos servos objiciei)at niura'ois, quasesuruscrat, sivc ia hoc lautum illas alitiat, ut sic aleret. Quemadiiioduiu doiiiiniciudelcsliilaciiiialc ciim- Uiooslraulur, iiivi&iquo et dclesiabilcs suut ; ila re{>uui et injuria laliu^i palet et iufamia , alque odium sc-ciilis traditur. Qii into auicm dou oasci fuit , quani uumcrari inicr pul)lico nialo nalos 1 XIX. Eicogitare neiuo quidquam potcrit, quod magis decui'um regen.i sil, quani cli-inentia, qui)cnu(|ue modo i», et quucunque jure pra-po>ilus céleris cnl. Ko sci.icet furmusius id esse luagnilicentiusque fateliiniur, qui) in majori prœstal>itur polestale, quaiu non oporlct noiiani esse, si ad mdura! legein coniponilur. Nntura cnini coni- nienla est regem; quod ei ex atiis aninialilius licet co;;- noscere, et ex apilms, quaiujii régi anipliisininni ciibilc est , inedioque av tulisiinio loco. Pra-leroa encre Ti:ct, cxactor allenorum opcrum ; et aniisso rcge lotiim dilabi- tur examen; ncc unquani plus miuin paiiuulur, melio- rcnupie pugna quxruut. Pratcrca insiguis rtgi furma est, di&siiiiilisque cctcris, luni niaguitudine, tuni uitore; lioe tanicn uiaxinie dislinguilur. Iracundibsimic, ac pro cor- poris caplu pugoacissiuia' suutapes, etaculeusin vulnere reliiiquunt ; rcx ipse sine aculeo est. Noluii illum natura ucc stevum esse, ntc ultiuneni magno coustaturani pe- tcrc; lelumi|nc driraxit, et irani ejiis jncrnicni reliquit. K\cin|ilar hue niagnis regibus ingeus est. ICst cnim illi nios exserere se in parvis, et iiiganliuni rcriun docu- nienla minima agcre. Pudeat ab exignis animaliluis non traherc mires; qiium tanio lioniiunni niiideratior esse animns dehiat, <|uant() velienientius nocet. IJlinam c|ui- dcm eadcm huiniui lex cssct , et ira cnni Iclo suo frange - relur , ncc sapius licercl nocere quain scniel , nec alieuia viiil)ics exirccrc odia ! Facile euini lussaietiir furor, si perse silii salibfaccret, et si morlis perieulo viui suam effunderet. Scd ne uuuc (|Hidem illi cursus tuUis est. Tan- tum eniiii Uicesse est tinicat, quantum liniiri voluit, et manusonmiiMiKibHTvet, et nec quidquam esse gloriosius principe impune laeso. XXI. Ultio duas res pracstare solet ; aut sHaliura atîerl DE LA CLEMENCE. 345 Jure soit une coDsolation passagère, soil la sécurité pour l'avenir. Or, la condilion du prince est trop élevée pour qu'il ail besoin de consolation ; et sa puissance est trop manireste pour qu'elle cher- che à faire preuve de force par le malheur d'au- trui. Je ne parle que dans le cas où il a été attaqué et insulté par des inférieurs; car, s'il voit au- dessous de lui ceux qui autrefois étaient ses égaux , il est assez vengé. Un esclave , un serpent, une flèche tuent un roi ; mais , pour sauver quel- qu'un , il faut être plus puissant que celui que l'on sauve. L'homme qui a le pouvoir de donner et d'ôter la vie doit donc noblement user de ce magniOque présent des dieux, surtout envers ceux qu'il sait avoir occupé le même rang que lui : dès qu'il est l'arbitre de leur sort, sa vengeance est remplie , et il leur a sufQsaranient inflige nu vé- ritable châtiment. Car c'est avoir perdu la vie, que de la devoir ; et tout homme qui , jeté du haut des grandeurs aux pieds d'un ennemi, a dû at- tendre la sentence d'un autre sur sa tête et sa couronne, ne vit plus que pour la gloire de son sauveur, et lui vaut plus de réputation en vi- vant, que si on l'eut fait disparaître. Tous les jours il sert de trophée 'a la vertu d'un autre : conduiten triomphe, il n'eût fait que passer. Mais, si le vainqueur a pu sans danger lui laisser aussi son royaume , et le replacer sur le trône d'où il était tombé, h quelle immense hauteur s'élève la renommée de celui qui, sur un roi vaincu, ne peut prendre que la gloire 1 C'est là triompher même de sa victoire, et témoigner qu'il n'a rien trouvé chez les vaincus qui fût digne du vain- queur. Quant aux citoyens, aux inconnus, aux humbles, il faut les traiter avec d'autant plus de modération, qu'il y a moins de mérite à les avoir terrassés. Aux uns , fais-toi un plaisir de pardon- ner; des autres, dédaigne de te venger, et retire ta main comme on fait pour ces faibles insectes qui souillent celui qui les écrase. Mais pour ceux dont la punition ou la grâce seront pi oclamées par toutes les bouches , attends , pour user de la clé- mence, une occasion qui la fasse connaître. XXII. Passons aux offenses commises envers les autres : la loi, en les punissant, s'est proposé un triple but, que doit aussi se proposer le prince , c'est-à-dire , ou de corriger celui qu'elle châtie , ou de rendre les autres meilleurs par l'exemple du châtiment , ou d'assurer la sécurité des bons, en retranchant les mauvais. Quaut aux coupables, lu les corrigeras mieux par des peines modérées ; car on prend plus de soin de sa réputation, quand il en resteencorc quelque chose d'intact. Mais per- sonne ne ménage un nom déjà perdu ; c'est une sorte d'impunité que de ne pas donner prise à la punition. Quant aux mœurs publiques , on les corrige mieux en étant sobre de châtiments ; car la multitude des délinquants crée l'habitude du délit : la flétrissure est moins sensible quand la foule des condamnés l'atténue; etla sévériié, en se prodiguant , perd cette autorité qui fait la force du remède. Le prince assure les bonnes mœurs dans un Etat, il en extirpe le vice, lorsqu'il se montre tolérant , non en homme qui l'approuve , mais en homme qui n'en vient au châtiment qu'à regret et avec une vive douleur. La clémeiico el qui accepil injuriam , aat io reliqaum secoritatem, PrincipU major est fortune , quam ut solatio egeat ; ma- nirestiorque vis, quam ut alieno malo opiniouem sibi vi- riuni qua'rat. Hoc dico, qunm ab inferioribus petitus Tjolatusque csl ; nam si , quos pares aliquando habuit , infra scvidct, satis vindicatus est. Regem et servui occi- dit, et serpent, et sapitla ; servaTit quidem ncmo, uisi major eo quem servavit. liti itaquc auimose débet tanto munere dcorum dandi auferendique vitara polens, in bis praesertim, quos scit aliquando simile fasiigiumobtinuisse: hoc arbitrium adcptus , uliiunem implevit , perfecitque quantum vera; pnenac satis erat. Perdidit enimTilam, qui débet ; et quisquis ei alto ad inimici pedcs abjectus alienam de caplle rcgnoque senleotiam eu|iectarit , io serTatoris sui gloriam vivit , plosquc noiiiini ejus contert iocolumis, quamsieiocnlis ablatus essel. Assiduuni cnim sprctaculum alieua; virlutls est; iu Iriumpbocito trans- isset. Si "ero regoiun quoque suum lulo rcliuqul apud enm poluit, reponiquc co undc déciderai , ingenti iucre- iiienlo surgit lausrjiu, qui conlentus fuit ei rege victo nibil praeter gloriam «unicre. Hoc est ctiam ci Ticîoria toa triumpharc , tcstarique , nibil se quod dignum ossct «iciorc, apud ïicto» inveni^se. Cum civibus, et ignolis, alquc bumilibus eo modoratius agendum est, quo mi- noris est afllixisse eos. Quibusdam libenter parcas; a quibusdam te vindicare fastidias; et non aliter, quam al) aolmalibus partis et oblerenlem inquinanlibus reducenda manus est; at in ils, qui in ore civitalis servati puniliquc erunt , occasione nota; clemcntiie utendum c^t. XXII. Transeamus ad aliénas injurias, in quibusiindi- candis bxc tria lex secuta est, qux princeps quoque sequi débet; aut ut eum, quem punit , emendct; aut ut pœna ejus ceteros meliores rcddat ; aut ut sublafis malis secu- riorescetcriTivant. Ipsosficiliusemendabis minore pœna; diligentius enim vivit, oui aliquid inte^irisupore.sl. Nemo dignitati perdita) pareil ; impunitatis genus est, jaro non halwrc poena; locum. Ciïitalis autem mores magis cor- rigit parcitas animadTcrsionum; facit enim consuctudi- nem peccandi multiludo peccanliuui ; et minus gravis nota est, quam turba daninatorum levât; cl sevcritas , quod maiimum remedium babet, assiduilate auiitlitauc- toritalem. Constituil l)onos mores civilati princeps, et viliaeruil, si paliens eoi-um est, non tanquaniprobel.sed tanquam invitu.s, et cnm magnolormenlo ad ca.stigandum venia'. Verecuniliam peccandi facit ipsa clemenlia rcgcntis. Gra\ ior multo pana viddur , «pur a mili \ iro constiluitur. 54f» luôme du souverain fait la honte du crime. La peine semble d'autant plus sévère, qu'elle est pro- noncée par un juge indulgent. XXIII. Tu verras d'ailleurs que les fautes qui se commettent souvent sont celles qui sont sou- vent punies. Ton père , en cinq ans , a fait cou- dre dans le sac plus de parricides qu'on n'en avait cousu dans tous les siècles précédents. Les enfants se montrèrent moins hardis "a coramelire le plus odieux des crimes, tant qu'il n'y eut pas de loi contre ce forfait. Ce fut par l'effet d'une haute sa- gesse et d'une connaissance approfoiulie do la na- ture des choses, que d'illustres législateurs aimè- rent mieux le passer sous silence, tomme un crime impossible et dépassant les limites de l'audace , plutôt que de montrer, en le punissant, qu'il pouvait être commis. Ainsi les parricides ont commencé avec la loi , et la peine enseigna le forfait. La piété filiale fut bien compromise, alors que i'.ous avons vu plus de sacs que de croix. Dans une cité où l'on punit rarement, il s'établit un contrat d'innocence : on cultive celte vertu comme une propriété publique. Qu'une cité se croie innocente, elle le sera. On s'indigne davan- tage contre ceux qui s'écartent de la probité com- mune, lorsqu'ils sont en petit nombre. H est dangereux, crois-moi, de montrer à une cité eu quelle majorité sont les méchants. XXIV. Une sentence du Sénat avait jadis or- donné qu'un vêtement particulier distinguerait les esclaves des hommes libres : bientôt on com- jirit (juels dangers nous menaceraient, si nos esclaves commençaient "a nous compter. Sache que la même chose est a craindre, si l'on ne par- donne 'a personne : on verra bientôt combien SÉNÈQUE. l'emporte la portion la plus mauvaise de la cité. La multitude des supplices n'est pas moins désho- norante pour le prince , que la multitude des fu- nérailles pour le médecin. On obéit de meilleur gré 'a celui qui commande avec douceur. L'esprit humain est naturellement rebelle; et luttant con- tre les obstacles et la contrainte , il suit plus vo- lontiers qu'il ne se laisse conduiie. Do même que le coursier lier et généreux est plus facile à diri- ger lorsque son mors est doux , de môme l'inno- cence marche par une impulsion volontaire et spontanée 'a la suite de la clémence; et la cité la regarde comme un trésor digne d'être con- servé. On obtient donc davantage par cette voie. La cruauté est un vice qui n'a rien d'humain, et qui répugne 'a la douceur de notre nature. C'est une rage de bête fauve , que de prendre plaisir au sang et aux blessures ; c'est abdiquer l'homme pour se transformer en animal des bois. XXV. Je te le demande , Alexandre , quelle différence y a-l-il entre jeter Lysiraaqueh un liou, et le déchirer de tes propres dents'/ Ces lèvres sanglantes sont les lieunes; la bête féroce, c'est toi. Oh! que lu voudrais bien mieux avoir loi- môme ces griffes, avoir toi-même cette gueule assez large pour engloutir des hommes! Nous ne te demandons pas que celte main, qui porte à les amis une mort assurée, soit sccourable pour au- cun, que cette àmc cruelle, insatiable fléau des nations , se rassasie sans meurtre et sans carnage; nous dirons que c'est de la clémence , si pour tuer un ami tu choisis un bourieau parmi les hommes. Voil'a ce qui rend la cruauté surtout exécrable, c'est qu'elle dépasse d'abord les limites ordinaires, ensuite les limites humaines. Elle re- XXII r. Prœterea vi(lol)is ea SiTpe onmmitti , qiia? sa-pe viiidicautur. Pater liius pturcs iulra (iuiiu|iiormiuni culteo iosiiit, quaiii omnibus seculis iiisiitos aciiopiiiiiis; multo minus nuileliant lil)eri iiefas uliiniura adniiltcro, quani- diu sine Icge crimen fuit. Sunima cnini piiulcnlia altis- simi vii-i et ronini naluia; porltissinii iinluorunl , vclut inci'e(lit)ite scclus , ( t ullra auilaciain posiluin pra'terire , quani , dum viuditaut, ostcndere pos>e ficri. Ila([ue par- ricida' cnin loge craperunt, vl itiis facinus paMia nions- travit; pessinio vcro toco pietas fuit, poskiuam sa pius culleos ïidinius, qnam ci'uces In qiia civil:Ue raro lio- mines puainniui', in ca consensus fit iiiiioceiilia?, et in- dutst'lur \elut pul)lico l)on:). Pulct se innoccnlom esse ciïitas; eril ; iiiagis irascilur a conimuni fnijjatitalo des- ciscenlilnis, si paucos os esse * ideiit. Pcricutosuni e.'-t , iiiilii creile, ostendcre civitali quanio plurcs mati sint. XXIV. Indicta est aliquando a Senalu sentcntia, ut servos a lil)eris cultus disiingueret; deinde apparuil , quantum periculura ininiineret , si servi noslri numerare nos cœpissent. Idem scito mctnendum esse , si uulli ig- noscitur; eito apparcl)it, pars rivitatis deteiior quanto pra'gravel. IS'on minus principi lurpia sunt muUa suppli- cia , ipiam niedico multa funera. Remissius imperaati mclius parelur. Natura contumas est humanus animus, et in conir.irium alque arduum nit'ns, sequilurque fa- citius qusm dueilur. Kl ut generosi atque nobiles equi nielius facili fieno regunlur; ita clemeutiam voluntaria iimiicentia impetu suo sequilur, etdignam pulat civ.tas, quani seivet sibi; plus itaque liac via proficitur. Crude- litas niiiiime hunianiun nialum est, indignum tam initi animo. Feiiuaista rabiescst, sanguine gaudere acTulue- ril)us, et, abjecto liomine, in silvestre animal transira. XXV. Quid enim iulerest, oro te, Alevander, leoni Lysimachum ol)jicias,anipse Isceres dentibustuis? luum illud os est, tua itia feritas. O qnam ruperes til)i polius urigues esse, tibi rietum iltum edendoiuni hnminutn ca- paci-ni ! Non oxiginius a te, ut m:musis:a, exilium faiiii- liarium certissimum, ulli saluUiris sil; ut ists animus fe- rox.insaliabile gentium raalum, cira sanguiueni cœdem- que salietur; clemenlia vocatur, si ad occidendum aiiii- cura caniifcx inter tioniines eliL-itur! IIdc est, quare vel maxime aboniiuauda sitsxvitia , nuud excedit liues, pri- DE LA CLÉMENCE. 347 cherche de nouveaux supplices, elle appelle a son aide rimagiuatioa , elle invente des inslruments pour varier et prolonger la douleur; elle fait ses délices des souffrances de l'homme. Cette horrible maladie de l'âme arrive au comble de la démence, alors que la cruauté s'est convertie en volupté, et que c'est une jouissance de tuer un homme. Un tel monstre est poursuivi par la ruine, la haine, le poison et le poignard. Aussi grand est le nom- bre des dangers qui le menacent, que le nombre de ceux pour qui lui-même est uu d;ingcr. Tantôt il est assiégé par des complots privés, tantôt par l'indignation publique : car une injure légère et individuelle ne soulève pas des villes entières ; mais celle qui étend au loin ses ravages, et blesse tout le monde, appelle les traits de toutes parts. Les petits serpents s'échappent , et l'on ne se ras- semble pas pour les tuer ; mais si un reptile passe la mesure ordinaire , si sa grandeur en fait un monstre , s'il infecte les sources où il s'abreuve , s'il brûle de son haleine , s'il broie tout ce qu'il rencontre , on l'attaque avec des balisles. Les petits maux peuvent s'excuser et passer inaper- çus ; quand le mal est extrême, on court à ren- contre. Ainsi un seul malade ne trouble pas même une maison : mais quand la peste s'est annoncée par des morts fréquentes, toute la cité gémit dans le deuil ; on fuit , ou porte la main sur les dicnx cux- mèmcs. La flamme a-telIc brillé sur le toit d'une seule maison , la famille et les voisins l'étoigncnl et y jettent do l'eau ; mais que l'incendie soit vaste, qu'il ait déjà dévore beaucoup de maisons, on sacrifie, pour l'éteuffer, une partie de la ville. XXVI. Pour venger des cruautés privées, il a quelquefois suffi du bras d'un esclave, malgré le péril assuré de la croix ; mais pour celles des ty- rans, les nations et les peuples, et tous ceux dont ils étaient le fléau, et tous ceux dont ils mena- çaient de le devenir, se sont soulevés pour y mettre fin. Quelquefois leurs propres gardes se sont ré- voltés contre eux , et ont pratiqué sur eux les le- çons de perfi:!ie, d'impiété, de férocité qu'ils en avaient reçues. Que peut-on espérer en effet de celui que l'on 'a instruit à être méclianl? La méchanceté n'obéit pas longtemps, et ne s'em- porte pas aussi loin qu'on le lui ordonne. Mais, supposons que la cruauté ne coure aucun danger : quel règne que le sien ! C'est l'image d'une ville prise d'assaut; c'est l'effrayant tableau de la ter- reur publique. Ce n'est que tristesse, alarmes, confusion : on redoute jusqu'au plaisir. Nulle sé- curité, ni dans les festins, où l'ivresse même est obligée de surveiller avec soin ses discours , ni dans les speclacles, où l'on ciierchedes prétextes aux accusations et aux supplices. Qu'importe qu'ils étalent 'a grands frais les pompes royales, et les noms illustres des artistes ! Quel homme peut se plaire aux jeux publics dans une prison? Que! délire, bons dieux, que de tuer, de sévir, d'ai- mer le bruit des chaînes, de trancher les têtes des citoyens, de verser partout où l'on passe des Ilots de sang , de voir "a son aspect tout trembler , tout fuir! Quelle autre vie mènerait-on , si les lions et les ours régnaient, si les serpents et les animaux les plus nuisibles avaient l'empire sur nous?t;i encore ces êtres privés de raison, et con- nium solilos , deinde bumanos. Nova supplicia conquirit, in<^cnlum advocat, inslrunieuta cicogilat , per qua> va- rietur atquc cxtcndalur dolor; et delectalur malis tionii- anm. Tune ille diras animi morbus ad insaniam pervc- nit ullimam, quum cmdctitas versa est in Toiiptileni, et jam occidcre boniincm juvat. Nain tilem viruni a ter(,'o «equitur eversio , odia, vencna, gladii; lain inullis peri- culis pclitur , quam iniittoriim ipse periculuni est; i)ri\a- tisque nOQnunqiiam consiliis, allas Tcro consternalionc puMica circunivenilur. Levis cnim et privala peinicies non lotas urties movet ; quod talc furere cœpil , et omnes sppctit , imdique configitur. Serpente» parvula; falliint , nec pntjlice condciuiitur; ubi aliqua solilani nieiisuram transiit, et in nionstruin cjcrevil, ul)i fontes potu infc- cit , et si afflaTit, deurit ol.tcritqiie quacuuque incessit, batlistis peliiur. Possunt Terl)a dare, et cvadere pusilla mata; ingentibus obviam itur. Sic unusa-gcr nec domum quidem perturbât ; at nbi crel)ri» monibns pestilenliain esse appamit, ccnclamaiio civiliitis.ac fug.i est , et diis ipsis inaniis inlentanlur. Sul> uno aliqiioteclo flaniinaap- p«niit; faniilia vicinique acpiain ingerunt; at incendiuni Ta»iuin, et muUas jain donios depastuni, parle urbis ob- ruitur XXVI. Crudelitatem privatonim servilesqnoqne manos sut) certo crucis periculo ultaj sunt ; lyrannoruni , pente» populique, et quorum erat uialuni , et hi quibus iinniine- netiat, exscindere apgressi sunl. Aliquando sua pra?siriia in ip os consnrrexerurit, perfidiamque, et impietatein, et feritatem , et quidquid ab îllis didlcerant, in ipso» excrcuer uni. Quid enim polest ab eo quisquam sperare , qnein nialum esse docuit? >"on diu apparet nequitia , nec quantum jubeiur, peccat. Sed pula lutam esse crudelita- tem ; quale eju» rcgnum est ? non allud , «luam caplarum urtùum forma , et tenibiles faciès pulilici nietus. Omnia mnesla, trépida, confusa ; voluptates ipsa; timen ur. Non conviTia secura ini'unt, in quibus lin<;ua scillicilc eliam eliriis custodienda est; non spcctacula , ex quibus iiialeria criminis ac penculi quaTilur. Apparenîur licit magna impensa , et regiis opibus, et arlilicuin esquisitis nomi- nibus ; quem tanien ludi in carcere jcivent ? Quod islud , diiboni, maluin est, occidere, sa;\ire, dclecturi sono cntcnaruni, et ciTiuni capila deciderc, quocunqiie ven- tum est niullum sanguiuis funderc, aspectu suo teirere ac lugaie? Quœ alla vila esset , si leones ursiqiie regua- renl? si serpentibus in nos, ac uoxioiissimo cuiqne ani- mali darctur polestas? Illa laliouis cxpcrtiaeta nobij ira 348 SÉNÈQUE. damnés par nous comme coupables de cruauté, épargnent leur espèce : chez les bôles féroces la ressemblance est une sauvegarde. Mais la rage du tyran ne s'abstient pas même des siens : étran- reuse inspirée aune grande âme par une grande douceur, qui ne fut ni étudiée, ni prononcée pour des oreilles étrangères, mais qui s'échappa sou- dain, et mit au grand jour la bonté en lutte avec gcrs et parens sont pour lui sur une ligne égale : l les devoirs de ton rang. Burrhus, ton préfet, le meurtre des individus est un exercice qui le prépare au massacre des nations. Lancer la torche sur les maisons, faire passer sa charrue sur les villes antiques, voilà ce qu'il appelle la puissance; ordonner la mort d'un homme ou de deux lui semble peu royal , et si un troupeau d'infortunés ne tend la gorge tout à la fois, il se ligure qu'on tyrannise sa cruauté. Le vrai bonheur est d'assu- rer le salut de beaucoup d'hommes, de les rap- peler de la mort à la vie, et, par la clémence, démériter la couronne civique. Il n'y a pas d'or- nement plus digne de la majesté du prince , que cette couronne accordée pour avoir sauvé des ci- toyens; il n'y en a pas de plus beau , ni les tro- phées d'armes enlevées aux ennemis vaincus, ni les chars arrosés du sang des Barbares , ni les dé- pouilles conquises par la valeur. Sauver en masse des populations entières , c'est un pouvoir divin ; faire périr au hasard des mullitudes, c'est le pou- voir de l'inceudie et de la destruction. LIVRE SECOND. I. Ce qui, surtout, m'a engagé 'a écrire sur la Clé- mence, c'est une parole de toi, Néron César, que je n'ai pu sans admiration ni t'eulcndre proférer, ni raconter moi-même aux autres : parole géné- homme illustre et honoré de ton amitié, forcé de sé- vir contre deux voleurs, tepriaild'écrirelesnoms des coupables et le motif de leur condamnation. Après plusieurs délais , il insistait pour qu'enfin justice fût faite. Lorsqu''a regret il te présenta la sentence, et qu'il regret tu la pris, tu t'écrias : Il Je voudrais ne pas savoir écrire! » 0 parole digne d'être entendue de tous les peuples qui habitent l'empire romain, et de tous ceux qui, sur nos frontières , n'ont qu'une liberté douteuse , et de tous ceux qui ont assez de force et de courage pour se lever contre nous! 0 parole faite pour être transmise "a l'assemblée de tous les mortels , pour devenir la formule du serment des princes et des rois ! 0 parole digne de l'innocence primitive du genre humain , digne de faire revivre ces âges antiques! C'est maintenant, sans doute, qu'il convient de marcher d'accord vers le bien et le juste, de bannir la convoitise du bien d'autrui, source de tous les maux de l'âme ; de réveiller la piété, la droiture, en même temps que la bonne foi et la modération; c'est m iinlenant qu'après les abus d'un trop long règne, les vices vont faire place "a un siècle de bonheur et de pureté. II. Cet avenir , César , il nous est permis d'es- pérer et de prédire qu'il nous est en grande par- tie réservé. Cette douceur de ton âme se commu- niquera ; elle pénétrera peu à peu tous les mem- manitalis crimine damnata , alwtinent suis; et tiita est etiam inicr feras simililudo. Horum ne a neeessariis qiii- dem rallies tempérât s-il)! ; sed estfrna suaque in a-qiio habet. que possit cxercilatior a singulonim ca'dibus deinde in cxitia gcntium serpere. Et injiceie teclis igneni, ara- trum vetiistisurbibus indùcere, potenliani pulat; et unum occidi iul)ere aul alterutn , pariim imperatoriura crédit; nisi eodem tempore prex miserorum subjeclus slelit , crudelilatem suam in ordinem coactam putat. Félicitas illa, inultis siilulem darc, et ad vitain ab ipsa raoric revocare, et mcreri clemenlia civicam. Nullum oriiariientuni prin- cipis fasligio dignius pulchriusque est , quam illa corona ob cives sorvalos ; nou hoslilia arma dctracta victis , non cur-rus Barbarorura sanguine cruenli , non parla bello spolia. IIa?c divina polenlia est, gregalim ac publiée ser- vare; multos autem occidere, et indiscrètes, incendii ac ruina; polentia est. LIBER SECUNDUS. 1. Ut de Clemcnlii scriberem, Nero Ca['sar, nna me TOI tua maxime conipulit; quam ego non sine admira- tioiic, et.qunm diceretur,audi$se uiemini, et deinde aliis narrasse. Vocem gencrosam , magni animi , magnx leni- tatis , qux non composita , nec alienis auribus data , su- bito erupit, et bonitatem tuam cum fortuna tua litigao- tem in niedi um add mil ! Animadversurus in latrones duos Bunbus prajrectus luus, vir egregius, et tibi principi notus, exigeliata te , scribercs, in quos et ei qua causa animadverti velles; boc sa?pe dilatum, ut aliquando fie- rel , instabat. Invitus invito quum cbartam prolulisset , traderetque, exclamasti : t Vellem nescire litcras! • O dignam vocem , quam audirent omnes gentes, qua: roma- num imperium incoluot , qnaeqne juxta jacent dubia; li- berlatis, quaeque se contra viribus aut animis allollunt! O vocem , in concionem omnium mortalinm mitiendam , incujus verba principes regesquejurarentl O vocem pu- blica generis bumani innocentia dignam , cui redderetur antiquum illud seculum ! Nunc profccto consentire dece- bat ad asquum bouumque, expulsa alieni cupidine , ei qua omne animi malnm oritur; pietatem integritatemque c^iin fîieac modeslia resurgere; et vitia diuturno abusa régna tandem felici ac puro seculo dare locum. II. Futurum boc, Cacsar, ex magna parte sperare et confiteri libcl; tradetur isla auimi lui mansuetudo dit- fnndetiirqup paulatim per omne imperii corpus , et concts, DE LA. CLEMENCE. 349 bres de l'empire , et tons se formeront a ton image. C'est dans la lêle qu'est le principe de la santé : de là vient que tout est actif et vigoureux, tout est faible et languissant , selon que l'àrae est saine ou malade. Et les citoyens , et les alliés se- ront dignes de cette bonté, et dans tout l'univers renaîtront les bonnes mœurs; partout disparaîtra la violence. Souffre qu'en parlant de toi j'insiste encore, non pour flatter Ion oreille, car ce n'est pas mon habitude : j'aimerais mieux te blesser par la vérité que de le plaire par l'adulation. Quel est donc mon but? Je n'en ai pas d'autre que le désir de te familiariser le plus possible avec ce que lu as fait, ce que tu as dit de bien, aGn de convertir en principe réfléchi ce qui n'est en- core que l'élan d'un heureux naturel. Je me dis à moi-même qu'il s'est introduit parmi les hommes des maximes hardies , mais détestables, et dont la célébrité se colporte partout, comme celle-ci : « Qu'on me haïsse , pourvu qu'on me craigne , » à laquelle ressemble ce vers grec : • Qu'après ma mort la terre soit livrée au feu; » et d'autres de même sorte. Pour moi , je ne sais comment des esprits monstrueux et exécrables ont pu créer, quand la matière s'y prétait tant, des termes aussi violents , aussi énergiques ; tandis que je n'avais entendu jusqu'à ce jour aucune parole passionnée venir d'un prince doux et humain. Eh bien! ces sentences qui t'ont rendu l'écriture odieuse, et que tu ne signes que raremeut , à regret, et après une longue hésitation , il faut pourtant les signer quel- quefois ; mais il le faut , ainsi que lu le fais , après une longue hésitation, après de longs dé- lais. III. Dans la crainte que, par hasard, le nom séduisant de clémence ue nous abuse et ne nous entraine dans un défaut contraire , voyons ce qu'est la clémence, comment elle se comporte, et quelles sont ses limites. La clémence est la modération d'une âme qui a le pouvoir de ven- ger; ou bien c'est l'indulgence d'un supérieut envers son inférieur dans l'application des peines. Il est plus sûr de propo.ser plusieurs définitions, de peur qu'une seule n'embrasse pas toullesujet, et que nous ne péchions, pour ainsi parler , par un vice de formule. Ainsi l'on dit encore que la clémence est un penchant de l'âme vers la dou- ceur, lorsqu'il s'agit de punir. Il est une autre définition qui trouvera des contradicteurs, quoi- qu'elle approche beaucoup de la vérité. Si nous disons, par exemple, que la clémence est cette modération qui remet quelque chose de la peine due et méritée, on se récriera en soutenant qu'il n'y a aucune vertu qui fasse moins que ce qui est dû. Cependant tout le monde comprend que la clémence consiste h se tenir cn-dcçà du châtiment qui pourrait être à bon droit inflige. Les ignorants s'imaginent que son contraire est la sévérité ; mais il n'y a pas de vertu qui soit le contraire d'une autre vertu. IV. Quel est donc l'opposé de la clémence? C'est la cruauté, qui n'est autre chose que la du- reté de l'âme dans l'application des peines. Ce- pendant il y a des gens qui , sans appliquer des peines , sont néanmoins cruels : ainsi ceux qui tuent des inconnus et des passants, non en vued'uu profit, mais pour le plaisir de tuer. Souvent ils ne se conteutent pas de faire mourir, mais ils in simUiludiDeni tui rormabuDtur. A capite lx>Da Taletndo; iode oniDia Tegeta sunt atque rrecta, aut langaore de- nista, prout animus eoruni viget, aut marcct. Et eruot cives , erunt socii digoi bac bonitale , et ia totum orbem recti lucres rcTertentur ; |)arcetar ubiqae manibos. Tuis diutiiis me morari liic patere, non ut blandam auribus luis; nec enim niibi bic mos est ; maluerim veris ofleo- dere, quam placere adulando; quid ergo est? praeier id , quod bene factis dictisque tuis quam ramiliarissimum esse te cupio , ut , quod nunc natora et impetus est , Gat judi- cium. Illad meconi considero, mullas Toces magnas , sed detestabiles , in titam bumanam pervenisse , celebresque Tutgoferri, nt illam : • Oderint, dam metuaol! i Cui grscns Tersu.^ similis est, «qui se mortuo terram misceri ignibus iul)et t et alia bujus notae. Ac nescio, quomodo ingeuia immania et inv isa materia secundiori expresse- runt sensus véhémentes et concitatos. Nullam adhuc vo- cem audivi ex l)ono lenique auimosam. Quid ergo est ? ut raro , invilus , et cum magna cunctationc , ita aliquando «cribas necesse est illud , quod lil)i in odium literas ad- dniit; sed, sicnt facis , cum magna cunctaliooe, cum ■lultis dilattgnibu$. m. Et ne forte decipiat nos speciosum clementiae no- men, aliquando et in conlrarium abducat,Tideamus quid sit clementia , qualisqne sit , et quos floes bal>eat. Cle- menlia est temperantia animi, io polestate ulciscendi, vel lenitas supeiioris adversus inreriorem in constituen- dis pœnis. Plura proponere est tutius, ne una deGnitio parum rem comprebendat , et, ut ita dicam, formula eicidat: itaqne dici potest et inclioatio animi ad lenita- tem in poena eiigenda. Illa Gnitio contradictiones iuve- niet, quamvis maxime ad verum accédât. Si dixerimus clementiam esse rooderationem aliquid ex mérita ac débita poena reniiltentem, reclamabitur nullam virtu- tem quidquam minus debito facere. Atqui hoc omnes intelligunt clementiam esse , qu£ se Oectit citra id quod merito constitui posset. Uuic contrariam impcriti pu- lant severitalem; sed nulla virlus tirtuti contraria est. IV. Quid ergo opponitur clementiae? Crudelitas, qua) nihil aliud est, quam atrocitas animi in exigendis pœnis. Sed quidam non eii^unl pœnas, crudeles tamea sunt ; tanquam qui ignolos bomines et obvios non in compeo- diuni , sed occidendi causa occidunt. Picc interGcere con- leoti (sviunt, ut Siais ille et Procustes, et piralte, qui 350 veulent torturer : comme Sinis, comme Procusie, comme les pirates, qui accablent de coups leurs , prisonuiers , et les mettent vivants sur le bûcher. C'est l'a sans doute de la cruauté : mais comme elle n'est pas une suite de la vcnj^eance (car il n'y a pas eu d'orfensc) , comme elle ne s'exerce pas contre un coupable (car elle n'est précédée d'aucun crime) , elle est en dehors de notre dcfl- nition , laquelle ne comprend que l'excessive rigueur dans l'application des peines. Nous pou- vons dire qu'il n'y a pas cruauté, mais féro- cité "a chercher des jouissances dans les tourments des autres. Nous pouvons dire que c'est de la fo- lie ; car la folie est de diverses espèces, et aucune n'est plus caractérisée que celle qui va jusqu'au meurtre et aux tortures. J'appelle donc cruels ceux qui, avec de justes motifs pour punir, ne gardent pas de mesure. Tel était Phalaris auquel on re- proche, non "a la vérité d'avoirpunidesinnocents, mais d'avoir été dans ses supplices au-del'a des bornes de l'humanité etdela justice. Pour cthap- per aux mauvaises plaisanteries, nous pouvons définir la cruauté un penchant de l'âme vers la ri- gueur. C'est ce que la clémence repousse loin de soi; car il est certain qu'elle peut s'accorder avec la sévérité. 11 entre dans notre sujet d'examiner ici ce que c'est que la compassion. Car en général on la vante comme une vertu , et l'on appelle bon l'homme compatissant. Et pourtant elle est un des vices de l'âme. La cruauté et la compassion sont sur les limites , l'une de la sévérité , l'autre de la clémence. Nous devons donc les éviter, de peur que, sous une apparence de sévérité, nous ne tombions dans la cruauté, et, sous une appa- SÉNÈQUE, rence de clémence, dans la compassion. Dans ce dernier cas, l'errear est moins dangereuse; mais en tout cas elle est égale dès que l'on s'écarte de la vérité. V. De même donc que la religion honore les dieux, et que les superstitions les outragent , de môme les gens de bien feront preuve de clémence et de douceur , mais éviteront la compassion. C'est le vice d une âme faible qui succombe a l'aspect du mal d'autrui. Aussi est-il Irès-comnnni, même ch('Z les méchants. On voit des vieil- les femmes qui s'attendrissent aux larmes des plus grands coupables, et qui, si elles le pou- vaient, briseraient les portes des prisons. La compassion ne considère pas la cause , mais seu- lement l'infortune; la clémence s'attache 'a la rai- son. Je sais que la secte des Stoïciens est mal venue auprès des ignorants , comme trop dure , comme incapable de donner aux princes et aux rois de bons conseils. On lui reproche de refuser au sage le droit de compatir, le droit de pardonner. La doctrine ainsi posée serait odieuse; car elle semble ne laisser aucun espoir aux erreurs humaines , et envoyer au supplice tous les délits. S'il en était ainsi , que serait donc cette philosophie qui or- donnerait d'oublier l'humanité, et qui, nous interdisant de nous entr'aider, nous fermerait le port le plus sûr contre l'adversité? Mais nulle secte, au contraire, n'est plus bienveillante, plus douce; nulle n'est plus amie des hommes, plus occupée du bien général; car elle enseigne non pas seulement à être secourable , à être utile à soi-même , mais à surveiller les intérêts de Ions et de chacun. La compassion est une douleur' de captos Terl)erant , et in igncm vives imponunt. Ha-c crii- dclilas quidem; sed quia nec ultionem seqiiitur ( non euini la;sa csl), nec peccato alicni irascitur (nullum en ni aulecessit criinen) eilra finiliomni noslram cadil; qua' fmitio coalinebat in exigendis pœnis intemperaïuiani ani- mi. Possumus dicere, non es.'-e liane ciudelitalcni, sed feritatem , oui Toluptali sœïitia est : possunuis iusaniani vocare; nam varia sunt gênera ojus.et nullum cerlius, quani quod in cacdes lioinintini et lanialiones pervcnil. Illos crgo ctiidelcs vocalx) , qui punicndi causaui lialicnl, modum non halienl. Sicut in Plialari, quciii aiuut non qnidein iu lioinines innocentes, sed super liitmaninn ac prolialiilem m:)dum saevisse. Possumus tfrugrrecavillatio- nem , et ita finire , ut sitcrudclilas incliualio animi ad as- periora. Ilanc clemenlia repcllit longins a se : nam se- verilalem illi conveuire certum est. Ad rein periinet, quœrere hoc loco, quid sit niiseiicordia. Pterique cnini ut virtutem eam laudant , et bonum boniinem vocant nii- serieordem. At haec vilinm auimi est. Utraque circa se- veritatein , circaque cleinenliani posila sunl; qua' vilare del)emus, ne pcr specieni seveiitaiis in crudetilalem, neyc per speciem clemenlia? in misericoidiani incidnmus. In lioc, leviore periculo erralur, sed par error est a vers recedenliuni. \. l'rgo qiiemadmodnm religio deos colit, tuperslitio violât; ita clementiam mansuetudineinque omiies boni prSBstabunt, niisericordiam aulem yiiabuiit. Est enim vitiuni pusilli auimi, ad speciem alienorum malonim succedentis. Itaque pessinio cuique familiHrissima est. Anus et muliercula? sHut,qua! tacrymis noccntissiniorum nioveniur, qua;, silicerct, carcerera eflringcrent. Mise- l'iciii'dia non causam, sed furlunim speclat: clemenlia rationi aceedil. Scio maie audirc apud im|)erilos seclani Slolcoi'um, tanquam niniis durani, el minime princ:pi- bus regibusqiie bonum daturam consiliura. Ubjicitur enim iili, quod sapienlcm negat raisereri, ncgat ignos- cerc. IIa,'c si per se ponautur, iiivisa sunt; videntur eaiin nullani spem relinquere liumanis erroribus, sed omnia dollcla ad pœnam dcducere. Quod si est, quidni hase sciea- tia , quae dedùscere huiuanitateni jubet , porluiuque ad- versus foi'lunam cerlissinmm muluo auiilio cludil?Sed uul!a sccla lieniguior lenioniue est, nulla amaalior ho- niinum, et comniunilus bords at:cnlior : ut proposilum sit usui esse aut auxilio, nec sibi tantum.scd uuiversi^ DE LA CLÉMENCE. ûol l'âme, occasionée par la vue des misères d'aiUrui; ou bien une tristesse produite par les maux d'au- trui , que l'on s'imagine n'être pas mérités. Gr, la douleur n'atteint pas le sage : son esprit est tou- jours sans nuages, et aucun cvcnement ne peut l'oljscurcir. Rien ne lui sied mieux qu'une âme forte ; or, elle ue peut être forte , si la crainte et l'affliction l'amollissent, l'obscurcissent et la resserrent. C'est ce qui n'arrivera pas au sage , même dans ses propres malheurs: mais il repous- sera et verra se briser "a ses pieds tout le courroux du sort. 11 conservera toujours le même visage , calme et impassible; ce qu'il ne pourrait faire , s'il se laissait atteindre par la tristesse. Ajoute que le sage est prévoyant et tient sa raison toujours en éveil. Or, jamais ce qui est limpide et pur ne provient de ce qui est trouble. Car la tristesse est inhabile 'a discerner les objets , 'a calculer l'u- tile , 'a éviter les périls, à apprécier le juste. Ainsi donc il ne coni))atira pas aux misères d'antrui , parce qu'il lui faudrait rendre son âme miséra- ble ; pour toutes les autres choses que font d'or- dinaire les gens compatissants , il les fera volon- tiers, mais dans un autre sentiment. VI. Il essuiera les larmes des autres , il n'y mêlera pas les siennes. Il offrira la main au nau- frage; "a l'enilé, l'hospitalité; 'a l'indigent, l'au- mône ; non cette aumône humiliante, que la plupart de ceux qui veulent passer pour compa- tissants jettent avec dédain au malheureux qu'ils secourent, et dont le contact les dégoûte ; mais il donnera comme »m homme h on homme , sur le patrimoine commun. Il rendra le Gis aux larmes d'une mère, il fera tomber les chaînes de l'esclave, il retirera de l'arène le gladiateur, il ensevelira même le cadavre du criminel. Mais il fera tout cela duns le calme de son esprit, et d'un visage inaltérable. Ainsi donc le sage ne sera pas com- patissant; mais il sera secourablc, il sera utile aux autres; car il est né pour servir d'appui à tons, pour contribuer au bien public, dont il offre une part 'a chacun. Même pour les méchants, que selon l'occasion il réprimande et corrige, sa bonté est toujours accessible. Mais quant aux malheureux et à ceux qui souffrent avec con- stance , il leur viendra en aide avec bien plus de cœur. Toutes les fois qu'il le pourra , il s'inter- posera eutre eux et la fortune. Quel meilleur usage, en effet, ferait-il de ses richesses et de son pouvoir, que de rétablir ce que le sort a détruit 1 Sans doute , ni sou visage , ni son âme ne seront abattus, en voyant la maigreur elles haillons du mendiant décharné, cl sa vieillesse qui se traîne appuyée sur un bâton. Mais il obligera tous ceux qui le mériteront , et, ainsi que les dieux , il fera tomber sur l'infortune un regard favorable. La compassion est voisine de la misère; elle en tient, elle en emprunte quelque chose. On s'a- perçoit que des yeux sont faibles , lorsqu'ils cou- lent eux-mêmes en voyant couler les autres; de même c'est un signe d'inOrmiic et non de gaîlé, que de rire toujours au rire des autres, comme d'ouvrir la bouche chaque fois que quel- qu'un bâille. La compassion est l'inGruiité des âmes trop sensibles "a la misère : l'exiger du sage, c'est presque exiger de lui des lamentations et sioRulisqne fjin'îiilpre. Mlsericordia est sgrilndo aniini , ob alicntiruni miscrianiin specicm , aut trislilia e» a'.ie- Dis nialis contracta , qiiae accidere imiiicrcalilxis crédit. A^gritudu .-iiilcm in sapIcDicm virum non cadd; serrna ejus mcok est , aec (juidquam incKlcre potest, quad ill^m oliducal. rSibilquc, <|uain maguus aiiimus drcrt; mm potest autom niaguus esse Idem , si mcius et marnr con- lundlt, si inenlein oitducit et cnnlraliit. Hoc sapienti ne in suis qulilcin accidet calainitatibus, sed onmeiii fortuiKU iram reverberabit , et antc se franget ; eanidcm »eni|>iT faciem sit , ptacidam , incuncti.ssani ; quod tacerc lion posst't, si tristiliam reciperet. Adjice, quod sapiens providet , et in ex|)eilito cousilium baliet; nuiiquani aii- leni liqaidnm sincerunique ei turbido vcnil. Tristilia cnim iohabilis est ad dispiciendas res, utilia excoRitiinda, pe- ricutosa vitanda, a>(|ua a;sliniand:i.Ergo non miscrilnr, quia et «ioc iniseria aiiinii non nt;ciiL'ra onuiia, qiia qui misercntur soient fdccre, b;c libcns et atius aniaio faciet. VI. Snccurret alienis lacrjmis , non acccdet ; dabit nia- nnm naufrago, eisuli hospitium , cscnli slipeni, mm liane conlumcliosam , (|iia purs major horum , qui se mi • (cricordes videii volunt, abjicit et faslidit quos adjuvat, contingique ab histimct : srd ut liomo homini, ex com- muai dabit. Uonabit lacrymis niaternis Tilium , et catenas soivi jiil>cl>it, et iudu cxia)et, et cadaver etiam notium scpcliel. Al faciet is'.a tranquilla mente, vultu suc. Ergo uun misei'C'liitur sapiens, sed succurret, sed prodcrit,iii commune auxilium natus ac pul>licum bonum,ei qiio dal>it cuique parlern : eliara ad cataniitosos pro portione iiiipral)nndos et emendnndos bonilalem suam permittct. AfUiclis vero, et Tortius lalmrantibus, niutlo tibcntins sut>veniet.Qun:icnspolerit, fortuuaeinlercedct; ubienim opibus polius uletur, aul viril)us, quam ad restituenda, (|Uip casus imputit! vulum quidem non drjiciet, nrcanl- nmm ob seruscaniis civis ahdam ac pannosam niaiirm , et iunixam l)aculo senectutem : ceterum omnibus digiiis proderit, et deiirum more calaniitosos propilius ropiciet. Misericordia vicina est miscrix' : haliet cuiin aliquid, lraliit<|ue ex ea. Inibecillcs ooulos esse scias, qui ad alie- nani lippiludincni et ipsi suffnnduniur j lamnieherculc, quqm morburaesse, non bitarilalcrii, semper anidere ridcntitius , et ad omnium oscilationcni ipsum cpiociue os d ducere. Misericordia viliumest aninioruni, nimismise ria- ravculium : quam siquisa sapienlecxigit, prnpe est ut tamentationcm cxigal , cl in alienis funeribus geniilus 552 SÉNÊQUE. ties gcinissernents aux funérailles d'un étranger. \U. Mais pourquoi ne pardonne-t-il pas? Je vais le dire. Commençons par établir ce que c'est que le pardon, afin de nous convaincre que le sage ne doit pas l'accorder. Le pardon est la re- mise d'une peine méritée. Pourquoi le sage ne doit-il pas l'accorder ? On en trouve les raisons longuement développées chez ceux qui ont traité cette matière. Pour moi, je les dirai en peu de mois, comme rendant compte de l'opinion d'au- Irui. On pardonne a celui qui aurait dû être puni. Or, le sage ne fait rien de ce qu'il ne doit pas, n'omet rien de ce qu'il doit faire. Il ne remet donc pas la peine qu'il doit infliger ; mais ce qu'on veut obtenir par le pardon, il l'accorde par une voie bien plus honorable ; car le sage épargne , con- seille et corrige. Il fait la même chose que s'il pardonnait, et pourtant il ne pardonne pas, parce que pardonner c'est avouer qu'on omet quel- que chose que l'on devait faire. A l'un , il adres- sera des réprimandes , mais il ne le punira pas, en considération de son âge qui lui permet de s'amender : "a l'autre , que son crime expose à la haine publique, il assurera son salut, parce qu'il a failli par la séduction, ou par l'ivresse. Les ennemis , il les renverra avec la vie sauve , quelquefois même avec éloge, s'ils ont pris les armes pour des motifs honorables, pour la foi du serment , pour une alliance , pour la li- berté. Ce ne sont pas Ta des œuvres de pardon, mais de clémence. La clémence a son libre arbi- tre : elle ne prononce pas d'après des formules , mais d'après le bien et l'équité. Il lui est permis d'absoudre , et de taxer la peine au prix qui lui convient. Et en agissant ainsi, elle ne prétend pas déroger 'a la justice , mais que ses arrêts soient ce qu'il y a de plus juste. Or, pardon- ner, c'est ne pas punir ce que l'on juge pardon- nable. Le pardon est la remise d'une peine due : la clémence a pour premier effet de déclarer que ceux qu'elle épargne ne devaient subir rien de plus. Elle est donc plus complète et plus honora- ble que le pardon. C'est à mon sens une dispute de mots : mais on est d'accord sur les choses. Le sage remettra un grand nombre de peines; il conservera un grand nombre d'hommes d'un es- prit peu sain, mais qu'on peut rendre 'a la santé. Il imitera l'habile agriculteur, qui ne cultive pas seulement les arbres droits et élevés, mais adapte des appuis, pour les redresser, à ceux qu'un acci- dent quelconque a tordus. 11 émonde les uns pour que leurs rameaux n'arrêtent pas leur essor ; il alimente ceux qui languissent sur un sol pares- seux; à d'autres , sur qui pèse une ombre étran- gère, il découvre les cieux. Suivant ces principes , le sage parfait examinera quel traitement parti- culier convient 'a chaque esprit, pour fléchir et redresser ceux qui ne sont pas droits. YII. AtqaarenonigQOscat, dicam. Constituarous nunc quoque quid sit venia , ut scïainus dari illam a sapieiite non dehere. Venia est pœnae meiitae remissio. Hanc sa- piens quare non debeat darc, reddunt rationem diutins , quibus hoc propositum est. Ego ut breviter, tanquam in alieno judicio, dicam : ci ignoscitur, qui puniri debuit; sapiens autem nihil facil, quod non débet, niliil praetermittit quod débet; ilaquepœnam.quani exigeredebet , nondo- nat ; sed illud , quod ei venia consequi vis , honesliore tibi via tribult : parcit enim sapiens, consulit, et corrigit. Idemfacit, quod si ignosceret, necignoscit : quoniam qui ignoscit, fatetur aliquid se, quod fieri debuit, omisisse. Aliquem verbis tanlum admonebit, pœna non afflciet, aetalem ejus emeudabileni inluens : aliquein invidia cri- niinis manifeste laborautcm jubebit incolumem esse, quia deceplus est , quia per vinum lapsus. Hostes dimittet salros , aliquando etiam laudatos , si honestis causis pro fide, pro fœdere, pro libertate in bellum accincli sunf. Haicoinaia uonvenia!, sed démentis opéra sunt. Cle- mentia liberum arbitriuni babet; non sub formula, sed ex éequo et bono judicat. Et absolvere illi licet, et quaiiii \ult, taïare litcm. Nitiil ex his facit, tanquam juslo mi- nus fecerit, sed tanquam id quod coustituit, jusiissimum sit. Ignoscerc aulem est , quae judicas punienda , non pu- nire. Venia débita; pœna; remissio est; clemenlia hin; primum prasstat, nt quos dimiltit, nibil aliud illos pâli debuisse pronuntiet. Plenior est ergo quam venia, et bonestior. De verlx) (utmea fert opiuio) controversia est; de re quidem conveniJl Sapiens multa remitiet, niul- tos parum sani, sed sanabilis ingenii, servabit. Agricolas bonos imitabitur, qui non tantum rectas procerasque ar- bores colunt , sed illis quoque, quas aliqua dépravât it causa, adminicula quibus reganlur, applicant. Alias cir- cumcidunt, ne proceritatem ramipremant, quasdam, in- firmas vilioloci, nutriunt, quibusdam, aliéna umbra la- borantibus, coebim aperiunt. Secundum ha;c vidcbit perfectus sapiens, quod ingeninm qua ratione tractanduoi sit, quomodo in rectum prava flectanlur. assssscsesssssssooottttsssssssssssssssssssssssssa DE LA VIE HEUREUSE. ?. Vivre heureux , voilà , mon frère Gullien , ce que veulent tous les hommes. Mais s'agit-il de distinguer clairement ce qu'il faut pour rendre la vie heureuse , leur vue s'obscurcit. El il est si peu facile d'atteindre la vie heureuse, que , si une fois on s'est trompe de chemin , ciiaciin s'en éloi- gne d'autant plus que sa course est pins rapide; car, des qu'on marche en sens contraire, la vi- tesse elle-même augmente la dislance. Il faut donc d'abord déterminer ce que c'est que nous cher- chons, ensuite regarder de tous cotés par où nous pouvons y arriver avec le plus de cclérilé : dans la roule même, pourvu que ce soit la bonne, nous saurons combien chaque jour nous aurons gagné, de combien nous serons plus près du but vers lequel nous pousse un désir naturel. Taut que nous errons au hasard, sans suivre aucun guide, mais abusés par des sons confus, par des cris discordants qui nous appellent sur des points opposés, notre vie s'use en égarements, cette vie si courte , quand même jour et nuit nous travaillerions "a rendre notre ànie meilleure. II faut donc décider oii nous allons , et par où ; mais non sans l'assistance de quelque homme habile qui ait exploré les chemins que nous devons parcourir ; car ici les circonstances ne sont pas les mêmes que dans les autres voyagea. Dans ces derniers il y a quelque sentier tracé, et les habitants auxquels on s'adresse ne vous laissent pas égarer; mais ici le chemin le plus battu, le plus fréquenté, est ce- lui qui trompe le plus. Il faut donc nous attacher, avant tout, 'a ne pas suivre, comme des moutons, le troupeau qui nous précède, eu possant, non par où il faut alliT , mais par où l'on va. Or, rien no nous entraîne dans de plus grands mnux , que de nous régler sur l'opinion , en croyant que le mieux est ce que la foule applaudit, et ce dont il y a beaucoup d'exemples; c'est vivre non suivant la raison , mais par imitation. De l'a cet énorme en- tassement de gens qui tombent les uns sur les au- DE VITA BE.^TA. I. Vivere , Gallio frater, omnes béate Tulunt , sed ad pervidendum , quid sit qund beatam Tilain efllciat , cali- gaot. Adeoque nnn est Tacite conse(|ul bcatain vitam , ut ib ea quisque eo loDgius recédât, quo ad itlain concitalius fertur, si lia lapsus est ; qua' ubi in cintrarium ducit, ipsa Telocilas niajoris inler\alli causa sit. Proponcuduni Cft itaque prinium quid sit quod appetamus : tune cir- Cumspiciendum est, qua coutendere illo celerrime possi- inns; iotellecluri in ipso ilinere, li modo rcclum erit, quaaium quotidie proOigetur, quantoque propius ab po limas , ad quod nos cupiditas naluralis impeltit. Quamdiu quldein passim vaganinr, non ducem wcnti , sed freinilum et ctaniorem dissonum in divprsa vocantium, conteritur vita intcr errorcs , brevis, eliamsi dies noclesque bona; menti lahoremus. Dcccrnalur iUiquc elquo lendannis, et qua ; non sine perilo aliqiio , cui esplorala sinl ea , in quiP procedinius; quoniam (juideni non eadem hic, qua; in ce- teris percgrinationitms , cduditio esl. In lllis coinprchcn- sus aliquis limes, et irilcrrogati incolK', non paliiinlur errare ; at hic Irislissiina quipque via, et celeleriiina, maxime deccpit. INihil ergo magisprastaudum est, quam ne, pecorum ritu, sequamuraiitecedenliuni gregeni, per- gentes non qua cundum est, sed qua itur. .^Iqui nulla ces nos majoribus nialis implicat , quam quod ad runiorem componimur optima rali ca , qna; niagno assensu re- cepta sunt , quorunique exempta nobis nmtta sunt ; nccad rationem , sed ad similitudinem viïimus. Inde ista tanta 25 î:i4 SÉNÈQUE. 1res. C'est Ih ce qui se passe dans un graud car- nage d'Iiomiues; lorsque la multitude se refoule sur elle-même , nul ne tombe sans entraîner sur lui quelque autre; les premiers font trébucher ceux qui les suivent :. voilà ce que, dans toute vie, tu peux voir arriver. Personne ne s'égare tout seul ; mais on devient la cause et l'auteur de l'éga- rement d'autrui. Car ce qui nuit, c'est de s'ap- puyer sur ceux qui marchent devant; et comme chacun aime mieux croire que juger, la vie est livrée non au jugement, mais "a la créilulilé. Ainsi nous ébranle et nous abat l'erreur transmise de main en main, et nous périssons victimes de l'exemple Nous serons guéris , si une fois nous nous séparons de la foule; mais aujourd'hui le peuple , défenseur de ses maux, s'est relranché contre la raison. Aussi arrive-t-il ce qui a lieu dans les comices, oîi les mêmes hommes qui ont nommé les préteurs s'étonnent qu'ils aient clé nommés, lorsque change le vent de l'incon- staute faveur. Les mêmes choses, nous les approu- vons, nous les blâmons. Tel est le résuliat de tout jugement où c'est la majorité qui prononce. II. Lorsqu'il s'agit delà vie heureuse, il n'y a pas lieu, connue pour le partag'^ des vois, de me répondre: «Cecôicparaiile plus nombreux.» Cir c'est pour cela qu'il est le plus mauvais. Lcscho- si s humaines ne vont pas si bien , que ce qui est le mieux plaise au plus grand nombre : l'argumi'iil du pire, c'est l'auloiité de la foule. Chcrclions ce qui est le m^'illeur, non ce qui est le plus or- dinaire; ce qui nous met en possession d'une éleruclle félicité, non ce qui a l'approbation du vulgaire, le plus mauvais interprète de la vérité. Or, j'entends par vulgaire, et les genscn chiamyde, et les personnages couronnés. Car je ne regarde pas aux couleurs des vêtements qui enveloppeni le corps : pour juger un homme, je n'en crois pas mes yeux. J'ai une lumière meilleure et plus sûre pour discerner le vrai du faux. Que l'âme trouve le bien de l'âme. Si jamais elle a le temps de res- pirer, de rentrer en elle-même, et de se mettre à la question , oh ! comme elle savoure la vérité ! « Tout ce que j'ai fait jusqu'ici, se dira-t-on, j'ai- merais mieux que ce ne fût pas fait : lorsque je me rappelle tout ce que j'ai dit, je porte envie aux êtres muets : tout ce que j'ai souhailéa éié d'accord, je pense, avec les imprécalionsdemesennemis : tout ce que j'ai craint, grands dieux! combien c'était meilleur que ce que j'ai désiré ! J'ai été l'ennemi d'un grand nombre, et de la haine je suis revenu 'a la bonne iniclligi'nce, si toutefois il peut y avoir bonne intelligence entre les méchants; je suis le seul dont je ne me sois pas encore fait aimer. J'ai mis tous mes soins'a sortir de la foule, 'a me faire remarquer par quelque grande qualité : qu'ai-je gagné, quede m'exposcr aux traits, que de mon- trer'a la niaheilîanceoù ses dents avaient prise? > Tu vois tous ces gens qui vantent l'éloquence, qui escortent la richesse, qui flattent la faveur, (jui exaltent le pouvoir : tous sont des ennemis, ou, ce qui revient au même, peuvent le devenir. La multitude des envieux est égale 'a la multitude des admirateurs. III. Pourquoi plutôt ne chercherais-je pas quel- que chose qui soit bon à l'user, quelque chose que coacervalio aliorum super alios nienlium. Quod in straf;e homiuum magna eveiiil; quuin ipse se populus picin't, oemo ila cadit, ut oou aliutii in se uttiabat : primi «\iiio sequcntibus sunt : hoc in omni vila accideie videas licei: neino sihi tanluniniodo errât, sedalienicrronseleaus.iet aiictor est. ÎSocet enim applicari aniecedentil)us ; et duni iinasqiiisqiic niavult rrederc, quam judicare, nunquom de vila judicatur, seniper creditur; veisatqne ndsctprae- cipilat traditus per inanus error, alicnisque periiniis exejii- plis. Sanabiniur, si modo separcnmr a cœtu ; nunc vero slat contra rationem , defensor mali sui , popidus. Ila- qnc id evenit , (|uod in comitiis , in (luil)us eos factos prac- tores iidem qui fecere niirantur, qtuini se mobills favor circumegit. Eadeiii probamus, cadem reprehendinius; tiic eïitus est onmis judicii, in qno secunduni plnres datur. II. Quuni de beata vita agitur, non est quod mihi illud discessionum more respondeas : « Ha;c ])ars major esse videtur. » Ideocnim pejor est. Non tam bene cuni rébus bumanis apitur, ut meliora pluribus ptaceant : arsumcn- tum pessimi, lurba est. Qua;ramus, quid optimum fac- tum sii, non quid usitatissimum , et quid nos in posses- sione feticitatis aelernae constituât, non quid vulgo, veri- ■îali» pessimo inlerpreli, probalum sit. Vulçum autem tam chiamydatos , quam coronatos voco. Non enim colorem vesiiuin, quil)us praetexia corpora sunl, adspicio ; oculis (le bouline non creio; hal)eo melius certinsque lumen, qno a falsis vera dijudicem, Aniiui bonum animas inve- uiat. Ilic, si unquam illi respiiare et recédera in se »aca- verit, o quam sil)i ipse verum, lorlus a se, fatebitur, ao dicel : «Quidquidfeci adhuc, infectumessemallem; quid- quid dixi quum rccugiti), mutis invideo ; quidquid op- tavi, ininiicorum e\secrationem pulo; quidquid timui> dii l)oni , quanto melius fuit , quam quod concnpivi ? Cnm multis inimieilias gessi , et in gratiam ex odio (si modo uUa inter mains gratia est) redii; mibi ipsi nonduin amicus sum. Omnem nperam dedi , ut me multitudini educerem , et aliqua dote notabilem facercm ; quid aliud quam telis moopposui, et matevolentiae , quod morderet, o.stcndi ? > Vides islos, qui etoqueutiam laudant , qui opes sequuntur, qui graliae adulantur; qui potentiam cittil- Innl? Oinnes aut sunt hostcs , aut (quod in aequo est |cssa po>sunt. Quam magnus mirantium, tam magnus iuvi- dentium populus est. 1)1. Quiu polius qua-ro aliquid usu bonnm , quod scn- liam , non quod ostendam?Ista quae speclantur, ad qua> consistilur, qnae aller allcri stupens monstrat, foris ni- DE LA VIE HEUREUSi:. 053 Je serile, et non point dont je fasse parade? Tous ces objets , qui attirent les regards , devant les- quels on s'arrête , que , tout ébahi , l'on se montre l'un k l'antre, sont brillants au dehors; mais au dedans ils sont misérables. Cherchons quelque chose qui ne soit pas seulement bon en apparence, mais qui soit constamment solide, et toujours plus beau dans ses replis les plus cachés. Voila le bien qu'il faut découvrir, et il u'est pas loin; il se trouvera; il faut seulement savoir où porter la raain. Maintenant, comme dans les ténèbres, nous passons 'a côté des choses, nous heurtant contre celles mômes que nous désirons. Mais, pour ne pas te faire faire Iropdedélours, je passerai sous silence les opinions des autres ; car il serait long de les énumérer et de les réfuter : écoute la nôtre. Quand je dis la nôtre, je ne m'asservis pas à tel ou tel des maîtres du stoïcisme: j'ai le droit de donner mon avis. En conséquence , je me rangerai du côté de l'un, j'exigerai de l'autre la division de la question : peut-être même que , consulté après tous, je ne désapprouverai rien de ce que les premiers auront décidé, et je dirai : • Voici ce (jue je propose encore. » Cependant, d'accord en cela avec tous les stoïciens, je me prononce pour la nature des choses : ne pas s'en écarter, se former sur sa loi et sur son exemple , voila la sagesse. La vie heureuse est donc celle qui est en accord avec sa nature ; or , on ne peut l'obtenir que si d'abord l'âme est saine et en jwssession constante de son état sain ; ensuite , si elle est courageuse et ardente, belle et patiente, propre à toutes circonstances, soigneuse du corps et de tout ce qui s'y rapporte , non toutefois iusqu"a s'en tourmenter; attentive aux autres choses qui pourvoient a la vie, sans en admirer aucune; usant des dons de la fortune, sans en être l'esclave. Tu comprends, quand même je ne l'ajouteraispas, que de là résulte une continuelle tranquillité, et la li- berté, puisqu'on s'est affranchi de tout ce qui peut irriter ou effrayer. Car, au lieu des volup- tés , au lieu de ces jouissances petites et fragile.' , funestes même au sein du désordre, une joie grande, inébranlable et assurée nous vient. Alors nous viennent la paix et l'harmonie, et la gran- deur avec la bienveillance. Car toute cruauté pro- cède de faiblesse. IV. Le bien , selon nous , peut encore être dé- fini autrement, c'est-'a-dire, être compris dans le même sens , mais non dans les mêmes termes. Do même qu'une armée peut tantôt se déployer au large , taniôt se resserrer à l'étroit , quelquefois , se recourbant vers les ailes, disposer le centre en croissant , ou bien se développer en ligne droite, et cependant, quelle que soit sa disposition, avoir toujours la même force, la même volonté de com- battre pour la même cause; ainsi la déCnition du souverain bien peut tantôt s'clendre et se déve- lopper, tantôt se réduire et se replier en soi Ce sera donc tout un, si je dis : Le souverain bien est une ànie qui méprise le hasard , et fait sa joie de la vertu ; ou si je dis : C'est une inviucil)le force d'âme ijui a l'expérience des choses , calme dans l'action , pleine de bienveillance pour les hommes, de soins pour ceux qui nous entourent. Je veux encore le définir, en disant que l'homme heureux est celui pour qui n'existe rien de bon, rien de mauvais, qu'une bonne ou une mauvaise lent, introrsns mitera sunt. Quaramus aliqaid non in «peciem t)onum , sed solidnm et apqnabile , et a secre- (iore parte formosius. Hoc eruamus ; nec longe posilum est ; invenietur; scire taiitum opns est, quo maniiin por- riga». Nunc relut in tenebris îicina Iraosinius, offensan- tfi in ipsa qnae desideramus. Sed ne le pcr circuitus Iraham , aliorum qaidem opiniooes praeleribo ; nani et enumerare illas longum est , et coargnere ; ncntram ac- cipe. Noslram vero qaani dico, non alllgo me ad iinam aliqnem ex stoicis proceribus; est et mihi censendi jus. Itaque aliquem tequar, aliquem jul)el>o sententiani divi- dere; forlasse et post omnes cilalus , niliil improbalm ex bis qus priores decreverint, et dicam : • Hoc amplius censeo. ■ Intérim , qood inter omnes ttuicos convenit , rerum naturae assentior ; ab illa non deerrare , et ad illius legem exeuiplumqae formari, sapientia est. Beata est ergo vila , couTeniens natura? jnœ ; qucc non aliter con- tingere polest, quam si primum sana mens est, et In perpétua possessione sanllatis sua-. Dcinde, si fort Is .ne vehemcns , Inm pulcherrima et patient , apla teroporibus, corporis sui pertinentiumqne ad id curiotii , non aniie la- ! nien , alirum rerum qiia- Tilam inslniunt , diligent , tine «dmiratione cnjusquam ; nsnra forliina- muneribus , non lervitura. Intelligis , etiam li non adjiciam , sequi perpe tuam tranqaillitatem , lit>ertatem, depulsis his, qux aut irri:ant nos , aut territanl. Nam pro Toluptatibus , et pro illis quie parva ac Tragilia sunt , et in ipsis llagiliit noxia , ingens gaudiam subit, incoucussum, et aequabile; luiu pai et concordia animi, et miignitudo cum mansaelu- dine. Omnis cnim ex infirmitale ferilas est. IV. Polest aliter quoque definiri bonum noslnim ; id est, eadem fentenlia , non iisdem comprcbendi verbis. Queraadmodum idem excrciius modo lalius p'^nditur, modo in angustnni coarctalur, et aut in cornua , sinuala média parle, curvalur, aut recta fronle explicatur; vis illi , utcunque oïdinalus est, eadem est, et voluntas pro iisdem partiltus slandi : ita dellnitio simimi l>oni alias dif- fundi polest et exporrigi . alias colligi et in se coci. Idem utique erit , .si dixcro : Summum bonum esl, aninius for- tuila despiciens, Tirtnte la;tu8; aut, invic:a ïis.ininii, perila rerum, pLicida in actu, cum humanitalemulla, et convertantium cura. Libet et ita definirc , yt beatum di- camus hominera enm, cui nullum bonum malumque sit, I nisi bonus malu^iue animus , tionesti cullor, virlulc coi»' 556 âme, qui pralniuo riiomiêle, qui se contente de (a vertu , que le hasard ne saurait ni élever ni abattre, qui ne connaît pas de plus grand bien que celui qu'il peut se donner lui-uiême, pour qui la vraie volupté sera le mépris des voluptés. Permis à toi , si tu aimes les digressions , de pré- senier la même chose sous telle ou telle autre face , pourvu que tu ne portes pas atteinte à la vérité de la signiflcation. Qui nous empêche, en efl'et, de dire que ce qui fait la vie heureuse, c'est une âme libre, élevée, intrépide et inébranlable, placée au-dessus de toute crainte, de tout désir, pour qui le seul bien est l'honnête, le seul mal le déshonnêie? Tout le reste n'est qu un vil ramas de choses , qui n'ôte rien à la vie heureuse , n'y ajoute rien, vient et s'en va, sans accroître ni diminuer le souverain bien. L'homme qui appuie sa vie sur de telles bases, doit nécessairement, bon gré, malgré, la voir accompagnée de joies con- tinuelles, d'un haut contentement, et qui lui vient de haut , puisqu'il se complaît dans ce qui lui est pro|)re, et n'aspire "a rien de plus grand que ses biens domestiques. Pourquoi n'opposerait-il pas avec succès ce contre-poids aux mouvemenis chétifs, frivoles et inconstants de ce misérable corps? Le jour où il aura été dominé par le plaisir, il sera aussi dominé par la douleur. V. Or, tu vois à quelle triste et cruelle servi- tude sera asservi celui que posséderont tour à tour les plaisirs et les douleurs , ces maîtres les plus capricieux et les plus l\ranni(iucs de tons. Il faut donc se retirer vers la liberté ; et rien autre chose ne la donne que l'indifférence pour la fortune. Alors naîtra cet inestimable bien le SÉNÈQUE. calme et l'élévation de l'âme placÂ'c dans on asile sfir. Toute terreur étant bannie, de la connais- sance du vrai naîtra une grande et immuable joie; puis viendront les douceurs et les épanchementsde l'âme, laquelley trouvera descharmes, non comme à des biens , mais comme à des fruits de sou propre bien. Puisque j'ai commencé il me donner une grande latitude , je puis encore dire heureux celui qui, grâce a la raison , ne désire, ne craint rien. Bien que les pierres soient insensibles à la crainte et h la tristesse , et qu'il eu soit de même des bêtes, il n'y a cependant personne qui les ap- pelle heureuses, parce qu'elles n'ont pas l'intelli- •^Qnce du bonheur. Il faut mettre sur la même ligne les hommes qu'ont réduits au rang des bêtes eldcs animaux une nature abrutie et l'ignorance de soi- même. 11 n'y a aucune différence entre les pre- miers et les derniers ; car chez ceux-ci la raison est nulle, chez ceux-l'a elle est dépravée, ingé- nieuse seulement à leur nuire et à les pervertir. On ne peut appeler heureux l'homme qui est jeté hors de la vérité. La vie heureuse est donc celle qui a pour base immuable un jugement droit et sûr. Alors , en effet , l'àrae est sereine et af- franchie de tous maux, quand elle a évité non- seulement les déchirements, n:ais aussi les bles- sures légères , toujours ferme au point où elle s'est arrêtée, prêle à défendre son poste même contre les attaques et les colères de la fortune. A l'égard du plaisir, encore qu'il s'épanche tout autour de nous , qu'il nous pénètre par tous les sens, qu'il charme l'âme par des caresses qui s'irritent l'une par l'autre pour solliciter notre être tout entier, et chaque partie de notre être, tenlus, qucm nec cxtoltant fortiiila, nec frangant; qui nulliim iiiajus bonuni eo, quoi sibi ipse liare potest, no- verit; cui vira voliiplas erit, voluplatunicontemlio. Licel, si evapiri ïelis, idem in aliani atque aliam facieni , salva et intégra polcstate , Iriinsfcrre. Qnid enim proliil)et nos l)eatani vitaiu dicero, lil)eruni animnni , et erectiim , et interritnm ac stabileni , esira nietuin, extra cnpiilitalcm (Xisitum? cni ununi l)oniim honestis, unnm nialum tnr- pitud»? Cetera vilis tuilta renim , nec detrahens qnid- quam |}cala! Nitae, nec adjiciens, sine auctuacdelrimento summi Ixiui Teniens ac recedens. Hune ila fundatum ne- cesse est , velit nolii , sequatur hilurilas ronlinua , et lae- titia alta atque ex alto voniens, u! qna? suis gaudeat , nec majora doniesliciscupiat. Qnidni istapensetlîeneciminii- nutis . et frivotis , et non perseverantibus eorpiisculi nio- tilins? Quo die infia vo'.uptatem fueril, et iufra doloi-em erit. V. Vides autem , (|uam malam et noxiam servilutem scrvitui'us sil, quem voluptates dolore.'.que, incerlissima doiuinla, impotenlissiniaque, alternis possidetnint. Eigo exeuNiliim ad liberlalem est; liane non alia res tribuit, quam forluiia? negligentia. Tum iilud orielur inaîstima- bilc bonura, quics mentis in tuto colIocatae,etsubliiiii:as cxpulsisque icrroribus, ex cognitinne vcri gaudinni grande et immolum , coniitasqne et difiusio animi, qnibnsdetec tabitur non ut bonis , sed ut e\ bi>nu suo orlis. Quoniam libcralitcr agere cœpi , potest bcalus dici , qui nec cupit , nec timet, l)eneficio ratiouis. Quoniam et saxa timoré et tristilia carent, nec minus |)ccudes, non ideo Linreu quis- quani felicia dixtril, quil)us non est feticitatis intellecau. Eodoni loco pone Imniincs, quos in niimcrum pecorum et aninialiuni rcdegil helus uatura , et ignoratio sui. Kiliil interest inter hos, et illa; quoniam iltis nulla ratio est, his prava , et malosuo atqne in perversura snlers. Beatus enim nemû dici potest , extra verita'.em projertus ; l>eata ergo vita est, in recto eertoque judicio slabitila, et im- mutabilis. Tune enim pura mens est, et soluta omnibus malis, quum non tantum lacerationes , sed etiam velli- caliones effugerit ; statura semperubi constilit, acsedem suani , etiam irata et iuffs'antc fortuna , vindicatura. TSam quod ad voluptatem pertinet, licet circnnifundntur undi- que, peromnes vias influât , animumqueblandimentis suis teniat, aliaque ex aliis admoveal , quibus totos parte.'^qne uostri sollicitel; quis mortalium, cui ullum superosl lio- DE LA VIE HEUREUSK. 537 quel mortel crpcn.Iant , s'il reste eu lui quelque vestige d'homme, voudrait se laisser chatouiller nuit et jour, et, déserteur de son âme, donner tous ses soins à son corps ? VI. « Mais l'âme aussi, dit l'épicurien, aura SCS plaisirs. • Soit ; qu'elle les ait, qu'elle cède à la dcbiuthe, qu'arbitre des voluptés, elle se gorge «le tout ce qui peut charmer les sens ; qu'ensuite elle se reporte vers le passé , qu'en souvenir de ses plaisirs dissolus , elle retourne "a ses passions premières, et anticipe sur des passions nouvelles ; qu'elle dispose ses espérances, et , tandis que le corps s'engraisse dans la fange du présent, qu'elle dépêche ses pensées vers les jouissances de l'ave- nir ! En cela elle ne me semble que plus miséra- ble ; car prendre le mal pour le bien , c'est folio. Or, sans la saine raison , nul n'est heureux ; et nul n'est sain d'esprit, si, au lieu des choses les meilleures, il aspire aux choses nuisibles. L'hom- me heureux est donc celui qui a le jugement droit; l'homme heureux est celui qui se contente du présent, quel qu'il soit, et qui est ami de son propre bien ; l'homme heureux est celui que la rai- son approuve et recommande en toute situation. Ils voient, ceux-là mêmes qui ont dit que la volupté était le souverain bien, quelle place honteuse ils ont réservée à celui-ci. Aussi nient-ils que le plai- sir puisse être détaché de la verlu ; et ils prélen- deut qu'aucun homme ne peut vivre honnêtc- raenl qu'il ne vive joycuscnicnl , ni vivre joyeu- sement qu'il ne vive aussi honnêtement. Je ne vois pas comment ces deux contrastes peuvent être conciliés. Qu'y a-t-il , je vous prie , qui em- pêche de séparer le plaisir de la vertu? Sans doute, c'est que tout bien a sou principe dans la vertu ; c'est de ses racines que surgissent ces choses mciiies que vous aimez, que vous recher- chez. Mais si le plaisir et la vertu étaient insépa- rables, nous ne verrions pas certaines choses être agréables et non honnêtes, certaines autres être très-honnêtes, mais pénibles et ne s'obteuant que par la douleur. Vil. Ajoute encore que le plaisir accompagne même la vie la plus honteuse , taudis que la vertu n'admet pas une mauvaise vie. D'ailleurs, certains hommes sont malheureux, non par défaut de plai- sir , mais 'a cause même du plaisir ; ce qui n'ar- riverait pas si à la vertu élait lié le plaisir, dont la vertu manque souvent, dont elle n'a jamais besoin. Ponrqnni vouloir réunir des choses dis- semblables, ou plutôt contraires? La vertu est quehjue chose de grand , d'élevé, de souverain, d'invincible, d'infatigable; le plaisir, quelque chose de bas , de servilc, de faible, de périssable, dont le séjour et l'asile sont les lieux de prostitu- tion et les tavernes. Tu trouveras la vertu dans le temple, le forum, la curie, debout sur les rem- parts, couverte de poussière, le visage hâlc, les mains calleuses : le plaisir, 'u le trouveras le plus souvent caché , cherchant les ténèbres , rodant autour des bains, des éiuves, des lieux qui re- doutent l'édile, mort, énervé, humecté de vin et de parfimis, pâle ou fardé, et souillé de cos- métiques. Le souverain bien est immortel, et ne saurait disparaître; il ne connaît ni la satiété ni le repentir, or jamais une âme droiie ne dé- vie : aussi jamais elle ne se prend en haine; ja- mais elle n'a changé en rien, parce (|u'elle a lou- niiais Testigiuni, per dietn ooctemque titillari vclit, de- serto aiiirno , corpori operani dare ? VI. • Sed et animas quoque,inijuit, volupta!esbal>ebit •lias. • Habeatiaae, cedalqtielui^urie, et, voliiptatuni ar- biter, impleat se omnibus ils , (jua* ohlerUire scn&us so lent ; deinde pra-tcrita rcspiciat, et exoletarum Toliipîa- liim mcmor eisaltct prioribus , futiiri.^que jam inmilaeat, ac spes ordinet su's, et duin corpus in pra'seuti .'u:i , qualiacunique siiut, con- trntiu , aniicosciuc rébus suis ; beatus Is, cui niuueiu lia- bilnm rerum suarum ratio commandai. Videut et illi, c;ui summum bonum voluplatem dlieruni , quam turpi illud loco posacrinl. Itaquc uccant pusse voluptatem a virtale diduci, et aiunt, ncc houestc qucni(|uani livcrc, ni ti!)n jurunte vivat , dpc jucundc , ut non honcste quo- <|ue. Non video, qnomndo ista divcrsa in eamdcm copu- ti.'-.i conjirianlur. Quid est , oro vos , cur scparari volup- ra» TirtuteDonpostj|?Tidclicel,quoduninebonlcx virlule principium es! ; ex bujus radicil)us etiaiii ca , quœ vos et amatly cteipetitls, oriuntur. Scil si ista iudiscrcta esseut, non videremus qnn'dani jueuiida , sed uou bunesla, quie- dani vero boneslissiina , sed aspera, et per dolorcsexi- gpnda. VII. Adjiee uunr , quod voluptas eliam ad vitain tur- pissimam veiiil; at virtusnialam vlti^niiioii ailniitlit;elin- felices quidam iiou sine voUiplate. inniio ob iphani V( lup- laleiii siiut : quud non eveniret, si virtiiti se vo'.uptas ininiiscuisset, c|Ha virlus s.i pc cnret, niin>{urini indigct. ytiid dissiiiiilia, ininio diversa coinponitis? altuni (|uid- daiu estvirtus, cxcelsuni , régale, in\ietuui , iiifaligaliilc: voluptas buniilc , servile, inibeeiiluin, e'dueuni, cujus slalio ac doniiciliuui foruices et popiu;e surit. \ irluleni iu teujplo inveiiies, iu foro, in curia, pro mûris slanlem, pulïcrulenlnin, coloialani, eallosas lialieriICMi niauus : voluptatem lalilauteni sa'pius, ac tinebras eaplaiilem; cirea baliiea ac sudatoria , ac loca a'dileiri nielucntia ; luoliem, eneiveni, inero alque unguento niaderileni, pallidain aut fucataur , et medicamerilis pullulam. Sum- mum bonuni inimorlalecst, riescit e.\ire; m-c salietatcm liabct, ncc pœnitenliam; nunqu.iiu euiin rcita nieasvci- 338 SÉNÈQUE. jours suivi la bonne route. Le plaisir, au contraire, alors qu'il charme le plus, s'éteint; il n'a pas de- vant lui un grand espace ; aussi le remplit-il bien- tôt ; il amène l'ennui, et, après son premier essor, s'alanguit. D'ailleurs, ce n'est jamais une chose lertaine que celle dont la nature consiste dans le mouvement : ainsi il ne peut même y avoir au- cune réalité dans ce qui vient, pour passer au plus vite, pour périr dans l'usage môme de sou être. Car le plaisir ne parvient qu'au point où il cesse, et, au moment où il commence , il voit doj) sa Cn. Vlll. Qu'importe que le plaisir existe également et chez les bons et chez les méchants; que les Mbrames infâmes se plaisent autant à leur turpi- tude que les gens honnêtes aux belles actions? C'est pour cela que les anciens nous prescrivent (le suivre la vie la meilleure, et non la plus agréable , afin que le plaisir soit le compagnon , non le guide d une volonté saine et droite. Car c'est la nature qui doit être notre guide; c'est elle ac bunae Toluntatis.non dux, sed cornes voluptas sit. Natura enim duce utendum est : banc ratio observât, banc consulit. Idem est eigo béate vitere, et secundum naturam. Hoc quid sit , jam aperiam. .Si corporis dotes , et apla naturae, cooserTablmus diligenter et impavide, tanquam in diem data et fiigacia ; si non subierimus eorum servitutem , nec nos aliéna pnssederint; si corpori grata et advcntitia eonol)is loco fucriDt,quosuotin castrisausilia, et arma- lura» levés. Serviant is!a , non impcrent ; ita demum utilia suDt menti. Incorruptus yirsit extemis, et insnperal>llis,, roiratorque tmtum sui , iidens animi, atque in utrum- queparalus, artifex vilae. Fiducia ejus oon sioe scientia sit,scientia non sine coostanlia ; maneant illi seniel pla- cita , nec ulla in decretis ejus litura sit. Intelligitur, etiamsi non adjecero , compositum ordinatumque fure talem vi- rum , et in bis quas aget cum comitate , maguifîcum. trit Tera ratio sensibnsinsiia, et capiens inde principia; nec enim babet allud unde cnnetur, aut uode ad veruai im- petum capiat, et in se revertatur. Nam muodus quoijue cuncta complectens, rectorque universi Deus, in extc- riora quidem tendit, sed tamen in totum undique in se redit. Idem nosira mens faciat; quum secuta sensussnos, per illos se ad exlerna porrexerit, et illorum et sui po- tens sit , et ( ut ita dicam ) deviuciat sumniuin t>onum. Hoc modo una efficielur vis ac potestiis , cuncors sibi ; et ratio illa cerla nascetur, non dissidens nec bxsitans \a opinionibns comprehensionibusque , nec in sua pcrsua- sione. Quas quum se disposuit, et partibus sais consensit, et (ut ita dicam) concinuit, summum bonum tetigil. Nihil enim pravi , nihil lubrici superest, nibil in quo arietet, aut labet. Omnia faciet ex impeiio suo, oibilqu* DE LA VIE HEUREUSE. 551)' • eler. Elle fera tout de sa propre autorité : pour elle point d'accident imprévu; mais toutes ses ac- tions arriveront à bien , facilement et prompte- ment, sans qu'en agissant elle tergiverse. Car kl lenteur et l'bésitatiou indiquent la lutte et l'in- constance. Ainsi tu peux avouer bardimcnt que le souverain bien est Ibarmonie de l'âme. Car les vertus seront nécessairement la où sera l'accord el l'unité : le désacord est avec les vices. IX. • Mais toi aussi, dit l'épicurien , tu ne cul- lives la vertu que parce que lu en espères quel- que plaisir. » D'abord, si la vertu doit procurer le plaisir , il n'en résulte pas que ce soit "a cause de lui qu'on la recbercbe ; car ce n'est pas le plaisir seul qu'elle procure, c'est le plaisir outre d'autres biens : ensuite ce n'est pas pour lui qu'elle travaille; mais sou travail, quoiciu'il ait un autre but, at- teindra encore ceUii-la. Dans un cliamp qui a été labouré pour la moisson , quelques fleurs uuisscnl parmi les grains; cependant , quoiiiue ces brins J'herbe rejouissent la vue, ce n'est pas pour eux que l'on a pris tant de peine :c'est une autre chose \)ueTOulaitlesomeur;celle-raestvenuedesurcri)ii. Ainsi le plaisir n'est pas la récompense, le but de la vertu, mais l'accessoire; el ce n'est point parce qu'il ades cliarmesqu'il lui plaît, c'est parcequ'il lui plaît qu'il a des charmes. Le souverain bien est dans le juReraent même et dans la disposjlion d'une âme parfaite; lorsqu'elle s'est déployée dans toute sa sphère , lorsqu'elle s'est retranchée dans s«'S propres limites, pour elle le souverain bien est complet ; elle ne désire rien de plus. Car il li'y a rien au-delà du tout , pas plus qu'au-delà des limites. C'est donc une folie de me demander quelle est la chose pour laquelle je poursuis la vertu; car c'est chercher quelque chose au-del'a de ce qui est tout. Tu me demandes ce que je poursuis dans la vertu? elle-même : car elle n'a rien de meilleur; elle-même elle est son prix. Est-ce l'a une chose peu considérable? Quand je te dis que le souverain bien est la fermeté d'une âme inflexible, et sa prévoyance, et son discer- nement, el son bon sens, et sa liberté, et son harmonie, et sa beauté, veux-tu donc exiger en- core quelque chose de plus grand qui soit le but de tout cela? Que me parles-tu de plaisir? Je cherche le bien de l'homme, non du ventre, qui est plus ample chez les bêles de soiniiie el les ani- maux sauvages. X. « Tu feins , rcprend-il, de ne pas entendre ce qne je dis. Car moi je nie ([u'on puisse vivis agréablement, si tout à la fois on ne vil hunnê- temcnt, ce qui ne pont appartenir aux animaux mur'ts, ni aux hiunnies qui mesurent leur bien sur les piaisirsdu venire. Oui , je le déclare hau- tement, publi(|ueinent , celle vie, que j'afipcllo agréable, on ne pt-ut l'oblenirsans l'alliaiice de la vertu. » iMaisqui ne sait que même le$ [ilus in- sensés regorgent de vos pUisirs, que la mcchau- celé abonde en jouissances , et qne l'âme même en suggère non-seideiiieul de dépravées, mais de nombreuses ? D'abord, l'insolence, l'eslime outrée de soi-même, celle bouffissure qui nous élève au-dessus des autres, un amour aveugle et inconsidéré de ce que l'on possède; puis do molles délices, des transports pour des objets mesquins cl puérils; enfin la causticité el l'or- gueil qui se plaît aux outrages, el la paresse, le iiiopioatum accidet; sed quidqnid aget, ia honuni exibit, hcilect parate, et sine lergiversalione apeiilis. ISaiii pi- ^ritia et lisiilatiu pugnani et inconstiMiliaiii ostendlt. Quare audacler licet pruGtcaris, suiniiiuin bontiin esse uiiinii concordlam. Vlilutes eniin ibi esse debcbunt, ubi conscasiu aU\ue uiiitas erit; dissident vilia. IX. • Sed tu quoque , inqiiit , Tirlutcni non ob aliud C)li«, qiiani quia allquam pi illa speras Toluplalein. • Primiini , non , si »olu|itatem prœslatura virtus est , Ideo propter banc petitur; noncnim banc pra'stal, si d et banc ; iiec buic laborat, sed labor ejns, quaniTis aliud petat, hoc c|uoque assequptur. Sicut in arvo, quod segetl pro- s'issum est, aliqui llores internascuntur, non tanicn huic herbula;, quamvis delectel oculos , tantum oprris insum- tum est : aliud Tuit sercnti propositum , hoc supcrrenit : sic et Toluplas non est merces, nec causa.virtutis, sed ac- resiniulas, in piil, quid a me diratur : ego cnim nego quemquani possc jucunde vivcre , nisi siuiul et lio- neste vivat ; quod non potest mulis contingereanimalibus, nec bonum suuni citio metienlilms. Clare , iiiquam , ac palam leslor, hancvit;mi , quam egojucundarn >oco , non sine adjecta vitiule conlingere. • At quis ignorât , pleuis- simos esse voluptalibiis ïestris slulti«imos quosque, et nequitiam almndnre jucundis; animumque ipsum non tantum gênera voluplalis prava , Md nmlta suggcrcre? In primis insolenliam et nimiam a-stimationcm sui , luuio- i remque elatum supra ceteros , et amorem rerum suarnm i c«cum et iniprovidum ; delicias llucnlrs, ex rainimis ne ; pnerilibus causis eisullationeni; jam dicarilatem , et m- rHJO SÉNEQUE. laisser-aller d'une âme lâche qui s'endort sur elle- même : toutes ces choses, la vertu les écarte ; elle nous réveille, nous secoue, et pèse les plaisirs avant de les accepler : ceux qu'elle approuve, elle n'en fait pas grand prix (car elle les accepte seulement ) , et ce n'est pas d'en user , c'est de les tempérer qu'elle fait sa joie. Or , la tempérance , eu laTit qu'elle diminue le plaisir, est uncatleirile à ton souverain bien. Tu embrasses le plaisir, moi je l'enchaîne; tu jouis du plaisir, moi j'en use. Tu penses qu'il est le souverain bien, moi, qu'il n'est pas même un bien; tu fais (out pour le plaisir, moi rien. Quand je dis que je ne fuis rien pour le plaisir, je veux parler do ce sage, au- quel seul tu accordes le plaisir. XI. Mais je n'appelle pas sage l'homme au- dessus duquel est placé quoi que ce soit, encore moins le plaisir. Une fois qu'il y esl soumis, com- ment résislera-l-il au travail . au danger, "a l'in- digence, il tant de nicnaces qui grondent autour de la vie humaine? Comment soutiendra-t-il l'as- pect de la mort, et l'aspect de la douleur, et les tempêtes du monde, et les cris de tant d'ennemis acharnés, lui vaincu par un si faible adversaire? Tout ce que le jtluisir lui aura conseillé, il le fera. Eh! ne vois-tu pas combien de choses il lui doit con.seiller. « Il ne pourra, dis-tu, rien lui cooseii- lerde honteux , parce qu'il est associé 'a la vertu. » Ne vois-tu pas, à ton tour, quel serait ce souve- rain bien, qui, pour être un bien, a besoin d'un surveillant? Or, la vertu comment régira-t-elle le plaisir qu'elle suit , puisque suivre c'est obéir, rt"gir c'est commander? Tu mets en arrière ce qui commande. Le bel emploi, en vérité, que vous donnez à la vertu, de faire l'essai des plaisirs ! Mais nous verrons si, chez ceux qui trai- tent si outrageusement la vertu, elle est encore vertu : car elle ne peut garder son nom , si elle a quitté sa place. En attendant, je montrerai, et c'est ce dont il s'agit, beaucoup d'hommes assié- gés par les plaisirs , sur lesquels la fortune a versé tous ses dons, et que tu seras forcé d'avouer mé- chants. Regarde Nomentanus et Apicius poursui- vant les biens ( comme ils les appellent) de la terre et de la mer, et passant en revue, sur Teur table, les animaux de toutes les contrées. Vois ces gens attendre du haut de leur lit de roses les produits de leur cuisine, charmer leurs oreilles par le son des voix , leurs yeux par des spectacles, leur pa- lais par des mets savoureux. Tout leur corps esl chalouillé de douces et molles frictions; et, de peur que , pendant ce temps, les narines n'aient point leur part de voluptés , on parfume d'odeurs variées le lieu même où l'on fait les funérailles de la débauche. Voilà des gens que tu diras être dans les plaisirs ; et cependant ils ne s'en trouveront pas bien ; car ce dont ils jouissent n'est pas un bien. XII. « Ils s'en trouveront mal, dit-il, parce qu'il survient beaucoup de choses qui troublent l'âme , et les opiiiiniis opposées entre elles agite- ront l'esprit. » Qu'il en soit ainsi, je l'accorde : mais toutefois ces insensés eux-mêmes, bien que d'humeur inégale, bien que placés sous le coup du repeniir, n'en éprouvent pas moins de grands plaisirs. En sorte qu'il faut avouer qu'ils sont alors perbiam conluraeliis gaudentem, desidiam, dissolulio- nemque segnis animi indormienlis sibi. Ha>c oinnia vir- tus discutit, et aurem pervellit , et voluplates aestiniiit, ante(iuani admiltal; nec quas probavit, magui pendit (utiquecnim adniiltit), nec usu earum, sed temperautia lœla est. T. mperantia autem quum voluptatcs niinuat, siimmi boni injuiia est. Tu voluptalem complecicris ; ego conipesco; tu voluptale frueris; ego ulor; lu illam sum- mum bonum putasjegonec bonum; tu orania voluplatis causa facis : ego uibil. Quum dico, me oihil voluptalis causa facei'c, de illo loquor sapientc, oui soli concedis volupliilem. XI. ISon voco autem sapienlem, supra qucm quidquam est, nedum voluptas. Atqui ab hac occupatus quoniodo resisti't lalwri, ac periculo, egestati, et tcit humanam titam circuinstrepentibus minis? quomodo eonspectum moriis, qu >nu)du doloris ferel? quomodo mundi fntgo- res. et tanluui acerrimorum hostium.a tam uiolliadver- sario vie.us ? Quidquid voluptas suaserit facict. Age , non vides quani multa suasura sit? i Nihil, inpiis, poterit suadere turpiter, quia adjuncta virluti est. • ÏNon tu \ides iterum, qualesil summum bonum , cui custode opus esl , ol tioDum sit? Virtus autem quomodo voluplateni rcget, quam sequitur, quum sequi parentis sit , regere impe- rantis? a tergo ponitis, quod imperat. Egregium autem virtutis apud vos ofliciuni, voluplates prccgustare! Sed vi- debimus, an apud quos tam conlumeliose tractata virtiu esl, adtiuc virtus sit : quae habere nomeo suum non po- test, si loco cessit; intérim de quo agitur, multos osten- dam voluptatibus obsessos, in quos fortuna omnia mu- nera sua elTudit, quos fatearis necesse est malos. Adspice Nomentanum et Apicium , terrarum ac maris (ut isti vo- cant ) boua conquirentes , et super mensam recogaosceu- tes omnium genlium animalia. Yide bos eosdem esug- gestu l'osae eispectantes popinam suam, aures vocum sono , spectaculis oculos , saporibus palatum suum delec- tanles. Mollibus lenibusque fomentis totum lacessitur co- rum corpus ; et ne nares intérim cessent, odoribus variis inficilur locus ipse, in quo luxurise parentatur. Hos esse in voluptatibus'dices; nec tamea illis liene erit, quia non bnuo gaudent. XII. t Maie, inquit, illis erit, quia multa interveniont, qux perturbant animum , et opiniones inter se conlrarùe nientcm inquictabunt. » Quod ita esse concedo ; sed nihilo- uiinus iili ipsi stulti, et inaequaleset sub ictu peeniienli» posili, magnas percipiunt voluptates : ut fatendum ùl. DE LA VIE HEUREUSE. 5(il aussi loin de (oui cliagriu que du bou sens; et, ainsi qu'il arrive souvent, ils sont fous d'une Tolie gaie, et délireut en riaut. Au contraire, les plaisirs des sages sont calmes , modérés et presque languissants, concentrés et a peine apparents : c'est que d'abord ils viennent sans être provoqués ; ensuite, lorsqu'ils se présentent d'eux-mêmes , on lie leur rend pas honneur, et ils sont reçus sans enthousiasme par ceux qui les goûtent. Car ils les mêlent à leur vie, ils les y interposent comme un jeu et un délassement parmi les affaires sérieuses. Que l'on cesse donc de joindre des choses sans rapport entre elles, d'accoupler le plaisir avec la vertu , et, par ce vicieux assemblage, de flatter les hommes les plus méchants. Celui-là qui s'use dans les plaisirs, qui, toujours ivre, se vautre tou- jours, sachant qu'il \it avec le plaisir, croit aussi vivre avec la vertu ; car il entend dire que le plaisir ne peut être séparé de la vertu ; ensuite il donne à ces vices le titre de sasesse , et met en vue ce qu'il devrait cacher. Ainsi donc , ce n'est pas l'enseignement d'Épicure qui les fait débau- chés; mais, livrés aux vices, ils cachent leur dé- bauche dans le sein de la philosophie, et ils accou- rent au lieu où ils ontappris qu'on louait le plaisir. Ce n'est pas non plus le plaisir d'Épicure qu'ils ap- précient, puisque ce plaisir (c'estainsi du moinsque je le comprends) est sobre et tempéré; mais ils se rangent avec empressement sons ce nom , cher- chant 'a leurs orgies quelque patronage, quelque voile. C'est ainsi qu'ils perdent le seul bien qu'ils avaient dans leurs maux, la honte de pécher. Ils louent, en effet, ce qui les faisait rougir, et font I gloire du vice. D'où il résulte qu'il n'est plus loi- silile , même "a la jeunesse , de se relever , une fois qu'un titre honnête se rattache à une honteuse oisiveté. XIII. Voilà pourquoi cet éloge du plaisir est pernicieux : les préceptes honnêtes se cachent sons un voile ; ce qui corrompt est à découvert. Moi- même aussi, et je le dirai en dépit des hommes de notre école, je suis d'avis que les préceptes d'Epicure sont pleins de sainteté, de rectitude, , et si tu les considères de plus près, pleins de tris- tesse; car son plaisir 'a lui est réduit 'a quoique chose d'assez étroit, d'assez maigre. La loi que nous imposons à la vertu , il l'impose au plaisir : il lui ordonne d'obéir 'a la nature; miiis ce qui est assez pour la nature est peu pour la débauche. (Juarrive-t-il? C'est que celui qui nomme bon- heur une lâche oisiveté et les jouissances alterna- tives de la gourmandise et de la luxure, cherche un bon garant pour une mauvaise cause; et, en se dirigeant du côté où l'atiire un nom séduisant, il suit le plaisir, non tel qu'on le lui enseigne, mais tel qu'il l'apporte avec loi ; et dès qu'il com- mence a croire ces vices conformes an\ préceptes, il s'y abandonne, mais non avec timidité ou en cachette; il fait de la débauche à visajje découvert. Ainsi , je ne dis pas , comme la plupart des nô- tres, que la secte d'Épicure soit une école de dés- ordres, mais je dis ceci : Elle a mauvaise répu- tation ; elle est diffamée , et elle ne le mériie pas. Qui peut le savoir, s'il n'a été admis "a l'intérieur? C'est le frontispice qui donne lieu aux bruits qui se répandent , et invite "a de coupables espérances. tam longe tum lUns ab oruni inolcslia abpssc , qunma Iwna iiiente , ot ( quod pleri que coutiiigit ) liilareni insaniain insanire, ac per ri&um furtre. At cuntra, sapientium re- niis»a! voluptaies et inodesta>,ac psae laiiijiiidae kuul , cninpresss.;ue, et lis nuLitiiles ; ut qux nequc arci-ssiUi- vcniant, ne, quainris pcr se .nccrsscrint , iu lion;>t'c siiit , neqne iillo paudio perc>pien:iuiii eicila;, ut liiduni jocunique intcr sk- lia. Desiaanl erfo inconrcnicnlia juugcrc , et virtuti vo- luplnleni iiiiplicare, pcr quod villum pcs^inilsquiliusquc adulanlur. Illu effusus iu voUiptatcs , rrplal)undus sem |>er atque et>iiu.s, quia scit se cum voluptate irtutc «■parari nmi posse : deinde \ilils suis s.ipientl.ini iu- icribit, (l alisc.iiidenda pnifilctur. lia non ab Epicuro fnipuisi lusurianlur; srd tliiis dedlli lutuiiam suam in pliilosophiae sitiu abscnduiil, et «o concurrunl , ulii audiunt laudari v oluptalcni. ISec xstiniatur volnptas illa EpicurI (ila cnim mehcrculcs sentio), quum sobria et sicca sit ; scd ad Diimcn ipsum advolant, quaerenlcs li- bidinibus suis patrucioium aliquod ac Telamentuin. Itaque qn»'? auum habebant in inalis l)onum , pcrdunt , pcccandi «erecundiain. Laudant enim ca quil)us cnibescebant , cl viiio gloriantur ; ideciqiie ne resurgcro quidem adoles- ceulix licct.quuinhoneslus turpi des dix titulu-i accessit. XIII. Hoc est, cur isla toluptatis luudalio pcrnicinsa sit, quia honesta praeccpta iulia litcnl ; quud corrumpil, apparet. In ea quideui ipse si nt< iilia siini (in>ilisboc nos'.ris popularilius dicain), saucta Kpicuruni et recta pra;- cipere, et, si propius accesseris, trislia : voluplas eniiu illa ad parvuoi et exile reviKatur; et |uani nos >irtuti le geui dicimus, caru ille dicil ïohi[)tati. Jubet illani parère natufie; parunicst aiilcm lu\uria>, qu :d uatnrx satis esl. Quid ergo esl? ille (;uisquisdosidi(isuni oliuni,et);ula'ac libidinis vices felicitjiteni vocal, bonujn ui^ilie rei qu:erit auctorem : et dum illo venil, blaudi> noinine imliiclus, sc(|uitur voluptatcin, non qiiani and l, sed quain atlulil ; et vitia sua quum cœpit pulare siniilia pnecoplis, indul grt illis, non timide ncc obscure; luxurintur eliani in- opcrtocapite. Itaque nnn dico , quod pleriqi;c nostronuu , teciain Epicuri flagiliorum uiapistram esse : sed illud dico, niale audit, infauiis est , et iuniierilo. Hoc scire quis potest, nisi iiilerius adniissus? frons ipsa dat locuni fabulx, et ad nialam spera invitât. Hoc t.ile est, qualo vir fortis slolam iudulus. Couslaiitc libi pudicitia Ve- ritas salva c^t ; niilli rorpu^ luuni palicnlia: vacat, sed u W2 SËNEQUE C'est comme si un homme de cœur était vêtu d'une robe de femme. Fidèle à la pudeur , tu sais res- j)ecter la vérité ; ton corps ne se prête "a aucune souillure; mais à la main tu liens un tambourin. Que l'on choisisse donc un titre honnête, et une enseigne qui , d'elle-même , excite l'âme 'a repous- ser les vices qui l'énervent aussitôt qu'ils y ont accès. Quiconque s'est approché de la vertu a donné l'espoir d'un généreux caractère; celui qui poursuit le plaisir paraît doj'a énervé, accablé, déchu de la dignité d'homme, voué à de honteux excès ; 'a moins que quelqu'un ne Ini ait appris 'a faire la distinction des plaisirs , de manière a te qu'il sache lesquels s'arrêtent dans les limites des désirsnaturels, lesquels sont emportés versl'abîme, sont sans bornes, et deviennent, 'a mesure qu'on les rassasie, d'autant plus insaiiablcs. Eh bieii ! ir mt t toutes choses en arricro : ce qu'il néglige d'abord, c'est sa liberté; elle paie pour son venlre;et il n'achète pas les plaisirs pour lui, mais il se vend lui-même aux plaisirs. manu tympannni est. Titulus itaquc honestus eligatur, et in.scriplo ipso excitans animiim ad ea rcpellonda , qu.f ^tatiIn eiXirTaiit, quum venerint, villa. Quisquis ad vir- tuteiii accessit, dédit gcnerusic indolis spcni ; qui volup- lalem sequitur, vidctur cnervis , fracius, dcgeneraiis n Tiro, perveuturus ia turpia ; nisi aliquis distiii\erit illi vuluptales, ut sciât, qiiae ex iis inUa iiatuiale dcM- dcrium sistant, quas in pra'ceps ferantur, inliaila'que sint, el quo magis impicnlur, eo magis inexpleliilcs. Age- dcim, virtus antecedat ; tutum erit oniuo vestigium. Vo- luptas nocet niniia : in virtiile non est verendum , ne quid niniiuin sit; quia in ipsa est modus. Aon est bonum, quod magnitudine laborat sua. XIV. RalioualiHem porro sortiris naturam : (nia? ine- lius res quam ratio proponitur? et si placelilla jimcluio, si hoc plaiet ad beatam vitam ire couiitalu. viitus anle- codat, comiletur voluptas, et circa corpus, ut unibra ; vcrsctur. Virtutem quidein , excellentissimani omnium, Toluptati tradere ancillam , nihil magnuu) aninio capienlis *sl. Prima virtus sit, ha-c ferai signa ; liabebimus nihilo- Miinus voluptalem, sed domini cjus cl teniperalorcs eri- yius ; aliquid nos ciorabit , niliil cogct. Al lii qui voluplati tradidere principia, ulroquc caruere, virlu'cm enim amitiunl; ceterura nonipsi votuplatem, sed ipsos volup- tas b:d>et ; cujns aut inopia lorquenlur, aut copia stran- gulanlur. Miseri , si deserunlur ab iila ; niiseriores , si ubruuutur I sicul di'pretiensi mari Syriico , mojo in sicco relinquunlur, modo torrenlc unda llucluantur. Evenit autem hoc niniia iuieniperanlia , et amore caeco rei; nam niila pro bonis petenli , periculosum est asscqui. lit feras cuni labore periculoque vm.imur, et captaniiu quoque illarum sollicita possessio est : sspe enim laniant dominos : ita babcnics magnas voluptales in maguum nialum cvasere, tapla'que cepere. Qua? quo plurcs ma- jorcsque sunt, co ille miuor ac plurium servus est, quem fcliccm Tulgus appel ai. Pemianere libel in bac eliam nunc hiijus rci imagine. Quemadiiioduiii qui bes- tiarum cubilia indigat , et — • laquco cjiplare feras » niagno a"stimal , et — « uKignos caiiibus circuinnare sal- tus, • ut illanun vesligia premat , potiora deserit^ multisque otnciis rennntiat : ita qui scclalur TolupUlcni, omnia postponit; et primain liberlatem negligit, ac pro ventre dépendit ; ncc voluptatcs sibi emil, sed seTolujila- tibuB vendit. DE LA VIE HEUREUSE. 565 XV. « Cepcnirlute «ritur, ijuam- «iii Ihmiiiiii sit, sbsoluti (amen b:>ni pars est; mm magis quam Ixliiia el tranquillîtas, quarovis et pulctierriniis causis Dascantur. Sunt eniin isla Inina , sed conseqiicntia simimum boaum . non cnnsumnianlia. Qui rero loluplatis virlutisque societalem f cit. et ne ex squo quidem, fra- giliiale alterins lioni , quidquid in ahero vivons est, bc- belat, lit)erlalcnK|ue illam ila demura, si n hil se preti >- tius novit, inviclam, sub jiiguni mi:tit..Nam (quae maii- ma serti^us est) incipit ilK opus esse fortuoa; sequitur litaaniia, suspicioiia, trépida, casuumpavrns, Icmpo- rum suspriua momcntis. Non das Tirtuù fuDdamentum graïc, imniolùle; sedjul)es illam in loci> volubili slare. Quid auteni tam voluliile est , quam fortuitorum exspec- tal io , et corporis , rerumque corpus afllcienlium vorietas ? Quomodo hic potest Deo parère, et quidquid evenit, Uiiio anime eicipere, nec de fato queri , casuuui suorun; beiignus interpres , li ad voluptalum dolorumque punc- tianrulas concitatur?Sed nec patria? quidem bonus tutor aut Tiorfet est , nec amicorum propugn^itor, si ad volup- tates vergit. Illo ergo !iuiiim(mi lionum ascend t, uu>le oulla vi delrahalur, quo ntquc doloii , nequespei, ne- que ttmori sit adilus , uec uili rri quae d'jlerius snmmi l>oni jus faciat. Ascendere autcm illo sola virtos pole~t ; illius gradu cllvus i.'>t« frangeidiis est ; illa fortilcr subii, el i|u:dquidcvenprit,fcrel: non pa;ierist:intum,sede:iam volens : onmemqne lemportmi dinicultaiem scii't legcm esse naturse. F.t ut liun>is miles feret vuloera ,enu ncrahit cicatiices , et lransvert>cratus telis , moricni ain, bit eum , proqun cadet, iiii|ieratorem : h.ibi-bit in aninm illud vê- tus prsccptum : Deum sejucre. Qiiisqnis autcni (jneri- tui, et plural , et gémit , im|><>rai8 Tacere vi cogitur, et inviius rapitur ad jussa nibilominiis. Qux aniem dc- mentia est, potins trahi quam sequi? tam meiicrcule, quanistntlitiael ignornntiacondi.ionis iwv , dolcre, quod aliqnid til)i incidil durius, aut mirari, aut indigne ferre ca, qua; lam bonis accidunt fluani malis : niorbos dicc funixa, dehililales, et cetera ei transverso in vitam hu- manam incurrenlia. Quidquid ex univers! con.4ituliooe- patiendum est. magno nisu eripiatur aninio; ad hoc sa- cramentum adacli snnius , ferre niortalia , nec pcrtnc' ."()i SKNEQUE lions de la niorlalilc , et ne pas nous laisser irou- l)ler par les choses qu'il n'est pas en notre pouvoir d'éviter. C'est dans un royaume que nous sommes nés : obéir a Dieu, voll'a la liberté. XVI. Donc c'est dans la vertu qu'est placé le vrai bonheur. Or, que le conseillera-t-elle? De ne pas estimer bien ou mal ce qui ne résuite ni do la vertu , ni de la méchanceté; ensuite d'être iiiébranlable même contre un mal provenant du bien; enfin, d'être, autant qu'il l'est permis, l'i- mage de Dieu. Et pour une telle entreprise que l'est-il promis? de grandes faveurs, égales ù celles de la divinité. Tu ne seras forcé à rien; lu ne manqueras de rien; lu seras libre, en sûreté, à l'abri de tout dommage ; tu ne tenteras rien en vain; tu ne seras empêché de rien ; lout réussira selon ta pensée ; il ne t'arrivera rien de fâcheux , rien contre ton opinion, rien contre la volonté. i9. • Une, maliguissima capila et oplimo cuique iniiiitcissima , Plaloiii objcctuni est, objectum Epicuro, ohjectum Zeaoni. Oinnes euiui isti dicebant , oon quemadmoduin ipci vivercat, sed qucm- admodum viveodum essel. De virlute , non de me loqiior; et quum Titiis convicium facio, in primis nici» f.tio; quuni potuero, \i»am quoioodo uportit. Nec maliguiuis me ista multo veneno tincta deterreliit ab optimis, ue vi- rus quideni islud, que alios spargitis, vos oecatis, me impediet, quo minus perseverem laudare litam, non quam ago, sed quam ageodam scio, quo minus virluteni adorera , et ei inierrallo iugenti rcptabundus sequar. Ei- ipectaboicilicel, ot quidqnam malevolentis inTiolatuni sit, cui sacer nec Ruiilius fuit, nec Cnio? Cur et aliqnis non istis dives niniis v:deatur, quilms Uemeirius C)uirus panim pauper est? Viiuni acerrinium , et contra omnia naluro! desideria pugnimlem , liiie pauperiorem , quam ceteri cyuici, quod qiinni sil)i inlerdiierinl habere, in- terdixil et poscere, ncgant satis egere ! Vides euim? non virtutis scieniiam, sed ege.^latis professus est. XIX. Diodorum cpieurcum pbilusopbum, qui intra paucos dies niiem \ilie «uae manu sua impcsuit, mpant ei dccreto Epicuri fecisie, (;uod sibi gulam pracstcuit: alii denienliam videri voluui fjctum hoc ejus, alii teme- ritateiii. Ille intérim l)eatus, ae pUuus boua conscienlia, reddidit silii tesHmouiura vita exndens, lauilavilquc œta- lis in ponu et ad ancoiam acia; quielcm , et dixit : ( quid vos inviti audistis, quasi ïobis quoque facicndum sil?) Vixi , et quem dederal cursum forluna , pcregi. De allerius vita, de al;erius morte disputatis, et iid no- men mapnorum ob aliquam eximiam laudem vironim, sicut ad occursuiu ignoioriim hdiiiiiium niinuti caiiis, lalratis. Exptdit enim viilis, nimimm videri bnniim ; quasi aliéna vin us ei| robnitici diliclorum vestnruni bit. .")<)(> SÉNEQUE. nvec vos souillures , sans comprendre combien cette audace touine a votre délriruent. Car si ceux qui suivent la vertu sint avares, dcbaucliés et ambitieux, qu'êies-vous donc, vous ;i qui le nom même de la vertu est odieux? Vous niez qu'aucun d'eux fasse ce (ju'il dit, et règle sa vie sur ses discours. Qu'ya-t-il d'étonnant, puisqu'ils disent des choses fortes, grandes et qui échappent à toutes les tempêtes de l'humanité; pnisqu'ils s'ef- forcent de s'arracher 'a des croix dans lesquelles chacun de vous enfonce lui-même ses clous? Con- damnés pourtant au supplice, ils restent, suspen- dus chacun à un seul poteau. Mais ceux qui se pu- nissent eux mêmes sont disloqués par autant de croix qu'ils ont de passions; et toujours médisans, ils se donnent des grâces en outrageant les au res. Je croirais que pour eux c'est un loisir, s'il n'y avait des gens qui du haut du gibet crachent sur ceux qui les regardent. XX. Les philosophes ne font pas ce qu'ils disent? Ils font cependant beaucoup, en cequ'ils le disent, en ce que leur esprit cooçoit riionuôle. Car si leurs actions étnient d'accord avec leurs discours , qu'y aurait-il de plus heureux que les philosophes? En attendant, il n'y a pas Keu de mépriser de bonnes paroles, et des cœurs pleins de bonnes pensées. Poursuivre de salutaires éludes, dût-on même rester en-deç'a du but, est digne d'éloges, lîst-il surprenant qu'ils ne montent pas jusqu'au sommet, ceux qui gravissent des pentes escarpées? Admire plutôt, môme lorsqu'ils tombent, des hommes qui s'efforcent 'a de grandes choses. C'est une noble lâche , que de vouloir, en consultant, non pas ses forces, mais celles de sa nature, se porter vers les hauteurs, s'y essayer; que de con- cevoir en son esprit des projets supérieurs à ce que pourraient exécuter ceux-l'a mêmes qu'ennoblit une grande âme. L'homme qui a pris cette résolu- tion , voici sa pensée : « Moi, j'entendrai mon arrêt de mort du même air que je prononcerai, que je contemplerai la mort d'un criminel ; moi, je me soumettrai au travail , quelque rude qu'il puisse être; l'âme claiera le corps; moi, j'aurai un égal mépris pour les richesses et présentes et absentes, sans être plus triste, si quelque part elles gisent inutiles, ni plus présomptueux, si elles brillent autour de moi; moi , je ne serai sen- sible 'a la fortune , ni quand elle viendra , ni quand elle s'en ira ; mei , je regarderai toutes les terres comme étant à moi , les miennes comme étant a tous; moi, je vivrai comme sachant que je suis né pour les autres, et, h ce titre, je rendrai grâ- ces "a la nature des choses. Comment, en effet, pouvait-elle mieux arranger mes affaires? Elle m'a donné moi seul "a tous, et tous 'a moi seul. Ce que j'aurai, je ne veux ni le garder en avare, ni le répandre en prodigue. Rien ne sera mieux en ma possession que ce que j'aurai bien donne Je n'évaluerai les bienfaits ni par le nombre, ni par le poids, ni paraucun autre mérite, que le mérite de celui qui reçoit. Jamais je ne croirai donner beaucoup quand un homme di^ne recevra. Dans ce que je ferai , rien pour l'opinion , tout pour ma conscience : je croirai avoir le peuple pour té- moin de tout ce que je ferai avec le témoignage de ma conscience. En mangeant et en buvant, mon but sera d'apaiser les besoins de la nature, non de remplir le ventre et de le vider. Moi . gracieux Inviti splendida cum sordibns veslris ceiifertis , nec in- telligilis, quanlo id vestro detriraento audeaiis. Nam si illi qui virtulem sequuntur, avari, libidiuosi , ambiiiosi- que sunt ; quid vos e>tis,quibus ipsum Domeii virtulis odio est? Negatis quemcjuain prasstare quai loquilur, nec ad exemi lar orationis suae vivere. Qaid mirum , quuni loquanlur fortia, ingentia , omnes humanas lenipestates evadentia? quiim refigerc se crucibus conenlur, in qnas unusquisque vestrum clavos suos ipse adigil? ad suppli- ciuni tanien acli slipitibus singulis pendent. Ili qui in se ipsi animadverlunt, quot cupidftatibus , tôt crucibus dis- tratiunlur ; ot nialedici , in alienam contumeliam venusti sunt. Crederem itiis boc vacare, nisi quidam ex patibulo suos spectatorcs conspuèrent. XX. Non pra»stant pliilosoplii quae loquuntur? multum tanien praestant, qtiod loquuntur, quod honesta mente concipiunt. Nam si et paria dictis agerent , quid essel illis feeatius P intérim non est qund contemnas bona verba , et bonis cogita tlonibus plena praecordia. Studiorum saluta- rium , etiam citra effcctum , laudanda traclatio est. Quid mirum , si nou asceudunt in altum ardun aggressi? sed »iros suspice , etiamsi deciduDi , magna conantes. Gene- rosa res est , respicientera non ad suas , sed ad natm-ae sua; Tires , conaii alla , tenlare, et mente majora conci- pere, quarn quaeetiam ingeuti anime adornatiseffici pos- siut. Qui sibi hoc proposuit : « Ego iiiarlem eodem vuttu audiam , quo jubebo et videlio'; ego lal)oribus , quanti- cumque îtli erunt, parebo, animo fulciens corpus; ego diritias et pra;sentes et absentes aeque conleninam : nec , si alicutn jacebunt, tristior; nec, si circa me fulgebunt, auimosior; ego fortunam nec venientem senliam . nec recedentem ; ego terras omnes tanquara meas videlio , meas lanquam omnium ; ego sic viram , quasi sciam aliis me nalum , et naturae rerum hoc nomiue gralias agam : quo cnim melius génère negotium meum agere potuit? unum me donavit omnibus , uni mihi omnes. Quidquid babebo, nec sordide custodiam , nec prodige spargam; nibil magis possidere me credam, quarn beue donata ; non numéro, nec pondère bénéficia, nec ulla, nisi acci- pieutis sstimatione, pendam. T^unquam id mihi multara erit quoH dignus accipier. Nihil opinionis causa , orania coHscienliae faciam , populo teste fieri credam , quidquid I me conscio faciam. Edendi erit bibendique finis, desi- deria naturae restinguere, non implere alvum, et eiioa- DE LA VIE HEUREUSK. 3Kr pour mes amis , doux el facile pour mes ennemis , je serai fléchi avant d'être prié; j'irai au-devant des demandes honnêtes. Je saurai que ma patrie c'est le monde auquel président les dieux , que ceux-ci se tiennent au-dessus de moi , autour de moi , censeurs de mes actions et de mes paroles. En quelque moment que la nature rappelle mon àme , ou que ma raison la délivre , je m'en irai en prouvant que j'aimais la bonne conscience et les bonnes éludes, que je u'ôlai rien à la liberté de personne, que personne n'osa ricu sur la mienne, n XXI. Celui qui se proposera d'agir ainsi, qui le voudra, qui le tentera, entrera dans la voie de Dieu; et certes, quand niêiiie il ne s'y tiendrait pas, il ne tombera pourtant qu'après avoir osé de grandes choses. Mais vous, qui haïssez la vertu et son adorateur, vous ne faites rien de nouveau ; car les yeux malados redoutent le soleil , et les oiseaux de nuit fuient l'éclat du jour ; éblouis par ses premiers rayons , de tous côlés ils gagnent leur retraite, et se cachent dans quelque trou , loin de cette lumière qui les épouvante. Criez, exercez votre malheureuse langue à outrager les gens de bien; poursnivez-les, mordez tous h la fois; vous briserez vos dénis bien avant que d'en laisser la marque ! < Pourquoi celui-l'a est-il plein d'ardeur pour la philosophie, etmène-t-il une existence si opulente? Pourquoi dit-il qu'on doit mépriser les richesses, et en a- 1- il? La vie, selon lui, doit être méprisée , el il vil ! La -santé doit être méprisée , et cependant il la ménage avec le plus grand soin , et il la voudrait parfaite. Il pense que l'exil est on vain mut, et il dit : Quel mal, en effet, y a- t-il à changer de contrée? Et pourtant, si faire se peut, il vieillit dans sa patrie. Il décide qu'en- tre un temps plus long et un temps plus court, il n'y a nulle différence : cependant, si rien ne l'en empêche , il prolonge ses jours, et, dans une vieillesse avancée , il jouit paisiblement de sa ver- deur. » Oui, sans doute , il dit que ces choses-là doivent être méprisées ; non pour ne pas les avoir, mais pour n'en être pas tourmenté quand il les a ; il ne les chasse pas loin de lui , mais lorsqu'elles s'en vont , il les suit par derrière avec sécurité. Où, d'ailleurs, la fortune déposera- 1- elle plus sûrement les richesses , que dans un lieu où elle peut les reprendre sans aucune plainte de celui qui les reud? M. Calon, lorsqu'il vantait Curius et Coruncanius , et ce siècle où c'était un crime aux yeux des censeurs que d'avoir quel(|ues petites lames d'argent, [lossédait lui-même quiirantt; mil- lions de sesterces. C'était moins sans doute que Crassus, mais plus que Caton le Censeur. Si on fait la comparaison, il avait dépassé son bi aïeul de bien plus loin qu'il ne fut dépassé par Crassus. lît si de plus grands biens lui étaient échus , il ne les eût pas dédaignés ; car le sage ne se croit indi- gne d'aucun présent de la fortune. Il n'aime pas les richesses , mais il les préfère ; ce n'est pas dans son àme, c'est dans sa maison qu'il les reçoit : il ne rejette pas celles qu'il possède, mais il les do- mine, et veut qu'une matière plus ample soit fournie à sa vertu. XXII. Or, comment mettre en doute que pour l'homme sage il y ait plus ample matière à dé- ployer son àme dans les richesses que dans la pau- vreté? Dans celle-ci, en effet, il n'y a qu'un seul lUre. Ego aniicis jucundns , inim'cis mitis et facillt , eio- rabor antequam roger, lioDettis precibiis occurram. Pa- triam nieam este niuodaui sciam , et préc.'idps ileos : bos tupra me, circique me ilare, faclorum dicinrumque censores. Qunodocum(|ue autem na:ura spiritum lepelet, aut ratio dimitct, Icstatus eiibo , boiiam nie conscicn- tiam amasse, liona stodia ; nallius per me libertalem di- minutam , a nemioe meam. • XXI. Qui bocfac<-re proponet, volet, tentabit , ad deos iter (aciet : as ille, etiamsi non tenuertt, magnis lamen eicidet ausis. Vos quidrm, qui virlutem cultoremque eJDS odistis , nihil nof i facitis ; nam et solem lumiua œgra formidant , et aversaatur diem splendidum Docturna iiai- ma'.ia, quae ad primnm cjus orlum stupent, et latibula sua passim pelunt, abdunlur in aiiquas rimas timida lu- ci». (ïemite, et infclicem linguam bonorum eiercete con- \icio : instalc, cominordcte : citiu» mnlto frangetis den- tés, quam imprimclii! • Quare ille pbilosophisstndiosas est , et tam divcs Tilam agit? quare opes contemnendas dicit, et balwt? vltam cuntenmendam putat, et tamen Tivit? Taicludinem contemnrndam , et tamen illam dili- gentisslme luplur, atquenplimaro mavull. Eteisilium no- men vanmii putat, et ait : Quid est enim mali, mutare reglones? et tamen, si licet, smescit iu patria. Et inler lougius teiiipus et brevius niliil Interesse judicat : tameu si nibil pruhibet, exlendit atateni, et in nmlla leuectutc placidus viret? > Ait istu debere contemni : non ue ba- beat, sed ne sollicilus habrat; non abigit illa a se , sed alieunlia securus prusequilur. Divitias quidem ubi lu.ius forluna deponcl, quant ibi , uudc sine qucrela reddeiitis receplura est? M. Ciilo quumiaudaret Curiumet Corun- canium, ctseculum illud iu quo censorium crinien erat, paucx argenli lamello*, possidebat ipse quadragenties sestcrtium ; minus sine dubio quam Crassus, plus ta- men quam censorius Cato. Majore spatio , si compareii- tur, proavuni viccrat, quant a Crasso viuceretur. El si majores illi obvenissent opes, non sprevissel; nec enim se sapiens indignum ullis munerilius tortuitis putat. Non amat divitias, sed matult ; non in animum illas, sed in domum rccipit ; nec rpspuit posscssas, sed continet, et majorem virtnli sua> matciiam subministrari vult. XXII. Quid aulem dubii est, quin majiir materia sa- pienti vii'o sit , animum ei plicandi suum in divitiis , quam in paupertaleT quum in bac unum genus virltitissit, non 368 SÉNÉ genre de vertu, qui esl t. Habebit sinum facilem, non perforatum ; ex que mulla eicant, nibil eicidat. XXIV. Errât, si quiseiistimal facilem rem esse donare. Pliinmiim ista res habet difflcultatis, si modo consilio tri- ballor, noo catu et impetn spargilur. Hune promereor. illi reddo: buic succurro, bujus niisereor. Illum instrao, dignum quem nondeducat pauperlas, nec occupatum te- neat. Quibusdam non dabo, quamvis desit; quia etiamsi dedero , erit defuturum ; quibusdam orferam , quibusdam etiam inculcabo. ?Sou possum iu bac re esse negligens ; aunquam magis noniina faciu, qu.imquum donc. • Quid? ta , inquisi, recepturus donas? > inimouou pcrditurus. Eo looo sit donatio, unde repeii non debeat, rcddi possit. Be- neflcium collocetur, qucniadmudum ibesauriu alte ob rotus , queni non eruas , nisi fuerit necosse. Quid ? domus ipsa divitis viri , quanlam habet benefaciendi maleriam ? Quisenim liberalilalem tauium ad togatos Tocat? bomi- nibus prodesse natura jubct : servi liberine sini , ingenui an libertini, justa; lil>eriatis, an inter amicos data;, quid refert ? nbiiumque bonio est , ibi bcneOcio locus est. Potcst ilaque pecuniam itiani intra linien suum dirfuDdcre, et liberalitatem eierccre ; quie nou quia libcris debeiur, sed quia a libero animo proficiscitur, ita nominala est. Hsc apud sapienlem nec unc|uam in turpes indignosqua impingitur, necunquami'a dctatigata errât, ut non ,quo- tiens dignum cvcnerit, quasi ei plenofluat. Noncstergo quod perp<'raraexaudialis,quîeboncste, foriitcr.anlmose 370 SÉNÈQUE comme à pleins bords. Il n'y a donc pas de quoi si mal interpréter ce que disent d'honnête, de courageux, de magnanime, ceux qui étudient la sagesse. Et d'abord , faites attention 'a ceci : autre est celui qui étudie la sagesse , autre est celui qui déj'a la possède. Le premier te dira : c Je parle très-bien ; mais je me vautre encore dans beau- coup de vices. Il n'y a pas lieu de t'emparer de ma formule pour me poursuivre , puisque je m'applique 'a me faire , à me former , h m'élever jusqu"a devenir un grand exemple. Si j'atteins le but que je me suis proposé , exige alors que les actions répondent aux paroles. » Mais celui qui est parvenu a la plus haute perfcclion hu- maine dans le bien , en agira autrement avec toi, et dira : « D'abord , tu ne dois pas te permettre de donner un avis sur ceux qui sont meilleurs que toi. C'est déj'a une boune fortune pour moi et une preuve de droiture, que de déplaire aux méchants. Mais, pour que je te rende un complo i\»e je ne refuse 'a aucun mortel , écoute ce que je stipule , et le prix que je mets "a chaque chose. Je nie que les richesses soient un bien ; car , si elles en étaient un , elles feraient des gens de bien : or . puisqu'on les rencontre chez les méchants, je leur refuse ce nom. Du reste, qu'il faille lesavoir,qu'ellessoicnt utiles , qu'elles apportent 'a la vie de grands avan- tages, je l'accorde. » XXV. Qu'est-ce donc? pourquoi ne les compté- je point parmi les biens, et en quoi, au milieu d'elles, me compovté-je autrement que vous, puisque, des deux côtés , il est convenu qu'il en faut avoir? Ecoulez. Qu'on me place dans la mai- son la plus opulente, où l'or et l'argent soient d'un usage commun ; je ne m'estimerai pas da- vantage "a cause de ces objets , qui , bien que chez moi, sont cependant hors de moi. Que l'on me transporte sur le pont Sublicius, et que l'on me jette parmi les indigents; je ne me mépriserai pas pour être assis au nombre de ces gens qui tendeut la main pour une pièce de monnaie. Qu'importe, en effet, qu'il manque un morceau de pain h celui auquel ne manque pas le pouvoir de mourir? Qu'est-ce donc? cette maison splen- dide , je l'aune mieux que le pont. Que l'on me place dans un attirail resplendissant, au milieu d'un appareil recherché , je ne me croirai nulle- ment plus heureux, parce que j'aurai un petit manteau moelleux , parce que dans mes festins la pourpre s'étalera sous mes pieds. Je ne serai nul- lement plus malheureux, si ma tête fatiguée se repose sur une botte de foin, si je cnuche sur la bourre qui, des matelas du cirque, s'échappe a tra- vers les repfisesd'uDevieille toile. Qu'est-ce donc? j'aime mieux montrer tout ce qu'il y a d'âme en moi, étant vêtu de la prétexte ou de lachla- rayde, qu'ayant les épaujes nues ou à moitié cou- vertes. Que pour moi tous les jours s'écoulent à souhait ; que des félicitations nouvelles s'unissent aux précédentes, ce ne sera pas pour cela que je me plairai "a moi-même. Que l'on change , au con- traire , cette indulgence des temps ; que de tous côtés mon âme soit frappée par des pertes, des affliclions , des assauts divers ; qu'une . seule heure ne s'écoule pas sans quelque sujet de plainte; pour cela, je ne me dirai pas malheu- reux , au milieu môme des plus grands malheurs; pour cela Je ne maudirai pas un seul jour ; car j'ai pourvu a ce que pour moi aucun jour ne fût néfaste. Qu'est-ce donc? j'aime mieux modérer a studiosis sapientiae dicnntnr : et hoc primtim altcndite. .MUiiiest, s1udiosiissapienliaB,aliud,j:imadeptus sapien- tiam.Illelibidicct : « Oplimeloqunr, Scdadhiicinlermala TOhitor plurinia. Non est, quod me ad formulam meam exigis , qiium inasime facio me et formo, et ad cxemplar ingens altollu; si processero, quantum proposni , exige nt dictis facla respondeant. » Assecutus vero liuraani boni «ummam, aliter teciini aget, et dicet; «Primum, non est quod til)i pcrmitlas de melioribus ferre sentenliam; milii jam , quod argumenlura e4 recti, conligit, malis displi- cere. Si'd ut libi rationem rcddam , quam nulli morlalium invideo, aiidi qnid proniit'am, et quanti qua^qne aesti- mem. Divilias nego Ijonnm esse : nam .si esseiit, lionos facerent ; niiiic qunniam quod apnd nialos deprcbenditur, dici bonum non potest, lioc illis nomen nego; cetcrura ei habeiidas esse , cl utiles , et magna commoda vilae affe- icdIos faleor. • XXV. Qiiid ergo est? quare illas non in Denis nume- rem , et quid in illis prîoslem aliud , quam vos , quoniam tutcr ntrosque convenit babendas , audite. Pone, in opu- .leatiisima me éomo . pone ubi aurum argentumque in promiscuo usu sit ; non suspiciam me ob ista, qns, etiatn si apud me , extra me tamen sunt. In Sublicium pontenu me Iransfer, et inter cgentes al)jice; non ideo tamen me despiciam, quod in illorum numéro consideo, qui ma- nuni ad stipitera porrigunt; quid enim ad rem , an frus- tum panis desit.cui non deest mori posse? Quid ergo est? donium illam splendidammalo.quam pontem. Pone in instrumentissplendentibus, et delicato apparatu; ni- hilo me feliciorem credam , quod raihi molle eril amicn- lum, quod purpura in conviviis meis substernelur. Nihilo miserior ero , si lassa cervix mea in manipulo fœni ac- quiesce!, si super Circense tomentum , per sarturas vete- ris liutei efHuens, incubabo. Quid ergo est? malo quid mihi animi sit ostcudere , praeteitatus et chiamydatus , quam nudis scapulis aut seniiteclis. Ut omnes roihi dies ex TOto cédant , nova; gratulationes prioribus subtexaa- tiir; non ob boc mibi placebo. Muta in contrarium hanc indulgcntiam teniporis; bine illinc percutiatur animas , damno.luctu, incursionibus variis, nnlla omnino hora sine aliqua querela sit; non ideo me dicam inter miserri- ma miscrum , non ideo aliquem eisecralïor diem ; pro- DE LA VIE HEUREUSE. 571 «les joies qu'apaiser des douleurs. Voici ce que te dira le grand Socrate : « Suppose-moi vainqueur de toutes les nations; que le magnifique char de Liber me porte triomphant depuis les lieux où se lève le soleil jusqu'à Thèbes; que les rois des Perses me demandent des lois ; c'est alors surtout que je penserai ôtre homme , quand de tous côtés je serai salue dieu. Par une brusque métamor- phose, fais-moi tomber du haut de cette grandeur; que je sois placé sur un brancard étranger, pour orner la pompe d'un vainqueur superbe et farou- che ; traîné sous le char d'un autre , je ne serai pas plus bas que debout sur le mien. Qu'est-ce donc? Cependant j'aime mieux être vainqueur que prisonnier. Je mépriserai tout l'empire de la fortune ; mais dans cet empire , si le choix m'est donné, je prendrai ce qu'il y a de plus doux. Tout ce qui m'arrivera deviendra bon ; mais j'aime mieux qu'il m'arrivc des choses plus faciles, plus agréables , et qui donneront moins de peine à celui qui tes maniera. Ne va pas croire, eu ef- fet, qu'il y ait aucune vertu sans travail ; mais 'a quelques vertus il faut l'aiguillon , a d'autres le frein. De môme que le corps a besoin d'être rele- ou dans une descente et poussé dans une montée, de même certaines vertus suivent la pente , d'au- tres gravissent la côte. Est-il douteux qu'il y ait à monter, à faire effort, "a lutter pour la patience, le courage , la persévérance et toute autre vertu qui fait tête aux adversités, et dompte la fortune-? Eli quoil n'est-il pas également manifeste que c'est par une pente naturelle que marchent la li- béralité, la tempérance , la douceur? Dans celles- ci nous retenons l'âme, de peur qu'elle ne tombe; dans celles-la nous Texhorlons , nous l'excitons. Ainsi donc , a la pauvreté , nous opposerons les vertus les plus ardentes, celles dont le courage grandit avec l'attaque ; aux richesses, nousoppose- rons les plus soigneuses, celles qui marchent d'un pas grave et conservent leur équilibre. XXVI. Cette division ainsi établie, j'aime mieux avoir pour mon usage celles qui peuvent se pra- tiquer plus tranquillemeut, que celles dont l'exer-s cice veut du sang et des sueurs. Ce n'est donc pas moi, dit le sage, qui vis autrement que je ne parle ; c'est vous qui entendez tout de travers. Le son des paroles est seul parvenu à vos oreilles; ce qu'il signifie, vous ne le cherchez pas. « En quoi donc différons-nous, moi le fou, et toi le sage, si nous voulons tous deux posséder? » En beaucoup de choses. Chez le sage, en effet, les richesses sont dans la servitude ; chez le fou , elles ont l'empire : le sage ne donne aucun droit aux ri- chesses; à vous, les richesses les donnent tous. Vous, comme si quelqu'un vous en avait garanti la possession élernellc, vous vous y accoutumez, vous vous incorporez à' elles : le sage se prépare "a la pauvreté, alors surtout qu'il est placé au mi- lieu des richesses. Jamais un général ne croit tel- lement h la paix, qu'il ne s'apprête pour la guerre ; quoiqu'elle ne se fasse pas, elle peut être décla- rée. Ce qui vous ébahit vous , c'est une belle maison , comme si elle ne pouvait ni brûler, ni s'écrouler ; c'est une opulence inaccoutumée , comme si elle élait placée au-dessus de tout péril , comme si elle était trop grande pour que la for- Tisum est enim a me , ne quis mibi ater dies esset. Quid ergo est ? Dialo gaudia temperare , quam dolores compes- cere. Hoc tibi ille Socrales dicet : • Fac me victorem oniTersamoi geiitiuni;dclicatus ille Liberl currns triuiii- phaatem usque ad Thebas a solis ortu vehat; jura rfge* Persarum pétant; me homincm esse tum maiime cngi- tal>o , quam Deus undiqiie consalatabor. liuic lam sublimi fastigio conjuDge protinus prxcipitem rnatatlonem; in alienom imponar ferculum , eioroaturns vicloiis suporbi j ac feri pompam ; aen bumilior sub alieno curru agar , quam in meo tteteram. • Quid ergo est? vincere tn- nien , quam capi malo. Totum fortuux regnum despi- c!am; sed ei illo, si dabitur cicctio, molliora sumani. Quidquid ad me vencrit , Iwnum flel ; sed malo faciliora ac jucundiora veniant, et minus vexa'.ura trartanteni. Non est enlm qund ullam eiislimet esse sine lalwre vir- tutem, sed qucPdam virtules stimulis , qua-dam frxnis egent. Quemadmodum corpus in proclivo retineri débet, io ardua impelli ; ita qusdam rirlutes in proclivi sunt , quidam clivum subennt. An dubium sit , quin escendat , nitatur , obtuclelur paticntia , fortitudo, pcrseTcrantia , et qua;<'unque ali.i duris opposita virtu» est, et fortunam iuL'igit? Quid ergo? non œque manifestum est per de- veium ire lit>eralitatem , tempcrantiani, mansnetudinemf In bis coutinemus animnm, ne prolabatur; ia illis ex- bortamur , incitamusque. Acerrinias ergo paupertati ad- hibebimus, illas, qu« impugnala; fiunt fortiores; divitiis illas diligentiorcs , qux suspensum gradum ponunt, et pondus suuiu su&tincnt. XXVI. Quuni bue ita divisum sit, malo bas in nsu mibi esse, quae exercendo; tranquillius sint , quam eas, qna- rum cspcrlmenluni sanguis et sudor est. Ergo non ego, inqult sapiens, aliter vivo quam loquor, sed vos aliter auditis. Sonus tantummodo verborum ad aurcs vestras pervenit ; quid signillcet , non qu.rritis. > Quid ergo in- termestultum , et le sapicntem interesl, si uterque ha- bere volumus? ■ Plurimuni. Divitis enim apud sapien- tem Tirum in scrvitute sunt; apud stullum in imperio: sapiens divitiis nihil permittit; Tobis divltiaeomni.i. Vos, tanquamaliquis vobisxlcrnam possessionem paruin pro- miserit, assuescitis illis, et cobaeretis; sapiens lune maxime paupertatem meditalur, quum in medils divitiis consti- lit. Nunquam imperator ita paci crédit, ut non se prap- paret Ix-llo; quod ctiamsi non gehiur , indictum est. Vo» domus formosa, tanquam nec ardere ncc ruere possit , insolentea vos opei, tanquam periculum onine tranicea- 24. S72 SÉNÈQUE. tune e&t assez de force pour l'aDéaDlir I Sans nul souci, vous jouez aux richesses, et vous n'en prévoyez pas tout le danger. Ainsi, le plus souvent, les Barbares qui sont bloqués et qui ne connais- sent pas les machines, regardent avec indifférence les trav&ux des assiégeants, et ne comprennent pas a quoi tendent ces ouvrages qui s'élèvent au loin. La même chose vous arrive : vous croupis- sez au milieu de vos biens , sans songer combien de'malheurs vous menacent de tous côtes, prêts à emporter de précieuses dépouilles. Quiconque en- lève au sage ses richesses, lui laisse encore tous ses biens; car il vit satisfait du présent, tranquille sur l'avenir. « Il n'est rien, dit Socrale ou quel- que autre qui a le même droit et le môme pouvoir sur les choses humaines , il n'est rien que je me sois autant promis que de ne pas faire plier a vos opinions la conduite de ma vie. Rassem- blez de toutes parts vos propos habituels : ce ne seront pas des invectives que je croirai enten- dre, mais des vagissements comme en poussent les enfants les plus misérables. » Voila ce que dira celui qui a la sagesse en partage; celui auquel une âme affranchie de vices ordonne de gour- mander les autres , non par haine , mais pour apporter remède. Il ajoutera encore ceci : « Voire opinion me touche, non pour ma part, mais pour la vôtre : haïr et attaquer la vertu , c'est abjurer tout espoir du bien. Vous ne me faites aucun tort, pas plus que n'en font aux dieux mêmes ceux qui renversent leurs autels; mais l'intention cou- pable se montre à découvert, et le projet est cou- pable , alors même qu'il n'a pu nuire. Vos hallu- cinations, je les supporte, comme le grand Jupiter supporte les extravagances des poètes : l'un d'eux lui a donné des ailes; un aulre, des cornes; tel autre le représente adultère et découchant; celui-ci le montre cruel envers les dieux ; celui-là , injuste envers les hommes ; cet autre , ravisseur infâme d'adolesccns, jusque dans sa famille; un dernier, parricide et usurpateur du trône paternel : ce qui n'avait d'autre résullal que d'ôter aux hommes la honte du péché, s'ils eussent cru cela des dieux. Mais, quoique toutes ces choses ne me blessent en rien, c'est cependant dans votre propre intérêt (|ue je vous avertis : honorez la vertu. Croyez-en c«ux qui, après l'avoir suivie longtemps, crient à haute voix qu'ils suivent quelque chose de grand, et qui , de jour en jour, leur apparaît plus grand encore. Offrez-lui donc vos hommages à elle , comme aux dieux ; à ceux qui la professent, comme "a des pontifes; et chaque fois qu'il sera fait mention solennelle des livres sacrés, faites si- lence! Cette formule ne vient pas, comme bien des gens le pensent, du mol faveur; mais on commande le silence , afin que le sacrifice puisse être accompli régulièrement, sans que le bruit d'aucune mauvaise parole vienne l'interrompre. XXVII. C'estîce qu'il est beaucoup plus néces- saire de vous commander à vous , pour que toutes les fois que cet oracle prononcera quelque chose , vous écouliez attentivement et sans mot dire. Lorsqu'un de ces hommes qui agitent le sistre ', vient mentir par ordre; lorsqu'un de ceux qui font métier de déchirer leurs muscles*, ensanglante ses bras et ses épaules d'une main légère; lorsqu'un autre , se traînant sur ses genoux à travers la voie ' Les prèlres d'isls. — ' les prêtres de Bellone. derint , majoresqae sint quam quibus consumeodis sali< viriuni babeat forluna , obstupefaciunt ! Otiosi divitiis luditis, Dec providetis illarum periculum; sicut Barbaii plerumquc inclubi, et ignari niachinaruni, segues labo- rem obsidentiimi speclant , nec qiio illa perlineant , qux 61 longinquo .■-truuntur, intelliguDi. Idem vobis cTeiiitj marcelis in Tcsiris rébus , nec cogitatis quot casus [indi- que immineant, jamque preliosa spolia laturi. Sapieiili «juisqiiis abslulerit divitias, oninia illi sua rellniiuct; \i- vit cnini prœsen;ibus lœtus , fiUun securus. « Nihil nia- gis , Socralcs iuquit , aut aliquis alius , cui idem jus ad- Tersus humana atquc eadem potestas est , persuasi mihi, quam ne ad opiniones vestras actum vilae meœ (leclerem. Solita conferteundiqueverba; non conviciari vos putibo, sed vagire velut infantes miserrimos. » Ha;cdicel ille, cui sapiculia contigit, quem animus Yitii>rum inniiunisincre- pare alios, non quia gdit, sed in remedlum , jiibet. Adji- ciet bis illa : « Eiisliraatio me vesti'a non mco noniine, «ed vcstro niovet ; odisse et lacessere virtutem , baux spc" ejuralio est. Nullam mihi injuriara facitis, sicut ne riiis qaidem lii, qui aras evertunt; sed malum propositum apparet, malumqueconsilium,eliam nbi nocere non po- Mùt. Sic Testrasallucinalioncs fere, quemadmodum Ju- piter oplimus maximus ineptias poetamm : qnoram alios illi alas imposuit, alius cornua; alius adultemm illom in- duxil, et abnoctantem; alius sapTum indeos, alius ini- quum in homines; alius raptorum ingenuorum corrup- torera , et cognatorum quidem ; alius parricidam , et regni alieni palernique espugnatorem. Quibus nihil alind ac- luin est , quam ut pudor hominibus peccandi demeretur, si taies deos credidissent. Sed quamquam ista me niliil laedant , veslra lamen vos inoneo causa , suspicite virtu- tem. Crédite bis, qui illam diusecnti, magnum qno prtel>alur; produci enim illi et teDtari eipeilit; nec nlli magis intelllgunt quanta sit, qiiam qui vires cjus lacesscndo senserunt. Duritia silicis nulli magis, quam ferienlihus, nota est. Prsbeome non aliter, quam rupe 08S88SC&GS0S0nS00CS^0e8&SC0G6SS8&SCS0C&e0SeC6Q FACÉTIE SUR LA MORT DE CLAUDE CÉSAR TOL..AIBEHENT APPELÉE APOKOLOKYNTOSE. I. Ce qui se Gt au ciel , avaul le troisième jour des ides d'octobre, Asinius Marcellus, Âcilius'Aviola étant consuls, nouvel an , a l'aurore de ce bien- beureux siècle, je veux l'apprendrea nos neveux. Je ne dirai rien par rancune ou par reconnais saoce. Que si l'on s'enquiert d'où je tiens cette si Téridique bistoire , premièrement, s'il ne me plaît, je ne repondrai pas. Qui pourrait m'y for- cer? Je n'ignore pas rite abco qui Drusillam cuntem in cœ- Inmvidit. Idem Clandium vidisse se dicet iter facienlem, un patkibus «quis. Velit, nolit, necesse est illi omnia videre, quxin ccelo agantiir. Appiœ via? curatorest;qua sois eldiïum Auguslum, el Tiherium Cœsarem, ad deos isse. HuBC si intcrrogaTeris, soli nirrabil; coram pluri- bus nunquam verbum faciel. Nani ex quo in senatu jura- tit se Drusillam vidissc en'lnni adscendenlcm, et illi pro taiM l)ono nuutio nenio credidit quod \idcril; vorbis con- replis arflrmavit, se non indicalurum, cliumsi in nudio foro hnminrm vidissct occisum. AI) boc rgo qua'cnmi|U9 audivi, certa claraquc atrero: ita illurn salvuni et feliceiu babcam : II. Jam Phœbni brfviore via contrairrat ortum l.ncLs, et obscuri cre»i;i-baiit corniia sotnni ; Jamque suum Tictrii augenal Cynthij rogni'.m. 376 I,;i blafarde Cynlhie, aux dépens de son frère. De sa triste lueur éclairait I hémisphère. Et le difforme Hiver obtenait les hoDoeurs De la saison des fruits et du dieu des buveurs; Le voyageur tardif , d'une main engourdie , Otait encore du cep quelque grappe flétrie. Je pense que tu comprendras mieux, si je te dis qu'on était au mois d'octobre, et au troisième jour des ides d'octobre. Je ne saurais te dire pré- cisément l'heure. On mettrait plus facilement d'accord les philosophes que les horloges. Toute- fois, c'était entre six et sept. Rustre que je suis! C'est peu pour les poètes de décrire le lever et le coucher du soleil, ils entreprennent volontiers de fatiguer de leurs chants même le milieu du jour; et moi je laisserais passer uue si belle heure ! Déjà du haut des cieuï le dieu de la lumière Avait en deux moitiés partagé l'hémisphère , Et pressant de la main ses coursiers déjà las Vers l'hespérique bord accélérail leurs pas. 111. Claude commence à pousser son âme an dehors, mais il ne peut lui trouver une issue. Alors Mercure , qui s'était toujours fort amusé de celte facétieuse nature , appelle une des trois Par- ques et lui dit : « Pourquoi , femme cruelle , per- mets-tu qu'on tourmente ce pauvre homme? Il ne fallait pas le torturer si longtemps ; voici soixante- quatre années qu'il lutte avec son âme. Pourquoi lui en veux-tu? Laisse une fois dire vrai les astro- logues, qui, depuis qu'il est devenu prince, l'enter- rent tous les ans , tous les mois. Du reste , ce n'est pas merveille s'ils se trompent ; personne n'a ja- mais su l'heure de sa naissance. En effet, personne SÉNÈQUE. n'ajamais cru qu'il fût né. Allons, fais tabesogae; Laisse, lui mort, régner un plus digne à sa place. « Par Hercule ! répondit Clotho, je voulais ajou- ter quelques jours "a sa vie, pour qu'il fit citoyens ce peu de gens qui restent "a l'être. Car il s'était promis de voir en toge tous les Grecs, les Gaulois, les Espagnols elles Bretons. Mais, puisqu'il te con- vient de laisser pour la graine quelques étrangers, et qu'ainsi tu l'ordonnes , ainsi soit-il. » El puis , ouvrant son coffre, elle en sort trois fuseaux. L'un était celui d'Augurinus, l'autre de Baba, le troisième de Claude. « Tous trois , dit-elle , je les ferai mourir dans la même année, à peu d'in- tervalle l'un de l'autre : je ne renverrai pas celui- l'a sans compagnie. Lui qui voyait naguère tant de milliers d'hommes et le suivre, cl le précéder, et l'entourer de leur cortège , je ne puis pas tout "a coup le laisser seul. 11 faudra bien qu'il se con- tente de ces deux convives. » IV. Eiîe dit , et d'un tour fait sur un vil fuseaft. Du stupide mortel abrégeant l'agonie , Elle tranche le cours de sa royale vie. A l'instant Lachésis, une de ses deux soeurs , Dans un habit paré de festons et de fleurs. Et le front couronné des lauriers du Permessa» D'une toison d'argent tire une longue tresse. Dont son adroite main forme un fll déUcat. Le fil sur le fuseau prend un nouvel éclat : De sa rare beauté les soeurs sont étonnées ; Et toutes à l'envi , de guirlandes ornées , Voyant briller leur laine et s'enrichir encor,. Avec un fil doré tissent le siècle d'or. De la blanche toison la laine détachée , Et de leurs doigts légers rapidement touchée-. Et deformis Hiems gratos carpebat honores Divitis Autumni . visoqiie senescere Baccho Carpebat raras serus vindemitor uvas. Puto magis infelligi, si dixero, mensis erat oclober, dies terlius idus octobris. Horam non possum tibi certam di- cere. Facilius intcr philosophos, quam inter horologia conveniet. Tamen inter sextam et septimam erat. Mmis rustice! acquiescunt oneri poetœ, non contenli ortus et oecasus descriliere , ut'ctiani médium diem inquiètent : lu sic transibis horam tam bonam ? Jam médium currii Phœbns diviserai orbein , Et propior nocti fessas qualicbat babenas. Obliquo flexam deducciis tramite luccin. III. Claudiusanimamagere cœpit, necinvenireeiitum potcrat. Tum Mercurius , qui setnper ingenio ejus delec- tatus esset, unam e tribus Parcis edueit, et ait : « Quid, femiiia crudeiissima , hominem miserum torqueri pate- ris? nec unquam tamdiu cruciandus esset; annus sexa- gesimus et quartus est, ex quo cum anima luctatur. Quid huic iniides? Patere matbematicos-aliquîmdo verum di- cere, qui illum, ex quo princeps factus est, omnibus an- nis , omnibus mensibus efferunt. Et tamen non est miruai si errant; horam eius nemo novit. ÏSemo enim illnm un- quam natum putavit. Fac quod faciendum est : Dede neci ; melior vacna sine regnet in aula. Scd Clotho : < Ego, mehercule, inquit, pnsillnm lemporis adjicere illi volebam , dum hos pauculos , qui supersunt , civitate donaret. Constituerai enim omnes Graecos , Gal- los. Hispanos, Britannos. togatos vidcre. Sed quoniam placet aliquos peregrinos in semen relinqui, et tu ita ju- bés fieri, fiai.» Aperittum capsulam, et très fusos profert. TJnus erat Augurini, aller Baba», tertius Claudii. «Hos, in- quit, très uno anno ciiguis inlervallis temporum divisos niori jubtbo , nec illum incomitatum dimittam. Non opor- tet enim eum, qui modo se lot millia hominum sequentia videbat, lot praecedentia , lot circumfusa , subiîo soluiu destitui. Contentus erit his intérim convicloribus. » TV. Hxc ait , et turpi convolveas stamina fuse , Abrupit stolldaE regalia tempera vilae. El Lachésis redimila comas, ornata capillos, rieria crinem lauro fronlemque corouans . Candida de niveo sublemina vellere fudit . Felici moderaoda manu ; quae ducta colorem Assumsere novum ; mirantur pensa sorores. Mulalur vilis prclioso lana métallo : Aurea formoso descendunl seciila filo. Nec modus est illis; felicia vellera diicunt . ICI gatidenl iraplerc manus ; siinl duicia pensv .>n9a m ni^lrat ; Detinet inleolas cantu, failitqne l^borem. Dnmque nimis cilbaram. fratrrnaqnc carmina laiidaut. Pins sotito nevere manns : humanaque fat.i l,.iiidatum transcendit opu«. Ne dpmite . rarrîe , IMiœbas ait : vincat mortatis tempera vils, llle mihi similis vultu . simili^que décore , Kec canin , nec voce miner : fclicia lassis Scruta prxstabit . lej^mqiie silenlia rumpel. Qualis disaitiens ruKi''niia lucilcr a^tra , Aut qu.ilis 8urf!it rcdeuntibiis hf sperus asiris , picit orbem l.ucidtis. et prîmes e carcere cODcilat axes : Talls Cx9<> Vnllus , et etTaso cervix formosa capillo. • )Ixc Apollo. At Lachesis , qwe et ipsa lioniini furn.osis- »imo faveret, fecit, et plena orditur manu, et Ncroni mullos annos de suo donut. Claudium aulem jubent om- nes, j^atpovTOi, tWrj^toOyraç ixwiiJLauv iijtMrt. Et ille qui- dem animam ebulliit, eteodcsiit vivcre viden.Eispiravil ■nt>-m dum comœdos audit , ut scias me non sine causa ic in'.cr bomines audila est , quum niajorem snnilum emisisset illa parte, qua fa- ciliiis loqucbatur : • V.t ! me. puto, concacavi me. • Quid i.utem feccrit, nescio; omnia certc concacavil. V. Quae in terris postea sint acta , siipervacuum est re- ferre. Scitis enim optime, nec periculum est, ne exci- daiit, qua? nienioria? piihlicum paudiuni impre»sit. Neiiio fclicilatis sux obliviscitiir. In cirlo qux acta sint, au- dile : lîdos pcncs .nuctorem eril. ÎSuntialur Jovi . venisso qurnidani bonx slatiinr, bene caiium, ne., ir Et puis il lut sur ses tablettes : < Attendu que le divin Claude a tué son beau- père Appius Silanus; ses deux gendres, Pompée le Grand, et Luc. Silanus ; le beau-père de sa fille , Crassus le Frugal, cet homme qui lui ressemblait autant qu'un œuf à un œuf; Scribonia, belle-mère de sa fille ; Messaiine . sa femme, et tant d'autres dout on ne pourrait faire le compte ; je vote pour qu'il soit sé\èrement châtié, condamné à juger des procès sans fin et sans vacation , tout d'abord exporté, avec ordre de sortir du ciel avant trente jours, et de ro^fmpe avant trois. » Tous les dieux vinrent se ranger auprès d'Auguste. Aussitôt, le messager de Cyllène saisit Claude par la nuque et le traîna aux enfers. D'où nul, dit-on , ne retourna jamais. XII. Tandis qu'ils descendent parla voie Sacrée Mercure demande ce que veut dire tout ce con- cours de gens , si ce ne sont pas les funérailles de Claude? En effet, le cortège était des plus ma- gnifiques , et comme on n'avait rien épargné pour la dépense, il était aisé de voir qu'on enterrait un dieu : des gens avec flûtes, cornets, trompet- tes de mille formes , il y en avait une telle foule, une telle coliue , que Claude lui-môme eût pu les entendre. Tous étaient pleins de joie , pleins d'al- légresse. Le peuple romain se promenait comme en liberté. Agathon et quelques autres avocats pleuraient, mais de tout cœur. Les jurisconsultes sortaient de leurs tombes, pâles et maigres , ayant à peine un souffle, comme des malheureux qui revenaient 'a la vie. Un d'eux, voyant les avocais qui se groupaient et déploraient leur fortune, s'approcha d'eux et leur dit : a Je vous disais bien que les Saturnales ne dureraient pas tou- XT. «Ecce Jupiter , qui tôt annos régnât, uni Vulcano crus f régit , quem *Vlifn mdii TtTttyiiiv &x6 fr:X»v ttvntalti». Et Iratus fuit uiori, et suspendit illam; nnmquid oceidit? Tu Messalinam , cujus seque avunculus major cr.ini, quant tuus , occidisti. Neseio , inquis ? Dii tibi malefaeiant ! adeo istud turpius est, quod nescis , quani quod occidisti. Iste C. Cssarem non desiit mortuum persequi. Occideratille tocerum ; hic et generum. Caius Cssar Crassi IJlium ve- tuit Magnum vocari; hic nomen illi reddidit, caput tulit. Oceidit in una domo Crassum Mafinum, Scriboniam , Tristioniam, Assarionem, nobiles lamen; Crassum vero tant ratuum, ut etiam rcgnare posset. Cogitate, P. C, quale portentiim in nu>nerum deorura se recipi cupiat. llunc nunc deum facere Tullis? Videle corpus ejus, diis iratis natum. Ad sunimani , tria verlia cilo dicat, et scr- vum me ducat. Hune dcum quis colel? qu^s crcdet? de- nique dum taies deos Tacitis, nemo vos deos e»sc rrcdct. Summa rei. P. C, >i boneste inter tos gessi . si nulli du- rins respondi , vindicate injurias meas. Ego pro senteniia mea hoc censen. Atque ita ei taliella recitavit • : • Quan- doqr.ldem Ditus Claudius oceidit socerum stium Appium Silanum , gencros duos , Pompeium Magnum et L. Sila- nam . socernm Cli» sua; Crassum Frugi , hominem tam (imilem sibi, qnam ovo OTum , Scrilx)aiam socrum fliis sucB , Messalinam uiorem suam, et celeros, quorum nu- mrrus iniri non poluit; placet mihi in euni severe ani- madverli, nec illi reruni judicandarum vacationem dari, eunique quamprimuni exportari, et rœto intra dies xxi eicedere, Olynipo inira diem tertium. • Pedibus in banc sententiam ituni est. ISec niora, Cyllenius illum collo ob- tortu trahit ad inferos , Illuc unde negant redire quemquara. XII. Dum descendunt per viam sacram , interrogat Mcrcurius, quid sibi velit ille concursus hominum , num Claudii funus esset? Et erat omnium formosissimum , et iropcnsa cura plénum , ut scires deum elferri; tibicinum, cornicinum , omnisquc gcueris xneatorum tanla turba . tantus conventus , ut etiam Claudius audire posset. Onines laeli , hilares : P. R. anibulabat tinquam liber. Agatlio et pauci causidici plorabant, sed plane ex animo. Juriscon- sulti e tencbris procedebant, pallidi, graciles, vii hâ- tantes animam , tanquam qui cuuimaiinie reviviscerent. El his unus quum Tidisset capita conferentcs , et forlu- nas suas déplorantes causidicos , acccdit , et ait : « Diee- bam Tobis. Non semper Saturnalia erunt. » 082 SÉNÈQUE. jours. » Claude , voyant ses fuDérailles , comprit qu'il était mort. Car on cliantait à tue-tôle cette hymne de deuil , en vers anapestes. O cris ! ô perle ! ô douleurs ! De nos funèbres clameurs Faisons rctenlir la place : Que chacun se contrefasse; Crions d'un commun accord : Ciel ! ce grand homme est donc mort! Il est donc mort ce grand homme! Hélas I vous savez tous comme Sous la force de son bras Il mit tout le monde t;ffrayé, Claude proiiicnc ses regards de tous côtés; il cherche quelque défenseur pour le charger de sa défense. Il ne trouve aucun avocat. Enfin s'a- vance P. Pt'tronius, sou ancien couvive, homme éloquent 'a la manière de Claude , qui requiert d'être entendu. Refusé. Pedo Pompéins l'accuse à grands cris. Pelronius commence à vouloir répon- dre. Eaque, en homme plein de justice, le lui défend. Après n'avoir entendu que l'une des par- ties, il le condamne, disant : Souffre ce que tu Ils i c'est de toute justice. Il se fit un grand silence. Tous étonnés, stu- cendit ad inferos. Antecesserat jam compendiari i via Nar- cissiu llliertui , ad patronum excipienduni , et TeoleDli nitidus ut eral a lialoeo, occurrit, et ait : • Quid dii ad hoDiines? — Celcrius i, iaquit Mercurius, et veuirc nos nuntia.» llle autem palrooo plura blandiri volebat ; (jncm Mercorias iterum feslinare jussit , et virga iiinrantcin iin- pulit. Dicte citius >arc'8ius eiolat. Omnia procliTa sunt, Tacite desceodltur. Itaqae quamvis podagricus rsset , mo- meotn tcmporis pervenit ad jaaaam Dilis . nbi jacebat Cerbenis, Tel, ut ait Horatius, bellua cen'iceps , iese moveos, villosque borrcndoieicutieus. Pusillum sul>pcr- turbatur (albani canem in dellciishal>ercconsueverat) ut illum vidit caoeni nigrum Tiltosum; saue qucm non Tplis libi in teoebris occurrere. Et magna inquit voce : > Clau- dius Cssar venit. • Ecce ertemplo cum plausu procedunt caulantes; Eû^xsfu* , ivyx<<.'/x«^ovis- sime fratris fllia , son ris niia , gcner , sorer, sncrus , om- nes plane consanguinoi. F.t agniinc fdclo Claudio occur- runt. Quos quuiii \idissetClaudius, cxlmiat : .nivrayi iwv«w^! Quomodo Tos hue venistis?! TumPedo Pnm- peins : f Quid di(is, homo crudelissime? Quœris, quo- modo 1 Quis enini nos alius hue misil quant 'u , omnium amicoruni interfector? In jus camus ; ego libi hic sellas ovtendam. XIV. Ducil illum ad tribunal iEaci. Is lege Cornelii , quaB de sicariis lata est , quxrebit ; postulat nouien cjus recipi , edit snb.tcriplionem : ■ Occisos Senatorcs \XX , Equités Rom. CCCXV, atque plurcs; ccteros cives «oa ^;i.a»i{ rt ii»is M. • Eitcrritus Claudius oculos undecun- que circumfert. vestigat aliqueni patronuni, qui se de- fendcret. Advocalum non invenit. Tandem procedilP. Pe- tronios, teins conviclor ejus, homo Claudiana lingua discrlus, et postulat adTOcationcm. Non datur. Accusât Pedo Pompcius magnis clamoribus. Incipit Pelronius Telle rcsponderc: .¥^cus,homo juslissimus, vetal. Illum 584 SKNÈQUE. péfails (le ces formes nouvelles, niaient que jamais cela se fût pratiqué. Pour Claude, il trouvait cela plutôt injuste que nouveau. Longtemps on discuta sur le genre de peine qu'il lui fallait infliger. Il y en eut qui dirent que, si l'on perdait un seul jour, Tantale mourrait de soif si l'on ne le secourait ; que Sysypbe ne soulèverait jamais son fardeau; que bientôt on verrait s'embraser la roue du mal- heureux Ixioo. Cependant Éaque ne fut pas d'avis de faire grâce a ces vétérans, de peur que Claude n'en espérât quelque jour autant pour lui. Il lui plut d'imaginer un nouveau supplice, d'inventer pour lui un travail inutile, une sorte d'illusion à son âme cupide, qui serait sans fin comme sans ré- sultat. Alors Eaque lui commanda de jouer aux dés dans un cornet percé. Et le voici qui déjà commence à chercher ses dés toujours fugitifs, sans rien gagner. XV. Car à peine agitant le mobile cornet , Aux dés prêts à sortir il demande sonnet , Que malgré tous ses soins entre ses doigt avides Du cornet défoncé , tonneau des Danaides , Il sent couler les dés; ils tombent , et souvent Sur la table, entraîné par ses gestes rapides. Son bras avec effort jette un cornet de vent. Ainsi pour terrasser son adroit adversaire. Sur l'arène un athlète, enflammé de colère, Du geste qu'il élève espère le frapper; L'autre gauchit, esquive, a le temps d'échapper. Et le coup , frappant l'air avec toute sa force Au bras qui l'a porté donne une rude entorse. Aussitôt apparut C. César, qui vint le réclamer pour son esclave. Il produisit des témoins qui l'a- vaient vu de sa main chargé d'étrivières , de fé- rules et de soufflets. 11 est adjugé à C. César. Éaque le lui abandonne. Celui-ci le livre à Ménan- dre son affranchi, pour en faire un dcbrouilleur de procès. tantum altéra parte audita condemnat , et ait : eûi xitt, tA X l(>i%t , iixri x isiix yinm. lugcns sileutiuiu factum est. Stupebaut omnes, novitate rei attoniti; negabant boc unquam factum. Claudio i ni quum mngis videbatur, quam novum. De génère pœnas diu disputatum est, qaid illum pati oporteret. Eraut qui dicerent , .«i uni dieii latu- ram fecissent, Tantalum siti periturum , nisi illi succur- reretur; non unquam Sisyphum onere relevari; ali- quando Ixionis miseri rotam sufdaminandam. Non pla- cuit illi ex veteranis missionem dari , ne vel Claudius unquam simile sperarct. Placuit novam pœnam excogi- tari dehere, instituendura illi laborem irrilum , et ali- cujus cupiditatis species sine fine et effectu. Tuni JEacus jubet illum aléa luriere perluso fritillo. Et jani cœpeiat fugientes seraper tesseras quirere, et nihil proficere. XV. Nam quoties mUsurus erat résonante fritillo , Ctraque subducio fugiebat le«era fonde ; Ctimque recollectos auderet mittere taloa, Lusiiro similis semper, semperque petenti , Decepere (idem ; refugit . digitosque per ipsos Fallax assiduo dilabitur aléa furlo. Sic quum jam summi tanguntur culmina montif. Irrita Sisyphio volvnntur pondéra collo. Apparuit subito C. Ccesar , et petere illum in servilotem cœpit; producit testes , qui illum viderant ab illo Oagris, ferulis, colaphis vapulantem. Adjudicalur C. Céesari j illum .£acus donat. Is Menandro iiberto suc tradidit, ut a cognilionibus ei esseU 0S88888398888880S8SSSS8033SSS38SQ88SSSSSS38S8SS iS PETITES PIECES DE VERS. I. — 1 Li COSM. Corse, anliqne Cyrnos, qu'autrcfuis cultiva L'aTenlurier des bords de la Pbocide ; Moindre que la Sardaigne, et plus grande qii'Iiva , Corse , horrible séjour, quand sur ta plage uride Le soleil des élcs djrde ses (rails brûlants. Quand Sirius en feu dessJxbe tes torrents; (^rse inhospitalière, où l'étranger succombe, Epargne un exilé : ccllus homo vatlile capitalia carmina ludis ; Deque tuis iiian;jnt atra vencna jocis. Sed tu pcrque jocuin dicis vinuinqne. Quid ad rem , Si ploreni, risus si liius ista facil? Oq;ire toile jocos ; non est jociis , esse maîigniim : >'un(iuam sunt grati, qui nocuere sales. VI. - • An AMICUJI, Crispe, meoG vires, lassarumque ancora rerum; Crispe vel anliqiio conspiciende foro; Crispe potens nunqiiam , nisi quum prodessc volebas ; Naufraglo liMis lutaque terra meo, .solus honor nobis , arx et tutisslma nobis , Et nunc afilicto sula quies animo. <;:»^pe, tides dulcis, placidique acerrima vjrtus, Cujus Cecropio pcctora melle madent ; Maxiraa fdcunilo vel avo, velgloria patri; (}\\n solo carcat si qiiis . in exsilio est An tua . qui j icco saxs telliiris adhaîrens , .Mins niccitm csl, nulla qua; colubclur liunio. VII. — DE QUALITATE TEMPOKIS. Umnia tempus edax depascitur, omnia carpit , Omnia sede niovet , nit sinit esse diu. Flumina deficiunt , profugum mare lilora siccat; Subsidunt montes , et juga celsa ruunl. Qui tam parva loquor ? moles pulcherrima CŒli Ardebit flamniis tota repente suis. Omnia mors poscit. Lcx est , non pcena , perire. Hic aliquo mundus tempore nullus erit. VllI. — yOTDM. Sic mihi sit frater, majoniue , minorque . supcrstes. Et de me doleant nil , uisi morte mea. Sic illos vincam , sic vincar rursus amande ; Mutuus inter nos sic bene cert^t amor. Sic dulci Marcus qui nunc sermone fritionit ; Facundo patruos provocet ore duos. IX. —AD COBDDAS. Corduba , solve comas, et tristes indue vultus : Inlacrymans cineri munera mitte meo. Nunc longinqua tuum déplora , Corduba , vatrra , Corduba non alio tempore mœsta magis. Tempore non iilo , quo versis viribus Orbis , Incubuit beltl tota ruina tibi ; Quum geminis oppressa malis utrinque peribas , Et tibi Pompeius, Caesar et bostis crat; Tempore non illo, quo ter tibi funera ccntnm Heu nox nna dedlt, quae tibi summa fuit ; Non, Lusitanus quateret quum mœnia latro, Figeret et portas lancea torta tuas. Ille tous qiioudam magnus, tua gloria, eivis Infigar scopnlo. Corduba, solve oomas; POESIES. Du moins devras-tu quelque cbtwe : De l'eiil bomicide où languit ton cn!3at Tu sauras moins vite la cause. ÉPITiPlII OE SinÈQlIE, ÉCEITE PIB LlI-VilME, s'iPBÈS l'éditiom de ai^SET. Suins, travaiu, dignités, honneurs dus k l'emploi 587 Que j'occupai naguère et qu'un autre possède. Allez , vous n'avez plus aucun charme pour mni : A de nouveaui acteurs sans regret je vous cède. Loin de vous Dieu m'appelle à l'éternel repos ; Adieu monde , séjour où tout est périssable. Toi , terre, couvre-moi de quelques grains de sable : Je rends mon àme au ciel et te laisse mes os. Et gratare tibi, quod le aatura suprenio Adluit Oceaiio ; tardius ista dotes. X. — iPITÂPBIUM StUECS. iB IPSO COSSCBIPTCM. Cura , labor, inTiium, tumpti pro munere bouores, Ite, alias posthac nillictlate animas. Me procul u vobis Deus avocat ; ilicet aclis Rébus terrenis , hospita terra , vale. Corpus avara tamen solemnibtis excipe saiis ; Naiiiquc auimani ccelo , reddimut ossa libi. • •mltm •2ô. ft QUESTIONS NATURELLES A LUCILIUS. LIVRE PREMIER. PRÉFACE. Autant il y a de distance , vertueux Lucilius, entre la philosophie et le reste des sciences hu- maines, aulaot j'en trouve , dans la philosophie même, entre la partie qui s'occupe de l'homme et celle qui a les dieux pour objet. Celle-ci plus re- levée, plus aventureuse, s'est permis davantage: elle ne s'est point contentée de ce qui s'offre à notre vue; elle a pressenti que la nature avait placé au-del'a du monde visible quelque chose de plus grand et de plus beau. En un mot, il y a de l'une à l'autre philosophie tout l'intervalle de Dieu à l'homme. La première enseigne ce qu'il faut faire ici-bas; la seconde, ce qui se fait dans le ciel. L'une dissipe nos erreurs , et porte le flam- beau qui éclaire les voies trompeuses de la rie ; l'autre plane fort au-dessus du brouillard épais où riiorame s'agite en aveugle : elle l'arrache aux ténèbres pour le conduire "a la source de la lu- mière. Oui, je rends surtout grâce 'a la nature, lorsque, non content de ce qu'elle montre 'a tous les yeux, je pénètre dans ses plus secrets mystè- res; lorsque je m'enquicrs de quels cléments l'u- nivers se compose; quel en est l'architecte ou le conservateur ; ce que c'est que Dieu; s'il est ab- sorbé dans sa propre contemplation , ou s'il abaisse parfois sur nous ses regards; s'il crée tous les jours , ou s'il n'a créé qu'une fois ; s'il fait partie du monde, ou s'il est le monde même; si aujourd'hui encore il peut rendre de nouveaux décrets et modiGcr les lois du destin , ou s'il lui est impossible de retoucher son œuvre sans des- cendre de sa majesté et reconnaître qu'il s'est trompé. 11 doit eu effet aimer toujours les mômes UBER PRIMUS Quantam inler philoiophiam intercst, Lucili virorum optime, et cetera» artesjtantum interesse eiistimoin ipsa philoaopbia , inter illam parteoi quae ad bomiaes, et hanc quae ad deo» spectat. Altior est hœc, et animosior ; mul- tum permisit sibi; non fuit oculis contenta; majus esse quiJdam suspieata est. ac pulchrius , quod extra con- •pcctiim natnra posuisset. Denique lantum inter duas in- tereit, quantum inter Deum et liominem. Allera docet. qnid in terris a(;eDdum sit; altéra, quid agatur in coelo. Allera errores Dostros disculit, et lumen admovet, quo discemantur ambigua vitae; altéra niulto supra banc ca- liginem in qua volutamur excedit, et e tenebris ereptns illo perducit , unde Incct. Equidem tune natnrœ rerum gratiasago, quum illam non ab bac parte video, qus pnblica est, sed quum secrrtiora ejus intravi; quiun dis- CD, qus universimaleria sit, quis auctorsit, aut custos; qnid sit Deus; lotus in se intendat, an ad nosaliquando respicial; Viciât quotidie aliquid , an semel fecerit; para niundi sit, an raundus; liceat illi hodieque decernere, et ex lege fatorum aliquid derogare; an majestatis deminu ' tio tit , et confessio crroris , mntanda fecisse ; necc ssc es 590 SENEQUE. choses celui qui ne saurait aimer que les choses à laquelle nous aspirons est digne d'envie , ce parfaites ; et il n'est pas pour cela moins libre ni moins puissant ; car il est a lui-même sa néces- sité. Si l'accès de ces mystères m'était interdit, à n'est pas que ce soit proprement un bien d'être exempt de tout vice, mais c'est que cela agrandit l'âme , la prépare h la connaissance des choses quoi m'eût servi de naître? Pourquoi alors me fé- ! célestes , et la rend digne d'être associée à Dieu liciterais-je d'être au nombre des vivants? Pour filtrer des breuvages et digérer des aliments? Pour soigner ce débile et misérable corps qui périt dès que je cesse de le remplir? Pour jouer toute ma vie le rôle de garde-malade, et craindre la mort, pour laquelle nous naissons tous? Otez-moi cette inestimable jouissance, l'existence vaut-elle que je m'épuise pour elle de fiitigues et de sueurs? Oh ! que l'homme est petit, tant qu'il ne s'élève pas même. La plénitude et le comble du bonheur pour l'homme, c'est de fouler aux pieds tout mauvais désir, de s'éiancer dans les cieux , et de pénétrer les replis les plus cachés de la nature. Avec quelle satisfaction , du milieu de ces astres où vole sa pensée, il se rit des mosaïques de nos riches, et de notre terre avec tout son or,- non pas seule- ment de celui qu'elle a rejeté de son sein et livré au-dessus des choses de la terre I Tout le temps i a"" empreintes de notre monnaie, mais de celui qu'il lutte contre ses passions, que fait-il de si admirable? Sa victoire même, s'il l'oblient, a- t-elle rien de surnaturel? A-t-il le droit de s'ad- mirer lui-même, parce qu'il ne ressemble pas aux êtres les plus dépravés? Jo ne vois pas qu'on doive s'applaudir d'être plus robuste qu'un ma- lade. Il y a loin de cet état à la santé pai faite. "Vous vous êtes soustrait aux faiblesses de l'âme ; votre front ne sait point mentir ; la volonté d'au- trui ne vous fait ni composer voire langage , ni déguiser vossentimeuts; vous fuyez l'avarice, qui ravit tout aux autres pour tout se refuser: la débauche, <]ui prodigue honteusement l'argent qu'elle regagne par des voies plus honteuses en- core; l'ambition, qui ne mène aux dignités que par d'indignes bassesses. Jusqu'ici pourtant, vous n'avez rien fait : sauvé de tant d'écueils, vous n'avez pas échappé à vous-même. Si cette vertu u'elle garde en ses flancs pour la cupidité des â^es futurs. Pour dédaigner ces portiques, ces plafonils éclalanls d'ivoire, ces forêts taillées eu jardins, ces fleuves contraints de traverser des palais, il faut avoir embrassé le cercle de l'uni- vers, et laissé tomber d'en haut un regard sur ce globe étroit, dont la plus grande partie est sub- mergée, tandis que celle qui surnage, brûlante ou glacée , présenle au loin d'affreuses solitudes. Voilà donc, se dit le sage, le point que tant de nations se parlajzent le fer et la flamme à la main ! Voila les mortels avec leurs risililes frontières ! Le Dacc ne franchira pas l'Islrr; le Strymon devra borner la Thrace, et l'Euphrate arrêter les Par- tiies ; le Danube séparera la Sarmalie de l'empire romain ; le Rhin sera la limite de la Germanie; entre les Gaules et les Espagnes, s'élèveront les cimes des Pyrénées ; d'immenses déserts de sables cnim ei eadem placere , cui nisi optima placcre non pos- sunt ; nec ob hoc minus liber et potens est. Ipse enim est nécessitas sua. Nisi ad ha-c admitterer, non fuerat nasci. ^^!lid enim crat, cur in numéro vivenlium me positum <'sse gauderem ? An ut cibos et potiones pcrcolaiem ? ut hoc corpus causariuni ac fliiidum , perilurumque nisi snb- inde implralui-, sarcirem, et vivcrem a'gri minister? ut raortem timerem, cui omncs iiasciniui? Dol?alie hoc inœttimabile lionnm, non est vila tanti , lit sudem , ut .xsluera. 0 q\i:nu coiitimta res est l'omo, nisi supra hu- mnna surrexeriti Quamdiu cum affeclibus colluctamur, qnid magnifie! facimus? etiamsi superiores sumus, por- tenta vincimus? Qnid est , cur suspiciamus nosmetipsos , quia dissimiles detcrrirais sumus? nou video quaresibi placeat , qui robustior est valeludinario. Wultum interest inter vires et bonam valetudinem. Effugisti vitiaanimi; non est (ihi frons ficta, nec in alienam voluntatem sermo conipnsitus, nec cor involutum, nec avaritia, quœ quid- quid omuibus alistulit, sibi ipsi negat; nec luxuria pecu- niam lurpiUr amitlens, quam turpius reparet; nec am- bitio , quiL' le ad dignitateui nisi per indigna non ducet : ÏN'iiiil adhuc consecutus es; multa effugisti , te nondum. 'Vi tns enim ista quam afferlamus. magniiica est; non I quia per se beatum est malo carnisse , $ed quia animnm laxat, ac prasparat ad cogoitionem cœlestium, dignum- que efficit, qui in consortium Dei reniât. Tune consum- matum babet plenumquc l)onum sortis hamana?, quum, calcato omni malo , petit allum, et in interiorem naturs sinum venit. Tune joTat inter sidéra ipsa vagantem , di- vitum pavimenta ridere , et totam cum auro suc terram; uon illo tantum , dico , quod egessit , et signandum mo- neta; dédit , sed et illo , quod in occulte serval posterorum avaritiae. Nec potesl ante conteninerc porticus, et lacu- naria ebore fulgentia, et tonsiles silvas, et derivata in domos fluniina , quam totum circumeat mundum , et ter- rarum orbem super ne despiciens , angusium, et magoa ex parte opertuni mari , etiam qua exstat, lafc squalidnm, et aut ustum aut rigenlem. Sibi ipse ait : hoc est illod punctum , quod inler tôt génies ferro et igni dividitur' O quam ridiculi sunt mortalium termini 1 Ultra Istrum Dacus non eseat; Strymo Thracas includat; Parihis ob- stel Euphrales; Danubius Sarmatica ac Roœana dister- minet; Rhenus Germania; modum facial; Pyrenaeus mé- dium inter Gallias et Hispanias jugum eitollat; inter ^gyptum et^lhiopias arenarum inculta vasdtas jaccat I Si quis formicis det iotellectum hominis , nonne et illa; QUESTIONS NATURELLES. 39 1 s'étendront de TÉgyple à l'Élbiopie I Si l'on don- nait auï fourmis l'intelligence de l'Iiomme, ne feraient-elles pas comme lui plusieurs provinces de l'aire d'une firange? Quand vous vous serez élevé à ces choses vraiment grandes , dont je par- le , chaque fois que vous verrez des armées mar- cher enseignes déployées, et comme si tout cela était chose sérieuse , des cavaliers tantôt voler "a la découverte, tantôt se développer sur les ailes, vous serez tenté de dire : La Doire légion >oas les herbes chemine. Ce sont là des évolutions de fourmis, qui se don- nent beaucoup de mouvement sur peu d'espace. Quelle autre chose les distingue de nous , que l'exiguité de l-ur corps? C'est sur un point que vous naviguez , que vous guerroyez , que vous distribuez des empires, imperceptibles à l'œil, n'eussent-ils de barrière que les deux Océans. Il est là-haut des régions sans bornes, que notre âme est admise à posséder, pourvu qu'elle n'cm- pmie avec elle que la moindre partie possible de son enveloppe maléiielle, et que , purifiée de toute souillure, libre d'entravcj, elle soit assez légère et assez sobre en ses désirs pour voler jusque-là. t)ès (|ircllc y touche , elle s y nourrit j veuglement dos mortels, <|u'à leurs yeux cet uni- el s'y dévelop[)e : elle est comme délivrée de vers si beau, si régulier, si constant dans ses lois , ses fers et reu'lue a sou oriïiite. Lille reconnaît sa | n'est que l'œuvre et le jouet du hasard, qui se divinité à laltrait qui l'emporte vers le ciel ; loin i laisse rouler an milieu des tonnerres , des nuées , qu il soit pour elle un monde étranger, elle y re- | des tempiMes et des autres météores qui toiirmeii- connaît sa patrie. Elle voit avec sécurité le cou- ■ lent le globe et son almosplicre. Kt ce di'lirf ne cher, le lever des astres, les roules si diverses | s'arrête pas au vulgaire : il a t'a!;né Jus(]ir;i des qu'ils suivent sans dé>ordre. Elle observe le point | hommes qui se donnent pour sages. Il en est qui , d't)ii chaque planète co:i;mence à nous luire, son ' liitUeii reconiiaissaiil en eux une âme prévoyante. plus haut degré d'élévation , le cercle qu'elle par- court, la ligne jusqu'oîi elle s'abaisse. Avide spec- tatrice, il n'est lion qu'elle n'examine et n'inter- roge. Eh! qui l'en empêcherait? Ne sait-elle pas que tout cela est son domaine? Combien alors elle juge mesquines les proportions de son séjour 1er reslre! Qu'est-ce en afi'et que l'espace qui s'étend des rivages les plus lelulos de l'Espagne jusqu'aux Indes? Une traversée de quelques jours, lors- qu'un bon vent eiiOe la voile. Et les plaines du ciel ouvrent une carrière de trente années à la plus rapide de tontes les planètes, qui, sans ja- mais s'arrêter, va constamment de la même vi- tesse ! I.à enfin l'homme apprend ce qu' il a si longtemps cherché ; l'a il apprend à connaître Pieu? Qu'est-ce que Dieu? L'âme de l'univers. Qu'est-ce que Dieu? Tout ce que vous voyez et tout ce que vous ne voyez pas. Si l'on rend enfin à l'être suprême sa grandeur, qui pa'-so toute ima- gination , si seul il est tout, au dedans comme au dehors, son œ;ivre est pleine de lui. Quelle est donc la différen( e entre la nature de Dieu et la nô- tre? C'est que dans l'homme la plus noble partie est l'âme, et cpril n'y a rien en Dieu qui ne soit âme. Il est tout raison : tel est , au contraire, l'a- iinam sream in niult.is protiocias dividciil? Quuni te in illii vere nia^na iu.sluterig : qiiolies vidcbis cxcrcitus sub- l-ectis ire Teiiltis, et, quasi iiia£;iiuin allquid iii>cilur, equi- Iriii modo alteriora eipturaalciu , niudo a tateril)us ariii- siini, libebit dicere : It nigrum canipis a;men Formicarum iste disciirsus est in an^iislu bborantiuni. Quid illis et iiobis iotercst, nisi exi|;iii iiiensura corpus- cuti? PoDctum est istud in qnonavig»li.s, in qno l')elt:ili.v. in quo régna dUponitis; mininii , etiamquuni illis uirin que Oceanui occurrit. Sursuni ineenlia spaiiu sunt, iii <|uorum posseuionem aninius adniitliiur; at ila, si niini- iiium tecum ex corporc tniit. si sordl^lum omne detorsit, et eipeditus levisqne accootentus niodico rniiciiit. Quuni ill.! tetigit, alitur, crescit; ac vetnt vinculis liltenitus, in (iriginem redit. Et hocbal>clarguinentunidiiinilatissua!, qnod illnm divina délectant ; nec ut alienis intcrcst , scd ni suis. Sccnre tpectat occuius sideruni atque ortus , et tini divenas concordantium vias. Observai , ulii qusqiie Mrlla primniD terris lumen ostendat , ubi culmen ejus siiumniD, qua cursus sil, qucusque dcsccndal. Cuiiosus spoct ]lor oiculil siiigtila , ri qna'rll. Quuliii quu^rat? Scit ilLi ad se perliiure. Tune ciiulenmil doiuicilii prions au- guslias. Quaiiiuni ciiiiii c:,! , (|U(iti i:b ulïiinis litoriliui liispanix iisqiio ad liiilii.s jaict? P.iucisbiniurum dicruin .spatiuin, si niveiii suus >c'mus iiupletil. At illa rcgio ca'lestis per tri;iinta iinuos vclocissimo sideri \ian) praj- stal , uti&qiiani rosisli^nti , scd ieqiiatiter cite, lllic denuiui duscil, ijnoil dm (in.iyitii; illic incipit Ueuiu nosse. Quid est Dcus':" Mins uni>ir\i. Quid osl X)eus? Quod vides tu- I tuni, et qnud non vides tiilniir. Si diniuni niagni:udu j sua illi reddilur, (|iia nibil iiiiijus oxcugilari puUsI, .si j sulus est oninia , opus suuin cl extra c! inlra leiiet. Quid ! crgo interest inttr nalurani Dei et uoslramV No^lri nie- i lier pars aninius est ; in illi> nulla pars extra aninunn. ; Tolus ratio est , qiiuni intérim t;iutus error marlalia le- neat, ut hoc, quo nrque fonnosius e>t quidquain, nto disposilins, nec in pnipo.silo consl:inlius , exist jntiit lio- niiiics forliiilnin et casu vohiliile , iJio<;i!e Inniuiinosinii intf r fulmina , niilies , lempcslales , et (xMera quil)us Ici - r;e ac terris vicina pulsanlur. Nec bac inlra vulgnin de nicnliacst, sapienliam quoque profcisos cimligit. Smit qin pntent, silii ipsis aninunn esse, el quidcn pioviduui 59i SÉNÈQUE. capable d'embrasser dans ses moindres détails ce •lui les touche eus et les autres, refusent au grand tout , dont ils font partie, toute espèce d'intelli- gence, et le supposent emporté par je ne sais <|uclle force aveugle, ou par une nature ignorante de ce qu'elle fait. Combien, dites-moi, n'importe- t-il pas d'être éclairé sur toutes ces choses , et d'en bien déterminer les limites? Jusqu'où va la puissance de Dieu; forme-t-il la matière dont il a besoin, ou no fait-il que la mettre en œuvre; l'idée es^elle préexistante h la matière , ou la matière h l'idée ; Dieu accomplit-il tout ce qu'il veut, ou trop souvent le sujet ne manque-t-il pas à l'exécution ; et des mains du suprême artisan ne sort-il pas maintes fois des ouvrages défectueux , non point faute d'art , mais parce que les élé- ments qu'il emploie sont rebelles 'a l'art? Admi- rer, étudier, méditer ces grands problèmes, n'est-ce point fraocliir la sphère de sa mortalité ot stnserire citoyen d'un monde meilleur? Mais, c deinde. I. Nunc ad proposilum vcuiam opus. Audi quid de igni- bus philosophia Tclit, quos aer transversos af;il. Magna vi illos excuti argumcatum est, quod obliqui feruntur et prarapida celeritate. Apparat illos non iic , sed projici. Ignium niulla; varia;que faciès suut. Arisloteles (juoddaiu yeuns iiloruui Capraiu vocat. Si me iulerroga\eris. quarc? prior mihi ralionem reddasnportet, quare Uœdi vocentur. Si autem , quod comraodissiinum est : conve- nerit inter nos, ne aller alleruni interrogct; quid dicit ille? lesponde; satins erit de re ipsa quîerere, quam mi- rari , quid ita Arisloteles globura ignis appellaverit Ca- prani. Talis fuit forma ejus , qui , t>elluui adversns Per- seuui Paullo gereute, lunari magnitudiiie , apparuit. Nos quoque vidinuis non semel flammam ingentis pilae spe- cie, quce tameniu ipso cursu suo dissipata est. Vidiiuus circa difi .Augusti excessum simile prodigium ; vidiams quum de Sejano actuni est ; nec Germanici mors sine deuuntiatioue tali fuit. Dices mibi : Ergo tu in tantis rr- roribus es, ut existimes Deos mortium signa prxmittere, et quidquam esse in terris tara niagnum , quod perir« niundus iciat? Erit aliud isti rei tenipus. Videbimus, au certus omnium rerum urdo ducatur, et alla aliis ita coai- plexa sint, ut quiid antecedit, aut causa sit sequentium, autsignum. Yidubimus, an diis humaua siut cura; ; an séries ipsa, quid factura sit, certis rerum notis nunliet. Intérim illud exislinio, bujusmodi ignés exsistere, aère vehcmentius tritï), quum iuclinatio ejus in allcram par- lem fada est , cl non cosiit , sed intra se pugcavit. Ei bas QUESTIONS NATUPxELLES. dos pontres, des globes, des torches, des incen- dies. Si la collision est plus faible, si l'air n'est , pour ainsi dire, qu'effleuré, l'éruption lumineuse est moindre , 595 Et l'étoilCj eu Glant , traîne sa chevelure : Alors de oiinces étincelles tracent dans le ciel un sillon imperceptible et prolonge. Aussi n'y a-t-il point de nuit qui n'offre ce spectacle : car il n'est pas besoin pour cela d'une grande commotion de l'air. Pour tout dire, eu un mot, ces feus ont la même cause que les foudres , mais moins énergi- que : ainsi, un léger choc des nuages produit l'éclair ; un choc plus violent, la foudre. Voici l'ex- plication d'Aristote : « Le globe terrestre exhale quantité de vapeurs de tout genre , les unes sè- ches, les autres humides, quelques-unes glacées, d'autres inflammables. » 11 n'est pas étonnant que les émanations de la terre soient de nature si multiple et si variée, puisque les corps célestes mêmes ne se montrent pas tous sous la môme cou- leur. La canicule est d'un rouge jilus vif que Mars, et Jupiter n'a d'autre éclat que la netteté d'une lumière pure. Il faut donc que de cette in- (inité de molécules que la terre rejette de son sein et envoie vers la région supérieure , les nua- ges en attirent des parties ignifèrcs, suscepliblcs de s'allumer par leur choc mutuel, et même par la simple inhalation des rayons solaires; comme il arrive sous nos yeux que la paille enduite de soufre s'allume même h dislance du feu. Il est donc vraisemblable qu'une matière analogue, con- centrée dans les nuages, s'enflamme aisément et produit des feux plus ou moins considérables, suivant qu'ils ont plus ou moins d'énergie. Car rien de plus absurde que de croire que ce sont des étoiles qui tombent, ou qui traversent le ciel, ou des parcelles qui s'enlèvent et se séparent des étoiles ; si cela était , depuis longtemps il n'y aurait plus d'étoiles :.car il n'y a pas de nuit où l'on ne voie plusieufede ces feux courir, entraî- nés en sens divers. Or, chaque étoile se retrouve à sa place , et leur grandeur ne varie point. Il suit de l'a que ces feux naissent au-dessous d'elles , et ne s'évanouissent sitôt dans leur chute que parce qu'ils n'ont ni foyer, ni siège assuré. — Mais pourquoi ne traversent-ils pas aussi l'atmosphère pendant le jour? — Que répondrait-on, si je di- sais que de jour il n'y a pas d'étoiles parce qu'on ne les voit pas? Elles disparaissent, effacées par l'éclat du soleil : de même alors des feux par- courent le ciel, mais la clarté du jour absorbe leur lumière. Si pourtant il en est parfois dont l'explosion soit assez distincte pour ressortir au milieu même de l'éclat du jour, ccux-l'a sont visi- bles. Il est certain que l'âge présent en a vu plu- sieurs de cette sorte se dirigeant les uns d'orient en occident, les autres dans le sens contraire. Les gens de mer voient un signe de gros temps dans le grand nombre des étoiles Olantes : si elles an- noncent des vcnis, il faut qu'elles se forment dans la région des venis, c'est-'a-dire daus l'air, entre la terre et la lune. Dans les grandes tempêtes, il en est qui semblent de vraies étoiles posées sur les voiles des vaisseaux. Le malelol en péril se croit alors sous la protection de Castor et de Pollux. Tciatione nascuniur Irabos, et plobi , et fsces, et .irdo- res. At qtiuni leviiis collisus.el, ul ila dic.mi , sirktus est, minora Inmiaa excaliiinlar , crimmque voUinlia lidera dncunt. Tuuc ignés tcnuissiini iler cille désignant, etcœlo producuiit. Ideo nulla sine hujus:i}Oili speclaciilis noi est ; non enirn opiis nt ad crOcicnda ista maguo apri< moiu. Denique, ut breviler dicam, endcni ratione fiunt isia , qua tulinina, .sed >i oiinure. Qucmadmoduin iiul>ps mnilocriter rollisa', fuIctiraliDiics officinnl; niajiiro iiii- pc!u puisai, fulminn. Aiislotcles ejiismodi raiioneni red- dit : • Varia el mula tcrrarura orbis cispirat, qua-dam huinida , qu.Tdam sicca, (juaidainalgeiitia , qua-dam con- cipienilis ignibus idunea. • îicc niirura est, si tcniB oninis gencris et varia evaporatio est; quuni in cœlo quoque non unus apparcat color reruni, scd acrior sit canicula; rnbor, Mani» remissior , Jovis nullus , in lucem purani nitorc pcrdncto. Nccesse estcrgo in Miagn;i copia corpusculomm , quae Ifira; ejcclant , et in supcrionm atiunt partem, aliqua in nulxs pcrveniie alimenta i}{- niuni, qnae non tantum collisa possint arderc, scd eliani afllala nidiis solis. ISara apud nos quoque , slramenta sul- pliurc aspersa , igncm ex iotervallo Iraliunt. Vcri eifo àuiiiL- est. talem materUm intri nubes congrcgatani fa- cile succendi , et majores minoresvc ignés eisistere , prout illJs fuit plus aut minus virium. Illud enim stultissimum est ciistiuiare, aut slcllas decidere, aut Iransilirc, aut aliquid illis auferri et abradi; nanisi hoc fuisset, jam de- fuissent. ^ulla enim no\ est, qua non plurimae ire, et in divcrsnm videantur alxiuci. Atqui.quo soient , quEeqnc inveniunlur loco; magnitudo sua singulis constat. Sequi- tur ergo utiufra illas ista nascantur, et cito intcrcidant, quia sine fundameniosuiilelscdecerta.Quare ergo etiam non inlerdiu trjusfenmlur ? Quid, si dicam stcllas inter- (liu non esse, quia non appaicul .' Qucmadniodum illaB latent , et solis fulgore obumbranlur ; sic faws quoquo transcurrunt etiani iutcrdiu , sed abscondit eas diurni lu- niinis claritas. Si quando tanien tanta vis emicuit, ut etiam adversus dicm vindicare sibi suum fiilgorem pos- sinl, apparent. Noslra ccrte aetas non seniol vidit diur- nas faces, alias ab oriente in occidenlem versas, alias al> occasuiii ortum. Argunientiim tempcstalis nautx pulant, qnum mulio; transvolant sicllic . quod si signnm vcntu- runi est, ibi est, uhi vcnti sunt, id est, in acre, qui mé- dius intcr luuani et Icrrnui est. In magna tcmpostale apparent quasi stcli.c vélo insidcntcs. Adjuvari se tune périclitantes nistiniantPollucis cl Castoilsnnniiae. Caus» 594 SÉNÉQUE. Mais la seule cause qui doit le rassurer , c'est qu'elles se montrent quand l'ouragan faihlit et que le vent tombe. Quelquefois ces feux- volligcut sans se fixer. Gylippe, voguant vers Syracuse, en vit un s'arrêter sur le fer môme de sa lance. Dans les camps romains, des faisceaux d'armes paru- rent s'enflammer de ces étincelles qui venaient les effleurer, et qui souvent frappent comme la foudre les animaux et les arbustes. Lancées avec moins de force, elles ne font que glisser et tom- ber mollement, sans frapper, ni blesser. Elles jail- lissent tantôt d'entre les nuages, tantôt du sein de l'air le plus pur, s'il contient assez de princi- cipes inflammables. Et môme ne lonne-t-il pas quelquefois dans le ciel le plus serein, comme par un temps couvert, par suite d'une môme col- lision atmosphérique? L'air, si transparent, si sec qu'il puisse ôtre, est pourtant compressible ; il peut former dos corps analogues aux nuages , et qui , choqués, fassent explosion. De là les pou- tres, les boucliers ardents , les cieux qui semblent lout en feu, lorsque des causes semblables, mais plus actives, agissent sur les mêmes cléments. II. Voyons maintenant comment se forment les cercles luniiieux (|;ii entourent quelquefois les as- tres. On rapporte que le jour où Auguste revint d'ApoUonie à Rome, on vit autour du soleil un cercle enipreint des couleurs variées de l'arc-en- ciel. C'est ce que les Grecs nomment Halo et que nous pouvons très-justement appeler Couronne. Voici comme on en explique la formation : qu'on jette une pierre dans im étang, ou voit l'eau s'é- carler en formant plusieurs cercles, dont le pre- mier, fort rétréci, est successivement cnTironné d'autres de plus en plus larges, jusqu'à ce que l'impulsion se perde et meure dans la surface unie et immobile des eaux. Il faut supposer dans l'air des effets analogues. Quand ce fluide coiidensé est susceptible de percussion, les rayons du soleil, de la lune, d'un aslre quelconque le forcent , par leur action, 'a s'écarter circulairemenl. L'air, ea effet, comme l'eau, comme toutce(|ui reçoit uno forme d'un choc quelconque, prend celle du corps qui la frappe. Or, tout corps lumineux est spbc- rique ; donc l'air qui en sera frappé prendra la forme ronde. De la le nom d'Aires donné par les Grecs.'a ces météores, parce que les lieux destinés "a battre le grain sont ronds î;énéralenient. Du reste , il n'y a pas la moindre raison de croire que ccscerclis, quelque nom qu'on leur donne, se forment dans le voisinage des astres. Ils en sont fort éloignés, bien qu'ils paraissent les ceindre et leur serwrde couronne. C'est près de la terre que se dessinent ces apparitions; et l'œil de l'homme, loujours faible et trompé , les ))lace autour desas- ires mômes. Kien de pareil ne peut se former dans le voisinage du soleil et des étoiles , oii règne i'é- llier le plus subtil. Car les formes ne peu\ent ab- solument s'imprimer que sur une malière dense et cniiipacle ; sur des corps subtils elles n'auraient ni prise ni consistance. Dans nos bains mêmes, oa observe un effet semblable autour des lampes, au milieu de cet air dense et obscur, surtout par le vent du midi, qui rend l'alraosphère lourde et épaisse. Ces cercles parfois se dissolvent et s'effa- cent insensiblement, parfois se rompent sur un auteni melioris spei est, (|iiod jaiii apjKiioî fi-nigi tcm- pestatem , et dcsincre ventos. Aliquainlo fcruiitur ignés, non sedenl. Gjiippo Syrinusts pctenli visa est .Stella super ipsam lanceani constilisse. In Rimmnorum castris visa sunt ardcrc piia , iguibus scilicct in illa ddnpsis; qui. sa?pe, fulminum more , anim.ilia forirc soient et arl)usta. Sed si minore vi mitlunlur, defluunt tanlum et insident , non feriunt , ncc vulnerant. Alii iuter nulles eliduntur , alii sercno, si aeradexprimendum ignem aplusfuit. Nam sereco quoque cœlo aliquamlo lonat , ex eiidom causa, qua nuiiilo, aereinler se coîliso. Qui etiamsi est lucidior ac siccior, coii-e tanien et lacère corpora (|ua"iain sinii- lia nubilms potesl, qua^ percussa icddant sonnni. Quan- doque igilur fiant trabes, quando(|ue cl)pei,et ïa.^tn- riini imagines ignium , ubi in talem niateri.im incidit si- milis causa, sed major. II. Videamns nunc queinadmoditni fîat is fulgor, qui sidéra circuninecfit. Menioria; proriilnm est, quo die divus Augustus urbcm, ex ApoUonia icversus, iniratit. circa solem visuni coloris \arii circnluni, qiialis p.«se in arcu solct ; hune Gra-ci Halo vorant, nos dicoie Coi'o- nam aplissime possumns. Queniadnioduni fieri dicalur, exponan}. Qiium in piscinam lapis mi.^.'-us isl , videnius in ntnllos orl)es aquani disccdere, cl Tini piiniuni angu- stissimum orbem , deinde latioreni , ac deinde alios ma- jores, donec evanescat impetus, et in planitiem imniota- runi aquarum solvalur. Taie quiddam cogitemus firri eliam in aeip, qnum spissior f ictus, plagam sen!ire po- tcA; lux solis aut Iuna> Tel cujuslil)et sideris incurrens recedere illum in circules cogit. Nam tiumor, et aer, et onmequod eiictu fonnam accipit, in talem bal>itum im- pellitur, qualis est cjnsquod inipellit. Omne autem lumen rolnndum est : ergo et aer in hune roodum, perciissiis Inmine, exibit. Ob hoc taies splendon s Graeci Areas to- cavere, qnia fere terendis frugibus loea destinata suât rotunda. Aon est auteni quod existimemus , istns , sire arcœ, sive coronas sint. in vicinia siderum fieil. Pluri- nium enim absunt, quamvis tangere ea cl coroiiare vi- deanlur. Non longe a terra sit talis effigies , quam visus nostersolila imbecillitate deceptiis, circa ipsum sidus putat posilam. In vicinia autem solis et stellarum nihil taie po- test fieri, qnia illic a?Hier tenuis est. Nam formas crassis demum spissisque corporibus impiimi solint ;in suhiili- biis non hslcnt nlii consistant, aut haTeant. In baliiei.s quoque circa lucernani laie quiddam adspici solet, ob aeris densi obscuritatcm ; frequenîissime au em austro, qunm cœlura maxime grave et spissum est. Nonnunqnam paulatim diluuntnr eldflsinunt, nonniinqu.nm ab aliqua QUESTIONS point, et les marins attendent le vent du côté du ciel oii la rupture s"est faite : l'aquilon, si c'est au nord; si c'est au couchant, le zépliyre. C'est une preuve que ces couronnes prennent naissance dans la même région que les vents. Au-delà , les vents ne se forment plus, ni par conséquent les cou- ronnes. A ces preuves ajoutez que jamais ces mé- téores ne s'engendrent que dans un air iraniobilc et stagnant : le contraire ne se voit pas. En effet, on air tranquille peut recevoir une impulsion, pren- dre une figure quelconque; un air agité se dérobe h l'action môme de la lumière : car il n'a ni forme ni consistance ; les molécules qui sont frappées les premières soni aussitôt disséminées. Ces cercles donc qui couronnent les astres n'auront jamais lieu qu'au sein d'une atmosphère dense et sans mouvement, et par l'a propre a retenir la ligne de la lumière qui la frappe circulaircmenl. Et eu effet, revenez 'a l'exemple que je citais tout h l'heure. Une pierre jeléo dans un bassin, dans un lac, dans toute eau dormante, y produit des cer- cles sans nombre ; ce qu'elle ne fait pas dans une eau courante. Pourquoi? Parce que l'eau qui fuit empêche toute figure de se furiiicr. Il en est de même pour l'air: tranquille, il peut recevoir une forme; impétueux et agité, il ne laisse plus de prise et brouille toutes les empreintes (|iii viennent s'y appliquer. Quand les couronnes se tlissolvent également sur tous les points , et s'évaporent sans déplacement, c'est um; marque (jue l'air l'st tran- quille ; et ce calme universel annonce de l'eau. Se rompent-elles d'un côté seulement, le veut souf- NATURELLES. 595 fiera du côté de la rupture ; se déchirent-elles en plusieurs endroits, il y aura tempête. Tous ces ac- cidents s'expliquent par ce que j'ai exposé plus haut. Car, que l'ensemble du phénomène se dé- compose "a la fois , cela démontre l'équilibre , et, partant , le calme de l'air. Si la fracture est uni- que, c'est que l'air pfej de ce côté, et que de l'a doit venir le vent. Mais si le cercle est déchiré et morcelé de louLiw-parts, évidemment il subit le choc de plusieurs courants qui tourmentent et as- saillent l'air dans tous les sons. Cette agitation de l'atmosphère, cette lutte cl ces efforts en tous sens, signaletit la tempête et la lutte imminente des vents. Les couronnes ne paraissent guère (]ue la I nuit autour de la lune et des autres astres; de I jour elles sont si rares, que quelques philosophes ' grecs prétendent qu'on n'en voit jamais; et pour- tant il yen a des preuves dans l'histoire. La cause de cette rareté , c'est que le soleil, ayant trop de force, agite, échauffe et volatilise trop l'air: l'aclioiido 1.1 kine, moins vive, est plus aisément ; soutenue par l'air ambiant ; il en est de môme des , autres astres, également incapables de le divi- I ser. Dès lors leur ligure s'imprime et peut s'arrô- I ter SI r celte vapeur plus con.sisiante et moins fu- ; gace. En un mol, l'air ne doit être ni tellement compacte qu'il éluigne ou repousse l'immersion de la lumière, ni tellement subtil et délié, qu'il n'en retienne aucun rayon. Telle est la tem- pérature des nuits, alors que les astres, dont la lumière dense ne vient plus heurter l'air brus- quement, se peignent dans ce fluide, plus con- parle rumpuatur ; et iudi; veatuiu naulki cispectant, ■jnde coDlcxtus coroDX périt. Si euim a sepleniirmiie dis- cessent, Aquiloerit ; si al) occideote, Faruuiirs. Quoi ar- gnmeDlum est, inlra eam parlrm cceli lias lit-ri corunus, intra quam Tcoti quo<|uc soient. Superiora iiutein non babeol coronas, quia ne veutos quidem. II. s ai'(,'uincutis et illud adjice, nuai|iiain voronam coltigi, nisi sUibili aereet pigro venlo. Ailler non solet adspicl : nain qui slat aer, iinpelli et deduci, ci in aliquani raciem liui.'i poiest : il aiiteni qui Huit, ne feritur qulilem luminc. ÎNun enlra formatur, nec resislit ; quia prima qua.'que pars ejus dis- lipatur. Nunquam ergo ulluni sidus lalcm sibi eflit;icm drcumdabit, nisi quuni aer crit densus alquc immntus , et ob bnc custodiens iDcidenteni in se ruiundi lincain lu- minls; Dec sine causa. Uepcte enim eieniplum, quud paulo ante proposui. Lapillus in piscinam aiit lacuni et ■liquam atlluatam aquani mi.>i$us, clrculos facit innunie- rahiles; at hoc idem non facit ia tluniinc. Qiiarc? quia omnem flguram fugieus aqaa disturbat. Idem crgo in •ère evenit, ut ille qui nianel , possit figurari , at ilie qui rapîturet currit, non del soi potestatem , et ouinem ic- taini Tcuieotemque formani eiturbet. fis , de qiiibus diii, coronae quum dilapis sunt a'qualiter, et in scmetipsls tvauuerint, signincatur aeiis <|uies ; est oitiiiiuni tran- quillitas, et tune aquam eispecla. Quum ab una parte cesserunt, illinc ventus estuiidc liiiduiilur.Si ruptfe plu- ribus locis sunt , tenipcstas sit. Qiiare id accidat , ex bis qua; jam eiposui , intelllgi polcst. Main si lacics universa subsedit , apparet teniperalum esse aéra , et sic placiduni. Si ab una parte illte^Ll^a est, a|)paret Inde aéra iiicuni- liere, et ideu illa reg u lenluiii (lal>il, At quum undique et concerpta et lacerala e^t , inauiresluin est a plurilius partibus in i\\:nn iinpetuni flcri , et iuquietuni aéra liinc atque illinc assilire. Itaque ex br.c inconstantia cœli tiini uiulta tentautis, et undique laborantis, fulura lenipestas ventorum plurluni apparet. IIa> c(iion;e noclibus ferc circa luanm et alias stellas noianinr, interdiu r, ro ; adco ut quidam ex Grscis negaverint cas oninino licri , qnuiii illns histoi'iie coarguant. Causa auteni rarllatls liicc est, qiind solis fortins Ininen est, et aer ipse af;itatus ab illo, eolefaclusque , sululior est ; luua; auteni ineitior vis est , et iilco quia facills a circumposilo aère laeiliiis sustine- tur; a'quc sidéra cetera iiiliniia >unl, nce perrumpere aéra vi sua possunt. Excipitiir itaque illoruni imago, et in maieria solidioie ac minus ceilente versa tur. Débet enim aer nec tam spissus esse , ut cxeludat ac submoveat a se lumen immissum , nec lani tcnuis et solutus , ut nullani^ venienlihus radils niorani pra.'t)cat. Ilapc noctibus tempe 596 dense qu'il ne l'est d'ordinaire pendant le jour. III. L'arc-en-ciel , au contraire, n'a pas lieu de nuit; si ce n'est très-rarement, parce que la lune n'a pas assez de force pour pénétrer les nuages et y répandre ces teintes qu'ils reçoivent quand le soleil les frappe. Cette forme d'arc et cette diver- sité de teintes viennent de ce qu'il y a dans les nuages des parties plus saillantes et d'autres plus enfoncées; des parties trop denses pour laisser passer les rayons, et d'autres trop inconsistantes pour leur fermer accès. De ces inégalités résultent ces nuances alternatives d'ombre et de lumière , et celle admirable variété de l'arc-en-ciel On l'explique encore autrement. Quand un tuyau vient à se percer , on voit l'eau qui jaillit par une étroite ouverture offrir a l'œil les couleurs de l'iris, si elle est frappée obliquement par le soleil. Pareille chose peut se remarquer dans le travail du foulon , lorsque la boucbe, remplie d'eau, fait pleuvoir sur l'étoffe étendue sur le chûssis une rosée flneetcommeun nuage humide, où parais- sent toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Nul doute que la cause de ce phénomène ne réside dans l'eau ; car il ne se forme jamais que dans un ciel chargé de pluies. Mais examinons comment il se forme. Suivant quelques philosophes, il y a dans les nua- ges des gouttes d'eau perméables aux rayons du soleil, et d'autres, plus denses, qu'ils ne peuvent traverser : les premières renvoient la lumière, les autres restent dans l'ombre ; et de leur inter- position se forme un arc, dont une partie brille et reçoit la lumière , tandis que l'autre la repousse SÉiNÈQUE. et couvre de son obscunté les points adjacents. D'autres auteurs nient qu'il en soit ainsi. L'ombre et la lumière, disent-ils, pourraient ici passer pour causes uniques, si l'arc n'avait que deux couleurs, s'il n'était composé que de lumière et d'ombre. Mais ses raille couleurs, abusant l'œil sédait, Jlêlent le ton qui cesse à la teinte qui suit : La nuance u'est plus, et semble cncor la mênic. Ce n'est qu'aux deux bords qu'est le contraste. L'iris présente du rouge, du jaune, du bleu, el d'autres teintes si ûncment nuancées, comme sur la palette du peintre, que, comme dit le poète, pour discerner entre elles les couleurs, il faut comparer les premièresaux dernières. Car la trans- ition échappe, et l'art de la nature est tellement merveilleux, que des couleurs qui commencent par se confondre , finissent par contraster. Que font donc ici vos deux seuls éléments d'ombre et de lumière pour expliquer des effets sans nombre? D'autres donnent de ces mêmes effets la raison suivante : dans la région où il pleut, toutes les gouttes sont autant de miroirs, toutes peuvent réfléchir l'image du soleil. Ces images, multipliées à l'iulini, se confondent dans leur chute préci- pitée , et l'arc-en-eicl naît de la multitude confuse de ces images du soleil. Voici sur quoi on base celte conclusion. Exposez au soleil des milliers de bassins, tous renverront l'image de cet astre; supposez une goutte de rosée sur chaque feuille (l'un arbre , il y paraîtra autant de soleils qu'il y aura de gouttes, tandis que dans le plus vaste ratura contingit, qnum sidéra colkctum acra luce ievi non pugiiaciter nec aspere feriunt, spissioremque , quam solet esse interdlu, inficiunt. III. At conlra arcus in nocte non sil , nisi admodum raro, quia luna non habet tantuni virium, ut nubes trans- cat, et illis coloreni suffundat, qualem accipinn! soie per- stricfa,». Sic cnim formam arcus discoloris efficiunt, quia alia; partes in nubibus tumidioics sunt, aliie submissiores ; qua;dam crassiores , quani ut soleni ti'ansniitlant ; alia> im- becilliores, quam ut escludant. Hœc ina-qualias alternùs lucera unibramque permiscet, et esprimit illani mirabi- lem arcus varietatem. Altéra causa ejuscemodi arcus red- ditiir. Vidcnuis , qnum fistula aliquo loco rupta est , aquam per tenue foramen clidi ; qua; sparsa conlra folcm obli- que oositum, faciem arcus repra-sentat. Idem \idebis ac- tidere , si quando volueris observare fullonem : quum os aqua implcTit, et vcstinienta ridiculis diducta levitcr ns- pergit, apparel varies edi colores in illo acre asperso, qnales in arcu fulgerc soient. Hujus rei causam in bu ■ more esse ne dubitaTcris Non sit enini unquam arcus, nisi uubilo. Sed quaeramus quomodo Cat. Quidam aiunt essealiqua slillicidia, quic soleni transniittant, qu.Tdam niagis coacta, quam ut transluceant ; ilaqueah illis ful- gorem reddi.ab bis umbrani, et sicutriusque in'.errursu iffici arcum, in «uo pars fulgeat, qua' soleni recipit. pars obscurior sit, quae eiclusit, et ex se umbram proii- niis fecit. Hoc ita esse quidam negant. Poterat enim om- bra et lux causa videri, si arcus duos tantum Iiat)eret co- lores, et sic es lumine umbraque constaret. Sed nimc divers! niteant quam mille colore», Transitas ipse tamen spectantia luinioa failli ; Usque adeo quoU tangit idem est, tamen ulUma distant. Videmus in eo aliquid flamme! , aliquid lutei , aliqnid cae. ruici, et alia in picturx modum subtibbus lineis dacla , ut ait poeta, ut an dissimiles colores sint, scire non po»- sis , nisi cum primis cstrema contuleris. Nam commissur a decipit ; usque adeo mira arte naturae, qnod a simiUlmis cœpit, in dissimilia dcsinit. Quid crgo istic duo colores facinnt luminis atque ombras, quum innumerabilium ra- tio rcddenda sil? Quidam ila eiistimant arcum fieri : di- cunt in ca parte , in qua pluit, singula slillicidia plavix c^dentis singula spécula esse ; a singulis ergo imaginem reddi solis; dcinde mullas imagines, immo innumcrabi- les, et devexas, el in pra?ceps transeuntes confundi : ila- que et arcum esse multarum imaginum solis confasionem. Hoc sic colligunt. Pclres, inquiunt, mille die scron i pone, et omnes babebunt imaginem solis; iu singnlis fo- liis dispone singulas guttas; singula; babebunt imagiocni solis. At contra ingens stagnum non habebit nisi tm;ii;i- QUESTIONS «Uug on u'en verra qu'un seul. Pourquoi ? Parce que toute surface luisante, circouscrite , si éten- dues que soient ses limites , n'est qu'un seul mi- roir. Supposez cet étang immense coupé par des murs en plusieurs bassins, il s'y formera autant d'images du soleil qu'il y aura de bassins. Laissez l'étang dans son eulier, il répétera toujours une image unique. Il n'importe que ce soit un pouce d'eau ou un lac ; dès qu'il est circonscrit , c'est un miroir. Ainsi, ces gouttes innombrables, qui se précipitent en pluie, sont autant de miroirs, au- tant d'images du soleil. L'œil placé en face n'y voit qu'un confus assemblage, et Tintervalle de l'une à l'autre s'efface par le lointain. Delà, an lieu de gouttes distinctes, on n'aperçoit qu'un brouillard formé de toutes les gouttes. Arislole porte le même jugement. Toute surface lisse , dit- il , renvoie les rayons qui la frappent. Or, quoi de plus lisse que l'eau et l'air? L'air condensé ren- voie donc vers nos yeux les rayons qui en sont partis. Nos yeux sont-ils faibles et soulfrants, la moindre répercussion de l'air les trouble. Il est des malades dont l'affection consiste à se ligurer que partout c'est en face d'eux-mêmes qu'ils ar- rivent, et qui voient partout leur image. Pour- quoi? Parce que leur rayon visuel, trop faible pour pénétrer l'air le plus voisin, se replie sur lui-même. Ainsi, ce que l'air dense fait sur les autres , un air quelconque le fait sur en\ , puisque le moins opaque l'est assez pour repousser leur vue débile. Mais une vue ordinaire est repoussée par l'air, s'il est assez dense, assez impénétrable pour arrêter et refouler le rayon visuel sur son NATURELLES. 597 point do départ. Les gouttes de pluie sont donc autant de miroirs , mais tellement petits qu'ils ré- fléchissent seulement la couleur et non la figure du soleil. Or, ces gouttes innombrables et qui tombent sans interstice, réfléchissant toutes la même couleur, doivent produire non pas une multitude d'images (U*tinctes, mais une seule image longue et continue. Comment, dircz-vous, supposer des millions d'images où je n'en vois au- cune? Et pourquoi, quand le soleil n'a qu'une , couleur, ses images ont-elles des teintes si diver- ses? Pour répondre 'a votre objection , ainsi qu'à d'autres qu'il n'est pas moins nécessaire de réfu- ter , je dois dire que la vue est le juge le plus faux, non-seuleir.cnt des objets dont l'cloignement s'op- pose à la netteté de ses perceptions, mais de ceux même qui sont le plus à sa portée. Dans une eau transparente la rame la plus droite semble brisée. Les fruits vus sous le verre paraissent bien plus gros. L'intervalle des colonnes entre elles semble nul à l'extrémité d'un long portique; et, pour re- venir h mon texte, le soleil même, que la raison nous prouve être plus grand que toute la terre, est tellement rapetissé par nos yeux, que des phi- losophes ne lui ont pas donné plus d'un pied de diamètre. La planète que nous savons la plus ra- pide de toutes, aucun de nous no la voit se mou- voir; et l'on ne croirait pas qu'clleavancc , si l'on ne voyait les progrès de sa course. Ce monde qui tourne, incliné sur lui-même, avec tant de vi- tesse, qui .'■oulo en un moment de l'orienta l'oc- cident , nul de nous ne le sent marcher. Qu'on ne s'étonne donc pas si notre œil n'aperçoit point les nem Dnam. Quare? quia ornais circamscripta Ifevitas et circumdata suis (inibus, spccalom est. Itaqoe piscinam iogentis magaltadiais, insertis parietibus, in pliires di- vide; totidem illa tial)et imagines solis, quot lacus ha- baerit. Relinque illam sicut est diffusa ; semel til)i inia- ginem reddet. Nihii refert, quam eiigBos sit hunior aiit lacns. Si circamseptus est, speculam est. Ergo slillicidi.1 illa inflaita , qaa.- imber cadcns defert , lolideni spécula sunt, totidem solis faciès babeat. Uaec contra iotucuti perturbais apparent : Dec dispiciantur intervalla ,quibus singnia distant, tpatio probibente discerni. Deinde pro singulis apparet ana faciès turbida ci omnibus. Aristo- leles idem judicat. i Ab omni, inquit, tevitate acies ra- dios suos replicat. Nibil antem Ixv ius aqna et aère. Krgo eliam ab aère spisso visus nostcr in nos redit. XJbi vero bebes et infirma est acies , quolibet acris ictu déficit. Qui- dam hoc génère valeludinis lalwrant, ut ipsi sibi vidcan- tm* occurrere , ut ubique imaginem snam cernant. Quare? quia infirma vis ocolorum non potest ne proiiniuni qui- dem sibl aerem perrompere, scd resislit. Ibique quod in aliis efficit densus aer, in bis facit omnis. Satis cnim valet qualiscumque ad imbccillem aciem repellendam : looge "lutem magis risum nostrum nobis remiltit, (|ui nurior e$t, et pervincl non potest, sed radios luminuin nostrorum moratur, et co undc exierint, reOcclit. Ergo quum multa slillicidia sint, totidem spécula sunt. Sed quia parva sunt , sdlis colorem sine figura eiprimunl. Deinde quum in slilllciiliis innumerabilihus, et sine in- tervalle cadcntilius, reddatur idem color, iucipit fades esse non mnllarum imaRinum intcrniissarum , sed unins longa; atque continuer. Qunmodo, inquis, tu niihi multa milli.i istic imaginnm e.sse dicis, ubi nullam video? Et quare quum solis color unus sit, im.iginum diversus est? ut et ha>c qua; proposuùsti , refellaiu , et alia qux non minus rcrtllenda sunt , illiid diaim oportet : nibil acie nosra fallacius, non lauluai in bis, a quibus subtiliter pcrvidendis illam coloruni diversitas summovet , sed et in liis quoquc, qux ad manuni cernit. Remus intcger in te- nui aqua fr.icti speciem reddit. Pomii pcr vilrum adspi- cientibus niulto majora sunt. Columnarum intcrvalla por- licus longiores jungunt. Ad ipsum solcni rcvcrlere : hune quem lolo orbe tcrrarum majorem probat ratio, acies nostra tic contraiit, ut s-ipienles viri pedalem esse cou- tenderint. Quem velocissimum omnium esse scimus , ne- mo nostrum vidct movcri ; necire rrcdcremus, nisi ap- parcret isse. Mundnm ipsum prœcipili Telocitate labcn- tem , et orlns occasusque intra momenlum Icmporis ro volventem, nemo nostrum sentit procéder*, Quid ergo 598 SÉNÈQUE inlervallos des gouttes de pluie, et ne peut distin- guer aune telle dislance cette infinité d'images si ténues. 11 est hors de doute que l'arc-en-ciel est l'image du soleil, reçue dans une nuée concave et gonflée de pluie. La preuve en est qu'il se montre toujours 'a l'opposile du soleil , au haut du ciel ou à l'horizon, suivant que l'astre s'abaisse ou s'élève, et alternativement. Souvent le nuage se trouve la- téral au soleil ; mais , ne recevant pas directement son empreinte, il ne forme point d'arc. Quant à la variété des teintes, elle vient uniquement de ce que les unes sont empruntées au soleil, les au- tres au nuage même. Ce nuage offre des bandes bleues, vertes, purpurines, jaunes et couleur de feu, variété produite par deux seules teintes, l'une claire, l'autre foncée. Ainsi, le mûme co- quillage ne donne pas toujours à la pourpre le même aspect. Les différences proviennent d'une macération plus ou moins longue, des ingrédients plus épais ou plus liquides dont on a salure l'étoffe, du nombre d'immersions et de codions qu'elle a subies, si enfin on l'a teinte une ou plusieurs fois. Il n'est donc pas étrange que le soleil et un nuage, c'est-'a-dire un corps et un miroir, se trouvant en présence l'un de l'aulre , il se rcQète une si grande variété de couleurs qui peuvent se diversifier en mille nuances plus fortes ou plus douces. Car, autre est la couleur que produit un rayon igné, autre celle d'un rayon pâle et effacé. Partout ail- leurs nous tâtonnons dans nos recherches, quand nous n'avons rien que la main puisse saisir, et nos conjectures doivent être pins aventurées : ici on voit clairement deux causes, le soleil elle nuage ; l'iris n'ayant jamais lieu par un ciel tout à fait pur ou assez couvert pour cacher le soleil, il est donc l'effet de ces deux causes, puisque l'une manquant, il n'existe pas. IV. Il suit de Ta, chose non moins évidente, qu'ici l'image est renvoyée comme par un miroir, car elle ne l'est jamais que par opposition, c'est-'a-dire, lorsque en face de l'objet visible se trouve l'objet répercutant. Des motifs non de persuasion, mais de conviction forcée, en sont donnés par les géomè- tres;et il ne reste douteux pour personne quesi l'iris reproduit mal l'image du soleil , c'est la faute du miroir et de sa configuration . A notre tour, essayons d'autres raisonnements qu'on puisse saisir sansdif- liculté. Jecompte. entre autres preuves du dévelop- pement défectueux de l'iris, la soudaineté de ce développement : un moment déploie dans l'espace ce vasle corps, ce tissu de nuances magnifiques; un moment le détruit. Or, rieu n'est aussi vite renvoyé qu'une image l'est par un miroir ; en effet, le miroir ne fait pas l'objet, il le montre. Artémi- dore de Paros va môme jusqu'à déterminer quelle doit être la forme du nuage pour reproduire ainsi l'image du soleil, a Si vous faites, dit-il, un mi- roir concave d une boule de verre coupée en deux, en vous tenant hors du foyer, vous y verrez tous ceux qui seront a vos côtés , plils près de vous que du miroir. Même chose arrive quand nous voyons par le flanc un nuage rond et concave : l'image du soleil s'en détache , se rapproche de nous et se tourne de notre côté. Lacoulearde miraris, si oculi nostri imbriuni stillicidia non séparant, et ingenli spalio intueutibus minulaniiii iiiiaginuin dis- crimen ialerit I Illud esse dubium iiulli poicst, quin ar- cus imago solis sit, roscida et cava nulie concepta. Quod ei hoc tibi apparet. ÎNiinqiiani non adyorsa soli est, siib. limis aut buniitis, pniut ille se submisit , aut sustdlit, contrafio motu. Ilto eriim desccndente altior est, alto dé- pression. Sa;pe talis nubes a latere solis est, nec arcum efficit , quia non es recto iniaginem trahit. Varietas au- tem non ob aliam cansara sit, quam quia pars coloris a sole est, pars a nulle illa ; humor aiitem modo cajruleas lineas, modo virides, modo piirpurœ similes, et luteas aut igneas ducit, duobiis coloribiis hanc Tarietatem effi- cientibus, remisso et intento. Sic enim et purpura eodem conchylio non in unum moduni exit. Interest , quamdiu macerata sit, crassius medicamentum ,an a(iuitius Inise- rit; sa-'pius mersa sit et cxcocta , an semel tincla. Non ïst ergo mirum, quum duœ res sint, sol et nubes, id est, corpus et spéculum, si tiim multa gênera colorum oxprimuntur, qua; in multis gencribus possunt aut inci- tari , ant relanguescere. Alius enim est color ex igneo lu- mine , alius ex obtuso et leniore. In aliis rébus vaga inqui- sitio est , ubi non habemus quod manu tenere possimus, et iate conjectura mittcnda est : hic apparet duas causas esse arcus, soient, nul>emque, quia nec sereoo unquam sit , nec ita nubilo, ut sol lateat. Ergo utiqne ei bis est , quorum sine altero non est. IV. J.an) nunc illud accedit , quod a^que manifestom est , specdli ratione imaginera reddl , quia nunquam nisi c contrarii) redditur; id est, nisi ex altéra parte steterit quod apparet, ex altéra quod ostendit. Rationes, qiue mm pcr.suadent, sed coguni, a geomctris affernnlor. Nec dubium euiquam relinquiiur, quin arcus imago solis maie cxpressi sit , ob vitium figuramque speculi. !Sos inté- rim repelaraus alias probationes, qua; de piano legi pos- sint. Inler argumenta sic nascenlis arcus pono, quod celerrime nascitur : ingens enim variumque corpus cœlo intra momentum subtexitur, et aeque celeriter alwlelnr; nibil aulem tam cito redditur, quam a speculo imago; non eunn facit quiilquam , sed ostendit. Parianus Artc- midorus adjicit, et quale genus nubis esse debeat, quod talem solis imaginera reddit. «Si spéculum, inquit, conca- Tum feceris , quod sit secta? pilœ pars , si extra medimn constiteris, quicumque juita te steterint, universi a te videbuntur, propiores tibi quam speculo. Idem , inquit, evenit, quum rotundam et cavam nubera intuemur a la- tere, ut solis imago a nube discedat , propiorque nobii sit, et in nos magis conversa. Cuior igitur igncus a sole I QUESTIONS ffiu vient donc du soleil, et celle d'azur du uuage; le niélauge de l'une et de l'autre produit tontes les autres. » V. A ces raisonnements on répond : Il y a sur les miroirs deux opinions ; ce qu'on y voit , d'a- près les uns, ce sont des simulacres, c'est-à-dire les figures de nos corps, émanées et distinctes de ces mêmes corps ; selon d'autres, l'image n'est pas dans le miroir, ce sont les corps mômes qu'on voit par la réûexion du rayon visuel qui revient sur lui-même. Or, ici l'essentiel n'est pas de sa- voir comment nous voyons ce que nous voyons , mais comment l'image renvoyée devrait être sem- blable "a l'objet , comme elle l'est dans un miroir. Qu'y a-t-il do si peu ressemblant que le soleil et nn arc où , ni la couleur, ni la ligure, ni la gran- deur du soleil ne sont représentées? L'arc est plus long, plus large, la partie rayonnante est d'en rouée plus foncé que le soleil , et le reste pré- sente des couleurs tout autres que celles de l'astre. Et pour comparer l'air à un miroir, il faudr;iit me montrer une surface aussi lisse, aussi plane, aussi brillante. Mais aucun nuage ne ressemble 'a un miroir; nous traversons souvent les nues, et n'y voyons pas notre image. Quand on gravit le sommet des montagnes, on a sous les yeux des nuages, et cependant on ne peut s'y voir. Que chaque goutte d'eau soit un miroir, je l'accorde ; mais je nie que le nuago soit composé de gouttes. Il renferme bien de quoi les produire , mais elles n'y sont pas toutes produites; ce n'est point la pluie qui compose le nuage, c'est la matière de ce qui sera pluie. Je vous concéderai iriùnie iju'il est , CcPrulcus a nulic ; céleri utriusque niixturs. ■ V. Coiitia lia'C illa dicuntur : De speculis dua? opinio- nes suot : alii enini in liis sinmlacra cerni putaiit , id at corporuin nostrornm figuras, a nostris corporibus ciiiis- sas ac tcpnratas.alii imaginei aiuot non esse in speculo; sed ipsa adspici ci>rpura , retorta ocutorum acte , et in &c rursus rellexa. ISunc nitiit ad rem pcriinci, quomodo Tideamusqaodcumque Tidemns, sed quomodo inia^OM- niilis dclwat, ut speculo, reddi. Quidoani est tam dissimile, quam sot, et arcns, in quo nequc color, nequc B^urd solis, nequc magnitudo apparet? arcus eniin longior aiii pliorquc csl, longequc ea parte, qiia fulget, rutixuniliur quam sot; cetcris vero coloiibus nivcrsus. De nde qiiuiii Tclis spéculum fieri comparare, desoportetmitii ramdcni la.'Titateni corporis, eanidcm œqualitateni , cumdeni ni- torcui. Atqui nullx nulxs babent siniititudinem spcculi : per nicdias sxpe Iransimus , nec in illis nos ccrnimus Qui montium summa conscenduni , spectant nul)em , nec ta- tiien imagioem suam initia cernunt. — Singula stillicidia singuta «peculasunt. — Concedo : sed illiid ne^o, ex s il- lleidiis constipe nulKm. Uabtt cnim qnsdnm, ex quiliiis reris'illicidia possimt. non ipsn. !Sec .iquani qnidcm ha- Icnlnubcs, sed inatcriam fntura' .nqua;. Conecdam eiiani NATURELLES. 5f«) y a dans un nuage d'innombrables gouttes , et qu'elles réfléchissent quelque objet; mais toutes ne réfléchissent pas le même, chacune a le sien. Rapprochez plusieurs miroirs, ils ne confondront pas leurs reflets en un seul; mais chaque miroir partiel renfermera en soi l'image de l'objet op- posé. Souvent, d'une quantité de petits miroirs , on en forme un seufi; placez un homme vis-à-vis , il vous semble voir tout un peuple , parce que chaque fragment renvoie une figure distincte. On a eu beau joindre et adapter ensemble ces frag- ments , ils n'en reproduisent pas moins à part leurs tableaux , et font d'un seul homme une multitude. Mais ce n'est pas un entassement con- fus; les figures sont réparties une à une entre les diverses facettes Or, l'arc-en-cicl est un cercle unique , continu ; il n'offre en tout qu'une seule figure. Mais , dira-t-on , leau qui jaillit d'un tuyau qui s'est rompu, ou sous les coups de la rame, ne présente- t-elle pas quelque chose de pareil aux couleurs de l'arc-en-ciel? — Cela est vrai ; mais non par le motif qu'on prétend faire admettre, savoir que chaque goutte d'eau reçoit l'image du soleil. Elles tombent trop vite pour pouvoir s'empreindre de cette image. Il faut qu'elles s'arrêtent , pour saisir la forme à repro- duire. Qu'arrive-t-il donc? Elles retracent la couleur, non l'image. D'ailleurs, comme l'a dit fort éli'gaminenl l'empereur Néron : Le cou des oiseaux de Cypris Brille en se balançant des couleurs de l'iris : de même le cou du paon , au moindre mouve- tibi etguttas inuunierabilesinuubibusessc.et itiasfacieni reddcre; non tanien onints unam reddunt, sed singulœ singulas. Deinde iiiter se spécula conjunge : inunamimn- gineni non coibunt; sed qua'que particula ia se rci simi- litudinem claudet. Suut quaedani spécula ex mullU miiin- tlsque composila ; quibus si uniini o&tenderis honiincni , populus apparet , unaquaque parte facieui suani exprl- menle. Ha-c quum sint conjuncta el simut eollocala, nl- hilominus seducunt imagines suas , et ex uni) turtiam ef- Ociunt. Ceteniiii cateivaiii itlim non cimlundunt, sed direnitam in faciès singulas distrahnnt : arcus uno circuni- scriplus est duetu; una totius esl faciès. Quid ergo? in- quit, non et aqua,rupta flstula , sparsa , et remo excussa, halierc quiddam simile bis quos videmus in arcu coto- rilvus soltrt? Verum est ; sed non ex bac causa , ex qua tu vidiri vis, quia unaquasque stilla recipit imagineni solis. Citius euim cadunt stilla;, quam ut concipere imaginein possinl. SiantJum est , ul id quod imilanlur exeipiant. Quid ergo s;t? Colorcm, non imaginem ducunt. Alioquin, ut ait ÎScro CaBsar disertissimc , Colla Cyiheriacae splendent agitala coluniba; : et ¥ai lis colonbu.s pavonum cervix , quoties aliqno de- T 400 SÉJNËQUr,. ment qu'il lui imprime , resplendit de teintes diaprées. Faudra-t-il donc appeler miroirs , des plumes dont la nature est telle, qu'à chaque in- clinaison nouvelle elles développent do nouveaux reflets? Eli bien! les nuages, par leur nature, diffèrent autant des miroirs que les oiseaux dont je parle, que les caméléons et autres animaux qui changent de couleur, soit d'eux-mêmes, quand la colère ou le désir les enflamme, et que l'humeur, répandue sous la peau , la couvre de taches; soit par la direction de la lumière, qui modide la couleur, et qui les frappe de face ou oblique- ment. En quoi des nuages ressemblent-ils 'a des miroirs , ceux-ci n'éiant pas diaphanes, et ceux- là laissant passer la lumière? Les miroirs sont denses et compactes , les nuages vaporeux ; les miroirs sont formés tout entiers de la même ma- tière ; les nuages, d'éléments hétérogènes assem- blés au hasard, et par là même sans accord et sans cohésion durable. Et puis, nous voyons au lever du soleil une partie du ciel rougir ; nous voyons des nuages parfois couleur de feu. Qui donc empêche, s'ils doivent cette couleur unique à l'apparition du soleil, qu'ils ne lui en emprun- tent pareillement plusieurs , bien qu'ils n'aient pas la propriété d'un miroir? Tout à l'heure, dira-t-on , un de vos arguments pour prouver que toujours l'arc-en-ciel surgit en face du soleil , était qu'un miroir même ne réfléchit que les ob- jets qu'il a devant lui ; ce principe est aussi le nôtre. Car, comme H faut opposer au miroir ce dont on veut qu'il reçoive l'image, de même, pour que le nuage soit colore , il faut que le so- leil soit dans une position convenable : l'effet n'aurait pas lieu , si la lumière "Wif^'illail sur louï les points; il faut, pour le produire^»^""*"'''"**^^"*'! propre des rayons solaires. Ainsi parlenn^'' ceux qui veulent qu'on admette la coloration du r^ poage. Posidonius, et les auteurs qui jugent que le j». ^®" noraène s'opère comme sur un miroir, répondent"?" "^' S'il y avait dans l'iris une couleur quelconque, " elle serait persistante, et paraîtrait d'autant plus vive qu'on en serait plus près. Mais la lueur de l'arc , vive dans le lointain , meurt à mesure qu'on s'en approche. Je n'admets pas cette ré- ponse , tout en approuvant le fond de l'idée , et voici pourquoi. Le nuage, il est vrai, se colore, mais de telle sorte que la couleur n'est pas visi- ble de tous côtés, pas plus que ne l'est le nuage lui-même ; ceux qui sont dedans ne le voient pas. Esl-il donc étrange que la couleur soit inaperçue de ceux pour qui le nuage même n'est pas visible? Cependant, quoique inaperçu, il existe; par con- séquent la couleur aussi. Ne concluons donc pas quelle est imaginaire , de ce qu'elle ne parait plus la même quand on en approche ; car cela arrive même pour les nuages, qui n'en sont pas moins réels pour n'être pas vus. Quand on vous dit aussi qu'un nuage est teint du soleil, ce n'est pas vous dire que cette teinte le pénètre comme corps résistant , immobile et qui dure , mais comme corps fluide et volatil , qui ne reçoit autre chose qu'une très-passagère empreinte. Il y a, au surplus, telles couleurs dont l'effet ne frappe les regards qu'à distauce. Plus la pourpre de Tyr est belle et richement saturée, plus il la faut tenir haut, pour qu'elle déploie tout son éclat. Est-ce à dire qu'elle soit sans reflet, parce que l'excel- flcctitur, nitet. Numquid ergo dicemus spécula ejusmodi plumas, quarumoinnisincliualio in colores noTOs transit? Non minus nubes diversani speculis nalurain liahcnt, quam avcs qnas reluli , et chamœleonles . et reliqua ani- malia , quorum color aut es ipsis niiitatur, quum ira vel cupidine accensa eut 'm suain variant huniore suffuso, aut positionc lucis , quant prout reclani vel obliquam re- ccpcrint, ila coloriiniur. Quid cniin siiuile speculis lia- bent nubes, quum illa non perluceant, lia; transniitiant luccm? Illa densa et coacta, hae rarae sinl? illa ejusdem raateriaî tota, ha; c diveisis temere coniposila;, cl ob hoc discordes, nec diu coha;sura;? Pra'ttrca videnius ortu solis partent quitmdam cœli rubere; videnius nubes aliquando ignei coloris. Quid ergo prohibet, quomodo hune colorcm ununi accipiuiit solis occui'su , hic iiniltos ab illis trahi , quamvis non habcaut speculi poteniiain? Modo, inquit, iuîer aigunienta ponebas, semper arcuiii contra solem excitaii , quia nec a spcculo quideni imago reddcretur, nisi adverso. Hoc, inquit, commune nobis est. Nam queniadniodum opponendum est spcculo id , cnjus iinagiuem in se Irausferat; sic, ut nubes inlici po.ssini, ita sol ad hoc apte poncndus : non cnim i lein facil, si undiquc effidsit, et ad hoc opiis est radiorum idonea lo- calio. IIa;c dicuntnr ab iis qui videri volunt ntibem colo- rari. Posidonius, et bi qui speculari ralione efllci jndi- eant visum , hoc respondcnt : Si ullus esset in arcu color, permr.ueret , et viscretur eo iiianifestius, quo piopius. Nunciniapo arcus es longioquo claia est; interit, quum e viciuo est ven'.ura. Iluic coatradictioni non conscntio, quum ipsain sententiaui probem. Quarc? dicam. Quia coloralur quidem uiibes ; scd ita , ut color ejus non undi- que appareat. Namneipsa quidem undique apparet. Nn- bem eniui nemo qui inipsa est, videt. Quid ergo mirum, si color ejus non videtur ab co, a quo ipsa non visilurT Alqui, quamvis ipsa non videatur, est; ergo et color. lia non e^t arcunientuni falsi coloris, quia idem appa- rere accedeutibus desiuit. Idem enira in ipsis evenil nn- bilius ; nec idto falsa; sun:, quia non videntur. Praete- rea quum riicitur libi, nubem sole cssc sulTectam non colorcm illum iinmistuiii esse velut duro corpori ac stabili et manenli; sed ut fluido it vago, et nihil amplius quam peibrevem speciem recipiinti. Suiit eiiam quidam colores , oui es inlervallo vim suam ostendunt. PurpuramTyriam.quu mcliorsalnriorquo est, eoopor- QUESTIONS lence de sa teinle ne se fait pns voir sous quelque jour qu'on l'étalé. Je suis du même sentiment que Posidooius : j'estime que l'arc-en-ciel se forme sur un nuage qui figure un miroir concave et rond, ayant l'aspect derai-spliérique. Le démon- trer, sans l'aide des géomètres , est irapnssib'c : ceux-ci enseignent, par des argamenisqui ne lais- sent pas de doute, que c'est l'image du soleil , non ressemblante Tons les miroire, en effet, ue sont pas fidèles. 11 en est où l'on craint de jeter les yeux , tant ils déforment et altèrent le visage de ceux qui s'y regardent; la ressemblance s'y retrouve en laid. On pourrait, à voir certains autres, prendre une haute idée de ses forces, tant i's grossissent les muscles et ampliScnt outre na- ture les proportions de tout le corps. D'autres placent 'a droite les objets qui sont "a gauche ; d'autres les contournent ou les renver.«ent. Faut- il s'étonner qu'un miroir de ce genre , qui ne re- produit qu'une image imparfaite du soleil, puisse se former aussi dans un nuage? VI. A toutes ces preuves, ajoutons que jamais l'iris ne forme plus d'un demi-cercle, lequel est d'autant moindre ijiie le soleil est plus haut. Si Virgile a dit : Et l'arc-cn-ciel immense Plonge et Iwit l'eau des mer», c'est quand la pluie est imminente; mais il n'ap- porte pas les mêmes pronostics , sur quelque point qu'il se montre. Au midi , il annonce des pluies abondantes, qui n'ont pu être dissipées par le so- ^ATURELLES. 4(H leil dans toute sa force , parce qu'elles élaient trop considérables. S'il brille au couchant, il faut s'attendre "a de la rosée, 'a une pluie fine. Parait- il a l'orient ou à peu de distance de l'orient, il promet un temps serein. Mais pourquoi, si l'iris est un reOet du soleil, se raontre-t-il beaucoup plus grand que cet *slre? Parce qu'il y a tel mi- roir dont la propriété est de rendre les objets bien plus considérables qu'il ne les voit , et de donner aux formes un prodigieux développement, tandis que tel autre les rapetisse. A votre tour, dilcs-moi pourquoi l'iris se courbe en demi-cercle , si ce n'est pas à un cercle qu'il répond? Vous expli- querez peut-être d'où vient cette variété de cou- leurs; liais cette forme de l'iris, vous ne l'expli- querez pas , si vous n'indiquez un modèle sur lequel il se dessine. Or, il n'en est pas d'autre que le soleil , auquel vous avouez qu'il doit sa couleur; donc il iui doit aussi sa forme. EiiGn, vous con- venez avec moi que ces teintes, dont une partie e formati in niodum coocaii speciili f t ntiiiidi , rui forma sit parti» e pila secla?. Hoc probari, nisi geo- melrap adjuverint, non potesl; qui argumentis nihildu- bii relinqufatil>us docent, solis illaiii esse cfligiiMii, mm Miiiilem. Neque enlm omnia adversns spécula respondent. .Sunt (|uaB videre extimescas; (anta derorniitjitc currup- tam faciem tiscntium redduo' , scrrala similitudine in peju». Sunt quœ quum viderij, placere tibi vires tus poMint; in tantum lacerti crescunt , et lolius corporis su- pra humanam magnitudinem babitus augetur. Sunt qua deitras faciès ostrndant , sunt qux sinistras, sunt qua lorqiieant Tel evertanl. Qnid ergo mirum est , ejutcemodi spéculum, quo lolit specie* vitiosa reddalur, in nube quo(]ue IleriT VI. Inlcr cèlera argumenta et hoc erit, quod nunquam inajor arcu» dimidio circulo apparel; ei quod eo minor e»t, quo altior est sol. Ut ait Virgilius nosler. 1. ' ^^■nim nd ^Hpparuit, r Et l)ibit iDgetu Arcoi, m ndventat iiuber; sed non eaidem, uodecumquc minas affert. A meridie ortu» magnara Tim aquarum vehet : rinci enini non pntuerunt valrnllssimo sole; tanlum est illis virium. Si circa occasum rcfulsit, roriibit.et levitcr impluet. Si ab ortu circave surrciit, serena promittit. Quare tamen , si imago solis est arcus, longe ipso sole major apparet?Qiiia est alicujus speculi natura talis. ut majora mullo quam videat, oslendat, et in portenlnsam magnitudinemaiigeat formas; alicuins in- TJcemtalis est, ut minnal.Illnd mihi dicquarcinorhem eat faciès , nisi orbi rcdditur ? Dices fortasse , unde sit illi co'or varius ; undetiilis Tignra sit, non dices, nisi aliqnod eieiiiplar, nd quod formetur, osicndoris. Nullum autem aliud qu»m solis est, a quo quum fatearis illi colorcin dari , sequiiur ut detur et forma. Denique inter me et te couTcnit, colores illos quibus regio cœli depingilur, a .Sdir esse. Illud unum inler nos non contenit : tu dicis illiim colorera esse, ego videri. Qui siïe est, sivc videlur, a sole est ; tu non eipedies, quare color ille subito desinat, quuiii omiies fiilgoies paulatim discutiantur. Pro me est et rcpcnlinaejus faciès, et repentinusinteritus. Proprium eniro est speculi hoc , quod non per partes struilur, quod apparel, sed ttnlini tutum sit, ^.que cito omnis imago iu illo aboletur, quam jjonitur. Nihil enim aliuJ ad ista efli- cienda vel reniovenda opus est, quam ostendi et aliduci. Non est propria iu isia uul>e substanlia , oec corpus, sed meodaciuni , et sine re similitudo. Vis acire hoc ila esse? Desinet arcus, si obteieris solem. Opponc, inqu.ira, loli 20 402 prompt à sY'clipser qu'à so dessiner : car, pour iju'il paraisse ou s'évanouisse, il ne faut que le montrer ou i'ôter. L'iris n'est pas une substance, un corps essentiel du nuage ; c'est une illusion , une apparence sans réalité. En voulez-vous la preuve? L'arc s'effacera, si le soleil se voile. Qu'un second nuage , par exemple, intercepte le soleil , adieu les couleurs du premier. — Mais l'iris est quelque peu plus grand que le soleil. — Je viens de diie qu'on fait des miroirs qui grossissent tout ce qu'ils représentent. J'ajouterai que tous les objets , vus à travers l'eau, semblent bien plus considéra- bles. Des caractères menus et embrouillés, lus au travers d'un globe de verre plein d'eau , sont plus gros à l'œil et plus distincts. Les fruits qui nagent dans le cristal paraissent plus beaux qu'ils ne sont ; les astres, plus grands a travers un nuage; parce que les rayons visuels, flottant dans un fluide, ne peuvent saisir exactement la figure des objets. Cela devient manifeste si vous remplissez d'eau une coupe , et que vous y jetiez un anneau ; l'anneau a beau demeurer au fond , son image est répercutée à la surface. Tout ce qu'on voit 'a travers un liquide quelconque est beaucoup plus gros que nature. Est-il étonnant que l'image du soleil grossisse de même, vue dans l'humidité d'un nuage, puisque deux causes y concourent 'a la fois, la transparence en quelque sorte vitrée du nuage et sa nature aqueuse? Car, s'il ne con- tient pas l'eau toute formée, du moins le nuage offre-t-il les principes de ce fluide, st c'est en eau qu'il doit se convertir. VII. Puisque, va-t-on me dire, vous avez parlé de verre , je prends texte de là même pour argu- SÉNÈQUE. menter contre vous. On fabrique des baguellus de verre cannelées ou à plusieurs angles saillants , comme ceux d'une massue, lesquelles, si elles reçoivent transversalement les rayons du soleil , présentent les teintes de l'iris, preuve que ce n'est pas là l'image du soleil , mais l'imitation de ses couleurs par répercussion. Cet argument mi- lite en grande partie pour moi. D'abord il démon- tre qu'il faut un corps poli et analogue au miroir, pour répercuter le soleil ; ensuite, que ce ne sont nullement des couleurs qui se forment alors , mais de faux semblants comme ceux qui, je l'ai dit, paraissent ou s'effacent sur le coudes pi- geons, selon qu'ils se tournent dans tel ou tel sens. Or, il en est de même du miroir, qui . on le voit , n'a pas de couleur à lui , mais ne fait que siinuler en quelque sorte une couleur étrangère. Un seul fait pourtant reste à expliquer; c'est qu'on ne voit pas dans cette baguette l'image du soleil , parce qu'elle n'est pas disposée pour la bien reproduire. Il est vrai qu'elle tend 'a le faire. vu qu'elle est d'une matière polie et propre à cet effet; mais elle ne le peut, parce qu'elle est ir- régulièrement faite. Convenablement fabriquée, elk' réfléchirait autant de soleils qu'elle aurait de fiices. Ces faces n'étant pas assez détachées les uties des autres, et n'ayant pas assez d'éclat pour faire l'effet d'un miroir, elles ébauchent la res- scii'.blance, elles ne la rendent point; ces images trop rapprochées se confondent et n'offrent plus qu'une seule bande colorée. VIII. Mais pourquoi l'iris n'est-il pas un cercle complet, et n'en laisse-t-il voir que moitié dans le prolongement le plus étendu de sa courbe? Sui- alteram nul)om ; hnjus varietas peribit. At major est ali- quanlo arcus, qiiain sol. Diii modo, ficri spécula, quae mulliplicent omne corpus quod iniitiintur. Illud adjiciam omuia per ai|nam videnlibus longe esse majora. Lileras quaravis minutce et obscuroe, per viU'eara pilam aqua plonam majores clarioresque cernun'ur. Poma forniosiora quam sint \idcntur, si innatant vitro. Sidéra ampliora per nul)em adspicienti videntur, quia acics lioslra iu humido labilur, nec apprehendere.quod vult, (ideliter polcst. Quod manifeslum fiet. si poculuni imple\ eris aqua, et in id conjeceris annulum. Nam quuni in ij so fumlo jaccat an- nulus, faciès cjus in summoacjua; redditur. Quidquid vi- detur per humorcm , longe amplius voro est. Quid mi- rum, majorem reddi imagineni solis, qua; in nubehu- mida visilur, quum de causis duabus tioc accidal? quia ia nulle est aliquid vilro siniile, quod potest perlucere; c«! aliquid et aquîB', quam si nondum habet, tamen jam apparet ejus nalura , in qnam ex sua vertalur. VII. Quoniam.inquit, vilri fecisti mentionem, ex hoc ipso contra te argnmentum sumam. Virgula solet fieri ■vitrea, striata, vel plaribus angulis in modum clavae toi- tuosa ; liaBc si c% transverso solem accipit , cotorem talem. qunlis in srcu vider! solet, reddit; ut scias biCDon ims- pinem solis esse , sed coloris imiiatioaem ex repercussu. In hoc argumenio multa sunt pro me. Primum , quod apparet quiddam laîve esse debere, siraile spécule, quod solcm repercutiat; dcinde, quod apparet non Geri ulluni cotorem, sed specicm falsi coloris, qualem, ut dixi, co- lumbaruni cervii et sumit et ponit , ulcumque deOectitur ; hoc aulem et in speculo est, cujus nullus videtiu- color, sed simulatio quaedam coloris alieni. Unum tamen boc solvendum est, quod non visitur in illa virgula solis imago, cujus bene exprimendce capax non est. Ita cona- tur quidem reddere imaginem, qu a Ixtisest maleria, et ad boc habilis ; sed non potest , quia enormiter facta est. Si apte fabricata fortt , tolidem redderet soles, quoi lia- buisset iaspectationes. Quae quia non discernuntur inter se, nec satis in vicem speculi citent, incboant tantum imagines, nec exprimunt, et ob ipsani viciniaiii turbant, et in speciera coloris unius adducunt. VIII. At quare arcus non implet ortœm , sed dimidi:) pars ejiis yidetur, quum plurimum porripitur, incurva- turque? Quidam ita opinantur. Sul quum sit multo altior nubibus, a superiore tsmlum illas percutil parle; sequi- QUESTIONS NATURELLES. 405 ?anl l'opinion de quelques-uns, le soleil, bien plus élevé que les nuages, et ne les frappant qu'à la partie supérieure , la partie inférieure n'est pas atteinte par ses rayons. Et comme ils ne re- çoivent le soleil que d'un côté , ils n'en rcflé- chi-isent qu'une partie, qui n'excède jamais la moitié. Cette raison est peu concluante; en effet, le soleil a beau être plus élevé, il n'en frappe pas moins tout le nuage , et par conséquent le colore, puisque ses feux le traversent et le pénètrent dans toute son épaisseur. Ces mômes auteurs disent une chose qui va contre leur proposition. Car, si le so- leil donne d'en haut, et, partant, ne colore que la partie supérieure des nuages, l'arc ne descendra jamais jusqu"a terre. Or, il s'abaisse jusque-l'a. De plus, I arc est toujours opposé au soleil ; peu importe qu'il suit plus bas ou plus haut; car tout le côté qui est en face se trouve frappé. Ensuite le soleil couchant produit quelquefois des arcs, et certes c'est le bas du nuage qui est frappé, l'astre touchant presqu'à terre. El |)Ourlant alors il n'y a qu'un demi-cercle, quoique le nuage reçoive le soleil dans sa partie la plus basse et la plus im- pure. Nos stoïciens, qui veulent que la lumière soit renvoyée par le nuage comme par un miroi'', supposent la nue concave et semblable a un seg- ment de sphère, qui uc peut reproduire le cercle entier, puisqu'il n'est lui-nu\!ne (|uune parlie de cercle. J'admets les prémisses, sans approuver la conclusion. Car, si un miroir concave peut re- présenter toute la circonférence d'un cercle , rien n'empôche que la moitié de ce miroir ne repro- duise un globe entier. Nous avons déj'a parlé de cercles qui paraissent autour du soleil et de la Inue en forme d'arcs : pourquoi ces cercles sont-ils complets , et ceux de I iris ne le sont-ils jamais? Ensuite, pourquoi sout-ce toujours des nuages concaves qui reçoivent le .^oleil, et non des nuages plans ou con vexes ?j».rislote dit qu'après l'équi noxe d'automne, l'arc-eii-ciel peut se former h toute heure du jour, mais qu'en été il ne se forme qu'au coiuraeucement ou au déclin de la journée. La raison en est manlfcsle. D'abord, c'est qu'au milieu du jour, le soleil , dans toute sa chaleur dissipe les nua(;es dont les élémenlsqu'il divise ne peuvent renvoyer son image. Le matin , au con- traire, et lorsqu'il penche vers son couchant, il a moins de4'orce, et ainsi les nuages peuvent ré- sister et le répercuter. Ensuite, l'iris ne se for- mant d'ordinaire que quand le soleil fait face au nuage, dans les jours courts, l'astre est toujours oblique. Ainsi, il toute heure de la jou ruée , il trouve , même au plus haut de sou cours, d'au- tres nuages qu'il frappe directement. Eu été, il est vertical par rapport 'a nous, et à midi surtout il est trop élevé et trop perpendiculaire . pour qu'aucun nuage puisse se trouver en face ; ils sont tous au-dessous. IX. Parhms maiulenant de ces verges lumi- neuses ((ui brillent , comme lins , de teintes va- riées, et erculit iiul)ein. F.rgu et tiogit. Quidai? quum railios Iraosniiaerc soirat, et ODineiii deaiitalem perruinpirc. Deinde con^rariam reni prufiosito «uo dicunt. Main si superiur est sol , et idio tantum supiriori pane uuliiuni affunditur, nun {uam terra Iidus descendit arcus. Aiqui usque>ia bumuiii de- niiuilur. Praeterea nunquaiii non cnoira dileni est arcus, Nibil ad rem pertiuet, supra infrave >it; quia lotuni, quud contra est, talus vert>oralur. Deinde aliquando ar- eum et occideus facit. quum certe ex iuferiore parte nii- bet ferit, terris propinqiia^. Alqui et ttinc dimidia pars est , quamvii solom nubcs ex bumili et sordide accipiant. Nostri qui sic in nube, quomodo in sp<-cnlo, lum^a reddi Tniuul, nubeni ca»am faciunt, et sccla; pilœ parlera; quœ non potest totum ortieni redderc, quia ipsa est pars orbi». Proposito accedo, argumenio non couseatio. Nani si in concavo spoculo tota fades oppositi orbis exprimitur, et io ««miorl» nihil probibrt adspici totam pilam. Etiam- Oi.iu: dixiiiiiij ciivulus apparere loli loos'qne in limilitu- dinem arcus circunulalos; quTc in illls cirrulus jungitur, in arcu ounquam ? Deinde qiwre ^enlpe^ concaïae nubcs solem accipiuut, nec aliquaudii plana; et tunieute»? Aris- tutcles ait, post autumnale X(|uinoctium quatibet boni diei arcum ficri, a-statc non lieri , nisi aut iocipiente aiil inclinatojam die. Cujus rci ciusa manifesta est. Priinum, quia medio die sol calidissinius nubes evincit , nec potost ab hit iniagincm snam recipere, quas scindit. At nialu- tino tempore , et vergens ad occasum , minus virium ha- bet; et ideo a nuliilius et tustineri et repèrent! potesl. Deinde qunm arcum facere non soleat, nisiadversus bis, in quibus facit, nubibus; quum breviorcs dies sunt , sem- per obliquus est. Itaque qualil)et diei parte, cliain i|uum altistimusest, habet aliquas nubes , quas eiadversnfe- rire potest. At tcmporil)U8 lestitis supra nostruin virti- cem fertur. Itaque medio die eicelsis^iraus terras rectiore adspicit linea , quani ut illis nubibus possit occurri ; om- nes enim tune sub se babet. rX. Nunc dicendum est de rirgis, quas non minus pictas Tariasque, et a;qne pluviarum signa solenius acci- pere. In quibus non roullum opeiu- consumendum est, quia virgEB nibil aliud quara imperfccti arcus sunt. Nam faciès quidem illis est picla , sed nibil curvati h;;bcnl. Io im SÉNÈQUE. mcul pics ilii soleil dans un nuage humide, qui commence h se résoudre en pluie. Elles ont par conséquent les mêmes teintes que l'arc en-ciel; leur figure seule diffère, parce que celle des nuages où elles s'impriment est différente. X. La môme variété de couleurs existe dans les couronnes; seulement les couronnes se forment partout, autour de tous les astres ; l'iris ne brille qu'à l'opposile du soleil , et les verges lumineuses dans son voisinage. On peut encore marquer ainsi les différences : la couronne , partagée en deux, sera un arc; ramenée 'a la ligne droite, c'est une verge. Les couleurs variées de ces trois météores sont des combinaisons de l'azur et du jaune. La verge avoisine toujours le soleil ; l'arc- en-ciel est nécessairement solaire ou lunaire ; la couronne peut se développer autour de tout astre. XI. 11 y a encore une autre espèce de verges : ce sont des rayons déliés qui traversent les nues par les élroils intervalles qui les séparent, et s'é- chappent en lignes droites et divergenles; ils présagent pareillement la pluie. Or, ici, quel parti prendre? Comment les appellcrai-jc? Images du soleil? Les historiens les nomment des soleils , et rapportent qu'on en a vu jusqu'à deux et trois à la fois. Les Grecs les appellent pnrélies, parce (]ue d'ordinaire ils se montrent dans le voisinage «lu soleil, ou qu'ils ont avec cet astre une sorte de ressendilancp. Car elle n'est pas complète; elle se borne a l'image et. à la figure. Du reste, ils n'ont rien de sa chaleur; ce sont des rayons émoussés et languissants. Comment donc les qua- lifier? Faut-il faire comme Virgile qui, balançant sur le choix d'un nom , finit par adopter ce miia sur lequel il hésitait d'abord : Et quel nom te donner , ô nectar de Rbétie ? An Falerne pourtant ne porte pas envie. Ainsi rien n'empêche de leur conserver la quali- fication de parélies. Ce sont des images du so- leil qui se peignent dans un nuage dense , voisin de cet astre, et disposé en miroir. Quelques-uns définissent le parélie un nuage circulaire, bril- lant et semblable au soleil ; il suit cet astre à uu« certaine distance , qui est toujours la même qu'au moment de son apparition. Sommes-nous surpris de voir l'image du soleil dans une fontaine, dans un lac paisible? Non, ce me semble. Eh bien ! son image peut être réfléchie daus l'air aussi bien que sur la terre , quand il s'y trouve une matière propre à produire cet effet. XII. Pour observer une éclipse de soleil, on pose à tene des bassins remplis d'huile ou de poix , parce qu'un liquide onctueux se trouble moins facilement et relient mieux les images qu'il réfléchit. Or, une image ne peut se laisser voir que dans un liquide reposé. Alors nous remar- quons comment la lune s'interpose entre nous et le soleil; comment ce globe, beaucoup plus pe- tit que le soleil , venant à lui (aire face, le cache tantôt partiellement, s'il ne lui oppose qu'un côté de son disque , et parfois en totalité. On appelle éclipse totale celle qui fait paraître les étoiles en interceptant le jour; elle a lieu quand le centre des deux astres se trouve sur le même axe par rapport à nous. Comme l'image de ces grands corps s'aperçoit sur la terre, elle peut de même rediim jacenl. Fiunt autcni juxla soleni fore in nul)e hu- n;ida , cl jam se spargeiitp. Ilaque idem est in illis qui in arcu cnlor, t.inlum figura mutatur;quia nubium quoque, in qiiilHis cxtcnduntnr, alia est. X. Siniitis vaiiclas in coronis est; sed hoc diffenint, quod corona; ulùqiie fiiint , iiliicun'ine sidui csl; arcus non nisi contra solcni; viiga; non nisi in vicinia solis. Tos nin et lioc modo differentiam omnium reddcre. Co- ronnm si diviseris, arcus crit; si direxeiis, >irga. In omnilius co'or multiplex est , ex cieruloo fulvoque Tarins. Virgic Sdli tnnlum adjacent. Arcus solarcs lunaresque pmnes snnt. Corona? omnium siderum. Xt. Aliud q'ioque Tirgarnm genus apparet, quum ra- rlii per angusta foramina nul)iuni tenues, inlenti distan- (esque ititer se dirigunlur; cl ipsa; signa iml)rium sunt. Qunmodo nunc me lioc loco gcr.im? Quid eas Tocem ? ima- ( ines solis ? Ilistorici soles vocant , et binos ternosque ap- paruisse mcmoriae tradunt. Gr^ciparfiio appellent, quia in propinqno fere a sole visunlur, aul quia accedunl ad nliq lam s-militudincra solis. ÎSon enim lotum imitantur , tcd imaginent! ejus, figuramqiie. Cclinim nihil habrnt orJoris, hebetes ac langu'di. Ilis qnod nomon imponi- mus ? An facio quod Virgilius, qui dubitavit de nomiae, deinde id de quo dubil:iTerat , posait? ... et quo te noniJDe dicam , Rlictica? uec cellis ideo conteude Filerais. TSiliil ergoprohil)et illas parelia vocari. Sunt autem ima- gines solis in nul)e S])issa et \icina , in modum speculi. Quidam parelion ita deOuinnl, ÎS'ubcs rotunda , et splen- dida , similisque soli. Sequilur enim illum , nec nnquani lingius relinquilur, quani fuit, qnuni appanieril. Nuni- (|uis nostrum miralur, si solis efTigiem in aliquo fonte aul placido tacu vidit ? Non , ut pulo. Atqui tara in sut)- limi faciès ejus potest, quam interuos, reddi, si modu id nea est materia, quas reddat. XII. Quoties defcclionem solis Tolumus depreliendere, ponimus pelvcs, quas aut oleo aut pice implemus; quia pinpuis Immor minus facile turliatur.et ideo quas reci pil im gines , ser vat. Apparere autem imagines non pot- sunt, nisi in liquido et immoto. Tune solemus notare , qucmadmodum se luna soli opponat , ut illum tante ma- jorem subjecio eorpore abscondnt, modo ex parte, si ita conligit, ni talus occurrerit, modo totum. Uaec dicilur perfecla defectio, qus Ftelas quuque ostendit, et iuler- QUESTIONS N s'apercevoir dans lair, quand il est assez dense, assez transparenl pour recevoir celle image que tout autre nuage reçoit aussi , mais qu'il laisse échapper s'il est trop mobile, ou trop raréflc, ou trop noir : mobile, il disperse les trails de l'i- mage ; raréfié , il la laisse passer ; chargé de va- leurs impures et grossières, il n'en reçoit pas l'cm- preinte, comme nous voyons que les miroirs ternis ne renvoient plus les objets. XIII. Souvent deux parélies se montrent si- multanément ; ce qui s'explique de même. Rien u'empâcheen effet qu'il ne s'en forme autant qu'il se trouve de nuages propres a réfléchir l'image du soleil. Suivant quelques auteurs, de deux parélies simultanés, l'un est produit par le soleil et l'autre par l'image. Ainsi plusieurs miroirs op- posés les uns aux autres nous offrent lous des images dont une seule pourtant reproduit l'objet réel ; les autres ne sont que des copies de ces images. Peu importe en effet ce qu'on met en présence du miroir; il répète tout ce qu'on lui montre. De même, dans lu haute rcj^ion dei'air, lorsque le hasard dispose deux nuages de telle sorte qu'ils se regardent l'un l'autre, celui-ci re- flète l'image du soleil, et ccltii-l'a l'image de l'i- mage. Mais il faut , pour produire cet effet, des nuages denses, lisses, brillnnls, d'une nature analogue h celle du soleil. Tons ces météores sont de couleur blanche et ressemblent au disque de la lune, parce qu'ils reluisent des rayonsque le so- leil leur (larde obliquement. Si le nuage est près de l'astre et au-dessous, la chaleur le dissipe; ATURELLES. 405 s'il est trop loin, il ne renvoie pas les rayons, et l'image n'est pas produite. Il en est de même de nos miroirs : trop éloignés, ils ne nous rendent pas nos traits, le rayon visuel n'ayant plus la force de répercussion. Ces soleils, pour parler comme les historiens, annf. cent aussi la ]>luie, surtout s'ils paraissent au midi, d'où viennent les nuages les plus gros et les plus chargés. Quand ils se montrent à droite et à gauche du soleil, si l'on en croit Aratns, on est menacé d'une tempête. XIV. 11 est temps de passer en revue les autres météores , si variés dans leurs formes Quelque- fois ce sont des étoiles qui brillent soudainement, quelquefois des flammes ardentes, les unes fixes et stationnaircs , les autres qui roulent dans l'es- pace. On en remarque de plusieurs genres. Les boihynes sont des cavités ignées du ciel, entou- rées intérieurement d'une espèce de couronne , et semblables à l'entrée d'une caverne creusée circulaireraent. Les pilhiles ont la forme d'un im- mense tonneau de feu, tantôt mobile , tantôt se consumant sur place. On appelle chasniata ces flammes que le ciel en s'entr'ouvrant laisse aper- cevoir dans ses profondeurs. Les couleurs do ces feux sont aussi variées que leurs formes. C'est , par exemple , un ronge éliiicelant , ou une flamme légère prompte à s'évanouir; quelijucfois une lu- mière blanchâtre, quelquefois un éclat éblouis- sant, d'autres fois une lueur jaunâtre et uniforme qui ne scintille, ni ne rayonne. Ainsi nous voyon; Fuir en longs trails d'argent l'étoile pâlissante. eil'it hicem, tune scilicet, quiini ulcrigiie orliissuli eodein libramento slelit. Quemiidtnoduin erpo iitriiisque imago in terris adspici polest ; Ita in aère , qnuni sic coaclus aer ctlimpidus conslilit, ut faciem solis acciperet, quani et aliae iiulies accipiunt, sed trantniitlunt , si aut mobiles suât, aut para;, aut sordidn;. Mubilcs enini sparpuut illaci, rarae emittunt, sordidx turpesqup non sciitiunt, sicutapud nos imaeinem macnlosa non reddnnt. XIII. Soient et bina (leriparelia, cadcm rali ine. Quid onim impedit, que minus lot sint, quot nubes fucrunt apts ad eibibcndam inia|2inera sol'is? Quidam in illa scn- teolia innt, quoties duo simulacra talia cisistunt, ut ju- diceiil, unum esse solis, altemm imaeinis. Nam apud nos quoque quum plura tpecula disposila sunt ita , ut alleri sit conspcctns altmiis , omn'a implentnr , et una imigo a Teroesl, cetcrœ ima;;inum efligiis sunt. Niliit i-niin re- firt , quid sit , quiid spécule ostendalur. Onidquid cnini Tidet, reddit. Ita illic qucjue in sublimi , si nubes fors aliqua disposuit, ul inter ^e adspiciant, altéra nubes solis imagincm , altéra imaKinis reddit. Debent autcm liae nu- l)cs, qua' hoc prxst;int , densœ esse . lœves, splendidae, plaie natnrae solis. Ob hoc orania quae hujusmodi sunt simulacra , candida sunt , et similia lunaribus circulis ; "liiia ex percussu oblique accepto sole resplendent. Nani ■Linfra solem nubes fucrit, et pr;)pior, ab co dissipa- tur; longe auteni positj radios non remitllt, necimagi- nem cfficit. Qnia apud nos quoique spécula , qunm a no- bis procul abducta sunt , faciom non reddunl, quia acits noslra non hihct uu]uc ad nos rccursuni. Ptuviarum au- tcm (t hi soles , u!ur eiiiui hislorica liugua, iodicia suni ; uiique si a parle Au.itri cunstilciunt, uude niaxima) nu- bes ingravescunt ; qtiinu ulrinquc solcm ciuiit talis efli- giis, si Aralo crcdinuis, lenipcslas .surgit. XIV. Tcmpus est, alios quoque ignés percurrere, quo- rum divers»; rgiiro! sunt. Aliquando eniicat stclla , ali- quando ardorcs sunt , nliqiinndo Cxi et baMcntcs , non ■ nuuquam yolubiles. iluium plura gênera conspiciuntur. Sunt Bothynoe, quum veliit corona cingcnlc iulrorsu» igneusconlireccssusest, similis cffossaî inorbcmspelunca;. Sunt Pilliitx-, quuui niagnitudo vnsti roiiindlquc ignis diilio similis , vel fertur, tpI in uno Inco llagral. Snnl Cliasmala, quum aliquod cirli spatium dcscdit et flam- ninm debisccns velut in abdito osleulat. Colores qunque borum omnium plurimi sunt. Quid im ruboris accrrimi . quidam evanida- ac lev s llamma.', quidam candida- lucis, quidam micantos , quidam aequatiter et sine cruptiomtius aut radiis ful\i. Vidcmus ergo, SIellanim longos a tergo .ilbescerc traclus. Ilœ Tclul stellae cisiliunt et Iransvolant , ridenturqu* 4(>6 SEKEQLE Ces prétendues étoiles s'élancent , traversent le ciel, et semblent, à cause de leur vitesse incalcu- lable, laisser après elles une longue traînée de feu; notre vue, trop faible pour distinguer chaque point de leur passage, nous fait croire que toute la ligne parcourue est une ligne de feu. Car la ra- pidité de leurs mouvements est telle, qu'on ne peut en suivre la succession ; on n'en saisit que l'ensemble. On voit plutôt l'apparition que la mar- che du météore ; et il semble marquer toute sa route d'un seul trait de feu, parce que notre œil trop lent ne peut suivre les divers points de sa course ; nous voyons du même coup d'où il part et où il est arrivé. Telle nous paraît la foudre : nous croyons qu'elle trace une longue ligne de flamme, parce qu'elle fournit sa course en un clin d'œil , et que nos regards sont fra['.pcs "a la fois de tout l'espace qu'elle parcourt dans sa chute. Mais ce corps igné n'occupe pas toute la ligne qu'il décrit; une flamme si allongée et si ténue n'a pas dans son élan tant de consistance. Mais comment jaillissent ces étoiles? C'est le frollement de l'air qui les allume, et le vent accélère leur chute; cependant elles ne proviennent pas tou- jours de ces deux causes. Les régions supérieures abondenten molécules sèches, chaudes, terreuses, parmi lesquelles ces feux prennent naissance; c'est en courant après les substances qui les ali- mentent qu'ils se précipitent avec tant de rapi- dité. Mais pourquoi sont-ils de diverses couleurs? Cela tient h la nature de la matière inflanimable et h l'énergie du principe qui enflamme. Ces mé- téores présagent le vent, et il vient de la région d'où ils partent. XV. Vous demandez comment se forment les feux que nous appelons , nous, fulgores , et les Grecs, sela. De plus d'une manière, comme ou dit. La violence des vents peut le» produire, comme aussi la chaleur de la région éthérée. Car ces feux, qui de l'a se disséminent au loin, peuvent se porter en bas, s'ils y trouvent des aliments. Le mouvement des astres dans leur cours peut ré- veiller les principes inflammables et propager l'in- cendie au-dessous de leur sphère. En un mot, ne peut-il pas arriver que l'atmosphère lance jusque dans l'éther des molécules ignées qui produisent cet éclat, cette flamme ou cette sorte d'étoile excentrique? De ces fulgores , les uns se préci- pitent comme des étoiles volantes ; les autres , fixes et immobiles , jettent assez de lumière pour dissiper les ténèbres et donner une sorte de jour, jusqu'à ce que, faute d'aliments, ils s'obscur- cissent, et, comme une flamme qui s'éteint d'elle- même, finissent après une constante déperdition par se réduire à rien. Quelquefois ces feux appa- raissent dans les nuages, d'autres fois au-dessus : ce sont alors des corpuscules ignés, couvés près de la terre par un air condensé qui les fait jaillir jusqu'à la région des astres. 11 en est qui ne peu- vent durer; iis passent, ils s'éteignent à l'instant presque où ils s'allument. Voilà les fulgores pro- prement dits, parce que leur apparition est courte et fugitive, et qu'ils sont dangereux dans leur chute, aussi désastreuse parfois que celle de la foudre. Ils frappent des maisons , que les Grecs désignent alors sous le nom d'astrapoplecla. Ceux dont la flamme a le plus de force et de durée, qui suivent, ou lemouvementdu ciel, ou une marche longiim ignem porrigere, propter innncnsani celer Ij- teni ; quuni acies nostra non discernât transiluiti (arum , .sed qmicunque cucurrernnt, id toliiin igneuiii rrodar. Tatita euim est velocita» molus, ut partes ejus non di-pi- oianlur, sed tantum summa piendatur. Inielligimus ma- gis , (jua appareal Stella, quam qua eat. Itaque velut igné onliuuo (olum iler signât, quia \isus nostri tardilas non subseqnilur momcnta currentis, sed videt siniul et unde cîsilierit, et quo pervenerit. Quod sitin fulmine, longus nobis ïidetur ignis ejus , quia cilo spaliuui suura transilit, et oculis nostris occurrit universuni, per quod dcjeclus est. At ille non est extenti corporis per omne qua venil. îsequc tara longa et extenuata in impetum valent. Quo- raodoergo prosiliunl? Attritu aeris ignis incensus, Ten:o prœceps impellitur; non semper tauien vento attrituve sit. Nonnunquam ex aliqua opporlunitate aeris nascitur. MuUa enim sunt in sublimi sicca , calida, terrena , iuter quas oriur , et pabulum suum subsequeus delluit, ideoqutf velocilerrapitur. At quarecolordiversus est? Quia refert, quille sitid quod incenditur, et quam vehemens quoin- ccnditur. Ventum autem signiGcat ejusmodi lapsus, et qnitem ab ea parte qua emmpit. XV. Fulgores, inqnis, quoniodo flunt, qnosGrseci Sela appellant? Mullis, ut aiunt , niodis. Potest illos ven- torura vis edere, potest superioris cœli fervor. IV'am quum late fusus sit ignis , infrriora aliquando, si sunt idonea accendi, corripit. Potest stellarum motus cursu suo excitare ignem , et in subjecta transmittere. Quid porro? non potest fieri , ut aer vim igneam Dsque in a)lbera elidat, ex qua fulgor ardorve sit, ycI siellae similis excursus? Ex his fulgoribus quxdam in praeceps eunt , similia prosilienlibus slellis; quœdam cerfo loco perma- nent, et tantum lucis emittant, ut fugent tenebras.et diem repraesentent , donec coosumto alimento , primnni obscuriorasint, deinde flammas modo, quœ in se cadil , per assiduam diminulionem redigantur in nibilum. Ex bis queedam in nnbibus apparent, qosedum supra nul)es, quum aer spissus ignem , quem propior terris diu pate- rat, usque in sidéra expressit. Horum aliqua non patiun- tur moram , sed Iranscurrunt aut eistinguuntur subindc qua reluxerant. Hi fulgores dicuntur, quia brevis faciès illorum et caducaest, nec sine injuria decidens; sxpe cnim fulminnm noxas ediderunt. Ab his tecla videmus icia , qnae asprrsa Graeci plecta vocant. Ai qiiibus loogior QUESTIONS NATURELLES. 407 qni leur est propre, sonl regardés par nos stoï- ciens comme des comèles; noas en parlerons plus lard. De ce genre sonl les pogonies, les lam- pes, lescyparisses, et tout météore dont le corps se termine par une flamme éparse. On doute si l'on doit ranger dans cette classe 1rs pou 1res et les pithites, dont l'apparition est fort rare, cl qui exi- gent une grande agglomération de feux pour for- mer un globe souvent plus gros que n'est le disque du soleil levant. On peut rapporter au mime genre ces phénomènes fréquemment cités dans l'histoire , tels qu'un ciel tout en feu , où lera- brasemenl parfois s'élève si haut qu'il semble se confondre avec les astres, et parfois s'abaisse tel- lement qu'il offre l'aspect d'un incendie lointain. Sous Tibère , des cohortes coururent au secours de la colonie d'Ostie, qu'ellrs croyaient en feu, trompées par un mcléore de cette sorte qui , pen- dant une grande partie de la nuit, jeta la lueur sombre d'une llarome épaisse et fuligineu.se. Pcr sonne ne n;et en doute la réalité des flamnie.s qu'on aperçoit alors; bien certainement co sont des flammes. 11 y a conleslaliou pmir les mé- téi)re« dont j'ai parlé plus haut ,je vetix dcin. Ilonim generj sunt pognniir, lampadps, et cyparissia; , et alia oniiiia , quorum igiiis in eiilu .spar- sas est. Diibiiiin , an iiilcr lios ponantur lral)e«, et pi- lliit,T; n:ro sunl visi. Mulla cnim conglotialione igniiini indigent, quam incf'ns illonim orl)i5 aliquanto matiitini aroplitudineni «olis eisaperet. Inter ba'C pona» licel pl quod fréquenter in liistorii» lecimus, riplum ardere ti- sum; ciijus nononnquamtan'.sublimi.s ardor est, ut intcr ipsa sidcra videatur ; noununquam tam liumilis , ut spc ciem longinqui incendii pra;beat. Sut» Ti'oerio Cacsarc cnbortes in auxilinm 0.«tiensis colnniaecucurrerunt , tan- qnain connnerantis , quani cirli ardor fuis.sct per macnam partem nnctis , parum lucidus, crassi fumidiqne icnis. De his Drmo dubitat , quin habeant flammam quant os- tendunt ; certa illis subslantia est. De prinribus qiiaeri- tur , de areu dico et coronis , an decipiant aciem , et men- dacio constent ; an iUi« quoque verum lit quod apparet. T^obit non placet, in arcu aut coronis sutiesse aliqnid corporis certi; nihil enim judicamus in speculis, nisi fal- Iflciuni es'.e , nihil aliud qoam alieniim corpas mentienti- bui. >'on enim est in speculo, quod oslcnditur. Alioquin non «ïirct, nec alia prolinus imagine" ol)duceretur , nrc innumcrabiles modo intcrircnt , modo eiciperentur forma;. Qiiid ergo ? Simulacra isia sont, et inanis vero- rum corponua imit.itio; .suntquc isIa a quibusdam ila romposita, ni et lia'c po-sfiit drtonuere in praviim. >'im, ul di\i, sunt spécula , qo.i» facii'ui prospicittitium oliliqucnl; sunt , (|uus digiuis brachii raen- lurametlongiludinc in crassiludine excederot. Ha?c au- tem ita disponebat, ulquum vinimipsepatcrelur,aversus omnes admissarii sui motus in speculo vidcret , ac deinde falsa mapnilodinc ipsiusmcmbri (anquamvera Rauderet 408 SÉNÈQUE. copcndanl il lui fallait encore recourir à l'illusion |)our assouvir son insatiable lubricité. Qu'on dise maintenant que c'est au goût de la parure qu'est (lue l'invention du miroir! On ne peut rappeler sans horreur ce que ce monstre , digne d'être dé- chiré de sa bouche impure, osait dire et exécu- ter, alors qu'entouré de tous ses miroirs, il se faisait spectateur de ses turpitudes; oui, ce qui, même demeuré secret , pèse sur la conscience ; ce que tout accusé nie, il en souillait sa bouche, il le touchait d:' ses yeux. Et pourtant, ô dieux ! le crime recule devant son propre aspect; les hommes perdus d'honneur et voués 'a toutes les humiliations, gardent comme un dernier scrupule la pudeur des yeux. Mais lui, comme si c'était peu d'endurer des choses inouïes , inconnues, il conviait SCS yeux 'a les voir; et non content d'en- visager loulo sa dégradation , il avait srs miroirs pour iiiulliplier ces sales images et les grouper autour de lui; et con>nie il ne pouvait tout voir aussi bien quand il se livrait aux brutales étreintes de l'un, et que, la ttio baissée, sa bouche s'appliquait aux plaisirs d'un autre, il s'offrait "a lui-même, 'a l'aide de ses miroirs, le tableau de son double rôle. Il contemplait l'œuvre infâme de cette bouche; il se voyait possédant tout ce qu'il pouvait admettre d'hommes. Partagé quelquefois entre un homme et une femme, et passif de toute sa personne, que d'aborainalions ne voyait-il pas? Que rcstait-il que cet être im- monde eût pu réserver pour les ténèbres? Loin que le jour lui fît peur , il s'étalait 'a lui-même .ses monstrueux accouplements, il se les faisait admi- rer. Que dis-je? Doulez-vflus qu'il n'eût sonliaile d'être peint dans ces altitudes? Les prostituées même ont encore quelque retenue, et ces créa- tures , livrées h la brutalité publique, tendent °a leur porte quelque voile qui cache leur triste do- cilité : tant il est vrai qu'il n'est pas jusqu'aux repaires du vice qui n'aient pour ainsi dire leur pudeur. Mais ce monstre avait érigé son ignomi- nie en spectacle; il se mirait dans ces actes que la plus profonde nuit ne voile pas assez. « Oui, se dit-il , homme et femme m'exploitent "a la fois ; et de ces lèvres qui me restent libres j'imprime une flétrissure pire encore que celles (|ue j'accepte. Tous mes membres sont pollues et envahis : que mes yeux aussi aient part à l'orgie, qu'ils en soient les témoins, les appréciateurs ; et ce que la posi- tion de mon corps m'empêche de Toir , que l'art me le montre ; qu'on ne croie pas que j'ignore ce que je fais. Vainement la nature n'a donné à l'homme que de chélifs moyens de jouir, elle qui a si richement pourvu d'autres races. Je trouve- rai le secret d'étonner même ma frénésie, et de la satisfaire. Que me sert mon coupable génie, s'il ne va pas outre nature? Je placerai autour de moi de ces miroirs qui grossissent à un point in- croyable la représentation des objets. Si je le pou- vais , j'en ferais des réalisés; ne le pouvant pas y repaissons-nous du simulacre. Que mesappétiLs. obscènes s'imaginent tenir plus qu'ils n'ont saisi , et s'émerveillent de leur capacité. » Lâcheté in- digne! C'est 'a l'iniproviste peut-être, et sans la voir venir , que cet homme a reçu la mort. C'était devant ses miroirs qu'il fallait l'immoler. lu omnibus qiiidem balneis aRebal ille dilecium , et apla mensura legel)at vires; sed nibiloniioiis niendaciis quoque iiisatiabile malum delcctal)at. I nunc, et die, spe- cutiim munditiarum causa repcrtuni ! FocJa diclu suut , qua' porlcnluiii illud, nre suc 1 iceranduni, divorit, fece- nique , qiiiiin illi spécula ab omol parle opiionercntur , ut ipse llagilioruui suoruni spectator essel,et, qux' sé- créta qu()i|ue conscientiaiii prcnuuit, et qua? accusalus qiiisqne finisse se negat , non ia os lautuni, scd iuocuios sucs ingererel. At tiercules scelcra conspectuni suum refOMnidaul! In perdilis quoque, et ad omne dedecus exposilis , lenerrima est oculorum verecundia. Ille autem, quasi paruiii csset, iuaudila et incoguita pati , oculos sues ad illa advocavit.nec quantum peccabitvidcrccoutentus, spécula sibi , pcr qua' llagilia sua dividcret disponeret- que, circunidedit; et quia non lam diligentcr inlueri po- terat, quuni compressus crat, et caput merserat, ingui- nibusque alienis obhaeserat , opus sibi suum per imagines ofrerebat. Speculabatur illani libidinem oris sui , specta- l>at sibi admisses pariter in oninia viros. ISonuuuquam iuier mareni et feminam distributus , et toto corpore pa- tientix expositus, speclahat nefanda. Quidnam homo impiirus reliquit, quod in tenebris faceret? Non pertimuit (liem , sed ipsos conctibitu.s portcntosos sibi ipse ostendit. silii ipse .npproUavil! Quid? Non pul.is in ipso habitih voluisse pingi? F.staliqua ciiam prostitutis modeslia; et illa corpora , publico objecta ludibno , aliquid , que infe- lix patientia lateat, obtendunt; adeo quodanimodo lupa- nar quoque verecundum est. At illud monstrurnubscceoi- tatcm suam spectaculum fecerat , et ea sibi oslentabat^ quibus ahscondendis nulla satis alla nox est. • Simul, in- quit,et vlrumet leminani patior; nibilominusillaquoqae supervacua milii parle alicujns contumeliam majurem exercée. Omnia membra stupris occupata sunt, oculi quoque in partem libidinis ventant , et testes ejus exacto- resque sint ! Etiam ea qua; ab adspectu corporis nostri- positio submovit, arte visantur, ne quis mepuletnescirs quid faciam I Nihil cgit natura, quod humanée libidioi ministeria tam maligna dédit, quod aliorum animalium concubitus melius instruxit. Inveniam , quemadmoduni. morbomeoet potiaretsatisfaciara.Quonequitiam meam^ si ad naturcB modum pecco?Id genus speculorum cir- cumponam mibi , quod incredibilem imaginum inagnitu- dinem reddat. Si liceret mibi , ad verum ista perduoe- rem ; quia nonlicet, mendacio pascar. ObscŒiiitas mea, plus quam capit, videal. et patientiam suani ipsa miretar.» Faciuus indignum! Hic fortasse cilo, et antcquam vide- ret , occisus est. Ad spéculum suum imniolandus fiiiU QUESTIONS NATURELLES. 401» XVII. Qu'on rie maintenant des philosophes qui dissertent sur les propriétés du miroir, qui cher- chent pourquoi notre figure s'y représente ainsi retournée vers nous; dans quel but la nature, tout en créant des corps réels , a voulu que nous en vissions encore les simulacres ; pourquoi , en- fin, elle a préparé des matières propres a rece- voir l'imago des objets. Ce n'était pas certes pi)ur qne nous viii.^sions devant un miroir nous épiler la barbe et la face, et lisser notre visage d'hom- mes. En rien elle n'a voulu faire les affaires de notre mollesse ; mais ici, que s'est-elle proposé d'abord ? Comme nos yeux , trop faibles pour soutenir la vue directe du soleil, auraient-ignoré sa vraie forme, elle a, pour nous le montrer, amorti son éclat. Bien qu'en effet il soit possible de le contempler alors qu'il se lève ou se couche, cependant la figure de l'astre lui-même, tel qu'il est, non d'un rouge vif, mais d'un blanc qui éblouit, nous serait inconnue , si à travers un li- quide il ne se laissait voir plus net et plus facile à observer. Do plus, cette rencontre de la lune et du soleil , qui parfois intercepte le jour , ne se- rait pour nous ni perceptible, ni explicable, si en nous baissant vers la terre nous ne voyions plus commodément l'image des deux astres. Les loiruirs furent inventés pour que l'homme se vit lui-même. De l'a plusieurs avantages; d abord la connaissance de sa personne , puis quelquefois d'utiles conseils. La beauté fut prévenue d éviter te qui déshonore ; la laideur, qu'il faut racheter par le mérite les attraits qui lui manquent ; la jeunesse, que le printemps de l'âge est le moment des études fortes et des énergiques entreprises ; la vieillesse, qu'elle doit renoncer à ce qui messied aux cheveux blancs, et songer quelquefois "a la mort. Voilà dans quel but la nature nous a four- ni les moyens de nous voir nous-mêmes. Le cris- tal d'une fontaine ,Ji surface polie d'une pierre réfléchit à chacun sob image. J'ni TU mes traits naguère an bord de l'onde. Quand la mer et les venls sommeillaient Dites -moi quelle était la toilette quand on se parait devant de tels miroirs? A cet âge de sim- plicité, contents de ce que leur offrait le hasard, les hommes ne détournaient pas encore les bien- faits de la nature au profit du vice. Le hasard leur présenta d'abord la reproduction de leurs traits; puis, comme l'amour-propre, inné chea tous, leur rendait ce spectacle agréable, ils re- vinrent souvent aux objets dans lesquels ils s'é- taient vus pour la première fois. Lorsqu'une gé- nération plus corrompue s'enfonça dans les en- trailles de la terre , pour en tirer ce qu'il faudrait y ensevelir, le fer fut le premier métal dont on se servit ; et on l'aurait impunément tiré des raines, s'il en avait été tiré seul. Les autres fléaux de la terre suivirent : le poli des métaux, offrit 'a l'homme son image, qu'il ne cherchait pas; l'un la vit sur une coupe, l'autre sur l'airain pré- paré dans tout autre but. Bientôt après on façon- na des miroirs circulaires ; mais, au lieu du poli de l'argent, ce n'était encore qu'une matière fra- gile et sans valeur. Alors aussi, durant la vie grossière de ces anciens peuples, on croyait avoir XVn. Derideantur nunc pliilosophi, qund de speculi nalura disserant, quod iaquirant, quid ila faciès noslr.1 nol)is, et quidem in nos obrersa, reddalur; quid silii rerum nalura TOlueril , quod qunm Tcra corpora dedistet, eliam simulacra enrum adspici volull ; quor.sus pprtinue- rit, banccomparare malcriam, escipicudnrum imaginum capacem. Non in hoc sciliccl , ut ad si)cculum barliam bciemque velleremus . aut ut facicm viri pnlirenius. In nulla re illa negolium luxuriae concessil; sed priinum oniiiium , quia imiK-cilli ocull ad tustinendum coiiiinus •olcm ignoraturi crant formam ejus, hebetalo illum bmine ostendit Quamris enim cum orienlcm occiden- temque cunlemplari liceat; lamen babitum ejus , ipsum qui «enis est , nuo rubenlis, sed raudida luce fulgenlis, Desciremos, niii in aliquo nobis humore laevior etsd- «pici facilior occurreret. Praetcrea duoruni siderum oc- cursum , quo ioterpeliari dies solet , non videremus , ncc «<:irc posseraus , quid f «set , nisi libcrius humi solis lunae- que imagines videremus. Inventa sunt spécula , ut liomo ipse se nosccrct. MulU ex hoc conscquuti : primo siii no- litia, deinde et ad qniriles tint ; minus dico, eliani militares. Jam spéculum oroatus tan lum causa adhibitum, nulli non vitiunecessariumfactuiu 'est. LIBER SECUNDUS. I. Omnis de universo qtiajslio in cœlestia , sublimia , et terrena dividitur. Prima pars naturam siderum scruta- tur, et magaitudinem, et formam igaium, quibus mun- dus includitur ; solidumne sit cœluni , ac firmae concrctie- que matcriae, an ex sublili tenuique ucxum; agatnr, an agat; et mfra se sidéra habeat, an iu coutcxtu sut fixa; quemadmoduni sol anni vices servet ; an rétro flectat ; cetera deinceps bis similia. Secunda pars tractât inter cœlum terr. mquc Tcrsanlia. Ha.'c .^unt nubila , imbres , uives, et «humanasmoturatonitrua mentes; • quaecunque aer facit patiturve. Hœc sublimia dicimus, quia ediiiora imis sunt. Tertia illa pars de agris , terris , arbustis . salis quairit, et, ut juri.sconsultornm verlw utar, de omnibus quaî solo continenlur. Quomodo, inquis, deterrarum motu qua-slionem eo posuisti loco , quo de toaitruis ful- goiibusque dicltinis ? Quia , qimm motus terra- fiât spi- QUESTIONS N pas l'a qu'il feut le considérer, il faut le voir par la pensée en la place où la nature l'a mis. Je dirai même , ce qui semblera plus étrange , qu'à propos du cict on devra parler aussi de la terre. Vous demandez pourquoi ? Le voici : quand nous exa- minons en leur lieu les questions propres à la terre , si elle est un plan large , inégal et indéflni , ou si elle affecte la forme d'une houle et ramène toutes ses parties à la spbcre; si elle sert de lien aux eaux, ou si elle est assujettie par elles; si c'est un être vivant, ou une masse inerte et in- sensible, pleine d'air, mais d'un air étranger; quand tous ces points et d'autres semblables vien- nent 'a leur tour de discussion , ils rentrent dans l'histoire de la terre , et sont rejetés "a la troi- sième partie. Mais quand on se demande quelle est la situation de la terre; en quel endroit de l'univers elle s'est Oxée; comment elle s'est mise en regard des astres et du ciel ; celle question re- monte 'a la première partie , et mérite, pour ainsi parler, une place plus honorable. II. Maintenant que j'ai parlé des divisions dans lesquelles se classe l'ensemble de ce qui compose la nature, jo dois avancer quelques faits généraux, et tout d'abord ce principe, que l'air est du noin- bre des corps doués d'unité. Que veut dire ce mot, et pourquoi ai-jc dû débuter par cet axiome? Vous le saurez , quand , reprenant les choses de plus haut, j'aurai distingué les corps continus des corps connexes. Lacoutinuité est l'union non in- terrompue des parties entre elles. L'unité est la coutinuité sans connexion , le contact de deux eorps juxtaposés. N'est;il pas vrai que parmi les ATURELLES. 4tt corps que l'on voit et que l'on touche, doués de sensations ou agissant sur les nôtres, il en est de composés? Or, ils le sont par contexture ou par coacervation ; par exemple, une corde, un tas de blé, un navire. Il en est de non composés , comme un arbre, une pierre- Il faut donc accorder que des corps même qui échappent 'a nos sens et ne se laissent saisir que par la pensée, quelques-uns sont doués de l'unité. Vo>ez combien je ménage votre oreille ; je pouvais me tirer d'affaire en employant le terme philosophique corps un; puis- que je vous en fais grâce , payez-moi d<î retour. Qu'est-ce h dire? Que si je me sers du mot un , vous vous rappeliez que je le rapporte non pas au nombre , mais 'a la nature du corps qui , sans aucune aide extérieure , est cohérent par sa pro- pre unité. L'air est un corps de cette espèce. m. Le monde comprend tous les corps qui sont ou peuvent devenir l'objet de nos connaissances. Parmi ces corps, les uns font partie du monde, les autres sont des matériaux mis en réserve. Toute la nature a besoin de matériaux , de même que tout art manuel. Ainsi, pour éclaircir ma pensée, j'appelle parties de notre corps les mains, les os, les nerfs, les yeux; et matériaux, les sucs des ali- ments qui se distribuent dans ces parties, et s'y assimilent. Le sang il son tour est comme partie de nous-mêmes, bien qu'il soit compté parmi les matériaux, comme servant à furracr les autres par- ties, et n'en est pas moins l'une des substances dont le corps entier se compose. IV. C'est ainsi que l'air est une partie du monde et une partie nécessaire. Car c'est l'air qui ritu , apiritus autem sit aer agitatus , etsi satK>at lerrai: , non il>i speclandut est; cogiletur in ea scde , in qua illum natura disposuit. Dicam, quod magis tidebitur miriim ; iDter cœleslia et de terra dicendum erit. Quare? inquis; quia qaum propri i terrs eicutimus suc loco, utrum l.nta $it, el iaoHjualis, et enormiler projecta, an tola in for- mam pilae spectet, et ia ort>eni partes snas cogat , alliget aquas , an aquis alligetur ipsa ; animal sit an iners ccirpiis, ettiue teosu, pleoiiiD quideni spiritus , sed alieni; et ce- tera bajusmodiqiinties in maous Teneriut, terram sequen- tnr. et in imiscullocabuntur.AtuI)! quajretur, quis terra; titsitas, qoa parte mundi subsederit, quoinodo adversus «idcra coelumque [Msita sit, haec qusstio cedit superiori- bus , et , ut ita dicam , meliorem conditionem sequitur. II. Quoniam dixi de partibus, in quas (iranis rernm nalurae niateria dividitur, qua-dam in commune sunt di- cenda , et hoc primum prxsumendum , inter ea rorpora, a (|uihu8 unitas est, acra esse. Quid sit hoc et quare prie- eipiendum fuerit, scies, si paulo allius repcliero, el diiiToaliquidessecontinuam, aliquid commissum. Con- tianatio est parlinm inlor se non iDiermisra conjunctio. Tlnitas est sine commissura continualio, elduoruiu inter •e conjuDCtorum corporuni tactus. Numqnid dnbinm est, i(iiiD ex bis corporibus quae videmns tractamuwjue , quœ aut sentiuntur aut sentiunt, (|uxdam sint composila? Illa coQstaut aut neiu , aut acervaliune; ut pula funis, fru- mentum , navis. Rursus non composila; ni arbor, lapis. Ergo conced.is oporlet, ex his qu(H)ue quae sensum qui- deni efTugiunt , ceteruni ratiune prenduntur , esse in^ quibusd'jm unilalcin corpurum. Vide, quoniodo auribus luis parcam. Eipedire me poteram, si philosophorum, lingua uli voluissem , ut dicerem unita corpura : hoc quum tibi remitiam , tu iuvicein mihi refer gratiam.. Quare isiud ? si quando diiero unum , meniineris nie non ad numeruni rcferre , sed ad naluram corporis, uullaope externa.sed uailate sua cobaerentis. Eiliacuola, corporum aer est. m. Omnia qua^ in n ililiam nostram cadunt velcndero possunt, niunduscomplectilur. Ex hisquxdam sunt par- tes, quxdani materiie Inco relicta. Desiderat oiunis na- tura materiam, sicut ars omnis quae manu constat. Quid si hoc apertius faciara? Pars est nostii , nianus, ossa, nervi , oculi : materia , succus relenli cibi ituius in par- tes. Rursus, quasi pars nostri est sanguinis, qui tanien el materia est. Pra^paral eniin et alla , cl nihilumious ia numéro est eorum , quibus toliim corpus elGcilur. IV. Sic nmndi pars est aer, et quidem necessaria ; bis est enim qui cœlum terramque cuoneclit, qui ima ae: 412 SENE joint la terre et le ciel. Il sépare les hautes ré- gions des régions inférieures, mais ca les unis- sant ; il les sépare comme intermédiaire ; il les unit, puisque par son secours tous deux se com- muniquent. Il transmet plus haut tout ce qu'il reçoit de la terre , et réciproquement rend à la terre les émanations des astres. Je dis que l'air est partie du monde , de môme que les animaux et les plantes, lesquels font partie de l'univers, puis- qu'ils entrent comme compléments dans le grand tout, et que l'univers n'existe pas sans eux. Mais un seul animal, un seul arbre, n'est pour ainsi dire qu'une quasi-partie ; car il a beau périr, l'es- pèce, malgré cette perte, est encore entière. L'air, tomme je le disais , touche au ciel ainsi qu'à la terre : il a été créé pour tous deux. Or, l'unité appartient "a tout ce qui fut créé partie essentielle d'une chose ; car rien ne reçoit l'être sans unité. V. I a terre est l'une des parties du monde , ainsi que l'un de ses matériaux. Pourquoi en est- elle une partie? C'est, je pense, ce que vous ne demanderez pas; autant vaudrait demander pour- quoi le ciel en est une. C'est qu'en effet l'univers n'existerait pas plus sans l'une que sans l'autre; l'univers existant au moyen des choses qui, comme le ciel et la terre, fournissent les aliments que tous les animaux, toutes les plantes et tous les astres se partagent, c'esl de Ta que tous les indi- vidus tirent leur force, et le nionile de quoi satis- faire à ses innombrables besoins; de là provient ce qui nourrit ces astres si nombreux , si actifs , si avides, qui, nuit et jour à l'œuvre, ont des pertes continuelles à réparer; c'est là que la na- guE. ture puise ce qu'exige l'entretien de toutes ses parties. Le monde s'est fait sa provision pour l'éternité. Je vais vous donner en petit l'analogue de cet immense phénomène : un œuf renferme autant de liquide qu'il en faut pour la formation de l'animal qui doit éclore. Vl. L'air est conligu à la terre : la jaxla-posi- tion est telle , qu'il occupe à l'instant l'espace qu'elle a quitié. Il est une des parties du monde; et néanmoins tout ce que la terre transmet d'ali- ments, il le reçoit, et sous ce rapport doit être compté comme l'un des matériaux , et non comme- partie du grand tout. De là sou extrême incon- stance et ses bruyantes agitations. Quelques-uns- le disent composé de molécules distinctes, comme la poussière , ce qui s'éloigne inFinimcnt du vrai. Car jamais un corps composé ne peut faire effort que par l'unité de ses parties, qui toutes doivent concourir à lui donner du ressort en mettant leuF force en commun. Mais l'air, s'il était morcelé en atonies, demeurerait épars, et, comme toute chose disséminée , ne pourrait faire corps. Le res- sort de l'air se démontre par le ballon qui se gon- fle et résiste aux coups ; il se démontre par ces objets pesants transportés au loin sans autre véhi- cule que le vent; il se démontre par la voix, qui faiblit ou s'élève proporlionnellement à l'impul- sion de l'air. Qu'est-ca , en effet, que la voix , si- non l'air, mis en jeu par la percussion de la lan- gue pour produire un son? Mais la faculté de courir, de se mouvoir, l'homme ne la doit-il pas h l'action de l'air respiré avec plus ou moins de force ? C'est l'air qui donne aux nerfs leur vigueur, sumnia sic séparât, ut tamen jungat. Séparât, qiiia mé- dius inlervenit; jungit, quiaulriquc per liocioter secon- sen.siis est. Supra se dat , quidijHid accipit a terris ; rur- sus vim sideruiii in terrcna transtuiulit. Quam sic par- tem inundi voco, ut aninialia et arlmsta. Namgenusaui- inalium arliusiorumque pars est universi, quia in con- suinmalionem tolius assumtum, et quia non fst sine fioc uaiversum. Unum auteni animal, et uua arbor, quasi pai-s est; quia quamvis perierit, lamea id es quo périt, totum est. Aer autem, ul dicebani, et cœlo et terris ci)- hi'ret. Ulrique innatus est. Ilabel autem unitiilcm , qu'd- quid aiicujus rei naliva pars est. Nitiil enini nascilur sine iniilate. V. Terra et pars est mundi et materia. Pars quiire si! , non pulo te inlerrogaturum , a\it asque interroges , quare cœlum pars sit; quia scilicct uon niagis sine lioc, qu::ni sine illa universum esse potest, quod ciim liis universum est, ex quilius, id est, tam ex illo, quam ex ista, ali- menta omnibus animalibus , omnibus salis , omnibus stel- lis dividuntur. Hinc quidquid est virium singulis , bine ipsi mnndo tam mull9 poscenli subministralur; bincpro- fertur quo suslineantur tôt sidcra , tam csercitala, tam «vida , per dieni noclcmque , ut in opère, ila et in pasiii; et omnium quidem rerum natura , quantum in nulriraeu- tum sui satis sit, ajjprcbendit. Mundus autem , quantum in acternuni desidrrabat, iuvasit. Pusillum tibi exemplum magnx rei ponam ; ora tantuui complecmntur bumoris, quantum ad effectum auimalis cxiluri satis est. VI. Aer conlinuus terras est, et sic appositus, ut s:a- tim ibt futurus sit , unde iil.i disccssit. Pars est lotius mundi; sed idem tamen, quidquid terra in alimentum misit, recipit, ut scilicct materia, non pars intetligi de- beal. Ex boc omnis iiiconstaaiia ejus tnmuUusque est. Hune quidam ex distanlibus corpusculis, ut pulvereni, ferunt, plurimumque a vero recerfunl. Nuaquam euiiii conleiti nisi pernnilalem corporis nisus est , quum par- tes consentire ad intcnsiuuem debeant, etconCerrc vires. Aer auteni, si in atouios dividiiur, sparsus est. Teneri \cro disjecta non possuat. Intensionem aeris ostendeat tibiinflata, nec ad ictum cedentia. Ostendent ponderar per magnum spalium ablata , gestante vente. Ostendent voces, quas remissa»elatcBqne sunt, proul aer secoacita- vit. Quid cnim est voi , nisi inlcnsiu aei is , ut au iiitur , linguae formata percussu? Quid cursus et mu(usomni£, nonne iulenli spirilus opéra .sunt? Hic facit vim nervis , et Tclocitaleni currcnliluis Ilic quum vebi nicnter conci- QUESTIONS NATURELLES. 413 pl aux coureurs leur agilité. Quand il s'agite et tourbillonne avec violence, il arrache les arbres et les forêts , il emporte et détruit des éditices en- tiers. La nier immobile et stagnante par elle-même, c'est l'air qui la soulève. Passons à de moindres effets; que serait le cbant sans la compression de l'air? Les cors, les trompettes, et ces instruments qui , grâce à l'introduction de l'eau , rendent un Son plus fort que ne peut faire notre bouche , n'est- ce pas "a l'air comprimé qu'ils doivent leurs effets? Considérons quelle force immense et inaperçue déploient des graines presque imperceptibles, et qui, par leur lénuité, ont trouvé place dans les jointures des pierres ' elles viennent 'a bout de sé- parer des roches énormes et de détruire des mo- numents; les racines les plus menues, les plus déliées fendent des blocs massifs de rochers. Quelle autre cause serait-ce, sinon l'claslicilé de l'air, sans laquelle il n'est point de force, et contre laquelle nulle force n'est assez puissante? Quant à l'urillé de l'air, elle peut se déduire sufUsamment de la sohcsiou de toutes les parties du corps humain. Qui les maintient de la sorte, si ce n'est l'air? Qui donne le mouvement, chez l'homme, au prin- cipe viial? Comment y a-t-il mouvement s'il n'y a ressort? l)'où vient ce ressort, si ce n'est de l'u- nité; et celle unité, si ce n'est de l'air lui-même? Enfin, qui pousse hors du sol les récoltes, l'épi si faible à sa naissance ; qui fait grandir ces arbres verdoyants; qui élend leurs branches ou les élance vers le ciel , si ce n'est le ressort et l'unité de l'air? VII. Certains auteurs veulent que l'air se divise et se partage en molécules, cnire lesquelles ils supposent le vide. Ce qui prouve, selon eux , que ce n'est pas un corps plein, mais qu'il s'y trouve beaucoup de vide, c'est la fucililé qu'ont les oi- seaux à s'y mouvoir et 'a le parcourir, les plus grands comme les plus petits. L'argument est faux ; car l'eau offre la mêtie facilité, et il n'y a point de doute sur l'unité de ce liquide qui ne reçoit les corps qu'en refluant toujours eu sens contraire de l'immersion. Ce déplacement circulaire, circiim- iiantia chez nous, et chez les Grecs péristase , s'opère dans l'air aussi bien que dans l'eau. L'air entoure tous les corps qui le pressent, et l'exis- tence du vide n'est point nécessaire. Mais nous reprendrons ailleurs ce sujet. VIII. De tout ceci il faut conclure qu'il y a dans la nature un principe d'activité de la plus grande force. En effet , il n'est point de corps dont l'élas- ticité n'augmente l'énergie. Ce qui n'est pas moins vrai , c'est qu'un corps ne saurait développer dans un autre une élasticité qui ne serait pas naturelle il celui-ci; tout comme nous disons que rien ne saurait être mu par une action étrangère sans avoir en soi une tendance à la mobilité. Or, que juge- rons-nous plus essentiellement élastique que l'air? Qui lui refusera cette propriété en voyant comme il bouleverse la terre et les moiilagnes, les maisons, les murailles, les tours , de grandes cités et leurs habitants, les inei-set loute l'étendue de leurs ri- vages. Son élasticité se prouve par sa rapidité et sa grande expansion. L'œil plonge instantanément à plusieurs milles de dislance ; un seul son reten- tit 'a la fois dans des villes entières; la lumière ne titiis ipse te tnrsit, arbusta tilTasqae convellit, et a>(lifl- cia Iota corripieos in allum fraogit. Hic mare per se lan- f^uidumeljaceiMincjlat. Ad minora vroiamus. Quiseiiim sine intensiooe spiritns canins est ? cornua cl tuba? , et quae aquarum pressura majorem snnitura formant , quam qui ore reddi polest, nonne aeris intensione partes suas rxplicant F Considoremus quajii ingentem vini per occul- tuni agsnl parvtila admoliuiiuit non pleni corporis, sed uuiltuni vacui haben- tis, quod ^ivibus in illo tiini fucilis motus, qiiiid maiimis mrniinisqne per illum tianscursus est. Sed falluntur. >'am aqiianiin quoqiie similis r.nrililas est; nec de unilate itla- rum dubiumest.qux sjcrorpnra accipiunt, ulsemper in contrarium acccpt srcniinnt. H:inc uostricircnnislanliam, Gra-ci aut m i!ipi<7rxmf appelant , qui in aère quoque si- cut in aqiia sil. Circumstat enim onine corpus a quo ini|)el- litur. ISiliil autem opiis crit inani adniiito. Sed hoc alias. Vllf. Nunc outcm esse quamdam in rerum natura vehenientiam , magni impetus, est colligcndum. ISihil enira non intensione vehementiu» est; et laui mehercule quam nihil intendi ab alio poteril , nisi per seinetipsum Tuerlt inteiitum. Dicimus enim, eodem modo non posse quidquain ab alio moveri, uInI aliquid Tuent mobile ex seinetipsn. Quid aulem est , quod magis credatur ex sc- nietipsn habere intensionem, quam spirilus? Hune inten- dit quis negabit, qnum viderit jactari terram cum mon tibus, tccti , nmrosqiic , et turres , el magnas cum popu- lis urbes, cum lotis maria litoribus? Ostcndit intensionem tpiritus, velocitas ejus et diductio. Oculus siatiin per œulta millia aciem >uam intendit : toi una totas urbe* fit SÉNÈQUE. s'infiltre pas graduclleiuent, elle inonde d'un jet toute la nature. IX. L'eau, "a son tour, quel ressort pourrait- «11e avoir sans le secours de l'air? Doutez-vous que ces jets, qui du fond et du centre de l'arène s'élancent en colonnes jusqu'au faîte de l'amplii- théàtre, soient produits par le ressort de l'eau? Or, il n'est ni pompe ni machine qui puisse lan- cer ou faire jaillir l'eau plus fort que ne le fait l'air. L'air se prête "a tous les mouvements de l'eau qui, par le mélange et la pression de ce fluide , se sou- lève, lulle en cent façons contre sa propre nature, et moule, en dépit de sa tendance a descendre. Par exemple : un navire qui s'enfonce "a mesure qu'on le charge ne fait-il pas voir que ce n'est point l'eau qui Tempêche d'être submergé, mais l'air? Car l'eau céderait, et ne pourrait soutenir un poids quelconque , si elle-même n'était soute- nue. Un disque qu'on jette de haut dans un bassin d'eau ne s'enfonce pas, il rejaillit; comment cela, si ce n'est l'air qui le repousse? Et la voix, par quel moyen passerait-elle "a travers l'épaisseur des murs, si dans les matières solides mômes il ne se trouvait de l'air pour recevoir et transmettre le son qui frappe du dehors? Oui, l'air n'agit pas seulement sur les surfaces, il pénètre l'intérieur des corps , ce qui lui est facile , parce que ses par- lies ne sont jamais séiuirées , et qu'à travers tout •ce qui semble le diviser il conserve sa cohérence. i|^ 'interposition des murailles, des montagnes les plus hautes, est un obstacle entre l'air et nous, mais non entre ses molécules ; elle ne nous ferme que les voies par où nous aurions pu le suivre. X. L'air traverse les corps mêmes qui le di- visent , et non-seulement il se répand et reflue autour des milieux solides , mais ces milieux sont même perméables pour lui : il s'étend depuis l'éther le plus diaphane jusqu''a notre globe , plus mobile, plus délié, plus élevé que la terre et que' l'eau ; il est plus dense et plus pesant que l'éther. Froid par lui-même et sans clarté , la chaleur et la lumière lui viennent d'ailleurs. Mais il n'est pas le même dans tout l'espace qu'il occupe; il est modifié parce qui l'avoisine.Sa partie supérieure est d'une sécheresse et d'une chaleur extrêmes, et par cette raison raréfiée au dernier point, b cause de la proximité des feux éternels , et de ces mouvements si multipliés des astres, et de l'in- cessante circonvolution du ciel. La partie de l'air la plus basse et la plus proche du globe est dense et nébuleuse , piirce qu'elle reçoit les émanations de la terre. La région moyenne tient le milieu, si on la compare aux deux autres , pour la sécheresse et la ténuité; mais elle est la plus froide des trois. Car la région supérieure se ressent de la chaleur et du voisinage des astres; la région basse aussi est attiédie d'abord par les exhalaisons terrestres, qui Lui apportent beaucoup d<''léments chauds, puis par la réflexion des rayons solaires qui, aussi haut qu'ils peuvent remonter, adoucissent sa tem- pérature doublement réchauffée ; enfin , au moyeo de l'air même expiré par les animaux et les vé- gétaux de toute espèce , lequel est empreint de chaleur , puisque sans chaleur rien ne saurait vi- vj e. Joignez 'a cela les feux artificiels que nous voyons, et ceux qui, couvant sous la terre, Ibnl simulpercutit; lumen non paulatim prorepit , sed siniiil iinivei'sis infunditur rébus. IX. Aqua auteni sine spiritu quemadmoduiii posset iii- lendi? INuraquId dubitas.quiu sparsio illa (|ua' ex lïiii- daiiieotis nicdia) arenœ crcsceus in suniniaiii a!titudi- neni ampliit eatri perveiiit, cum intonsioneaqiia' llr.l! At- <]ui Yero Dec nianus , nec ulluin aliud torniintuni aquiini poterit miltere, aut agere, quain spiiitus. Iluic se eoni- modat; hocinserto et cogeote attoilitur, et couira ii:itti- ram suani multa conatur, etasceudit, nati dclluere. Quid? oavigia sarcina depressa, paruni Oitendunt, non aqiiam ïibi risistere que minus mergantur, sed spirituni ? Aqua «niin cederet, nec posset pondéra sustiueie, uisi ipsa «ustincretur. Discus ex ioco superiore iu pisciuani niissus, son descendit , sed resilit; quemadmoduin , ni.si spiritu referente? Vos auteni qua ratione per parietum iiiuni- menta transmittitur, nisi quod solide quoquc aer inest, <]ui Bonuni eitrinsecus niissum et accipit et lemittit? sci- licet spiritu uon aperta tautuni intendeus , sed etiam ab- dita et inclusa. Quod illi facere expeditum est, quia nus- quam divisus, sed per ipsa quibus separari videtur, coit secum. Interponas licet muros et mediam attitudinem Dionlium, per oraoia ista probibetur nobis esse pervius, non sibi; id caini intercluditur tantnin , per qnod illam nos s6(]ui possunius. X. Ipsc (juidem transit per ipsum quo scinditur, et média nou circumfundit taatuui , et ntriuque ciugit , sed permeat, ab œtbere lucidissimo aer iu terram usque dif- fusus : agilior quidem, tenuiorque et iîllior terris, nec minus aquis; celerum albere spissior gravi irque, frigi- diis per se et obscuiiis; limen illi calorquc aliunde sunt ; sed per omne spatium sui similis non est; mulatnr euim a proximis. Sumnia pars ejus est siccissima cal:di»sima- que , et ob hoc etiam tenuissinia , propter viciniain aeter- noruni iguium , et illos tôt motus siderum , assiduunique cœli circumactum, Itia pars iraa »t vicina terris densa rt cjiligiunsa est, quiatenenas exhalationes receptat. Media pars temperalior, si sunimis imlsque routeras, quantum ad ficcitateni teuuitat' mque pertiuet; ceterum utraque parte frigidior. Naiu superiora ejus caloreni vicinorum siderum scutiuut; inferiora quoque tepent , primum ter- raruni balitu, qui multum secum calidiafTert, deiode quia radii solis replicantur, et quousque redire potuerunt, duplicato calore tieoignius fovent; deiode etiam illo spi- ritu, qui omnibus animalibus, arbustisque ac satis cali- du« est. Mbilenim viveret sine calore. Adjice oudc ignés. QUESTIONS i-riipUon en cerlaiiis lieux, ou brûlcat incessam- ment loin de tout regard dans leurs innombrables et invisibles foyers. Ajoutez les cmanalious de tant de pays fertiles, qui doivent avoir wne certaine cha- leur, le froid étant un principe de stérilité, et la chaleur de reproduction. Il s'ensuit que la moyenne partie de l'air, soustraite 'a ces influences, garde la lempéralure froide, puisque, de sa nature, l'air osl froid. XI. De ces trois régions de l'air, l'inférieure est la plus variable, la pins inconstante, la plus ca- pricieuse. C'est dans le voisinage du globe que l'air est le plus agissant, comme aussi le plus pas- sif, qu'il cause cl éprouve le plus d'aiiilation , sans toutefois qu'il soit affecté partout de la même manière : son état change selon les lieux ; l'oscil- lation et le désordre ne sont que parlii^ls. Les causes de ces changements et de cette inconstance sont ducs quelquefois à la terre , dont les diverses positions influent puissamment sur la lempéralure de l'air; quelquefois au cours des astres, et au soleil plus qu'à tout autre ; c:ir il règle les saisons, et amène, |>ar sa proximité ou son éloignemeut, les étés et les hivers. Après le soleil , c'est la lune qui a le [ilus d'influence. De leur côté, les étoiles n'influent pas moins sur la terre que sur l'air qui l'environne; leur lever ou leur coucher contra- riés occasionnent les froids, les pluies et les au- tres intempéries d'ici-bas. Ces préliminaires étaient indispensables avant de parler du tonnerre, delà foudre et des éclairs; puisque c'est dans l'air que se passent ces phénomènes, il fallait expli<|uer la nature de cet élément pour faire concevoir plus NATURELLES. 41S aisément le rôle actif ou passif qu'il joue dans leur formation. XII. Maintenant donc, il s'agit d'un triple phé- nomène, l'éclair, la foudre et le tonnerre, lequel, bien que simultané dans sa formation, ne le pa- raît pas à nos sens. L'éclair montre le feu, la fou- dre le lance. L'un tt-.'st, pour ainsi dire, qu'une meuace, qu'une tentative sans effet; l'autre est un coup qui frappe. Sur certains points de leur origine tout le monde est d'accord; sur d'autres, les opinions sont diverses. Chacun convient que ces trois phénomènes sont formés dans les nuages et par les nuages , et en outre que l'éclair et la foudre sont ou semblent être du feu. Passons aux points sur lesquels on dispute. Le feu , disent les uns , réside dans les nuages; selon d'antres, il s'y forme au moment de l'explosion, et n'existe pas auparavant. Les premiers se partagent encore sur la cause productrice du feu ; celui-ci le fait venir de la lumière; celui-l'a, des rayons du soleil qui, par leurs entrecroisements et leurs retours ra- pides et multipliés sur eux-mêmes, font jaillir la flamme. Anaxagore prétend que ce feu émane de l'élher, et que de ses hautes régions embrasées il tombe une inlinilé de particules ignées qui cou- vent longtemps au sein des nuages. Aristote croit, non [!as que le feu s'amasse longtemps d'avance, mais qu'il éclate au moment même où il se forme ; sa pensée peut se résumer ainsi : Deux parties du monde , la terre et l'eau , occupent la partie infé- rieure de l'espace ; chacune a ses émanations. Les vapeurs de la terre sont sèches et de même nature que la fumée : de là les vents, le tonnerre, la noD tantum manu factos et certos, sed opertos terris, quorum aiiqui eruperunt, inniimerabiles in al)scondito flagrant et obscuro seniper. Etiamnanc tôt partes ejiis fertiles reram battent atlqiiid teporis, quoniam stérile est frigidum ; calor aiiteui gignil. Media ergo pars aerisab bis submota ia frigore suo manct. Matura euiin aeris gelida est. XI. Qui qnum sic divisus sit, ima soi parte maxime varius et incuiistans et mutabilis est. Circa terram pluri- muniaudot, plurimiim putilur, ciagitat et eiagilatur; nec liimeu eoilem modo tolus aflic tur, sed aliter aliiii , ac panittiis inquiétas est ac turbidu.i. Causas autem illius roulalionis et inconstanlix alias terra prsebet, ciijus po- silioues bue aut illo versa- , magna ad ai'ris temprri'in momenta siint; alias siderum cursus. Et quibus suli plu- rimtim imputes. Illum sequitnr annus ; ad illius flexum biemcs œsiatesqne vertuntur. Lunse proximuni jus est. Sed et cetere quoque stellx non minus lerreoa qiiam io- caml)entem spirilum terris afficlunt , et ortu suo occa- suTe contrario, modo frignra , modo imbres, allasque trrrarum injurias turbida^ roovent. Hoc necessarium fuit prailoqui , dicluro de toniiruo ac fulmiuibus et fulgura- linnibus. ^'lra quia Id acre flunt , nataram ejus eiplicare oportet)at, quo facilius apparcret, quid facereaat pati possel. XII. Tria tunt ergo ipia! accidunt, fiilguraliones, ful- mina, ettonitrua; qux una fada scrius audiuntur. Ful- guratio OKiendil iuui'm; fiilminalio emitlit. Itia, utita di- cam. romniinalio est, et conatiosineiclu; ista, jacutatio cuni iciu. Qua?dam sunt ei bis, de quibus inter omnes conTenil ; qusdain , in quibus diversae senteoti» sunt. Convenit illis, omnia ista in nubibus et e nubibus fieri; etiamnunc convenit, et fuiguraliones et fulminationes , aut igneas esse , aut ignea spccie. Ad illa nunc transea- mus, in quibus lis est. Quidam putant ignrm esse in nu- bibus, quidam ad tem|)us (ieri; nec prius esse, quam niitti. ISec inter illos quidem quid proférât ignem, con- venit. Alius eulm a luniine illum colligit; quidam autem radios solis intercurrenlis rccurrentisque , sxpius in se relatos , ignrm eicitarc dicit. Anaxagoras vero ait illum ei îBthere dislillari, et ei tanio ardore cœli multa deci- dere.qux nubes diuinclusa custodiant. Aristotetes multo ante ignem colligi non pulat, sed eodem momento eisi- lire, quo liât. Cujussententia taliscst : Duaemundi partes in imo jacent , terra et aqua ; utraque ex se reddit aliquid. Terrenus vaporsiccus est, et fumo similis, qui ventos, 416 SÉNÈQUË. foudre; l'eau n'exhale que deriiumido; elle pro- duit les pluies et les neiges. Ces vapeurs sèches de la terre, dont l'accumulation engendre les venls, s'échappent latéralement par suite de la violenle compression des nuages, puis vont de là frapper sur un large espace les nuages voisins; et cette percussion produit un bruit analogue "a celui que fait entendre dans nos foyers la flamme qui pétille en dévorant du bois trop vert. Dans le bois vert, ce sont les bulles d'un air chargé de principes humides qui crèvent par l'action de la flamme ; dans l'atmosphère, les vapeurs qui s'échappent, comme je viens de le dire , des nuages comprimés, vont frapper d'autres nuages , et ne sauraient faire explosion ni jaillir sans beaucoup de bruit. Le bruit diffère selon la différence du choc. Pourquoi? Parce que les nuages présentent un flanc plus large les uns que les autres. Du reste, c'est l'explo- sion des vapeurs comprimées qui est le feu : on l'appelle éclair ; il est plus ou moins vif, et s'em- brase par un choc léger. Nous voyons l'éclair avanl d'entendre le son , parce que le sens de la vue, plus prompt, devance beaucoup celui de l'ouïe. XIII. Quant h l'opinion de ceux qui veulent que le feu soit en dépôt dans les nuages, beaucoup de raisons en prouvent la fausseté. Si ce feu tombe du ciel, comment n'en tombe-t-il pas tous les jours, puisque la température y est conslamment embrasée? D'ailleurs les partisans de celle opinion n'expliquent pas lachuledu feu qui, par sa na- ture, tend toujours à monter. Car ce feu élhéré est bien différent de celui que nous allumons, d'où il tombe des étincelles, dont le poids peul être apprécié. Aussi, ces étincelles ne descendent pas; elles sont plutôt entraînées et précipitées. Rien de semblable n'arrive pour ce feu si pur de l'élher : il ne contient rien qui le porte eu bas ; s'il s'en détachait la moindre parcelle, le tout se- rait en péril ; car ce qui tombe en détail peut bien aussi crouler en masse. Et puis , cet élément, que sa légèreté empêche tous les jours de tomber, comment, s'il recelait des particules pesantes, eût-il pu séjourner à cette hauteur d'où il devait naturellement tomber? — Mais quoi ! ne voit-on pas tous les jours des feux se porter en bas, ne fût-ce que la foudre même dont il est ici question? — J'en conviens ; ces feux, en effet, ne se meuvent pas deux-mûnies; ils sont emportés. La puissance qui les entraîne u'esl point dans l'élher : car l'a, point de violence qui comprime ou qui brise; rien d'inac- coutumé ne s'y produit. Un ordre parfait y règne, et ce feu épuré, placé "a la région supérieure du monde pour sa conservation , circule magniflque- ment autour de la création ; et ce poste, il ne saurait le quitter ni en être chassé par une force étrangère , parce que dans l'élher il n'y a place pour aucun corps hclérogène; ce qui est ordre et lixilé n'admet point la lutte. XIV. On objecte que nous disons, pour expli- quer la formation des étoiles filantes, que peut- être ((uelques parties de l'air allirenl "a elles le feu des régions supérieures, et s'entlamment ainsi par le contact. Mais bien autre chose est de dire que le feu tombe de l'élher contre sa tendance natu- relle, ou de vouloir que de la région ignée la chaleur passe aux régions inférieures et y excite tonitrua, et Tulmina fucit; aquarum lialiUis humidiis est, et imbres et nives créât. Sed siccus ille terrarum vapor, aode ventis origo est, quia coacervatiis est, cuid coilu Dubiuni vehementcr a latere eliditur; deinde, ubi latins ferit nubes prosiiiias, ha?c plaga cum sono incutitiir, qualis in nostiis igiiibiis redditur, quum flaniina vite lignorum virentiuin crepat. Etillespirilus baliens aliqiiid humidi secuni, quura est cODglobatus , rumpitiir flamma : eodeni modo spiritus ille, qucm paulo anle exprimi col- lisls nubibus dixi , iiiipactus alils, cec rumpi nec eisilire silenlio potest. Dissimills aiitem crepitus sit, ob dissiiui- lem iinpactionem nubium. Quare alieat allquid aeri simile, rt suninins aer non ait dlsïimilis inio xlberi ; quia non Ht fLilini es diTerso iii divcrsum transilus. Paulalim isia confinio vlm suam miscent, lia ut dubilare postis an aer, an hic jam Clher lit. XV. Quidam e\ nnslris eiislimant, aéra, qiiiim in ignem et aquam mntabilii sit, non trabore aliunde caii- ■as Oammaruni noTas : ipsc enim se niovcndo acrendit , el quum drnsos compactosqne nubium sinus dissipât, necessario vastum in tam niagnonum corporum dirup- lionc reddit soniim. Illa porro nablum difficnller codpn- tliim pugna aliquid coofert ad concitindum igneni t (,ic , quemadmr dum ferro aliquid manui ad secandum conrert ; «ed sccare , ferrl est. XVI. Qnid ori'oJDlcr Tulinirationem et fulmen inlcr- esl? dicani. Fiilguralin, est late ignis eiplicitus; Tnlnien, e«t coactus ignis, et impctu jactus. Solcnius duabns ma- idbus Inlcr se juiiclis 3(|iiam conclpcre, et compressa plonge dans l'eau. De môme donc que le métal incandescent ne s'éteint qu'avec un long frénii.s- scment; ainsi, dit Anaximène, l'air qui s'engou''- fre dans la nue produit le tonnerre, et dans sa Intle contre les nuages déchirés qui l'arrOtenl, il allume l'incendie par sa fuite même. XVIII. Anaximandre attribue tout au vent, l.e tonnerre, dit-il, est le son produit par le choc d'un nuage. Pourquoi ce son est-il plus ou moins fort? Parce que le choc a plus ou moins de force. Pourquoi lonne-t-il même par un ciel serein ? Parce qu'alors aussi le vent traverse l'air, qu'il agite et déchire. Mais pourquoi tonne-t-il quel- (|iierois sans éclair? C'est que le vent, trop ténu et trop faible pour produire la flamme, a pu du moins produire le son. Qu'est-ce donc proprement que l'éclair? Un ébranlement de l'air qui se sé- pare, qui s'affaisse sur lui-même et ouvre les voies il une flamme peu active ijui ne serait pas sortie loiile seule. Qu'est-ce (luc la fou|int, sunt niibis ictx snniis. Qnare inar^quatia sunl? quia e aliquando, concède; ita tamen , ut non discicla illis potestas sit , sed ulrunique ab utroque cfnci possit Quis enim nogabit spirilum magno impelulatuni,quum elficilsonum, cffecturum et ignem? Quis et hoc non conce'on om- nis boc tibi materia praestabit, sed idonea elicieodis igni- bus ; sicut laurns , heders , et alia in bunc nsnm nota QUESTIONS NATURELLES. autres connues des bergers pour cet usage. Il peut donc se faire que les nuages s'enflamment de même , ou par percussion , ou par frottement. Voyez avec quelle force s'élancent les tempêtes , avec quelle impétuosité se roulent les tourbillons. Tout ce qu'ils trouvent sur leur passage est fra- cassé, emporté , dispersé au loin. Faut-il s'élon- ner qu'avec une telle force ils fassent jaillir du feu , ou de matières étrangères , ou de leur propre substance? On conçoit quelle intensité de chaleur doivent éprouver les corps qu'ils froissent dans leur course. Toutefois, on ne saurait allribner à ces météores une action aussi énergique qu'auv astres, dont la puissance est aussi grande qu in- contestée. XXIll. Peut-être aussi des nuages poussés contre d'autres nuages par l'impulsion légère d'un vent qui fraîchit doucement , produisent un feu qui luit sans éclater; car il faut moins de force pour former l'éclair que pour engendrer la foudre. Tout a l'heure nous avons reconnu à quel haut degré de chaleur certains corf» s'élevaient au moyen du Irotleraent. Or, lorsque l'air, qui peut se convertir en feu , agit sur lui-même de tonte sa force par le frotiement , on peut admettre avec vraisemblance qu'il en jaillisse une flamme passa- gère et prompte à s'évaporer, comme ne sortant pas d'une matière solide où elle puisse prendre de la consistance. Elle ne fait donc que passer , elle n'a de durée que celle du trajet qu'elle fwrcourt, jetée dans l'espace sans aliments. XXiV. On me demandera comment, lorsque nous attribuons au feu une tendance vers les ré- gions supérieures, la foudre néanmoins se dirige vers la terre. Y a-t-il erreur dans notre énoncé? On voit en effet le feu monter aussi bien que des- cendre. — Ces deux mouvements sont possibles : car le feu nalurc|!einent suruil en pyramide, et, sauf obstacle. Il tond h monter, comme naturelle- ment aussi l'eau se u^rte en bas ; si pourtant une force étrangère intervient qui la refoule en sens contraire , elle s'olève vers le lieu môme d'où elle est tombée en jiluie. Ce qui fait que la foudre tombe, c'est la même puissance irrésistible qui l'a lancée. I.e feu éprouve alors ce qui arrive aux ar- bres dont la cime encore souple peut être courbée jusqu'à loucher le sol , niais qui , abandonnée à elle-même, reprend sa place tout d'un élan. H ne faut pas c(msidérer les choses dans un état con- traire à la loi de leur nature, baissez au feu sa direction libre, il regagnera le ciel, séjour des corps les plus légers; si quelque chose vient à l'entraîner et "a faire dévier son essor, il ne suit plus sa nature, il devient passif. XXY. Vous dites, objccle-t-on encore, que le frottement des nuées produit la flamme, lors- qu'elles sont humides ou même chargées d'eau : mais comment la flamme peut-elle se développer dans ces nuées, qui semblent aussi incapables que l'eau même de la produire? XXVI. Je réponds d'abord qne les nuages qui produisent le feu ne sont p.is de l'oan ; c'est un air condensé, disposé'a for merde l'eau; la transforma- tion n'est pas faite, maiselleest prochaine et toute prête. Il ne faut pas croire que l'eau se rassemble dans les nuages pour s'en épancher ensuite ; sa formation , sa chute sont siniullanées. Je réponds en outre que quand j'accorderais qu'un nuage est pastoribus. Potest crgo fieri , ut nulles qnoque ipncm ro- dem modo Tel perrnsss reddant, vel atlritfe. Videainus quanti^ procclls viribus ruant , quanto vcrtantur impetu turbines. In id qund tnrmentum obvium fit, di.<et, a>ccudil. S eut aqua n^.tura drler- tur;si tamen aliijua vi^ accessit, qua' illam iu conlra- riuni circumagerct, illo in:eiidilur, uude inibre deject.i est. Fulmen au. cm radit eodcin iiccossilatc, qua eicuti- tur. Id bis ignibus accidil quud miIioi ibus; quarum ciicii- mina si lenera sunt, iia clei rsiim Iratii possuiit, utclinni lerram aitiugani, sed quum pcrmiseris, iu iiicum suuni eisilient. IiaqHe non est quod curn spccics ( uju>que ni halii uni , qui illi non ex volunliite est. Si igncm permit- lis ire quiivelit, cœlum , id val, Icvissimi cuju^quese- deni repetet; ubi est aliquid, quod eum ferai, et ab iui- pelu suo avertat, id non uatura , sed ser\ilus ejus /il. XXV. Ucilis, inqut, nulles allrilas citur, primum in nubibus non est aqua , sed aer spissus , ad gignendam aquam pra-paratus , nondum in illani mutatus, »ed jam pronus et \ergens. -£1 4!20 SENE humide cl plein d'eau louie formée , rieu n'cmpê- iherait que le feu sorlît de l'huraide et même , (•liose plus élonnaiile, du principe de l'humide, do l'eau. Des pliilosoplics ont soutenu que rien ne peut se convertir en feu sans s'être d'ahord con- verti eu eau. Il se peut donc qu'un nuage, sans que l'eau ([u'il contient change de nature, lance du feu de quelqu'une de ses parties, comme le bois qui, souvent, brûle d'un côté et sue de l'autre. Je ne dis pas que les deux éléments soient incompatibles et que l'un détruise l'autre; mais où le fou est plus fort que l'eau , il l'emporte , comme aussi quand c'est l'eau qui relativement surabonde, le feu demeure sans effet. Voil'a pour- quoi le bois vert ne brûle point. Ce qui importe , c'est donc la quantité de l'eau qui, trop faible, ne résiste pas et n'ciiipêchc point l'action du feu. Comment n'en serait- il pas ainsi? Du temps de nos pères, au rapport de Posidonius, tandis qu'une île surgissait dans la mer Egée, la mer écumait pendant le jour, et de la fumée s'élevait du Si'in de loude , ce qui trahissait l'existence d'un feu qui ne se montra pas continu , mais qui éclatait par intervalles, comme la foudre , chaque fois que l'ardeur du foyer sous-m.irin soulevait le poids des eaux qui le couvraient. Ensuite il vomit des pierres , des rocs entiers, les uns intacts et chassés par l'air avant leur calcinalion , les autres rongés et réduits îi la légèreté de la pierre-ponce ; enfin, la crête d'une montagne brûlée parut au- dessus de la mer. Peu h peu sa hauteur s'accrut, et ce rocher s'agraudil au point de former une île. De notre temps, sous le consulat de Valérius QUE. Asialicus, le même fait s est renouvelé. Ponrqu<4 rapporté-je ces exemples? Pour faire voir que ni la mer n'a pu éteindre le feu sur lequel elle passait, ni cette énorme masse d'eaux l'empêcher de se faire jour. C'est de deux cents brasses de profondeur, au dire d'Asclépiodote, disciple de Posidonius, que, fendant l'obstacle des flots, le feu a fait éruption. Si cet immense volume d'eau n'a pu étouffer une colonne de flamme qui jaillissait du fond de la mer, combien moins la subtile va- peur, les gouttelettes des nuées éteindraient-elles le feu dans I atmosphère? Elles apportent si peu d'empêchement 'a la formation des feux , qu'on ne voit luire la foudre que dans un ciel chargé d'eau; elle n'a pas lieu par un temps serein. Uh jour pur n'a pas à la redouter, non plus que les nuits qni ne sont pas obscurcies de nuages. — Mais quoi? Dans un ciel illuminé d'éloiles, et par la nuit la plus calme, ne voit-on pas quel- quefois des éclairs? — Oui; mais soyez sûr qu'un nuage se trouve au point d'où part l'éclair, nuage que la forme sphérique de la terre ue nous laisse pas voir. Ajoutez qu'il se peut que des nua{;es bas et voisins du sol fassent jaillir de leur choc un feu qui, poussé pliis haut, se montre dans h partie pure et sereine du ciel; mais toujours naît-il dans une région plus grossière. XXVII On a distingué plusieurs espèces de tonnerres. Il en est qui s'annoncent par un mur- mure sourd comme celui qui précède les tremble- ments de terre, et que produit le vent captif et frémissant. Comment pensel-on que se forme ce phénomène? le voici. Quand l'air se trouve en- Non est qnod eam exisdinos tune colligi, dein effundi. Simul et fit , et cadit. Dcioilc si coiicesscn) hiiniidiim esse nubeni conceptis aquis plonani, iiitiil lamen proliil)et, igncni ex liumido quoque eim^i, iiiimo ex ipso, qnod magis mireris, liumoie. Quidam nigaveruiit in igneni quidiiiiam posse nulaii, priusquani niut.ilum esset in aquam. Potesl crgo niihes, salva, quani conlinet, aqua, igncni pare aliqua sui rcdderc ; ut sai'pc aliii pars ligni ardet, alia sudal. Tsee liiic dco, non couiraria intcr se isla esse, et alleruiu altero pcrinii : scd ul)i viilentior iguis qu.im huuiorest , \iiicil ; rursus ubi coj.ia humons fisuperat, luiic ignis sine cffectu esl. Itaquu non ardent virentia. IVofiTt ergo, quantum aquiE sit. Exigua enini resistit, necignemiiiipedit.Quidni? Majorum nostrorum memoriH, ut Posidonius tradit, quuni insula in /Egeo mari surgerel, spumabat ante diu mare, et fimius ex alto fercbalur. INam demuin prodebat ignem , non cunti- nuum, sed ex intervallis emicanlem, fulminum more, quolies ardor inferius jacentis superum p udus evicerat. Deinde sasa re'olula , rupesque pnrlim illœsa; , quas spi- ritus, antequani vertercntur, expulerat, partini exesas, e; in levitatem puniicis versae; no\issimc cacumen exusii uionlis emicuil. Postes alliludini adjectum , et saxum il- lud in magnitudinein iosulx crevit. Idem nostra nienioria, Valerio Asiatico consule, iterum accidit. Qnorsus lise reluli ? ut appareret , ncc exstinctuni ignem mari super- fuso, nec impetuni cjus, grayilate ingeatis nndae prohi- liitiim exire. Ducenlorum passuum fuisse altitudinem Asclepiodotus Posidonii auditor Iradidit, perquam.di- ruptis aquis, ignis emersil. Quod si immnsa aquarum vis sulïeuntcm ex imo llanimarum vini non potuit oppri- mere.quanto minus in aère exstinguere ignem poterit nubinm tenais humor et roscidus? Adeo res isla non babct ullam morani, quaeconira causns ignium sit, qnos non ïidemus emicare , nisi impendentc eœlo. Serenuni sine fulmine esl. Non babet i>tos metus dies purus, nec noi quidem, nisi obscura nubilMis. Quid crgo? Non ali- quando etiani apparentibus steibs, et nocle tranquilla fulguratî Scd sciss licet nubes ill c esse, unde splendor effertur, quas videri a nobis terrarum tuuior non sinil. Adjicc nuric, quod fieri potest, ut nutws imx et hu- miles attritu suo ignem reddani; qui in superiora ei- pressus, in parte siacera puraque cœli visalnr; sed Qt in sordida. XXVII. Toniirna distinxere quidam ita , ut dicercnt , ununi esse genus, cujus sit grave niuiuiur, quale tcria- rum motum antecedil , clauso \cnlo et trcmente. Hoc (luomodo illis videatur Qeri , dic^m. Quum spiritum inlra QUESTIONS N fermé dans on amas de nuages où il se roule de | cavités en cavités, il fait eulendrc une sorte de mugissement rauque, uniforme et continu. Et | comme, si elles sont chargées d'éléments humi- des, les régions basses du ciel lui forment passage, I les tonnerres de celte espèce sont les préludes d'une pluie imminente. Il est une autre espèce de tonnerre dont le son est aigu , aigre uiènie, pour ; mieux dire, tel que l'éclat d'une vessie que l'on i brise sur la tête de quelqu'un. Ces tonnerres ont lieu lors(|u'un nuage roulé en lourbilluns crève et laisse échapper l'air qui le distendait. Ce bruit se nomme proprement fracas : aussi soudain qu'é- clatant , il terrasse et tue les hommes ; quelques- uns, sans perdre la vie, demeurent étourdis et sont tout-a-fait hors d'eux-mêmes , allonili; ainsi appelle-t-on ceux que l'explosion du feu céleste a jetés dans l'aliénation. Celte explosion peut ve- nir au.ssi d'un air enferme dans le creux d'un nuage et qui , raréfié par son mouvement même, se dilate, puis, cherchant à se faire une p'i:s large place , résonne contre les parois qui l'enve- loppent. Car cnfln, si nos deux mains frap[)ées l'une contre l'autre retentissent avec force , la collision de deni nuées ne doit-elle pas produire MU bruit d'autant plus grand que ce sont de plus grandes masses qui s'entreclinquent? XXVIII. On voit, me dira-t-on, des nuages heurter des montagnes, sans qu'il en résiili»; de retentissement. Mais d'abord toute coilisitin de nuages ne produit pas de bruit; il faut pour cela une aptitude et une disposition spéciale. Ce n'est pas en battant des mains sur le revers qu'on peut applaudir, c'es en frappant paume contre paume ; ATUUliLLES. 421 il y a même une grande différence selon qu'on frappe du creux ou du plat des mains. Ensuite, il ne sufQt pas que les nuages se meuvent, il faut qu'ils soient poussés violemment par une sorte de tourmente. D'ailleurs, la montagne ne fend pas la nue, elle en chaugo seulement la direction , et en émousse tout ;Mf''plus les parties saillantes. Il ne snflit pas que r;iir sorte d'une vessie gonflée, pour rendre un siin : si c'est le fer qui la divise , l'air s'écha|)pe sans bruii; pour qu'il y ait explo- sion, il faut la rompre et non la couper. J'en dis autant des nuages; sans un choc brusaia dissulrilur uubes , et spirituni , quu dulenta fuerat, ciniUit. IlocproprirfiatjiiriJcimi', subi- lus et vehemens ; quo edito concidiiiit hoiiiines , etcia- nimaotur, quidam vero firi stuprut, et in totiiiii sll)i ex- cidunt, quos \ocanius allnnitos, quorum mcnted si apte sunt composito; ad sonum cdoiidum. Avd-a! liU'T s;^ nianiis cdllisie non iil.iiduiil, sed p::lnia cum iialmacollala plausum facil. Etpluriomni intcresl , iiiruni cava' ciinciitinntur, an plnnf cl Citentic. Dt'indc non tanlum nulKS ire oportet, sed agi magna vi, et pmccllosa. IClinm nions non scinilit nubem, sed di- gerit , el pi imr.ni (|ii;iiniiui' paricm ejus solvit. Ne vesica quidem, quocnmcpie modo spiriluni cniisit, sonat. Si ferro divisa est, sin<' ullo auriiim sensu eiit. Runipi illam (iporlet , nt soiiel, non sccaii. Idem de nutiilius dico : nisi niullo impetu ilissjlnla*. non sonant. Adjicu nnnc, qnod nubcs in ninrilein aelie non rrangnnlur, si'd circumrundunlur in alii|uas parles niontis, arlxirs rnnos, frulices , aspera saxa mivsi()ra for- sitan in nus propins vim suam dirigunt; et ea quae frc- quenlius mota, aliter nos, atilcr cèlera aninialia prospi- ciunt. Ceternni et it'a (|ua! anl inimota sunt, aul propler Telocitalem uniïerso niundo parem immntis similia . non extra jus doniiniumque nosiri sunl. Aliud aspicc , el dis- tributis rem oftlciis , tractas. Non magis auteni facile est scirc qnid possint, quam dubilari débet, an possinl. XXXIII. Nunc ad fulmina reverlamur, quorum ars in tria ditidilur; quemadmodiun exploremus, qiiemad- niodiim interprctcmur, qncmadmodiim exorcnuis. Prima pars ad formulant s|>ectal ; secunila , ad divinationem ; tertia, ad propitiandos deos, qiios txina rogare oportet, mala depreciri. Kiigaie, ut proniissa firmcnt; depre- cari , ut remiltant minas. 421 SËNEQUE. les biens, d'écarter les maux, c'est-à dire de coq- prédit la vériié, uucoupilefoujrc icduiselontau (irmer leurs promesses on de reliror leurs me- néant et obtienne exclusivement foi, on a tort. '"ices. l'ourquoi? Parce que peu importe le nombre des XXXIV. On attribue à la foudre une vertu sou- auspices : le destin est un ; s'il a été bien inler- veraine, parce que tout autre présage est annulé prêté par un premier auspice , un second ne peut des qu'elle intervient. Tous ceux qu'elle donne rien détruire, puisque c'est la même cliose. En- sont irrévocables, et ne peuvent être modifiés par i core une fois, il est indifférent que ce soit le mon e aucun autre signe. Tout ce qu'on peut voir de présage ou un autre qu'on interroge, dès qu'on raeniiçant dans les entrailles des victimes, dans l'iiilerroge sur la même cliose. le vol des oiseaux, la foudie propice l'efface; tan- : XXXV. La foudre ne peut changer le destin. dis que rien de ce que la foudie annonce ne sau- ' Comment cela? C'est qu'elle-même fait partie du rait être démenli ni par le vol des oiseaux, ni par destin. A quoi donc servent les expiations et les les entiailli's des victimes. Ici la théorie nie seni- 1 sacrifices , si les deslios sont immuables? Permet- tez-moi de défendre la secte rigide des philosophes ble en défaut. Pourquoi? Parce qu'il n'y a rien de plus viai que le vrai. Si les oiseaux ont prédit l'avenir, il est impossible que cet auspice soit neu- tralisé par la foudre ; ou , s'il peut l'être , c'est qu'ils n'ont pas prédit l'avenir. Car ici ce n'est pas l'oiseau et la foudre, ce sont deux signes de vérité que je compare; s'ils prophétisent vrai lous les deux , l'un vaut l'aulrc. Si donc l'intervention de la foudre ruine les Indications du sacrificateur ou de l'augure, c'est qu'on a mal inspecté les en- trailles, mal observé le vol des oiseaux. Le point n'est pas de savoir lequel de ces deux signes a le plus de force et de vertu; si tous deux ont dit vrai . sous ce rapport ils sont égaux. Que l'on dise : La flamme a plus de force que la funiée , on aura raison ; mais , -comme indice du feu , la fumée vaut la flamme. Si donc on entend que chaque fois que les victimes annonceront une chose et lu foudre une autre, la foudre doive obtenir plus de créance, peut-être en demeurerai-je d'accord; mais si l'on veut que, les premiers signes ayant qui excluent ces céiémoiiies, et ne voient, dans les vœux qu'on adresse au ciel, que la consolation d'un esprit malade. La loi du destin s'exécute se- lon d'autres voies; nulle prière ne le touche, il n'est pitié ni recommandation qui le fléchisse. Il maintient irrévocablement son cours ; l'impulsion première continue jusqu'au terraeassigué. Comme l'eau rapide des torrents ne revient point sur elle- même, ne s'arrête jamais, parce que les flots qui suivent précipitent les premiers; ainsi la chaîne des événements obéit "a une rotation éternelle, et la première loi du destin c'est de rester fidèle 'a ses décrets. XXXVI. Que comprenez- vous, en effet, sous ce mot destin? C'est , selon moi , l'universelle né- cessité des choses et des faits, que nulle puissance ne saurait briser. Croire que des sacrifices, que l'immolation d'une brebis blanche le désarment, c'est méconnaître les lois divines. Il n'y a pas jus- qu'au sage dont la décision , vous le dites, ne soit XXXIV. Sumniam esse yim fulminuin jiidicant , quia quidquid alla porlendunt, interventus fulminis tollil. Quidquid ablioc porlendilur, Ihum est, iicc allerius os- tenli siguificalloiie iiiinuitur. Quidquid e\{i\, quidquid aves niinalmnlur, secuailo futmiue abotebilur. Qu'dquid fulmiue denun.ialuin est, uec exlis, ucc ave contraria refellitur. Iii que mibi fitli vidcutur. Quare? quia vero verius niliil est. Si aves fuliira cccim'runt, non potest licc auspicium futiiiiiic irritum fieri; aut, si potest, non fu- tiira ceciuere. ÎSoii enini nuuc aveni comparu et futmeu, sed duo vcri signa ; quœ si vcrum significant, paria sunl. Ilaque si fulniiuis interventus sulunovct exloruni vel au- guruni julicia , maie inspecta exia, mate observata augu- ria sunt. Non enini refert, ulrius rei major potentiorve uatura sit; si utraque res veri atlutit signuni , quantum ad hoc , par est. Si dcas, llanim.e viin inajorein esse, quam funii , non mentieris; sed ad indicandum igueni , idem valet flamma , quod tumus. Ilaque si boc dicuut , quolies exta aliud significabunt , aliud fulmina , fulminuni erit auctoritas major , fortasse conseutiam ; sed si boc litcunt, quamvis altéra signa vinini pra-diierint , iulmi- uis ictus priora delcvit, et ad se Gdeu traxit, falium est. Quare? quia niiiit iu'.crcst, qnani mulla auspicia sint; fatum unum e.st; quod si bcne primo ausplclo intellec- luin est, secundo uou lulert; idem est. lia dico, non refert, idem an aliud sit, per quodquiErimus; quoniam, de quo qua?rimus, idem est. XXXV. Fatum fulmine mulari non potest. Qnidm? Nam fulmen ipsumfati pars est. Quid ergo? expiationes procurationesque quo pertinent, si immutatiilia sunt laia? Permiile mihi iltam rigidam seclam tueri eorum, qui excipiunt ista , et nihil ^liud esse eiistimant vota, quam jegra; mentis solatia. Aliter jus suum peraguui , uec ulla commoventur prece , non misencordia lltctun- lur, non gratia. Servant cursuin irrevocabilcm ; iagesta ex dcstinato Uuunt. Quemadmodum rapidorum aqua tor- rentium in se non recurril , uec uioralur quidem , quia priorem supcrvcniens pra?cipitat ; sic ordinem rerum fat! a'terna séries rolat , cujus haec prima lei est, stare de- creto. XXXVI. Quid enim inleltigis fatum? Existimo neces- siLiteui rerum omnium aciionuiiiqne, quam nulla vis rumpat. ILinc si sacriDciis , et capilc niveie agns eiorari juJicas, diviua non notti. Sapicu.is quoquc v iri senteu.- QUESTIONS NATURELLES. *2S immuable ; que sera-ce de Dieu? Le sage ne sait ce qui vaut le mieux qu'à l'inslant présent; mais tout est présent pour la divinité. Néanmoins je veux bien ici plaider la cause de ceux qui estiment que l'on peut conjurer la foudre, et qui ne dou- tent point que les expiations n'aient quelquefois la vertu d'écarter les périls, ou de les diminuer, ou de les suspendre. XXXVI! . Quant aux conséquences de ces prin- cipes, je les suivrai plus tard. Pour le moment, un point commun entre les Étrusques et nous , c'est que nous aussi nous pensons que les vœux sont utiles, sans que le destin perde rien de son action et de sa puissance. Car il est des chances que les dieux immortels ont laissées indécises, de telle sorte que pour les rendre heureuses, quel- ques prières, quelques vœux sufflsent. Ces vœux alors ne vont pas à l'encontre du destin, ils entraî- nent dans le deslln même. La chose, diles-vous, doit ou ne doit pas arriver. Si elle doit arriver, quand même vous ne formeriez point de vœux , elle aura lieu. Si elle ne doit pas arriver, vous auriez beau en former, elle n'aura pas lieu. Ce dilemme est faux; car voici, entre ces deux ter- mes, un milieu que vous oubliez, savoir, que la chose peut arriver si l'on forme des vœux. Mais, dit-on encore, il est aussi dans la destinée que des vœux soient ou ne soient pas formés. XXXVIII. Quand je donnerais les mains "a ce raisonnement et confesserais que les vœux eux- mêmes sont compris dans l'ordre du destin, il s'ensuivrait que ces vœux sont inévitables. Le destin de tel homme est qu'il sera savant, s'il étu- die ; mais ce même destin veut qu'il étudie • donc il étudiera. Un tel sera riche , s'il court la mer; mais cette destinée , qui lui promet des trésors , veut aussi qu'il coure la mer : donc il la courra. J'en dis autant des expiations. Cet homme échap- pera au péril, s'il détourne par des sacrifices les menaces du ciel ; manil est aussi dans sa destinée défaire ces actes expiatoires; aussi les fera-l-il. Voil'a , d'ordinaire, par quelles objeclions on veu^ nous prouver que rien n'est laissé 'a la volonté humaine , que tout est remis à la discrétion du destin. Quand cette question s'agitera, j'expli- querai comment , sans déroger au destin , l'homme a aussi son libre arbitre. Pour le présent, j'ai ré- solu le problème de savoir comment , le cours du destin restant invariable, les expiations et les sa- crifices peuvent conjurer les pronostics sinistres, puisque , sans combattre le destin , tout cela ren- Iredans l'accomplissement de ses lois. Mais, direz- vous, 'a quoi bon l'aruspice, des que, indépendam- ment de ses conseils, l'expiation est inévitable? L'aruspice vous sert comme ministre du destin. Ainsi la guérison , quoique annoncée par le destin, n'en est pas moins due au médecin , parce que c'est par ses mains que le bienfait du destin nous arrive? XXXIX. Uy a trois espèces de foudres, audiredc Cœcinna : les foudres de conseil, d'autorité, et les foudres de station. La première vient avant l'évé- nement, mais après le projet formé ; ainsi, lorsque nous méditons une action quelconque , nous som- mes déterminés ou détournés par un coup de fou- dre. La seconde suit le fait accompli, et indique tiam negatis posse mulari. Quanlo magis Dei? quuni sa- piens quid sit optioiuni io prxsentia sciât, illiusdiTiDi- lati omoe prieseosMt. Agere lainen duqc eorum volucau- tam , qui procuranda ciistimaat fulniiua , et cxpiatiunes non dubitaot prodesse, aliquaado ad suhmoTeuda i>cri- cula, aliquaado ad levanda, aliquaado ad differcoda. XXXVII. Qaid tit quod sequitur, paulo post prosc- quar. laterlni hoc habent cuDimuae aolii.scum , quod oos qunque eiislimamus Tota proHcere , salva vi ac putc&bitc falorum; quxdain euini a diis immortalibus ita suspeasa relicta suât , ut in bonum vertaat, si admotx diis precrs fueriat, si vota suscepla. Ita aoo est boc coolra fatum, scdipsum quoque io tato est. .\ut futuruiii, iaquit, est, «ut noa. Si Tuturum est, ctiamsi oon susceperis voti , flci. Si non est futoruin , etiaiiisi susceperis \ola, non (iet. Falsa est isia interrogatio ; quia illam mediam inter ista exccptiocem pra-teris. Futuruni , inquam , boc est , sed si vota suscepta fuerint. Hoc quoque necesse, iiiquit, est , falo conipretieosum sit , aut suscipias vota , aut niin. XXXVIII. Puta me tibi munus dare, et faleri hoc i;uoq>:e fato esse compreheDium , ut utique fiant vota ; i.leo fieut. Fatum est, ut hic disertus sit, scd si literas didiccrit; ab codem fato coatinetur, ut lilcras discal; ideo riiscel. Ilic dives erit, scd si navigaTcril. At in illo taii ordiue, quo patrimoniura illi grande piomitlitur, hoc quoque prnlinus ad fatum est, ut nagivet; ideo na- vigabil. Idem dico libi de eipiationihus. Effugiet pcricula, si expiavei'it pra>diclas divinilus nu'uas. At boc quoque iu fato est, ut expict; ideo expiabit. Ista nobis opponi soient , ut probelur nihil Toluutati nostrx reliclum , et omnc jus f.ito Iraditum. Quum de ista re agetur, dicam quciiiadmodum , maoeute falo, aliquid sit in homiais ar- bitrio. Nunc vero id de quo agitur , eiplicavi , quouiodo , si fati certus est ordo, cipiationes procura lioaesque pro- digiorum, pericuta aTerlant; quia cum faloDoo puguant, scd ipsa tcge Tali fiuat. Quid ergo , inquis , aruspei mihi prodcst? Utique cnira eipiare, etiam mm suadente illo , mihi necesse est. Hoc prodest , quod fati minister est. Sic quum sanitas videatur esse de fato.debetur et nie- dico, quia ad nos bcneficium fati per hujus nianus venit. XXXIX. Gênera futmiuum tria esse ait Ciecinna : con- siliariuui, auctoritatis, et quod stitus dicitur. Coosilia- rium ante rem lit, sed post cogitationem; quum aliquid ia animo versanlibus, autsuadetur rulminisiclu, aut dis suadclur. Auclorilatis est , ubi piisl rem factam venit , (juani booaui fortunam malauivc significat. Status est, ubI 420 SElN'flQUE. s'il est propice ou funeste. La troisième survient à riiomme en plein repos, qui n'agit ni ne projette aucune action; celle-ci menace, ou promet, ou avertit. On l'appelle admonitrice; mais je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas la môme que la foudre de conseil. C'est un conseil aussi que l'ad- monition ; toutefois il y a quelque nuance , et c'est pourquoi on les distingue. Le conseil engage ou dissuade; l'admonition se borne à faire éviter un péril qui s'avance, quand, par exemple, nous avons h craindre un incendie, une trahison de nos proches, un complot de nos esclaves. J'y vois encore une autre distinction : le conseil est pour l'homme qui projette; l'admonition pour celui qui n'a nul projet. Les deux faits ont leur carac- tère propre. On conseille celui qui déj'a délibère, on avertit spontanément. XL. Disons tout d'abord que les foudres ne dif- fèrent point par leur nature , mais par leurs signi- fications. Il y a la foudre qui perce, celle qui ren- verse , celle qui brûle. La première est une flamme pénétrante, qui s'échappe par la moindre, issue , grâce à la pureté et à la ténuité de ses éléments. La seconde est roulée en globe et renferme un mélange d'air condensé et orageux. Aussi , la pre- mière s'échappe et revient par le trou par où elle est entrée. La force de la seconde, s'élendant au large, brise au lieu de percer. Enfin, la fou- dre qui brûle contient beaucoup de particules terrestres; c'est un feu plutôt qu'une flamme : c'est pourquoi elle laisse de fortes traces de feu empreintes sur les corps qu'elle frappe. Sans doute le feu est toujours inséparable de la foudre ; mais on appelle proprement ignée celle qui imprime des vestiges manifestes d'embrasement. Ou elle brûle, ou elle noircit. Or, elle brûle de trois ma- nières : soit par inhalation , alors elle lèse ou en- dommage bien légèrement; soit par combustion, soit par inflammation. Ces trois modes de brûler ne diffèrent que par le degré ou la manière. Toute combustion suppose ustion ; mais toute ustion ne suppose pas combustion, non plus que tonte in- flammation ; car le feu peut n'avoir agi qu'en pas- sant. Qui ne sait que des objets brûlent sans s'enflammer, tandis que rien ne s'enflamme sans brûler? J'ajouterai un seul mot : il peut y avoir combustion sans inflammation, tout comme l'in- flammation peut s'opérer sans combustion. Xl.l. Je passe à cette sorte de foudre qui noircit les objets qu'elle frappe. Par l'a elle les décolore ou les eolure. Pour pi éciser la différence , je di- rai : Décolorer , c'est altérer la teinte sans la chan- ger : colorer , c'est donner une autre couleur ; c'est, par exemple, azurcr, noircir ou pâlir. Jus- qu'ici les Etrusques et les phi!oso[;hes pensent de même ; mais voici le dissentiment : les Etrusques disent que la foudre est lancée par Jupiter, qu'ils arment de trois sortes de carreaux. La première, selon eux , est la foudre d'ayis et de paix ; elle part du seul gré de Jupiter. C'est lui aussi qui en- voie la seconde , mais sur l'avis de son conseil , les douze grands dieux convoqués. Cette foudre salutaire, ne l'est pas sans faire quelque mal. La troisième est lancée par le même Jupiter, mais après qu'il a consulté les dieux qu'on nomme su- périeurs et enveloppés. Celte foudre ravage, en- quletis, nec agentibus quidquam , nec cogitantibus qai- deni , fulmen intervenit. Hoc aut minatur, .nul promit- tit, aut raonet. Hoc monitoriuin vocat; sed nescio quare non idem sit , quod consiliariiim. Nam et qui iiionet, con- silium dat; sed lialjct allquani dislinctionem. Ideoqiie separatur a consiliario, quia illud suadet dissuadctijue , hoc soluin impendentis periculi evitatioiiem conlinet; ul, quuin tiinenius ignera aul fraudeni a proximis , aut insi- dias a servis. Eliamnunc tanien aliam dislinctionem ntriusque video; consiliarium est, quod cogilariti factura est; raonitorium, quod niliil cogitanli. Habet autem utra(|ue res suam proprietatem. Suadelur delibcrantibus; at ullro monentur. XL. Primo omnium non sunt fulminuin gênera , sed sigDincationum. IVam fulminnm gênera suut illa, quod lerebrat , quod discutit , quod urit. Quod terebrat , sut)- tile est et (lammeum , oui per angustissimum fuga est , «b sinceram et puram flauimic tenuilatem. Quod dissi- pât, conglobalum est, et hatiel ndmixtam \im spiritus coacti et procellosi. Itaque illud fuliuen per id foramen , quod ingressum est, ri'ditetevadit. Hujus latesparsa vis rumpit icta , non perforât. Tcitiuni illud genus , quod toit, multum terrent liatiet, et igneuni magis est quam Oiniineum. Itaque relinquit magnas igniuni notas, quae percussis inhaereant. Nnllum quidem sine igni fatmen venil ; sed tioc proprie igneum diciinus , quod manifesta ardoi'is vesligia imprimit. Quod ant urit, aut fnscat. Tribus modis urit; aut eniiu afllat, et leni injuria \sà\t, aut couibuiit, aut accendit. Omnia isla urunt, sed gé- nère et modo differunt. Quodcunque combustum est, uli- que et ustum est. At non omne quod ustum , utique et comliustum est. Item quod accensum est ; potest eotm illud ipso transitu ignis ussisse. Quis nescit uri quid , nec ardere, nihil autem ardere, quod non uratur? Unuin hoc adjiclam. Polest aliquid esse eombus;um, quod no8 sit accensum ; potest accensum esse, nec combustum. XLl. iSunc ait id Iranseo genus fulminis , que icta fu»- cantur. Hoc aut décolorât, aut colorât. TJtriqiie distinc- tioneni suam reddam. Decoloratur id , cujus color vilia- lur , non mutatur. Coinratur id , cujus alla fit quam fuit faciès ; tanquam carutea , vel nigra , vel pallida. Haec ad- huc Etruscis et pbilosopbis communia sunt. In illo dis- sentiunt , quod fulmina riicunt a Jove mitli , et très illi manubias dant. Prima, ut aiunt , monet, et placata est, et ipsius consilio Jovis mittitur. Secundam mittil quidem Jupiter, sed ex consilii sentoutia; duodecim eoim deos advocat; qux prodest quidem, sed non impuae.Tertiani manubiani idem Jupiter mittit ; sed adbitniis in consUiiim QUESTIONS globe et dénature impitoyablement tout ce qu'elle rencontre, choses publiques ou privées. C'est un feu qui ne laisse rien subsister dans son premier état. XLII. Ici, si l'on ne veut point considérer le fond des choses, l'antiquité se serait trompée. Car quoi de plus absurde que de se figurer Jupiter, du sein des nuages, foudroyant des colonnes, des arbres, ses propres statues quelquefois; lai.ssant les sacrilèges impunis, pour frapper des moutons, incendier des autels , tuer des troupeaux inoffen- sifs, et enfin prenant conseil des autres dieux, comme incapable de se consulter lui-même? Croi- rai-je que la foudre sera propice et pacifique, lancéepar Jupiter seul, etfunesie, quand c'estl'as semblée des dieux qui l'envoie? Si vous me de- mandez mon avis, je ne pense pas que nos ancê- tres aient clé assez stupides pour supposer Jupiter injuste, ou, pour le moins, impuissant. Car de deux choses l'une : en lançant ces traits qui doi- vent frapper des têtes innocentes, et ne point toucher aux coupables, ou il n'a point voulu mieux diriger ses coups, ou il n'y a pas réussi. D'après quel principe ont-ils donc émis cette doc- trine? C'était comme frein 'a l'ignorance, que ces sages mortels ont jugé la crainte nécessaire; ils voulurent que l'homme redoutât un être supé- rieur à lui. Il était utile , quand le crime porte si haut son audace , qu'il y eût une force contre la- quelle chacun trouvât la sienne impuissante. C'est donc poureffrayer ceux qui ne consentent "a s'abs- tenir du mal que par crainte, qu'ils ont fait planer sur leur tête un Dieu vengeur et toujours armé. NATURELLES. 427 XLIII. Mais ces foudres qu'envoie Jupiter de son seul mouvement, pourquoi peut-on les con- jurer, tandis que les seules funestes sont celles qu'ordonne le conseil des dieux délibérant avec lui? Parce que si Jupiter, c'est-à-dire le roi du monde, doit 'a lui seuj faire le bien , il ne doit pas faire le mal sans que 'l'avis de plusieurs ne fait décidé. Apprenez, qui que vous soyez, puissants de la terre , que ce n'est pas inconsidérément que, le ciel lance ses feux; consultez, pesez les opi- nions diverses, tempérez la rigueur des sentences, et n'oubliez pas que, pour frapper légitimement, Jupiter lui-même n'a point assez de son autorila propre. XMV. Nos ancêtres n'étaient pas non plus as- sez simples pour s'imaginer que Jupiter changeât de foudres. C'est la une idée qu'un poète peut se permettre : II est un foudre cncor, plus li'ger et plus doux , Mole de moins de ilanime et de moins de courroux . Les dit'ux l'uni appelé le foudre favorable. Mais la profonde sagesse de ces hommes n'est point tombée dans l'erreur qui se persuade que parfois Jupiter s'escrime avec des foudres de légère por- tée : ils ont voulu avertir ceux qui sont chargi-s de lancer la foudre sur les coupable» , que le môme châtiment ne doit pas frapper toutes les fautes; qu'il y a des foudres pour détruire , d'autres pour toucher et effleurer, d'autres pour averlir par leur apparition. XLV. Ils n'ont pas même cru que le Jupiter adoré par nous au Capitole et dans les autres temples, fût celui qui lançât la foudre. Ils ont re- dits , qam (operiores et involutns vnrant. Quae vastat et includit, etiDique mutât stalum privatum et publicum, qnem invenil. Ignis enim nibil esse, quod sit, patilur. XLII. In his, prima specie si intueri Tels, errât an- tiquilas. Quid enim tam imperitiim est , quani credcrc (élimina c nubilms Jovem mitlere , columnas , arbores , statuas suas nonnanijuam pelere, ut, impunitis sacrile- pis. percuss'S oïilms, inccn»is aris, pecudes innosias feriat, et ad suum consilium a Jove dens , quasi in ipso parum consilii sit , adrocari ; illa laeta et placala e>se ful- mina , qus solus eiculiat; perniciosa, quibus mitteudis najor numinum tnrba intorfuit ? Si quîeris a me , quidam admoveri. XLV. >'e hoc quidem crediderunt , Jovem, qualem in CaDitolio et in ccteris aedibus colimus, mittere manu fui- 428 connu le môme Jupiter que nous , le gardien et le modérateur de l'univers dont il est l'âme et l'esprit , le maître et l'architecte de cette création, celui enfin auquel tout nom peut convenir. Vou- lez-vous l'appeler Destin? Vous ne vous tromperez pas ; de lui procèdent tous les événements, en lui sont les causes des causes. Le nommerez-vous Pro- vidence? Vous aurez encore raison. C'est sa pré- voyance qui veille aux besoins de ce monde, h ce que rien n'en trouble la marche, et qu'il accom- plisse sa tâche ordonnée. Aimez-vous mieux l'ap- peler la Nature? Le mot sera juste; c'est de lui que tout a pris naissance ; il est le souffle qui nous anime. Voulez-vous voir en lui le monde lui- même? Vous n'aurez pas tort; il est tout ce que vous voyez, tout entier dans chacune de ses parties, et se soutenant par sa propre puissance. Voil'a ce que pensaient , comme nous , les Etrus- ques; et s'ils disaient que la foudre nous vient de Jupiter, c'est que rien ne se fait sans lui. XLVI. Et pourquoi Jupiter épargne-t-il parfois le coupable, pour frapper l'innocent? Vous me jetez la dans une quesiion trop importante; ce n'est ni le lieu, ni le moment de l'examiner. Je réponds seulement que la foudre ne part point de la main de Jupiter, mais qu'il a tout disposé de telle sorte que les choses mêmes qui ne se font point par lui , ne se font pourtant pas sans raison, etque cette raison vient de lui. Les causes secondes agissent, mais par sa permission; bien que les faits s'accomplissent sans lui, c'est lui qui a voulu qu'ils s'accomplissent. Il ne préside pas aux dé- tails ; mais il a donné le signal , l'énergie et l'im- pulsion à l'ensemble. SENÉQUi:. XLVII Je n'adopte pas la classification de ceux qui divisent les foudres en perpétuelles, détermi- nées ou prorogées. Les perpétuelles sont celles dont les prono.'i odoreni sulpburis esse certum est; qui quia nalura gravis est , sa;pius haustus aliénât. Sed ad hoc va- cui rcvertemur. Fortasse enim libebit ostendere , quan- tum oninia ista a pbilosopbia artiuiu parente fluxere. llle prinmm et qua^sivil causas rerura.et observavit effectus; et quod fulminis inspectione longe melius est, initiis re- rum exilus contulit. LIV. Nunc ad opinioncm Posidonii revertar. E ferra lerrenisque omnibus pars humida efilatur . pars sicca et fumida. lleman«t ba.'c, fulminibus aliiiieutum est; illa imiiribus. Quidquid iu aéra sicci fumosique pervenit, id includi se nubihus non fort, sed rumpit claudentia. Inde est sonus, quem nos tonitruum vocanius. In ipso quoque aère quidquid allenuatur , simul siccatur et calet. Hoc quoque si inclusum est , aeque fugam quierit , et cum sono evadit. Et modo universaro erupiionem facit , eoque ve- bementius intonat; modo per partes et miuutatim. Ergo tonitrua bic spiritus exprimit, dum aut rumpit nubei, aut porvolat. Volulaliu autem spirilus, in nul>e conclasi, valentissimnm est accendendi genus. QUESTIONS I,V. Le tonnerre n'est autre chose que le son produit par un air desséché; ce qui n'a lieu que de deux manières , par frottement ou par ex- plosion. La collision des nuages , dit Posiiionitis , produit aussi ce genre de détonation ; mais elle n'est pas complète , parce que ce ne sont pas de ;;randes masses qui se heurtent , iitais des parties délachées. Les corps mous ne retentissent que s'ils se choquent contre des corps durs; ainsi les (lots ne s'entendent que lorsqu'ils se brisent sur la place. Objeciera-t-on que le feu plongé dans l'eau sifOe en s'cteignant? Quand j'admettrais ce fait, il serait pour moi ; car ce n'est pas le feu qui rend un son , c'est l'air qui s'échappe de l'eau où s'éteint le feu. En vous accordant (|ue le feu naisse et s'éteigne dans les nuages, toujours nait-il de l'air et du frottement. Quoi! dit-on, ne se peut-il pas qu'une de ces étoiles lilaniesllar, non po- tert. Et si collirfuntur, inqait, nnbes inti'r se, lit is i|UPin dcsideras ictus , scd non univcrsus. Neijue enim inia lo is coocurruirt, sed partilms parles. Ncc simaul ni illla, niii illiia dnris tint. lta>|ue non audilui- Ouclus, nisi iiiipac- ta.s. Iziiis, iriqait, niissus ia aquam , sonat, dum cxslin- gallur. Puta iLa esse ; pro me est. >"on e 'im ignis tune soDum (>rriclt, sedspiritus per eislingu'niia elTugicns. Ut deni tibi , et fieri i|;npm in nul)e et eiîliugui , e spirilu nnscitur et atlrilu. Qiiid ergo? inquil; non polest aliquj tihii Iranscurreulilius stellis incidere in nubeiu , et ex- ttingui? Existimemus pos.se aliquaiidn et hoc fieri. >unc n.i'uralemraasam qu!crinius et a.ssiduani, non rar;im et forluilam. Puta nie conrurri verum esse , <|uod dicis, ali- quando post tonitrua emicarc igncs, stellis transTersis et caderitihns siniiles. Non ob hoc toniirua fada sunt, scd quum hoc Herel , tonitrua facta sunt. Clldemus ail , ful- gurationem speciem inanem esse, non ignem. Sic enim pcr nuctem splendorem motu rcmomm videri. Disaimile eit cxeniplum ; illic enim splendor inlra iptam aquam ap- par, t; hic qui fit in acre, eruwpit et exsilit. LVI. Heraclilus eiisliinat fulsuratioiiem esse velut apud nos iiicipientiuni igiiimn ronalus , et primum flani- niani incertain, nio cties, que la nature a créés pour la fuite, quand toute issue leur est fermée , tvuteut le combat malgré leur irapuissaiicc. Il n'est point de plus terrible ennemi que celui qui doit son audace à l'impossibilité d'échapper ; la nécessité provoque toujours des efforts plus irrésistibles que la valeur seule. Il se surpasse, ou du moins il reste l'égal de lui-mt'me, l'iiommede cœur qui voit lout per- du. Campés en présence de la mort , tenons-nous pour trahis, et nous le sommes : oui, Lucilius, nous lui sommes tous promis. Tout ce peuple que vous voyez , tout ce que vous imaginez d'hommes vivants sur ce globe, sera tout "a l'heure rappelé par la nature et poussé natura ad Tug^m geniiit . ubi exitus mm patet, tcniant fugajii corpore iiiiljclli. Nullus pcrijcioiior llo^ti.s est, quam queoi aiidacem angustia; f.iciuiit ; longoqiic violeu- tiussemper ex iieccssitale , qii.im ex virtute corruilur. Majora , aut ccrte paria conattir aiiimiis niagiius ac per- dilus. Cdgilcmus nos, (juaiituni ad iiiortem , prodilos »-s«i;ct siinms lia est, Lucili. O es resrrvanmr ad mortem. Totuin huoc qucm vides populuni, quos usquain cogitas es>e, cito nstura rcvocaliil e: con ci ; ncc de re , •ed de die queritur. Eodem cilius tardiusvc venicndiim est. Ouid ergo î >on tihi timidis iinus oimiiuin vidctur , et insipientissimus, qui mjguoanil)i.u rogat niorani iiior- tis? Nonoecoatcnmerescuni, qui inter piiilnros coiisli- lulus, benellcii loio petcrel, ut ultimus ccr;iceiii pra hc- ret? Idem facimus. Magno asiiuiamus uiori taidius. Id omues constituium est capilale supplitium, et quideui constitulione juslissima. Nam , quod maximum solul esse •olaUum eitreraa passuris, qu:xum eadcm c.iusa, sors eadem est. Sequereinur tradlii aj.idice aut magislratu , cl carninti uostro prœslaremu» obsequiuui ; quid inler- est , utrum ad mortem jussi eamiis, an ullronei?Ote dtmeuteiu, et ol>lilum fragililaiis tua: , si timc mnrlcm times, quum lonat ! Itiincsalusiua in hoc vortiiur? Vives, si lulmcn effugeris? Petet te gl i.lius , potet lapis, petet fcbris. Non maximum ex periciilis , sed spedosissimum fulmcu est. Maie scilicct ci il acium tcctuu, si scnsuni mortis tua; celerilas iufiuita pra^vciicrit , si mors tua pro- cuiabitur, si ne lune quiiicm c|uum exspiias, superva- ciius , sed alicujus niagiu'c rei siguuni es. Maie scilicct If.- cum agitur,sicum fulmine condoris. .Sed pavescis aj cipli Iragori'in, et ad inanc niibilujii trépidas, et qnoties aliquid ( nuisit, cispiras. Quid ergo? boueilius judicas dcjeclionc aoiiiil perirc quam fulmine? Eo ita pie forlior adversus cirli minas surgc, et (piimi mumius undique evarscrit, cogila te nihit liaticre de tanta mole perdeu- dum. Quml si titii paraît credis itlam cœli coufusiiiuem , illam tempeslatum discordiam, si propler te ingeslie il- lisaqiip uuties sirepunt, si in tuum c\i.ium taula vis ig- niiim Cïculilur; al tu solatii loco numera tanti esse mor- tem tuam I Sed nou erit tmic cogitatioui locus. Casiis isle donat nulum. ¥M inter cèlera quoquc hoc commodura ejus, quod exspeciationem luaiii anlecedit. Nemounquam tulmen timuit, nisi qui effugit. 454 SÉN LIVRE TROISIliME. PREFACE. Je n'ignore pas , mon excellent ami , de quel vaste édiOee je pose les fondemenis, à mon âge, moi qui veux parcourir le cercle de l'univers, et découvrir les principes des choses et leurs secrets, iwur les porter a la connaissance des hommes. Quand ponrrai-je mctlre à lin tant de recherches, réunir tant de faits épars , pénétrer tant de mys- tères? La vieillesse est la q.ui me presse et me re- proche les années sacrifiées à de vaines études ; nouveau motif pour me hâter et pour réparer par le travail les lacunes d'une vie mal occupée. Joignons la nuit au jour, retranchons des soins inutiles ; liissons là le souci d'un patrimoine trop éloigné lie son maîlre; que l'esprit soit tout a lui-même et h sa propre élude , et qu'au moment où la fuite de l'âge est le plus rapide, nos regards se repor- tent du moins sur nous. Eh bien I oui : telle sera ma tâche assidue, et je saurai mesurer chaque jiiur la briévelé du temps. Tout ce que j'ai perdu peut se regagner par l'emploi sévère du piésenl. Le plus Adèle ami du bien, c'est l'homme que le repentir y ramène. Volontiers, m'écrierai-je avec un illustre poète : Un noble but m'enflamme, et pour mon œuvre immense Je n'ai que peu de jours Ainsi pîrlerais-je, môme adolescent ou jeune en- core , car il n'est si long avenir qui oc soit trop court pour de si grandes choses. Mais cette car- rière sérieuse, difficile, infinie, c'est après le ÉQUE. midi de ma vie que je l'ai abordée. Faisons ce qu'on fait en voyage ; parti trop lard, on rachète le délai par la vitesse. Usons de diligence , et ce travail déjà si grand , qui restera inachevé peul/- être , poursuivons-le sans donner notre âge pour excuse. Mon âme s'agrandit en présence de son en- treprise gigantesque ; elle envisage ce qu'elle doit faire encore , et non ce qui lui reste de vie. Des hommes se .sont consumés 'a écrire l'histoire des rois étrangers, 'a raconter les maux que les peu- ples ont faits ou soufferts tour a tour. Combien n'est-il pas plus sage d'étouffer ses propres pas- sions, que de raconter a la postérité celles des au- tres? Combien ne vaut-il pas mieux célébrer les œuvres (le la divinité, que les brigandages d'un Philippe, d'un Alexandre et de leurs pareils, fa- meux par la ruine des nations, fléaux non moins funestes 'a l'humanité que ce déluge qui couvrit toutes les plaines, (|ue cet embrasement général où périrent la plupart des êtres vivants? On sait nous dire comment Annibal a franchi les Alpes ; comment il a porté en Italie une guerre imprévue, que les malheurs de l'Espagne rendaient encore plus reiloulablo; comment, acharné contre les Romains, après ses revers , après la ruine de Car- tilage, il erra de cour en cour, s'offrant pour gé- néral , demandant une armée et ne cessant , mal- gré sa vieillesse, de nous chercher la guerre dans tous les coins du monde ; comme s'il eût pu se résigner 'a vivre sans patrie, mais non sans enne- mis. Ah ! plutôt enquérons-nous de ce qui doit se faire , au lieu de ce qui s'est fait , et enseignons aux hommes qui livrent leur sort h la fortnne, LIBER TEKTIUS. Non pr.Tterit me, Lucili virorum oplime, quaui niag- naruin rcrum fuudamenta poiiam scnex , qui iiiunduni l'iiciiire onslitui, et causas secretaque ejus eruere , at- que aliis nosccnda prodere. Quando tam niulta conse- «luar, tam spaisacolligam, tam occulta perspiciam? Pre- luit a tergo sencctus , et objicit annos inicr vaiia studia consumiis; tantoniagis uigeamus, et damna a'iatis maie eiemt£E labor sarciat. Nox ad diem accédât; occupatio- nes recidanliir; palrimonii longe a domino jacenlls cura solvalur; sibi tolus animus vacet, et adcoiitemplationem sui sallem in ipso fuga; impetu respiciatl Faciet, ac sibi iiistabit, et quotidicbreTitatem temporis mctietur. Qnid- (|uid amissum est, id diligenti usu praesentis vila; rccol- liget. Fidelissimus est ad lioncstae.x pivnitetilia transitus. Libel mihi exclamare illum poeta; inclyti versum : Tollimns insentps animos , at maxima parvo Teinpure molimnr. lioc dliercm, si puur juTenisvc moliier. Nulliim enini non tam magnis rclius tempiis angnstuin csl. >"iinc vero ad rem seriam , gravem , immensam , post meridianas horas accessimus. Faciamus quod in itinere fieri solet. Qui tardiusexiorunt, velocitate pensant moram. Festine- mus , et opus nescio an supcrabile, magnum certe, sine aetatis excusatione tractemus. Crescit animas, qaoliet cœpli magnilndinem attendit, et cogitât, quantum pro- posito , non quantum sibi supersit. Consumsere se qui- dam, dum acia regnni externorum componunt, qnaeque passi invicem ausiqne sunt populi. Quanto satius est sua mala exstinguere, quam aliéna posteris tradere? Quanto potiusdeorum opéra celebrare, quam Ptiilippi aut Aleian- dri latrocinia, ceierorumque, qui exilio gentium dari , non minores fuere pestes mortalium , quam inundatio , qua planum omne perfusum est, quam conflagralio, qua magna pars animanlium exaruit? Quemadmodnm Haii- nibal supepiverit Alpes, scribunt; quemadmoduni con- lirmatum Hispaniae cladibus liellum Italiae iuopinatus in- lulerit; fractisquc rébus etiam post Carthaginem perti- nai, reges pererraverit, contra Romanns ducem se pro- mi tiens, exercitum petens; quemadmoduni non desierit senei omnibus angulis bellum quaerere. Adeo sine pa- tria esse pati pnterat, sine hoste non poterat. Quanto saliu.s , quid facicndum sit, quam quid facîum sit, qu»- QUESTIONS K qu'il n'y a rien de stable dans ses dons, que tous s'échappent plus légers que les vents. Car elle ne sait point se fixer, elle se plaît "a verser les inaui sur les biens, 'a coûfondre les ris et les larmes. Que personne donc ne se fie 'a la prospérité; que personne ne se décourage dans le malheur ; triste ou riant, le sort a ses retours Pourquoi tant d'al- légresse'!' La puissance qui le porte si haut, tu ne fais pas où elle te laissera. Elle ne s'arrêtera pas i Ion gré, mais au sien. Pourquoi cet abattement? Te voil'a au fond de l'abîme , c'est l'heure de le relever. De l'adversité on passe "a de meilleurs destins, et du but désiré 'a un état moins doux. Il faut que ta pensée envisage ces vicissitudes communes et aux moindres maisons qu'un rien fait tomber ou s'élever, et aux maisons souveraines. On a vu des trônes sortis de la poussière dominer les maîtres dont ils relevaient d'abord , et d'anti- ques empires s'écrouler dans l'éclat même de leur gloire. Qui pourrait compter les puissances brisées les unes par les autres? Dans le même moment Dieu fait surgir celles-ci et abaisse celles-l'a , et ce n'est pas doucement qu'elles descendent; il les jette 'a bas de toute leur hauteur, sans qu'il reste d'elles un débris. Grands spectacles, pour nous qui sommes si petits! Car c'est souvent notre peti- tesse, plutôt que la nature des choses, qui nous les fait juger grandes. Qu'y a-t-il de grand ici-iias? Est-ce de couvrir les mers de ses flotles, de piauler ses drapeaux sur les bords de la mer Kc)ugc , et, quand la terre manque 'a nos dévastations, d'errer sur l'Océan a la recherche de plages inconnues? Non : c'est avoir vu tout ce monde par les yeux de l'esprit, et avoir remporté le plus beau triomphe, ATURKLLES, 43') le triomphe sur ses vices. On ne saurait nombrer les hommes qui se sont rendus maîtres de villes, de nations entières; mais combien peu l'ont élc d'eux-mêmes! Qu'y a-t-il de grand ici-bas? C'est d'élever son âme au-dessus des menaces et des promesses de la fortune; c'est de ne rien voir a espérer d'elle qui soif 'digne de nous. Qu'a-t-elle , en effet, qu'on doive souhaiter, quand , du spec- tacle des choses célestes, nos regards retorabanî sur la terre, n'y trouvent plus que ténèbres , comme quand on passe d'un clair soleil 'a la som brc nuit des cachots? Ce qu'il y a de grand , c'est une âme ferme et sereine dans l'adversité, qui aa-epte tous les événements comme si elle les eût désirés ; et ne devrait-on pas les désirer, en effet, si l'on savait que tout arrive par les décrets do Dieu? Pleurer, se plaindre , gémir, c'est être re- belle. Ce qu'il y a de grand , c'est que celle âme , forte et inébranlable aux revers, repousse Ips vo- luptés, et même les combalte'a oulrance ; qu'elle ne recherche ni ne fuie le péril ; qu'elle sache se faire son destin sans l'attendre; qu'elle marche au-devant des biens comme des maux , sans trou- ble et sans inquiéiude, et que , ni l'orageuse, ni la rianle forlune ne la déconcerte ! Ce qu'il y a de ):rand , c'est de fermer son cœur aux mauvaises pensées, de lever au ciel des mains pures ; c'est , au lieu d'aspirer 'a des biens qui , pour aller jus- qu'à vous, doiventêlre donnés ou perdus par d'au- tres, prétendre au seul trésor que nul ne vous dis- putera , la sagesse, quant 'a tous ces avantages, si fort prisés des mortels, il faut les regarder, si le hasard vous les apporte, comme devants' échapper par oîi ils sont venus ! Ce qu'il y a de grand, c'est rere, ac doceie eos, qui sua pemiisere fortuDi te relictur.i tint; habcbunt suum , non tuum, flneni. Quid jaces? Ad muin delains es ; nunc est resargendi lucus. In meliiis adversa , in deterios upta:a flectuntur. Iita con- ripieoda est animo varielai , non privalarum tantum do- mnum, quas levii casiis impellit, led etiam pnblicarum. Régna ei inlimo coorta supra imperantes constiterunt. Vetcra imperia in ipso flore cecidcre. Iniri non potcst nunienis, qnam nmlt^ ab aliis fracta sint : nunc cum niaiime Dens alia cialtat, alia submitlit, nec niolliter ponit, sed ei fasligiosuo nullas babilnrareliquiasjactat. Magna ista, quia parvi sumus, credimus. Mullis rébus non ei natura sua , sed ex bumititate nostra , mK^niludo «t Qnid prscipuum in rehus hnmanis est? Non clitsi- bus maria coniplesse , nec in Rubri maris litore signa fliine, nec, déficiente terra, ad injurias aliorum errasse in Oceano, ignota quxrentein ; sed animo omne vidisse , et qua nulla est manr Victoria, viliii doniuissc. Innumeri- biles sunt , qui urbes, qui pdpulos haliuere in polcsUite ; paucissimi , qui se. Quid est pr.Tfipiium? Erigere ani- mum supra minas et pniniissa fortuna-, nihildigniim pu- tare qund speres Quid enim liabet di^num, quod con- cupiscas? qui a diviuorum convrrsationc uuolics ad bu mana recideris , non aliter c- Icm; cetera magno a-stimala mort:!lil)iis, etirmsi qiH» •m. iùb SÉJNÈQLE. «!e voir louiber h ses pieds les liails du sorl; c'est (le se souvenir qu'on est liomnie ; c'est , si Ion est Heureux, de se dire qu'on ne le sera .pas long- temps; uiallieurcux, qu'on ne l'est plus dès qu'on croit ne pas l'èUe! Ce qu'il y a de grand , c'est d'avoir son âme sur le bord des lèvres et prête à partir; on est libre a!ors non par droit de cité, mais par droit de nature. Etre libre, c'est n'être plus csriave de soi ; c'est avoir fui cette servitude de tout instant, qui n'admet point de résistance, qui pèse sur nous nuit et jour, sans trêve ni re- lidie. Qui est esclave de soi subit le plus rude de tous les jougs ; mais le secouer est facile : qu'on ne se fasse plus "a soi-même mille demandes; qu'on ne se paie plus de son propic niiTite ; qu'on se représcnle et sa condition d'bomnie et son âge, fijt-on des plus jeunes; qu'on se dise : Pourquoi tant de folies, tant de faligues, tant de sueurs? Pour(iiioi biiulevcrscr le sol, assiégerlefornm'? J'ai besoin do si peu, et pour si peu de tciiips ! Voil'a à quo> r.ous aidera l'élude de la nature qui, nous arrachant d'abord aux objets indignes de nous, donne ensuite 'a l'âme cette grandeur, celte élé- vation dont elle a besoin, et la sou-trait 'a l'em- pire du corps, lit puis, l'intelligence exercée 'a sonder les mystères des choses ne dégénérera pas dans des (juestions plus simples. Or, quoi de plus simple que ces règles salutaires oii l'IionuDe puise des armes contre sa perversité, contre sa folie, qu'il condaiiine et ne peut quitter. I. Parlons maintenant dos eaux, et cherchons comment elles se forment. Soit, cominc le dit Ovide, Qu'une source limpide cil îlots d'argent s'C'pgaebt} ou, ciimrae dit Virgile. Que dt's niOQls n]iif;i5'Sanlis ÎScur sources à la fois lancent leurs flols puissant». Mer prondante, qui presse uue campagne immense, OU , conuuc je le trouve dans vos écrits mêmes , mon cher Junior, Qu'un lU'UïC de l'Elide en Sicile soil né; par quel moyen ces eaux sont-elles fournies h la terre'? Où tant de (louves immenses alimentent-ils jour et nuit leur cours? Pourquoi quelques-uns grossissent-ils en hiver ; pourquoi d'autres s'en- flent-ils il l'époque où !e plus grand norabie baisse? En allcndant, nous mettrons le Ml hors de ligne , vu qu'il est d'une nature spéciale et exception- nelle; nous ajournerons ce qui le concerne, pour traiter en détail des eaux ordjnaires, tant froides que chaudes, et 'a l'occasion de ces dernières, nous chercherons si files ont une chaleur natu- relle ou ac<|uise. Nous nous occuperons aussi de celles qu'ont rendues célèbres ou leur saveur ou une vei lu qut Iconque. Car il en est qui soulagent les yeux , d'autres les nerfs; il en est qui guéris- sent radicalement des maux invétérés et dont les médecins désespéraient; quehjues-unes cica- trisent les ulcères; cellei-ci, prises en boisson, fortilient les organes intérieurs et adoucissent les affections du poumon et des autres viscè- res; celles-l'a arrêtent les hémorrhagies : el'es sont aussi variées dans leurs effets que dans leurs sa- veurs. H. Les eaux sont toutes ou stagnantes ou cou- don.um cisus alluleril, sic iniueri, quisi exitura, qua vinoritt. Quid est pra'dpuum? Altos supra fortuita spi- rilus atlolliTe : lioniinis nieniiui.vsp, ut, slve felii cris, scias hoc niin fuluruni dm ; siïc iufilix, scias tioc le non rssp, si non putes. Qu'd est pra'cipuun.? iu primis la- liris aiiiiiiani haberc. Ilax rcs cflicit luu cjureQuiri- (ium liticrum, sed e jure nalura-. Lib r aut^'rn est, qui servilutcni cfùigit .•••ui. Ila'c est assidua scrvitus, et ine- luctiii>ilis, et piT dieui ac uocteni a quililrr premens, sine uilcrv.TtIo, sine conniicalu. Sibi scrvirc, gra\issima sertitus est, qua n discutero facile e>t, si dcseris mulla le posccre , si desieris lit i rcferrc niercedein , si aute ocu- los el natur.nm luani posueris cl a'taleni, licet prina sit; ac libi ipse dxeris : Qnid iu^anio ? (|U!d anlu'lo? quid su- do? ipiid lerram verso? qu'd forum viso? Necmulioopus est , ncc diu. — Ad lioc pr.dfiit noliis iuspiccrc rcrum uaturini; primo disccdi'raus a .-.ordid's, deinde animum Ipsum, i!uo nii!;uo suninioqucopiisot, seducenius a cor- porc. Heindc in occuUis exercilala suhlililas non erit iu aperk) de crior. lSil;il autrui c.-^t apcriius his s.lut.iribu.s, qua? cou'rn nrquiliani uosira.m iurorcmque discuutur, quas dauiiianms , nec poninius. l. ()ua>raii;us crgo d aquis, et InTcsligcmus qna ralione fieu!' sivf . ut ail Ovi iiiis. Fous rrjtillimis nitidis argenlens undis : sive, ut ail Virgilius, Und? per ora novem vjsto cuni murmure moutu It mare prxruptum, el pelage premit arva sonanti : sire, ut apud te, Junior carissinie, invenio, EIœus Sicul:s de foatibus exsilit amni.«: qua? ratio aquas subministret ; quomodo tôt flmnina in- g<'utia per diem noctemque decurrant; quare alla hilier- nis aquis intumcscani . alla in defectu ceterorum amnium crescant. ÎSilum intérim scponainus atnrba, propria; na- lura? et singularis : illi diem suuni dabimus: nnnc vul- gares aquas prosequcmur, tam frigidas quam calentcs. In quibus qua-rcndum erit, utrum calidae nascantur, an fiant. Dp céleris qnuque disseremus, quas inignes aut sapor aul aliqua roddit utilitas. Qua'dam cuim oculos , qua-dani ni'rvo.^ juvant, qua-dam i!i\e!erata cl desperala a medici.^ viMa pircuanl. Qua'dam mtdenturulretibns, qua-ilam interiora fovenl po:n, cl puliuoni.« ac visccruiu qui'ielas levant. Qua'dam sup!)rimunl sanguincni ; !aoi yarius singu'i* iisus , qtiarn gu.slus est. II. Aut slaul omnes aquae, aut Ituun! ; aut col'igunlnr, aiit varias baisent vena^. Alia- sont dnlrrs, slia- Tarla- , QUESTIONS NATURELLES. iôl raales; réunies par niasses, ou distribuées en B- ( lets. On en voit de douces ; on en voit de toutes 1 sortes : il s'en rencontre d'acres, de salées, d'a- mèresetde médicinales; dans ces^Dt pra'trrea niul;a discri- iniii;!. Priiuum Uclus; frigida; ralida-quc suiit : diinde poudi ris; levés et graves suiit : deiale coluris; purx suiit etturl)ida?, caerulea? , luddie : deiiidc salubriUilis; sunt eniin taliilircs et utiles, siiul inortiferie, siinl qiia> cogan- tar in lapidcm.Quxdam leimi'S, qua'daiii pinguis ; qua- dam aluni, qua;dani sine ull:i bibentis ope trauseuat, qaaedani b^Dsta; rœcuiidllatein alfcrunt. j in. L't itet aqua , util lluat, loci posilio cfritH; in de- ; Teiofiuit, in piano conlini'lur ct.vtagnat.etaliquaodo in '■ advcrtum spiritu impcllitur; tune cogitur, non Huit. Cul l llgitur ei imbribus.; ex suo fonte nativa c-t. Nibll tanien prohibel codvm loco a(|uani culligi et na.'.ci ; quod in Fucino Tidcmus in quem inonlis circunijccti , quicquid fuilit, lluvii derivanlur. Sed et niagnsebtintesquc in ip.'-o : vcnx suQt; ilaque etiam quum liiberoi dclluxerc turrcn- • tes , facicni suam serval. i IV. Primuiii ergo quxramus, qnoniodo.-id continuan- j dos flumlnum cunus terra sufOciat , unde tanlum aqua i ruin eieal. Miramur quod acccssioncm iluminuin n-raria ' non sentiant. jf^qtie mirandinn est quod delriinenta exeuulium Icrra non senti!. Qiiiil est qunil illrini sic im- pk'TiTil, ut pra'li;'i(' laiilniii ex ncundito |.ossil, ac -ub- iiid ■■ sic sup|)U'al? Q laimuuque ralioiioiii reddiilcriinus de lluiiiinc , euileui trit rivoniui i:c fonliuni. V. Quid.nii judicaut , terrani , quidquiii aqnarum emi- sit, rursiis accipcre, et oh lioi: nwiia npu iii'scere, quia quod inlluxit, non in suum veiluot, seil proiinus red- dunt. Occullo ciiiin ilinere subit ternis, el p.ilam vrnil, secrelo lever.itur, (olaiurque lu Inii.sim ni;ne; quod per niultipli.i'S anfr iclus teiiariini vcrlR'ialuin, ainail- luilincin ponit, et pravila eui >apoi'is in ljii:a soli varie- taie cxuit, et m siocmiui aqu:im transit. VI. Quidam eiisiiiiianl, quiiquid ex inil)ril)us terra Ctncipit, in lluniinarursuseiià li. li: lioc arcnniciiti loco p.'imi.t, quod pauci.ssinia lliiniina sont in liis l< cis , ia quibiis rarus e.st iinl)er. Idl■(l^ilO s esse r.iun' .Sî liiop:a) soli:uiline>, iiaocosque iuveniri in in erioie Afiira fontes, quia lervida cœli iia'.ura s:t , et pa'ne scniper a'.Hiv.i. SqiialiJa; iciquc sine arbore, sine oullorc :>renae jacent. raris iiubribus sparsas, quos slatini eonibibunL At ronlia roiutat, Germauiani Glliamque, et provime ab his lia- lieu môme, puisque toute eau pluviale s'éconJe bien plus bas. VIII. Selou d'autres, de même qu'a la sutTace du globe s'étendent de vastes marais , de grands lacs navigables , et que d'immenses espaces sont cnvabis par les mers qui couvrent tous les lieux bas; de même l'intérieur de la terre est rempli 438 SÉNÈQUE. Climat dont elles jouissent est humide , et que l'été même n'y est pas privé de pluies. VII. Vous voyez qu'à cotte opinion on peut ob- jecter bien desclioscs. D'abord, en ma qualité de vigneron qui sait son mélier, je puis vous assurer que la pluie, si grande qu'elle soit, ne mouille jamais la terre à plus de dix pieds de profondeur. Toule l'eau est bue par la première couche , et ne j d'eaux douces , stagnantes , comme nous voyon» descend point plus bas. Comment pourrait-elle ! l'Océan et ses golfes , mais relativement plus con- alinienter des fleuves, cette pluie qui n'imbibe j sidérables , les cavités souterraines élant plus pro- que la superUcie du sol? Elle est en majeure par- i fondes que celles de la mer. De ces inépuisables tie entraînée dans la mer par le canal des fleuves, j masses sortent nos grands cours d'eau. Doit-on Bien peu en est absorbé par la terre, qui ne la s'élonner que la terre ne se sente pas appauvrie garde pas; car ou la terre est altérée, et elle boit ! par ces fleuves, quand la mer ne s'en trouve pas t(»'ut ce qui tombe, ou elle est saturée , et elle ne j enrichie? reçoit pas au-delà de ce qu'elle désirait. C'est i IX. D'autres adoptent cette explication-ci, et pourquoi les premières pluies ne font pas grossir i disent : L'intérieur de la terre renferme des cavités les rivières ; la terre , trop sèche, attirant tout a j profondes et beaucoup d'air qui, nécessairement, se refroidit dans l'ombre épaisse qui le comprime; cet air inerte et sans mouvement, ne pouvant plus maintenir son principe, finit par se coBveN lir en eau. De même qu'au dessus de nos têtes, de l'air ainsi modifié naît la pluie; de même se forment .'ous terre les fleuves et les rivières. L'air ne peut longtemps demeurer immobile et peser sur l'atmosphère; il est de temps à autre raréfié par le soleil , ou dilaté par les venis ; aussi y a-t-il de longs intervalles d'une pluie à une autre. Quelle que soit la cause qui agisse sur l'air souter- rain pour le changer en eau, elle agit sans cesse : c'est la perpctuilé de l'ombre, la permanence du froid , l'inertie et la densité de cet air; les sources et les fleuves ne cesseront donc pas d'être alimentés. elle. Comment d'ailleurs expliquer ces eaux qui s'échappent en fleiives des rocheis et des monta- gnes? Quel tribut reçoivent-elles do^ pluies qui coulent le long de ces rocs dépouillés , sans trou- ver de terre qui les retienne? Ajoutez que des puits creusés dans les lieux les plus secs , à doux ou trois cents pieds , rencontrent d'abondantes veines d'eau à cette profondeur où la pluie ne pénètre point; preuve que ce ne sont pas fa des eaux tombées du ciel , ou des amas stagnants , mais ce qu'on appelle vulgaireiiient des eaux vi- ves. L'opinion que je combats se réfute aussi par cette réflexion, que des sources jaillissent du som- met de certaines montagnes , sources éviilemniei/t p.^ussées par une force d'ascension, ou nées sur le li;}m , al)UDd; urlis in Crela insula fuit, fontes et Iscus subvinsse, quia desicritcoli lena.diruta urbe; poslea veroqniuii cullorcs recepcrit.aquasquoqiie récépissé. Causani sic- dtatis liaiic ponit, quod obduruerit euuslricta lellus, née potiierit imbres inagilata transmittcrc. Quoinodo ergo plurimos videmus in Iccis desenissiniis fontes? Plura de- uique ioveuimus, quœ propter aquas coli Cfepcrunl, quan-, qui' aquas hal)ere co-porint, quia colebantur. Non cnini esse pluvialem banc aquam , qui; vaslissima duniina a (bnie s:atini, m: guis apta iiavigiis deferi, ex hoc iulel- ligas I cet, quod per tiiemem astatemque par est a ca- pite dejeclus. Plu?ia pote.-.t facere torrenlem; non potest autini œqnali iuler ripas suas tenore Ubeutem aquam : non faciuut imbres, sed incitant. XI(. Paulo repetamus hocaltius, si Tidetur; et scie» non batKTe quod quacras, quum ad veram amnium ori- giueui acce.sscris. Fluuien nempe fecil copia cujusquc aqus conduits, qui don- nent lieu à ses courants et 'a son flux. L'eau douce a, comme la mer, d'immenses canaux souterrains qu'aucun fleuve n'épuisera. Le secret de ses res- sources nous échappe; elle ne jette au dehors que son superflu. J'admets quelques-unes de ces as- si!rtions; mais voici ce que je pense en outre. 11 me semble que la nature a organisé le globe comme le corps humain, qui a ses veines et ses artères pour contenir, les unes le sang, les autres l'air; de morne la terre a des canaux difféienls pour l'air et pour l'eau qui circulent en elle. La con- formité est si grande entre la masse terrestre et le corps humain , que nos ancêtres môme en ont tiré l'expression de veines d'eau. Mais comme le sang n'est pas le seul fluide qui soit en nous , comme il s'y trouve bien d'autres humeurs toutes diverses, les unes essentielles 'a la vie, les autres viciées, d'autres plus épaisses, telles que dans le crâne, la cervelle ; dans les os, la moelle; puis les mucosités, la salive, les larmes, et ce liquide lubriliant qui rend plus prompt et plus souple le jeu des articulations; ainsi la terre renferme plu- sieurs variétés d'humeurs, dont quelques-unes en mûrissant se durcissent. De là tout ce qui est terre métallique, d'où la cupidité tire l'or et l'argent; de la Ions les liquides qui se convertissent en pieire. En eerlai4is lieux , la terre détrempée avec l'eau se liquéUeet se change eu bitume ou autres substances an dogues. Ainsi se forment les eaux selon les lois et l'ordre naturels. Au reste, ce» (uniiu. DicImiMeDim ignem esse, qui occupât miindum, el ia se cuuct^ couvertat- Ilnnc evanidum considère, et iiJhit retloqni aliiid in rerum njtura , i^ne rcslincîo, I aiin liuinorcni; in lioc fuluri niundi s^eni tateie. Ita iii'i exitu» niundi est, liiimor priniordiiini. Miraris atn- ms ex hoc posse ciirc «empcr, qui pro oiniiiîins fu I. et ex quo simt omiiia ? Ilic bumor in diductiunc reruin ad qii.nrtas redadus est, sic posilus, ut flum'nil)U:i rdendis sullicere, ut rivis, ut fontibus pusset. Qiia> sequitur, Tlialelis inepla sententia est. Ait enini, terrarnm (irlieni aqu.i sustioeri , cl vehi niorc navigii , niobilitaieque ejus flucluarc, lune quupn dicilur tremere. ÎSdu est CT^u miruni , si abundat hunior ad (luniina fundenda , quum niundus in humorc sit totus. Ilanc velereni el rudeni sentenliam eiplode. Nec ' ; quod cred s , in liiiiic orliem aquam subire per rimas et faccre sen;iaani. XIV. ^g}p;ii quatuor cicmenla fecere; deinde ex •iiiRulis bina,mareni el feminani. Aercm marem judi- CJiit, qua ventus est; fcniinam qua uebulosus el in('i'>. Aqoani fii'ilem Yocantmare, muliebieni onincm atiain. Igneni vocant masculuiii , qua ardel flanmia ; cl feminarn , qua lucet innoxiu» laclu. Terrani foitioicni inareni » (1- eanl, taxa cautesqiie : fciniucP noinen assignant Iniic tiactaliiti ad culturain. XV. Mare unuin esi, ab ini.io scilicet ila conslilutum ; halv l siKis ïeuns, quilms inqiellirur alque a'stual. Quo- niodonKiris, sic el bujus aquce niiliijris vasta in nccullo via e!^t, (piani nullins tinniinis curons cjbauriel. Al'dila cst\iiinni ejus ratio. TanUnn ex illa, quantum super- !!ninn fil, oniillilur. Qua'dani ex islis snul, quibusasseu- lire possuHius; sed lioc aniplius ceusco. Placcl ualnia régi lerrani : et quideni ad nostioruni corporuni excm- plai-, in quibus el venu? sunt el arlerix: iitcc sangiiinis, hiv spiritus rccepLicuIa. In terra (|uoqiie sunt ulia iliuera, per qua- aqua ; el alla , per qua; spiritus curi il • adeoquu illain ;id siniililudineni bumanoruni corporuni nalura for- ma il, ut majores (iuo(inc nostri a juaruni appellnveriul venus. Sed qucniadmodnni in nobis non lantum sanguis e.'t, sed iiiulla gênera bnmoris, alia uecessarii , alia cor- rnpli, ac paulo pinguiocis, in capile cerelirum, inossi- bus medulla,', muci, salivirqu» ellacryma-, et quiddam »■ liilum arlicnlis, per quod cilius llictinlur ex lubrico; sic in lerraqnoquesnnl buinoris gênera coniplura, quie- d.irii qua; lualura durentur. Iliiic csl oninis nielallonim luunus.ex quil>us anruni arBenlunique petit avarilia; et «pia- in lapiileniex linuore verluntur. In quibusdam vero loris lerra Iminorqne tique-cil. sieul tiitmnen , et cetera liuie similia. Hacc ol causa aquiirum sccuadum tcgem n* 442 SÉNÈQUE. humeurs, comme celles stus, corrupere naluram ; et sulpliuralio con- trasit fiumorcni , qui modo diuturnus est , modo brevis. Ergo ut in corporibus noslris saiiguis, quuui percus.ia \ena est, lamdiumauat, donec omnis efduxil, aut do- nec vcnas scissura sul)sedit , atque interclnsit, vel aliqua alia causa rétro dédit sanguinem : ita in terra , solutis ac patefactis venis, rivus aut flumen effuudilur. Inlerest, quantum aperla sit vena, qunmodo consumta aqua sit. Modo exsiccatur alicpio iuipediiiiento , modo coit vclut in cicalricem , comprimitquc quam feccrat viam : modo itia vis terrae, quam esse mulabilem di.vinms, desinit posse alimenta in humorem convertere : aliquando auteni eihausta replentur, modo pcr se Tii-ibus recolleclis , modo aliande translalis. Sa»pe enim inania apposila ptenis hu- morem in se attrahunt. Sœpe Iransire facilis in aliud ipsa terra in tabem resolvilur, et humescit. Idem evenit sub terra, quod iu nubibus, ut spissetur, graviorque quam Ht raanere in natura sua possit, gignat humorem. Sa-pe colligitur roris modo , tenuis et dispersas liquor, qui ex multis in ununi locis confluil. Sudorem aquileges vocant , quia gutta; quœdam vel pressura loci elidunlur, vel a-siu cvocaatur. Hacc tenuis unda vis fonti sufficil. Atcx mag- nis causis, magnisqne conccplibus eicidunt amoes; noo- nunquam leviter, si aqua pondère suo se tantum detalit; noniiunquani vehemeuteret cum souo suo, si illam spiri- tiis intermixtus ejecit. XVI. Scd (|uare quidam fontes senis horis pleni, senis- que sicci sunl? Supervacuum est nominare singula flu- mina, quae certis mcnsibus magna, certis angnsta sunt, el occasionem singulis qua>rere , quum possini eamdem causam omnibus reddere. Quemadmodum quartana ad boram Tcnit, quemadmodum podngra ad tempus respon det, quemadmodum purgalio, si nihil obstitil, staluip dieiii servat, quemadmodum prïsto est ad mensem snum partus; sic aquae inlcrvalla liabent , quibus se retrabaot, et quibus reddant. Quaïdara autem intervalla minora sunt, et ideo noiabilia; quaedam majora, nec minus certa. Et quid hoc mirum est, quum videas ordinem rerum etna- turam per constituta procedere? Hiems nunquam aber- ravit. JEstas suo tempore incanduit. Autumni , ^erisqne, ut solet, facta mutatio est. Tam solslitium , quam a>qui- noctium , suos dies retulit. Sunt et sub terra minus nota nobis jura nalurœ, sed non minus certa. Credeinfra, quidquid vides supra. Sunt et iliic specus vasti , sunt in- génies reccssus, etspatia suspensis bine et inde monlibus iaïa. Sont atiru;.li in infinilum hiatus, qui sa-pe illaps,»» urbrs reccjicriint , et ingentem in alto ruiuam ci'iidkw- QUESTIONS N gouffres béants et sans fond , où souvent s'englou- tirent des villes entières , où d'énormes débris sont profondément ensevelis. Ces cavités sont pleines d'air, car le vide n'existe pas, et des étangs occu- pent leur ténébreuse étendue. Il y naît aussi des animaux, mais pesants et informes, 'a cause de l'air épais et sombre où ils sont conçus, et des eaux stagnantes où ils vivent : la plupart sont aveugles , comme les taupes et les rats souterrains qui n'ont pas d'yeux , parce qu'ils leur seraient inutiles. Enfin Théuphraste affirme qu'en certains pays on tire de terre des poissons. XVll. Ici mille objections vous seront suggé- rées par l'invraisemblance du fait que poliment vous vous bornerez 'a traiter de fable : comment croire qu'on aille a la pêche sans filets, sans ha- meçons, la pioche 'a la main? Il ne manque plus , direz-vous, que d'aller chasser dans la mer. Mais pourquoi les poissons ne passeraient-ils pas sur notre élément'!' Ne passons-nous pas sur le leur'? Ce ne sera qu'un échange. Le phénomène vous étonne! Et tout ce que fait le luxe n'est-il pas bien plus incroyable , alors qu'il imite ou qu'il surpasse la nature? Les poissons nagent dans la salle du festin ; on les prend sous la table mêrae pour les y servir l'instant d'après. Le mulet n'est pas assez frais, s'il ne meurt dans la main du con- Tive. On présente les mulets dans des vases de verre, on observe quelle est leur couleur dans leur agonie, par quelles nombreuses nuances les fait passer celle lutte de la vie qui s'éteint ; d'an- tres fois on les fait mourir dans le garnm , et on les confit tout vivants. Après quoi on traite de fa- ble l'existence des poissons souterrains , qui s'ex- ATURELLES. 445 hument et ne se pfchcnt pas. N'est-il pas plus in- vraisemblable que des poissons nagenl dans la sauce, qu'on tue au milieu d'un service ceux mêmes qu'on ne veut pas servir, qu'on se délecte longtemps de les voir mourir, et qu'on rassasie ses yeux avant son palais? XVIII. Souffrez que j'oublie un instant mon sujet pour ni'élever contre la sensualité du siècle. Rien de plus beau , dit-on , qu'un mulet expirant. Dans celle lutte, où son dernier soufOe s'exhale, il se colore d'un rouge vif, qui peu après vient à pâlir : quelle succession ménagée de nuances , et que de fois ses teintes changent entre la vie et la mort! Elle a été longue, la léthargie où sommeil- lait le génie des cuisines! Qu'il s'est éveillé lard , et que tard il s'est aperçu des restrictions qui le sevraient de tant de délices! Ln si grand, un si merveilleux spectacle avait fait jusque-l'a le plaisir des seuls pêcheurs. Qu'ai-je besoin d'un poisson tout cuit, qui ne vit plus? Qu'il meure dans l'as- saisonnement même. Nous admirions jadis qu'il y eût des gens assez difficiles pour ne pas toucher 'a un poisson qui ne fût du jour même, et, comme ils disent, qui ne sentit encore la mer. Aussi l'a- menait-on en grande liàlc, et les porteurs de ma- rée, qui accouraient hors d'haleine el avec de grands cris, voyaient tnut s'écarter devant eux. Où n'a-t-on pas poussé le raftinemenl? Le poisson d'aujourd'hui, s'il a cessé de vivre, est déj'a gâte pour eux. — C'est aujourd'hui qu'on l'a péché. — Je ne saurais me lier h vous sur un point de cette importance. Je ne dois en croire que moi- même : qu'on l'apporte ici ; qu'il meure sous mes yeux. Le palais de nos gourmets est devenu si dé- rimt. Haec spiritu plena sunt , nibil enim usquam inanc e.«t , et stagnatolwessa tenebris et locis amplis. Animalia qiioque illis innascuntur , spd tarda et inrormla ; ut in aère c«co pioguique concepta , et in nquis torpenlibus ti u ; pleraque ei bis caeca , ut talpse et subterranei mu- res, qnibos deest lumen, quia suprrvacuuin est. Inde lit Tbpophrastus affirmât, pisces quibusdam locis eniuntur. Xvn. Mulla biic loco libi in inentem veiiient, qua,» ur- bane in re incredibiù fabulam dicas; non cum relil)us kH- qucm , ant cum bamis , sed cum dolabra ire piscalum. Eupecto ut aliquis in mari venelnr. Quid est auicm, quare pisces in terram non transeant, si nos maria trans- imus ? Permutabimus sedes. Hoc miraris accidere; quanlo incredibiliora sunt opéra iniuriae , quoties naturam aut nientitur , aut vincit ? In cnbili natint pisces , et sub ipsa iiiensa capitor, qui statim transferatiirin mensam. Parum Tidetur recens mnllus , nisi qui in conviva! manu mori- tur. VitreisoIUsinclasiofTcnintur, et observa lur morien- tinm color , quem in multas mulationes mors luctante (piritu Terlit ; alios necant in (çaro , et condiunt vivos. Hi «ont qui fabulas putant , piscem vivere posse sub terra , •1 eftodi, non capi! Qaam incrcdiliilc illis vidorclnr. si audirent natare in garo piscem , nec cœnae causa occi- sum esse super cœnam , quuin inultum in deliciis fuit, et oculos, antrquani gulam, pavit! XVIU. Permitte niibi , quœstione seposita , castigare luiuriam I Nibii est , inquit, mullo eispiraate formosius. Ipsa colluctatione animam enianti rubor primum , deindc pallor suffundilur; qiiam aequo varialur et in ceteras fa- ciès inter vitam et raortem coloris I Est vacatio longa somniculosa; inerlisque luxurii. Qua sero cipressa , sero circumscribi se et frandari lanto bono sensit I Hoc adhuc tanto spectaculo et lam piilchro piscatorcs fruebantur. Quo coclum piscem? que cxanimein? in ipso ferculo ex- spiret. Mirabamur tantum in illis esse fastidium , ut nol- lent attingere vhi eodeni die caplum piscem , qui , ut aiunt, saperet ipsum mare. Tdeo cursu adTchebatur, ideo geruliscum anhelilu et clamore properanlibus dabatur Tia. Quo pervenerc dclicia-? Jam pro pulrido bis est pis- cis hodie occisiis. Ilodie educliis est. Nescio de re magna i tibi credere. Ipse oporlet raibi credam : hue afferatur , coram me animam agatl Ad hune fastum pervenere vcn- I très dellcatorura, ut gustare non possiiit piscem, nisi ' aucm in ipso convivio natantem palpitantenque videriiU Ui liiNit, qu'ils ne peuvent goûter le poisson s'ils ne l'ont vu dans le repas même nager et palpiter. Tout ce que gagne de nouvelles ressources un luxe bientôt h bout dinvenlions, est prodigué en combinaisons chaque jour plus subtiles, en élé- gances plus extravagantes, dédaigneux qu'on est des recettes connues. On nous disait bier: llien de meilleur qu'un mulet de rocher ; on nous dit au- jourd'hui : Rien de plus charmant qu'un mulet qui expire, l'assez-moi le bocal; que je l'y voie tres- saillir et palpiter. Après un long et pompeux éloge, ou le tire de ce vivier de cristal; alors quelque fin connaisseur en fait la dénionslraiion : voyez comme il s'allume d'un pourpre éclatant, plus vif que le plus beau carmin ; voyez ces veines qui courent le long de ses flancs ; voyez : ne croiriez- vous pas ce ventre ensanglanté; et ce reflet d'azur quia brillé comme l'éclair! Le voila qui se raidit, qui devient pâle; loutes ses couleurs n'en font plus qu'une seule. Pas un de ces spectateurs n'assiste à l'agonie d'un ami ; pas un n'a la foice de voir la mort d'un pèie, cette mort qu'il a sou- hailée. Combien peu suivent jusqu'au bûcher le corps d'un parent ! On délaisse un frère, un pro- che 'a sa dernière heure', et à la mort d'un mulet ou accourt en foule. Est-il, en effet, une plus belle chose? Non , je ne puis m'empêcher de ha- .sardcr quelquefois des termes qui pourraient pa- raître impropres : on n'a pas assez , pour l'orgie , des dénis, du ventre et de la bouclie; on est en- core gourmand par les yeux. XIX. Mais pour revenir à mon texte , voici une preuve que la terre nous cache de grands amas d'eau , fertiles en poissons immondes, yue cette SÉNÈQUE. eau vienne "a sortir de la terre , elle apporte avec elle une foule prodigieuse d'animaux repoussants à l'œil comme au goût , et funestes à qui s'en nourrit. Il est certain que dans la Carie, aux en- virons de la ville d'Hydisse, on vit se former tout 'a coup un amas d'eau souterraine, et que tous ceux qui goûtèrent des poissons amenés par ce nouveau fleuve 'a la face du ciel jusqu'alors in- connu pour eux , en moururent. Qu'on ne s'en étonne pas : c'étaient des masses de chair alour- dies et tuméfiées par un long repos; privés d'ail- leurs d'exercice , et engraissés dans les ténèbres , ces poissons avaient manqué de cette lumière d'où vient toute salubrité. Ce qui indique que des pois- sons peuvent naître sous terre et à cette profon- deur, c'est qu'il naît des anguilles dans des trous cieusés dans la vase , et que le même défaut d'exercice les rend d'autant plus lourdes à digérer, que les retraites où elles se cachent sont plus pro- fondes. La terre renferme donc , et des veines d'eau dont la réunion peut former des fleuves, et en outre des rivières immenses , dont les unes poursuivent leur cours invisible jusqu'au golfe qui les absorbe ; le reste se décharge dans quelque lac. Personne n'ignore qu'il existe des lacs sans fond. Que conclurai-je delà? Qu'évidemment les grands cours d'eau ont un réservoir permanent , dont les limites sont aussi peu calculables que la durée des fleuves et des fontaines ? XX. Mais pourquoi les eaux n'ont-elles pas la même saveur? Cela vient de quatre causes. D'a- bord, du sol qu'elles traversent; ensuile de la conversion de ce même sol en eau ; puis de l'air qui aura subi pareille transformation; enfin de l'al- Quantum ;id solciliam limiria; pereuiilis acceilit, tante subtilius quulicl:e et elejiautiiis aliqiiid excogilat furor, usiuila coiiteiiineiis. Illa audiebamiis : Mhil esse nielius saxatili nmlla. At uuac audinius : iSiliil est morieute for- niobius. D:i niilii in nianus vas vitreiiui , in qno exsullet, in quo trepidet. tbi multuni diuquclaudatus est, ex illo peilucido vivario extraliiuir; tune ut quisque perilioi' est, raonstrat. Yide quoniodo esarserit iul)or, onnii scrior niinio; vide quas perlatera veuas a<;at; ecce sanguineum putes venlrcui; quani luciduni quiddam , caeruleunique ■sub ipso tenipoie effu'siti j au poirigitnr et pallet, et in unum colorcni coniponilur I Ex his nemo morienti amico assidet, nemo videre morteni patris sui sustinet, quam opiavit. Quotusqnisque fuuus domesticum F/i rogum pro- sequilur? Fratrum propinquoruuiquc exti'rnia liora de- siritur; ad moitem mulli coucnrrilur. ÎSihil enim est illo forniosius. Non tempero niihi , quin utar inlcrduin te- merariis \erbis, et proprietatis niodum excedara ; non sunt ad popinam dentibus , et ventre, et oic contenti ; ocn is quoque guliisi sunt. XIX. Sed ut ad prop.isitnm reveriar, accipe argumen- tuiu; inaguam vim aqiiaruni in subtcnaiieis occuli, Ui- tilem fœdorum silu pisciura. Si qiiando erapit, offert se- cuni immcnsam aniinalium turliam , borridam adspid, et turpem ac noxiani gustu. Certe quum in Caria circa tiydissuui urbeni lalis exsiluisset unda, periere quicuoqne illus edcrant pisces , quos ignoto anteeum diem cœlo no- Tus amnis oslendit. TSec id miruin. Erant enim pinguia et differt;), ut ex longo otio, corpora; ceterura ineierci- tata , et in tenebris saginata , et lucis experlia , ex qua salubritas ducitur. Nasci autem posse pisces in illo terra- rum proruudu, sit indiciuin, quod anguillae quoque late- brosis locis nascuntur , gravis et ipsc cibus ob ignaviam , utique si altitudo iilas luti penitns abscondil. Uabet ergo non tantum venas aquarum terra , ex quibus corrivatis flumina effici possunt , sed et amnes maguitndinis vasiae; quorum aliis semper in occulto cursus est , donec aliquo sinu devorentur; alii sab aliquo lacu emergunt. Jam quis ignorât esse qua'dam stagna sine fundo? Quorsus boc pertinet? Ut apparcat, banc msgnis amnibus aeternam esse maleiiani , cujus non tanguntur eitrema, sicut Itu- minum et fonlium. XX. At quare aquis sapor varias? propter quatuor causas. Ia solo prima est , pcr quod ferunlur. Secund». QUESTIONS xNATURELLES. lération produite souvent par des corps étrangers. US Voilà les caosesqui douneiii aux eaux leurs saveurs diverses, leurs vertus médicinales, leur odeur forte, leurs exhalaisons mortelles, leur légèreté ou leur pesanteur, leur chaleur ou leur froid de glace. Elles se modiûent selon qu'elles passent sur nn sol saturé de soufre, de nilre ou de bitume. L'eau viciée de la sorie est une boisson qui peut donner la mort. Tel est ce fleuve des Cicones dont l'eau, selon Ovide, Pélrilie en passant l'estomac qu'elle arrose; Le marbre enduit bieotùt tout ce qu'on y dépose. Ce fleuve contient une substance et un limon de nature telle, qu'il solidilie et durcit les corps. Le sable de Pouzzole devient pierre au contact de l'eau; ainsi , par un effet contraire, l'eau de ce fleuve, en touchant un corps solide, s'y attache et s'y colle; et tout objet qu'on jette dans ce lac n'en est retiré qu'à l'état de pierre ; transforma- tion qui s'opère en quelques endroits de l'Italie, où une branche , une feuille plongée dans l'eau so < hange, au bout de quelques jours, en une pierre formée par le limon qui se dépose autour de ce corps, et y adhère insensiblement. La chose vous paraîtra moins étrange si vous réfléchissez (|ue l'Albula et presque toutes les eaux sulfureuses en- duisent d'une couche solide leurs canaux et leurs rives. Il y a une propriété an ilogue dans ces lacs dont l'eau, au dire du même poêlc^ De qui s'y dés;:I:crc éRare la pensée , Ou dut d'un lourd souinieil sa paupière afTaissce. Elle agit comme le via, mais avec plus de force. De même que l'ivresse, tant qu'elle n'est pas dissipée, est une démence, ou une pesanteur extrême qui jettr dans lassoupissement; de même ces eaux sulfunuses, imprégnées d'un air nuisi- ble et vénéneux, exaltent l'homme jusqu'au de- lire, ou le frappent de léthargie. Les eaux du Lynceste ont celte maligne influence : Quiconque en a (rop Ini tout aussitôt chancelle ; On dirait que te \m a trouble sa cervelle. XXI. Il y a des cavernes sur lesquelles on ne peut pencher la tète sans mourir ; les miasmes sont. M prompts, qu'ils tuent les oiseaux qui volent par-desbus. Tel est l'air, tel est le lieu d'où s'é- chappent ces eaux qui donnent la mort. Si la na- ture pestilentielle de l'air et du sol a moins d'é- nergie, sa malignité est moindre; elle se borne 'a atiaipier les nerfs et h y produire l'engoordisse- II ont de l'ivres.sc. Je nem'élonne pasquelesol et l'air corrompent l'eau et lui communiquent quel- que chose des lieux d'où elle vient et de ceux qu'elle a traversés. La saveur des herbages se retrouve (l:ins le lait; et le vin , devenu vin.iiKrc, gai de encore sa force. Il n'est point desnbstanceqni ne représente quelque trace de ce qui l'a produite. XXII. Il y a une autre espèce d'eaux que nous croyons aussi anciennes que le monde : s'il est éternel, elles ont toujours existé; s'il a eu un commencement, elles sont contemporaines de la grande créaliou. Kt ces eaux , quelles sont-elles? L'Océan et les mers méditerranées<|iii en sortent. Selon queh|ucs philosophes, les fleuves aussi, dont ou ne peut expliquer la nature, datent de la ex eodem, si mutalione ejus nasciiur. Tcrtia et sp ritu, qui lu aquain Irausfigfiratus csl. (Juirta ex vitio.qui'd s.Tpe coiicipiuul corruplie p.ei' injuriant. lia; causa; sapo- rem daul aquis variuni ; fax niedicalaui potcnliani ; lix gravent spiriluin, odorenique pestifiTura; hae levitatiin gravitaleniqiie, aut calunni, autninjium riguieni. luter- est, utrum per loca sulp:>ure, an nitro , an liilumine plena Iranseant. Hac ratione currupla;, cum vit;e peri- culo bibuntur. tlinc illud , de quo Ovidius ait : Flumen habcnt Cicones . qnod polum sasea rcddit Viscera, qnod tactis iiiducit marinura rcbus. Medicatum est , et ejus natura; habct timum, nt rorpora et agglutinetet induret. Qiieniadmodum Putcolanns pul- tis, si aquam atiigit, s.xum est; sic e contrario , bac aqna si solidum letipit, ha-ret et affliïitur. Inde est , qnod res alvecta; in euii^dem lacum lapides subinde eitra- huntur. Quod in Italie quibu.sdain locis evenit , .slvc vir- eam, siTP frondem dnmerseris, tap'dem post paucos dips eilnihis. Circumfunditur enini corpiiri limus, allinilur que paulalini. Hoc minus videbitur tilii mirum , si nota- Teris , Alliulam , et fere sulphurat im aquam . circa cana- Ict suds f ivosque dnrari. Aliquam harum babent causam ■lli lacus , euos quisqnis faucibus hansit, ut idem pocta ait, A'il furil, aut patilur mirum gravltate soporcm. Sinilem babct vim nioro, sed veheincntioréiii. IS.nni quem- adinoduin ibri'tas , donec exsiicelur , dinienlia est , et niuiia gravit:ite deiertiir in soinnuin; sic ac|ux' hujus sul- phurea vis babet quoddani : crins ex aère noiio virus , quod minuni aut in luroreni nio'cl, aut sopore oppri- niit. Hoc habetniati et I.ynccstius aninis : Quem quicnnqnc p.irum moderato S'itture traxit, Uaud aliter titubât, (pr-ni si niera viiia bitnssct. XXI. In quosdam spccus qui despeierc , inoriuiilur ; tant velnx nialuni est, ut Iransvolantcsavesdejiei t; lalis est aer , talis locus , ex quo lelalis aqua de^litlat. Quod si reniissior fuerit aeiis et loci pestis , ipsa i|n()i|neliinpe- ratiornoia, nihil anipl usquani tcn;at nervos.vetut du lé- tale lorpeules. Ncc niiri r . si locus a!que aer quas inlicit, tiiuilesque repionibns rcddit. per quas, et ex qiiilius vc- iiiunt. Pabnli sapor apparct in lacté, et vini ^is exsistit etiani in areto ; uulla res csl, qua' non ejus a quo uasci- tur notas rcddat. XXII. Aliud est cliam aqnariini penns, quod nobis placet c ! p sse cuni niundo. Sive ille a'iernus esl , Imc qwoque fuit seniper; sive iuiliuii aliqniid esl illi , lioc (juo- que cum tiito disposilunie.vt. Quid.sit lioc,quaris? Ocea- nus , et qnodciinqne ex illo niire terras iiiter'iiil. Judi- canl quidam (luinina quoque, iiuoiuni iucnairabiUs na- 446 SÉNÈQUE. naissance même du inonde; tels sont l'Ister, le j du bain. Ainsi Nil, immenses cours d'eau, trop remarquables pour qu'on puisse leur donner la même origine qu'aux autres. XXill. Telle est la division des eaux, établie par quelques auteurs. Ap?cs cela ils appellent cc- lesles les eaux que les nuages épanchent du liant des airs ; dans les eaux terrestres ils distinguent celles que je nommerai surnageantes et qui glis- sent a la surface du sol , puis celles qui se cachent sous terre, et dont nous avons rendu compte. XXIV. D'où vient. qu'il existe des eaux chaudes, et quelquefois môme tellement bouillanics, qu'on ne peut en faire usage qu'après les avoir laissées évaporer a l'air libre, ou eu les tempérant par un mélange d'eau froide? On donne de ce fait plu- sieurs explications. Selon Empédocle , les feux , qu'en maint endroit la terre couve et recèle , échauffent l'eau qui traverse les couches au-des- sous desquelles ils sont placés. On fabrique tous les jours des serpentins , des cylindres, des vases de diverses formes, dans l'intérieur desquels on ajuste des tuyaux de cuivre fort minces qui vont en pente et forment plusieurs contours , et par ce moyen l'eau, se repliant plusieurs fois au-dessus du même feu, parcourt assez d'espace pour s'é- chauffer au passage. Elle est entrée froide , elle sort brûlante. Empédocle estime que la même chose a lieu sous terre ; et il n'aura pas tort dans l'opinion de ceux qui savent échauffer leurs bains sans feu. Dans un local où la chaleur est déjii grande, on introduit un air brûlant qui , par les canaux où il circule, agit, comme ferait la pré- sence du feu même , sur les murs et les ustensiles de froide qu'elle était, toute l'eau devient chaude, et l'évaporation ne lui ôte pas sa saveur propre, parce qu'elle coule enfermée. D'autres pensent que les eaux, en sortant ou en entrant dans des lieux remplis de soufre , em- pruntent leur chaleur à la matière même sur la- quelle elles coulent, ce qu'attestent l'odeur même et le goût de ces eaux ; elles ont acquis les qualités de la substance qui les a échauffées. Que la chose ne vous étonne point : l'eau qu'on jette !>ur de la chaux vive ne bouillonne-t-elle pas? XXV. Il y a des eaux mortelles qui ne se trahis- sent ni au goût, ni à l'odorat. Près de Nonacris, en Arcadie, une source, appelée Styx par les ha- bitanls , trompe les étrangers en ce qu'elle n'a ni aspect ni odeur suspecte; ainsi, les préparations des habiles empoisonneurs ne se révèlent que par l'homicide. Cette eau, en un instant, donne la mort; et il n'y a pas de remède possible, parce qu'elle se coagule aussitôt qu'on la boit; elle se prend , comme le plâtre mouillé, et colle les vis- cères. En Thessalie, auprès de Tempe, se trouve une eau dangereuse, qu'évitent les animaux et le bétail de toute espèce ; elle passe 'a travers le fer et l'airain : elle possède une telle force , qu'elle amollit les corps les plus durs; aucun arbre ne peut s'en nourrir, et elle fait mourir le gazon. Certains fleuves ont aussi des propriétés merveil- leuses : qU' Iques-uns donnent une autre teinte "a la laine des brebis qui y boivent ; en peu de temps les toisons noires deviennent blanches, elles blan- ches en ressorlent noires. 11 y a en Béotie deux fleuves qui produisent ce double effet : l'un est par ce motif appelé Mélos (noir) ; et tous deux sortent tura est , cum ipso mundo traxisse prlncipia , ut Isirum , ut Nilum , vastos amnes, magisque insignes, quam ut dici possit, eanidem illis originem, quam céleris esse. XXIII. Ha'C est ergo aquarum diTisio, ut quibusdam Tidelur. Post illani cœlestes, quas ex superiorilius nubila ejiciunl. Ex terrenis ali.X' suiit, ut ita dicani, superna- tanles, qua; in summa liumo repunt; alia; alidita», qua- rum rcddita est ratio. XXIV. Quare quaedani aquae caleant, qua;dani etiam ferveant in tanlum , ut non possint esse usai , nisi ant in aperto eTanuere , aut mixtura frigidae intepncre, plures causas redduntur. Enipedocles e.iislimat ignibus, quos multis locis terra opertos tegit, aquam calescere , si sub- jecti sunt solo , per quod aquis transcursus est. Facere solemus dracones et iniliaria et coniplures formas , in quibus aère lenui Gslulas slruinius, per déclive circum- dalasj ut sa;pe eumdem ignem ambiens aqua per tantiim fliiat spatii , quantum efficiendo calori sat est. Frigida itaque intrat, effluit calida. Idem sub terra Empedocles «listimat fieri; quem non falli credenl ii , quihus balnea- riT sine igné calefiunt. Spirilus in illa (enens loco a-s- tiienti infuuditur. Ilic per rlvos lapsus . non aliier qiiaiu igné subdito, parietes et vasa balnei calefacit. Omnis de- nique frigida transitu mutatur in calidam, nec trahit sa- poreni evaporatio, quia clausa perlabitur. Quidam eiis- timant, per loca sulphure plena exeuntes ?el introenotes aquas, calorem beneficio materia», per quam fluunt, trahere : quod ipso odore gustuque testantnr. Reddunt enim qualilalem ejus, qua caluerunt, materia;. Quod ne accidere mireris, vivae caici aquam infunde , fervflhit. XXV. Qua?d3ra aquae mortiferae sunt, nec odore no- tabiles, nec sapore. Circa Nonacrin in Arcadia Styi ap- pellata ab incolis, adyenas fallit, quia non facie, non odore suspecta est; qualia sunt magnorum artificDm ve- nena, qua; deprehendi nisi morte non possunt. Haec au- tem , de qua paulo ante retuli , aqua , summa celeritate corrumpit, nec remedio locus est, quia protinus bausta duratur; nec aliter quam gypsum sub bumore constria- gitnr, et alligat yiscera. Est autem noiia aqua in Tbet- salia circa Tempe , quam et ferœ et pecus omne devilal : per fernim et ssexit: tanta vis illi inest, etiam dnra molliendi : nec arbusta quidem ulla alit, et bertias ne- cat. Quiliu.sdam nuniinil)us vis inest mira. Alia euimsuul, quœ pola iuGciunt grèges ovium , intraque brève teiupiu. QUESTIONS NATURELLES. du mônic lac avec une vertu opposée . On voit aussi eu Macédoine, au rapport de Théopbraste, un fleuve «ù l'on amène les brebis dont on veut que la toison prenne la couleur blanche ; quand elles ont bu quelque temps de cette eau, leur laine est changée comme au sortir d'une teinture. Si c'est de la laine noire que l'on veut, on a tout prêt un teinturier gratuit : on mène le troupeau aux bords dn Pénée. Je vois dans des auteurs modernes qu'un fleuve de Galatie produit ce même effet sur tous les quadrupèdes; qu'un autre, en Cappadoce, n'agit que sur les chevaux , dont il parsème le poil de taches blanches. 11 y a des lacs dont l'eau sou- tient ceux qui ne savent pas nager; le fait est no- toire. On voyait, en Sicile, et l'on voit encore en Syrie , un lac où les briques surnagent et où les corps pesants ne peuvent s'enfoncer. La raison en est palpable : pesez un corps quelconque , et com- parez-en le poids avec celui de l'eau , pourvu que les. volumes soient les mêmes ; si l'eau pèse davan- tage, elle supportera le corps plus léger qu'elle, et rélèvera h une hauteur proportionnée à la lé- gèreté de l'objet; s'il est plus pesant, au contraire, il descendra. Si l'eau et le corps comparés sont de poids égaux , il ne plongera ni ne montera ; il se nivellera avec l'eau, flotlanl, a la vérité, mais presque enfoncé et ne dépassant pas la surface. Voilà pourquoi on voit flotter des poutres, les unes presque entièrement élevées sur l'eau, les autres à demi-submcrgées, d'autres en équilibre avec le liquide. En effet , quand le corps et l'eau sont d'égale pesanteur, aucun des deux ne cède à 447 l'autre; le corps est-il plus pesant, il s'enfonce, plus léger , il surnage. Or, sa pesanteur et sa lé- gèreté peuvent s'apprécier, non par nos mesures, mais par le poids comparatif du liquide qui doit le porter. Lors donc que l'eau est plus pesante qu'un homme ou qu'une pierre, elle empêche la submersion du cor[)s qui ne peut vaincre la résis- tance qu'elle oppose. Il arrive ainsi que, dans cer- tains lacs , les pierres mêmes ne peuvent aller a fond. Je parle de pierres dures et compactes; car il en est beaucoup de poreuses et de légères qui . en Lydie, forment des îles flottantes , à en croire Théophrasie. J'ai vu moi-même une île de ce genre à Culilirs : il en existe une sur le lac de Vadiraon , et une autre sur celui de Slaton. L'île de Culilies est plantée d'arbres et produit de Iherbe, et ce- pendant l'eau la soutient : clic est poussée ça et l'a , je ne dis pas par le vent seulement , mais par la moindre brise ; ni jour ni nuit elle ne demeure slationnairc, tant elle est mobile au plus léger soufOel Cela lient à deux causes : h la pesanteur d'une eau chargée de matières étrangères , et "a In nature d'un sol qui se déplace facilement, n'étant point d'une matière compacte , bien qu'il nourrisse des arbres. Peut-être cette île n'est-elle qu'un amas de troncs d'arbres légers et de feuilles semées sur le lac qu'une huii;eur glutineuse aura réunis. Les pierres mêmes qu'on peut y trouver sont poreuses et perméables , pareilles aux concrétions que l'eau forme en se durcissant, surtout aux bords des sources médicinales, où les immondices des eaux sont rapprochées et consolidées par l'écume. Un qiis faere nifn'ie, all)am fenint lanam; qus albs véné- rant, nigra; abeuot. Hoc eliuin in Bœotia amnes dao ef- Gciunl; quorum alteri ab effecta Mêlas nomen est : ater- que ei codem lacu cieunt , diversa facliiri. In Maccdo- Diaqiioqne, ut ait Tbenphrastus , est tlumen, ad quoil qui facere albas ovcs Tolunt, adducunl. Quod ui di:ilius liOtaTcre, non aliter quam infecta mulantur. At ii illis lana opus fuerit pulla , paralus gratiiilus infcctur est : ad Pcneum euœdein gregcm appelliint. Auclorcs novos ha- beo, esse in (ialatia fliimen , quod idem in oninllius effi- ciat : esse in Cappadocia, quo polo equis , nec ulli prae- terea animal! , color mutatur, et spargitur aibo cutis. Qaofd:mi lacus esse, qui nandi iniperitus ferant, nutum Mt. Eral in Sicilia , est adliuc in Syria stagnura in quo Datant lalercs, et mergi projccta non possuot, Kcct gra- Tia tint. Uujus rei palam causa est. Quanicumque vis rem eipcnde, et contra aquam statue, dummodo utriusque par sil modus; si aqua gravior est, Icvioreni rem, quam Jpsa est , feret , et tanto supra se extollet , quanto erit le- Tior; graviora descendent. At si a(|uaB, et ejus rei quam conlra pensabis, par pondus erit; necpessum ibit, nec eistabit, sed a'quabilur aqiia-; et natabit quideni, »ed pœne niersa , ac nulla eniin'.ns parle. Hoc est cur qin- daui tigna supra aqiiam pa'ue tota efferanur, qusdam ad médium siihmersa sint, quaedam ad lequilibrinra aquae descendant. Namque quum utriusque pondus par est , neutraque res alteri cedit, graviora dcsccndunt, leviora gestantur. Grave autem et levé est, non a-stiniatione nostra , sed coniparatione ejus quo vchi débet. Itaque nbi aqua gravior est bominis corpore, aut saii, non sinit id quo non vincitur, mergi. Sic evenit, ut in quibusdam itagnis ne lapides qiiidem pcssum eant; de solidis et du- ris loquor. Sunt enim niiilti pumicosi et levés , es quihas quae constant insula- , in Lydia natant. Theophrastus est auctor. Ipse ad Cutilias nataniem msulam vidi. Alla ia Vadimonis lacu vebitur, alia in lacu Statoniensi. Cutilia- rum insula et_arboies habet, et berbas nutrit, tamen aqna sustinetur : et in banc alqne illam partem non tan- tnm vento impellitur, sed et aura. Nec unquani illi per diem et nnclem in iino loco statio est : adeo movetur levi flatu. Huic duplci causa est. Aquae gravitas medi- catae, et ob hoc ponderoso" ; etipsius insula; niateria vec- i tabili» , quae non est corporis solidi , quamvis arbores alat. Portasse enim levés Iruncos, Irondesque in lacu sparsas, pinguis bumor apprcliendit , ac viniit. Itaque etiamsi qua in illa saxa sunt, invenies exesa ctfistulosa : qualia sunt quiB durolris huiiior efllcit, utique circa nicdicatornm Ibntium rivos; qua' ubi purgamcnta aquarum coalue- *48 SEiNÈQUE. assemblage de cette nature, où il existe de l'air et «lu vide , a nécessairement peu de poids. Il est des choses dont on ne peut rendre compte : pourquoi, par exemple, l'eau du Nil rend-elle les femmes fécondes au point que celles mêmes dont une lon- gue stérilité a fermé le sein, deviennent capables de concevoir? Pourquoi certaines eaux , en Lycie, ont-elles pour effet de maintenir le germe , et sont- elles visitées par les femmes sujettes à l'avorle- ment? Pour moi , ces idées populaires me sem- blent peu réfléchies. On a cru que certaines eaux donnaient la gale, la lèpre , parsemaient de lâches le corps de ceux qui en buvaient ou qui s'y lavaient: inconvénient qu'on attribue à l'eau de rosée. Qui ne croirait que ce sont les eaux les plus pesantes qui forment le cristal? Or, c'est tout le contraiie; il est le produit des eaux les plus légères qui , par leur légèreté mê.i;e, se congèlent le plus facile- ment. Le mode de sa formation est indiiiué par le nom même que les Grecs lui donnent : le mol xpvaruXXoi rappelle, en effet, et le minéral dia- phane, et la glace dont on croit qu'il se forme. L'eau du ciel , ne contenant presque point de mo- lécules terreuses , une fois durcie , se condense de plus en plus par la continuité du froid , jus(]u"a ce que, totalement dégagée d'air, elle se comprime tout entière sur elle-même; alors, ce qui était eau , devient pierre. XXVI. Il y a des fleuves qui grossissent en été, comme le INil, dont nous expliquerons ailleurs les phénomènes. Théophraste aflirme que, dans le Pont, certains fleuves ont leur crue à cette époque. On donne quatre raisons de ces singularités ; on bieii la terre alors est plus disposée "a se changei en eau ; ou bien il tombe vers les sources des pluies qui, par des conduits souterrains et inaperçus, s'en vont alimenter ces fleuves; ou bien leur em- bouchure est plus fréquemment battue par des vents qui refoulent leurs flots et arrêtent leur courant , lequel paraît grossir parce qu'il ne s'écoule plus. La quatrième raison est que les as- tres, dans certains mois, font sentir davantage aux fleuves leur action absorbante, tandis qu'il d'autres époques, étant plus éloignes, ils attirent et consument nmins d'eau. Ainsi , ce qui aupara- vant se perdait produit une espèce de crue. Ou voit des fleuves qui tombent dans un gouffre oii ils disparaissent aux regards; on en voit d'autres diminuiT graduellement, puis se perdre, etàque!- que intervalle reparaître et reprendre leur nom et leur cours. Cela s'explique clairement; ils trou- vent sous terre des cavités , et l'eau se porte natu- rellement dans les lieux les plus bas et où des vi- des l'appellent. Reçus dans ces lits nouveaux, ils y suivent leur cours invisible; mais, dès qu'un corps solide vient leur faire obstacle, ils le bri- sent sur le point qui résiste le moins à leur pas- sage , et coulent de nouveau à la face du ciel. Tel le Lycus longtemps dans U terre englouti, Soiis un c:el é.ranger renaît loin de sa source. Tel , perdu dans un gouffre et caché dans sa course. L'Eraiin reparaît dans les plaines d'Argos. Il en est de même du Tigre en Orient; la terre l'absorbe, et il se fait chercher longtemps; ce n'est runt, ex spuma solidanlur. Necessario levé est, quod ei ventoso iuanique concretuni est. Quorunidam causa nou potest reddi, quare aqua ISilotica foecundiorcs tèniiniis facial, adeout quarumdani viscera louga sterilitale prae- clusa,adconceptumrelai:iTerit; quare qu;rdain InLycia aquîB conccplum fcniinarum cusiodiant, quas soient pe- tere , quilms parum tcnax vulva est. Quod ad me allinet, pono isla inter teniere \ulgala. Credituni est, qiiasdani aquas scabieni afferre corporibus, quasdani vitiliginem, et fœdam ex albo v.irietateni . sive infusa sive pota sit; quod vitium dicunt habere aquain ex rore collcctam. Quis non gravissinias esse aquas credat , qua; in crystal- lum cocunt? Contra autcni est; tenuissimis enim hoceve- nit, quasfrigus obipsanitenuitaleinfacillinieKelat.Unde auleni fiât ejusmodi lapis, apud Grjecos ex ipso nomine apparet:x;i»jTaiioveniniappellant dam flumim augentiir, nt Nilus; cuius alias ratio reddetur. Throphrastus est auclor, in l'dnlo quoque quosdam amne ^ crcsccre teinpore ;rstivo : quatuor autem esse judicant causas. Aul quia luncniailnie in hiimnrcra mulabilis terra est; aut quia mpjores in rc- molo imbres sunt , quorum aqu.n pcr secretos cunicnlos ri'ddila, lacite suffnnditur. Tertia, si crebrioribus venlis oslium ca?dilur, et retcrbenitur fliictu, amnis restilii : qui crcscere videlur, ijuia non effuaditiir. Quarta ratij est sidcrum. Ha'c eiiini quibusdam nicnsibus magis ur- gent, et cxhauriunt Ihunina; quum longius recesserunt , niiuiis consurjunt at(|uc Irabunt. Iiaque qtiod impendin solebat, id mcremeuto acccdit. Quapdam fluniina palam in aliquem specum decidunt, et sic ex oculis auferuntur; quocdam consumuntur paulalim , et intercidunt : eadeni ex intervalto reTertuntur, recipiuutque et nomen et cur- sum. Causa manifesta est, sub terra vacat locus. Omnis autem humor natura ad inferius et ad inane deferlur. Illo ilaque recepM finmina cursus cpere secreto; sed qnum primimi aliquid solidi, quod obslaret, occurrit, perrupta parle, quœ minus ad exilum repugnabat, re- pc'tiere cuisum suum. Sie iibi terrono i.ycus est epolus tiialn Exsislit procnl bine, atinqne renascllnr ore ; Sic (iiodo conibiliitnr. lacito niotto gurgile lapsus Il diliiur Argoticis insères Era>inus in undis. Idem et in Oriente Tigris facit : absorbelur, et desidera- QUESTIONS N qu'à une distance considérable , et on ne doute pas alors que ce ne soit le même fleuve, qu'on le voit sortir de l'abinie. Certaines sources rejettent , à des époques flxei, les immondices qu'elles conte- naient; c'est ce qui arrive "a l'Aréthuse en Sicile , tous les cinq ans , an temps des jeux olympiques. De l'a l'opinion que l'Alphée pénètre sous la mer de l'Acliaîe jusqu'en Sicile, et ne sort de terre que sur le rivage de Syracuse ; et que, pour cette raison, durant les jours olympiques, il y apporte les excréments des victimes qui ont été jetés dans son courant. Ce cours de l'Alphée, mon cher Lu- cilius, vous l'avez mentionné dans un poëme, vous et Virgile, quand il s'adresse "a Arétliuse: Qu'ainsi jamais Doris aai liords siciliens N'ose à tes flots mêler l'amerlume des siens. Dans la Chcrsonèse de Rhodes se trouve une fon- taine qui , après qu'on l'a vue longtemps pure , se trouble et élève du fond 'a la surface quantité d'immondices, dont elle ne cesse de se dégager jusqu"a ce qu'elle soit devenue tout 'a fait claire et limpide. D'autres fontaines se débarrassent, par le même moyen, non-seulement de la vase, mais des feuilles, des tessons et de toute matière pu- tréfiée qui Y séjournait. La mer fait partout de même ; car il est dans s^a nature de rejeter sur ses rivages toute sécrétion et toute impureté ; néan- moins , sur certaines plages ce travail est pério- dique. Aux environs de Messine cl de Myles, elle vomit , en bouillonnant , et comme dans des accès de fièvre, une sorte de fumier d'une odeur infecte ; de l'a la fable a fait de cette île lesétables des bœufs du Soleil. Il est en ce genre des (ails difficiles 'a ATURELLES. 449 expliquer, surtout lorsque les périodes stmt mal observées et incertaines. On ne saurait donc en donner une raison directe et spéciale; mais, en général , on peut dire que toute eau stagnante et immobile se purge naturellement. Car, pour les eaux courantes, les impuretés n'y peuvent sé- journer; le mouvement seul entraine et chasse lout au loin. Celles qui ne se débarrassent point , de cette manière ont un flux plus ou moins consi- dérable. La mer élève du fond de ses abîmes des cadavres, des végétaux, des objets semblables a des débris de naufrage; et ces purgatious s'opè- rent non-seulement quand la tempête bouleverse les flots, mais par le calme le plus profond. XXVII. Mais ici je me sens invité à rccherciier comment, quand viendra le jour fatal du déluge, la plus grande partie de la terre sera submergée. L'Océan avec toute sa masse et la mer extérieure se soulèveront-ils contre nous? Toiubera-t-il des torrents de pluies sans fin; ou , sans laisser place à l'été , sera-ce un hiver opiniâtre qui brisera les cataractes du ciel , et en précipitera une énorme quantité d'eaux ; ou les fleuves jailliront-ils plus vastes du sein de la terre, qui ouvrira des réser- voirs inconnus; ou plutôt, au lieu d'une seule cause 'a un si terrible événement, tout n'y con- courra-t-il pas, et la chute des pluies, et la crue des fleuves , et les mers chassées de leurs lits pour nous envahir? Tous les fléaux ne marcheront-ils pas de front ii rancantisseo)ent de la race hu- maine? Oui, certes; rien n'est difficile à la na- ture , quand surtout elle a hâle de se détruire elle-mûme. S'agit-il de créer, elle est avare de ses tus din , tandem longe reoioto loco , non tamen dubiut an idem sit, eniergit. Quidam Fontes ccrto lempore purga- menla éjectant ; Ul Areltiusa in Sicilia , quiuta quaque ss- tate prr Olympia. Inde opinio est, Alphieon ex Acluia eo iis<|ue penetrare, et agere sub mare cursum, uec ante qiiain in Syracusano litore eniergere. Idcoque ils diebus quiSnis Olympia tunt, fictlinarum stercus secundo tradi- tum Uumini illic redundare. IIoc et a te tradilum est in pwmate , Lucili carissinie , et a Virgilio, qui alloquitur Arettiusain : Sic tibi . cum fliictus siibterlaliere Sicanos , Doris amara suam iiod iiitermisceat iiodam Est in Cbersoneso Rhodiorum fons, qui post magnum interva'ilum tempori» . foeda quxdam tur! idus ex intime rundat , donec liberatus eliqu;itusque est. Hoc quibusdani locis foules faciunt, ut non (anluui lulum, sed folia, tes- tasque, etquidquid pulrejacuit, expcllant; ubique autem (acit mare;cui hsc nalura est, ut omne immiindnm stercorosuniqne liloribiis impingat. Qua>dam vero p irtes mari» id cerlis temporibns faciunt ; ut circi Messanani et Mïlas nnio quidilam simile , turbulentum in litii» mare prolert, fcrretque et xstoat, non sine odore fœdo. Unde illic slabulare Solis l)o?es, fabula est. Sed difllcilis ratio est quorumdam ; utique ubi tempus ejus rei , de qua quirritur, inubservalum et inccriUMi est. Ilaque proxinia quidem inveniri et vicina non potest causa, ceterum pu- lil ca est illa : Oumis aqiiaruni s:ao!iuni clausarumquc natura se purgat. Nani lu tiis quibus cursus est, uon pos- suiit vltia consislere, qu.T sua vis defertet exportât. Illic quae non emittunt quidquid insedlt , niagis minusvc ws- tuant. Marc vero cadavera , stranicntaquc , et naufrago- ruin reliquiis similia, ex intime trahit, nec laotuni tem- pestate fluctuque, sed tranquillum quoque placidumque piirgatur. XXVIl. Sed monet me locus , ut qusrani , quum fata- lisdies diluTli veuerit,queniadnioduni magna pars terra- ruiii undis obrualur. XJIrum Occani >iribus liât, et ex- ternuin In nos pc'agus exsurgat; an crebrl sine inlerniis- sione imbres,. et, ctisa apslate , bienis pcrtinai immensam ïlm aquarum ruptis niil)ibus deruat; au llumina teltiu largius fondât, aperialque fontes novos; aut non si uoa lauto malo causa , sed onmi» ratio consenliat , et s luul inibre» cadiint, llumiiia increscant, m iria sedibus suis c\cila percurrant, et omuia uno apiniiie ad exitiuni bu- i mani goneris incumbant. lia est. Nihil dillicile est na- 2U };>o SÉNÊQUE, secours, et ne les dispense que par d'insensibles [)rogrès ; c'est brusquement qu'elle brise son œu- vre , elle y apporte toute sa force. Que de temps ne faut-il pas pour que le fœtus, une fois conçu, se maintienne jusqu'à l'enfantement ! Que de pei- nes pour élever cet âge si tendre! que de soins pour le nourrir , pour conduire ses frôles organes jusqu'à l'adolescence ! El comme un rien défait tout l'ouvrage ! Il faut un âge d'homme pour bâtir une ville, une heure pour la ruiner; un moment va réduire en cendre une forêt d'un siècle. D'im- menses ressorts soutiennent et font agir l'ensemble des choses, qui peut se rompre et crouler d'un seul coup. Que la nature vienne a fausser le moindre de ses ressorts, c'en est assez pour que tout pé- risse. Lors doue qu'arrivera l'inévitable catastro- phe , la destinée fera surgir raille causes "a la fois : une telle révolution n'aurait pas lieu sans un bou- leversement général du monde , comme pensent cerlains philosophes , et Fabianus est du nombre. D'abord tombent des pluies excessives; plus de .soleil aux cieux, qu'assombrissent les nuages et un brouillard permanent, sorti d'humides et épaisses ténèbres qu'aucun vent ne vient éclaircir. Dès lors le grain se corrompt dans la terre ; les mois- sons amaigries ne poussent que de stériles épis. Tout ce que sème l'homme se dénature , et l'herbe des marais croit sur toute la campagne; bientôt le mal atteint des végétaux plus puissants. Déta- ché de ses racines , l'arbre entraîne la vigne dans sa chute; aucun arbrisseau ne tient plus a un sol fluide et sans consistance , où déjà les gazons, les riants pâturages périssent par l'excès des eaux. La fan)inc vient sévir : la main se porte sur les aii. nienls de nos premiers pères; on secone l'yeuse , le chêne, et les arbres dont les racines implantées dans la niasse pierreuse des montagnes ont ré- sisté à l'inondation. Les maisons chancellent ron- gées par l'eau qui pénètre jusqu'en leurs fonde- ments affaissés, et qui fait de la terre un marais; en vain veut-on étayer les édifices qui s'écroulent, tout appui ne peut que glisser où il porte , et sur ce sol boueux rien n'est ferme. Cependant les nua- ges s'entassent sur les nuages; les neiges, amon- celées par les siècles, se fondent en torrents, se précipitent du haut des montagnes, arrachent les forûls déjà ébranlées, et roulent des quartiers de rochers qui n'ont plus de lien. Le fléau emporte pèle-mèle troupeaux et métairies, et, de l'hum- ble cabane qu'il enlève en passant, il s'élance et court au hasard attaquer des masses plus solides. 11 entraîne les villes et les habitants prisonniers dans leurs murs, incertains s'ils doivent plus re- douter ou la mort sous des ruines, ou la mort sous les ondes; double calamité qui les menace a la fois! Bientôt l'inondation, accrue des torrents voisins qu'elle absorbe, va çà et là ravager les plaines, lantqu'enfin, chargée des immenses dé- bris des nations , elle triomphe et domine au loin. A leur tour les fleuves que la nature a faits les plus vastes , grossis outre mesure par les pluies, ont franchi leurs rives. Qu'on se figure le Rhône, le Rhin, le Danube, qui, sans quitter leur lit, sont déjà des torrents, qu'on se les figure débor- dés , et déchirant le sol pour se créer de nouveaux rivages en dehors de leur cours. Quel impétueux lurï', utique iibi in fînem sui properat. Ad originem rc- rnm parce ulilur viribus, di>pensati|ue se increiiientis fjllenîibus; subitn ad ruinam loto inipclii \enit. Quam longo tempore opus est , ut conceptus ad pucrperiuin per- diirct inl'ans, quantis l;il)oribus tener educatur? quani diligeuti nulrimenlo obnosiuin noTissime corpus ailoles- cit? at quam nullo ncgiitio solvitur? Urbes cnuslituit rctasj liora dissoliit. Momento fit cinis, diii silva. Magna tutcla stant ac vigonl oniuia ; cito ac repente dissiliunt. Quidquid ex hoc statu rerum naturi flexerit, in esiliura morlaliuin satis. Ergo quum affuerit illa ncce.ssitas tein- poris, multa sinuU fata causas niovent; nec sine coneus- sione mundi tanta miitalio est, ut quidam pulant, inter qlios Fabiamis est. Piimo immodici cadunt imbres, et sine ullis solibus triste nubilo ca'lum est; neiulaque con- tinua , et ex huniido spissa caligo , nunqiram exsicoanti- bus sentis. Inde viiium satis, et segetum sine fnigc sur- gentium marcor. Tune corruptis qua; ferunlur manu, palustris omnibus canipis hcrl)a succrescit; moxinjuriam et Talid ora sensere. Solutis quippe radicibus, aibusta procunibunt et viiis; alque omne virgultum non tcnetur solo, quod nolte fludumquc est ; jam nec gramina Sut pabula lat.i nquis su.-linet. Famé labcralur, et manns ad aniiqua alimenta porrigllur; qunre ilex et qaercus excu- titur, et quaecumque in his arduis ai bor commissura as- tricta lapidum stetit. Labant ac nudent lecla , et in imuiu usque receplis aquis fundamenlade-sidunt, ac Iota bumiu stagnât, frustra tilubaniii^m fulcra teotautur. Omaeenim fuadanientum in lubricofigilur, et lulosa hume nihil st<- bile est. Postquam magis magisque nimbi ingruuul, et congesta; seculis tabuei unt nives , devolutus torrens al- tissimis monlibus rapit silvas maie bserenles, et saxa re- volulis reniissa conipagibus rolat. Abluit villas, et inter- mixtos OTium grèges devehit; vnlsisque miooribus tectis, qua? in transita abduxit, taudem in majora violentas oi>- errat. Urbes, etimplicitos Irahit mœnibus suis populos, ruinam an naufragium querantur, incertos; adco simul, et quod opprimeret, et quod mergeret, venit. Auclus deinde processu aliquo in se lorrentibus raptis plana pas- sim populatur. Novissime ruina magna geotium clams onusiusque diffu::ditur. Flumina vero suapte natara vasta , et teuipestatibus rapfci , alveos reliquerunt. Quid I lit esse Rbodanum, quid putas Rhenum, atqne Danu- I bium, quihus torrens etiam in canali suo cursus est, I quum superfusi novas sibi fecere ripas , ac scissa humo simul csccssorc alvco? Quanta cum priecipitationc vol- ira QUESTIONS NATURELLES. 4r,\ lïoveloppf^raent, quand le Rhin , répandu dans les campagnes , plus large cl non moins rapide, ac- cumule ses flots comme dans le plus élroit canal! quand le Danube vient battre , non plus le pied ni ; le flâne des montagnes , mais leur ciuie , charriant ! des quartiers énormes de monts , des rocs abattus, de vastes promontoires arraches de leur base chan- celante et détachés du continent; lorsqu'enfin , ne trouvant plus d'issue, car il se les est toutes fer- mées, il se replie circulairement sur lui-même et engloutit, dans le même gouffre, une immense étendue de terres et de cités ! Cependant les pluies continuent, le ciel épaissit ses vapeurs, les causes de destruction s'accrois- sent les unes par les autres. Le brouillard devient nuit , nuit d'horreur et d'effroi , coupée par inter- valles d'une clarté sinistre ; car la foudre ne cesse de luire ; les tempêtes bnuleversenl la mer qui , pour la première fois, grossie par les fleuves qui s'y jettent, et à l'étroit dans son lit, cherche a reculer ses bords. Elle n'est plus contenue par ses limites, mais par les torrents qui lui font obstacle et refoulent ses vagues en arrière; puis eux- mêmes, en grande partie, refluent comme arrêiés à une embouchure trop resserrée , et donnent a la plaine l'aspect d'un lac immense. Tout ce que la vue peut embrasser est assiégé par les eaux. Toute colline a disparu sous l'onde à une énorme pro- fondeur; les sommets seuls des plus hautes mon- tagnes sont encore guéables. La se sont réfugiés les hommes avec leurs enfants, leurs femmes, leurs troupeaux qu'ils chassent devant eux. Plus de communications pour ces malheureux , plus de rapports d'une cime à l'autre ; l'eau a tout rou- vert sous leurs pieds. Ainsi se lient attaché aux sommités du globe ce qui reste du genre humain ; heureux encore dans cette extrémité d'être passé de l'épouvaute à une stupeur morne; la surprise n'a pas laissé place a l'effroi ; la douleur même n'est plus possible ; car elle perd sa force des qu'on souffre au-delà de ce qu'on peut seiitii . On voit (ionc s'élever, comme des iles, des pointes de montagues qui forment de nouvelles C»clades, suivant Ihemeuse expression de ce poète si ingé- nieux , qui ajoute , avec nue magniticeucc digne du tableau : Tout éiail mer; la mer a'avait plus de rivages. Mais le noble entraînement de son génie et du sujet devait-il aboutir h ces puériles niaiseries : Au miliru des bret)l$ nageait avec les loups Le terrible lion désormais sans courroiu? C'est être peu sobre d'esprit que d'oser en fuire sur ce globe que dévore l'abhne. Il était giaiid le |>oëte, il rendait bien cette immense scène de bou- leversement, quand il disait : Les fleuTcs dpiliiinés roulent sur les campagnes... Sous le gouilre écnmjut les tour* cliauiellenl, loinlieot. Tout cela étiiit beau, s'il ne se fol pas occupé de ce que faisaient les brebis et les loups, \age-t-on dans un déluge qui em|H)rte tout ii la lois? i:t la même im[¥!tuositéqui eiitialiie les aiiim:iux ne les engloulit-elle pas? Vous a^ez conçu, comme vous le deviez, l'ima^^e imposante de ce globe eiiseveli sous l'eau, du ciel même croulant sur la terre : soutenez ce ton : vous saurez ce qu'il convient de voDtur, nbi per campcstria fluens Rhenus, ne spalio (jiii- dem languidus , scd latissinie velut pcr angustum aquas implet? Quumquc Oanubius non jam radiées ncc nicdia monliuni stiingit, sed jiiga ipsa sollicitai, ferens seciuii ma- defacta montium latera , rupesque dejectas , et niagnnruni prnnionloria regionum , qua; fundameutis lalMiraii ibus a conlineule rccesserunl? Ueinde non invenicns exi.um, omuia enini sibi ipse pra-cluserat, in nrl>em reilit, iu- genlemqne terraram ambilum atque iirbium uno vorlice involvi . Intérim permanent imbres , fît ivrluiu gravius , ac sic diti malum ei loalo colligit. Quod olim Tuerai nubilum, noi est, et quideni hurrida et tcrribilis. inler- cursu luniiais diri ; crebra cnim micant fulmina , procclla! quatiunt mare : tune primum auctum fluminum accessu , et sibi anguslum, jam promovet litus; non continetur (uis flnibos, scd prohilient eiire torrenles, aguntquc Ouctus rétro : pars tamcn major, ut maligne ostio re tenta, reslagnat, et agros in forniam unius lacus redi- git. Jam onmia , qua; prospici possant , aquis obsideniur. Oranis tumulus in profundo lalel , et immen&a ubique al- tiliidoest; tantam in tummis munlinm jugis >ada sunl. In ea eiccUissima cura libei is conjugibusque fugere , uc- Ua anle se gregibus ; diremlum iiiter miseros coinmercium te transitus; quoniam quidquid submissius cral, id uuda couiplevit. Editissimis qnibusquc adliiereliant reli- quiu! generis humaiii; quilius iu eitrc iia pi\) maguitudiue ni diiit : Oiunia pontus erant; Ueer^ut qtiMtjiio Iilura pont ni>i tan.um jmpeium ingemi cl maicri.i' ad puurilisia- eplias rcdui sset. Kéi lupus inler ovc, fulvos vehit tuida t<'one. Non est rcs s..t:s sobria, 1. sciure dt'toia.o orbe Icrra- rum. Uiiit ingénia, et Uiul)iie U)>jui &ubgurgile turrc». Magniflce hoc, si non curavit, qiiid otes et lupi faciaat. ?ijlari autcm in diiuvio et lu illa rapiuj |>otest I aut non eodem iiuiH-ln pctus omne, quo raplum crat, mersum est? (ionci'pisti ima^'iuem quanlam debebas, obrutis om- nibus terris, ctelo ipso in terram ruente : piTfer : scm mi SENEQUE. «lir« si vous songez que c'est loul un momie qui se noie. — Revenons maintenant a noire sujet. XXVUI. Quelques personnes pensent que dos pluies excessives peuvent dévaster le globe , mais non le submerger ; qu'il faut de grands coups con- tre une si grande masse ; que la pluie peut gâter les moissons, la grôle abattre les fruits, et les ruisseaux grossir les fleuves, mais qu'ils rentrent bientôt dans leurs lits. La mer se déplacera , as- surent quelques antres : telle est la cause qui amènera la grande catastrophe; il n'y a ni tor- rents, ni pluies , ni fleuves déchaînés, capables de produire un si vaste naufrage. Quand l'heure de la destruction est venue , quand le renouvelle- ment du genre humain est résolu, les eaux du ciel tombent sans interruption et par torrents qui ne s'arrêtent plus : je l'accorde ; les aquilons , tous les vents qui dessèchent ont cessé ; les autans multiplient les nuages, et les pluies, et les fleuves. Le mal , tiélas I incessamment s'augmente; Ces moissons , des mortels et l'espoir et l'amour, Ces Iravaui d'une année ont péri sans retour. Or, il s'agit non plus de nuire à la terre, mais de l'engloutir. Ce n'est la qu'une espèce de prélude, après lequel enfin les mers s'élèvent à une hau- teur extraordinaire, et portent leurs flots au- dessus du niveau qu'ils atteignent par les plus grandes tempêtes. Puis les vents les chassent de- vant eux , et roulent d'immenses nappes d'eau qui vont se briser loin «les anciens rivages. Lors- que la mer a recule ses bords et s'est fixée sur un sol étranger , présentant la dévastation de plus près, un courant violent s'élance du fond de l'a- bîme. L'eau est en effet aussi abondante que l'air et que l'éiher, et plus abondante encore dans les profondeurs oîi l'œil ne pénètre pas. Une fois mise en mouvement . non par le flux, mais par le des- tin, dont le flux n'est que l'instrument, elle se gonfle, elle se développe de plus en plus, et pousse toujours devant elle. Enfin, dans ses bonds pro- digieux, elle dépasse ce que l'homme regardait comme d'inaccessibles abris. Et c'est \\om l'eau chose facile; sa hauteur serait celle du globe , si l'on tenait compte des points où elle est le plus élevée. Le niveau des mers s'égalise, comme aussi le niveau général des terres. Partout les lieux creux et plans sont les plus bas. Or, c'est cela même qui régularise la rondeur du globe, dont font partie les mers elles-mêmes, et elles contri- buent pour leur part h l'inclinaison de la sphère. Mais, de même que dan.ç la campagne les pentes graduées échappent 'a la vue, de même les cour- bures de la mer sont inaperçues, et toute la sur- face visible paraît plane, quoiqu'élant de niveau avec le continent. Aussi, pour déborder, n'at-elle pas besoin d'un énorme exhaussement; il lui suf- fit, pour co ivrir un niveau que le sien é{;ale , de s'élever quelque peu; et ce n'est pas aux bords, mais au large où le liquide est amoncelé, que le flux commence. Ainsi , tout comme la marée équi- noxiale , dans le temps de la conjonclio» du soleil et de la lune , est plus forte que toutes les autres, de même celle-ci , envoyée pour envahir la terre , l'emporte sur les pins grandes marées ordinaires, entraîne plus d'eaux avec elle; et ce n'ist qu'a- près avoir dépassé la cime des monts qu'elle quid deceat, si cogitaveris orbem terrarum natare. Nunc ad proposiium revertamur. XXVIII. Sunt qui cxisliment, immodicis imbribus vexari terras posse, non obrui. Magno impelu magna fe- rienda sunl.Facietpluvia segetes nialas, Iruclura grando deculiet; intumescent riTis flumina, sed résident. Qui- busdam placet moveri mare, et illinc causara tanla> cla- dis arcessi. Non pote.vt torrenlinm , aul imbrium . aiit llu- niinum injuria fleri tam grande niuirnigium. Ulii inslat illa pernicies, mutarique genus huiiiaiium placuit , fluere assiduos imbres , et non esse modum plu\iis coucesserim , suppressis ai|uilonibiis, et flatu sicciore ; austris nubes et imbres et amnes abundare. Sed adhiic in damne profectiim est. Sternuntiir SPRetes, et deplorata coloiiis Vota jacent, lonsique périt labor irrilus aiini. ISnn lœdi debent terrac , sed abscondi. Denique qnum pcr i-ta prolusuni est, crescunt maria , sed super solitum , et fluctum ultra ejtremum tempest lis maiima; vcstigium mittunt. Deinde a tcrgoventis urgentibus, ingens aequor •»olvnnt , qnod longe a conspectu interioris litoris fran- giluT. Deinde ubi lilns his prolslum est, el pelagus in alicno conslilit, velut pdiiiito malo cornions procnrrit aeslus ex imo recessn maris. Nam ut aeris, ut aflheri», sic hujus elementi larga materia est, niultique in alidito plenior. Iliec fatis mota , non apstu , nani aîstus fali niinis- terium est, attollit Tasio sinu frctum, agitque ante se. Dfinde in rairam altiludinem erigitiir, et illis tulis ho- niinura reccptacuiis superest. \ec id aquis arduuni est, quuuiani a'quo terris fastigio ascendtreni, si quis ei- celsa perlibret. Slaria paria sunt. Nani par uodique sibi I ipsa lellus est. Cava et plana un.tique nferiora sunt. Sed I istis adto in rolunduni orbis «quatus est , in parle autem eiuset maria sunt, qua;in uniusa>qualitatem pilsecoeunt. Sed queniadniodum campos intueulem , qua» paulatim devexasunt, fallunt. sic non intelligimus curvaluras ma- ris , el >idelur planum quidquid apparet; at illud ipquale terris est. Ideoque ni eflluat, non magiia mole se tollet; dum salis estijil, ut supra paria veniat, leviter eisur- gere; nec a lilore ubi inferius est, sed a medio, ubi ille cumulus est , définit. Ergo ut solot a-stus xquinoctialis , snb ipsuin luna» solisque coiUim , omnibus aliis major un- «lare; sic hic qui rd occupandas terras mittitur, soliti» niaiiniisque violentior, plus aquarum trahit ; nec anir- qiiam supra cacamina eorum, quos perfiisiirtis est. 1 QUESTIONS NATURELLES. i!oit couvrir, qu'enfin elle relrograde. Sur certains 4-^3 (xjinls, la marée s'avance jusqu'à cent milles, sans ilommage et d'un cours régulier ; car alors c'est ùvec mesure qu'elle croît et décroît tour a tour. Au jour du déluge, ni lois, ni frein n'arrêtent ses élans. Quelles raisons à cela'? dites -vous. Les mêmes qu'a la future conflagration du monde. Le déluge d'eau ou de feu arrive lorsqu'il plait à Dieu de créer un monde meilleur et d'en Unir avec l'ancien. L'eau et le fen soumettent la terre 'a leurs lois; ils sont agents de vie et instruments de mort. Lors donc que le renouvellement de toutes choses sera résolu , ou la mer, ou des flammes dévorantes seront déchaînées sur nos têtes, selon le mode de destruction qui sera choisi. XXIX. D'autres y joignent les commotions du globe qui entr'ouvrcnt le sol cl découvrent des sources nouvelles d'oii jaillissent des fleuves, tels qu'eu doivent vomir dos réservoirs jusqu'alors in- tacts. Bcrose, traducteur de Bélus, attribue ces révolutions aux astres, et d'une maiMère si affir- mative, qu'il fixe l'époque de la conflagration et du déluge. Le globe , dit-il , prendra feu quand tous les astres, qui ont maintenant des cours si divers, se réuniront sous le Cancer, et se place- ront de telle sorte les uns sous les autres , qu'une ligne droite pourrait traverser tous leurs centres. Le déluge aura lieu qunud toutes ces constellations .seront rassemblées de même sous le Capricorne. Le premier de ces signes régit le solstice d'hiver ; et l'autre, le solstice d'été. Leur influence 'a tous lieux est grande, puisqu'ils déterminent les deux principaux changcnienis de l'année. J'admets aussi cette double cause ; car il en est plus d'une "a un tel événement; mais je croîs devoir y ajouter celle que les stoïciens font intervenir dans la confla- gration du monde. Que l'univers soit une âme, ou un corps gouverné par la nature, comme les arbres et les plantes, tout ce qu'il doit opérer ou subir, depuis son premier jusqu'à son dernier jour, entre d'avance dans sa constitution, comme en un germe est enfermé tout le futur développe- ment de l'homme. Le principe de la barbe et des cheveux blancs se trouve chez l'enfant qui n'est pas né encore ; il y a là en petit l'invisible ébau- che de tout l'homme et de ses âges successifs. Ainsi , dans l'eufantemcnt du monde , outre le so- leil , et la lune, et les révolutions des astres, et la reproduction des animaux , était déposé le principe de tous les changements terrestres, et aussi de ce déluge qui, de même que l'hiver et l'été, est appelé par la loi de l'univers. Il aura donc lieu non par les pluies seulement, mais aussi par les pluies; non par l'irruption de la mer, mais entre autres choses par cette irruption ; non par la commotion du globe, mais par celte com- motion aussi. Tout viendra en aide à la nature , pour que les décrets do cette nature s'exécutent. Mais la plus puissante cause de submersion sera fournie par la terre contre elle-même ; la terre . avons nous-dit , est transmuable et se résout en eau. Lors donc qu'aura lui le jour suprême do l'humanité, que les parties du grand tout devront se dissoudre ou s'anéantir complètement pour re- naître complètes, neuves, purifiées de telle sorte qu'il ne reste plus aucune influence corruptrice, il se formera plus d'eau qu'on n'en aura vu jus- qu'alors. Aujourd'hui les éléments sont répartis niontiumcrevit, devolv tiir, Per centcna millia quibus- ilaiii locis aestds enciirrit inno\ius, et ordinem serval. Ad iiiensurani eniiii crescit, iteruinque decrescil. At illo leinpore solutus legibiK, .sine tiiodo fertur. Qua ratione: inquii. Eadem, qua ronnagi-ali i fulura est. Ulrumque lit, qiiiiin Den visum ordiri ineliora, vetera finiri. Aqaa et iijnis terrenis domiuantur. Kt his ortiis, et ei iiis in- tTÏtiis est. Ergo quandoqiie pi cuere res nova; niuiido, >ic in nus mare emiltitur ilesuper, ut fervor ignis, quurn aliiid genus exilii placuil. XXIX. Quid-nm eiislimant terr.im quoquc concuti , et dinipto jolo iioïa niiminiim rapita detegere . qua' am- plins ut e pteno profundant. Bcioju». qui Bi-luni inler- (iretatus est, ait cursu isia siderum fleri ; et adeo qnidein affirmât, ut conflagrationi alquc dilu?ia tempus assig- ne!; ar>ur.i enim terrena cnntendit, quando omnia si- ilera , quae nune diverses agunt cursus, in Cancruui ron- vcuerint, sic sub eodem posita vestigio, ut recla linea rùre per orbes omnium possit; inundalionem (uturnm, quutn eadem siderum turba in Cai)ricornum convencrit. Illic solstitiiim, hic t>ruma conOcitur. Magna; polentia; fllfnat (juaudo in ipsa mutatione anni momeuta sunt. Et istas ego receperim causas ; neque enim ei une est taota prrnicies; et illam quae in conflagratioae nostris placet, bue quoque transferendani piito , sive anima est mundus, sive corpus, nalura gubernante, ut arbores, ut sala, ab initie eju» iisqiie ad ciilum quidquid facere, quidqnid pati debeat, inclustim est; ut in seniine omnis fuluri ratio tiominis romprchensa est. El legem barbx' et canurum Domtdm nalus infans tiabet; lolius enim corpo- ris, et sequcntis a'tatis in parvo occultoque linéament» sunt. Sic origo nmndi , non minus solem et Itmani, et Yices siilerum, et aninialium ortus , quam quibus muta- ronlur lerrcna, conliuiiit. In bis fuit inundatio, qu£B non secus qu.nm hiems , quam a'stas , lege mundi venit. lîa- que non pluvia islud flct, sed pluvia quoque; non in- ciirsu maris , sed mriris quoque incursn; non terra? molu, sed terrœ quoque mntn. Omnia adjuviilmnl naturam , nt nalura» constitiita peragantur. Ma\imam tamen eiiiisam, ad se inundandam, terra ipsa pra-staliit; qu.mi diiimu» esse mutabilcm , cl solvi in humorem. Er);o quandoque rrit terminas rel)us humants; quum partes ejus interirc dcliuerint, abolerlie fnndilus tola; , ut de in:cgro lolae , rudes ioDOiiaique generentur , nec supersit in detenofîl 454 SENÈQUE. dans une juste proportion. Il faut que l'un d'eux , sera confondu ce plan de la nature qui faisait dn se Irouveen excès, pour que l'équilibre du monde soit Iroublé. C'est l'eau qui sera en excès; niain- len;int elle ne pput qu'envelopper la terre et non ia submeriier. 'l'out accroissement devra donc la poussera un envahissement. 11 faudra que la terre cède a un clément devenu plus fort qu'elle. Elle commencera pnr s'aniullir, puisse détrempera, se délaiera et ne crssera de couler sons forme liquide. Alors, de dessous les mon lagnes ébranlées, surgi- ront des fleuves qui fuiront ensuite sourdement par mille crevasses. Partout le sol rendra les eaux qu'il couvre; du sommet des montagnes jailliront des sources; et de même que la corruption s'éiemi à des chairs saines, et que les parties voisines d'un ulcère unissent par s'ulcérer, de proclie en proche, les terres en dissolution feront tout dis- soudre autour d'elles, finis 1 eau soriira par filets, par courants; et des rochers entrouverts de tou- tes parts, des torrents se prccipilcnint dans le sein des mers qui , toutes . n'eu formeront plus qu'une seule. H n'y aura plus d'.Ulrialique , de détroit de Sicile , de Charyhde , de Scylla ; la nouvelle mer alisorbeia toutes ces illnsi râlions mylholiigiques; et cet Océan, aujourd'hui limiie et ceinture du monde , en occupera le centre. Que dirai-je enfin? L'hiver envahira les mois consacrés aux autres saisons; il n'y aura plus d'été, et les astres qui dessèchent la terre perdront leur ac- tivité et leur chaleur. Klles périront toutes, ces di'norninaiionsde mer Rouge et de merCaspienne, de golf(! d'Auibracie et de Crète , de Pont et de Propontide : toute distinction disparaîtra. Alors globe diverses parties. Ni remparts, ni tours ne protégeront plus personne ; il n'y aura d'asile ni dans les temples, ni dans les hautes citadelles ; l'onde y devancera les fuyards et les balaiera du sommet des tours. Eile fondra par masses de l'oc- cident; elle fondra de l'orient; en un jour elle aura enseveli le genre humain. Tout ce que la for- tune a rais tant de temps et de complaisance b édi- fier, tout ce qu'elle a fait de supérieur au reste du monde, tout ce qu'il y a de plus fameux et de plus beau, grandes nations, grands royaumes, elle abîmera tout. XXX. Rien , je le répète , n'est difficile à la nature, quand surtout ce sont choses primitive- ment déciétées par elle, et que ce n'est pas brus- quement qu'elle s'y porte, mais après maint aver- tissement. Dès le premier jour du monde, quand , pour former l'ordre actuel , tout se dégageait de l'informe chaos, l'époque de la submersion du globe fut fixée ; et de peur que la tâche ne fût trop difficile pour bs mers, si elle était toute nou- velle , elles y préludent depuis longtemps. Ne voyez-vous pas comme le flot heurte le rivage et semble vouloir le franchir? Ne voyez-vous pas la marée aller au-dcla de ses limites, et mener l'O- céan 'a la conquête du monde? Ne voyez-vous pas cette lutte incessante des eaux contre leurs bar- rières? Mais pourquoi tant redouter ces irruptions bruyantes, et cette mer, et ces débordements de fleuves si impétueux? Où la nature n'a-l-elle point placé de l'eau pour nous assaillir de toutes paris quand eile voudra? N'est-il pas vrai qu'en fouil- mnpistcr; plus li!Miiori.s. (|iiaMi sonipcr fuit, fiet. Niinc eniiii l'icnienln ad iil , (pioil d(>l)(> nr , pensa siinl. Aliquid opor;e: si cri accédât, ut quir îibrnmenio s:ant, ina'(]ua- li;as tiiîlw't; arccdiJl huMiori ÎSniic cniin tialict (pio am- l)iat terras , n )ri qn i olirnat. Quidqiii I illi accesserit , neiessc c^t in iilienuni I cuni cviui Ici. Undacrsoet terra non niiinis det)et. ut validiori infirma snecuniliat. Inci- piet erpo pnlrescpre, deliinc laxaia ire in huniorein , et «ssidua t;ilie dclliK re. Tuiic exs'Iient sut) nioniibus tlu- mina , ip>osque inipetp quiitient; inde aura tacila mana- bnnt. .S >lnni oinne aqnas reddet, summi seatmient mon- tes , qiicniad nodum in nimbuni tianseunl saiiii , et uleei i ^icina consenlinnt; nt quasqup proïinia terris llueniibus fuerint, eluentur, slillaliunt, etd.inde currcnt, et hianle plurilins locis saxo, per (re;um sali nt, et maria inier se ccmponent. TSitiit erunt Iladriatici , uiliil Siculi a>quoris fouce^ , niljil Charvbdis, mliil Scylla. Omnps novnm mare fabulas obruit, et hic qui terras cinpit Oceanus ex- Iremns, Tcniet In médium. Quid ergo esty ni'iiloniinns tenehit alieuos nienses hiems , a'stas probiljebitnr , et qnodcunqne terras sidns exsiccat , c unpresso ardore ces- »abit. Veribuut tût n mina, Caspinni et lînbrum mare, Aniirjcii et Crclici sinus, Proponlil et Pontiis. Peribit nmnc disciimen. Confundetur quidquid ia suas partes naiura dipessit. Non mûri iincmquani , non turres tuebun- lur. ISon prodtTunt teuipla suppticibus , nec urbium snmma ; quippe fngieiites unda pravcniel , et ex ipsis arcibns deferct. .41ia ab ocrasu, alla ab oriente coucur- rent; unus bunianiim genns condet dies. Quidquid tam longa forluna> indulpentia excoluit , quidquid supra ce- leros extulit, nnt>ilia piiriter atque adoruata, magnarum- qne penliuni régna pissuindabit. XXX.Sunt Oiiiuia, ut dixi, facilia aa'.nrse; utiquequae a primo facere constiiuit; ad quae non subito, sed ex de- nuntiato venit. Jam aut^m a primo die muodi , ({uum in bunc habitum tx infermi unitale discederet, quando mergerenlnr terrena , decretum est ; et ne sit quandoqua velut in nnvo opère dura molilio, ohm ad baec maria se exercent. Non vides, ut llucins in litora, tanqnam eiila- rus, incurrat? ^on xidcs, ut asslus fines suos Iranseat, et in posse.ssiouem lerrarum marc indncat? Non vides, ut illi perpétua cum ctaustris suis ptigna sit? Qiiis porro istinc . unde tanluni tumullum \ides, metus est e mari, et magno impetu erumpenlibus Duviisî Ubi non hnmo- rem natura disposuit, ut undique nos, quum Toluisset, apgredi posset? Menlior , nisi eruentilms terram buiaor QUESTIONS N hiiil lii lerre , c'est de IVau qu'on rencontre? 'luulcs les rois que la cupiclilc , ou toute autre cause nous porte a creuser profondément le sol , les travaux cessent par la présence de l'eau. Ajou- tez qu'il y a dans l'intérieur du globe des lacs immenses, et plus d'une mer enfouie, cl pins d'un fleuve qui coule sous nos pieds. Sur tous les points donc ahondcront les éléments du déluge, puisqu'il y a des eaux qui coulent dans le si'in de la terre, sans compter celles dont elle est entou- rée: longtemps contenues, elles trioniplieronl en- fin et réuniront les fleuves aux fleuves, les lacs aux lacs. La mer souterraine emplira les hassins des sources dont elle fera d'immenses gouffres béants. De môme que notre corpi peut s'épuiser par un flux continuel , et nos forces se perdre par une transpiration excessive, la terre se liquélicra, et, quand nulle autre cause n'y contribuerait, elle trouvera en elle-même de quoi se submerger. Je conçois ainsi le concours de toutes les grandes masses d'eaux , et la destruction ne sera pas lon- gue à s'accomplir. L'harmonie du monde sera troublée ei détruite , dès qu'une fois la nature ce relâchera de sa surveillance lutélaire : .soudain , de la surface et de l'intérieur de la terre, d'en haut et d'en bas les eaux feront irruption. Uien de si violent, de si immodéré dans sa fougue, de si terrible h ce qui lui résiste , qu'un immense volume d'eau. Usant de toute sa liberté , et puis- que ainsi le voudra la nature, l'eau couvrira ce qu'elle sépare et environne maintenant. Comme le feu qui éclate eu plusieurs endroits se confond bientôt en un vaste incendie , tant les flanmics ont bâte de se réunir ; ainsi , en un moment , les .\^TUU ELLES. 1* • mers débordées n'en feront plus qu'une seule. Mais la licence des ondes ne sera pas éternelle. Après avoir consommé l'anéantissement du genro humain et des botes farouches dont l'homme avait pris les mœurs , la terre réabsorbera ses eaux ; la nature commandera aux mers do rester iHimobi- les , ou d'enfermer dans leurs limites leurs GoiJ en fureur; chassé de nos domaines , l'Océan sera refoulé dans ses profondeurs, cl l'ancien ordio réiabli. 11 y aura une seconde création de tous les animaux; la terre reverra Ihomme, ignorant le mal et né sous de meilleurs auspices. Mais son innocence ne durera pas plus que l'enfance du monde nouveau. La perversité gagne bientôt les âmes; la vertu est difduile à trouver; il faut un maîlre, un guide, pour aller à elle; le vice s'ap- prend même sans précepteur. LIVRE QUATRIEME. PRÉFACE. Vous aimez donc, h on juger d'après vos lettres, sage Lucilius , et la Sicile, et le loisir que vous laisse voire emploi de gouverneur. Vous les aimerez tou- jours, si vous voulez vous tenir dans les limites de celle charge, si vous songez que vous êtes le mi- nistre du prince, et non le prince lui-même. Ainsi ferez-vous, je n'en doute pas. Je sais cmnbien vous êtes étranger à l'ambition , et ami de la retraite et des lettres. Que ceux-l'a regrettent le tourbillun des affaires et du monde, qui ne peuvent se souf- frir eux-mêmes. Vous, au contraire, vous êtes si occurrit , et quotips do^ avaritia aut dcfodit, aut aliqua causa penetrare altius cogit, eruendi finis iiiidii est. Ad- jice nuQC, quodinimaDessiint iu alxlitu lacus , et ojultuni maris coiiiiili , miiltuiii iliiniinuin per opcria labcotiuin. Undique erKO eruDt causée diluvio , quuni ulia; aquu8 jungent , paltjdibus stagna. Om- nium tiinc mare ora fontium impleliit, et majore liiatu solvet. Qucmadmodum curpora noslra ad egoslum ven- ter eiliaurit, queniadmodum eunt in sudurem vires; ila lellnsliiiuenel, et aliis causisquiescentibus, intra se, quo ■nergatur, inveniet. Sic magna omnia coitura crodide- rim. Nec erit louga niora cxiiii. Tcntalur di?elliiurqne roncordia, quum semel aliqnid ci bac idonca diligenlia lemiseril œnndus ; statim undj>|ue ei aperto, ex abdilo, ^uperne, ab imo, aquarum licl irruplio. Mbil est tini vio- lenlum et incontincns sui , tani rontumai, infeslum(|ue retinentilms.quam magna >is undfr; uteturlil>erlalcpcr- missa, et jnbentc nalura.qux scindit circuitqiic, com- plel)il. Ut ignis diter>is locis nrtus, cilo miscel incen- dium , flammis coire properantibus ; .sic mumenlo reduu- daotia maria se commitleut. Ncc va seniper licenlia un- dis erit; sed peractoeiitiogeneris huinani, eistinctisqu« pailler feris , in qnarum homines ingénia lran.sicran; , iterum aquas terra sorbebil; nalura pclagus slare.aut intra ternimos suos furere cogel; cl rcjiciuse noilri.s tp- dibus, in sua sécréta pellctur Oce nus; cl anli(|ims irtus rtifficilis inventnest, reclorcm ducemque desideral. Etiamsin* magisiro vitia discuntur. LIBER OUARTL'.S. pa.iFiTio. Détectât te, quemadmodum scribis, Lucili vironim optimc , Sicilia , et oflicium prociiralionis oliosœ. Delec- labil, si cnntinere id intra lincs suos voliicris, nec efD- ecre impcriuni , quod est procurulio. l'acturum le boc , non duliito. Scio quam sis ambitioni alicnus, quam l,i- miliaris olio et literis. Tnrbani rerum hnminumqiie du- sidèrent, itia non no'ic, boc eliam odisse ; ab omni illum p.nrte tentasli. Ingenium suspicere cœpisii . omnium maximum et dignissinium , qiiod consecrari maltes , quam cont iri ; pedes abstulit. Frii|>alilatpm laudare «ppisti, qua !,ic a nummis resilnit, ul illot nec hat>ere nec damnare ïidealnr; prima slaiiin Terba pra-cidil. Cœpisli niirari romilatein el incomposi- tam suaùlalpm, qn.T illos quoque, qnos transit, al)ducil, graluitum etiam in ol)vios mcrilum. Nenio enim morla- linni uni iimi dulcls esl, i^uam hic omnibus ;quum iiitcriui taula nalurali» boni vis esl, uti aitem sinml lioiiem(;ne non redoleat. Nemo non impu;ari silii bonilatem pul>li- caiii palitur; boc quoque loco blandiliis tais restilit, ul Mciamares, iuTenisse le ineipugnabitim virum advcrsus in.s'dias,qnasnemononinsinum recipit. Eo quidem ma- gis tianc ejus prudenliam , et in evilando inevilabili malo fcriinaciam le suipicere confeuna es, quia spcraveras posse aperlis auribus recipi , quamtis blanda diceres, quia Tera dicel>as. Sed eo niagis inlellexit obstanduin. Semper enim falsis a vero |)clilur Teriliis. Kolo lanien tibi displiceas, quasi m^le egeiis niimum, et quasi ille aliquid jocoruin aut doli suspicalus sit. Non deprehendit te, sed repulil. Ad hoc exemplar coniponere. Quum quis ad te adulator accesserit, diciio : •Vis lu isla >ert)a. quae jani ab alio magisiratu ad alium cum lictoribus Iranseunt, ferre ad aliqueni , qui paria faclurus, tuII quidqiiid diieris, audire? Epo nec dccipcre volo, nec dicipi pos- suni. L;.udari me a Tobis , ni&i laudarelis eliam malus, veltem. » Quid aulem neccsse esl in lioc descendcre, ni le pclere (ominus possinl? Lon^'uni inter vos inler\alliim lit. Quum cupieris beue lauilari , quare hue ulli debias? Ipse le lauda. Die : • Lil)eralibus me sludiis Iradidi, qiian- quam paupcrlas alia suaderet, etingeiiium lo alidiicerel, ubi pra'sens sludii prelium rst. Ad giatuila (arniina dp- Ueii me, et ad satulare philoiopliiie sliidiiiiii contiiti. Os- lendi in omne pectus Ciidere ïiiluteni; et eluclalus nita- lium angusli:i8. nec sorte me, sed i.uinio nu'Usus, par niaiimis steli. Non niibiam cilia Ga;lulici Caii lldein eri- puil ; non in aliorum ptrsonani infeticiter amalorum , Messala el Narcissua , diu puliiici bosles , autequam soi , 458 SÉISÈQUE. (le l'autre, n'ont pu détruire mon dcvoûment à d'autres personnages qu'il était funeste d'aimer. J'ai offert ma tête pour garder ma foi. Pas une pa- role qni ne pût sortir d'une conscience pure ne ui'a été arrachée. J'ai tout craint pour mes amis, je n'ai craint pour moi que de les avoir trop peu aimés. D'indignes pleurs n'ont point coulé de mes yeux ; je n'ai embrassé en suppliant les mains de personne. Je n'ai rien fait doniesséanth un homme de bien , à un homme de cœur. Plus grand que mes périls , prêt 'a marcher au devant de ceux qui nie menaçaient, j'ai su gré 'a la fortune d'avoir voulu éprouver quel prix j'attachais h ma parole. C'était une chose trop grande pour qu'elle me coûtât peu. La balance ne me tint pas longtemps incertain ; car les deux poids n'étaient pas égaux : valait -il mieux sacrifier ma vie "a l'honneur, on l'honneur îi ma vie? Je ne me jetai pas d'un élan aveugle dans la résolution extrême qui devait m'arracher à la fureur des puissants du jour. Je voyais autour de Caligula des torluies, des bra- siers ardents. Je savais que dès longtemps, sous ce nionslre, on en était réduit a regarder la mort comme une grâce. Cependant je ne me suis point courbé sur la pointe d'un glaive, ni élance, btin- che béante, dans la mer, de peur qu'on ne crût que je ne savais mourir que pour mes amis. Ajou- loz que jamais les iirésents n'ont pu corrompre voire âme , et que , dans cette lutte si générale de cupidité, jamais vos mains nese sont tendues vers le lucre. Ajoutez votre frugalité, la modestie de vos paroles, vos égards pour vos inférieurs, vo- tre respect pour vos supérieurs. Et puis, deman- dez-vous si le détail do tous ces uit-riles est vrai ou faux : s'il est vrai, vous aurez été loucdevanlua précieux témoin ; s'il est faux , l'ironie n'aura été entendue de personne. Moi-même, maintenant, on jiourrait croire que je veux vous capter on vous éprouver, l'ensez-en ce qu'il vous plaira, et commencez par n'.oi "a craindre tout le monde. Méditez ce vers de Virgile : Plus de foi nulle part... ou ceux-ci d'Ovide : Ln cruelle Erinny.endonteiu loogc le ab isia proTiDcia abducam. QUESTIONS NATURELLES. 459 mêmechaqnefoisque vous vous diriez : Je la tiens l est en Germanie; ot s'il commence à croîire en sous mon autorité , cette province qui soutint le clé , c'est quand le Ml rcslc encore enfermé dans choc et brisa les armées des deux plus grandes cités du monde, alors qu'entre Rome et Çariliagc elle demeurait le prix d'une lutte gigantes(jue; alors qu'elle vit les forces de quatre généraux ro- mains, c'est-"a-dire de tout l'empire, réunies sur un seul champ de bataille; alors qu'elle ajouta eticore à la haute fortune de Pompée , qu'elle fa- tigua celle de César, lit passer ailleurs celle de Lépide, et changea celle de tous les partis : té- moin de ce prodigieux spectacle, où les mortels ont pu clairement voir avec quelle rapidité on glisse du faite au plus bas degré , et par quelle variélé de moyens la fortune détruit l'édifice de la gran- deur. Car la Sicile a vu, dans le même temps. Pompée et Lépide précipités, par une catastrophe différente , de la plus haute élévation dans l'abime, Pompée fuyant l'armée d'un rival , Lépide sa pro- pre armée. l. Je veux vous enlever tout à fait à ces souve- nirs, et bien que la Sicile possède en elle et au- tour d elle nombre de merveille?, je passerai sous silence tout ce qui est relatif à cette province, et reporterai vos réflexions sur un autre point. Je vais m'occupcr avec vous d'une question que je n'ai point voulu traiter au livre précédent , savoir, pourquoi le INil croît si fortement en été. Des phi- losophes ont écrit que le Danube est de même na- ture que ce fleuve, parce que leur source , à tous deux, est inconnue, et qu'ils sont plus forts l'été que l'hiver. Chacun de ces points a été reconnu faux : on a découvert que la source du Danube son lit , des les premières chaleurs , lorsipic le so- leil, plus vif à la lin du prinicmps, amollit les neiges qu'il a fondues avant que le gonfloiiu'nt du Nil soit sensible. Pendant le reste de l'été il diminue, revient "a ses proportions d'hiver, et tombe même au-dessous. 11. Mais le Ml grossit avant le lever de la ca- nicule au milieu de l'été, jusqu'après l'équinoxe. Ce fleuve, le plus noble de ceux que la nature étale aux yeux de l'homme , elle a voulu qu'il inondât l'Egypte à l'époque où la terre, brûlée par le soleil, absorbe plus profou'lémcnt ses eaux , et doit en retenir assez pour sufOrc "a la sécheresse du reste de l'année. Car, dans ces régions qui s'é- tendent vers rÉiliiopie, les pluies sont nulles ou rares, et ne prolitenl point à un sol qui n'est point accoutumé a recevoir les eaux du ciel. Tout l'cs- I>oir de l'Egypte, vous le savez, est dans le Ml. L'année est stérile ou abondanle, selon qu'il a été avare ou libéral de ses eaux. Jamais le laboiueur ne consulte l'état du ciel. Mais pouripioi ne pas faire de la poésie avec vous qui êtes poêle , cl ne pas vous citer votre cher Ovide , qui dit : Les champs D'implorent point Jupiter pluvieux ? Si l'on pouvait découvrir où le Ml commence a croître, les causes de son accroissement ser.iient trouvées. Tout ce qu'on sait , c'est qu'après s'ètie égaré dans d'inimonscs solitudes où il Unmc de vastes marais, et se partage entre vingt |)cuiiles, il rassemble d'abord autour de Philé ses flots cr- ne forte magnam hisloriis esse (Idem credas, et placcre tibi incipias, quotics cogilaveris; banc ego babco sub neojure provinciam, quae maiimaruni urbiuin cxerci- tus et sustiauit et fregit, quum inter Carlliaginem et Romani iogenlis belli pretium jacnit, quum quatuor Ro- nianorum priacipum, id est, totiusimperii vires contrac- tas iu uouni lucum tidit, altamque Ponipeii fortuoam ereiit, Cxsaris fat gafit, Lepidi transtulit, omniunique cepit;quxil iingeoti spectaculo interfuit, ex quo liquere morUilibus posset, quam velox foret ad imum lapsus ex tunimo, quamquediversa via magnam potenliam fortuna desti'ueret. Unoeiiini tcniporcTidit Pompeium Lepidum- qne , ex maxime fastigio aliter ad cxtrema dejcctos, quum Pompeius alienum excrcitum fugerct, Lepidus suuni. I. Itaque ut lotum mente abducam , qnamvis niulta Ija- bcat Sicilia in se, circaquese mirabilia, omncs intérim provincis tnse quaesliones praleribo, et in divcrsum cogi- laliones tuas alislraham. Quar.im eiiini tecum id qudd libro superiore distuli : Quid it-i Nilus apsiivis niensibus abundet. Cui Danubium siniilem natuni ptiilosophi tradi- duniiit, quod et fonlis ignoti , et s.statc quam hieme ma- jor sit. Utrumque nppaniit falium. Nam et capiil ejus in Gerniania esse comperimns; et irstate ernam magnitudiiieni redit, alqucox ea diniiltilur. II. At INilus antc orluni Canicula- auei'tur nieiiiis a'sti- bus, ullra iequinociium. Hune noliilissinuun anmeui na- tura eitulil anlc humaiii ccneris o<'ulos, et ila disposuil , ut co tempore iuundant A^ayptum , quo maxime usta fervoribus terra und'im altins trahcret , t:mtuiii liausuia, quantum siccilatiannuce sufficere possit. Nam in ca parti>, quxia Aùltiiopiam vcrgil, i;ul nulli imbres sunt, nul rari, et qui insuetam aquis c«'ltslil)us tcriam non adju- vent. Uiiam, ut scis, ^gyplus in hoc sik'UI su;im liabcl. Proinde ont slcrilis annus, aut fertilis est, proiil iilR magnus influxit, aut parcior. ISemo araloiu n adspicit cielum. Quare non cum pocta mco jociir, etilliOvidium suum impingu, qui ait : Nec pluvio supplicat herba Jovi? IJnde crescere incipiat, si coniprcliendi posset, causa! quoque incrcmenti invenirentur. Nuno vero magnas so- lituilines pervagatus, et in paludcs diffusus, gculil)uo 460 SÉNÈQUE. ranls et vagabonds. Pliilé est une île d'accès difficile , escarpée de loutes paris. Elle a pour ceinture deux rivières qui , à leur confluent, de- viennent le Nil , et portent ce nom. F.e Nil entoure toute la ville : alors pins large qu'impétueux , il ne fait que sortir de rÉth^)pie et des sahles a tia- vers lesquels passe le conunerce de la mer des Indes. Puis il rencontre les Cataractes, lieu fa- meux parla grandeur du spectacle dont ou y jouit. La , en face de rochers aigus et ouverts sur plu- sieurs points, le Nil, irrité, soulève loutes ses forces; brisé par les masses qu'il rencontre, il lutte dans d'étroits délilés; vainqueur ou repous- sé, sa violence reste la même. Alors, pour la pre- mière fois, se courrouce son onde arrivée d'abord sans fracas et d'un cours paisible; fougueuse, elle se précipite eu torrent par ces passages resserrés, elle n'est plus semblable "a elle-même : jusque-l'a , en effet, elle coule trouble et fangeuse. Mais une fois engagée dans ces gorges rocailleuses, elle écume et prend une teinte (|ui ne vient pas de sa nature , mais de celle de ce lieu où elle passe dif- ficilement. Enfin , il triompbe des obstacles ; mais tout à coup le sol l'abandonne, il tombe d'une hauteur immense, et fait au loin retentir de sa chute les contrées d'alentour. Une colonie fondée en ces lieux sauvages, ne pouvant supporter ce fracas étourdissant et continuel, s'en alla chercher ailleurs un séjour plus calme. Parmi les merveilles du Nil, on m'a cité l'incroyable témérité des in- digènes. Ils montent à deux de petits batelets, l'un pour conduire, l'autre pour rejeter l'eau. Fuis, longtemps ballottés par la rapidité furieuse du Nil et par ses contre- courants, ils gagneni enfin ses étroits canaux entre des rocs rapprochés qu'ils évitent; ils glissent emportés avec le fleuve tout entier, gouvernent le canot dans sa chute, et, au grand effroi des spectateurs, plongent la tête en bas : on croit que c'en est fait d'eux, qu'ils sont ensevelis, abîmés sous l'effroyable masse, lorsqu'ils reparaissent bien loin de la cataracte , fendant l'onde comme des traits lancés par une machine de guerre. La cataracte ne les noie pas , elle ne fait que les rendre "a une onde aplanie. Le premier accroissement du Nil se manifeste aux bords de cette île de Philé dont je viens de par- ler. Un faible intervalle la sépare d'un rocher qui divise le fleuve, et que les Grecs nomment âSaTo» et où nul , excepté les prêtres, ne met le pied: c'est Ta que la crue commence "a devenir sensible. Puis , à une longue distance , surgissent deux écueils , appelés dans le pays veines du Nil, d'où sort une grande quantité d'eau , pas assez grande , toutefois, pour couvrir l'Egypte. Ce sont des bou- ches où , lors du sacrifice annuel , les prêtres jet- tent l'offrande publique, et les gouverneurs des présents en or. Depuis cet endroit, le Nil, visi- blement plus fort, s'avance sur un lit profondé- ment creusé, et ne peut s'étendre en largeur, encaissé qu'il est par des montagnes. Mais libre enûn près de Memphis , et s'égarant dans les cam- pagnes, il se divise en plusieurs rivières; et par des canaux artificiels, qui dispensent aux rive- rains telle quantité d'eau qu'ils veulent, il court se répandre sur toute l'h-gyptc. D'abord dissémi- né} il ne forme bientôt plus qu'une vaste nappe sparsus, circa Philas primuin es vago et errante colligi- tiir. Ptiila; insula est aspera et undique praprupla ; duolius in iinum coituris amnilms cingilur, qui Nilo mutiintur , et ejus nomen feruot. Urbein lotam complectitur liane Nilus, inagnus magis quam violentus, egressus Aîthio- piam , arenasque, per quas iter ad commercia Indici ma- ris est , prœlabitur. Excipiunt eum Cataracta; , nobilis in- signi speclaculo locus. Ibi perarduasexcisasque pluribus locis rupes Nilus insurgit, et ïires suas concilat. Frangi- tur enim oceurrentibus saxis, et per angusta eluctatus , p uni, Ileracboiico osllo Mli, quod est iiiaxiinum, spietaiulu sibi fuisse delphiuo- runi a niiiri occurrentium , et crorodiiorum a flumine ad- versum agnicu ;igeiiti:iiii , veliit pro pariibus pi.-elinin; crocudllos al) aniiiialibus placidis niorsuquc iuuuiiis vic- tos. His superior pars corporis dura cl iiiipenctral)ilis est etiain majoruni animalium denlihus, at inrerior mollis ac tcnera; hancdelpliini spinis, quas dorso eniiiientes ge- runt , subuiersi vulnerabaut. et in adversuui euixi divi- dcbant Recisis hoc modo phiribus, ce eri vclut acie versa refugeninl ; fugax animal aiid ici , audacissiuimn timido. Nec illos Tenlyrilœ gcneris aut .sanguiois propiietatc sii- peraiit, sedcontenitii et temerilale. tJltio cnim insequun- tur, fugicntcsqiie injecio Irahunt lac|uef) ; plerique pcr- cunt , quibus minus pPcBsens animus ad persequeodiiin fuit Nilum aliquando marinam a<|uain detulisse , Tlieo- phrastus est auctor. Biennioconliuuo, régnante CIcopa- Mi'-l SÊNÈQUE. coiislant que deux années de suite, la dixième et lu onzième du règne de Cléopàtre, le Nil ne dé- borda point, ce qui prophétisait, dit-on, la chute de deux puissances : Antoine et Cléopàlre virent on eiïel crouler la leur. Dans des siècles plus re- culés, le Ml fut neuf ans sans sortir de son lit , à ce que prétend Callimaque. Abordons maintenant l'examen des causes qui font croître le INil en été , et commençons par les plus vieux auteurs. Anaxa- gore attribue cette crue à la fonte des neiges qui, (les montagnes de l'Ethiopie, descendent jusqu'au Nil. Ce fut l'opinion de toute l'antiquité. Eschyle, Sophocle, Euripide énoncent le même fait; mais une fouie de raisons en font ressortir la fausseté. D'abord, ce qui prouve que l'Ethiopie est un cli- mat brûlant, c'est le teint noir et brûlé de ceux qui l'habitent, et les demeures que les Troglo- dytes se creusent sous terre. Les pierres y brûlent comme an sortir du feu, non-seulement h midi, mais jusque vers le déclin du jour; le sable est comme embrasé, et le pied de l'homme ne taurait s'y tenir; l'argent se sépare du plomb; les sou- dures des statues se détachent ; loules les doruns ou argentures disparaissent. L'austcr, qui souffle de ce point, est le plus chaud des vcuis. Les animaux qui se cachent au temps froid ne dis- paraissent l'a en aucun temps. Même en hiver, les serpents restent 'a la surface du sol, en plein air. A Alexandrie, déjii fort éloignée de ces ex- cessives chaleurs . il ne tombe pas de neige ; et même plus haut on no voit point de pluie. Com- ment donc une contrée où il règne de si grandes chaleurs, aurait-elle des neiges qui durassent tout l'été? S'y trouvât-il même des montagnes pour les recevoir, elles n'en recevraient jamais plus que le Caucase ou les montagnes de la Thrace. Or, les fleuves de ces montagnes grossissent au printemps et au début de l'été , mais bientôt baissent au- dessous du niveau d'hiver. En effet, les pluies du printemps commencent la fonte des neiges, que les premières chaleurs achèvent de faire disparaî- tre. Ni le lUiin, ni le Rhône , ni le Danube, ni le Caîsire ne sont sujets à cet iiic<)nvcnient, ni ne grossissent l'été , quoiqu'il y ait de très-hautes neiges sur les cimes du septentrion. Le Phase et le Boryslhène auraient aussi leurs crues d'été, si, malgré les chaleurs , les neiges pouvaient grossir leur cours. Et puis, si telle était la cause des crues du Nil , c'est au commencement de l'été qu'il coulerait 'a plein canal ; car alors les neiges con- servées jusque-la sont en plus grande quantité, et c'est la couche la moins dure qui fond. La crue (lu Nil, pendant quatre mois, est toujours la même. A en croire Thaïes, les vents étésiens rc- [lous.^ent le Nil a sa descente dans la mer, et sus- pendent son cours eu le faisant refluer vers ses embouchures. Ainsi refoulé , il revient sur lui- même, sans pour cela grossir; mais l'issue lui étant barrée, il s'arrête , et bientôt s'ouvre, par- tout où il le peut , le passage qui lui est refusé. Kulliymène, de Marseille, en parle comme té- moin : « J'ai navigué, dit-il, sur la mer Atlanti- que. Elle cause le débordement du Nil, tant que les vents étésiens se soutiennent; car c'est leur souffle qui alors piiusse cette mer hors de son lit. Dès qu'ils tond)ent , la mer aussi redevient tra , non ascendisse, decimo regni anuo et undecimo , constat. Significatani aiunt duobus reruni poticnlilms dc- f ctionera. Antouiienini Cleopatrœque defecit iniperium. l'cr novem annos non ascendisse ISiIum sn|reriorilins se- cnlis, Calliniachus est auctor. Scd uunc ad inspiciendas (•ansas, propter quas œslale ?iiilus crescat, acccdani, et ab aiitiquissim s incipiani. Anaingoras ait, ex Alîtliiopix jugis solulas nives ad Nilum usque deciirrerc. In eadem opinione oniuis vetustas fuit. Hoc .flîscliylus, Sopliocles, Euripides, traduut. Sed falsuni esse , argnmcnlis pluri- niis palet. Primo ^Ihiopiain fcrventissiniani csse indl- cat lioniinum adu.'tus color, et 'l'roglodyta', qiiibus sub- terranea; domus snnt. S:ixa velut igni fenescnnt, non tantuni medio, sed inclinalo quoque die; ardcns pulvis, nec tiumani vesligii patiens; argcnlum replund)atur ; signnruni coagmenla solvuntur; nulluni niateria» supcr- adornatae manet opcriinentum. Anster quoque , qui ex illo traclu venit, ventorum calldissimns est. Nullnin ex his animalibns, quae talent l)runia, unquani reconditur. Elianiperhieniem in suinmo et apertoserpens est. Alexan- drin quoqnc longe ab luijusmodi inimodicis caloribus est posila ; nives non eadnnl , superiora pluvia Garent. Qnem- adniodum ergo regio tanlis subjecta lervuribus duraturas pcr totam œslaiem nives recipil ? Quas sane aliqui monic s illic quoque excipiant; nunquani niagisqu .m Alpes, quani Ttiraciœ juga aut Caucasus. Atqui horum moaliuni llu- niina \ere et prima a.'state inluniescunl, deinde tiibernis minora sunt. Quippe vernis temporibus imbres nivem diluunt; reliquias ejus primus caler dissipai. JiecRlienus, uec Rliodanus , nec Ister , nec Caysirns subjacent nialo ; «slate proveniunl. Allissimtia mari sasiioent; it( ieverl)eralus in se recurrit; nec crescit . sed exila prohi- bilusresistit, etquiicunquemox potuit, inconcessus erum- pit. Euthymeoes Massiliensis testimonium dicit : « Navi- gaïi,inquit, Atlanticnni mare. Inde fiilus lluit major. quamdiu Elesiai tempus oiiservanl ; tune enim epcitur mare iusiantibus veniis. Quum resederint , el peWvnii couipiicscit , niinorque descendent! indc vis Piilo est. Ce> QUESTIONS caliiio, el le Nil rencontre moins d'oljslacies a son rnilxjuchure. Uii reste , l'eau de cette mer est (loufc, et nourrit des aoimaax semblables à ceux ilu Ml. • Mais pourquoi^ si les vents ctésicns font enfler le Nil, sa crue cominence-t-elle avant la saison de ces vcnis, et dure-t-ellc encore après? D'ailleurs le fleuve ne grossit pas 'a mesure qu'ils soufflent plus violemment. Son plus ou moins de fougue n'est point réglé sur celle des vents été- siens, ce qui aurait lieu, si leur influence le fai- sait liausser. El puis ils battent la cote égyptienne, le Ml descend à leur rencontre : il faudrait qu'il vînt du même point qu'eux, si son accroissement était leur ouvrage. De plus, il sortirait pur et azuré de la mer, el non pas trouble comme il est. Ajoutez que le témoignage d'Eutliymène est réfuté par une foule d'autres. Le mensonge pouvait se donner carrière , quand les plages étrangères étaient inconnues; on pouvait de l'a nous en- voyer des fables. A présent, la Mer Extérieure est côtoyée sur toutes ses rives par des traOquantsdont pas un ne raconte qu'aujourd'hui le Nil soit azuré ou que l'eau de la mer soit doisee. La nature ellt- niême repousse celle idée ; car les parties les plus douces et ics plus léisères de l'eau sont po:iipées par le soleil. Et encore pour(|uoi le Nil no croil-il pas en hiver? Alors aussi la nier peut être agitée par des vents quelque peu plus forts que les été- siens, qui sont modérés. Si le niouvenienl venait de l'Atlantique , il couvrirait luiit d'un coup l'E- gypte : or l'inondation est graduelle. Œnopidc de Cliio, dit que l'hiver la chaleur est concentrée siius terre; ce qui fait que les cavernes sont chaudes, que l'eau des puits est plus tiède, et NATURELLES. 465 qu'ainsi les veines de la terre sont dessccliéos par celle chaleur interne. Mais, dans les autres pays , les pluies font enfler les rivières. Le Nil , qu'au- cune pluie n'alimente , diminue l'hiver el aug- mente pendant l'été, temps où la terre redevient froide à l'intérieur et les sources fraîciics. Si celte cause élait la vraie, tous les fleuves devraient grossir, et tous les puits hausser pendant l'été ; outre cela, la chaleur n'augraent(! pas, l'iiiver, dans l'intérieur de la terre. I^'eau , les cavernes, les puits semblent pins chauds, parce que l'atmo- sphère rigoureuse du dehors n'y pénètre pas. Ainsi ce n'est pas qu'ils soient chauds, c'est seulement qu'ils excluent le froid. La même cause les rend froids en éié, parce que l'air échauffé, qui en est loin, ne saurait passer jusque-là. Selon Diogène d'Apollonie, le soleil pompe l'humidité; la terre desséchée la reprend il la mer el aux autres eanx. Or, il ne peut se faire qu'une terre soit sèche et l'autre hiiiiii.lc; car loules les parties du filobc son! criblées de pores et perméables. Les tensins secs empruntent aux humides. Si ia terre ne re- cevait rien , elle ne serait (pie poussière. Le soleil attire donc les eaux ; mais les régions uLi elles se po; lent sont surtout les régions luéridioiialei. La terre, desséchée , attire alors 'a elle plus d'humi- dité; tout comme dans les lampes, l'huile afflue où elle se consume, ainsi l'eau se rejellc vers les lieux où une forte chaleur el un sol alléré rap- pellent. Or, d'où est-elle tirée':" Des points où règne un éternel hiver, du scplenlrion, où elle surabonde. C'est pourquoi le Pont-Euxin se dé- ! charge incessamineut dans la Mer Inférieure avec 1 tant de rapidité, non pas, comme les autres mers. liTUin (tiilcl.sninils snpor pst .ctsiniilpsNiloticishcllu». • Qu.nre ergo, si >'iliini Elcsia; provocant, et anlc illos incipit increineotiim ejus, cl posl en» durât? PrîL'Ierea ni>n lit major, r|uo illi lltitere Teheiiicntiiij. Ncc reinitli- tiir incilalurquc , pruul illis imprliis fuit ; quod Heret , si iiloi um Tiribu» cri secret. Quid, quod Elesiae lius JUgyp- liiim Terberant, el contra illn» Mlus descendit, iode »en- tiirus , uade illi , si origo ab illis esset? Pia^lejea ex rairi punis et cseruleus eniucret, non ul dudc turbidns venit. Adde, quod teslimoDiiim eju> tcstiuni turtia coarguiiur. Tune erat mendacio lt,-qula dulcissimum quodnoe et Icvissimum sol tr. hit. Prœterea quarehiemc non crcseilf et ti'nc potest Tentis roncitari mare, aliquando quidem majorihus. Nam EleM.n lempemli simt. Qu(*d si e mari fi-rrclur AtlaDIico.semeloppleret *K>plum. Al nuiic per grsdus crcscit. Œnopidc» Cbius ait, hienic calorcm sub terri» conlincri ; ideo el specus calidos esse , cl lepidiorcm putcis aqiiam ; itaque Tenas in;crno calorc siccari. Sed in aliis terris augentur imbribustlumina. ISilura, quia nullo imbre adjuielur, Icuuari, deinde crescere per a?slatem; quotem|)oic frigenl inleriora Icrrarum, el redit rigor foQti bus. Quod si >ei'uiii esset, sstate ilumina cresce- rcii! . omiie$i|uc pulei a-state abuodarent. Deinde non ca- lorcm iiivnic sub terris esse majorem. Aqua et specus cl pufi Icpeol, quia acra rigcnlem eitrinsecus non rcci- piunl. lia non calorcm habcrt, scd Irigus e&cluilnnt. Ki eadcm causa aestalc refri};csciinl,quia illorcniolus sediic- tusquc aer caleraclus non pcrvcni!. Uiogencs Apolionia- tesait : « Sol huniorcm nil se rapit; bnncexsiccnta lellus lunicx niariducit, tuni ex céleris nquis. Fieriautcin non potest, Ul una !^iccn sil lellus, alla abundel. SudI cuhii pcrforaia onmia, et in i:inera pervia. Sicca ab humidis sumunt aliquando. Msi aliquid terra accipcrcl, cxaruis- •ct. Ergo undas sol trahit; scd ex bis, qiia; prefliunl, niai'iiic ha-c Mieridiana sunl. Terra quuui cxaruit, plus ad .se humoiis adilucil: ut in luccrnis oleum illo finit, ubi exuiitnr ; sic aqua illo incumbil, quo vis caloiis el lerrœ œstuanlis arcessit. Unde ergo trahitur? ex illis scilicel parlibus somper hibcrnis , spptcmtrionalibus . unlecxun- dat. Ob hoc Ponlus in Inf.Tn'iiii Mare assidue fluit rapi- 464 SÉNÊQUE. par flux et reflux, mais par uue pente toujours la même, et comme uu lorient. Si elle ne suivait cette route, et par là ne rendait à telle partie ce qui lui manque, et ne soulageait telle autre de ce qu'elle a de trop, dès longtemps tout serait ou des- séché ou inondé. Je voudrais demander a Diogone pourquoi , si la mtr et tous ses affluents passent les uns dans les autres , les fleuves ne sont pas partout plus grands en été? Le soleil alors brûle l'Egypte avec plus de force ; voiTa pourquoi le Nil s'élève. Muis ailleurs aussi les rivières grossissent quelque peu. Ensuite, pourquoi y a-t-il des con- trées privées d'eau, puisque toutes l'attirent des au très contrées, et l'attirent d'autant plus qu'elles sont plus écliauffées? Enlin, pourquoi l'eau du Nil est-elle douce , si elle vient de la mer? Car il n'en est point de plus duuce au goût que celle de ce fleuve. 111. Si je vous afflrmais que la grêle se forme dans l'air, de même que a glace parmi nous , par la congélation d'une nuée entière, ce serait par trop de témérité. Rangez-moi donc dans la classe de ces témoins secondaires qui disent : Je ne l'ai pas vu, certes, mais je l'ai ouï dire. Ou encore, je ferai ce que font les historiens : ceux-ci, quand ils ont, sur nombre de faits, menti tout "a leur aise, en citent quel(|u'un dont ils ne répondent pas . ajoutant qu'ils renvoiint le lecteur aux sour- ces. Si donc vous êtes peu disposé à me croire, Posidoniiis s'olfrira pour garant tant de ce (\\K' j'ai dit ci-dessus que de ce qui va suivre. 11 afiicp.iera, comme s'il y eût été, que la grêle provient de nuées pleines d'eau, ou même déj'a changées en eau. Pourquoi les grêlons sont-ils de forme ronde? Vous pouvez le savoir sans maitre, si vous obser- vez qu'une goutte d'eau s'arrondit toujours sur elle-même. Cela se voit sur les miroirs quirelieii- ncnl 1 humidité de l'haleine, sur les vases mouil- lés , et sur toute surface polie. Voyez même les feuilles des arbres ou des herbes : les gouttes qui s'y arrêtent y demeurent en globules. Quiii de plus dur qu'un roc ? quoi de plus mon que l'oode Qui laisse au dur rocher une empreinte profondeî ou , comme a dit un autre poète • L'eau qui tcimbe goutte i goutte Creuse le plus dur roeher. Et ce creux est sphérique. D'où l'on peut juger que l'eau qui le produit est sphérique aussi, et se fait une place selon sa forme et sa figure. Au reste, il se peut, quand les grêlons ne seraient pas tels, que dans leur chute ils s'arrondissent, et que, précipités à travers tant de couches d'un air con- densé, le frottement les façonne en boules, et d'une manière égale. Cela ue saurait avoir liea pour la neige; elle est trop pçu consistante, Irop dilatée, et ne tombe pas d'une grande hauteur, mais se forme non loin de la terre. Elle ue tra- verse pas dans les airs un long intervalle ; elle se détache d'un point très-rapproché. Mais pourquoi ne prendrais-je pas la même liberté qu'Anaxagore? car c'est entre philosophes surtout qu'il doit y avoir égalité de droits. La grêle n'est que de la glace suspendue ; la neige est une congélation (lottanle , de la nature des gelées blanches. Nous avons déj'a dit qu'il y a, entre la gelée blanche et dus, non ut cetera niirtia, allenialis ultro cilro œstilius, in unani part<'m scniper prouus et torrens. Quod nisi fa- ceiei, liisque itlneribus , quod cuique deest, ledderetur, quod cuique snperest, émit erelur; jam autsiccata essent oinni.i, aut inundata. • — Inlenogaie Diogenem libet , quire, qiiuin ponu» et aninescuncii îavicpui comnieent, non omnibus locis .TSiale majora sunt Quniioa?£gyptuni sot nia{;is percoquit : ilaque ISilus magis en scit. Sed in cetirls quoquc tcnisaliqua flumiu busCtadj<'Ctiii. Deiode quare ulla pars Icrra,' sine tiumoie est, quuni onmis ad se ex aliis legioniljus Iraliit . eocjue magis, quo catidior est? Oeinde quarc Nitus dnicis est, si illi e mari unda est? Ni!c euim ulli Quniinum dutciur gustus. lit. Grandinem hoc modo (ieri si tibi affirmaTero quo apud nos glacicsPit, gela ta nulle tola, niniis auda- ceiu reni fecero. Ilauue ex liis me testibus numeio ^e- cuodie nota;, qui vidisse quiilem se negaut , std audisse. Aut quod tiistorici laciunt,etipsef.iC!am. Illi quum nmlta nientiti sunt ad arbitiinm suuni , unam . liqnain rem no- Innl spoudere, sed adjiciun; : Pênes auc ores Ddes eril. Ergosi uiihi parum credis, Posidoniiis libi auctoritatem promittet, lam in illo quod pra;teriit, quara in hoc quod secuturum est. Graudiuem euim fieri ex nube aquos.i , et jam in humorem versa, sic affirmabit, tanquaui inlcr- fucrit. Quare autem rotunda sit grande , etiam sine ma- gistro scire potes , quum adnotaveris stillicidium omne conglomerari. Quod et iu sp; cutis apparet , qusE humo- rem lialitu colligunt , et in poculis sparsis , aliaqne omni lajvitale; nam et in hsritarum Tel arborum foliis, si qu» gutta3 adha;serunl, ia rotundum jacent. Quid magis est saxo durum? quid mollius nnda? Dura tamen molli saia cavantur aqna. aut , ut alias poêla ait Stillicidl casus lapidcm cavat; ethaec ipsa cxcavatio rotunda fil. Ex quo apparet, illud huic quoque simile esse quod cavat. Locum enim sibi ad formam et habiium suum exsculpit. Praeterea potest, eliamsi non tuerit grando talis, quum defenur , corro- tundari , et loties per spatium aeris densi devoluta aîqna- bililcr atque in orbeni teri. QuoJ nix paii non polest; quia ncin est tam solida , immo quia tam fusa est . et non per magnara aliitudinem cadit, sed circa terras inilium ejus est. Ita non lonpius illi per aéra , sed ex proximo lapsus est. Quare non 1 1 ego idem mihi permittam. quod Anaxagoras , quum iuter nullos magis quam inler philo- sophos esse debcat a?qua liberlas? Grando nihil aliud est quam suspensa glacies. Nix , in pruina pendeos coD^ela- QUESTIONS NATURELLES. 463 la glace, entre la neige et la grêle, la môme dif- férence qu'entre l'eau et la rosée. IV. Le problème ainsi résolu, je pourrais me croire quille; mais je vous ferai bonne mesure; et, puisque j'ai commencé a vous ennuyer, je ne vous ferai grâce d'aucune des difCcullés de la ma- tière. Or, on se demande pourquoi, en bivcr, il neige et ne grêle pas ; et pourquoi , au printemps, quand les grands froids sont passes, il tombe de la grêle. Car, au risque de me laisser tromper pour votre instruction , la vérité me persuade aisément, moi crédule, qui vais jusqu'à me prêtera ces légers mensonges , assez forts pour vous fermer la bou- che, mais qui ne le sont pas assez pour vous cre- ver les yeux. En hiver l'air est pris par le froid , et dès lors ne toi me pas encore en eau , mais en neige, comme se rapprochant plus de ce dernier état. Avec le printemps, l'air commence à se dilater davantage, et l'atmosphère, plus chaude, produit de plus grosses gouttes. C'est pourquoi , comme dit notre Virgile : Quand le prinlemps vient nous verser ses pluies , la transmutation de l'air est plus active, car il se dégage et se détend de toutes parts, et la saison même l'y décide. Au>si les pluies sont-elles alors pins fortes et plus aboudaiites que continues. Celles de l'hiver sont plus lentes et plus menues ; ainsi l'on voit par intervalles tomber de rares et faibles gouttes mêlées de neige. Nous appelons temps neigeux les jours où le froid est intense et le ciel sombre. D'ailleurs , quand l'aquilon souffle et règne dans l'atmosphère, il ne tombe que de fines pluies; par le vent du midi elles sont plus obstinées et les gouttes plus grosses. V. Voici une assertion de nos stoïciens que je n'ose ni citer, parce qu'elle me semble peu sou- lenable, ni passer sous silence. Car, où est le mal de tenter quelquefois l'indulgence de sou juge? Et certes, vouloir peser, balance en main, tou- tes les preuves, serait se condamner au silence." Il est si peu d'opinions sans contradicteur! Lors même qu'elles triomphent , ce n'est pas sans-lutte. Les stoïciens disent que tout ce qu'il y a de glaces accunmlées vers la Scythie, le Pont et les plages septentrionales, se fond au printemps; qu'alors les fleuves gelés reprennent leur cours, et que lesueiges descendent en eau des montagnes. Il est donc à croire que de là partent des courants d'air froid qui se mêlent à l'atmosphère du printemps. Ils ajoutent à cela une chose, dont je ne songe pas à faire l'expérience, et je vous conseillerais aussi de ne pas la faire vous-raûnc, si vous aviez envie devons assurer de la vérité. Ils disent que les pieds se refroidissent moins à fouler une neige ferme et durcie, qu'une neige ramollie par le dégel. Donc, s'ils ne mentent ])as, tout le froid produit dans les régions du nord par la neige en dissolution et les glaçons qui se brisent , vient saisir et condenser l'air tiède et déjà humide des contrées du midi. Voilà comment ce qui devait être pluie devient grêle sous l'influence du froid. VI. Je ne puis me défendre de vous exposer toutes les folies de nos amis. N'affirment-ils pas que certains observateurs savent prédire , d'après les nuages , quand il y aura grêle, et qu'ils ont pu l'apprendre par expérience, en remarquant la tlo. Illud enim jam diiimus, quod inter aquaoi et roreni interest, boc inter pruinam et glaciem, uec uon iatcr nivem et grandinem intéresse. IV. Poleram me, peracta qux'stione, dimiltcrc ; sed bene emensum dabo;et quoniam cœpi tibi nioles;us esse, quidquid In boc lucu quxritur , dicam.Quxriturautcni, qunre bieme ningat , non grandinet; et TCiejani Trigore intracto, grando cadit. ISam ut rallartibl, verum nillii quidem persuadetur , i{ui me usque ad mendacia liœc Ic- viora, in quibus os praîcidi , non oculi erui sident , cre- riulum prssto. tlieme aer ri);et; et ideo nonduin in aquam vertilur, sed in nivem , cui aer propior est. Quuin ver cœpit, major inclinalio aeris sequitur , et calidiore cœlo majora flunt stillicidia. Ideo, ut ait Virgilius nuster , . quum ruit imbriferuni ver. Tcbementior immutatio est aeris , undiquc patefacti et solventij se, ipso tepore adjurante. Ob hoc nimbi graves magisTastiquequaraperlinacesdcferuntur. Bruma lenlas pluvias habet et tenues; quales sœpe soleut intervenire, quum pluvia rara et minuta niveni quoque admiitam ha- bet. Dicinins nivalem dieni,quum a!tum frigiis, cl triste coelum est. Prieterea aquilone Dante, et suum cœlum ba- bcnte, minutae pluvife sunt; Ausiro imber improbior est , et guttae pleniores suut. V. Rim a nostris posit;iin nec diccreaudeo, quia in- firma vi lelur , nec pra'terire. Qiiid enim mali est , aliquid et faciliori judici scribi tc? Immo si omnia argumenta ad obrussam c gligence , les vignes avalent pâli , ou que les mois- sons étaient couchées par lerre. El, chez nous, les douze Tables ont prévu le cas oii quelqu'un frapperait d'un charme les récoltes d'autrui. Nos grossiers ancêtres croyaient que les pluies s'atti- raient et se repoussaient par des enchantements, toutes choses si visiblement impossibles, qu'il n'est besoin , pour s'en convaincre, d'entrer dans l'école d'aucun philosophe. VIII. Je n'ajouterai plus qu'une chose, 'a laquelle vous adhérerez et applaudirez volontiers. On dit que la neige se forme dans la partie de l'atmo- splière qui avoisine la terre, vu que cette partie est plus chaude , par trois motifs. D'abord, toute évaporation de la terre, ayant en soi beaucoup de molécules ignées et sèches , est d'autant plus chaude qu'ellcest plus récente. Ensuite, les rayons du soleil sont répercutés par la terre et se replient sur eux-mêmes. Cette réflexion échauffe tout ce qui est près de la terre, et y envoie d'aulant pins de calorique, que le soleil s'y fait doublement sentir. En troisième lieu, les hautes régions sont plus exposées aux vents, tandisque les plus basses sont plus à l'abri. IX. Joignez a cela un raisonnement de Dérao- crite : « Plus un corps est solide, plus il reçoit vite la chaleur, et plus longtemps il la conserve. » Mettez au soleil un vase d'airain , un de Terre et un d'argent, la chaleur se communiquera plus vite au premier et y restera plus longtemps. Voici, en outre, les raisons de ce philosophe pour croire ineplias proferam. Quosdam peritos observandarum nu- i biuin esse alfiimant , et pra?dicere, quuin grando fiilura sit, et hoc intelligere usu ip»o, quuiu colorem Dubiuni notassent, quani grando loties insequebalur. lllud iiicre- dibile, Cleonis luisse pulilice pra'posilos xaiaÇofùtexaç, speculatores futura- grandinis. lli quum signum dédis- sent, adessejain giaudinem, quid estpcctas? ut boulines ad peuulas discurrerent, aul ad scorteas? luimo pro se quisque al us agnuni ininiiilabat, alius pullum. Prolious autem illa; ni'bes alio déclin bant , quum aliquid gustas- sent sanguiiiis. Hoc rides? Accipe.quod ridca.* uiagis. Si quis nec agiiuiii nec pullnni haliebal , quod sine danino fieri poterat, nianus sibi nffeiebat. Et ne lu avidas ant crudeles existimes uulns.digi uni suum bene acuto gra- phie puiigcbat, et hdc s nguine litaliat. IN'tc minus ab htijus agello grando se avertcbat, quam ab illo , in quo niajoi ibus hostii» exorala erat. VII. Ralioneiii biijus rei quid;im quaerunt. Alicri, ut honiines sapienlisyiinos decet, negant pOjse lleri, ul cum grandine aliquis paciscatur , et leinpi'stales munnsculis rediniat , quann is inunera etiam deos vincant. Alteii sus- picari ip.-os aiunt.csse in ipso sanguine vini quamdam potentem avertenda^nubis, ac repellendae. Sed quoniodo in lain esiguo sanguine potest esse vis tanta , ut in altum penetret , et eani sentianl nul)es ? Quanto eipedttins erat dicere , mendacium et fabula est? At Cleonae judicia red- debant in illos, quibiis delegala erat cura proiidends Icnipeslalis; quod negligenlia eorumvineae vapulassent, ant segetcs procidissent. £t apud nos in duodecim tabulis cavetur, ne quis alienos frucfus eicantassit. Rudis adhoe antiquitas credebat et attrahi imbres cantibus, et repeiti; quorum nibil posse tîeri , tam palain est, ut bujnsrei causa nullius pbilosophi schola intranda sit. VIII. Unam lemadhuc adjiciam , et faTere ac plaudere te juvabit. Aiunt nivem in ea parte aeris fieri , quae prope terras est; banc enim plus habere caloris ei tribus eau- sis. Una , quod omnis terrarum evaporatio, quum mul- tum inlra se fercidi aridique habeat, boc est calidior , quo recentior. Altéra, quod radii solis a terra resiliunt , et io se recurrunt. Horuni duplicatio proxima qua;que a terris calefacit, qtias ideo plus habent teporis, quia solem bis sentiunt. Tertia causa est, quod magis superiora per- flantur; at quxcunque depressa sunt, minus ventis ver- berantur. IX. Accedit bis ratio Deniocriti. Omne corpus quo so- lidiiis est, boc calorcm cilius concipit, et diutius servit. Ilaque si in sole posueris a?neHm Tas et vilreum et argen- teum, Knco citius calor accedct, diutius hccrebit. Adjica QUESTIONS NATURELLES. 4G7 qo'il en est ainsi : tes corps plus durs, plus com- pactes, plus denses que les autres, ont uécessai- remenl, dit-il, les pores plus petits, et l'air y pénètre moins. Par conséquent, de môme que les petites étuves et les petites baignoires séchauf- fenl plus promptemeut, ainsi ces cavités secrètes et imperceptibles à l'oeil sentent plus rapidement la chaleur , et , grâce 'a leurs étroites proportions , sont moins promptes'a rendre ce qu'elles ont reçu. X. Ce long préliminaire nous amène à la ques- tion. Plus l'air est proche de ia terre, plus il est dense. De mCmo que dans l'eau et dans tout li- quide la lie est au fond, ainsi les parties de l'air les plus denses se précipitent en bas. Or, on vient de prouver que les matières les plus compactes et les plus massives gardent le plus fidèlement la cha- leur qu'elles ont contractée; mais , plus l'air est élevé et loin des grossières émanations du sol, plus il est pur et sans mélange. Il ne retient donc pas la chaleur du soleil ; mais il la laisse passer comme à travers le vide, et par l'a môme s'échauffe moins. XI. Cependant quelques-uns disent que la cime des monlxignes doit être d'autant plus chaude qu'elle est plus prèsdn soleil. C'est s'abuser, ce me semble, que de croire que l'Apennin, les Al|)cs et les autres montagnes connues par leur extraor- dinaire hauteur, soient assez élevées pour se res- sentir du voisinage du soleil. Elles sont élevées relativement a nous; mais , comparées "a l'enseui- ble du globe, leur petitesse "a loules est frappante. Elles peuvent se surpasser les unes les autres; mais rien n'est assez haut dans le monde pour (|ue la grandeur môme la plus colossale marque dans la comparaison du tout. Si cela n'était, nous ne délinirions pas le globe une immense boule. Un ballon a pour forme distiuctive une rondeur h peu près égale en tous sens , comme celle que peut avoir une balle à jouer. Ses fentes et ses coutures n'y font pas grand'chose, et n'empêchent pas de dire qu'elle est également ronde partout. Tout" comme sur ce ballon ces solutions n'altèrent nul- lement la forme sphéricjue, ainsi, sur la surface entière du globe, les proportions des plu; hautes montagnes ne sont rien, quand on les compare 'a l'ensemble. Ceux qui diraient qu'une haute mon- tagne recevant de plus près le soleil, en est d'au- tant plus chaude, n'ont qu'à dire aussi qu'un homme d'une taille élevée doit avoir plus tôt chaud qu'un homme de petite taille, et plus tôt chaud à la tête qu'aux pieds. Mais quiconque mesurera le monde à sa vraie mesure , et réfléchira que la terre n'est qu'un point dans l'espace, concevra qu'il ne peut y avoir à sa surface d'éminence telle, qu'elle sente davantage l'action des corps célestes, comme s'en approcnant de plus près. Ces monta- gnes si hautes à nos \eu» , ces sommets encom- brés (le ncines éternelles , n'en sont pas moins au plus bas du monde : sans doute elles sont plus près du soleil qu'une plaine ou une vallée , mais de la même façon qu'un cheveu est plus gros qu'un cheveu, un arbre qu'un arbre, et une montagne qu'une autre montagne. Car alors on pourrait dire aussi que tel arbre est plus viiisin du ciel que tel autre ; ce qui n'est pas , parce qu'il ne peut y avoir de grandes différences entre de petites cho- ses, "a moins qu'on ne les compare entre elles. deinde, quare lioc eiistimet Oeri. His, inquit, corpoii- l)us quac duriora , et pressiora dcnsidraciue siint , iiccessc est iniaora forainin:i es.c, et tenuiorem in singulis fpiri- tutn. Sequiliir ut quemadinodtim minora lialncarin ot mi- uora miliaria cilius calefiunt, sic lia'C fi)ramina occiiîla et qualitate quidam rotundtas; a.qiialilati'm autem hano accipe, quani vides iu lii.soria pila. IN'on miiltum illi cuni- misiura- et rima: earum nocent , quo minus par sibi ab omui parte dicatur. Quomudo in bac pila , niliil illainlcr- valla ofliciunt ad spicicin rotundi, .sicnicinunivcrsoqui- dcm orbe terraruni cdi.i montes, (|uoruni allitudo tiitius nmndi collalione consuniitur.Quidicil :Mtiiircm montem, quia solcm propius excipiat, niajîis calere d.liere; idem dicere potest, lonjiorem homincni ritius quaiu pusiltuni debcre calelieri, et cilius capict Cjiis quam pedes. Atquis- quis iiiundum mcnsura sua a-stimaverit, ii(;u(>ssnsp(iiiius, et ver- tices alterna niic olisessi, nihiluminus in imo sunt : et propius quidcm soli est mons , quam campus ant vallis j ted sic , qno modo est pilus pilo crassior, arbor arbore , et mon» monte major esse dicitur. Islo enim modo et ar- bor alla magis quam alia dicelur vicina ca;lo : quod fal- sum est; quia inter pusilla non potest esse magnum dis- 50. 4(5S SÉNËQUE. Quand 01) prend l'imniensilé pour poini île com- paraison , il n'importe de combien l'une des cho- ses comparées est plus grande que l'autre; car la (iiffércnce fû'-clle considérable, elle n'est tou- jours qu'entre deux atomes. XII. Mais, pour revenir a mon sujet, les rai- sous qui précèdent ont fait presque généralement croire que la neige se forme dans la partie de l'air la plus proche de la terre, et que ses molécules sont moins fortement unies que celles de la grêle, parce que la condensation du la neige est produite par un froid moins grand. En effet, cette partie de l'air esl Irop froide pour tourner en eau et en pluie; mais elle ne l'est pas assez pour se durcir en grêle. Ce froid moyen , qui n'a point trop d'in- leiisitë, produit la neige par la coagulation de I eau. XIII. Pourquoi, direz-vous , poursuivre si pé- niblement ces recherches frivoles qui jamais ne rendent l'homme plus instruit ni meilleur? Vous dites comment la neige se forme : il serait bien plus utile de nous dire pourquoi on ne devrait pas acheter de neige. C'est vouloir que je fasse le pro- cès au luxe, procès de tous les jours et sans ré- sultat. Plaidons toutefois, et dût le luxe l'empor- ter , que ce ne soit pas sans combat ni résisliuice de noire part. Mais quoi ! jjensez-vous que l'ob- servalion de la nature ne conduise pas au but que vous me proposez? Quand nous cherchons com- ment se forme la neige, quand nous disons qu'elle est de même nature (lue les gelées blan;hes, et qu'elle contient plus d'air que d'eau , n'est-ce pas, dites-moi, reprocher aux voluptueux et les faire rougir d'acheter de l'eau , puisque c'est mêm« moins que de l'eau qu'ils achètent? Pour nous, étudions plutôt comment se forme la neige, que comment elle se conserve, puisque, non contents de transvaser dans des amphores des vins cente- naires et de les classer selon leur saveur et leur âge , nous avons trouvé moyen de condenser la neige pour lui faire défier l'été et pour la défendre, dans nos glacières , contre les ardeurs de la saison. Qu'avons-nous gagné à cet artifice? De transfor- mer en marchandise l'eau qu'on avait pour rien. On a regret que l'air , que le soleil ne puisse s'a- cheter, que ce jour qu'on respire arrive môme aux hommes de plaisir et aux riches naturellement et sans frais. Malheureux que nous sommes ! Il est quelque chose que la nature laisse en commun au genre humain ! Ce qu'elle fait couler à la portée de tous , pour que tous y puisent la vie , ce qu'elle prodigue si largement, si libéralement pour l'u- sage tant de l'homme que des bêtes féroces, des oiseaux et des animaux les moins industrieux, la mollesse, ingénieuse àsesdépens, en fait unechoso vénale. Tant il est vrai que rien ne lui plaît s'il ne coûte. Sous un seul rapport les riches descendaient au niveau de la foule ; et le plus pauvre n'était pas inl'éricur "a l'homme que son opulence embar- rasse. On imagina de rendre l'eau elle-même uu objet de luxe. Comment sommes-nous arrivés ii ne trouver aucune eau fluide assez fraîche? Le voici. Tant que l'eslomac reste sain , et s'accom- mode de choses salubres, tant qu'on le satisfait sans le surcharger , les boissons naturelles lui suf- liscnt. Mai3 quand, grâce a des indigestions quo- crimen nisi diim iiiter se coniparantur. Ubi iid coUatio- ueiii iramensi corporis voiiUim est, iiihil intprest, quanto altenim altoro sit majus ; (|uia ctiamsi niagno discrimine , tamen niininia vincuiiliir. XI t. Si'd ut ad piDpositiim revcrtar, propter lias qtias retuli causas, plcns(|iie placuit, iu ea parte aeris iiivcm concipi, i|n;pvicina terris est ; et deo minus alligari, quia minore fripore cuit. Nain vicinus acr et plus lialn't fri- goris, qu:ini ut in a(|uam et imbrem transoat, et minus, quain ut durelur in grandineni. Hoc nicdiu frigore non nimis intcnio nives fiimt coactis acpiis. XIII. Quid islasjiuquis, iucplias,quil)ns nncliteratior fit quisquun , npc niclior, tam operose pcrscqucrls? Quo- modo liant nivcs, dicis, quum mnllo magis ad nos dici a te pertincat, i]uara cniondaj mm sint nivcs. Jubcs me cum luxuria litigare. Quolidi lUum i.stud et sine effoctu jnrginni est. l.iligcmns taruen : ctiamsi siiperior fulura est, pugnintcs ac reluctjnlcs vincat. Quid porro? Hanc ipsam inspoctioncm natura; uihiijudicas ad id , quod vis, confcrrc? quum qnairijuus. Qnimiodo nix fiât, c! dicimus lilampruiat; similcm haliere ualuram, pins illi spirilus quani a(|UiC inesse, nnn putas cxprobrari illis, quum emerp aquam lurpc sit, si uec aquiim (piidem emuni? ÎSes vero qu;cranius polius, quomodii fiant nivrs, (piani qnnmodo serventur ; quoniam non contenli vina diffun- dere veterana , et pcr sapores œlatesque disponere, infc- uimus quomodo sliparemus nivcm , ut ea aeslalem evin- cerct, et c mira anni ferTorera dcfenderetur loci frigore. Quid hac diligentia cocsecuti sumus ? ÎSempe ut gratui- tiim mcrceniuraquam. Nobis dolcl, quod spiritum , quod solem emere non possumus , ([uod hic aer etiam dclicatis divildJusque es facili nec emlus vinil. O quam nobis maie est, quod quidquam a rcrmn natura in medio re- lictum est '. Hoc quod illa fluere et patere omnibus voluit, cujus hausium vitic publicum fecit, hoc quod tara homini, quam feris a\ ibusque , et inertissimis animalibus , m usum large ac bcale profuciit , eonlra se ingcniosa laiuria re- degit ad pretium. Adeo nihil potest illi placere, uisi ca- rum ! Ununi hoc erat , quod diviles in a quum turbas de- ducerct, quo non po-scnt aniecedere pauperrimum. Illi cui divitiae molesta? suut, excogitatum est, quemadma- dum cîiam aqua caperet lusuriam. t'nde ad hoc perveii- tnm sit, ut nulla nobis aqua salis frigida viderelur quae flueret, dicam. Quamdiu sanus et salubris cibi capai sto- niarhus est, implelurquc, non premitur, naturalibus fo- nientis contenlus est. Ubi quotidianis crudilatibus non Icnipor s apstus , scd su is sentit , ubi ebrietas continua viscd'ilius inscdil, et prarcordia bile , in qnara vertitur. QUESTIONS NATURELLES tidicnnes, il se sent altéré , non par l'ardeur de la saison, mais par un feu interne ; lorsqu'une ivresse non interrompue s'est fixée dans ses viscères, s'est tournée en bile qui dévore les entrailles , il faut bien chercher quelque chose pour éteindre cette ardeur que l'eau redouble encore et qui s'accroît par les remèdes mêmes. Voilà pourquoi l'on boit de la neige non-seulement en été, mais au cœur de l'hiver. Quel serait le motif de ce goût bizarre, sinon un mal intérieur, des organes ruinés par trop de jouissances , et qui , sans avoir jamais eu un seul intervalle de relâche, étaient fatigués de dîners succédant 'a des soupers prolongés jusqu'au jour; des organes déjà distendus par le grand nombre et la variété des mels, et que des orgies nouvelles achevaient d'accabler? Bientôt ces actes continuels diulempérance font que ce qu'aupa- ravant l'estomac digérait, il le repousse, et sa soif de rafraîchissement toujours plus énergique s'en allume davantage. On a beau entourer la salle du festin de draperies et de pierres spéculaires, triompher de l'hiver à force de feu , l'estomac dé- faillant, et que sa propre ardeur consume, n'en cherche pas moins quelque chose qui le réveille. Tout conmie on jette de l'eau fraîche sur l'homme évanoui et privé de sentiment pour le faire re- venir à lui; ainsi des entrailles engourdies par de longs excès restent insensibles à tout , si un froid pénétrant ne les saisit et ne les brûle. De là vient, je le répète, que la neige ne leur suffit plus, et qu'ils demandent de la glace, comme plus consistante, et par là concentrant mieux le froid. On la fait fondre dans l'eau qu'on y verse à plusieurs reprises ; et ce n'est pas le dessus des 4ri9 glacières qu'on prend , mais, pour que le froid ait plus d'énergie et de persistance, on extrait le* morceaux du fond. Aussi, n'est-olle pas toujours du nitïme prix; l'eau non-seulement a ses ven- deurs, mais, ô honte! elle a aussi des taux qui varient. Les LacédéninniiMis chassèrent de lein; ville les parfumeurs, cl leur enjoignirent de pas- ser au plus tôt la frontière, les accusant de perdre l'huile. Qu'auraient-ils fait, s'ils avaient vu des magasins de neige dont on fait provision, et tant de bêles de somme occupées à Iransporler celle eau, dont la teinte et la saveur se dénaturent dniis la paille qui la conserve? Kt pourtant, (]u"il est aisé de satisfaire la soif naturelle! Mais rienpeiil- il émouvoir un palais blasé , endurci par des mois qui le brûlent? Par la même raison i|u'il ne trouve rien d'assez frais, rien n'est assez chaud pour lui. Des champignons brûlants, trempés a la hâte dans leur sauce, sont englouiis fumants encore, pour être refroidis à l'instant par des boissons saturi'cs déneige. Oui, vous verrez les lioinnies les plus frêles, enveloppés du pallioluni et du capuchon, pâles et maladifs, non -seulement boire, mais manger la neige et la faire tomber par morceaux dans leurs coupes, de peur qu'elle ne tiédisse en- tre cha(|iie rasade. Est-ce la nnesiniplcsoif, dites- moi? Non , c'est une fièvre d'autant plus violente, que ni le poids , ni la chaleur de la peau ne la trahissent. C'est le cœur môme ([uc consume cette mollesse, mal indomptable, qui. à force de délica- tesse et de langueur, nous endurcil jusqu'à nous rendre la souffance facile. Ne voye/.-vous pas que tout perd sa force par l'habitude? Aussi cette neige même , dans laquelle vous nagez , pour ainsi tnrrcl, aliquid nrcessario quarilur, qini jpstiis ille Tran- ;; lur, (|ui ipsis aquis incalescit, remediis incitât Titiiini. Ilique mn aes'ate tantuin.sed etniedia bicmc nivem linc rausa l)il)unt. Qux liiijiis rci causa est, nisi intcstinum iiialuin , et luiu corrupta prepcordia , quibus nuUum in- tervallum umiuim quo interquicsccrcnt, datcim est, srd praDdia cci tum in vicino slantium eripiat ; quod non cvenjiet , nisi in parvum locum cor- pora !-e multa compellerent. Atqui nullum tcmpus magis, quam nebulosnm , caret vento. Adjic« nunc , quod e con- trario ïenit, ut sol malutinum acra spissum cl bumiduni orlu suo tennet. Tune surgit aura , (|uumdHbim est lan- menlam corporibu», et stipatio illorum ac turba rcs<>lut;i est. IV. Quomodo, inquis, ergo venti nunl, qnos non ne- gas tien f Non uno modo. Alias enim terra ipsa magnani Tira aeris ejicit , et ei abdiio kpiral ; alias quum magna et ContiniM ci imo cr.iporatio in alluni cgit r|u(e émiserai, inimutatio ipsa hiilitusmixtiinventum vcrtitur. Ilhideni:ii nec nt credarn, mihi |X!rsuaderi pilest, noc utiarcam : qiioniodo in noslriscorporibusexi.'ihofitinnatio, qua;n u sine ma^'ua narium injuria cniitl itur, et venirem iutcr- duni cuni sono einnerat, inicrdiim secreiim; sic pulant et banc ningnam rcrum natuiam alimenta mutau:('m cmittere spirilum. Bene nobiscum agtur, quod scmpcr concoquit; alioquin immunditis aliqiiid tiniercmus. Num- quid ergo hoc verius est, dicere, mut a ei omni parle terrarum et assidua frrri corpuscula ; qn;c , quum coa- cervala sint , doiiidt' evlcnnari sole cepsiint, quia omne quod in augusto dilatalur, spaliumniajus dcsiderat, ven- tusexMstil? V. Quid ergo? hanc solam esse causam venti ciisli- mns,aquarum ternirumque ivaporationcs? Ei bis gra- ïititem aeris fieri , deinde solvi inipetu , quiini qna' di'Usa siont, ul est necesse, cxtenuata nilunlur in anipliorem locum ? Ego vero et bancjudico. Cctenuii ill i est longe Terior causa , valentiorqui' , babere aéra nalunilem vim movendi se ; nec aliunderonripcrc , sed iaese illi ut alia- rum rerum, ita hujus poteiiliam. An boc exislimas, no- bis quidem datas vins e.^se, (iiiilins nos moverenius, aéra autem inerlcm et inagitabilcm reliclum es.se? quum aqua niolum suum babeat, eiiaui ventis quie.scenlibu.s ; ueo enim abter animalia cdere posset. Muséum quoqiK- in- 472 SÉNÈQUE. vent? Autrement elle ne produirait aucun être animé. Ne voyons-nous pas la mousse naître dans son sein , et des végclaux flotter h sa surface ? VI. Il y a donc un principe vital dans l'eau : que dis-je dans l'eau? Le feu, par qui tout se consume, est lui-même créaleur, et, chose in- vraisemblable, qui pourtant est vraie, certains animaux lui doivent naissance. 11 faut donc que l'air possède une vertu analogue; et c'est pour- quoi tantôt il se condense, tantôt se dilate et se puriûe ; d'autres fois, il rapproche ses parties, puis il les sépare et les dissémine. 11 y a donc entre l'air et le vent la même différence qu'entre un lac et un fleuve. Quelquefois le soleil lui seul produit le vent, en raréfiant l'air épaissi, qui perd , pour s'étendre , sa densité et sa cohésion. VII. Nous avons parlé des vents en général ; entrons maintenant dans le délail. Peut-être dé- couvrirons-nous comment ils se forment, si nous découvrons quand et où ils prennent leur origine. Examinons d'abord ceux qui soufflent avant l'au- rore et qui viennent des fleuves, des vallées, ou des golfes. Tous ces vents n'ont point de persis- tance, ils tombent dès que le soleil a pris de la force, et ne montent qu'à peu de dislance de la terre. Ces sortes de venls commencent au prin- temps et ne durent pas au-delà de l'été; ils vien- nent surtout des lieux où il y a beaucoup d'eau et beaucoup de montagnes. Bien que l'eau abonde dans les pays de plaine, ils manquent d'air, je veux dire de cet air qui peut s'appeler vent. VIII. Comment donc se forme ce vent que les Grecs nomment Enco/pm. Toutes les exhalaisons des marais et des fleuves (et elles sont aussi abon- dantes (jue continues) alimentent le soleil pen- dantlejour; la nuit, elles cessent d'être pompées et renfermées dans les montagnes, elles se con centrent sur le même point. Quand l'espace est rempli et ne peut plus les contenir, elles s'échap- pent pur où elles peuvent, et se portent toutes du même côté ; de l'a naît le vent. Le vent fait donc effort où il trouve une issue plus libre et une ca- pacité plus grande pour recevoir tout cet amas de vapeurs. La preuve de ce fait, c'est que durant la première partie de la nuit il n'y a pas de vent; parce que c'est alors que commencent à s'entasser ces vapeurs qui regorgent déjà vers le point du jour, et cherchent un écoulement pour se déchar- ger; elles se portent du côté où s'offre le plus de vides et où s'ouvre un champ vaste et libre. Le so- leil levant les stimule encore davantage en frap- pant celte atmosphère froide. Car, avant même qu'il paraisse, f^a lumière agit déj'a ; ses rayons n'ont pas encore frappé l'air, que déjà la lumière qui le précède le provoque et l'irrite. .Mais quand il se montre lui-même , il attire en haut une par- lie de ces émanations, et dissout l'autre par sa chaleur. Aussi ces courants d'air ne sauraient-ils durer plus tard que l'aurore ; toute leur fore» tombe en présence du soleil ; les plus violents s'allanguissent vers le milieu du jour, et jamais ne se prolongent au-delà de midi. Les autres sont plus faibles, moins continus, et toujours en rai- son des causes plus ou moins puissantes qui les engendrent. I.X.. Pourquoi les vents de cette espèce ont-ils iiisti aquis, et lierbosa quïcnto Talel. VIII. Quomodo ergo talis Qatus concipitur, quem Graîci iyxoXmon Tocant? Quidquid ex se paludes et fla- mina cmittunt, id autem et multum est, et assiduum, por diem solis alimentum est; nocle non exbauritur, sed- moniibus inclusum, in uuam reginnem colligitur. Quum illaiii implevit, et jam se non capit, sed exprimitur ali- quo , et in unam parlera procedil ; hic ventus est. Itaque co incumbit, quo liberior exitus invitât, et locilaiilas, ii» quam coacervata incurrant. IIujus rei argumentuni est , (|uod prima noctis parte non spirat. lucipit enim fieri tune illa colleclio, quae circa lucemjnm plena est, et one- rata qua»rit quo defluat; et eo potissimnra eiit , ubi plu- rimum vacui est, et magna ac patens area. Adjicit autem ei stimulos ortus solis , feriens gelidum aéra. Is'am etiam- antequam appareat, lumine ipso valet; et nondum qui- dcm aéra radiis impellit, jam tamen lacessit et irritât, luce prœmissa. Nam quum ipse proccssit, alla superius rapiuntiir, alla diffundunturtepore. Ideo non ultra matn- tinum iUis dalur flueie; omnis illorum vis conspectu soli» cistinguitur; etiamsi violentiores tlavere, circa mediam tamen diem relanguescunt ; nec unquam nsque in meri- dicm aura producitur. Alia autem imbecillior ac brevior est , prout valenlioribns minoribusve collecta causis est. IX. Quare tamen taies venti Tere et a;state validioros QUESTIONS NATURELLES. 47j plus de force au printemps el en été ; car ils sont très-faibles le reste de l'année et ne peuvent enfler les voiles? C'est que le printemps est une saison humide, et que la grande quantité des eaux et des lieux que sature et arrose l'humidité naturelle de l'atmosphère augmente les évaporalions. Mais pourquoi soufflent-ils de même l'été? Parce qu'a- près le coucher du so'eil la chaleur du jour dure encore et suhsiste uoe grande partie de la nuit . elle facilite la sortie des vapeurs, et attire puis- samment toutes les émissions spontanées de la terre ; après quoi la force lui manque pour les consumer. Ainsi la durée des émanations et des exhalaisons du sol et des eaux est plus longue que dans les temps ordinaires : or, le soleil , à son lever, produit du veut non-sculcraent par sa cha- leur, mais encore par la percussion. Car la lumière qui, comme je l'ai dit, précède le soleil, n'é- chauffe pas encore l'atmosphère , elle la frappe seulement. Ainsi frappé , l'air s'écoule latérale- ment. Je ne saurais pourtant accorder que la lu • raière soit par elle-même sans chaleur, puisque c'est la chaleur qui la produit. Peu-être u'a-t-ellc pas autant de chaleur que son action le ferait croire ; elle n'en fait pas moins sou effet, en divi- sant, en atténuant les vapeurs condensées. Les lieux mêmes que la nature jalouse a faits inacces- sibles au so!eil , sont du moins réchauffés par une lumière louche et sombre , et sont moins froids de jour que de nuit. D'ailleurs la chaleur a pour effet naturel de chasser, de repousser loin d'elle les brouillards. Le soleil doit donc en faire autant ; d'où quelques-uns se sont Cguré que le vent part du même point que le soleil ; opinion évidemment fausse, puisque le vent porte les vaisseaux de tous côtés , et qu'on navigue 'a pleines voiles vers l'o- rient; ce qui n'aurait pas lieu, si le vent venait da côté du soleil. X. Les vents étésiens, dont on veut tirer un argument, ne prouvent guère ce qu'on avance. Exposons cette opinion avant de donner les motifs qui niius la font rejeter. Les vents étésiens, dit-on, ne soufflent pas en hiver; les jours alors étaut trop courts, le soleil disparaît avant que le froid soit vaincu ; les neiges peuvent s'amonceler et durcir. Ces vents ne commencent qu'en été, lorsque les jours deviennent plus longs et que le soleil nous darde des rayons perpendiculairement. Il est donc vraisemblable que les neiges, frappées d'une cha- leur plus pénétrante, exhalent plus d'humidité, et qu'à son tour la terre, débarrassée de cette en- veloppe, respire plus librement. H se dégage donc de la partie nord de l'atmosphère plus de corpus- cules , qui refluent dans les régions basses et chaudes. De là l'essor des vents étésiens; et s'ils commencent dès le solstice et ne tiennent pas au- del'a du lever de la canicule , c'est que déj'a une grande partie des émanations septentrionales a été refoulée vers nous; au lieu que, quand le so- leil changeant de direction, est plus perpendi- culaire sur nos têtes, il attire à lui une partie de l'atmosphère et repousse l'autre. C'est ainsi que l'haleine des vents étésiens tempère l'été , et nous protège contre la chaleur accablante des mois les plus brûlants. XI. Maintenant, comme je l'ai promis, expli- quons pourquoi ces vents ne sont d'aucun secours et ne fournissent aucune preuve à la cause de mes sant ? Letissimi enim cetera parte anni , nec qui vela im- pleant, surgunt. Quia ver aquosius est, itei pluriiiiis aqnis , locisf e ob bumidam cœli naturam saturis et rc- dnndanlibns, major eTaporatio est. Al quare apstale pro- fundltur? Quia post occasum .solis remaoet diurnus calor, et magna nocli» parte perdurât; qui evocat eicunlij , ac Tctiemenlius trahit, quidqurd ex bis sponte reddi solet; deinde non tantum hal)et tirinm, ut quod evocavil, nli- tumat. Ob boc diulius corpuscula , emanare solila el cf- fl-iri, terra ei »e alque humor emitlil. Facit aulcm vm- tum sol ortus , non calore tantum, sed etiam ictu. Lux cnim , ut diii , qniB solem anieccdit , nondum aéra cale- facit, sed percutit tantum ; percussus autem in latus ce- dit. Quanquam ego ne illud quidem concesserim , lucem Ipsam sine calore esse , quum ex calore Hat. Non habet forsitan tantum teporis, quantum aclu appareal. Opus tamer suum facit , el densa diducit ac tenuat. Pra-lerea loca, quae aliqua iniquititc naturae ita clausa sunt, ut so- lem accipere non possint , illa quoque nubila et trisli luce calefiunt, et per diem minus quam noclibus rigeiit. Eti'ininunc natura caliir nmnisabigit nebulas, et a se le- iwliit. Ergo sol quoque idem facit. F.t ideo qiiihusdam \i- deiur , inde llalus esse, unde sol. Hoc falsum esse ei co apparet, quod aura in omnem partem vehit, et contra ortum plonis ventis navigatur. Quod non eveniret , si semper vcntus ferrelur a sole. X. Elesia; quo<|ue, qui in argumenlum a qnibusdam advocanlur , non nimis proposiluin adjuvant. Dicani pri- mum quid illis placeat; deiudp, cur displiceat mihi. Etc- siae, inquiunt, hieme non sunt; quia hrevissimis diebus sol desinit , priusquam frigus evincalur. Itaque nlves et ponuiitur et durantiir. Aistate incipiunt flarc, quum et longius eitenditur dies , et recti in nos radii dirigunlur. Veii ergo simile est , courussas calore magno nives plus humidi efflare. Ilem terras exoneralas nive, retectasque spirare liherius. Itaque plura ex soptenlrionaliparlecœli corpora exire , et in ha>c loca , quœ sulimissiora ac tepi- diora sunt, defcrri. Sic impetuiu Etesjas sumere; et ob bnc a solstitio illis inilium esl, ullraque ortum Caniculce non valent; quia jam multuni e frigida co'li parte in banc egeslum est. At sol niiitalo cursu in iiosirani reclior len- ditur; etalteram partem aeris altrabit, allant vero im- pellit. Sic ille Elesiarum llatus xstatem fiangit; et a men- sium fervenlissiiiioruni gravilatc défendit. XI. Nunc, <|uod proniisi , dicindum est, quiirc Etesia; illos non adjuveut , nec ([uidquaiu huic tonfeiant cause. 47 i SÉNËQUF. adversaires. Nous disons que l'aurore éveille le souffle du vent, qui baisse sitôt que l'air a été touché du soleil : or, les gens de mer nomment les Étésiens dormeurs et paresseux , attendu , comme dit Gallion , qu'ils ne sauraient se lever matin , et qu'ils ne font acte de présence qu'h l'heure où les venis les plus opiniâtres ont cessé; ce qui n'arriverait pas, si le soleil los absorbait comme les antres. Ajoutez que, s'ils avaient pour cause la longueur du jour et sa durée, ils de- vraient souffler avant le solstice , temps où les jours sont le plus longs et la fonle dos neiges le plus active; car, au mois de juillet, la terre est tout à fait découverte, ou du moins fort peu d'en- droits sont encore cachés sous la neige. XII. Certains vents sortent de nuages qui crè- vent et se dissolvent en s'aliaissant ; les Grecs les appellent Ecnépliies. Voici , je pense , le mode de leur fonnalion : l'évaporation terrestre jette dans les airs quanlilé de corpuscules hétérogènes et d'inégales dimensions, les uns secs , les autres hu- mides. Quand toutes ces matières antipalliiques et qui luttent entre elles sont réunies en un même (Misenible, il est vraisemblable qu'il se forme des nuages creux , entre lesquels s'établissent des in- tervalles cylindriques, étroits comme le tuyau d'une flùle. Dans ces intervalles est enfermé un airsublil, qui aspire à s'élendre plus au large sitôt que le frottement d'un passage trop resserré l'é- chauffé et augmente son volume ; alors il déchire son enveloppe, il s'échappe : c'est un vent rapide, orageux presque toujours, vu la hauteur dont il descend et l'énergie que sa chute lui donne. Car il n'est pas libre et îi l'aise ; il est contraint , il lutte et s'ouvre de force une route. D'ordinaire cette fureur dure peu. Comme il a brisé les nua- ges qui lui servaient de retraite et de prison, il arrive avec impétuosité, accompagné quelquefois du tonnerre et de la foudre. Ces sortes de vents sont beaucoup plus forts et durent davantage, quand ils absorbent dans leur cours d'autres vents issus des mêmes causes, et que plusieurs n'en font qu'un seul. Ainsi, les torrents n'ont qu'une grandeur médiocre tant qu'ils courent iso- lés ; mais , grossis par la jonction d'un grand nom- bre d'autres eaux, ils deviennent plus considéra- bles que des fleuves réglés qui coulent toujours. On peut croire qu'il en est de même des ouragans: ils durent peu, tant qu'ils soufflent seuls; mais dès qu'ils ont associé leurs forces, et que l'air, chassé de plusieurs points de l'atmosphère, se ra- masse sur un seul, ils y gagnent plus de fougue et de persistance. XIII. Un nuage qui se dissout produit donc du vent; or, il se dissout de plusieurs manières : ce globe de vapeurs est crevé quelquefois par les tf- foris d'un air cnferméquichercheàsortir, quelque- fois par la chaleur du soleil , ou par celle que dé- terminent le choc et le frottement de masses énor- mes. Nous pouvons , si vous le voulez , examiner ici comment se forment les tourbillons. Tant qu'un fleuve coule sans obstacle, son cours est uniforme et en droite ligne. S'il rencontre un rocher qui s'avance du rivage dans son lit , ses eaux rebrous- sent faute de passige, et se replient circulaire- ment. Elles tournent ainsi et s'absorbent d'elles- Picinnis nutem luce aurara incitari, tandem subsidere , quuiii illaiii sol atligit. Atqui Etesiji; ob hoc somniculosi a nantis, et di'licati vocantiir, qiiod, ut ait Gallio, iiiane nesciiinl siirgere : eo tejiipore incipiiint prodire, quo ne I)ertiuax quidein aura est ; qiiod non accideret , si ut au- ras, ita illdssol comminueret. Adjicc nunc, quod si causa illis flilus est spatiuin diei ac longitude, etiain ante sol- stit uni livrent, quum longissimi dies sunt, et cum maxime uivcs tal)i'scuut. Julio eniu! mcnse jaiu dispoliata sunt oinnia , aiit certe admodum pauca jacent adhuc sub nive. XII. SuDt quaedaui gênera ventoruni,qua;rupla; nulles et in pronum solut;e eiiiittiinl. Hos Gr.Tci ventos ix-/if:lai Tocant. Qui hoc, ut puto , modo fiunt. Qnura magna iua'qualilas ne dis.^imililudo corporum, quie vapor terre- nus emitlil, in sublime eat, et aliaex biscorporibus sicca siut, alia huniidti; ex lanta discordia corporum inler se pugnanlium , quum in unum conglobata sunt , verisimile est quasdam cavas effici nubes, et inlervalla inter illas iclinqui (istulosa , et in modum tibia; angusla. Ilis inler- vallis tenuis includitur spiritus, qui niajus desiderat spa- tium , quum everberalus cursu parum lil)ero iucaluit; et ob hoc amplior fit, scinditque cingenlia, et erumpit in ventum , qui fcre procellosus est, quia superric demittitur, eiln uoscadit vchemens et accr ; quod non fusus, ncc per .Tpertura venit, sed lal)orat, et ilcr sibi vi ac pngna parât. Hic fere brevis (talus est. Quia receptacula nubium per qua; ferebatur , ac munimenta perrumpit; ideo tu- multuosus yenit aliquando non sine igné ac sono cceli. Hi fenli multo majores diuturnioresque sunt, si aijos quoque flatus ex eadem causa ruantes in se abstulere , et in unum contlusere plures; sicut torrentes modtca; mag- nitudinis cunt, quamdiu separatis suus cursus est; quum Yero plures in se aquas couterterc , Quminum justorum ac perennium maguitudinem excedunt. Idem credibile est Deri et in pniccllis, ut sint brèves quamdiu singula; sunt; ubi Tero sociavere vires , et ex pluribus cœli par- tibus elisus spiritus eodem se contulit , et impetus illis ac- cedit, et niora. XIII. Facit ergo ventum resoluta nubes; quae pluribus modis solvilur. ISonnunquam couglubationem illam spi- ritus runipit iuclusi et in exitum nitentis luctatio; non- nunquam calor , quem modo sbl fecit.modo ipsa aric- tatio magnorum intcr se corporum et attritus. Hoc loco , si tibi videtur, quacri potcst, cur turbo fiât. Evenire in fluminibus solet, ut, quamdiu sine impedimento ferun- tur, simplex et rectum illis iter sit ; ubi incurrere in ali- quod saxuin ad latus ripiB proniinens, retorqueantur, et in orboni aquas sine cxilu ileclaut , ita ut circmnlatc ia mêmes de manière à former un tourbillon. De môme le vent, tant que rien ne le contrarie, pousse ses efforts droit devant lui. Repoussé par quelque promontoire, ou resserré par le rappro- chement de deux montagnes dans un canal étroit, il se roule sur lui-même à plusieurs reprises, et forme un tourbillon semblable a ceux qu'on voit dans les fleuves, comme nous venons de le dire. Ce vent donc, mû circulairement , (|ui tourne sans cesse autour du même centre , et s'irrite par son QUESTIONS NATURELLES. 475 XIV. Reprenons ce que j'ai dit primitivement. Il y a des vents qui sortent des cavernes et des retraites inlcrieures du globe. Le globe n'est point solide et plein jusqu'en ses profondeurs ; il est creux en grande partie , Et suspendu sur de sombres abinies. Quelques-unes de ces cavités sont absolument vides et sans oau. Bicoque nulle clarté n'y laisse voir les modilicalions de l'air , je crois pouvoir propre tournoiement, s'appelle tourbillon. Avec ' dire que dans ces ténèbres séjournent dos nua- plus de fougue et plus de durée dans sa circon- | ges et des brouillards. Car ceux qui sont au- volulion, il s'enflamme et devient ce que les Grecs ' dessus de la terre n'existent pas, parce qu'on les nomment jorwter ; c'est le tourbillon de feu. Ces voit; on les voit parce qu'ils existent. Les nuages tourbillons sont presque aussi dangereux que le souterrains n'en existent donc pas moins , pour vent qui s'échappe des nuages; ils emportent les être invisibles. Vous devez savoir que sous terre agrèsdesvaisseaux,et soulèvent les naviresmômes ; il existe des fleuves semblables aux nôtres : les dans les airs. Il y a des vents qui en engendrent uns coulent paisiblement; les autres roulent et se d'autres tout différents , et qu'ils poussent au ha- précipitent avec fracas sur des rochers. Vous m'ac- sard dans l'air, selon des directions tout autres corderez aussi, n'est-ce pas, l'existence de lacs que celles qu'ils affectent eux-mêmes. Et, "a ce souterrains, d'eaux stagnantes et privées d'issue? propos , une réflexion se prcsenlo "a moi. De même Si tout cela existe , nécessairement l'air, dans ces que la goutte d'eau qui déj'a penche et va ton)l>cr , cavités , se charge d'exhalaisons qui , pesant sur ne tombe toutefois que lorsque plusieurs s'ajou- les couches inférieures , donnent naissance au vent tent à elle et la renforcent d'un poids, qui cnlin par cette pression même. Il faut donc recoimaîtro la détache et la précipite; de même, tant que les que les nuages souterrains alimentent des venls mouvements de l'air sont légers et répartis sur qui couvent dans l'obscurité, et qui , après avoir plusieurs points, il n'y a pas encore de vent ; le amasséasscz de forces, renversent l'obstacle qu'op- vent ne commence qu'a l'instant oii toutes ces ; pose le terrain , ou s'emparent de quelque passage tendantes partielles se confondent en un seul es- | ouvert il leur fuite , pour s'élancer sur notre globe sor. Le souffle et le veut ne diffèrent que du plus ! par ces voies caverneuses. Il est en outre mani- au moins. Un souffle considérable s'appelle vent ; \ feste que la terre enferme dans son sein d'énormes le souffle proprement dit est un léger écoule- 1 quantités de soufre et d'autres substances égale- ment d'air. ment inflammables. Le vent qui s'y engouffre pour te sorbeantur , et vorticeni rfllciant. Sic ventus , qaam- diu Dihil ol>stitit , Ttrci suas erfuadlt. Ubi atiquo promon- torio repercussus est , aut vi locnrnm coeuntium in cana- lem deTeium tcDuemque collectns; sœpius in se volutatur, riœiletnque illis, qu:s diiimus converti, aquis facit vor- ticem. Hic ventus circamactas , et eumdeni amb^ns lo- cum, et se ipsa vertigine ooncilans, turlw est. Qui si pu(!nacior est, ac diutius Tcilutatur, inOammatur, et efTl- cit qurm zmm-ipoi Grœci vocant. Hic est igneus lurtxi. Hi fcre omnia pericula Tenti cnipti de nubihus produnt , quibus armamcut.1 rapiantur, et Iota; naves in sublime tollanlnr. Etiamnunc quidam venti dirersos ex se géné- rant, et impuisum aéra in alias quoque partes, quam in qua» inclinaTere , dispergunt. Illud quoque diram , quod mihi occurrit, qnemadmodum stillicidia , quamTis jam inclinent «e et tabanlur, nnndum Limcn cffeccre lap- tum, sed ubi plura coiere et lurln Tires di'dil, tcinc flnere et ire dicuntur : sic qnam'liu levés sunt aeris mo- tus, agitati plurihus tocis , nondum ventus est; tune esse iocipit, quum omnes illos niiscuit, et in unum impituni coiilulit. Spirilum a vente modus séparât; vehementior •nira spiritus veulus est; iavicem spirilus leviter lluensaer. XIV. Repetam nunc quod in primo diieram , edi e specu ventes, recessuque intcriore lerrarum. Non tola sulido conteitu terra in imum usque fundatur, sed mullis panibus cava, et caecis suspensa latebris. Aticubi habet inania sine humore. Ilii etiamsi nulta lui discrimen aeris monsirat , dicam tamcn nubes ncbulasque in obscure consislere. Nam ne bac ipiidcm supia terras , quia videnlur, sunt : sed quia sunt, videntur. Illic quoque I nihilominus ob id sunt, qudd non videntur. Fluniiua illic I scias licet , nostris parla , sublabi ; alia levilrr ducta, alla in confragosis tocis pracipitaniln sonantia. Quid ergo, non itlud œquc dabis, esse aliquos et sut) terra lacus, et quasdam aquas sine eiilu stagnare ? Qua» si ista sunt , neccsse est et illud, aéra onerari, oneratunique incuinberc, elventum propulsu suoconcitare.Ki illis ergo sublerraneis nubibus sciemusnutririinterobscura flatus, quum tantum virium fecerint , quanio aut lerrae olislantia aufcranl , aut aliquod aperluraad hosefflatusiter occupent, etperhanccavernam in Dostras sedes efferanlur. Illud vero manifcsluni est, magnam esse sub terris vim sulphuris , et alioruu) non 470 trouver une issue doit, par le seul frottement, allumer h flamme. Bienlôt l'incendie gagne au loin ; l'air même qui était sans action se dilate, s'agite et cherche a se faire jour, avec un frémis- sement terrible et des efforts impétueux. Mais je traiterai ceci avec plus de détail quand il s'agira des tremblements de terre. XV. Pernietlcz-moi ici de vous raconter une anecdote. Au rapport d'Asclépiodole, Philippe fit descendre un jour nombre d'ouvriers dans une ancienne mine, depuis longtemps abandonnée , pour en explorer les richesses et la situation , et voir si l'avidité de ses a'ieux avait laissé quelque chose à leur postérité. Les ouvriers descendirent avec une provision de flambeaux pour plusieurs jours. Ils découvrirent, après une longue et fati- gante route, des fleuves immenses, de vastes ré- servoirs d'eaux dormantes, pareils a nos lacs, et au-dessus desquels la terre, loin de s'affaisser, se prolongeait en voûte, spectacle qui les remplit d'effroi. J'ai lu ce récit avec un bien vif intérêt. J'ai vu par la que les vices de notre siècle ne sont pasd'hier, maisremonlent, par une déplorable tra- dition, aux temps les plus reculés; et que ce n'est pas de nos jours seulement que l'avidité, fouillant le sein de la terre et les veines des rochers , y chercha des trésors que leurs ténèbres nous ca- chaient mal. Nos ancêtres aussi, dont nous célé- brons les louanges, dont nous gémissons d'avoir dégénéré, ont, dans la soif de s'enrichir, coupé des montagnes : ils ont vu l'or sous leurs pieds et la mort sur leurs têtes. Avant le Macédonien Phi- lippe, il s'est trouvé des rois qui, poursuivant l'or SÉNÈQUE. jusque dans les plus profonds abimes , et renon- çant "a l'air libre, s'enfonçaient dans ces gouffres où n'arrive plus rien qui distingue le jour de la nuit, et laissaient loin derrière eux la lumière. Quel était donc ce grand fspoirV Quelle impérieuse nécessité a courbé si bas l'homme, fait pour regar- der les cieux? Qui l'a pu enfouir et plonger au sein même et dans les entrailles du globe pour en exhumer l'or , l'or aussi dangereux "a poursuivre qu'à posséder ? C'est pour de l'or qu'il a creusé ces longues galeries, qu'il a rampé dans les bones autour d'une proie incertaine, qu'il a oublié le soleil, oublié cette belle nature dont il s'exilait! Sur quel cadavre la terre pèse-t-elle autant que sur ces malheureux jetés par l'impiloyable ava- rice sous ces masses gigantesques , déshérités du ciel, ensevelis dans les profondeurs qui recèlent ce poison fatal? Ils ont osé descendre au milieu d'un ordre de choses si nouveau pour eux, sous ces terres suspendues et qui menaçaient leurs tôles; et les vents qui soufflaient au loin dans le vide, ces effrayantes sources dont les eaux ne cou- laient pour personne, cette épaisse et étemelle nuit, ils ont bravé tout cela, et ils craignent en- core les enfers ! X'VI. Mais je reviens 'a la question qui m'oc- cupe. Quatre vents se partagent les quatre points du ciel , le levant , le couchant , le midi et le sep- tentrion. Tous les autres, qu'on appelle de tant de noms divers, se rattachent a ces vents princi- cipaux. L'Eurus oriental régna sur l'.irabie; L'impétueux Borée envahit la Scjthiej minus ignem alentium. Fer h'otus, l'Africus orageux, Toiu s'élancent... Et le quatrième aussi, quoiqu'il ne fût pas de la mêlée, l'aquilon. D'autres comptent douze vents: ils subdivisent en trois chacune des quatre parties du ciel , et adjoignent 'a chaque vent deux subal- ternes. C'est la théorie du judicieux Varron; et cet ordre est rationnel. Car le soleil ne se lève ni ne se couche pas toujours aux mêmes points. A réquinoxe, qui a lieu deux fois l'an , son lever ou son coucher n'est pas le même qu'au solstice d'hi- ver ou au solstice d'été. Le vent qui souffle de l'oiient équinoxial s'appelle en notre langue Suh- xolanus,e\.en grec Apheliotès. De l'orient d'hiver .souffle l'Eurus, qui, chez nous, est Vulturne. Tiic-Live lui donne ce nom dans le récit de cette ba- l.iille funeste aux Romains, où Annibal sut mettre notre armée en face tout "a la foisdu soleil levanlct (lu Vulturne, et nous vainquit, ayant pour auxi- liaires le vent et ces rayons dont l'éclat éblouissait los yeux de ses adversaires. Varron aussi se sert du mot Vulturne. Mais Eunts a déj'a obtenu droit de cité, et ne se produit plus dans noire idiome à titre d'étranger. De l'orient solstitial nous arrive le Cœcias des Grecs, qui, che? nous, n'a point de QUESTIONS NATURELLES. 477 nom. L'occident équinoxial nous envoie le Favo- nius que ceux mêmes qui ne savent pas le grec vousdironts'appeler Zéphyre. L'occident solstitial enfante le Corus, nommé par quelques-uns Ar- gesies, ce qui ne me semble pas juste; car le Co- rus est un vent violent, qui n'a qu'une seule di- rection ; taudis que l'Argestes est ordinairement doux, et se fait sentir a ceux qui vont comme" à ceux qui reviennent. De l'occident d'hiver vient l'Africus, vent furieux et rapide que les Grecs ont noniniéLip.s. Dansie flanc septentrional du monde, du tiers le plus élevé souffle l'aquilon ; du tiers qu'occupe le milieu , le septentrion ; et du tiers le ()lus bas, le Thracius, pour lequel nous n'avons pas de nom. Au midi se forment l'Euro-Notus, le iNotus, en latin Auster, et le Libo-Notus, qui est aussi sans nom parmi nous. XVII. J'adi'ptc celle division en douze vents; non qu'il y en ait partout autant, car l'inclinaisou du terrain en exclut souvent quelques-uns; mais parce qu'il n'y en a nulle part davantage. Ainsi, quand nous disons qu'il y a six cas, ce n'est pas que chaque nom en ail six, c'est parce qu'aucun n'en reçoit plus de six. Ceux qui ont reconnu douze vcnis se sont fondés sur la division ana- logue du ciel. En effet, le ciel est partagé en cinq zones, dont le centre passe par l'axe du monde. Ilya la zone septentrionale , la soisliliale, l'é- quinoxiale , la brunialc et la zone opposée à la septentrionale. On en ajoute une sixième qui sépare la région supérieure du ciel de la région inférieure. Car, comme vous savez , toujours une Persidaqiie , et radiii jnga subdita matulinis. Vejper et occiJuo qu» lilora sole tepeïciini, Proxima sunt Z''pliiru. Scytliiam septeinque triones llorrifer invasit U Teas. Canlraria trllus Nubibus assiduis, pluvioque madescitab Austro Vel, si brevius illos complecti mavis, io unam lempesta- tein , quod Ticri nullo modo potest, congregcntur. Una Euraïqoe Notujqne runnt , creberqne procellis Africus , et qui lucum in illa riia non habnit, Aquilo. Quidam illos duodecim faciunt. Quatuor enini cœli partes lu ternas di- vidant, et singulis Tentis binos suiTectos dant. Hac arte Tarro, vir diligens . illos ordinal; nec sine causa. Non enim codem seniper loco soi oritur, aut occidit. Sed alius est ortus occasusque squinoclialis ; bisautem a^quinoiium est, alim hibernas. Qui surgit ab oriente iequinoctiali, sub- solanusapudnosdicitnr: GraeciillumA^)i';>r,;vVorensari, qua» in perni- ciem suam generis humani dementia excogi:at. Sed non i.ioo non sont ista natura sua bona , si vilio maie ulen- liuni uocent. Mniirum in lioc Providenlia, ac dispositur Ule uiuudi Deus, aéra Tentis exercenduni dcf.it, ci illos QUESTIONS NATURELLES diange pas de nature, par la faute de ceux qu 479 en abusent pour nuire. Certes, lorsque la Provi- dence, lorsque Dieu, ce grand ordonnaleur du monde, a livré l'atmosphère aux venis qui ont soufflé de tous les points , afin que rien ne dépé- rît faute de mouvement ; ce n'était pas pour que des flottes, remplies d'armes et de soldats, bordassent presque tous nos rivages et allassent sur l'Océan ou par-delà l'Océan nous chercher un ennemi. Quelle frénésie donc nous transporte et nous enseigne cette tactique de desiruclion mu- tuelle? Nous volons 'a toutes voiles au-devant des batailles, et nous cherchons le péril qui mène 'a des périls nouveaux. Nous affrontons l'incertaine fortune , la fureur de ces tempêtes qu'il n'est pas donné à la puissance humaine de vaincre, et une mort sans sépulture. La paix même vaudrait-elle qu'on la poursuivît par des voies si hasardeuses ! Nous, cependant, échappés à tant d'invisibles ccueils , aux pièges des bas-fonds semés sous nos pas, 'a ces caps redoutés contre lesquels les vents poussent les navigateurs, 'a ces ténèbres qui voi- lent le jour, à ces affreuses nuils plus sombres encore et(|ue la foudre seule éclaire, ii ces tour- billons qui luisent en éclats les navires, quel fruit retirerons- nous de tant de peines et d'effroi? Fatigués de tant de maux , quel sera le port qui nous accueillera? La guerre, un rivage hérissé d'ennemis, des nations ii massacrer et qui entraî- neront en grande partie le vainqueur dans leur ruine, d'antiques cités à livrer aux Uaoïmes. Pourquoi ces peuples levés en masse, ces armées que nous mettons sur pied , que nous rangeons en bataille au milieu des flots? Pourquoi laii- guons-uous les mers? La terre, sans doute, n'est point assez spacieuse pour nous égorger. La for- tune nous truite avec trop de tendresse ; elle nous donne des corps trop robustes, une santé trop florissante ! Le destin ne nous décime pas assez brusquement , et chacun peut fixer à sou aise la mesure d'années qu'il veut vivre, et arrivçr doucement 'a la vieillesse ! C'est donc sur la mer qu'il nous faut aller, qu il faut provoquer le destin trop lent à nous atieindre. Malheureux ! que cher- chez-vous? La mort? elle est partout. t'.lle vous arrachera même de votre lit : que du moins elle vous en arrache innocents; elle vous saisira jus- qu'en vos foyers : mais qu'elle ne vous saisisse pas méditant le crime. Comment appeler autrement que frénésie ce besoin de promener ladeslruction, de se ruer furieux sur des inconnus, de tout dé- vaster sur son passage, sans y être provoqué, et, comme la bête fércice, d'égorger sans haïr? Celle- ci, du moins, ne mord jamais que pour se venger ou assouvir sa faim ; mais nous , prodigues du sangd'autruietdu nôtre, nous labourons les mers, nous les couvrons de flottes, nous livrons notre vie aux orages , nous implorons des vents favora- bles, et ces vents favorables sont ceux qui nous mènent au carnage. Uace criminelle, jusqu'où nos crimes nous oui ils em|)ortés? Le continent était trop peu pour nos fureurs. Ainsi, cet extnvat;ant roi dePerse envahit la Grèce, que son armée inonde, mais qu'elle ne peut vaincre. Ainsi Alexandre, <|ui a franchi la liactriane et les Indes, veut connaître ce qui existe par-delà la grande mer , et s'indigne que le nioude ait pour lui des limites. Ainsi la cu- pidité fait de Crassus la victime des Parihes; rien ah omni parle, ne cjuid oset situ sqiialiiluin , tffiidit ; non ut DOS classes parteni frcli occiipjtunis coiuplei rmus mil tcarmalo, et hostem iii mari aut po^t marc inquire- remus. Quac nos deinentia cxapilal , ei in nimuum rom- ponit eiilium ? V>la ventis damui hélium pelitiiri , et pe- riclitaniur periculi causa, lucerlam fortuniim esperimur, fini tempesliiium nulla ope tiumana superabilem, mor- teni «-ne spp sepulMir.c. >(m i iMt tanti , si ad paccm per i»ta velieremur. Niinc auleni quum cvaserinius toi .sco- pulos latentes, et insidias vadi)si maris; quum cffug.ri- muf procellosos desupcr montes, in quos pra'ceps navi- gantes ventus impingil; quum involatos nubilo dies , et oiinbis ac loniiruis horrcndas nocles, quum turbinilius divulsa navigia : qiiis erit hujus lalmrisac nietus fruclus? quis nos fessos lot midis porlus eicipiel? Bellum sciliccl, el obvius in litore bostis , et trucidanda; gentes tmclura; maiiot CI parte ïictor<™ , et antiquarum urbiom flamma. Qiiid in armacogimus populos ?quid eiercilus scribimus, directnros ,ciem in mediisfluclibus? quid maria inquie- Jamus? Pariim videlicet ad mortes nostras terra late pa- tel I Nimis délicate fortuna nos tractât ; nimis dura dédit noliis rorpora , feliccm Taletudincm ! Non depopubtur nos lasus inciirrcns; emcliii ciiique annos'suos ex coni- nioilolici't, et ad seu cliitcm decurrere I Itaquceaiiius in pelaKUs, et vocemus in nos fita ccssanlia. Miscri, quid qua?ritis? mortem, qua- uhiqnc siipercsl? Petit illa vos et ex lectulo; scd uliqiie iiinncenlps pctal : ( ccupabit vos in vestra dimo; sed occupt'l ludluni inolicnles nialum. Hoc vero qiiid nliiid quis di\eril, quam iusaniam, cir- cnmferrc pericula , el luire in ipnotos iratuui , sine inju- ria occurrcnlia devasiaiilcm , ac lcr;?rum more occidere, quem non oileris? lllis tanien in ul.ioneni , aut ex famé niorsiis est; nossinc nlla parcimonia nostri ;:licni jucsan {luinis, movemus maria, et navigia deducimus; salntem ommittinius iluctibus, sicundns oplauius vcnlos, quo- rum ft'licitas est ad bclla perferri. Quousque nos malos mala noslra rapuere? Parum est , intra orhem snuui fu- rore. Sic Persarum rex stolidissimus in Gi-a'ciani trajicit, quam exercilus non vieil, quum impleverit. Sic Aleian- der ullerior Bactris el Indis volet quœrere, quid sit ultra magnum marc, et indignabitur alii|uid esseultimumsibi. Sic Parthis avaritia Crassum dabll. Non horrchit revo- cantis diras tribuni, non tcinpcstates lonaissirni mari», UOD circa Enphiat'ni pru'saga fulmina, et deos rcsisteo- 4S0 ne l'émeut ; ni les imprccalions du tribun qui le rappelle , ni les tempêtes d'une si longue traversée, ni les foudres prophétiques qui grondent vers l'Euphrale , ni les dieux qui le repoussent. Eu vain éclate le courroux des hommes et des dieux ; il faut marcher au pays de l'or. On n'aurait donc pas tort de dire que la nature eût mieux fait pour nous d'enchaîner le souffle des veiils, de couper court a tant de courses insensées, et d'obliger chacun a demeurer sur le sol natal. N'y gagnât-on rien de plus, on ne porterait malheur qu"a soi et aux siens. Mais non : on n'a pas assez des mal- heurs domestiques; ou veut aussi aller pâtir 'a l'é- tranger. Il n'est point de terre si lointaine qui ne puisse envoyer quelque part les maux qu'elle éprouve. Qui peut me dire si aujourd hui le chef de quelque grand peuple inconnu, enflé des fa- vem-s de la fortune, n'aspire pas a porter ses armes au-delà de ses frontières et n'équipe pas des flottes dans un but mystérieux? Qui peut me dire si tel ou tel vent ne va pas m'apporter la guerre? Quel grand pas vers la paix du monde, si les mers nous eussent été closes I Cependant , je le dis encore , nous ne pouvons nous plaindre du divin auteur de notre être, quand nous dénaturons ses bien- faits par un usage contraire "a ses desseins. Il nous a donné les vents pour maintenir la température du ciel et de la terre, pour attirer ou repousser les pluies, pour pouvoir nourrir les moissons et les fruits des arbres ; l'agitation même qu'ils pro- duisent hâte , entre autres causes , la maturité; ils font monter la sève que le mouvement empêche de croupir. 11 nous a donné les vents pour décou- vrir ce qui est au-del'a des mers; car quel être SÉNÊQUE. ignorant que l'homme, et qu'il aurait peu d'expé- périence des choses, s'il était renfermé dans les limites du sol natal ! Il nous a donné les venis pour que les avantages de chaque contrée du globe de- vinssent communs 'a toutes, et non pour trans- porter des légions , de la cavalerie, les armes les plus meurtrières de chaque peuple. A estimer les dons de la nature par l'usage pervers qu'on en fait, nous n'avons rien reçu que pour notre mai. A qui profite le don de la vue , de la parole? Pour qui la vie n'est-elle pas un tourment? Trouvez une chose tellement utile sous tous les aspects, que le crime n'en puisse faire une arme nuisible. Les vents aussi, la nature les avait créés dans la pen- sée qu'ils seraient un bien : nous en avons fait tout le contraire. Tous nous mènent vers quelque fléau. Les motifs de mettre 'a la voile ne sont pas les mêmes pour chacun de nous : nul n'en a de légi- times; divers stimulants nous excitent à tenter les hasards de la route; mais toujours esl-ce pour satisfaire quelque vice. Platon dit ce mot remar- quable , et nous finirons par son témoignage : « Ce sont des riens, que l'homme achète au prix de sa vie. » Oh ! oui, mon cher Lucilius, si vous êtes bon juge de la folie des hommes, c'esl-'a-direde la nôtre (car le même tourbillon nous emporte), combien ne devez-vous pas rire à nous voir amasser, dans le but de vivie, ce à quoi nous dépensons notre vie! LIVRE SIXIEME. I. Pompeii , ville considérable de la Campanie , qu'avoisinent d'un côté le cap de Sorrenle, et tes. Per hominum deoruoitiuc iras ad aurum ibitur. Ergo non immerilo quis dixerit, rerum naturaiii melius aclu- ram fuisse nol)iscum , si ventes flare veluisset, ctintiibilo discursu furentium , in sua queinque terra stare jussissct. Si nitiil aliud, certe suo quisquc taatum ac su )rum nialo nasceretur. ^'ullc parum niibi domestica, exteruis qno- que laboranilum est. Nulta terra tani longe remota est, qua; non cmilterc aliquo suum malum possit. lînde scio, an nunc aliquis magna; gentis in abdito dominus, forlunie iudulgenlia tuniens.non contineat intra tinii:- Dos arma , an paret classes iguota niolicns? Unde scio, hic rnihi, an ille ventus bellum inveliet? Magna pars crat pacis humana;, maria praecludi. Non tamen , nt paulo ante dicebam , queri possumus de auctorc nostri Deo , si bénéficia cjus corrumpimus, et ut essent contniria, effi- dmus. Dédit ille ventos ad custodiendam cœli terrarum- que temperiem, ad evocjmdas supprimendasque aquas, ad alendos satorum alqne arborum fruclus; quns ad nia- turitjitem cum aliis causis adducit ipsa jactatio , attrahcns cibum in sumnia , et ne torpeant , moTens. Dédit ventos , ad ulteriora noscenda : fuisset entra imperituni animal, et sine magna experieutia rerum home , si circumscriberelur uatalis soli fine. Dédit ventos , ut commoda rujnsque re- gionis fièrent communia ; non ut legiones equitemque ges- taicnt , nec ut perniciosa gcntium arma transveherent. Si bénéficia naturas utcntinm pravitate perpendimus . nihil n m nostro malo accepi nms . Cui videre espedit ? oui loqoi ? Cui non vita tormentum est î Nihil invenies tam manitestae utilitatis, quod non in contrarium transférât ctilpa. Sic venlos quoque natura bono futures invenerat; ipsi illos COD- trarios fecimus. Onines in aliquod nos maluni ducunt. Non eadem est bis et iltis causa solvendi; sed justanulli; diversis cnirii irritamcntis ad tentandum iter impellimur. Ulique alicui vitio navigatur. Egregie Plato dicit , qui nobis cina exitum jam testium loco dandus est : niinima esse qua; ho- niines emantvita. luimo, Lucili carissirae, si bene furo- rem illorum sestimaveris , id est , nostruni , in eadem enim turba Tolutamur, magis ridebis, quum cogilaveris, vilie pnrari, iu qux vita consumitur. LIBER SEXTUS. I. Pompcios , celebrem Campanix urbem , in quani ab altéra parte Surrentinum Slabianumque litus, abaliera QUESTIONS NATURELLES, Stables, et de l'autre le rivage d'HercuIanum , 481 «Dire lesquels la mer s'est creusé un golfe riant, fut abîmée, nous le savons, par un tremblement de terre dont siuffrirent tous les alentours; et cela, Lucilius, en biver, saison privilégiée contre ces sortes de périls, au dire habituel de nos pères. Cette catastrophe eut lieu le jour des noues de février, sous le consulat de Régulus et de Virgi- nias. la Campanie, qui n'avait jamais été sans ■larme, bien qu'elle fût restée sans atteinte et n'eut payé au fléau d'autre tribut que la peur, se vit cette fois cruellement dévastée. Outre Pora- •|*ii , Herculanum fut en partie détruite, et ce qui en reste n'est pas bien assuré. La colonie de Nucé- rie, plus respectée, n'est pas sans avoir à se plain- dre. A Naples, beaucoup de maisons particulières, mais point d'édilices publics, ont péri; ré()0U- vantable désastre n'a fait que l'effleurer. Des vil- las qui couvrent la montagne, quelques-unes ont tremblé, et n'ont point souffert. Ou ajoute qu'un troupeau de six cents moutons perdit la vie, que des statues se fendirent, et qu'après l'événement on vil errer des hommes devenus fous et furieux. ■ L'étude de ces phénomènes et de leurs causes entre dans le plan de mon ouvrage, comme partie nétYSsairc, et j'y trouve l"a-propos d'un lait con- temporain. Cherchons donc à rassurer les esprits effrayés , et guérissons l'homme d'une immense terreur. Car où verrons-nous quelque sécurité, quand la terre même s'ébranle et que ses parties les plus solides s'affaissent, quand la seule base inébranlable et fixe qui soutient et affermit tout le reste , s'agite comme une mer ; quand le >ol perd l'avantage qui lui est propre, 1 immobilité'/ Où nos craintes pourront -elles cesser? Où no» personnes trouveront-elles un refuge? Où fuirous- nous, dans notre épouvante, si le danger naît sous nos pas, si les entrailles du globe nous l'en- voient? Au premier craquement qui annonce qu'une maison va crouler, tous ses habitants pren- nent l'alarme , se précipitent dehors et abandon-^ nent leurs pénates pour se fier 'a la voie publique. Mais quel asile s'offre à nos yeux, quelle ressource, si c'est le monde (|ui menace ruine; si ce qui nous protège et nous porte, ce sur quoi les villes sont assises, si le centre et le fondement de l'univers, comme ont dit quelques-uns , s'enlr'ouvre et chancelle? Que trouver, je ne dis pas qui vous secoure, mais qui vous console, quand la pour n'a plus même où fuir ? Quel rempart assez ferme, en uu mot, pour nous défendre et se délendre soi-même ? A la guerre , un mur me protège ; des forteresses hautes et escarpéts arrêteront, par la difficulté de l'accès , les plus nombreuses armées. Contre la tempête, j'ai l'abri du port; que les nuées crèvent sur nos tètes et vomissent sans (tu des torrents de pluie , mon loit la repoussera ; l'incendie ne me poursuit pas dans ma fuite ; et lors(|ue le ciel tonne et menace, des souterriiins, des cavernes profonde-^ me mettent "a couvert. Le feu du ciel ne traverse point la terre; il est re- broussé par le plus mime nbstacle du sol. En temps de peste , on pi ut changer de séjour. Point de fléau qu'on ne puisse éviter. Jamais la foudre n'a dévoré des nations entières ; une atmosphère empoisonnée dépeuple une ville , mais ne la fait pas disparaître. Le fléau dont je parle s'étend bien plus loin ; rien ne lui éclia[)pe, il esl insatiable, UercuianeDsc coDveniuot , roareque ex aperto rcduc um aoKEDO sjuu cinguDt, desedissc terra; motu , rexali.s (|ux- camquc adjacebaot reglonibus , Luclll virorum oj>liiiie, audiviaius; et i|u:deni diclius tiiticruis , <|i:os vvc;irc a tali peiiculo majores nostri solebant proiiilticre. Noiiis Ffbr. fuit luolus hic, Regulo et Virgiuio coiisulibus, qui Campaniam ounquam securaïubujus cuali, indeiiiucm tameo . et loties derunctam mctu, iiiagiia s:rn»e Viislavit. Nam et HiTculaueosiii oppidi par.>ruil, d;il)i('(iiii! sU.nl etiam qua- n-licta sudI. Et Nuccriiniruiii coli;iiia, ul siue cUde, ita non sine qucrela est. Neapi>lls (jUi^iuf privulirii mulla, publiée niliil ainisiî, l«viler ingenli iiialo («'i- •tiicla. Villa; ïero prarupts passini hiue injuria Iremuerc. Adjiciunt his seicenïaruni oviuni giegtni e\aniinaluin, et divisas statuai; motx post hue lueniisaliquosaliiue im- potentes sui errasse. Quorum ul causas cxculiaunis, et proposili oiieris conteitus exigit, cl ips« in hoc lenifus congruens casus. Qua;rcnda suut Irepidis sdl.ilia , 1 1 de- mendus ingens tiuior. Quid enim cuicjuam sais tutiun vlderi polest . si ninndus ipsc coneulitur, et partes ejus IBiklissima' labanl ? Si , quod unum inimoliile est iu ill» Asnmqne, ut cuncta io se intenta sustineat, Qnclual; si q.jod propriuni habet terra, pcrdidit, starc; ul>i tandem résident iiietus nostri ? Quod corpora rccc|>U>culuni invc- nienl? quo solicita confiigienl, si ab imo niclus nasciiur, et funditus tr.ihitur? Consternatio omnium esl , uhi lecia crepuere, et ruina signum deciit; tune pra-ccps quisque seproripil, et pénates suos dcserit, acsc publico (rodil. Quani lalebram prospicinius, quod auxiliura, si ort)is ipsc ruinas agilct? si hoc, qund nus lueur acsuslinct, supra quod urbcs sita' sunt , qund fundamculiim ijuidam orbis esse diirrunt, discedit ac tilul)al7 Quiil libi esse non dico auxilii, sed solalii polest, ubi limor ru);am per- didil?Quid est, iuquaui, salis muni:uni? iiiiidadiulelam atterius ac sui firiuum? Ilosleni nmro repcltam; prae- rupl.x' ,'iltlludinis casiella vel inngnos cxercilus dilficullate alilus niorabunlur. A lempeslalc nos viiuiicaul poilus; uimborum vim rffusam , et sine line eadenles aquas tecta propellunl; fugicnles u.in >e(|iiitnr iiicendium; ;idversii» tonitruact niiu:s cfcii , siiblcrrapie.T ilomiis, cl defosîi in allum specus, ivinedia sun'. itinis ille cœlesiis non liaus- verbi'ral tcrr^wii , sed esiauu ojus olijeetu retunilitur. In pesli'en ia nmtaie scdes licol. Nulluiu mali;m sine etViii;iu est. Nuntiuam fulmina populos peruscrunl. l'esliiens cai- 51 4«J SÉNÊQUE. il compte par niassis ses victimes. Ce ne sont [X)int quelques maisons, quelques familles, ou une ville seulement qu'il aljsoibe; c'e.st lout une race d'homuies, tout une conirce qu'il délruil, <|u'il étouffe sous les ruines , ou ensevelit dans des abîmes sans fond. Il ne laisse pas de trace qui rëvèle que ce qui n'est plus a du moins clé, et sur les villes les plus fameuses s'clend un nouveau sol, sans nul vestige de ce qu'elles furent, liion des gens craignent p'us que tout autre ce genre de trépas qui engloutit l'iionirae avec sa demeure et qui l'efface vivant encore du nomlire des vivants, comme si tout mode de destruction n'abouli.-'Sait pas au môme terme. Et c'est où se manifeste sur- tout la justice de la nature : au jour faial , notre sort a tous est le même. Qu'importe donc que ce soit une pierre qui me frappe, ou tout une mon- tagne qui m'écrase; qu'une maison foude et s'é- croule sur moi , et que j'expire sous ses seuls de- bris, suffoqué par sa seule poussière, ou que le globe entier s'affaisse sur ma tête ; que mon der- nier soupir s'exlia'e "a l'air libre el au clair soleil . ou dans l'immense gouffre du sol entr' ouvert; que je descende seul dans ses profondeurs, ou qu'un nombreux cortège de peuples y tombe avec moi! Que gagnoiais-je "a mourir avec plus ou moins de fracas? C'est loujours et partout la mort. Armons-nous donc de courage contre une cata- strophe qui ne peut s'éviter, ni se prévoir. N'écou- tons plus ces émigrés de la Campanic, qui, après son désastre, lui ont dit adieu, et qui jurent de n'y jamais rcmetlre le pied. Qui leur garantira que tel ou tel autre sol porte sur de plus solides fon- dements? Soumis tous aux mêmes chances, les lieux qui n'ont pas encore été ébranlés ne sont pas inét)ranlables. Celui , peut-être, que vous fott- lez eu toute sécurité, va s'enlr'ouvrir cette nuit, ou même avant la lin du jour. D'où savez-vous si vous ne serez pas dans des conditions plus favora- l)les sur une terre où le destin a déj'a épuisé ses rigueurs, et qui attend l'avenir, forte de ses pro- pres débris? Car ce serait erreur de croire une ri'gion quelconque exempte et 'a couvert de ce pé- ril. Toutes subissent pareille loi. La nature n'a rien enfanté d'immuable. Tel lieu croulera au- jourd'bui , tel autre plus tard. Et comme parmi les édifices d'inie grande ville on élaie tantôt ce- lui-ci, (aulôt celui-l'a , ainsi successivement cha- que porliun du globe penche vers sa ruine. Tyr a éié trisleuient célèbre par ses écroulements. L'A- sie perdit à la fois douze de ses villes. Ce fléau mystérieux, qui parcourt le monde, frappa , l'an dernier, l'Achaïe et la Macédoine, comme lout 'a l'heure la Campanie. La destruction fait sa ronde, et ce qu'elle oublie quelque temps, elle sait le retrouver. Ici ses attaques sont rares, l'a elles sont fréquentes; mais elle n'excepte, elle n'é|iar- gne rien. Ce n'est pas nous seulement, éphémè- res et frêles créatures, mais les villes aussi , les rivages, le voisinage des mers et les mers elles- mêmes qui lui obéissent. Et nous nous promet- tons de la fortune des biens durables; et la pro- spérité , qui de toutes les choses humaines est la plus prompte à s'envoler, nous la rêvons pour nous stable et immobile ! Nous nous flattons qu'elle sera complète et sans fin, et ne songeons pas que lum eiliansit url)es, nnn alistulit. IIoc maliim lalissinie palet, inevi;al)ile, aviduni, pubtice noxium. iSoii ciiiin domos soluni,aut roiiiilias,aut uibt'ssingulas liauril, scd génies lotiis, rcf^ionesque subverlit; et mido niiiiis opc- rit, inodu ia altain Toragiaem condlt; ac uc id qiiideiii relinquit, ex qiio appareat, quod non est, sultcni luissc; «ed supra nubilissinias urbes, sine ullo vesligio prioris liabitiis , soluiu exlcnditur. Nec desimt qui hoc yeniis inortis magis limeant , quo in abruplum cum sedibus suis eunt , et c vivoruni numéro vivi auferunlnr, lauquani non onine fatum ad eumdem terniinum veniat. Hoc habel in- ter cèlera justiliae suae natura praccipuuni , quod quum ad exilum vcntum est, omnes iu aequo sumus. Nilill ita- que inteiest, ulrum nie lapis unus elidat, an uonle loto premar; ulrum supra me domns unius onus veniat, et sub exiguo ejus lunmlo ac pubère exspircni; an lotus caput nieum lerrarum orbis aliscondal; in luce himc cl in apeitospirilum recidom, au in va>lo ten-arum deliis- ceiilium smu; si lus in ilud profunduni, an cum magno coniitalu populorum concidenlium ferar. Piihil interest inoa, quantus circa morlem meam tuumllussil; ipsa ubi- que tantumdcm est. Pruindc magnum sumamus animum sriîcrsus istam clado;n,qua! neccïitari, nec providt-ri pt'tcst. Desinamus audire islos, qui Campaniae renuntia- vere , quiqiie post hune casum cmigraverunt , negantqne se ipsos unquani ipsam regioneni accessuros! Quis enim illis prumiltct mtlioribus fundameulis tiuc aut illud s ilum stare? Omnia ejusdem sortis sunt, et, si nondum muta, tameu moliilia; hune fortassc iu quo securius consistis lo' cum , haec noi , aul bic aute noclcm dies scindet. Unde scies, an melinr rorum locorum condilio sit, in quibus jam vires suas forluna consumsit , au qus iu fuluram mi- nam suam fulla sunt? Erramusenim, si ullam terrarcm parîem exceptam immunemque ab boc periculo rredimut. Omnes sub eadem jacenl lege. Nihil iki , ut immobile esset, nalura concepit. Alia Icmporibiis aliis cadunt. Et quem- admodum in urbibus magnis, nunc baec domus, nunc illa suspenditur; ila in boc orbe lerrarum nunc lia-c pars facil Titium , nunc illa. Tyros aliquando inraniis ruinù fuit. Asia duodecim urbes simul perdidit. Anno priore Achaiam et Macedoniam qua^cunique e.ilulem fati venil. Nos lanien nobis permansura promit - timus bona fortunap , el felicilalem , cujus ex omuibiis re QUESTIONS NATUUELLES. celle terre même où nous marchons n'est pas so- lide. Car le sol de la Campanie, de Tyr, de l'A- cbale, n'est pas le seul qui ait ce défaut de cohé- sion, et que mainte cause puisse désunir; toute la terre est de même : 1 ensemble demeure , les parties croulent successivement. II. Mais que fais-je? J'avais promis de rassurer contre le péril , et je signale partout des sujets d'a- larme. J'annonce que rien dans la nature n'est éternellement calme : tout peut périr et donner la mort. Eh bien ! cela même est un motir de me rassurer, rootirie plus puissant de tous ; car cnOn, des qu'un mal est inévitable , le craindre est une folie. La raison guérit les sages de la |>eur ; les antres doivent au désespoir leur profonde sccuriié. C'est pour le genre humain, crojez-moi, que s'est dit le mot adressé 'a ces hommes qui , pris tout 'a coup entre l'incendie et l'ennemi , restaient frappés de stupeur : I.c salut des vainciu est de n'en plus attendre. Voulez-vous ne plus craindre rien , songez que vous avez tout à chiiiidre. Jetez les yeux autour de vous : qu'il faut peu de chose pour vous em- piirtcr! Ni le mander, ni le boire, ni la veille, ni le sommeil ne !.ont salutaires que dans une cer- taine mesure. Ne sentez- vous pas que nos corps chéiifs ne sont que faiblesse et fragilité , et que le moindre effort les détruit? Ne faut-il donc rien moins, pour qu'il y ait chance de raort, que des tremblements de terre, des disparitions du sol, la formation soudaine des abîmes? C'est prendre une haute idée de son èlre, que de craindre plus 483 que tout le reste la foudre , les secousses du globe et ses déchirements : ayons la conscience du peu que nous sommes , et redoutons plutôt la pituite. Sommes-nous doue si heureusement nés, nous a- t-on donné des membres si robustes et un« taille si haute, que nous ne puissions périr si le monde ne s'ébranle , si le ciel ne lance son tonnerre , si la terre ne s'entr'ouvre sous nos pas? Un mal à l'on-' gle, je ne dis pas à l'ongle tout entier, mais la plus petite déchirure suflit pour nous abattre; et je craindrais les tremblemcuts de terre, mci qu'un flegme peut étouffer! Je tremblerais que la mer ne sortît de son lit ; que le flux , plus impétueux que de coutume , ne poussât une plus grande masso d'eau sur la cote, quand on a vu des hommes suffoqués par un brruvage avalé de travers 1 In- sensés, que la mer épouvante, vous .savez qu'une goutted'eau peut vous faire périr ! La grande con- solation de la mort est dans la nécessité même de mourir, et rien n'affermit contre tous ces acci- dents qui nous menacent du di'hors comme l'idée des dangers sans nombre qui couvent dans notre propre sein. Qu'y a-t-il de moins sage que de dé- faillir au bruit du tonnerre; que d'aller rampani sous la terre pourse dérobera ses coups ; que d'ap- préhender l'ébranlement ou la chute soudaine des montagnes, les irruptions de la mer rejetée hors do ses limites, quand la mort est partout présente et menacedetoutes parts, quand le plusimperceptiblo atome suflirait pour perdre le geon; humain? Loin (jue ces catastrophes doivent nous consterner, loin de les croire en ellos-iiiêjiies plus terribles qu'une On ordinaire, tout au contraire, puisqu'il faut lius tiumanis Telocissima est letitas, tiabituram io aliquo pondus ac moram credimos! Perpétua sibi omuia pro- niittentibus in mentem non venit, id ipsum , supra quod ttamu5 , stabile non esse. Neque enim Can:ipani.i< istnd , ncqne Tyri, nec Achaix, seà omnis soli viiium est, maie cobsrere , et ei caiisis pluribus resoivi ; et sunima niaoere, parlitras ruerc. II. Quid ago? Solatium adrersus pericnla dare prnmi- seram ; ecce undique timenda dennnlio. Piego quidquam ene quielis œlernae , quod perirc possil , et perderc. Ego vero boc ipsum solalii loco poiio, et quidoni valenlis.'iimi, quandoquidcm sine reniedin timor stullus est. Ratio ter- rorem prndrniibus excutll; impcritis fit magna ci despe- ralione socuritas. fine ilaque geuei i bumano diclum puta, quod illis subita captifitate inter ignés et boslem slupen- tibus dictnm est , Una salua TicUs , nullam sperare satutem. Si Tul'is nihil timere, cogitate omnia esse timenda ; cir- eninspicite quam leTibus cansis riiscutiamur. Non eilius nobis , non bumor, non v igijia , non somnus , sine men- sura quadani, salubria snnt. J m inlelligitis nugaloria ■os esse corpnscnla , et iml>ecilla , Huida , non magna mo- blione perdondi. Sine duliio id unum periculi satis esset, quod Iremunt terr.-n , quod subito dissipantur , ac super- posita diilucuiit. Magni se acstimat , qui fulmina et molu» terrarura biatusque rormidat; vult ille imbecillita;is su» sibi comcius timere pituitam.' Ita videlicet n^itii^umus, tara felicia sortiti merabra , et in h me magniludinem cre- vimus, et ob hoc nisi niundi panii.ns molis, nisi cœlnm intonuerit, nisi terra subscclcrit, perirc non pnssumu»! Unguiculi nos, et ne lolius quidcm dolor, sed aliqua a la- tere ejus scissura conficit ; et ego lime^ini terras tremen- tes.quem crassinr saliva suffocat? Ego cxtimcscau) emo- tum sedibus suis uKire , et ne aestus , majore quam soiet cursu , plus aquarum tr.ibens siipervcnial ; quum quos- dam slrangularerit potio, maie l,ipsa pcr fjuces I Quam slultum est mare liorrere, quum scias stiliicidio pcrire teposscl Nullum est majus solalium morlis, quam ipsa mortalitas; nnllu;ii autem omnium islorura quae eilrin- secus terrent , quam quod innumcrabilia |)ericula in ipso Kinn sunl. Quid rnim demcntius, (|uam ad tonilrua suo- ridcrc, ot soi) terram correpere fulminum melu/Quid stulliiis, quam timere niitalioncm aut su!)ilos monlium lapsus, irruptiunt'S maris eitra litus ejecti, quum mura uliique pr.T.sto sit, et nndique occurrat ; niliilquc sit laui 51. 484 SÉINKQUE. sortir de la vie, et que noire âme un jour nous quittera , soyons fiers do périr dans ces grandes crises de la nature. 1! faut mourir dans tel ou tel lieu, plus tôt ou plus lard. Cette terre, dût-elle demeurer ferme , ne rien perdre de ses limites , n'être bouleversée par aucun ûéau , elle n'en sera pas moins un jour sur ma tête. Qu'importe donc qu'on la jette sur moi , ou qu'elle s'y jette d'elle- niêrae? que, déchirés par je ne sais quelle puis- sance irrésistible et fatale , ses flancs se crèvent et me précipitent dans d'immenses profondeurs; qu'est-ce a dire? La mort est-elle plus douce "a sa iiirface? Qu'ai-je "a me plaindre, si la nature ne veut pas que je repose dans un lieu sans renom , si elle me fait une tombe d'un de ses débris? C'est une noble pensée que celle de Vagellius dans ce passage bien connu : S'il faut tomber, dit-il , je veux tomber des cieuî. Nous pouvons dire comme lui : S'il faut tomber , tombons alors que le globe s'ébranle ; non que des désastres publics soient choses désirables, mais parce qu'un grand motif de se résigner 'a la mort, c'est de voir que la terre elle-même est périssable. m. Il est bon aussi de se convaincie que les dieux n'opèrent aucune de ces révolutions ; que ce n'est point leur courroux qui ébranle le ciel ou ta lerie. Ces phénomènes ont des causes pins immé- diates^ et leurs ravages ne sont l'elïct d'aucune volonté; ce sont, comme dans le corps humain, des effets de quelques vices désorgunisatenrs, et cxiguum , quod non in perniciem generis Imniani salis Viile.it? Aiico non debent nos ista confundcre , l:!nf|iiam plus in se mali liaiieant, quani vulgaris mors; ut coiitni, ijuuin sil necessarium e vita exire, etaliquaudo eniiticre aiiimam , maiore perire ratione juvet. Piecesse est mori ul)icumque, quandoque. Siet licel ista tiumiis, et se te- nrat suis finilius, nec ulla jactetur injuria; supra me quandoque erit. Interest ergo , illam ego niihi , an ip.^a se ndlii iiiiponiil? Diducitur ingenti potenlia nescio cujus mali ; rumpitur, el me in imniensam alli udineni al)ducit. Quid porro? Mors IcTior in piano est? Quid li.ilieo quod querar, si reium nalura non vult me jacere in ignobili loco? si milii Injicit .sui pmtem? Egregie vero Vagellius meus in illo inclyto carminé : Si cadendum esl , inqnit , milii, cœlo cecidisse vi-lim. Jâem licet dicere : Si cadendum est , c.tdam orbe ron- cusso • non quia fas osl optare publiciiiu chidem , sed i|;iia ingcnâ morlis solatium est, lerr. m quoque vidire nior- lalem- III. Illud quoqae prodorit pra-siunire animo, nihil hir-an doos facere , nec ira nnniinum aul cœlum con- verli, ar.l liirani. Suas ista causas hal)cnt; nec ci im- lorsqu'elle paraît faire souffrir , c'est la matière qui souffre. Mais, dans l'ignorance où nous som- mes de la vérité, tout nous épouvante; et la ra- reté de l'événement augmente nos terreurs. Des accidents habituels frappent moins ; l'insolite ef- fraie plus que tout le reste. Or, qui rend un fait insolite pour l'homme? C'est qu'il voit la nature par d'autres yeux que ceux de la raison ; c'est qu'il songe, non a ce que peut cette nature, mais "a ce qu'elle a fait. Ainsi, uous sommes punis de notre irréflexion par la p(!ur que nous donnent des faits tout nouveaux, ce nous semble, et qui sont seu- lement inaccoutumés. Et , en effet , n'est-il pas vrai qu'une religieuse terreur saisit les esprits el la multitude surtout, quand le soleil, ou même la luue, dont les éclipses sont plus fréquentes, nous dérobent tout ou partie de leur disque ? C'est pis encore lorsque des flammes traversent oblique- ment le ciel ; lorsqu'on voit une partie de l'atmo- sphère en feu, ou des astres chevelus, ou plusieurs soleils à la fais , ou des étoiles en plein jour, ou des feux soudains qui volent dans l'espace avec une longue traînée de lumière. On tremble alors et l'un s'étonne; or, cette crainte venant d'igno- rance, qne coûterait-il de s'instruire pour ne plus craindre? Combien il vaudrait mieux s'enquérir des causes, et diriger sur ce point toutes les for- ces de notre attention ? Il n'est rien 'a quoi l'esprit puisse, je ne dis pas se prêter, mais se dévouer plus dignement. IV. Cherchons donc quelles causes agitent la terre jusqu'en ses fondements et secouent celte masse si pesante; quelle est cette force , plus puis- perio sœviunt , sed ei quibusdam vitiis , ut corpora noslra. lurbanlur; et lune, quum facere videntur injariam, ac- cipiunt. INobis autem ignoranlibiis veruni omnia terri- liilia sunt, ulpole quorum metum raritas auget. Levius acciduDt familiaria ; ex insolite formido est major. Quare autem quid({uam nobis insolilnm est? quia naturam ocu- lis, non ralione comprehendimus ; nec cogitamus, quid illa facere possit , sed tanlum , quid fecerit. Danms itaque hujus negligentiae poenas, tanquam noris territi, qumii illa non sint nova , sed insolita. Quid ergo? Non religio- ncni incnlit mcntibus, et quidem putiiice, sire deficere sol Tisus est, sive loua . cujus obscuralio frequenlior, aut parte sui, aut tota, delituit ? Longeque magis illae aclas in transTersum faces , et cœli magna pars ardcns, et crinita sidéra, et plures solis orbes, et slellœ per dieni visae, subitique transcursus iguium, mnliam postse luccm tra- lientiura? Nihil hornm sine timoré miromur; et quum timendi sit causa nescire , non est tanli scirc , ne timeas ? Quanlo satins esl , causas inquirere, et (-uidem loto ia hoc intenlum animo? TSeque enim illo quidquam inve- niri dignius potest, oui se non tanlum commodel , sed ira- peudal. IV. Qijaramus ergo, nt:iù .sit quoi leri.im al) inr:!-) moveat, quid tanli mofem pondcris impillat, qn d sit QUESTIONS UQle que le globe , qui en fuil crouler les immenses supports; pourquoi la terre tantôt tremble, tan- tôt s'aiïaisse sur elle-même, tantôt se disjoint et se morcelle ; pourquoi les intervalles de ses écrou- lemeolssont qutiquefois longs, quelquefois brus- ques et rapprochés; pourquoi elle engloutit des fleuves renommés pour leur grandeur, ou en fait sortir de nouveaux de son sein ; pourquoi elle ou- vre de nouvelles sources d'eau chaude, ou en re- froidit d'ancicunes; pounjuoi des leux jaillissent des moutagnes ou des rochers par des cratères jadis inconnus; tandis que des volcans fameux pendant des siècles viennent à s'éleindrc. Que de prodiges accompagnent les tremblements de terre I Ils changent la l'ace des lieux , dé[>lacent des mon- tagnes, exhaussent des plaines, comblent des val- lées, fout surgir du fond des mers de nouvelles îles. Les causes de ces révolutions méritent, certes, d'être approfondies. — Mais, direz- vous, que m'en reviendra-t-il? lîn avantage au-dessus du- quel il n'est rien, la connaissance de la nature. Ccssorle'i de recherches, si utiles d'ailleurs, ont |)our l'homme loiil l'intérêt du merveilleux; c'est moins le profit que l'admiration qui l'atlire. Com- mençons donc l'iiude de ces mystères auxquels il m'est si doux d'être initié, que bien qu'ayant déj'u public dans ma jeunesse un livre sur les iremble- nienli de terre . \ M voulu ui'cs.'siyer encore une fois, et voir si l'âge m'a fait gagner en science ou du moins en sagacité. V. La cause qui fait trembler la terre est due, selon les uns, h l'eau; selon d'autres, au feu; d'autres nomment la terre elle-même; d'autres NATUaiILLES. 4sr) l'air ; quelques-ims admettent le concours de plu- sieurs de ces causes ; il en est qui les admettent toutes. Enfin, ou a dit qu'évidemment c'était l'une d'elles : mais laquelle? On n'en était pas sûr. Pas- sons en revue chacun de ces systèmes; ceux des anciens, je dois le dire avant tout, sont peu exacts et pour ainsi dire informes. Ils erraient encore autour de la vérité. Tout était nouveau pour eux qui n'allaient d'abord qu'à tâtons; ou a poli leurs grossières idées , et si queltjues découvertes ont été faites par nous , c'est a etix néanmoins que l'honneur en doit revenir. Il a fallu des esprits élevés pour écarter le voile qui couvre la nature, et, sans s'arrêter "a ce qu'elle montre aux yeux, sonder jusqu'en ses entrailles et descendre dans les secrets des dieux. Cc^i avoir beaucoup aidé aux découvertes que de les avoir ci lies possibles. Écoutons donc les anciens avec iiniulgcnce; rien n'est complet des son début. VA cela n'est pas vrai seulement de la question qui nous occupe, si im- portante et si obscure , (]ue même , après de nom- breux travaux , chaque siècle aura encore sa part d'explorations "a faire; mais toujours et en quoi que ce soit lescommer.cements sont loindehiporfection. VI. Que l'eau soit cause des Ireiublements de terre, c'est ce que disent divers auteurs et avec divers arguments. Thaïes de Milet estime que le globe entier a pour support une masse d'eaux sur laquelle il flotte , et qu'on peut appeler Océan ou grande mer, ou élément jusqu'ici de nature sim- ple, l'élément humide. Cette eau, dit il, soutient la terre , immense navire qui pèse sur le li(iuide qu'il comprime. Il est supoiflu d'exposer les nio- illa TalCDtiiK, ijuid lanlum onns vi sua lalicrjctrt ; cur ludo Ircma!, iiicdo iatata subsidat, nuiic iu pûtes di- '. Isa discedat; et alkis intervalluiu ruinx sua' iiiu scrvet, illias cit(> comprimât; nunc amnes niagnitmiinis not in profuiido iiisulas erigit. 11x0 ex qiiibus ciii- «U accidant, (M^iua res est eicuti. Quod, iuquis, ciit pi'et um opcrx ? quod oultuni majus est , nosse naturaïu. Neqnc cnim quidquara babct iu se hujus materia; tiacta- lio pulcbrius, quura multa habcat futura usui, quara quod buniioem magoiOccntia sui delinet , nec mercedc, »ed miraculo colilur. Inspiciamus ergo , quid sit , proptcr quod accidant hœc; quorum est adeo mibi dulcis in.^pcc- tiu , ut quamvis aliquando de motu tcrrarum volumcn ju- vcnis edidcrini , tamcn tentarc me voluerim , et eiperiii , an xtas aliqiiid nol)is ant ad scientiam, aut cerle ad dili- gentiain adjeicrit. V. Causam , qua terra coucutilur, abi in aqua esse , alii in ignibus.alii in ipsa terra , alii inspirilu putavcre; alii in pîuribus, alii in omnibus liis. Quidam liquere i|isis aliquam ei istis causam e.e ac- ceplum. Magni aniiiii res fuit, rciiini ualiirœ latebras di- niDvcre . nec contcntum exteriori ejiis < imspectu , iutro- spicere, et in deorum sécréta dcscemlere. Pluiiiuuiu ad iuveniendum coululit, qui speravit posse r;periri. Cum cxcusatione itaque veteres audicndi sunt. Nuit i res con- summata est , duni incipil. Nec in liac tantuni rc omnium niaiima atque inTolutissima , in qua etiam quiiin multuni actum eril, omnis tamen œtas quod agat inveniet; scd in omnialio ncgotio longe sem|«'i' a petfecli) fuere principia. VI. In a(|ua causam esse , née al> uno dictum est, nec uno modo. Thaïes Milesius totam leeraii. sul)jecto jndicat bumore porlari et inualare; sive illud Ocearium vocas, sive magnum mare , sive allerius nalma; siniplicem adhuc aquam et humidum elementem. Hae, iiiquil, imda sus- t rietur orliis, velul atiqurd gi.inde iKui;;'!:ni el giave tu» 48G tifs qui font croire à Tbalès que la ])arlie de l'uni- Ters la plus pesante ne saurait porter sur une substance aussi ténue et aussi fugace que l'air : il ne s'agit pas maintenant de l'assiette du globe, mais de Sfs secousses. Tbalès apporte en preuve de son opinion , que presque toujours les grandes secoussps font jaillir des sources nouvelles, comme il arrive dans les navires qui , lorsqu'ils pen- cbent et s'inclinent sur le flanc, sont envahis par l'eau; toujours, s'il y a surcharge, l'eau vient couvrir le bâtiment, ou du moins s'élève à droite et il gauche plus que de couiume. Il ne faut pas de longs discours pour prouver que ce système est faux. Si la terre était soutenue par l'eau, elle tremblerait quelquefois dans toute sa masse et toujours serait en mouvement ; ce ne serait pas son agitation qui étonnerait, mais son repos. Elle s'ébranlerait tout entière, non partiellement; car ce n'est jaiiiau la moilic seulement d'un na- vire qui est battue des flots. Or, nous voyons que les tremblements de terre ne sont pas universels , mais partiels. Comment serait-il possible qu'un corps porté tout entier par l'eau ne fût pas agité tout entier, quand ce fluide est agité? — Mais d'où viennent les eaux (|u'oii a vues jaillir? — D'abord, souvent la terre tremble, sans qu'il en sorte de nouvelles eaux. Ensuite , si telle était la cause de ces éruptions, elles n'auraient lieu qu'au- tour des flancs du globe ; ce que nous voyons ar- river sur les fleuves et en mer : l'exhaussement de l'onde, 'a mesure que s'enfonce le navire, se fait voir surtout aux flancs du bâtiment. Enfin l'érup- tion dont on parle ne serait pas si minime, et SÉNÈQUE. comme une voie d'eau qui s'infiltre par une fente légère, l'inondation serait immense et propor- tionnée h l'abîme infini sur lequel flotterait le monde. Vil. D'autres, en attribuant à l'eau les trem- blements de terre, les expliquent autrement. La terre , disent-ils , est traversée en tous sens de cours d'eau de plus d'une espèce. Tels sont, entre autres, quelques grands fleuves constamment na- vigables même sans le secours des pluies. Ici le Nil , qui roule en été d'énormes masses d'eaux ; Ta , coulant entre le monde romain et ses ennemis, le Danube et le Rhin : l'un qui arrête les incur- sions du Sarmate et forme la limite de l'Europe et de l'Asie ; l'autre qui contient cette race germani- que si avide de guerre. Ajoutez l'iramensitc de certains lacs, des étangs entourés de peuplades qui entre elles ne se connaissent pas, des marais inaccessibles aux navires , et que ne peuvent pas môme traverser ceux qui en habitent les bords. Et puis tant de fontaines, tant de sources mysté- rieuses qui vomissent des fleuves comme 'a l'im- proviste. Enfin tous ces torrents impétueux , for- més pour un moment , et dont le déploiement est d'autant plus prompt qu'il dure moins. Toutes ces eaux se retrouvent sous terre de même nature et de même aspect. La aussi , les unes sont empor- tées dans un vaste cours et retombent en catarac- tes ; d'autres, plus languissantes, s'étendent .sur des lits moins profonds et suivent une pente douce et paisible. Il faut, sans contredit , que de vastes réservoirs les alimentent, et qu'il y eu ait de stag- nantes en plus d'un lieu. On croira, sans longs aquis, quas prt'init. SuperTactium est reddere causas, p'-opicr quas existimat, graTissimam parteni miindi non posse spirilulam teuui fii?acii|ue gestari; non cnim iiunc de situ terranim , sed de molu agitiir. Illud arpumenli locii ponit, aqiias esse in causa , quibus liic orbis agita- tui'; quod in omni majore nioln erumpnnl fere novi fon- tes : sicui in navigiis (|niiqne evenit, ut si inclinala sunt et abiere in latus, aquani sorl)cant, quae in omni onere eorum i!aluinest? Atquare aquae eruiii- pun! .' Piiiiium omnium sa-pe tremuit terra, et nihil humoris novi fluxil. Deinde, si ex tiac causa unda proruniperet, a !a- teribus terra; circumfunderetur; sicut in fluminibus v.c mari videmusaecidere,utincremeDtumaquarum, quoties navigia desidunt, in luteribus maxime apparcal Ad ulti- mum non tam exigua Geretqnam dicil ernptio , necvelut per rimam sentina sut)reperet , sed fieret ingens ionnda- tio, ut ex infinilo liquore , et ferenle universa. VII. Quidam moium terrarum aquae iraputavere; sed non ex eadem causa. Per oranem , inquiunt, terram raulta aquarum gênera decurrunt. Alicubi perpetui amnes, quo- rum na\igabilis etiam sine adjutorio imbrium niagnitndo est. Hinc Nitus per «statera ingénies aquas invehit; bine qui médius inter pacata et hostilia fluit, Danubins ac Rhenus , alter Sarmaticos impetus cohibenSj et Europam Asianiquedisterminans; alter Germanos , avidam gentem betli , repetleus. Adjice nunc patentissimos lacus , etsiagna populis inter se ignotis circumdatii , et ineluclabiles na- vigio paludes , nec ipsis quidem inter se perrias , quitms incoluulur. Deinde lot fontes , tôt capila fluniinum, su- bites , et ex occutto amnes vomentia. Tôt dciude ad tem- pus coltectos torrentium impetus, quorum vires qnam repentinœ, tam brèves. Omns ha?c aquarum, eUam iutra terram, natura facie.squeest. Illicquoquealisvasto cursn deferunlur, et in praeceps votulae cadunt ; alias langui- diores in vadis rcfunduntur, et leniter ac quiète fluunt. Quis autem neget, vastis illas receptaculis concipi, et cessare multis inertes locis? Hou est diu probandum, ibi I QUESTIONS NATURELLES. 48T raisonnements, que les eaux abondent la où sont toutes les eaux du globe. Car comment sufOrait-il à produire tant de rivières , sans l'inépuisable ré- serve d'où il les tire? S'il en est ainsi, n'csl-il pas inévitable que quelquefois l'un de ces fleuves déborde, abandonne ses rives, et frappe d'un choc violent ce qui lui fait obstacle? Il y aura alors ébranlement dans la partie de la terre que le fleuve aura frappée , et qu'il ne cessera de battre jusqu'à ce qu'il décroisse. Il peut se faire qu'un fort cou- rant d'eau mine quelque canton et en emporte des débris, dont l'écroulement fasse trembler les cou- ches supérieures. Enfin , c'est être trop esclave de ses yeux et ne pas porter au-del'a sa pensée , que de ne pas admettre qu'il y ait dans les profondeurs de la terre toute une mer immense. Je ne vois point quel obstacle empécliorait que ces cavités eussent aussi leurs rivages, leurs secrets canaux aboutissant à une mer aussi spacieuse que les nô- tres, et pcut-êlre plus spacieuse, la surface du sol devant se partager entre les eaux et une foule d'êtres vivants; au lieu que l'intérieur, dépourvu d'babilanls , laisse aux taux une place plus libre. Pourquoi alors n'auraient-ellcs pas leurs fludua- lioiis et ne sei aient-elles pas agitées par les vents qu'engendre tout vide souterrrain el toute espèce d'air? Il se peut donc qu'une tempête plus forte qne de coutume soulève violemment quelque par- lie du sol. \'a-l-on pas vu souvent, assaillis tout 'a coup par la mer, des lieux éloignés de ses riva- ges, et des villas, qui la regardaient au loin, sub- mergées par les flots qu'auparavant on y entendait 'a peine? Li mer souterraine peut de même faire des incursions, qui n'ont point lieu sans que la surface du globe soit ébranlée. VIII. Je ne crois pas que vous hésitiez long- temps 'a admettre des fleuves souterrains et une mer intérieure : car d'où s'élanceraient ces eaux qui mcmlcnt jusqu'à nous, si la terre n'en renfer- mait les sources? Quand vous voyez le Tigre , in- terrompu au milieu de sa course, se dessécher el disparaître non tout entier, mais peu 'a peu et par des pentes iiisinsibles , qui Unissent p:irse réduire "a rien , où pensez-vous ()u'il aille, sinon dans les profondeurs de la terre , lorsque d'ailleurs vou» le voyez bientôt reparaître tout aussi fort qu'au- paravant? Ne voyez-vous pas aussi l'Alphée, tant célébré par les pciëlcs, se perdre en Acha'ie , el, après avoir traversé la mer, se remontrer en Sicilo sous le riant aspect de la fontaine Aréthuse? Igno- rez-vous que dans les systèmes qui expliquent le débordement a , suprr- posila quaiiaiilur. Jaiii vero iiiiiiis wulis periiiiltil, nec ultra illos scit pruducere aiiiiiiuin, qui non crédit esse in alxcondilo terra- s nus maris >asli. ^ec cniiii video, ijnid prnbibi at vel ol>slet , quu niinns idic halM>atur aliqnod etiam in abscondito lilus, et (ht occuIIos adiliis rcccp- Inm mare , quod illx quoqnc tantumdem loci lenet , aut forbssis hnr aiiipliiis, (|uvd snptriura cum totaniniali- bu« crant dividcnda; abs:rusa rnini, et sine posse-sore déserta, liberius undis ï«ranl. Qnas quis velal illic (luc- luare, et veniis, qiios onme in.crvallum terrirnin, et oir.ois aer créât, impclli? Potest ergo ranjor solilo einrta tempeslas aliq^iam parlem lerraruio iiiipulsani vdit- menlins movere. >am apiid nn» qucMpie multa , qua; procul a mari furrant, subito ejus accessu vapulavere; et viltis in conspeclu collocatas, fluctus qui longe au- diebatur, invadl. Illic qaocpie pulcst accedere pelagus infernum ; quDrum noutrum Ht sine molu .superstantium. VIII. Non quidem eiislimo diu le biesitalurutn , an creilas esse subterran os ainncs et mare absconditum. Uiiilo ciiim ista prorumpunt, undc ad nosvcniunt, nlsl (judd ori;iO huninris inclusa est ? Age , quum \idcs intcr- ruptum Tijjriin in medio itineris siccari, et non univor- suni averii , sed paulatim , non apparenlilms danmis , mi- nui priinuni, dcindc eonsumi ; que iilum pulas abire nisi in oliscura tenarum; utique qniim videas emergereite- nini, non niiiionin co , (pii prior fluterat? Quid quum vides Alplicuni, celebratuin iH>etis, in Achaia mergi, el in Sicilia rursiis transjecio mari erfundere amcenissi- mum fonlcm Arelhuamî ÎSoscis autem , inter opiniones. quibus narratur ISili a'sliva iuunditio, el banc esse, a terra illuni ernmpere, el aiiReri non supernis aquis, sed ei inlinio redditis? Kro qui Icni centiiriones duos, qnot NiTO Caîsar, ut aliarum virlulum , ita veritatis in prl- niis aman issiinus, ad iuvestiKandum caput Nili miserai, andivi narrantes , longum illos ilcr peregisse , quum a regc itlliiopiic inssrucii auxilio, commendalique proxi- niis legibus, penclr.ifsentad ulteriora. F.quidem.aieban». pcrvininms ad immcn^as patiides, quanim esiluni nec iocotenoterant, ne:- (.p. rare ipiisquani polest. ita iuipli- citœ aam pri- mum omnia velustate labuntur, nec quidquam tutum a seneelule est. Hapc solida quoque et magni roboris carpit. Itaque quemadmodum in aedificiis yeteribus quaedamnoa percussa tamen decidunt, quum plus ponderis babuere quam virium; ita in hoc universo terra; corpore etenit, ut partes ejus vetuslale solvantur, solutae cadant , et tre- morem superioribus afferant; prinium dum abscedunt, nihil enim utic]ue magnum sine niotu ejus, cui haesit, ab- scinditur, deinde quum deciderunt , solido exceplae rési- liant, pitœ more, qua; quum cccidit, cxsullat, ac sa?pîus pellitur, loties a solo in novum impetum mi>sa. Si voroin slagnaiilibus aquis delata sunt, hicipse casas ti QUESTIONS NATURELLES leur cbute doil ébrnnler tons les lieux voisins par la secousse que donne aux eaux un éuoniie poids tombant lotit à coup d'une ;zrande bauleur. XI. Certains philosDpbes, tout en expliquant les tremblemenis di! terre par le feu , lui assignent un autre rôle. Ce fou , (|ui iMiuilloiine en plusieurs endroits, exhale nécessairement des torrents de vapeurs qui n'ont pas d'issue et qui dilatent for- tement l'air ; quand ils agis enl avec plus d'éner- gie, ils renversent 'es obstacles; moins véhéments, ils ne peuvent qu'ébranler le sol. Nous voyons l'eau bouillonner sur le feu. Ce que nos foyers produisent sur ce peu de liquide dans une étroite chaudière, ne doutons pas «[ue le vaste et ardent foyer souterrain ne le produise avec plus de force sur de grandes masses d'eaux. Alors la vapeur do ces eaux bouillonnantes secoue vivement tout ce qu'elle frappe. XII. Mars l'air est le mobile qu'admettent les plus nombreuses et les plus grandes autorités. Archélaûs, très-versé dans l'antiquité, s'exprime ainsi : Les vents s'engouffrent dans les cavités de la terre; l'a, quand tout l'espace est rempli , et l'air aussi condensé qu'il peut l'être , le nouvel air qui survient foule et comprime le premier, et de SOS coups redoublés il le resserre, puis bientôt le disperse en désordre. L'air , qui cherche "a se faire place, écarte tous les obstacks et s'efforce de briser ses barrières; ainsi arrivent les tremble- ments de terre, par la lutte de l'air impatient de s'échapper. Ces comnioiions ont pour avant-cou- reur un air calme et que rien n'agite , parce que I.i force, qui d'ordinaire déchaîne h'S vents, est concentrée dans les cavités souterraines. Naguère, 489 en effet, tors du tremblement de la Carapanie, bien (ju'on fût en hiver, l'atmosphère, quelques jours avant, fut constamment tranquille. Qu'est-ce à dire? La terre n'a-t-elle jamais tremblé pendant que le vent soufflait? Du moins il est rare que deux vents souiflont à la fois. La chose pourtant est possible et s'est vue : si nous admettons, et^ s'il est constant que le phénomène est produit par l'action simultanée de deux vents, pourquoi l'un n'agiterait-il pas l'air supérieur, et l'au're l'air souterrain? XIII. On peut compter parmi les partisans de cette opinion, Aristote et son disciple Théophraste, dont le style , sans être divin comme le trouvaient les Grecs, a de la douceur et une élégance qui no sent point le travail. Voici ce que l'un et l'autre pensent : Il sort toujours de la terre des vapeurs tantôt sèches, tantôt mêlées d'humidité. Celles-ci, sorties du sein du globe, et s'élcvan l autant qu'elles le peuvent, lors(ju'elles ne trouvent plus il monter davantage , rétrogradent et se replient sur elles- mêmes; et comme la lutte des deux courants d'air opposés repousse violemment les obstacles, soit que les vents se trouvent renfermés, soit qu'ils fassent effort pour s'échapper par un étroit passage, elle cause les tremblements et le fracas qui les accom- pagne. De la même école est Straton , lequel a cul- tivé spécialement et exploré cette branche de la philosophie qui a pour objet la nature. Voici com- ment il se prononce : Le froid et le chaud se con- trarient toujours et ne peuvent demeurer ensem- ble; le froid passe à l'endroit que le calorique abandonne; et réciproquement la chaleur revient quand le froid est chassé. Ceci est incontestable : cia.i ojncatit Quota, quein sabilam vastumque illisum ei alto pondus ejirit. XI. Quidam iguilmsqnidem assignant bunctremnrem, srd aliter. Niini >|uum pluribus loi'is ferveant , necesse est ingi'uti'm vaporem sine iiitu vilvant, qui vi sua »pi- ritum intendit, ei si acrius iustiiit, opposita ditrundit ; li vcro remissiiir Tuit, nitiii aiiiplius qutiui movet. Vide- niutaquani sivumarc, ignc 8ub|(ct<>. Quod in hac aqua facilintlusa et angusla, niullo iiiagis illuni facere creda- mus, quuui Tiolentus ac vastuj ingénies aquas excitât. Tuoc ille vaporaiione inundantiuin aquanim, quidquid pulsaveril, agitât. XII. Spirilum Cisequi moveat, et plurimis etmaximis aucloribus placrt. Arclielaus , antiqiiitatis diligcns, ait ita : Venti in cnncava terrarum defernntur; deinde ubi •am oninia spatia plena tunt , et in quaulum aer potuit , densalui est, is qui supervcnit spiritus, priorem premit etcli-iit, ac rreqncntibus plagis primo cogit, deinde per- tnrb.it. Tune ille qusrens locum , oranes angusiias dimo- Tct.el claustra sua conalur effringere. Sic evenit, ut leiTae,>pirilntuct.'inte, et ru(;3ni quœrcntc, moveantur. Itaqiie quum terrsB motus futurus est, praredit aeris tcanquillitai et <|uie8; Tidclicct, quia ccssit, et iuiicein ibi calidum est.unde 400 SÉINÈQIJE. quant à raiitipalhie des deux principes , je la prouve ainsi. En hiver, quand le froid règne sur la terre, les puits, les cavernes, tous les lieux sou- terrains sont chauds, parce que la chaleur s'y est réfugiée , cédant au froid l'empire du dehors; quand celte chaleur s'est enfoncée sous terre aussi avant qu'elle a pu , elle devient d'aulaut plus ac- tive qu'elle est plus concentrée. S'il en survient une nouvelle, celle-ci, foicénient associée à la première, la comprime et lui fait quitter la place. En revanche, même chose a lieu si une couche de froid plus puissante pénètre dans les cavernes. Toute la chaleur qu'elles recelaient se retire , se resserre et s'échappe impétueusement; ces deux natures ennemies ne pouvant ni faire alliance , ni séjourner en même lieu. Ainsi mise en fuite et faisant tous ses efforts pour sortir , la chaleur écarte et brise ce qui l'environne ; voilà pourquoi , avant les commotions terrestres, on entend les mugissements de ces courants d'air déchaînés dans les entrailles du globe. Et l'on n'entendrait pas sous ses pieds, comme dit Virgile : Le sol au loin mugir et les monts chanceler , si ce n'était l'œuvre des vents. D'ailleurs, ces luttes ont leurs alternatives ; ce n'est pas toujours la chaleur qui se concentre et fait explosion. Le froid recule et fait retraite, pour triompher bieniôt à son tour ; suivant ces alternatives et ces retours divers, qui chaque fois font sortir le vent, la terre est ébranlée. XIV. D'autres estiment aussi que l'air seul pro- duit ces commotions, mais qu'il les produit autre- ment que ne le veut Aristote. Voici leur explica- tion : Notre corps est arrosé par le sang et par l'air qui court dans ses canaux particuliers. Quel- ques-uns de ces conduits sont plus étroits que les autres, et l'air ne fait qu'y circuler; mais nous avons des réservoirs plus grands où il s'amasse, et de l'a se répand dans les autres parties. De mémo la terre, ce vaste corps, est pénétrée par les eaux qui lui tiennent lieu de sang, et par les vents qui en sont comme le souffle vital. Ces deux fluides lau- tôl courent ensemble, tantôt s'arrêtent en même temps. Or, dans le corps humain . tant que dure l'état de santé, le mouvement des veines a lieu sans trouble et régulièrement; mais au moindre accident , la fréquence du pouls , les soupirs , les étouffements annoncent la souffrance et la fatigue : ainsi la terre, dans son état naturel , reste immo- bile. Quelque désordre survient-il; alors, comme un corps malade , elle s'agite ; ce souffle, qui cir- culait doucement, chassé avec plus d'énergie, fouette les veines où il court, mais non pas comme le disent ceux dont j'ai parlé ci-dessus, et qui croient la terre un être vivant. Car alors cet être frissonnerait également dans toute son étendue, puisque chez l'horame la fièvre n'agite pas telle partie moins que telle autre, mais les envahit toutes avec une égale violence. Vous voyez qu'il doits'inliltrcr dansia terre quelque souffle de l'air ambiant, et que, tant qu'il trouve une libre sor- tie, il circule sans dommage ; mais s'il rencontre un obstacle , si quelque barrière l'arrête , sur- frigus expulsum est. Hoc quod dico verum est ; sed utruni- que in contrarium agi, ex hoc tibi appareat. fliberno tenipore, qunm supra lerram frigus est, calent putci, nec minus specns , atqne omnes snb terra recessus ; quia eo se calor contulit, superiora possidenti frigori cedens; i|ui quum in inferiora pervenit.eteo se quantum poterat iugcssit, quo densior, hoc validior est; huic alius super- veiiit,cui necessario congregatus ille jam et in angustum pressus, loco cedit. Idem e coatrario evenit, quum vis major frigidi illata in cavernis est. Quidquid illic calidi l.ilet, frigori cedens abit in angustum, et niagnu impetu agitur; quia non patilur utriusque nalura concordiam, nec m uno moram. Fugiens ergo, et omni modo cupiens excedere, proxima quasque remolilur ac j:iclat. Ideoque antcquam terra raoveatur, solet mugitus audiri, veulis in abdito tumultuantibus; nec cnini aliter posset, ut ait nosler Virgilius : Sub pedibus mugire solum , et juga ceisa moveri , nisi lioc esset ventorum opus. Mcùs deinde liujus pugna» sunt; di'sinit calidi congnegatio, ac rur.sus eruptio. Tune frigida compescuntur et succedunt, mox futura potentior.i. Dinn ergo alterua vis cursat, et ultro dtroque spirilus commeat, concutitur. XIV. Sunt qui csisliiiicnt, spiritu i|uiileiii. el nulla alla ratione tremere terram , sed ex alia cnusa , quant Aristoteli placuit. Quid sit quod ab bis dicatur, andi. Corpus nostrum et sanguine irrigatur, et spiritu, qui per sua ilinera discurrit. Ilabemus autcm quapdam an- gusliora aninix recepiacuta, per qiiae nihit amplius quam méat; quxdam pateuliora. in quibus colligitnr, et undc dividilur in partes. Sic hoc totum terrarum omnium cor- pus, et aquis.qua; vicem sanguinis tenent, et vernis, quos nihit aliud quis, quam animam vocaverit, pervium est. Hœc duo alirnbi concurrunt, alicubi consistual. Sed quemadmodum in corpore nostro, dum bona valetudo est , venarum qnoque imperlnrliata mobiiitas modum servat; ubi aliquidadversi est, micat crebrius, et suspiris atque anhelitus laborantis ac fessi signa sunt; ila teira» quoque , dum illis positio naturalis est , inconcussae ma- nent. Quum aliquid peccatur, tune velut a?gri corporis motus est, spiritu illo , qui modeslius perfluebal, icto ve- hemenlius, et quassanie venas suas; nec, ut illi paulo anle dicebant , quibus animal placet esse terram ; nam si hoc est quemadmodum animal , tota veiationem parem scntiet. Ncque enim ia nobis febris alias partes moratius impellit, sed per omnes pari aequalitate discurrii. Vide ergo, numquid intrct in illam spiritus ei circuraruso aère ; qui quamdiu habrt esitum , sine injuria lalùtur; si ofTpti- dit aliquid, et ioridi quod viam ciaudal, lune onerïlur QUESTIONS chargé du poids de l'air qui le presse par derrière, il fuit avec effort par quelque ouverture, et avec d'autant plus Je rapidité qu'il est plus comprimé. Ceci ne peut avoir lieu sans lutte, ci la lutte sans ébranlement. Mais si l'air ne trouve pas nifmc d'ouverture pour s'échapper, il se roule avec fu- reur sur lui-même, et s'asite en tous sons, il renverse, il déchire. Puissant, malgré sa ténuité, il pénètre dans les lieux les plus embarrassés, il disjoint et divise tous les corps où il s'introduit. Alors la terre tremble; car on elle s'ouvre pour lui donner passage, ou, après lui avoir fait place, dépourvue de base , elle s'éboule dans le gouffre dont elle l'a fait sortir. XV. Suivant une autre opinion , la terre est criblée de pores ; elle a non -seulement ses canaux primitifs, qui lui furent originairement donnés comme autant de soupiraux , mais encore une quantité d'autres que le hasard y a pratiqués. L'eau a entraîné la terre qui couvrait ceriains points ; les torrents en ont rougé d'autres; ailleurs, de grandes chaleurs ont fait fendre le sol. C'est par ces interstices qu'entre le vent ; s'il se trouve en- fermé et poussé plus avant par la mer souterraine, si le flot ne lui permet pas de rétrograder, alors ne pouvant ni s'échapper, ni reraouter, il tour- billonne, et comme il ne peut suivre la ligne droite, sa direction naturelle, il fait effort contre les voûtes de la caviic, et frappe en tous sens la terre qui le comprime. XVI. Enonçons encore un point que la plu- part des auteurs soutiennent, et qui , peut-ôtre, partagera les esprits. Il est évident que la terre n'e:>t point dépourvue d'air; et je ne parle pas NATUUhLLES. 491 seulement de cet air qui la rend consistante, qui rapproche ses molécules , et qui se trouve jusque dans les pierres et les cadavres, mais d'un air vi- tal , végétatif, qui alimente tout "a sa surface. Au- trement, conuncnt pourrait-elle infuser la vie 'a tant d'arbustes , a tant de graines , qui sans air n'existeraient pas? Commeut sufflrail-elle "a l'en- tretien de tant de racines qui plongent de mille manières dans .«■ou sein , les unes presqn'à sa sur- face , les autres a de giandes profondeurs, si elle n'avait en elle des flots de cet air générateur d'où naissent tant d'êtres variés qui le respirent et qui lui doivent leur nourriture et leur croissance? Ce ne sont encore là que de légers arguments. Ce ciel tout entier , que circonscrit le feu subtil de l'éther, partie la plus élevée du monde, toutes ces étoiles dont le nombre est incalculable, tout ce chœur céleste, et, sans parler dos autres astres, ce soleil qui poursuit son cours si près de nous et qui surpasse plus d'une fois notre globe en gros- seur, tous tirent leurs aliments de la terre et se partagent les vapeurs qu'elle exhale, seule pâture qui les entretienne. Ca.r ils ne se nourrissent pas d'autre chose. Or, la terre ne pourrait sufûre'a des corps si nombreux et ii vastes et plus considérables qu'eilc-môine, si elle n'était remplie d'un air vi- viGantqiii, nuit et jour, s'échappe de tous ses pores. Il est impossible qu'il ne lui en reste pas beaucoup, malgré l'immense déperdition qu'elle éprouve , et il faut que ce qui sort d'elle se repro- duise incessamment. Car elle n'aurait pas de quoi fournir sans fin "a l'entretien de tous ces corps célestes, sans la transmutation continuelle et ré- ciproque des éléments. Mais il faut en outre que primo Infundente se a tergo aère. Deinde per allquam rimani aialigDefugit, et boc acrius ferlur, que angustius. Id sine pugna non potest flcri , Dec pugna sine molu. At si Dec rimam qDidem per quam edluat iovcoit, conglo- batus ille furit, et bue alque illu circuniagilur, alia(|ue dejicit.alia iotercidit; qiium tc□ui^simus, idemqiic tor- tisMnios , et irrepat quaiiivis in ob^lructa , et quidqnid in- tiavit, vi sua diducat et dissipe!; tune terra jactatur. Aut enim datura vente locum discedii; aut quuni dédit, io ips.im , qua illam eniisit , caveraani fundameulo spoliala coDsidit. XV. Quidam ita eiistimant. Terra multis locis perfo- rata est, nec taiituni primos illos aditus baliet , quos velut spiranivnta pli initie sui recepit, sed niultos illic ca!>u$ imposuit. Alicubi deduiit,quidquid superae terrcoi crat, «qua; alia torreules eiediTC , ilta ^itil)us magnis dirupta patuere. Per hîpc iutcrvalla inlrat ^piritus, qupm si in- clnsi'. mare , et altius adi'gil, nec fhictus retro attire per- niisit, tune ille, exitu sininl redituque prsctuso, volu- tatnr. Et quia in rectum non potest tendere, quod iili na- turale est, iu sublime se intendit, et terram preniciitcra éivort)erat. XVI. EtianiDUDC dieendam est, quod plerisque aucto- ribusplacet, et in quod fortnsse flet disccssio. Non esso terrain sine spiritu , palam e^t. Non tantum itiodico , quu se tenet, ac parles sui jungit, qui incst etiam saxis mor- tuisque corporibus; sed illo dico vitali , et vegeto, et alente omnia. Hune nisi hal)eret , (|uoniodo tôt arbuslis spirilum infunderct, non aliimilc vivcDiibus, et tôt salis? Quemadmodum lani diversas radiées, aliter alque aliter in se mersas foveret, quasdam siininia reccpl<)S parte, quasdam altius tractas, nisi ninllum haberel anima;, lam niulta, tani varia generantis, et liaustu atijuu uliinento suo educantis? Le\ilius adluic argnmentis apo. Tolum boc ccelum , quod igneus a'ther, niundi sunima piirs, claudit, omnes bx stellae , qiiarum iniri non polesl nu- merus, oninis hic cœleslium cœtus, et, ut alia pra-lcr- eam , bio tam proi)e a nobis agens cursum .sol , ornni 1er- rarum ambitu dod scmel major, alimentum ex lerreoo trabuDt , et inter se partiunlur. nec ullo alio scilicet , quam halitu lerrarum susiinentur. Hoc illis alimenluni ,bic pas- sus est. Non posset autem tain nnilla , lantaquc , et seipsa majora , terra nutrire , nisi plena esset animas , quam per diem et noctcm ab omnibus partibus suis fundit. Fieri enim non potest. ut non midtum illi supersit. ex qua tantum petitur ac sumitur ; et ad tcmpus quidem , quod exeat. 492 SÉKÈQUE. cet air alwndc clans !a U'ito , qu'elle en soit rem- plie, qu'elle ait des réservoirs où elle puise. II n'est donc pas douteux que la terre necacliedans ses intcrsiices des g.iz en graud nombre , et que l'air qui s'y in n/ luit n'occupe de sombres et vas- tes cavités. S'il en est ainsi , il arrive nécessaire- ment que de fréquentes comraol ions troublent celte masse toute pleine de ce qu'il y a de plus mobile au monde. Car, et ce ne sera un parailo\e pour personne, de tous les éléments, l'air est le plus ennemi du repos , le plus inconslant, le plus dis- posé à l'agilalion. XVII. Il s'ensuit donc qu'il agit selon sa nature, et que , toujours prêta se mouvoir, il met quel- quefois en mouvement cequi l'avoisiiie. Etquand? C'est lorsqu'il est arrêté dans son cours. Tant que rien ne l'eu empôchCj il coule paisiblement; est-il repoussé ou retenu , il devient furieux et brise ses barrières ; on peut le comparer A l'Araxe indigné contre un pont qui l'outrage , et qui, tant que son lit est libre et ouvert, développe paisiblement ses eaux. Mais si la main de l'homme ou le hasard a jeté sur son passage des rochers qui le resserrent, alors il se ralentit pour mieux se pré- cipiter; et plus il a d'obstacles devant lui , plus il trouve de force pourles vaincre. Toute code eau , en effet, qui survient par-derrière et qui s'amon- cèle sur elle-même , cédant enfln sous son propre poids, devientunemassedestructive qui se précipite au loin avec ses digues entraînées. Il cnestdemême de l'air. Plus il est puissant et délié , plus il court avec ropi'iiié, et écarte violemment les obstacles : de Ta un ébranlement de la partie du globe sous laquelle la lutte a lieu. Ce qui prouve que cela est vrai, c'est que souvent, après une commotion, quand il y a eu déchirement du sol , des vents s'en écliappeiitpendant plusieurs jours, comme la tra- dition le rapporte du tremblement de terre de Clialcis. Asclépiodote , disciple de Posidonius, en parle dans son livre des Questions naturelles. On trouve aussi dans d'autres auteurs que ,1a terre s'éiant ouverte en un endroit, il en sortit asseï longtemps un courant d'air qui évidemment s'était frayé le passage par lequel il débouchait. XVIII. La grande cause des tremblements de tei re est donc l'air, naturellement rapide et mobile. Tant qu'il ne reçoit aucune impulsion, et qu'il reste dans un espace libre, il y repose inoffensifet ne tourmente pas ce qui l'avoisine. Si un moteur accidentel le trouble, le repous.se, le comprime, il ne fait encore que céder et vaguer au hasard. Mais si tout moyen de fuir lui est enlevé, et si lout lui fait obstacle, alors Il él)ranle les monts , Et mugit furieui dans ses noires prisons.... que longtemps il ébranle, et qu'il finit par briser et faire voler en éclats , d'autant plus terrible que la résistance est plus forte et la lutte plus longue. Enfin , quand il a longtemps parcouru les lieux où il est enfermé et dont il n'a pu s'évader, il re- brousse vers le point même d'où vient la pression, et s'infiltre par des fentes cachées que les secousses nasciliir. IS'ec enim csset perennis illi copia snffecturi io totcœlesiia spiritus, nisi invicem ista excurrerent, et in aliiid alia solvercntur. Sed tamen necesse est abundot ac pli'nasit, et ex condito proférât. Non est ergo dubiimi , quin multum spiritus interlaleat, et caîca sub terra spa- tia aer latus obtineat. Quod si verum est , necesse est id sœpe moveatur, quod re niobillssima plénum est. Nuni- quid enim dubiuuj esse polest cuiquam , quin nihil sit tam inquieluni quam aer, et tam vei-sabile et agitatioue gau- dens? XVII. Scquilur ergo, ut naturam suam exerceat, et quod senipcr nioveri vult, aliquando et alia movcat. Id quandofit?Qunnd(>illl cursus interdiclusest.INam quara- diu non impcditur, placide Huit; quum offenditur et reti- netur, iiisanit, et moras suas abrumpit, non aliter quam ille Pontem indîgnatus Araxes. Quamdiu illi facilis et liber est alveus , primas quasque aquas cxplicat. Ubi saxa manu vel casu illata pressera \e- nientcm, tune iinpetum mora qua>rit; et qiio plura op- posita sunt, plus invenit virium. Omnis enim illa nnda quiea tcrgo supervenit,etinse crescit, quum onus suuni sustinere non potuit, viin ruina parât, et prona cum ipsis qua' objacebant fugit. Idem spiiitu (U : qui quo va- Iciiiiui agiliorque est.eocilius rapitnr, e! vcliemenlius septns omnes dislurbat. Ex quo motas Ot scilicet cjus partis , sub qua pugnatum est. Quod dicilur, verum esse ex illo probalur; saspe enim quum terrœ motus fuit, si modo pars ejus aliqiia dirupta est , inde venlus per multos dies fluxit; ut tradilnr factum eo tenœ molu, quo Clial- cis laboravit; quod apnd Asclepiodotum invenies , audi- torem Posidoiiii , in his ip.er, utique roncitâlus, sibi jus suum vindicat. Spiritus Yero invicla re.s est ; nlhit enim cril quod LucUntes vento^ , tcmpestatestiue sonoras tmpcrio premat; scvitictisct carcere fraenet. Sine dubio poeta; tmnc voliiemnl vidcri carcerem, in quo ^ul) terra dausi laterenl. Scd hoc non intellexcrunt, Dec id quod clausum est, esse adbuc vcntum ; nec idquod vcntiis est. posse jam claudl. Nam qiiod in ctauso est, quiesoil, et aeris statio est; omnis iu fuga ventus est. Eiiamnunc et illud accedit bis argunicntis, |K'r quod ap- pareal , mntum effici spiritu , quod corpora quoquc nos- tra non aliter Ireniunt, quam si spirituni aliqua causa co-ilurl)at; cum tiiuorc conlractus est, cura seneclutc Innguesc t, et Teni» torpenlibus niarcet, cum friti;orc in- hit)ctur, aut su!» accessionem cursu .sno dejii itur. Jiam qaamdiu sine injuria perduit, et eimiireprocedit, nullus est trcmor corpcri j quum aliquid occurrit quod inliit)eat ejus officium , tune parum poteas pcrferen lis bis qua; sno vigore teDel)at, deQcien* concutit quidqnid integcr tu- erat. XIX. Metrodornm Chium necesse est audi.Triius, quod vult sententis loco dicenteni Non enim prrrnitio u:ilii nec cas qnidcin opiniones prœterire , quas iuipniljii ; (|iiuui salius sit omnium copiam fieri , etquae lmpnit)aniiis , dani- nire poliu», quam prœterlre. Quid ergo diiit? Quo- niodo in dolio canlanlis vo^ illa per totuni cum quadani discussione percurritac resonat, et tam livilcr niiila, ta- mon circuit, non sine tactu ejus tuniultuque, (juo inclusa est; sic «pdnncarum sul> terra pendentium vasiitas hal)ct acra suum; queni ^inuil alius supcrnc iucideus percussit, agitai non aliter (|uam illa , de quibus paulo aute rctuli , ioanla indito ctamore souueruat. XX. Veniamus nunc ad eos , qui omnia ista quae reluli , in causa esse dijcruiit, aut ci bis plura. Demorritus plura putal. Ait en m, motnm aliquando spirilu licri, aliquando aqua , aliquando utroque; et id Ikic modo prii- sequilur. Aliqua pars terrée concava est , >t in liaiic aqu.c ma!;na vis conduit. Ex liac est aliquid leniii", el Cileris b(|uidiu8. IIoc quuni supcrvenienle pra^ilate rijeelum est , terris illidilur, et illas movet. Nec enim lluiln:;! i po- test sine motuejus, in quod impiugilur. Etiaminnuquod modo de spirilu dicebannis, de acpia (juoqne diceuduni est.Ubi in unum locum coiigesta est, el caperc sedesiit, ali'inoincumhit, et primo viam pondère apcril, deinde iiiip'tu. Nec cnini eiirc nisi per devexum potest , diu in 401 SÉNÈQUE. tant par son poids que par son impétuosité ; long- temps captive , elle ne peut trouver d'issue que par une pente, ni tomber directement sans une certaine force ou sans ébranlement des parties a travers lesquelles et sur lesquelles elle tombe. Mais si, lorsqu'elle commence "a fuir, un obstacle l'arrête et la fait se replier forcément sur elle- même, elle est rebroussée vers la teiie qu'elle rencontre etdoime une secousse aux endroits les moins bien assis. Parfois aussi la terre s'affaisse plus ou moins profondément, selon ([u'elleesl pé- nétrée par l'eau el que ses fondements mêmes sont minés; alors une pression plus forte s'exerce sur le côié où le poids des eaux se fait le plus seniir. D'autres fois c'est le vent qui pousse les eaux , et qui , décbaîné avec violence , ébranle la partie lie la terre contre laquelle il lance les ondes amon- celées. Souvent, engouffré dans les canaux inté- rieurs du globe, d'où il cherche a fuir, il agite tous les alentours : car la terre est perméable aux vents, fluide trop subtil pour pouvoir être re- poussé, et trop puissant pour qu'elle résiste à son action vive et rapide, lipicure admet la possibilité de toutes ces causes , et en propose plusieurs au- tres : il blâme ceux qui se prononcent pour une seule, vu qu'il est téméraire de donner comme certain ce qui ne peut être qu'une conjecture. L'eau, dit-il, peut ébranler la terre, eu la dt>- trempant et en rongeant certaines parties qui de- viennent trop faibles pour servir de bases comme auparavant. Le treinblenient peut être produit par l'action de l'air intérieur , dans lequel l'inlro- duclion de l'air extérieur porte le trouble. Peut- être l'écroulement de quelque masse venant à re- fouler l'air, cause-t-il la commotion. Peut êtrcle globe est-il en quelques endroits soutenu par des colonneset des piliers qui, entamés et fléchissants, font chanceler la masse qu'ils supportent Peut- être un vent brûlaut , converti en flamme et ana- logue à la foudre, fait-il en courant un immense ai)attis de ce qui lui résiste. Peut-être des eaux marécageuses et dormantes , soulevées par le vent, ébranlent-elles la terre parleur choc ou par l'agita- lion de l'airque ce mouvement accroît et portede bas en haut. Au lesle, il n'estaucune de ces cau- ses qui paraisse'a Épicuieplusefiicacequelevent. XXI. Nous aussi, nous croyons que l'air seul peut produire de tels efforts ; car il n'est rien dans la nature qui soit plus puissant, plus énergique; et sans air les principes les plus actifs perdent toute leur force. C'est lui qui anime le feu; sans lui les eaux croupissent; elles ne doivent leur fou- gue qu'à l'impulsion de ce souffle, qui emporte de grands espaces de terre , élève des montagnes nouvelles, et crée au milieu des mers des iles qu'on n'y avait jamais vues. Theré , Therasia , et cette île contemporaine que nous avons vue naî- tre dans la mer Egée , peut-on douter que ce ne soit ce même souffle qui les ait produites a la lu- mière? Il y a deux espèces de tremblements, se- lon Posidonius : chacun a son nom particulier. L'un est une secousse qui agite la terre par ondu- lations ; l'autre, une inclinaison qui la penche la- téralement comme un navire. Je crois qu'il en est une troisième, justement et spécialement désignée par nos pères sous le nom de tremblement, et qui clusa; ncc in directum caderenioderale, autsine concus- sione corum , per quaj et in quae cadit. Si vero , quum jam rapi cœperit, aliquo Inco suiistitit, el illa ïis flumi- nis in se revoluta est, in nccurrentcm Icrram repellitur, etillam, qua parle iiiasime pendet, exagioi. Pr.tlerea aliquando madefacta lellus, liijuore peniiusaceepto altliis sidit, et fundus ipse vitialiir; lune ea pars premitnr, in quani maxime aquanim veigenliuni pondus inclinât. Spi- ritus vero nonnunqiianiinipelliuindas; et si vehementius inslitit, eani scilicet terra; parteni movet, in qna:n coac- tas ai|uas inlulil.Nouuuuquani in terrena itineia conjeclus, et exituni qua'rens, niovi't oninia; lerra aulcm penelra- bilis veotis est , et spirittis siiblilior est, (juani ut pos-it eicludi, et vehcmenlior, quiun ut siistineri concilalus ac rapidus. Omnes istas esse possc causas Epienrusait, plu- resqne alias tentât; etalios.quialiquidunum e\ istls esse affirmaTcrunt , corripit, quum sitardunm, de ils quas conjectura scqnenda sunl, aliqnid certi promittere. Ergo, ut ait, poleslterram ninvcreaqiia, si partes aliquaselnit, et abrasit, quibiis desiit posse eitenuatis snstineri, quod integris ferebatur. Polest ter.'-am movere inipressio spi- rilus. portasse eniin aer extrinsecus alio intiante aere agilalur. Fortasse aliqua parte subito decidente perculi- tnr, et iode motum capit. Fortasse aliqua parte terrs ve- lut columnis quibusdain ac pilis suslinetur; quibns vilia- tis ac recedentibus, tremit pondus iinpositum. Fortasse calidaTis spirilusin ignem versa, et fulmini similis, cum magna strage obstanlium fertur. Fortasse palustres et ja- centes aquas aliquis {[dus impellit, et inde aut ictus ter- ram qualit, aut spirilus agitalio, ipso ino;u crescens, el se incitans, ab im» in summa usque perfertur : nullam tamen illi placet causani motus esse majorem , quam spi- ritum. XXI. Nobis quoque placet , bnnc spiritnm esse , qui tanla posslt conari , que nihil est in rerum natnra potea- tius, nihil acrius, sine quo nec illa quidem , qua; vehe- mentissima sunt, valent. Ignem spiritus concitat; aquae, si ventum detrahas , inertes sunt. Tune demum impetum sumunt , quum illas agit Qatus ; qui potcst dissipare magna spatia lerrarnm , et novos montes subjectos extollere , et insulas non ante visas in raedio maii ponere. Theren , et Themsiam, et banc nostrae aetatis insniam, spectanlibos nobis in Mgxo mari enatam , quis dubitat quin in lu- cem spiriîus vexcrit? Duo gênera sunt, utPosidonio pla- cet, quibus moveiur terra : utrique nomen est proprium. Altéra succiissio est . quum terra (iuati;ur. et sursom ac deorsum mavctur : altéra inclinatio , qua in latera nutat uavigii more. Ego et tertinm illud eiistimo, quod aostro QUESTIONS N «lifforc des deux autres. Car alors il n'y a ni se- cousse étendue , ni inclinaison ; il y a vibration. Ce cas est le moins nuisible, comme aussi la se- cousse l'est beaucoup moins que l'inclinaison. Eu effet, s'il ne survenait promplement un mouve- ment opposé, qui redressât la partie inclinée, un vaste écroulement s'ensuivrait. Les trois mouve- ments diffèrent entre eux, en raison de leurs cau- ses diverses. XXII. Parlons d'abord du mouvement de se- cousse. Qu'une longue Ole de chariots s'avance pcsammentchargée, et queies roues tombent lour- dement dans des ornières , vous sentez la secousse imprimée au sol. Asclépiodote rapporte que la chute d'un rocher énorme détaché du flanc d'une monta;;ne flt écrouler par le conlre-eoup des édi- Uces voisins. Il peut se faire de mome sous terre qu'une roche détachée tombe bruyamment de tout son poids dans les cavités qu'elle dominait, avec une force proportionnée à sa masse et a son élé- vation. El ainsi la voûte de la vallée souterraine doit trembler tout entière. Vraisemblablement la chute de ces rochers est déterminée d'abord par leur poids, et ensuite par les fleuves qui roulent au-dessus, et dont l'action permanente ronge le lien des pierres , en emporte chaiiuc jour quehiui's parties, l'eau écorchant pour ainsi dire la peau qui la contient. Celte action continuée pendant des siècles et ce perpétuel frottement minent le rocher, qui cesse de pouvoir soutenir son fardeau. Alors s'écroulent des masses d'une pesanteur im- mense ; alors le rocher se précipite , et , rcbon- ATU RELIES. 49» dissant après sa chute, ébranle tout ce qu'il frappe. Le fracas raccoinpagne et tout croule avec lui , comme dit Virgile. Voil'a comme je conçois la cause du niouvenienl de secousse. Passons au se- cond mouvement. XXlll. La terre est un corps poreux et plein de vides. L'air circule dans ces vides, et quand il en est entré plus qu'ils n'en laissent.sortir, cet air captif ébraide la terre. Celte cause est admise par beaucoup d'auteurs, comme je viens do vous le dire , si tant est que la foule des lémoignayes fasse autorité pour vous. C'est aussi l'opinion de Callis- Ihène, homme bien digne d'estime ; car il eut l'âme élevée, et ne voulut point souffrir les extra- vagances de son roi. Sa mort sera pour Alexandre une tache éternelle, que ni d'aplres vertus, ni des guerres toujours heureuses n'effaceront jamais. Chaque fois qu'on dira : Que de milliers de Perses sont tombés sousscs coups! on répondra : El Calls- Ihène aussi. Chaque foisqu'on dira :11a faitmour r Darius, Darius le grand roi; et Callisthènc aussi , répondra-t-ou. Chaque fois qu'on dira : Il a tout vaincu jusqu'aux bords de l'Océan ; il l'a m£me envahi avec les premières flottes qu'aient vues ses ondes; il a étendu son empire d'un coin de la ïhrace aux bornes de l'Orient ; on répondra : Mais il a tué Oillislhène. Eijl-il surpa.ssé en renommée Ions les capitaines et rois de l'antiquité, il u'a rien fait qui efface le crime d'avoir tué Callislhène. Callis- thènc, dans l'ouvrage où il a décrit la submersion d'Hélice et de Buris, la catastrophe qui jeta ces vuc.ibulo signatiim est; non rniin sine causa trcniDrcni trrrie iliiere inajnn-s , qui utn(|U« dissimilis rst ; iiani oec ^uc^l;iuntur lune oiiiuia,nec inclinanlur, sed vihranlur. Krs niininie in huju.sni(>di casu no\ia , sicul longe perni- 1 io'.inr est inctin illo concussione. ISaui nisi rcicrilrr ' t ci alitera parle properabit molus. cpil Inclinata rcslitunt, ruina nccessario sitpiilur. Quum dissiiiiiUs il motus iater H' sint , causif quo<|ue eorum diversx sunl. XXII.PriuserKndenintuquatieDtcdicauius. Siquando magna nnera pcr vices Tehiculoruiu pluriuni tnicla .sunt, et rolae irajore nisu in salebras inciderunt, Icrram con- çut! senties. Aselcpiudntus Irartit, quum petra e bterc monlls alirunLi cecidisset, a^dilica vicina tremorc col- lapKB tunt. Idrm sub terris Heri pote$t,ute!L his qua impendrot rupibus aliqui résolut i, magoo pondère ac sono iu subjacentem civernam cadat, eo ïehemeiititis, quoaul plus ponderis venit, aul allius. Et sic cnmmove- tur onine tcclum rava œ vallis. Nec lanlum pondère suo abtciniti saia credibilc est, seil quum Oumina supra fc- raninr, a.uiduus humor comuiissuras lapidis exténuai, et uuolidie hisad quae rclijjalus est aufert, et illam, ut ita dicam, cuteni qua ronlinelur, ahradit. Deinde longa per STum dimmotio us<|ue co infirmât illa, qua; quolidie al- naottrivi, ut desi esse oncri fercudo. Tune taxa vasti ponderis decidunt, lune illa prœcipitala rupes, quidquid ab imo repercussit, non passura consislere, , . . sonitu Tcnit, et ruere omnia visa repente... ut ait Virpilins nosler. Ilujns motus succuticnlis terras ba?c crit causa Ad allée am iranseo. XXIII. Rara lerrae uatura est, multumque habens vacui; per bas rarilates spirilus ferlur; qui ubi major influxit, nec eniillitiir, cunculit terram. Ha'C piacet et aliis , ul paulo ante retuli , cau.sa , si quid apud te profec- tura testium turha es.t. ILinc etiam Callisibenes probat, non contenitus vir. Fuit onim illi nobilc iugenium , ef fu- ribuudi régis impaUeu'. Hoc est Alexandri crimen œter- □um , quod nulla virius , nulla bellorum lelicitas redimct. Piam quolicsqui.sdixeril: OcciditPersarum multa millia; opponetur, et Callislhencm.Quolies diclumerit : 0saiumeut sur le sol rendaient malsain l'air de la Thessalie , et entmcien , l'ont toujours accru par ces alluvions an- les eaux qui croupissaient faute d'écouleniuellcs. Aussi ce terrain, gras et limoneux, n'offre- L'origiue du Ladon, qui coule entre Elis et i\-il aucun interstice; devenu compaele a mesurt lopolis, date d'un tremblement de terre. Que gue la vase se desséchait, il a piis la consistance vent ces faits? Que de vastes cavernes ( c'esU'un ciment massif par l'agglulinalioa de ses mo- le nom qui convient aux cavités souterraines )écules , sans qu'aucun vide s'n pût former , puis- vent à l'air de réceptacle; autrement les secoque toujours aux parties srelics venaient s'ajouter embrasseraient de bien plus grands espacedesmaticresliquides et molles. Cependant l'Lgyple plusieurs pays seraient ébranlés du même (tremble, aussi bien que Délos, en dépit de Vir- Mais elles ne se font sentir que dans des ligile, qui veut fort restreintes, et jamais au-del'a de deux „ .. ,-, „ , ., ■ . , r, .„ , .... , . Qu immobile, elle lirave et les vents et les (lois, milles. Le tremblement dont le monde cnlier de parler n'a point dépassé la Campanie. AjLes philosophes aussi, race crédule, en avaient rai-je que, quand Chalcis tremblait, ïlicbe dit autant, sur la foi de Pindare. Thucydide pré- tait immobile? Quand la ville d'/Egiumétai lend que, jusque l'a toujours immobile, elle trem- Icversée, Fatras, qui en est si voisine, ne bla vers le temps de la guerre du Pi^oponèse. Cal- que par ouï-dire. L'immense secousse qui listhéne parle dune autre si cousse à une époque du sol Hélice et Buris s'arrêta en-deç'a A'JS. différente. Parmi les nombreux prodiges, dit-il , Il est donc évident que le mouvement ne S' qui annoncèrent la destruction d'Hélice et de Bu- longe qu"a proportion de l'étendue du vid< ris, les plus frappants furent une immense colonne terrain. de feu, et la secousse que ressentit Délos. Selon XXVI. Je pourrais appuyer cette assert lui, cette île est difficile à ébranler, parce que, l'autorité d'hommes dignes de foi , lesqueh outre les flots qui la supportent , elle a pour bases disent qu'il n'y a jamais eu en Egypte de trJ des roches poreuses et des pierres perméables qui nonnunqaam in lantam, ut parietes quilius fertu tegiinea cavi , di>c dant in illuin subtervacanteiii tokpque urbcs ininimensam allitadincni verganl. credere, ainnt, aliquando Ossam Olympo col: deinde tcrrarum molu recessisse, et scis-sam unii nitadiiiem naonlis induas partes; tunceffugisse P qui paindes quibus laborabat Tliessalia , siccavit , tis in se quEe sine eiitnstagnavcraot aquis. Ladon inter Elim et Mecalopolio médius est, qticui te motus effudit. Per hocquid prolio? In laios speci enim aliud appellem loca vacua snb terris? «pinti venire. Quod nisi esset, magna terraruin spalia ■ verentur, et una multa tilubarent. Nunc etigtia laborant , nec unquam per ducenta milliaria iiiotii ditur. F.cce hic qui implevit fabulis orbein, non li dit Campaniam. Quid dicam, quum Chnicis I Tbebas slctisse? quum laboravit ^gium, lani quas illi Patras de molu lolum audisse? Illa va; cussio , qnae duas suppressit urbes Helicen et Bi tra *:siuni constilit. Apparet ergo . In tanlum ' motom protendere , quantum illa sub terris vacrf hianitas pateat. XX NI. Poteram ad hoc probandnm abuti atf magnorum virorum, qui £gyptum nunquam liî tradunt. Rationem autem bujus rei banc reddunt, quod ei iimo tola concreverit. Tanlum enim , si Iloniero (ides est, obérât a continenti Pharos, quantum navis diurno cursu metiri plenis lata velis potest; sed conti- nenti admota est. Turbidus enim delluens Mlus , multum- qne secum limum trahens,eteuinsubindeapponenspiio- rilms terris , ^gyptuin annuo increnienlo sernper ultra tulit. Inde pinguis et limosi soli est, nec ulla inicrvalb iu se ballet, sed cretit in solidiiin aresccotc linio : cnjiis pressa erat et sedens structura , quum partes ^lutinaren- tur, nec quidquam inane iutervenirc potcrut, quum so- lido liquidum ac molle seuiper accèdent Sed movelur et AEgjptus et Delos, quam Virgilius stare jussit, Iininotam(|nc coli dédit, et comtoinnerc ventos. Hanc philosophi quoqiie, credula natio, diierunt non moveri , auclorc Pindaro. Thucydidcs ail, antea quidein immutam fiiisse , sed circa Peloponesiacuui helluni tre- muisse. Callisthenes et alio tenipore ait hoc accidisse. Inter multa. in(]uit, prodigia, quibus denuntiala est rtua- rum urbium Hélices et Buris eversio, fuere maxlmo iio- tabilla, colamna ignis immensi , et Delos agitnta. Qiiam ideo stabilem vidcri vult, quia m;iri iinfiosita, habeat concavas rupes et sata perria , qus dent deprelieuso aeri 32 408 séneque. laissent s'échapper l'air qui s'y engage. 11 ajoute que, par la munie raison , le sol des îles est plus assuré , et les villes d'autant plus h l'abri des se- cousses, qu elles sont plus voisines delà mer. As- serlion fausse , eonime ont pu le voir Herculanum et Ponipiï. Toutes les côtes, au reste, sont su- jettes aux tremblenients de icrre. Témoin Paphos, renversée plus d'une l'ois, et la fameuse Nicopolis, pour qui c'était un fléau familier. Cypre, qu'en- vironne une m''r prolonge, n'en est pas exemple, non plus que Tyr elle-même, quolcjuc baignée par les fl;)ts. Telles sont à peu près toutes les causes que l'on assigne aux Irembleraenls de terre. XXVll. Cependant on cite, du désastre de la Campanie, certaines particularités dont il fjut rendre raison. Un troupeau de six cents moutons a, dii-on, péri sur le territoire de Pompeî. Il ne faut pas croire que ces animaux soient morts de peur. Nous avons dit ([u'onlinairement les grands Ireiiiblemcnls de terre sont siii\is d'une sorte de peste , ce qui u'est pas étonnant, car le sein de la terre recèle plus d'un principe de mort. D'ail- leurs l'air même, qui s'y corrompt, soit par l'ac- tion de la terre, soit par sa propre stagnation dans ces éternelle^ ténèbres qui le glacent, est funeste aux êtres qui le respirent; ou, vicié par l'action délétère des feux intérieurs, lorsqu'il sort des lieux où il croupit depuis si longtemps, il souille etdénaturenolre atmosphère pureeltianspa rente, et le fluide inaccoutumé qu'on respire alors ap- porte avec soi des maladies d'une espèce nouvelle. Et puis , l'intérieur de la terre reuferine aussi des eaux dangereuses et pestilentielles, parce que ja- mais aucun mouvement ue les agite , et que l'air libre ne les bat jamais. Épaissies par le brouillard pesant et continuel qui les couvre, elles ne con- tiennent que des miasmes contagieux et funestes à l'homme. L'air aussi qui s'y trouve mêlé et qui séjourne dans ces marais ne s'en échappe pas sans répandre au loin son poison et sans tuer ceux qui boiventde ces eaux. Les troupeaux, naturellement sujelsaux épidémies, sont atteints d'autant plus vite, qu'ils sont plus avides; ils vivent bien plus que nous 'a ciel ouvert et font un fréquent usage de l'eau, plus malfaisante alors que l'air lui-même. Les moutons, dont la constitution est plus délicate et qui ont la tête plus voisine du sol , ont dû être atteints à l'instant ; et la chose est simple : ils res- piraient l'exhalaison presque 'a son foyer. Elle eût été fatale "a l'homme même, si elle fût sortie avec plus d'abondance ; mais la grande masse d'air pur dut la neutraliser, avant qu'elle s'élevât à portée delà respiration humaine. XWIIl. Que la terre renferme beaucoup de principes mortels , c'est ce que prouve l'abondance des poisons qui, sans qu'on lésait semés, naissent spontanément; car elle a en elle les germes des plantes nuisibles comme des plantes utiles. Et sur plusieurs points de l'Italie ne s'exhale-t-il pas, par certaines ouvertures, une vapeur pestilentielle que ni l'homme, ui les animaux ne respirent impuné- ment? Les oiseaux mêmes qui traversent ces mias- mes, avant qu'un air plus pur en ait diminue l'influence, tombent au milieu de leurTol; leur corps devient livide, et leur cou se gonfle comme s'ils eussent été étranglés. Tant que cette vapeur, retenue dans la terre, ne fuit que par d'étroites (issures , son action se borne à tuer ceux qui bais- Tcdiium. 01) Iioc eliain insulas esse certioris soli , urbes- qiie eo tiiliores, qiio propius ad mare accesserunl. Falsa ha?c esse Ponipeii et llerculaneiini sencre. Adjice mine qiiod oiimis ora maris olmoiia tt,t molibns. Sic Paphos non .wniel eorniit; sic nobilis et buie jam familiaris mato Nicopolis. Cyprim) ainbil idtum mare, ela>!italnr. Tyros et ipsi t:im iiiDn lur, i\usm diluilur. — Hœ fera causas rcddiuitiir, propler qiws treiiiit terra. XXV II.Qua'dain taiiieii propri.i in hocCaiiipanomotu accidissc nae. autur , (piorum ratio rcddciida est. Aiuut eiiiin sexceiili.riini oviiini pregem exanimatura in Vom- peiaiiii resioiie. Non est ijiiare boc putes ovibus illis ti- moré accidisse. Dixiiims solerc post niagiios terranim motus pestitentiani fieri. ÎSec id niiriim csl, niulia cnim monifera in alto latent. Al acr ip^e, qui vel terraruni culpa Vil pigritia, et leierna nocle lorpescit, gravis haa- rii'nlibus est; vel coiniptus iiilemornin ignium vilio, quiini est tongo situ cniissus, piit-uni liuuc liquidiimijue maculai ac polluit, insudumipie durentibus spirilum affert nova gênera morboruni. Qiiid, qnod aquœ quoque inutiles pcstileuti sque iu abditu latei;! , ut quas nunquam unas eierceat, nunquam aura liberior cverbcrel? Crassœ itaque, et gravi caligine sempitemaque lectap, nibil nisi pes- tiferuni in se et corporibus nostris eunlrarium habent. Aer quoque qui admixtus est illis , quique inter illas paludes ja- cet , quuni emersit, late \itium suum spargit, et baurientes iiecat. Facilius autem pecora senliunt, in quae pestilentia incurreresolet.quoavidiorasunl; aperto cœlo plurimum utuntur, et aquis, quarum maiima in pestilentia culpa est. Ores vero moltioris nalurae, quo propiora terris fe- runt capila , correplas esse non miror, quum afflatns diri aeris cii ea ipsam humum exceperiiit. Nocuissct ille et ho- minibus , si major eiiisset; scd illiun copia aeris since; i exslinxit, aniequam ut ab homine posset trahi , surgcrt i. XXVIII. Multa autem terras habere mortifera, vel ex hoc intetiige, quod lot vcnena nascunlur, non manu sparsa, sedsponte; solo scilicet habente, ut l)Oni, ifa mali sfmina. Quid , quod pluribus Italia; locis per quae- damforamina pestilens eihalatur vapor, quem non bu- mini ducere, non fera' tutura esl ?Aves quoque si in illiim iiiciderinl , anlequara cœlo meliore lenialur , in ipso vo- latu cadunt , liventquc corpora , et non aliter quam per vim elisœ lances tunient. liic spirilus quamdin terris continctur, teoui foramine fiuens, non pluspotentix ba- QUESTIONS «enl la tête sur la source ou qui l'approchent de trop près. Mais quand, pendant des siècles, ren- fermée dans d'affreuses ténèbres, elle s'est viciée de plus en plus et a redoublé de malignité avec le temps , son état de stagnation la rend plus funeste encore. Trouve-t-elle une issue, se dégage-t-elle de cette glaçante et éternelle prison , de cette in- fernale nuit, notre atmosphère en est infectée; car les substances pures cèdent aux substances corrompues. L'air salubre alors cesse de l'être. De là cette continuité de morts subites et ces ma- ladies aussi monstrueuses dans leur genre qu'ex- traordinaires par leurs causes. Cette calamité est plus ou moins longue, selon l'intensité du poison, et le fléau ne disparait qu'après que ces lourds miasmes se sont disséminés au loin, délayés par les vents. XXIX. Quant aux hommes qui errèrent dans les campagnes comme hors de sens et frappés de vertige, ce fut un effet de la peur, laquelle sufGt pour égarer la raison , quand elle connaît encore des bornes et n'est inspirée que par un sentiment d'intérêt personnel. Mais, quand l'a- larme est générale, au milieu de villes croulantes, de peuples écrasés, au milieu des convulsions du sol , faut-il s'étonner qu'elle trouble di's esprits sans ressource entre la douleur et l'épouvante? Il n'est pas facile, dans les grandes catastrophes, de garder toute sa raison. Alors la plupart di's âmes faibles arrivent 'a un point de terreur qui les jeitc hors d'elles-mêmes. Jamais la terreur no vient sans ôter quelque chose à l'intelligence; c'est une sorte de délire; mais il y a des hommes qui rc- NATURELLES. 4»9 viennent bientôt à eux , tandis que d'autres, plus vivement affectés , arrivent à la démence. C'esl pourccla que , dans les batailles, beaucoup d'hom- mes errent en insensés ; et nulle part on ne trouve plus de prophètes qu'aux lieux où la terreur se mêle à la superstition pour frapper les esprits. Qu'une statue se fende, je ne m'en étonne pas, quand des montagnes, comme je l'ai dit, se sépa- . rent, quand le sol se déchire jusqu'en ses abîmes. Celle terre arracliée , à grand bruit s'écroulanl, (Tant sa longue vieillesse a pu changer le monde! ) Dans ses Oancs entr'ouïeris reçut la mer profonde ; Et Neptune l)aigna de ses fluls resseir<^s Les villes et tes champs désormais séparés. Vous voyez des contrées entières arrachées de leurs bases, ella mer partager des montagnes qui se joignaient jadis ; vous voyez des villes même et des nations se séparer , lorsqu'une partie du globe s'ébranle spontanément , ou qu'un souffle impé- tueux a pous>é la mer sur quelque point ; effets d'une puissance aussi prodigieuse que celle de la nature entière. Qudique cette puissance n'agisse que sur une partie du globe, elle emprunte la fcircc dn grand tout. Ainj-i la mer a arraché les Espagnes du continent africain ; ainsi, l'inonda- tion célébrée par de grands poêles a retranché la Sicile de l'Italie. Mais les forces qui partent du centre de la terre ont quelque chose de plus irré- sistible ; elles sont d'autant plus énergiques qu'elles sont gênées dans leur action. Mais c'est assez par- ler des vastes effets et des merveilleux phénomènes que présentent les tremblements de terre. XXX. Pourquoi donc s'étonner de voir éclater bet , qnam ut despeclantia et ultro silii itiata ronfiriat. Ubi per secula condilis tenel>ris ac irislitia loci rrevit in Tilium , ipsa ingravcscit moi a ; pejor , quosegiiior. Quuni aalem exitum nactus est, a>tcrnumiltud unilmiM Irigoris nialum.et infernam noctem suivit, ac reginnis nnsirx aéra iofuscat. Vincuntur enim nieliora pciiirihiis. Tiiiic etiam itle spiritns purior tranMt in nntium. Inde s>il)i!x conlinuaH|ue mortes, et monslrosa gênera niorborum, ni e\ oovis orla causis. Brevis aul longa clades est , prout vitia valuere. Necpriuspestilculia desinit, quain spiritum illnm gravem eiercuit laiitascrrii , vcntoiunique pctirlio. XXIX. Nam quod aliqmit, insanis attunilisqucsiiiiitcs, discorrere fccit mctus , qui eicutit menics, ul>i privatus ac modicu'i est ; iiui , ubi publiée terre! , ui)i cadunt ur- be>. populi opprimmilur , terra conculitur, quid mirum est animos inter doloremet melumdestitulos ::I>errasse? Non est f.irile inler magna niala non desipere. Ilaque lenissima fere ingénia in lantum venere fnrraidinis , ut aibi eiciderent. Neino quidem sine aliqua jactura saniiatis expavii; timilisque furenti .quisquis timct: sed ahos cito timor sibi reddit, alios vehemenlius perturbât, et in de- mcnllam transfert. Inde inlcr twtla erravcre ly mpliatici j oec usqiiani pinra eiempla vaticioaotium iovenies , qnam ubi fiirmido mentes religione miita pcrcnssit. Staluam divisani non miror, quuni dixeriin montes a monlibus reeessisse, et ipsum diruptum esse ab imo sntum. IIzc loca. vi quondam el vasta convulsj ruina Taiitum œvi lausiiiqua ï.il,t iiiiit.re veliisUis. DisiiluisAC teriiiit, i(iiu:n protinns utrjqie Itllu» Uaa foret , vciirt iiiediu vi piirilus , et uiidis llfspcrurn Siou o litus abïcilit. aivaqiic et urbes Liture dijuctas , anguslu Jiiliriuit xatii. Vides totas regiones a suis sedibus revelli , et trans maro jaccre, quod in coufioio fueii:t; vidfs et nrbium lieri gentiumquc dbcidiiiiu , qiium pars iiatuia: couciia e.'.t di- se , vel aliquo mare , ignis, spirilus iiupegil; iiuonim mira, ut ex to!o, vis est. Quiiinvis enim |>arte ueiiat . niundi tamen viribns civit. Sic el Uisp.':nias a conleitu Afric.TB mare eripuit. Sic bac inund;iiionc,(|uani i)Ocia- rum maxinii célébrant, ab I:alia Sicilia resecla est. Ali - quanto autem plus impctus habent, quci* «x iolimo vc- niunl. Acriura enim snnt, quibus nibus est per augusta. Quaulas n>s ii terrarum Iremures , quainquc mira spec- tacula ediderint , salis dictum est. XXX. Car ergo aliquis ad boc slupet, quod ses uniui 5:2. 500 SÉNÈQUE. une slatne doiil le bronze n'était point massif , mais creux et mince, et dans laquelle peut-être l'air s'était enfermé pour chercher ensuite une issue ? Qui ne sait que, par les tremblements du sol, des éJiflces se sont fendus diagonalement, puis rejoints; que souvent d'autres, mal assis sur leurs bases, ou bâtis trop négligemment cl de peu de consistance , se sont raffermis ? Que si alors des murs , des maisons entières peuvent se fendre, si l'on voit tomber les pans les plus solides des tours, et chanceler les fondements de vastes ou- vrages , est-ce un fait bien digne de remarque qu'une statue se soit divisée en deux parties égales de la tête aux pieds? Mais pourquoi le Iremble- mout a-t-il duré plusieurs jours? La Cainpaniea éprouvé des secousses non interrompues , moins fortes sans doute qu'au commencement, mais dés- astreuses, parce que des édifices, déjà ébranlés et chancelants, n'avaient pas besoin, pour lomber, d'une secousse violente ; le moindre mouvement sufOsait. C'est que tout l'air n'était pas encore sorti, mais continuait de s'agiter, bien que la plas grande partie se fût échappée. XXXI. A tous les arguments qui démontrent que l'air produit les tremblements de terre, on peut, fans hésiter, joindre celui-ci : Après une violente secousse, quia maltraité des villes, des contrées entières , la secousse subséquente ne sau- rait ôtre aussi forte ; "a cette première en succèdent de moindres ; parce que déj'a le courant de l'air s'est fait passage. Ce qui peut en rester n'a plus la même puissance ; il n'est plus besoin de lutte • l'issue est trouvée ; l'air n'a qu"a suivre la voie qu'il s'est ouverte dans sa première et plus forte explosion. Je crois devoir rapporter ici la remar- que d'un savant des plus dignes de foi , qui était au bain lors du tremblement de terre de Campa- nie. Il afOrmait avoir vu les carreaux qui pavaient le sol du bain se séparer les uns des autres, puis se rapprocher ; l'eau se montrait dans les inter- stices au moment de la séparation , puis se refou- lait en bouillonnant quand le rapprochement avait lieu. J'ai ouï dire , par le même, qu'il avait vu les corps mous éprouver des secousses plus fréquentes, mais plus douces que les corps naturellement durs. XXXII. Voil'a , mon cher Lucilius, ce qu'on peut dire des causes des tremblements de terre. Par- lons des moyens de nous affermir contre la terreur qu'ils inspirent : il importe plus "a Ihomme de grandir en courage qu'en science ; mais l'un ne va pas sans l'autre. Car la force ne vient 'a Tàme que par la science , que par l'étude réfléchie de la nature. Quel homme , en effet , ne se sentira ras- suré et fortifié par ce désastre même contre tous les autres désastres? Pourquoi redouterai je un homme, une bête sauvage, une flèche ou une lance? Il y a bien d'autres périls qui m'attendent. La foudre, ce globe même, tous les éléments nous menacent. Portons 'a la mort un généreux déû, soit qu'elle mène de front contre nous un immense appareil, soit qu'elle nous apporte une fin vul- gaire et de tous les jours. Qu'importe avec quelles terreurs elle se présente , ou quel vaste cortège elle traîne contre nous? Ce qu'elle veut de nous statnae, ne sOiiaum quiaem , sed concavtim ac tenue, di- ruplum est , quuin ferlasse in illud .se spiri iis , qn.Trcns fugani, incluserit? Itlud vero quis nescit? Diduclis a?(lili- cia angulis vidimus moveri, iterumque componi. Qua'- dam vero paruni aptata positu suo , et a fal)ris negligeu- tius solutiusque composila , lerrœ nioliis sa'piiis agitata compegit. Quod si totos pirietts et lotas (indit doinos , et lateia magnarum turrinni , quae sol da snnl, .scindii , et pilas opcribus subdiias dissipât; quid est, qiare quis- quam dignuni adnntari putet, seclam esse aviualiler ali imo ad caput in partes duas statuain? Qiiare lainen i er plures (lies motus fuit ? ISDn desiit eiiiui assidue ti cniere Campania , clementius quideni , sed ingeuli dauino, quia pressa et quassa qu tiihal; quilius ad cadeudum maie stanlil)us , non erat inipelli , sed agitari. TS'ondum vide- licet spiritus omnis e.vicrat, sed adbuc omissa parle ma- jore obenahat. XXXI. Inter argumenta quibus proliaiur spiriiu ista lieri, non est quod dubiles et hoc ponere. Quuui niaxl- mus editus tremor est, quo in urlies tcirasiiue saviium est, non potest par illi stibsequi alius , sed post maxi- mum levés inolus sunt, quia vehemenlius esiium \entis Inclautibus fecit. ReliquiiP deinde residui spirilus non id«m possunt, nec illis pugna opus est; qnuin jam viara «■reoerint , seqoanturjue eam qiin prima vis ac raaxima evasit. Hoc qnoque dignuni itiemoria judico, ab erudi- tissimo et gravissirao Tire cognitum ; forte enim quiim tioc cvenit , lavabalur. Yidisse se afGrmabat in balneo tes- scllas, quibns soliun crat stratura, alteram ab altéra se- parari , iterumque coramitli; et aquam modo recipi in commissuras, pavimento recpdenle; modo , compresso, l)ulliic et elidi. Eunidem audivi narrantem, vidissese, molles malarias motlius crebriusque tremere, quam na- tura duras. XXXII. Haec , Lucili virorura oplime, qnantum ad ipsas causas. Ilta nuncqus ad conflrmationem animorum pertinent, quos magis refert nostra forliores fieri , quam doclioresl Sed alteruni sine allero non fit. Non enim aliunde animo venil robur, quam a bonis artibus, quam a contcmplatione natura;. Quem enim non hic ipse casus adversus omnes firmavcril et erexeril? Quid est enim , cur ego hominem aul feram , quid est , cur sagittam aut lanccam tremam ? majora me pericula exspeclanl. Fnl- miuibus et terris , et magnis natura» partibus petimur. In- genli ilaque animo mors provocanda est , sive nos a-quo vastoquc impetu aggreditur, sive quotidiano et vnlgari exitu : nibil refert, quam minai veniat, qnantumque slt, quod in nos trabal; quod a nobis petit, minimum est. Hoc seneclus a nobis ablatura est, hoc auricalae dolw, boc in nobis burooris corrupti alumdaatia, lioc cibuj im- ] QUESTIONS n'est rien. Ce rien, la vieillesse, un mal d'oreille, quelque peu d'humeur viciée , un mets antipa- Ibique à l'estomac, une égralignure au pied peu- vent nous Kenlever. C'est peu de chose que la vie de l'homme ; mais c'est beaucoup de savoir la mé- priser. Qui méprise la vie, verra sans trembler les mers bouleversées , quand elles seraient battues de tous les vcnis, quand un flux extraordinaire , amené par quelque grande révolution , ferait de toute la terre un océan. Il verra sans pâlir l'hor- rible et menaçant tableau d'un ciel qui vomirait la foudre, et dont la voûte brisée anéantirait sous ses feux toute la race humaine, et lui le pre- mier. Il verra sans pâlir se rompre la charpente du globe entr'ouvert sous ses pieds. L'empire niêmr. des morts se découvrît-il "a ses yeux , sur le bord de l'abime , il demeurera ferme et debout; peut-être même, puisqu'il y devra tomber, se précipitera-t-il. Que m'importe la grandeur de l'instrument de ma mort? La mort elle-même n'est pas si grand'chose. Si donc nous voulons vivre heureux et n'être en proie ni 'a la crainte des dieux , ni à celle des hommes ou des choses , et regarder en dédain les vaines promesses de la for- tune , comme ses puériles menaces ; si nous vou- lons couler des jours tranquilles et le disputer aux immortels mêmes en félicité, tenons toujuors notre âme prête 'a partir. Si des pièges nous sont dressés, si des maladies, si les glaives ennemi'!, si le fracas de tout un quartier qui s'écroule, si la ruine du globe ou un déluge de feux embrassant cités et campagnes dans une même destruction , si lun ou l'autre de ces fléaux menace ou demande notre vie, qu il la prenne. Qu'ai-je à faire , sinon de ré- NATURELLES. SOI conforter mon âme au départ, de la congédier avec de bons auspices , de lui souhaiter courage el bonheur, de lui dire : N'hésite point a payer ta dette. Elle n'est point douteuse ; l'époque seule du paiement l'était. Tu fais ce que tu devais faire tôt ou tard. Point de supplications, point de crainte ; ne recule pas, comme si tu allais au devant du malheur. La nature, dont tu es fille, t'appelle eu ' une meilleure et plus sûre patrie. Là , point de sol qui tremble ; point de vents qui fassent reten- tir les nues de leurs luttes bruyantes; point d'in- cendies qui dévorent des villes, des régions en- tières; point de naufrages qui engloutissent toute une flotte; point d'armées où , suivant des dra- peaux contraires, des milliers d'hommes s'achar- nent avec une même furie "a leur mutuelle des- truction ; point de ces pestes qui entassent sur un bûcher commun les peuples pôle-mole expirants. La mort est peu de chose : que craignons-nous? Si c'est un grand mal , niienx vaut qu'il nous frappe une fois, que s'il planait sans cesse sur nos têtes. Craindrai-je donc de périr, quand la terre elle-même périt avant moi ; quand le globe, qui fait trembler toutes choses, tremble le premier, et ne me porte atteinte qu'à ses propres dépens? Hé- lice et Boris ont été totalement englouties par la mer, et je craindrais pour ma chélive et unique personne! Des vaisseaux cinglent sur deux villes, sur deux villes que nous connaissons, dont l'his- toire a gardé et nous a transmis le souvenir. Com- bien d'autres cités submirgées ailleurs! Que da peuples sur lesquels la terre ou les flols se sont refermés ! Et je ne voudrais pas de fin pour moi , quand je sais que je dois finir, que dis-je? quand rum obseqaeos stomaclio, lioc pes leyitcr offensus. Fu- silla rcs est hominis anima ; sed iogens res est coiilcmtus aDims. Hancqui conlcmserit, securusTidebit maria tur- bari ; eliamsi iila omnes eicilaveriiit venti , ctiaiusi a'slus, aliqua pcrturbatione rnundi , totarn ia terras Terteiit oc^anum. Securus adspicict fulminanlis coeli Iruccni et horridam faciem ; fran^alur licet cœlum , et ignés suos ia eiitium omnium , in primis snum , misreal. Securus adspicict ruptis compagibus deliiscens solum. lUa licet in- feromm regua retegantur, slabit super illam voragincm iutrepidus; cl forlassc quo débet cadcre, desiliet. Quid ad me, quam siut magna quibus pereo? Ipsum perire non eit magnuni. Proinde si volumus esse felices , si nec ho- minuro , ncc deorum , nec rcrum timoré veiari , si dcspi- tcrc Fortuaam siipcrvacua promitteulem , Icvia niinitan- lem , si volumus tranquille degere , et ipsis Diis de fi lici- Jate controversiam facere , anima in etpediln est habenda. Si?e iîlam insidiie , sive morbi pètent, sive boslium gla- dii, siTciosulanim cadentium fragdr, sive ipsarum ruina terrarum , siïe Testa vis igniiini , urbes agrosqiie pari dade compleia , qui volet , illam accipiat. Quid aliud de- bec, quam escunlem bortari, et cum bonis omlnibus cmiltere : Vade fortiter, vade féliciter? Piihil dubita- veris reddcrc. Non de re , srd do Icrapiire est qusestio. Fa- cis quod quandoquc racicndurn er^t. Ncc rogaveris , neo timueris, nec te vclut in aliquiid malum eiilurum tuleris rétro. Rcrum natura le, qiia' genuit, esspeclat, et lo- cus melior ac Iuliur. Jllic non tremunt trrrx, ncc inter se venti cura magno nubium fragorc concurrunl , non in- cendia rcgiones urbesquc vasljint , non naufragiorum to- tas classes sorbentiuni nictus est, non arma conirariis dii- posila veiilli^, et in muliiam pernicicm nmltorum niillium p:!r furor, non pcslilenlia, et ardentes promiscuc com- munes populs cadentibus rogi. Istud levé est : t\uUi linie- mus? Grave est : potius semcl incidal, quam seniper im- pendcat. Ego autom porire linicam , (|uum terra ante me ppreat, qtmm ista quatianlur qux qualinnt, elininju- riam nostnmi non sine sua veniuiit ? Hilicen Burinqua lolas marc accepit; e^o de uno corpusculo linieam ? Su- pra oppida duo navigalur; duo auleni, quae novhnus, quaî in uostram nntitiara m«ctanius, iiilemiganius, ostcudiiiius. Adco na- turalc (SI , iiLigis nova , qiiam magna miniri. Idem in lomelis fil. Si rarus et insolils ligurs ignis apparuit, nemo nnn 'cire quid sit, cupil; et olditns aliorum, de adventitio qua-rit; ignarus , utrum debealniirari, an ti- mere. Non cnim desunt qui lerrcant , qui signilîcationes ejusgrafes pra-dicenl. Sciscitantur iwque, et cosnosccre volant, prodigiunisit,:ia sidus. M mcbercnles non aliud quis aut maenificcntius c|ua>s:erit , aut didicerit utilius , quant de steilarum siderumque nalura; utrum llamma contracta, quod et visu* nosler affirmât , et ipsum al> aliis fluens lumen, etcalor indertescendtnsj an non sintlliini- mei orbes , sed soliiia quaedam lerrenaque ccirpora , (|ua! pcr igneos traclm labeutia inde splendorem Irahant, coio- remque, non de sno clara. In qua opinionc niagni fiiere vlri , qui sidéra crediderunt ei duro concreta, et ignem ■liennm pascenlia. Nam per te, inquiunt, llamma diffu- gcret, nisi aliqnid haberet quod teneret, et a quo lene- retur; conginbatamque nec slatiili inditam corpori pro- fecto jam niundus turbine .suo dissipasset, II. Ad ba'c investicanda proderit quaerere, num co- metae ejiis conditionis sint , cnjus supcriora. Vidcntur eaim cum iliis qua-dam liabcre communia , ortus et oc- Ciisus, ipsam qnoque, (]uam\is spargantiir et liingius exeant, facicni; œque enini ignei splendidiquc sunt. Ila- que si omni.i terrena sidéra sunt , liis q inque cadim sors erit. Si vero nihil aliud sunt quini purus ignis, nianent- que mensibus scnis, nec illus ronvcrsio minidi solvit et velocilas ; illa qnoque possunl et lenui constare materia , UPC linc discuti assidno C'cii circuuiactn. Illo qnoque per- tinet)it boc tïcu.ssisse , utscianins, utrum mundus terra stante circunieat , an mundo stanle terra vertatur. Fue- ruot enlm qui dicerent , nos esse, quos rcrum natura nc'scienles ferai, nec cœli motu lier! ortus et occasus, ip- 60S oriri et ocddere. Digna rcs est conlemplalione, ut sciamus , in quo reruni slatn simus ; pigerrimam sorliii , an veloc ssimain scdem ; circa nos Deus oinnia , an no» agal. ÎSecessarium est auteni, vetcrcs orlus comelarum hal]ere cnllcctds. Deprebendi enini propter raritatera eo- rum cursus adbuc non potest , nec eiplorari , an vice» servent, et illos ad suum diem certns ordo producat. 504 cente et ne s'est introduite que depuis peu dans la Grèce. III. Démocrile , le plus sagace des pliilosophes anciens, soupçonne qu'il y a plusdëloiles erran- tes qu'on ne croit : mais il n'en fixe pas le nom- bre, et ne les nomme point; le cours des cinq planètes n'était pas même alors déterminé. Eu- doxe, le premier, a transporté cette théorie d'E- gypte dans la Grèce : toutefois il ue dit rien des comètes; d'où il résulte que les Egyptiens mêmes, le peuple le plus curieux d'astronomie, avaient peu approfondi cette partie de la science. Plus tard , Conon , observateur aussi des plus exacts , consigna les éclipses de soleil qu'avaient notées les Egyptiens, mais ne fit aucune mention des comè- tes, qu'il n'eût point omises , s'il eîit trouvé chez eux la moindre notion sur ce point. Seulement, deux savants qui disent avoir étudié chez les Chal- déens, Epigèueet Apollonius de Myndes, ce der- nier si habile astrologue , diffèrent entre eux sur ce même sujet. Selon Apollonius, les comètes sont mises par les Chaldéens au nombre des étoi- les errantes, et ils connaissent leurs cours; Epi- gène, au contraire, dit qu'ils n'ont rien d'arrêté sur les comètes, mais qu'ils les prennent pour des corps qu'cnûamme un tourbillon d'air violemment ronle sur lui-même. IV. Commençons, si vous le voulez bien, par exposer le système d'Epigène et par le réfuter. Saturne est, selon lui, la planète qui influe le plus sur les mouvements des corps célestes. Lors- qu'il pèse sur les signes voisins de Mars, ou qu'il entre dans le voisinage de la lune, ou en conjono- SÉNÈQUE. tion avec le soleil , sa nature froide et oragense condense l'air et le roule eu globe sur plusieurs points; s'il absorbe ensuite les rayons solaires, le tonnerre gronde et l'éclair luit. Si Mars con- court à son action , la foudre éclate. Outre cela, dit-il, les cléments de la foudre ne sont pas les mêmes que ceux des éclairs : l'évaporation des eaux et de tous les corps humides ne produit dans le ciel que des lueurs menaçantes, qui restent sans effet; mais plus chaudes et plus sèches , les exhalaisons que la terre envoie font jaillir la foudre. Les poutres , les torches, qui ne diffèrent entre elles que par le volume, ne se forment pas autrement. Lorsqu'un de ces globes d'air, que nous appelons tourbillons , s'est chargé de parti- cules à la fois humides et terrestres, quelque part qu'il se porte, il offre l'aspect d'une flamme éten- due; et l'apparition dure autant que subsiste cette musse d'air saturée d'éléments humides et ter- restres. V. Réfutons d'abord la dernière de ces erreurs, et disons qu'il est faux que les poutres et les tor- ches soient produiiespar des tourbillons. Le tour- billon ne se forme et ne court que dans le voisi- nage de la terre : aussi déracine-t-il .les arbustes et dépouille-t-il le sol partout où il se jette , em- portant quelquefois les forêts et les maisons; pres- que toujours plus bas que les nuages , j.imais du moins il ne s'élève au-dessus. C'est dans une par- tie plus élevée du ciel que paraissent les poutres, et jamais on ne les voit entre la terre et les nua- ges. De plus, le tourbillon est toujours plus rapide ijMc les nuages et il est lancé circulairement ; en- Nova hœc cœlcstium ol)serïalio est, et nuper in Gnrciam iaTecta. III. Demncritus quoqne, sublilissimus antiquorum om- nium, suspicarl fiil se, plures siellas esse, quae curranl; sed ncc nunicrum iilariim posuit, necnoniina, noniium comprehensis quinque sidcruni cursibus. Euilosns pri- mas ab jCgyplo lios moins in Graeciam translulil. Hic tnraen de cometis nihil dicit. Ex quo apparct, ne apud yCgyplios quiilem, qnilnis major cœli cura fuit, banc parlera clabciratam. Conon poslea diligens et ipse inqui- sitor, defecliones quidem solis servalas ab ^gyptiis col- îegit , nul!am autem nientioaeni fecit cometarum ; nr n practermissuius , si qnid explurali apud illos compcrisset. Duo ceric, qui apud Cbaldiocs studuisse se dicunt, Epi- genes et Apollonius Myndius , perilissinms inspiciendo- rum nataliuni , inter se dissident. Uic enim ait , tometas in numéro stellarnm enanliuni poni a ChaldaMs, tene- riquc cursus eorum. Epigenes contra ait , Chalda-os nihil de conielis habere comprehensi , sed videri illos accendi turbine quodam aeris concilati et intorti, IV. Pnnium ergo , si tibi videtur , opinione s tiujns po- namus, ac refellamus. Iluic videtur plurimum viiium Uaioere ad omnes sublimium motus Stella Saturni. H«c qunm proiima signa ïlarli premit, aut in lunas viciniam transit, aut in solis incidit radios, nalura ventosa et fri- gida contrabit pluribus locis aéra, conglobatque. Deinde si radios Solis assumsit, tonat, fulguralque. Si Martem quoqucconsenlicnlem habet, fulminât. Praetereiijnquit, aliam materiam lialient fulmina , aliam fulgnralioues. Aquarum enim et omnis humidi evaporalio splendores tantum cœli citra iclum minaces movet; ilb autem calî- dior sicciorque lerrarnm eshalatio fulmina extundit. Trabes vero et faces , quîE nulle alio inter se quam mag- nitudine distant , hoc modo Gunt. Quum bumida terrena- que in se globus aliqu'S aeris clausit , quem turbinem di- cimus, quacnnque fertur, pra»bet speciem ignis extenli, qua; tamdiu durât, quamdiu mansit aeris illa compleiio, bumidi inlra se terrenique multum vehens. V. Ut a proiimis mendaciis incipiam , faisum est, fa- ces et trabes exprinii turbine. Turbo enim circa terras concipitur ac fertur. Ideoque arbusta radicitus vellit , et quocunque incubuit , solum nudat; silvas intérim et tecta corripiens, inferior fere nubibus , utique nunquam altior. At contra trabes cditior cœli pars ostentat. Ita nunquam nubibus obstiterunt. Praîterea turbo omni nube velocior rapitur, et in ci t>em vertitur. Super ista Telociter desi< QUESTIONS N On , il cesse brusquement el crève par sa violence niêine. Les poutres ni les lorclies ne traversent pas le ciel d'un horizon à l'autre ; elles stationnent et brillent toujours sur le même point. Charimau- dre, dans son traité des comètes, dit qu"Anaxa- gore vil dans le ciel une lumière considérable et extraordinaire , de la dimension d'une grosse pou- tre, et que le météore dura plusieurs jours. Une flamme allongée, d'un aspect semblable, au rapport de Callisthène , précéda la submersion d'Hélice et de Buris. Aristoïc prétend que ce n'était pas une poutre, mais une comèle. dont au reste, vu l'ex- Ircme chaleur de la saison , les feux disséminés n'avaient pas frappé les regards ; mais que plus tard la température radoucie laissa la comèle pa- raître ce qu'elle était. Cette apparition, remar- quable sous plus d'un rapport, l'est surtout eu ceci , qu'aussitôt après la mer couvrit ces deux villes. Aristotc regardait-il cette poutre, ainsi que toutes les autres, comme des comètes? Mais il y a cette différence que la flamme des poutres est con- tinue, et celle des comètes éparpillée. Les poutres brillent d'une flamme é^iale, sans solution de con- tinuité , sans affaiblissement, seulement plus con- centrée vers les extrémités. Telle était, d'après Callisthène, celle dont je viens de parler. VI. Il y a, ditEpigène, deux espèces de comè- tes. Les unes projettent en tous sens une flamme vive, et ne changent point de place ; les autres ne jettent que d'un côié une flamme éparse comme une chevelure, el passent au milieu des étoiles ; de cette espèce furent les deux comètes que notre siècle a vues. Les premières sont hérissées dans ATURELLES. 505 leur contour d'une sorte de crinière ; immobiles , elles avoisinent la terre el sont produites par les mêmes causes que les poutres et les torches , par les modifications d'un air épais qui s'imprègne des émanations humides et sèches de notre globe. Ainsi le vent , comprimé dans des lieux étroits, peut enflammer l'air supérieur , s'il est riche d'é- léments inflammables ; il peut ensuite repousser de ce centre lumineux l'air voisin, qui rendrait fluide el ralentirait le globe de feu; enfin, le lendemain et les jours suivants, il peut s'élever encore pour enflammer les mêmes points. Nous voyons, en effet, les vents plusieurs jours de suite renaître aux mêmes heures. Les pluies et les au- tres météores orageux ont aussi leurs retours pé- riodiques. En un mot, pourénoncersonimairement la théorie d'Epigène, il croit ces comètes formées d'une manière analogue à l'explosion de feux qu'a- mène un tourbillon. La seule différence est que les tourbillons viennent fondredes régions supérieures sur le globe , au lieu que les comètes s'élèvent du globe vers ces mêmes régions Vil. On fait contre ce système plusieurs objec- tions. D'abord , si le vent était ici cause agissante, il venterait toujours à l'apparition des comètes ; or, elles se montrent par le temps le plus calme. Ensuite, si le vent leur donnait naissance, elles disparaîtraient h la chute du vent; si elles com- mençaient avec lui , elles s'accroîtraient de même ; elles auraient d'autant plus d'éclat qu'il aurait plus de violence. A quoi j'ajouterais encore que le vent agit sur plusieurs points de l'atmosphère, el que les comètes ne se montrent qu'en une seule nit, et ipse >c sua li rompit. Trab^-s autem non trans- cnrrunt, nec praplervolanl , ut faces , .'CrI ci)iiiniis , et id per multos dies (uLsisse. 'l'alcni rfligiem ignis longi fuisse Callistbcnes tradit, aoteqii»m Burin el Ilclicen mare absconderet. Arisluleles ait, non tnilKm illaui , eed coraetain fuLsse ; ccterum ob niniiuiii ardiirem non apparaisse sparsaui ignem , sed proccdenle teinpiirc, quuin jam minus flagrarct, redditam suam cuniclx fa- cicm. In qu» igné multa quidem fuerunt digna qux no- tarenlur ; nihil lamen magis , quam qucd , ut ille fulsit in r«elo , stalim supra Burin et Ilelicen mare fuit. Num- quid ergo Aristoteles non illam tanluin , sed onines tra- lies conietas esse credebal? Hanc ha!>et is differentiam , qucMl iis continuui ignisest, céleris sparsus. Tralics enini Oammani a?qualrm babcnt , nec ullo liico internii>sain modo, noa posse diu Torlieem permaoere, oec supra luDam, aut usque in stellanim locuni crescere. Nempe erficit turbinent pturium vento- ruin inler ipsos lucta.io. lise diu dod potcst esse. Nain quum va;>as et incerlus spiritus coovulutalus est , novis- Mincuni «is omuium ccdit. ISuila autem tempeslas magna perdurât. Procellx quanto plus liabeat virium, tanto mi- nus temporis. Venti quum ad summum Tcnerunt , remit- liinturonmi violentia. N'ecesse est ista coDci:atione in exi- tiuni sui tendant. Piemo itaque turbinem loto die vidit, Bphora quidera. Mira teli)cilasejus,et mira bre?ilasest. Praterea violentiusccleriusqueia terra circaqueeam toI- Titiir; quo celsior, eo solulior, laiiorque est, et ob hoc diltundltur. Adjice nunc , quod etiamsi in summum per- tenderet, ubi sideribus iler est, utique ab eo motu, qui uniTersum Iraliit, solveretur. Quid enim est illa conver- siiioe mnndi cilalius ? bac omnium tentorum in unum con- ]ccta vis dis>ip3retur , et terrœ tolida furtisquecompages, uedum particula aeris tnrti. X. Praeterea in allô manere non potcst ignis turbine iliatus, nisi ipee qnoqae permaneret turtKi. Quid porro tam incredibile est, quara in turbine longior mora ? Uti- que mutus molu cnnlrario vincitur ; habct enim suam lo- •M ille rerligincm , >ioie rapit co-tum , Sidcraque alla traliil , celeriqne volumine torquet. Et ut det pis aliquam adrocationem, quod fleri nulle modo potest; quid de bis cometis dicelur, qui senis mensibut apparuerunl ? Deinde duo debent esse motus eodcni loco; alterilte divinus et assiduus, suum sine intermissionc per- agens opus; alter novus et recens, et turbine illalus. Necesse est ergo aller alleri Impedimento sit. Atqui lu- naris illa urbila , ccterorum(|ue supra lunam meanlium motus irrevocabilis est; nec ba.'sitat usijuam , nec resistit, uec dat ullam nobis suspiciouem objectiB sibi morx. Fi- dem non babet , turbinem , viulcntissimum et perturba- tissimum tempestatis gcnus , in médius siderum ordines pervenire , et inler disposita ac Iranquilla versari. Cre- damus ignem circumacio turbine accendi , et hune expul- sum in sublime, praebere nohis opinioncm speciemque sideris longi? At, puto, taie esse débet, quale est id quod ignem efficit. Turbinis aulem rotunda (actes est. In eo- dera enim vesligio versatur , et culumnx modo circumii- gentis se volvitur. Ergo ignem quoque qui inclusus est, similcm esse illi oportel. AUpii longus est , et disjectus , minimeque similis in orbcm coacto. XI. Epigcncm relinquamus, elallorum opinioncs per- sequamur. Quas antequam eiponere incipiam, iUud in 508 levant tout comme au couchanl ; mais le plus sou- vent vers le nord. Leur forme est variable; car, quoique les Grecs en aient fait trois catégories : l'une, dont la flamme pend comme une barbe; l'autre, qui s'entoure d'une sorte de chevelure; la troisième, qui projette devant elle un cône de lu- mière ; tonles cependant sont de la môme famille, et portent justement le nom de comètes. Mais , comme elles n'apparaissent qu'à de longj interval- les , il est difflcile de les comparer entre elles. Durant même leur apparition , les spectateurs ne sont point d'accord sur leurs caractères; mais, selon qu'on a la vue plus perçante ou plus faible , on les dit plus brillantes ou plus rouges, on juge leur chevelure plus ramassée sur le corps de l'as- tre, ou plus saillante sur les côtés. Au reste, qu'il y ait entre elles quelques différences ou qu'il n'y en ait aucune, il faut nécessairement que toutes les comètes soient produites par les mêmes causes. Le seul fait bien constant , au sujet dos comètes, c'est que leur apparition est insolite, leur forme étrange, et qu'elles traînent autour d'elles une flamme échevelée. Quelques anciens se sont ar- rêtés à cette explication-ci : Quand deux étoiles errantes se rencontrent, leurs lumières, confon- dues en une seule, offrent l'aspect d'un astre allongé; ce phénomène doit se produire non-seu- lement par le contact, mais par l'approche même des deux corps. Car alors, l'intervalle qui les sé- pare, étant illuminé et enflammé par toutes deux, doit figurer une longue traînée de feu. XII. A cela nous répondrons que le nombre de SÉNÈQUE. ces étoiles mobiles est déterminé , et que toutes paraissent alors même que la comète se montre : il est donc manifeste que ce n'est pas leur jonction qui produit cet astre, lequel a son existence pro- pre et indépendante. Souvent même une planète passe sous l'orbite d'une autre plus élevée , par exemple, Jupiter sous Saturne, Vénus ou Mer- cure sous Mars, qui est alors perpendiculairement au-dessus, sans que de ces rapprochements ré- sulte la formation d'une comète, ce qui, sans cela, aurait lieu chaque année ; car tous les ans il se rencontre quelques planètes dans le même signe du zodiaque. S'il suffisait, pour produire une co- mète, qu'une étoile passât sur une autre étoile , la comète ne durerait qu'un instant, le passage des planètes étant des plus rapides. C'est aussi pourquoi toute éclipse est si courte; les astres se séparent aussi vite qu'ils se sont rapprochés. Nous voyons le soleil et la lune se dégager en quelques instants des ténèbres qui les obscurcissent : com- bien les étoiles, si petites comparativement, doi- vent-elles être promptes 'a se séparer ! Cependant des comètes durent jusqu'"a six mois ; ce qui n'ar- riverait pas, si elles étaient produites par l'union de deux planètes , puisque celles-ci ne peuvent rester longtemps unies, et qu'elles doivent suivre incessamment la loi de vitesse qui les régit. Ces planètes d'ailleurs, qui nous semblent voisines entre elles, sont séparées par d'immenses inter- valles. Comment les feux d'une de ces étoiles pourraient-ils se porter iusqu"a l'autre , de ma- nière à les faire paraître réunies , malgré tout l'es- primis praesumendum est, comelas non in nna parte cœli adspici, nec in signifero tautum orl)e, sed tam in oitu quam in occasii , frequentissirae tamcn circa septcntrio- nem. Forma eis non est una. Quamvis enim Gra?ci dis- crimina feceiint eorum quilius in morem liarlia» flamiiia depcndet , et eorum qui undique circa se velut comam spargunt , et eorum quibus fusus quidem est ignis , sed in verlicem tendens; tanien omnes isti ejusdem nolœsunt, cometa'que recle dicuntur. Quorum quum post longum tempus appareant formae , inter se eos comparare difficile est. llio ipso lempore, quo apparent, inler speclantes de habitu illorum non convenil; sed proutcuiqueacrioracies aut tiebctior , ita dicit aut lucidiorem cs^e aut rubicun- diorem , et crincs aut in iuteriora dedtictos , aul iu latera divisos. Sed sivesint aliquœ differentia; illorum , sire non sint, eadem fiant ratione nccesse est cometae. Iijud unum constare débet, praeter solilum adspici novam sideris fa- ciem , circa se dissipatum ignem tialicnlis. QuibuNdam antiquorum baec placet ralio : Quum ex siellis errantibus altéra se altcri applicuit , confuso in unum duarum lu- mine, faciem longions sideris reddi. INec hoc tune tan- tum evenif , quum Stella stellam attigit , sed eliam quum appropinquavit. Intervallum enim , quod inler duas est, illustratur ab ulraque, inflammaturque , et longum ig- nem efflcit. XII. Ilis illud respondebimns , cfrtum es«e numerum stellarum mobilium. Solere autem eodem lempore et bas apparerc, et cometen. Es quo manifeslum fit, non illa- rum coitu fieri cometen , sed proprium et sui juris es^e. Eliamnunc fréquenter Stella sub altinris stellae vcstigium venit ; et Saturnus aliquando supra Jovcm est , et Mars Venerem aut Mercuiium recta linca despicit; nec tameo propter hune cursum , quum alter alterum subit , comè- tes fit; alioquin annis omnibus fierct; omnibus enim ali- qua; stellae in eodem signo simul sunt. Si conietani face- ret Stella stelléE superveniens, momenlo esse dosineret. Summa enim yelocitas Iranseuntium est. Idco onmis si- derum defeclio brcvis est; quia ci!o illasidem cursus, qui admoTerat, abstrahit. Videmus solem et lunam intra eii- guuui tempus , quum obscurari cœperint, liberari; quanto celerior débet fieri in stellis digressio, lanto niinoribusf Atqui cometae senis mensibus manent; quod non accide- ret, si duarum stellarum convcntn gignerentur. lllae enim diu cohaerere non possunt , et necesse est , ut illas lei ce- leritatis suae scmper agat. Praeterea ista nobis vicina vi- dentur, celerum interTallis ingentibus dissident. Quo- modo ergo polest altéra stella usque ad alteram steltam ignem mitlere , ita ut utraque juncla videatur , quum sint ingCDii rcgione diductae? Stellarum , inquis, duarum lu- men niiscctur, et prapl)et unius speciem. Nempe ric^ I QUESTIONS N pace qui les tient respectiveiaent éloigaées? La lumière de deux étoiles, dites-vous, se confond sous une môme apparence , de môme que les nua- ges rougissent quand le soleil les frappe, de même que le crépuscule el l'aurore prennent une teinte dorée, ou que l'iris , eu présence du même astre, réfléchit tour "a tour des couleurs diverses. Mais , d'altord , tous ces effets sont dus a une cause très- active; c'est le soleil qui produit ces teintes en- flammées. Les planètes n'ont pas même puissance; et d'ailleurs, tous ces phénomènes n'arrivent que dans le voisinage de la terre, au-dessous de la lune. La région su|)érieure est pure, sans mélange qui l'altère , el a toujours sa couleur propre. Et si pa- reil phétiomène s'y manifestait, il n'aurait pas de durée, il disparaîtrait bien vile, comme ces cou- ronnes qui se forment autour du soleil et de la lune, et qui s'effacent presque aussitôt. L'arc-en- ciel même ne dure guère, et si la lumière de deux planètes pouvait remplir l'espace intermédiaire entre elles, elle ne serait pas moins prompte à se dissiper, ou du moins ne subsisterait pas aussi longtemps que les comètes. Les planètes décrivent leurs révolutions dans le zodiaque , el l'on voit des comètes sur tous les points : l'époque de leur ap- parition n'est pas plus tiie que les limites tracées 'a leur orbite. XIII. Artémidore répond que les cinq planètes connues sont les seules observées, mais non pas les seules existantes ; qu'il nous en échappe une foule innombrable, soit que l'obscurité de leur lumière nous les cache, soilq'iy h position de leur orbite ne nous permette de les voir que quand elles en touchent le point extrême. Il intervient donc , se- qaemiidniodnin nibicunda lit nuhes solis incurta , quem- admodum vespertina aut matutiai flavescunt , qaemad- innduiD arcus l'Ilrriie npc oisi sole pingitur. Ha>c unnnia prinium magna ù elTîciiiDtur. Sol cnim est, qui ista suc- cendit. Stcllaruin non est eadem potentia. Deinde nihil honim, nlsl infra luaam io terrarum vicinia nascilnr. Supiriora ptira et lincera snnt , et coloris sui seniper. Praelerea >i quid tsie accideret , non halwret morain , sed eistingueretnr cito; sicut coronx, (]ux so!em hinamve cingunt, intra brctisslinum spatium cxolcsciiat. Nec ar- cu» quidem diu perseyerat. SI quit esset taie , que mé- dium inter duas slellê»spntiuin confundcrelur , œque cito diliiberetui . ly'tique non in tantum mancret, quantum morari comelx «oient. Stellis intra signiferuin cursus est, hune gyrum prémuni; al cometœuliiqueccrnunlur. Non magis certum est illis tempus quo appareant , quam locuj ulljs , ultra qucm non cieanl. XIII. Adtersus boc ab Artemidoro llla dicuntur, non has tantum stellas quinque discurrere , sed scias obser- vatas esse. Ceterum innumcralilles ferri per occullum , ant proptcr obscuritatein luminisnobisignotas.Hutprop- ter circulurum posiliooem lalem , ut tnnc dcmum , quum ATURELLES. 509 Ion lui , des étoiles nouvelles qui confondent leur lumière avec celle des étoiles fixes, et projettent une masse de flammes plus considérable que celle des étoiles ordinaires. De tous les mensonges d'Ar- téuiidore, celui-ci est le plus léger; car sa théorie du monde n'est, d'un bout à l'autre, qu'une fable absurde. A l'eu croire, la région supéricuVe du ciel est solide , et résistante comme le serait un toit; c'est une voîite profonde el épaisse, qui n'est autre chose qu'un amas d'alomes condenses ; la couche suivante n'est formée que de feux, el elle est si compacte qu'elle ne peut ni se dissiper ni s'altérer. Elle offre néanmoins des soupiraux , et connue des fenêtres par lesquelles pénètrent les fenx de la purlie cxléiieure du monde, non pas toutefois en si grande quantité qu'ils en puissent troubler la partie intérieure , de laquelle ils re- montent au-dessus du ciel. Ceux qui paraissent contre l'ordre accoutumé proviennent de ce foyer extérieur. Réfuter de telles choses serait donner des coups en l'air, et s'escrimer contre les vents. XIV. Je voudrais pourtant que ce philosophe, qui a fait au ciel un plancher si ferme, m'expli- quât pourquoi nous dovons croire h l'épaisseur dont il nous parle. Quelle puissancca perlé si haut ces masses si com|)actcs, cl les y retient? Des élé- menls si niavsifs sont nécessairement d un grand poids. Or, comment des corps pesants restent-ils au plus haut des cienx? Comment cette masse nu descend-elle pas , ne se brise-t-elle pas par sou poids? Ca-r il ne peut se faire que ces blocs énor- mes, arrangés par Artémidore, demeurent sus- pendus et n'aient qu'un fluide léger pour appui. On ne dira même pas que certains liens les relien- ad eilrema eomra venere, Tisanlnr. Ergo ÏDtercnrrnnt quardam slelhe, ut ait, nobis nova;, qua; lumen suum cuni slanlibus misceant , et majorcm quam stellis mes esl, porrigant igneni. IIoc ex bis qua; mcnlitur, levissimum est; tota ejus narratio niundi niendacium irnpudens est. Kam si illj crcdimus, summa cojli ora sobdissima est, in modum tecti durala , et alti crassiquecorporis, quod atomi congeslae coaccrvalœque fccerunt. Unie proxinia super- Hcics est ignea , ita compacta , ut solvi viliarique non possit. Haliet tamen spiramcnta quaidam et quasi fencs- tras, per quas ex parte exteriore niundi influant ignrs, non tam magni, ut inleriora conlurl)ci)t. Rursus ex modo in extcriora labuntur. Ilaque ha?c qua; prœter consuetu- dinem apparent , influxenint ex illa ultra mundum jacenti materia. Solvere ista quid .iliud e»t. quam mauum exer- cerc, cl in veiitum jaclarc bracbia ? XIV. Velini tamen milii dicat iste, qui mundo tam fir- ma lacunaria imposiiit , quid sit quare credamus illi taov tam esse crassitudinem cœli. Quid Tuit, quod illo tam solida corpora adduceret, el ibi delineret? Deinde quod tanlx crassitudinis est , necessc est et magni ponderis sit. Quomodo ergo in snmrao manent gravia ? Quomodo illa 510 SÉNÈQUE. nent extérieurement et empochent leur chute, ni qu'entre eux et nous il y ait des supports sur les- quels ils pèsent et s'étaient. On n'osera p3s dire non plus que le monde est emporté dans l'espace, et qu'il tombe éteruellement sans qu'il y paraisse , grâce a la continuilé même de sa chute, qui n'a pas de terme où elle puisse aboutir. C'est ce qu'on a dit delà terre, faute de pouvoir expli(iut'r com- ment cette masse dcn curerait flxe au milieu des airs. Elle tombe éternellement , dit-on ; mais on ne s'aperçoit pas de sa chute , parce qu'elle s'opère dans l'immensité. Qui vous autorise ensuite 'a con- clure que le nombre des planètes n'est pas borné à cinq ; qu'il y en a une foule d'aulres, et sur une foule de points? Si vous n'avez pour le conclure aucun argument plausible, pourquoi ue dirait-on pas aussi que toutes les étoiles sont errantes ou qu'aucune ne l'est? Enfin, toute cette multitude d'astres vagabonds vous est d'une faible ressource ; car, plus il y en aura , plus leurs rencontres se- ront fréquentes : or, les comètes sont rares, et c'est pour cela qu'elles étonnent toujours. D'ail- leurs, le témoignage de tous les siècles s'élève con- tre vous; car tous ont observé l'apparition de ces astres et en ont transmis l'bistoiie à la postérité. XV. Après la mort de Démétrius, roi de Syrie, père de Déraétriu.s et d'Antiochus, peu de temps avant la guerre d'Achaïe, brilla une comète aussi grande que le soleil. Son disque était rouge et en- flammé, sa lumière assez éclatante pour triom- pher de la nuit. Insensiblement elle diminua de grandeur, son éclat s'affaiblit; enfin, elle disparut totalement. Combien a-t-il donc fallu d'étoiles rén- nies pour former un si grand corps? L'assem- blage de raille astres de celte espèce n'égalerait pas la grosseur du soleil. Sous le règue d'Atlalus, on vit une comète, petite d'abord, qui ensuite s'éleva, s'étendit, s'avança jusqu'il l'équaleur, et grossit au point d'égaler, par son immense éten- due , cette plage du ciel qu'on nomme Voie lactée. Combien encore n'a-t-il pas fallu d'étoiles errantes pour remplir d'un feu contiuu un si grand espace du ciel? XVI. Maintenant que j'ai réfuté les preuves, je vais combattre les témoins. Je n'aurai pas grand'peine "a dépouiller Euphorus de son autorité ; il n'est qu'historien. Or, parmi les historiens il en est qui cherchent à se donner du relief en rap- portant des faits incroyables; et , comme leur lec- teur s'endormirait sur des événements trop com- muns , ils le rcveilleut par des prodiges. D'autres sont crédules, d'autres négligents. Quelques-uns se laisseni prendre au mensonge, quelques autres y trouvent du charme; ceux-ci le recherchent, ceux-l'a ne savent pas l'éviter. C'est le défaut du genre : ces écrivains croient que leurs ouvrages ne peuvent être goûtés ni devenir populaires, si le mensonge ne les assaisonne. Éphorus , l'un des moins consciencieux, est souvent trompé, sou- vent aussi trompeur. Cette comète , par exemple, qui fut observée par tout le monde , comme la cause occasionnelle d'une grande catastrophe, la submersion d'Hélice et de Buris, il prétend qu'elle se sépara en deux étoiles , et il est le seul qui l'ait moles non descendit, et se onere sno fiangit? Fieri enim 'lion potest, ut tauta vis ponderis, quantam ille sul)stituit, pendeat, et levibus innixa sit, Necillud quidcm potest ■dici , extrinsecus aliqua esse rctinacula , quibus cadere proWbeatur. >ec rursus de inedio aliquid esse oppositi , quodimminens corpus eicipiatac fulciat. Illud etiamnunc nemo dicere audebit , munduni feiri per immensuni , et cadere quidem , sed non apparere , an cadat ; quia prae- cipitalio ejus œterna est, nihil habens novissimum, in quod incurrat. Hoc quidam de lerra dixerunt, quum ra- tionem nullam invenirent , propter quam pondus in aère staret. Ferlur, inquiunt, seniper; sed non apparet, an cadat, quia infinitum est in quod cadit. Quid est deinde quo probes , non quinque lantum stellas nioveri , sed mullas esse, et in mullis mundi regionibns? Aut si boc sineullo probaltiliargumcnlo; licctresponderc.quid est, quarc non aliquis aut oinnes siellas nioveri, aut nullam dicat? Praelerea nihil te adjuvat ista stellaruni passim euntium turba.Nam quo plures fucrint, saepius in alias incident; rari autem Conietae, et ob hoc mirabiles sunl. Quid , quod testimonium dicct contra te omnis aetas , qus talium stellarum eiorlus et aunolavit, et posteristradidil? XV. Post mortem Demetrii Sjriae régis, cujus Denie- trius et Anliochus liberi fuere, paulo anle Achaicum bel- lum , Comètes effulsit non minor sole. Primo igneus ac rubicundnsorbis fuit, clarumque lumen emittens, qnanto vinceret noctem. Deinde paulatim magniludo ejus dis- tricta est, et evanult claritas. Novissime autem totusin- tercidil. Quot ergo coire stellas oporlet, ut tantum corpui efficiant? Mille in unum lied congreges, nunquam hune babilum solis aequabunt. Attalo regnanle, initio Comètes apparuit modicus. Deinde sustulit se difTuditque , et nsque in xquinoctialem circulum venit, ita ut illam plagam cœli, cui lactea Bomen est, in inimensum eitentus xqna- ret. Quot ergo convenisse debent erraticae, ut tam lon- gum cœli tractum occuparent igné continue? XVI. Contra argumentum dictum est; centra testes dicendum est. Nec magna molitione detrahenda est aac- toritas Epboro; historiens est. Quidam incredibilium re- latu commcndationem parant , et Itctorem aliud acturum, si per quotidiana duceretur, miraculé excitant. Quidam creduli , quidam negljgentes sunt; quibusdam meodacium obrepit , quibusdam placet. 1111 non évitant , bi appetunt. Et boc in commune de tota natione; quae approbari opiis suum , et Deri populare non putet posse , nisi illud men- dacio aspcrsit. Ephorus vero non religiosissimae fldei, sœpe decipitur, ssepe decipit. Sicut hic Comctcn, qui omnium mortalium oculis custoditus est , quia ingentis rei traxit cventu.';, quum Helicemet Burin ortu suo mer- serit, ait illum discessisse iu duas stellas : quod prcter QUESTIONS N dit. En effet, qui aurait pu saisir le moment de cette séparation , de ce fractionnement de la co- mète en deux parties? Et comment, si quelqu'un la vit se dcJoubler, n'a-t-on pu la voir se former de deux étoiles? Pourquoi Ephorus n'a-t-il pas ajouté les noms de ces deux étoiles, puisqu'elles devaient faire partie des cinq planètes ? XVII. Apollonius de Myndes est d'une autre opinion. Selon lui, les comètes ne sont pas des assemblages de planètes; mais une foule de comè- tes sont des planètes réelles. Ce ne sont point , dit-il, des images trompeuses, des feux qui gros- sissent par le rapprochement de deux astres; ce sont des astres particuliers , tel qu'est le soleil ou la lune. Leur forme n'est point précisément ronde, elle se développe et s'étend en longueur. Du reste, leur orbite n'est pas visible ; ils traversent les plus hautes régions du ciel, et ne deviennent apparents qu'au plus bas de leur cours. Ne croyons pas que la comète qu'on vil sous Claude est la même que celle qui parut sous Auguste, nique celle qui s'est mon- trée sous Néron , et qui a réhabilité les comèes, ait ressemblé à celle qui, après le meurtre de Jules César, durant les jeux de Vénus Génitrix, s'éleva sur l'horizon vers la oniième heure du jour. Les comètes son) en g.rand nombre etde plus d'une sorte; leur dimension diffère, leur couleur varie; les unes sont rouges , sans éclat; les autres blan- ches et brillantes d'une pure lumière; d'autres présentent une flamme mélangée d'éléments peu subtils, et s'environnent de vapeurs fumeuses. Quelques-unes sont d'un rouge de sang, menaçant présage de celui qui sera bientôt répandu. Leur ATURELLES. 511 lumière augmente et décroît comme celle des an- tres astres qui jettent plus d'éclat, qui paraissent plus grands 'a mesure qu'ils s'approchent de nous , plus petits et moins lumineux lorsqu'ils rétro- gradent et s'éloignent. XVIII. On répond facilement a tout cela, qu'il n'en est pas des comètes comme des autres astres. Du premier jour où elles paraissent, elles ont tonte leur grosseur. Or, elles devraient s'accroître eu s'approchant de nous , et cependant leur premier aspect ne change pas , jusqu'à ce qu'elles com- mencent à s'éteindre. D'ailleurs on peut dire con- tre Apollonius ce qu'on dit contre les auteurs pré- cités : si les comètes étaient des astres vagabonds, elles ne rouleraient pas en dehors du zodiaque, dans lequel tous les astres font leur révolution. Jamais étoile ne paraît au travers d'uuc autre , et la vue de l'homme ne peut percer le centre d'un astre, pour voir au-del'a quelque astre plus élevé. Or, ou découvre 'a travers les comètes, comme "a travers un nuage, les objets ultérieurs : les co- mètes ne sont donc point des astres, mais des feux légers et irrcguliers. XiX. Zenon, notre maître, estime que ce sont des étoiles dont les rayons convergent et s'entre- mêlent, et que de cette réunion de lumières ré- sulte une étoile allongée. Partant de là, (|uelques philosophes pensent que les comètes n'existent réellement pas; que ce sont des apparences pro- duites par la réflexion des astres voisins, ou par leur rencontre et leur cohérence. D'autres admet- tent leur réalité , mais pensent qu'elles ont leur cours particulier, et qu'après certaines périodes illnm nemo Iradidit. QnU enim possrt obserrare illud niomentam, quo Comètes solulas, et in duas partes rc- (lacius est? Quomodo aulcm , (i est qui vidcril Cometeo in duas dirimi, nemo Tidilfieri ei duabus? Quare autem non adjecit, in quas stellas divisus sit, quuiu aiiqua ei quinque stellis esse debuerit? XVir. Apollonius Mjndius io diversa oplnione est. Ait enim, Cometen non unum M muilis erraticis effici, sed mnltos Cometas erraticos esse. Non est, inquil, speries falsa, nec duarum siellarum confinio ignis eitenlus; led et pnipriiira sidus Comètes est, siciitsolis aut luna?. Talis forma est, non ia rotundum restricta, sed procc- rior, et in longum producta. Ci-lerum non est illi palara cursus; altiora mundi secat; et lune dcmum apparet, quum in imum cursus sui ?eDit. Nec est quod putemus, eunidem visum esse sub Claudio, quem sub Augusto vi- dimus ; nec hune qui sab Nerone Caesare apparuit , et Cometis detraxit infamiam , illi similem fuisse, qui post necem di?i Julii , Veneris ludi» Genitricis, circa undcci- mam horam diei emersit. Multi variiqne sunt. dispares magnitudine.dissiniites colire; aliis rul)or est sine ulta lucej aliis candor, et puriini liquidnmque lumen; aliis namma , et lia-c non tincera , nec tennis . sed mnitum cirea le voirem fumidi aidoris. Cruenti qudam , mina- ces, qui omen post se fuluri saiiKUinis ferunt; hi minuunt augenlque lumen suum, qurmadmodum alla sidéra, qua; clarinra , quum descendere , suni , majoraque ex lora propiure visuntur; minora, quum redeunt, et ob- scuriora, quia ahducunt se longius. XVIII. AdTersus hoc protinus respondetur, non idem accidere in Cometis , quod in céleris. Cometa; enim quo primum die apparuerint, maximi surit. Alqui debcrcnt crescere, quo propiu» accédèrent. Nunc aulem manet illis prima faciès, donoc iucipiant eistingui. Deinde quod adversus priores, etiam adversus hune diciur : si erra- ret comètes . essetque sidus , intra signiferi termines mo- veretur, intra quos omne sidus cursus suoscolliglt. Nun- quam apparet Stella per stellarn. Arles nostra non potest per médium sidus exire , ut per illud superiora prospi- ciaf. Per Cometen autcni non aliter quani per nubeni niteriora cernuntur; ex quo apparet, illum non esse si- dus, sed leïem ignem ac lumulluarium. ■XIX. Zeno nosler in illa senlentia est ; conRrucre ju- dicat stellas, et raclios ioter se eommittere; bac sociptate luminis eisislere iraaginem slellœ longioiis. Ergo quidam nullos esse Cometas eiistimant, sed species illorum pef repercussionem vicinorum siderum, aut per conjuiictio- nera coharenlium reddi. Quidam alunt esse quidem.sed 512 SÉNÈQUE elles reparaissent aux yeux des hommes. D'autres enfin, qui sur le premier point pensent de même, leur refusent le nom d'astres , vu qu'elles se dis- sipent, ne durent que peu de temps et s'évaporent très-vite. XX. Presque tous ceux de notre école sont de cette opinion , qui leur semble ne pas répugner 'a la vérité, lit en effet , nous voyons au plus haut des airs s'allumer des feux de toute espèce; tantôt le ciel s'embrase; tantôt Fuit en longs traits d'argent l'étoile blancliissante ; tantôt des torches courent dans l'espace avec de larges sillons de feu. La foudre même , malgré sa prodigieuse rapidité, qui nous fait passer en un clin d'œil de l'éblouissement aux ténèbres, qu'est-elle, sinon un feu dû h l'air froissé, un feu qui jaillit d'une forte collision atmosphé- rique ? Aussi n'est-ce qu'une flamme sans durée , qui s'élance et qui passe , et qui cesse d'être à l'instant môme. Les autres feux subsistent plus longtemps, et ne se dissipent point que l'aliment qui les nourrissait ne soit entièrement consumé. A cette classe appartiennent les prodiges décrits par Posidonius , les colonnes , les boucliers ar- dents , et d'autres flammes remarquables par leur étrangeté, auxquelles on ne prendrait pas garde , si ce n'était autant d'exceptions h l'ordre et 'a la loi de la nature. Chacun s'étonne à ces appari- tions d'un feu subit au haut des airs, soit qu'il ne fasse que briller et disparaître , soit que, pro- duit par la compression de l'air qui s'enflamme, il prenne une consistance dont on s'émerveille. Et enfin , ne voit-on pas quelquefois l'élher , en se refoulant sur lui-même , creuser une vaste cavité lumineuse? On pourrait s'écrier : Qu'est cela'/ Je vois les cieux tout à coup s'entr'ouvrir. Leurs étoiles toml)er dans l'espace et souvent ces phénomènes, sans attendre la nuit, ont brillé en plein jour. Mais c'est pour une autre raison que paraissent h un moment si peu fait pour eux, ces astres dont l'existence est constante , alors même qu'on ne les voit point. Beaucoup de comètes sont invisibles, parce que les rayons du soleil les effacent. Posidonius rapporte que pen- dant les éclipses de cet astre on a vu paraître une comète qu'il cachait par son voisinage. Souvent, après le coucher du soleil, on voit près de son disque des feux épars ; c'est que le corps même de la comète , noyé dans la lumière du soleil , ne peut se distinguer, tandis que sa chevelure est en dehors des rayons. XXI. Ainsi nos stoïciens pensent que les comè- tes, comme les torches, les trompettes, les pou- tres et les autres météores proviennent , d'un air condensé. C'est pourquoi les comètes apparaissent plus fréquemment au nord , parce que l'air stag- nant y abonde. Mais pour(j_uoi la comète marche- t-elle , au lieu de rester immobile? Le voici. Elle est comme le feu, qui suit teneurs ce qui l'a- limente; et bien qu'elle tende aux régions su- périeures , la matière inflanunable venant a lui manquer, il faut qu'elle rétrograde et descende. Dans l'air même elle n'incline pointa droite ouà gauche , car elle n'a point de route réglée, elle se porte lentement où l'attire la veine de l'élémeut qui la nourrit : ce n'est pas une étoile qui marche, liabere cursus suos , et post certa lustra in conspectum mortalium exire. Quidam esse quidem , sed non quilius siderum nomen imponas; quia dilabuntur, nec diu du- rant, et esigui teniporis inora dissipantur. XX. In hac sententia sunt plerique nnstrorum ; nec id putaot veritati repugnare. Videmus eniin , in sublimi va- ria igniuni concipi gênera , et modo cœlum ardcre , modo liOngos a tergo llammarum albescere tractus , modo faces cum igné vasto rapi. Jam ipsa fulmina , etsi velocitate mira , simul et perslringuat acicni , et remit- tunt, ignés sunt aeris triti.et impetu inter se majore collisi. Ideo non rcsistunt quidem , sed expresM Uuunt , et protinus pereunt. Alii tcio ignés diu uianent ; nec ante discedunt, quam consunitum est omne , quo pascebanlur, alimentura. Hoc loco sunt illa a Posidonio stiipta raira- cula, columnae , cljpeique flagrantes, alia-que insigni no- vitate flamm» ; qua; non advcrlcrent animos, si e\ coii- saetudine et lege decurrerent. Ad lia;c stupcnt omues, qu» repentinum ignem ex alto efferunt, sive emicuit ali- quid et fugit, sive compresse acre et in ardorcm coacto , loco Qiiraculi stelit. Quid eigo? Non aliquando lacuna ccdentis rétro aîtheris patuit, et vastum In coDcavolnineii F Exclamare posses : Quid est hoc I médium video discedere cœlum , Palantcsque polo stellas quae aliquando non exspectata nocte fulscrant, et per médium eruperunt diem. Sed alia hujiis rei ratio est, quare alieno tempore apparent in aère , qaas esse, eliam latentes, constat. Multos Cometas non lidemus, quod obscurantur radiis solis ; quo déficiente , quemdam Co- meteo apparuisse, quem sol vicinus oblexerat, Posido- nius tradit. Sa?pe autem quum occiiiil sol, sparsi ignés non procul ab eo videnlur. Videlicet ipsa s;ella sole per- funditur, et ideo adspici nun potest ; comae autem radios solis effugiunt. XXI. Placet ergo nostris, Cometas, sicut faces, sicut tubas, Irabesque, et alia ostenta cœli , denso aère creari. Ideo circa septentrionem frequentissime apparent , quia illic plurimura est aeris pigri. Quare ergo non stat Co- mètes, sed procedit? Dicam. Itinium modo alimentom suum sequilur; quamvis enini illi ad superiora uisus est» tameu déficiente niateria reiroiens jpse descendit. In aère quoquc non deiteram laevamque premit partem. Kulla QUESTIONS c'est un feu qui s'alimente. Pourquoi donc ses apparitions sont-elles longues ; pourquoi ne s'éva- pore-t-eile pas plus tôt? En effet, six mois durant s'est montrée celle que nous avons vue sous l'heu- reux empire de Néron , et qui tournait en sens inverse de celle qui parut sous Claude. Car, par- tie du septentrion et s'élevant vers le raidi, elle gagna l'orient en s'obscurcissant toujours davan- tage; l'autre, venue du même point, avec ten- dance vers l'occident, tourna au midi où elle dis- parut. C'est que la première, nourrie d'éléments plus humides et plus propres à la combustion, les suivit toujours; la seconde fut favorisée par une région plus féconde et plus substantielle. Les co- mètes se dirigent donc où les attire leur aliment, et non dans une voie prescrite. Les circonstances ont été différentes pour les deux que nous avons observées, puisque l'une se portait a droite, l'autre 'a gauche. Or, le mouvement de toutes les planè- tes a lieu du même côté, c'est-à-dire en un sens contraire au mouvement des cieux. Les cieux rou- lent de l'est à l'ouest; les planètes vont de l'ouest à l'est. Aussi ont-elles deux mouvements, celui qui leur est propre, et celui qui les emporte avec tout le ciel. XXII. Je ne pense pas comme nos stoïciens. Selon moi , la comète n'est pas un feu qui s'allume subitement ; je la range parmi les créations éter- nelles de la nature. D'abord , tout météore dure peu ; il est fugace et prompt à changer comme l'élément qui l'a produit. Comment rien de per- manent pourrail-il naître de l'air, qui ne demeure jamais le même, qui est toujours fluide et n'a de NATURELLES. 5ir. calme que passagèrement? En moins de rien il passe d'un état à un autre : tantôt pluvieux, tan- tôt serein, tantôt à l'état intermédiaire. Les nuages qui se forment si souvent dans l'air, dans lesquels il se condense pour se résoudre en pluie, tantôt s'agglomèrent, tantôt se disséminent, mais ne sont jamais sans mouvement. Il est impossible qu'un feu permanent s'établisse en un corps si fu- gace, et s'y tienne avec autant de ténacité que ceux que la nature a flxés pour toujours. D'ailleurs , si la comète était inséparable de son aliment, elle descendrait toujours. Car l'air est d'autant plus épais qu'il est plus voisin de la terre : or, jamais les comètes ne descendent si bas et n'approchent de no- tre sol. EnCn, le feu va où sa nature le mène, c'est- à-dire en haut; ou bien il se porte où l'entraîne la matière à laquelle il s'attache et dont il se nourrit. XXIII. Les feux célestes ordinaires n'ont point une route tortueuse; il n'appartient qu'aux astres de décrire des courbes. D'anciennes comètes en ont-elles décrit? Je l'ignore ; mais de notre temps deux l'ont fait. Ensuite tout feu qu'une cause tem- poraire allume s'éteint promplement. Ainsi les torches ne luisent qu'en passant; ainsi la foudre n'a de force que pour un seul coup; ainsi les étoiles filantes ou tombantes ne fout que traverser l'air qu'elles sillonnent. Jamais feu n'a de durée, si son foyer n'est en lui-môme; je parle de ces feux di- vins, de ces éternels flambeaux du monde, qui sont ses membres et ses ouvrages. Mais ceux-ci accomplissent une tâche, fournissent une carrière, gardent un ordre constant et sont toujours les mêmes. D'un jour à l'autre on les verrait croître eoim illi lia est; sed qna illnm vena p-nbuli nii dutit , lHo répit, aec ut Stella procedit, sed Dt igois pasctiur. Quare erg» per longum tenipus apparet, et non citoex- stinguitur ? Sex enim mensibus hic , quem dos ^croois prJDcipiUu Istissimo TidiniDS , spectaoduDi se prasbuit, iii diTersumlUi Claudiano circumactus. Ille eolm a Septen- trione io Terticem surgens , Orienlem petiit sempcr ob- Kurior ; bic ab eadeoi parle cœpit , sed io Occidcnlein teadens, ad meridiein flexit, et ibi se subduiit oculis. Videlicet ille humidiora babuit, et aptiora ignibus, quae proseculus est ; huic rursus ul)erior fuit et plenior règle. Hue itaque descendunt , iovitante materia , non ilinere. Quod apparet duobus, qnos spectavimus , fuisse di?er- «um ; quum bic in dt'itrum motus sit, ille in sinistrum. Omnibus auteni stcllis in eamdem partem cursus est , id est , conlrarius mundo. Hic enim ab orlu ToUilnr in oc- casnm; illœ ab occasu in ortum cunt. Etob hoc duplex bis malus est : ille qno eont, et hic quo aufcruntur. XXII. Ego nostris non assentior. Non enim existinio Cometcu subitanemn igncm, sed intcr œlcrna opéra luturx. Primnm qna>cumqne aer créât, brevia sunt. TIascuDtur enim in re fugaci cl mutabili. Quomodo potest •Dim in acrealiquid idem diu permanere, quuni ipse aer nunquam idem maneatr Finit sempcr, et brevis illi quies est. Intra exigunm momenlum in alium , quam io quo fuerat, statum vertitur. Piunc plmius, nuoc sereuus, nunc inter utrumque varius; aubci>que illi raniiliarissiins, in quas coit, et ex quibus sulvilur, modo congregantur. modo digerunlur, nunquam imuiolx j«cent. Fieri non potest , ut igiiis certus in corp.>re vago >cdeat , et lia per- tinaciter bsreat, quam quem nutura, ne un(|uam excn- terctur, aplanit. Deinde si aliuienlo suo liïrerct, semper descenderet. Eo enim crassior aer est, quo terris pro- pior : nunquam Comètes in imum usque demitlitur, ne- que appropioquat solo. Etiamnnnc ignis aut it quo illuni natura sua ducit , id est, sursum ; aut eo quo trahit ma- teria , cui adba'sit, et quam depascitur. XXIII. Nullis ignibus ordinariis et cnsleslibus lier flexum est. Sideris proprium est, ducere orbcin. Atqui boc an CometaB alii fecerint, nescio; duo nostra œtate fecerunt. Deinde omne quod cau:>a tcmporalis accendil , cito intercidit. Sic faces ardent, dum transcunt : jic ful- mina in unura valent ictum ; sic qu»; transversa; dicuntur stc'Ilae et cadentes, paîrlervolaut et .sécant aéra. IS'ullis ignibus nisi in suo mora est; illis dico dlTiois, quosba- l>et niundiis .-elernos, quia parles ejus sunt, et opcra. Ui 55 614 SÉNÈQUE. ou décroître, si leur flamme était d'emprunt et leur cause instantanée. Cette flamme serait moin- dre ou plus grande, selon le plus ou le moins d aliments qu'elle aurait. Je viens de dire qu'une (lamme produite par l'allération de l'air n'a point de durée ; j'ajouterai même qu'elle n'en a aucune, qu'elle ne peut se maintenir en aucune façon. Car les torches, la foudre, les étoiles fdantes, tous les feux que l'air exprime de son sein , ne peuvent que fuir dans l'espace , et on ne les voit que tom- ber. La comète a sa région propre; aussi n'en cst- elle pas expulsée si vite; elle achève son cours; elle ne s'éteint pas , elle s'éloigne de la portée de nos yeux. Si c'était une planète, dira-t-ou, elle roulerait dans le zodiaque. — Mais qui peut as- signer aux astres une limite exclusive , emprison- ner et tenir 'a l'élroit ces êtres divins? Ces planètes mômes , qui seules vous semblent se mouvoir, parcourent des orbites différentes les unes des autres. Pourquoi n'y aurait-il pas des astres qui suivraient des routes particulières et fort éloignées de celles des planètes? Pourquoi quelque région du ciel serait-elle inaccessible? Que si l'on veut absolument que toute planète touche le zodiaque , la comète peut avoir un cercle assez large pour y coïncider en quelque partie , ce qui est non pa? nécessaire , mais possible. XXIV. Voyez s'il n'est pas plus digne de la grandeur du monde céleste de le diviser en des milliers de roules diverses, que d'admettre un seul senlier battu et de faire du reste un morne désert. Croircz-vous que dans cette immense et magnifi- que architecture, parmi ces astres innombrables qui décorent et diversiGcnt le tableau des nuits , qui ne laissent jamais l'atmosphère vide et sans action , cinq étoiles seules aient leur mouvement libre , tandis que les autres restent Ta , peuple immobile et stationnaire? Si maintenant l'on me demande d'où vient qu'on n'a pas observé le cours des comètes , comme celui des étoiles er- rantes, je répondrai qu'il est mille choses dont nous admettons l'existence , tout en ignorant leur manière d'êlre. Que nous ayons une âme dont la voix souveraine tantôt nous excite, tantôt nous rappelle , tout le monde l'avoue ; mais cette âme quelle est-elle? Quel est ce chef, ce régulateur de nous-mêmes? .Nul ne nous l'expliquera, pas plus qu'il ne nous indiquera où il siège. L'un dit : C'est un souffle ; l'autre répond : C'est une harmonie; celui-ci le nomme une force divine, une parcelle de la divinité; celui l'a l'appelle un air éminem- ment subtil; cet autre, une puissance immatérielle. Il s'en trouve qui la font consister dans le sang, dans la chaleur vitale. Tant elle est incapable de voir clair aux choses extérieures , celte âme qui en est encore à se chercher elle-même ! XXV. Pourquoi donc s'étonner que les comètes, ces rares apparitions célestes , ne soient point en- core pour nous astreintes 'a des lois fixes , et que l'on ne connaisse ni d'où viennent, ni où s'arrê- tent ces corps dont les retours n'ont lieu qu'à d'immenses inicrvalles? Il ne s'est pas écoulé quinze siècles depuis que La Grèce par leur nom a compté les étoiles. Aujourd'hui encore , que de peuples ne connaissent aiitcm alitiiiid agunt, et vadunt, et tenorem snum ser- vaiil , parcs ;ue sunt. Nam alternis diebiis majores mino- resve lièrent, si ignis csset collectitius, et ex aliqua causa repenlinii.s. Jlinor euini csset ac major, prout plciiitis alereliir aiit malignius. Dicebam modo, nihil (liutiirnuni esse, qnod ex^rsit acris vilio; nunc aniplius adjicio: nio- rari ac stare nullo modo polest. Nam et fax et fulmej) et Stella Iranscurrens, et quisqiiis aliiis est ignis ex aère ex- prcssiis, in fugaest; nec apparet, nisi dum cadit. Co- mètes habet suam sedem ; cl ideo mm cilo oxpcli nr, .scd emctitnr spalium suuni ; nec exstingnitur, scd cxctdit. Si erratica, inquit, siella esset, in signifcro essel. Quis imumste'ilis limilcm ponit?Quis inanguslumdiïina com- pclllt? Kempe hase ipsa sidéra, qiia; sola moveri crcdis, alios cl alios circules babent. Quare ergo non aliqua miU, qua3 in proprium iter et ab istis reniotum secesserint? Quid est, quare in aliqua parie cœlum perviuui non sil? Quod si judicas, non posse ullam slellani nisi signiferum allingcre. Comètes potest sic la uni habere circuluni, ut in hunctimien parte aliqua sui incidat; quod fieri non est neceosarium , sed potest. XXIV'. Vide ne hoc magis dcccat magniludinein niundi, n^ in nniita itinera divisus >it . nec Iianc nnam delerat se- nii'ani , céleris par;ilius torpeat. Crcriis aulem in hoc maiimo et pulcherrinio cnrpore, inter inDumerabiles stellas, qux noctem décore vario distinguant, quie aéra minime vacnum et incrlem esse patiuntur, quinque solu esse , quilius exercere se liceat, cèleras stare, fiium et immobilem populum? Si quishoclocomeinterropaTerit: quare crgo nou queniadmcduni quinque stellirum, ita barum obsenatus est cursus ? huic ego respondebo. Multa suntqua; esse concedimiis; qualia sint, ignoramus. Ha- bere nos animuui , cujus imperio et impellimur, et revo- camur, omnes Tatebuniur; quid tamen sit animus ille reclor doniinusque no-tri, non niagis tibi quisquam ex- pédie!, quam ubi sit. Alii:s illum dicet esse spirilum, alius concentum quemdam , alins Tim divinam el Dei par- lera, alius tenuis inmm aereui, alius incorporalem po- tenliam. Non décrit qui sanguiuem dicat,qui calorem. Adeo snimonon potest liquerc de céleris rébus, ut i^dhac ipse se qua;rat. XXV. Quid crgo miramur, Cometas , tam rarnm mundi spectaculum , nimduin tencri lt>gibns cerlis; nec iuilia iliorum Hnesquc notescere, quorum ex iagentibus interv&llis recursus est? ISondum sunt anoi mille quio- genti , ex quo Graecia stellis numéros et nomlna fecit. QUESTIONS N le ciel que de vup, el ne savent pas pourquoi la | lune s'éclipse et se couvre d'ombre ! Nous-mêmes , nous n'avons que depuis peu un système arrêté sur ce point. Le tpni|)s viendra où cequi est mystère pour nous sera cclairci par le laps des ans et les études accumulées des siècles. Four de si grandes recherches , la vie d'un homme ne suffit pas, fùt- elle toute consacrée 'a l'inspeclion du ciel. Qu'est- ce donc, quand de ce peu d'années nous faisons deux paris si inégales entre l'étude et de vils plai- sirs? Ce n'est donc que successivement et "a la lonfîue que ces phénomènes seront dévoilés. Le temps viendra où nos descendants s'étonneront que nous ayons ignoré des choses si simples. Ces cinq planètes qui assiègent nos yeux , qui se pré- sentent sur tant de points et forcent notre curio- sité, nous ne connaissons que d'hier leur lever du matin et du soir, leurs stations , le moment où elles s'avancent en ligne directe , la cause qui les fait revenir sur leurs pas. Les émersions de Jupi- ter, son coucher, sa marche rétrograde, ainsi a- t-on appelé son mouvement de retraite , ne nous sont familiers que depuis peu d'années. Il s'est trouvé des philosophes pour nous dire : C'est une erreur de croire qu'il y ait des étoiles qui suspen- dent ou détournent leur cours. Les corps célestes ne peuvent ni être stationnaires , ni dévier : tous vont en avant, tous obéissent à leur direction pri- mitive. Leur course cessera le jour où ils cesseront d'être. L'éternelle création est soumise 'a des mou- vements irrévocables; si jamais ils s'arrêtent, c'est qu'il surviendra des obstacles que la marche égale et régulière du monde rend jusqu'ici impuissants. XXVI. Pourquoi donc y a-t-il des astres qui ATURELLES. 515 semblent rebrousser chemin ? C'est la rencontre du soleil qui leur donne une apparence de len- teur; c'est la nature de leurs orbites et des cercles dispersés de telle sorte qu'en certains moments il y a illusion d'optique. Ainsi les vaisseaux, lors même qu'ils vont à pleines voiles, semblent im- mobiles. Il naîtra linéique jour un homme qui démontrera dans quelle partie du ciel errent leà comètes; pourr|Uoi elles marchent si fort il l'écart des autres planètes; quelle est leur grandeur, leur nature. Contentons-nous de ce qui a été trou- vé jusqu'ici ; «pie nos neveux aient aussi leur part de vériié a découvrir. Les étoiles, dit-on , ne sont pas transparentes, et la vue perce à travers les comètes. Si cela est , ce n'est point h travers le corps de la comète, dont la flamme est dense el substantielle; c'est ii travers la Iraînéode lumière rare cl éparse en forme de chevelure qui entoure la comète. C'est daus les intervalles du feu, et non "a travers le feu même , que vous voyez. Toute étoile est ronde , dit-on encore , les comètes sont allongées ; évidemment ce ne sont pas des étoiles. Mais qui vous accordera que les comètes ont la forme alongée? Elles ont nalurellcnicnt, cosunio les autres astres, la forme sphériqne; mais leur lumière se projette au loin. De même que le soleil darde ses rayons au loin et au large, cl cependant présente une forme autre que celle de ses flots lu- nuneux ; ainsi le noyau des comètes est rond , mais leur lumière nous apparaît plus longue que celle des autres étoiles. XXVII. Pourquoi cela? dites-vous. — Oilos- moi d'abord vous-même pourquoi la lune réfléchit une lumière si différente de celle du soleil, quand Mnltsque hodie «ont gentei , qna; tantuin facie nnvcrint eœlam , qux Dondom sciant cur luna deficiat, quart- ol)- nmbretar. Hoc apud nos qnoquc nuper ratio ad ( ertuiii perduiit. Vcniet tempos, qoo ista qiia; nunc talent, in locem dics eitraliat, et longions de oes discordances. Vous niez que la comète su t un astre , parce que sa forme ne répond pas à votre forme-n)odèle et n'est pas celle des aulres. Mais considérez combien l'astre qui n'achève son cours qu'en trente ans ressemble peu "a celui qui en une année a Uni le sien. La nature n'a pas jeté tous ses ouvrages dans un moule uniforme ; elle est tière de sa variété même. Elle a fait lel astre plus SÉiNÈQUE. rand tel autre plus rapide ; celui-ci a plus de puissance ; l'action de celui-fa est plus modérée; quelques-ans, mis par elle hors de ligne, mar- chent isolés et avec plus d'éclat ; les autres com- posent la foule. C'est méconnaître les ressources de la nature, que de croire <|u'ellene peut jamais que ce qu'elle fait habituellement. Elle ne montre pas souvent des comètes; elle leur a assigné un lieu à part, des périodes différentes, des mouvements tout autres que ceux des planètes. Elle a voulu rehausser la grandeur de son œuvre par ces appa- ritions , trop belles pour qu'on les croie fortuites, soit qu'on ait égard à leur dimension, suitqu'oa s'arrête h leur éclat pUis ardent et plus vif que celui des autres étoiles. Leur aspect a ceci de re- marquable et d'exceptionnel , qu'au lieu d'être enfermée et condensée dans un disque étroit , la comète se déploie librement et embrasse 'a elle seule l'espace d'un grand nombre d'étoiles. XXVIU. Aristote dit que les comètes présagent des tempêtes , des vents violents , de grandes pluies. Pourquoi , en effet , ne pas croire qu'un astre puisse être un pronostic? Ce n'est pas sans doute un signe de tempête , comme il y a signe de pluie lorsqu'une lampe Se couvre en pétillant de noirs flocons de niontsc; ou comme il y a indice de gros temps quand Val seau lies mers Parcourt en se jouant les rivages désirts; Ou lorsque le héron, les ailes étendues. De ses marais s'élance et se perd dans les nuca. C'est un pronostic général , comme l'est celui de qnare nifido riibeat, modo palleat? quare liv'diis illi et' ater color sit.quum a couspectu solis cxcludilur? Die luihi , quare oaines Stella; inter se dissimlleui habeant oli- (!uateiuis faciem , diTersissimam soli? Quoniodo nihil pro- liibet, ista sidéra esse, quamvis siniilia nonsint; ita niliil prohibe!, Comctas asternos esse et sortis ejusdem, cujus octeia, etiamsi faciem illis non habcnt siuiilcra. Qiiid [)orro? mundus ipse, si considères illum, nonne ei di- versis coiiipositus est? Quid est quare in Leone scniper sol ardeal, et terras aestibus torreal j in Aqiiinii) adstriu- jjat hiemen, lluniina gela claudat? Et hoc tauien et ilhid sidus ejusdem conditionis est, quum effcttu et natura (lissimile sit. Intra brevissimuui tempus Aries extollitur, Ubi'a lardissime juugitur; et tanicn hcic iidus et illiid fjusdeni uaturae est; qunni illud exiguo leinpore adsceu- (lat, hoc diu pioferatur. Non vides , quaui contraria inter se elemciita sint? gravia et levia suut , fiigida et calida, huuiida et sicca. Tota hujus mundi concurdia ex discor- dibus conslat. ISegas Comelen steilani csj^e , quia forma ejus non respondeat ad exenipl ir, ncc sit cslcris similis. Vides enim, quara simiUima sil illi, quip tiicckiuio anno revprlllur ad locum suuni , huic qua; inira anuum revisit sedem suam I Non ad unnm natura formam optis suum pra-sla!, sid ipsa varietale se jnctat. Alia majora, alla vflociora aliis fecit ; alia validiora , alla temperatiora : quaedam autem eduxit aturba, ut singula et conspicna procédèrent; qucedam in gregem misit. Ignorât natur» poienliam, qui illi non pulat al quando licere uisi quod sacpius f.icit. Cometas non fréquenter ostendit, aUribait illis alium locum, alia tcmpora.dissimilesceteris motus. Voluit et his magnitudinem operis sui colère, quorum formosior faciès est, quaiii ut forluilam putes, sive am- plitudinem eorum considères, sive fulgorcm, qui major est ardentiorque quam ceteri>. Faciès vero habet in»igne quiddam et singulare, non in anguslum roujecla et «re- lata , tcd dimissa Uberius, et raulurum stell rum amplexa regioncm. XXVIII. Aristoteles ait, Cometas significare tcmpes- tatcm , et ventorum iulemi)erantiam atciue imbrium. Quid crgo?non jiidicas sidus esse , quod fulura denunliat? Non enim sic hoc tenipesialis siynum est, quomtMlo futur» pluvia', Scinlillare oteum , et pulres concrescere fiingi» . aut qiiomodo indiciuiu est saîTiluri maris , si m^iriaa; Iii sicco iiulimt fiilicae ; notaquinoctium in calorem rrigusque Bec- QUESTIONS K l'équinoxe, qui vient changer la température en chaud ou en froid, comme ce que prédisent les Cbaldéens, de la bonne ou mauvaise étoile sous laquelle on naît. Cela est si vrai , que ce n'est pas pour le moment même qu'une comète annonce les vents et la pluie, comme l'ajoute Aristote ; c'est l'annéeenticre qu'elle rend suspecte. Evidemment donc, les pronostics de la comète ne lui viennent pas d'éléments voisins d'elle et pour une époque immédiate ; elle les tire déplus loin; ils tiennent aux lois mystérieuses du ciel. Celle qui apparut sous le consulat de Paterculus et de Vopiscus réalisa ce qu'en avaient prédit Aristote et Théo- phrasle : partout régnèrent de violentes et con- tinuelles tempêtes; et, en Achaïe comme en Ma- cédoine, des villes furent renversées par des tremblements de terre. La lenteur des comètes, au dire d'Aristote, prouve leur pesanteur et qu'elles recèlent beaucoup départies terrestres ; leur mar- che aussi le prouve ; car elles se dirigent presque toujours vers les pôles. XXIX. Ces deux arguments sont Taux. Réfutons d'abord le premier. La lenteur de la marche se- rait une preuve de pesanteur! Et pourquoi? Sa- turne, celle de toutes les planètes qui achève le plus lentement sa carrière, est donc la plus pe- sante. Or, ce qui prouve sa légèreté, c'est qu'elle est plus élevée que toutes les autres. Mais, dites- vous, elle décrit un plus grand cercle ; sa vitesse n'est pas moindre , mais sa course est plus longue. Songez que j'en puis dire autant des comètes, quand m£me leur marche serait plus lente , ce qui est contraire à la vérité. La dernière comète a ATURELLES. SI7 parcouru , en six mois, la moitié du ciel ; la pré- cédente a mis moins de temps 'a disparaître. Mais, dit-on encore, elles sont pesantes, puisqu'elles descendent. D'abord , ce n'est point descendre que se mouvoir circulairemcut ; ensuite ia dernière comète, partie du nord, s'est avancée par l'occi- dent vers le midi, et c'est "a force de s'élever qu'elle^ s'est dérobée à nos yeux. L'aulre , la Claudicnne , fut d'abord vue au septentrion, et ne cessa de monter perpendiculairement jusqu'à ce qu'elle disparut. VoiPa, sur les comètes, tout ce que je sache d'intéressant pour moi ou pour les autres. Suis-je dans le vrai? C'est 'a ceux qui le connais- sent 'a en juger. Pour nous, nous ne pouvons rien que chercher 'a tâtons , que cheminer dans l'ombre et par conjecture, sans être sûrs de trouver juste , comme aussi sans désespérer. XXX. Aristote a dit admirablement : Ne soyons jamais plus circonspects que lorsciuo nous parlons des dieux. Si nous entrons dans les temples avec recueillement, si nous n'approchons d'un" sacri- fice que les yeux baissés et la toge ramenée sur la poitrine, si tout alors, dans noire maintien, té- moigne de notre respect ; combien plus de rete- nue ne doit-on pas s'imposer quand on discute sur les astres , les planètes, la nature des dieux , pouf n'avancer rien de téméraire ou d'irrévérencieux, ne pas affirmer ce qu'on ne sait point, ni mentir à la vérité que l'on sait I Faut-il s'étonner qu'on découvre si lentement ce qui est si profondément cacbé ! Pauxtius et ceux qui veulent faire croire que les comètes ne sont pas des astres ordinaires, et qu'elles n'eu ont que la fausse apparence, ont teotii aoni , quomodo illa qux Chaldxi csnnot , quid stella naaceatibas trisle lirtunire constituât. Uoc ut scias ita esse, non statim Comètes ortus ventos et pinvias niinilur, ut Arintolcles ait, sed aDoum tolum suspecinm facit. Ei quo apparet, illum non ex proiimo, qux io proiimuni daret, si|;Da tratisse, sed Ii4l>ere reposita et compressa Icgibus louodi. Fecit is Comètes, qui Paterculo et Vopitco con- iulibus apparaît, qaa; ab Aristotelc Theophrastoquc •nnt prxdicta. Fuerunt enim maiima; et continux teui- pestates ubique. At In Achaia, Macedoniaque , url)rs ter- rarum motibus prorube sunt. Tarditas, inquil, illnrum argumeotum est , graviores esse, multumquc in se ba- liere terreni ; ipsi prsterea canns; fere enim compel- luDtor in cardiiies. XXrX. Utrumque falsum est. De priore dicam prius. Quid? qus tirdius feruDtnr, gratia sunt? Quid ergo? Stella Satnmi, qux ex omnibus iter suum leotissime ef- flcit , g/avis est. Atqui levitatis argumentnm habct , quod foper ceteras est. Sed majore, inqnis, ambitu circuit, Dec tardius it quam ceterae , sed longius. Succurrat tilii , idem me de Cometis posse dioere , ctiamsi segnior illis corsas sit. Sed mendacium est , ire eos tardiai. Piam iu- ira seitam mensem dimidiam cœli partem transcurrit blcproiimus; prior intra pauciores menses recepit se. Sed quia graves suut , inferius dererunlur. Primum non defertur, quod circumfertur. Deinde liic proximus a Septentrione motus sui inilium Tecit , et per Occidenteni in Mvridiana perveoit , erifiensque suum cursum oblituil. Altcr ille Claudianus a Septentrione primum visus, non desiit in rectum assidue celsior Terri , donec escessit. Ha?c sunt quse aut alios movere ad Cometas |)ertioentia , aat me. Qnse an vera sint , discutiant , quihus est scientiu veri. Nobis rimari illîi et conjectura ire in ncculto tautum licet, nec cum f]ducia invcniendi , nec sine ^pc. XXX. Egregie Aristoleles ait, nunquani nos verccun- diores esse debere, quam quum de diis agitur. Si rnlr-a- mu.s templa compositi , si ad sacrincium accessuri Tullum sul>mittimus, togam adducimus , si in omnc argumentum modestiae iînginmr j quanto hoc magis facere debemus, quum de sidcribus, destellis, de dcoruni natura disputa- mus, ne quid temere, ne quid impudenter, aut ignoran- tes aftlrmemus, aut scicntcs mentiamur? Hec miremur tam tarde erui , quac tam alte jaccnt. Panœtio , et his qui Tideri Yolunt Cometen non esse ordinarium sidus , sed falsam sideris faciem , diligenter traclatum est , an œque omnis pars anni edendis Cometis satis apla sit j an omnis fîlS SÉNÈQUE. soigneusement examiné si toutes les saisons sont également propres à ces apparitions ; si toute ré- gion du ciel peut en engendrer; si elles peuvent se former partout où elles peuvent se porter, et autres questions qui s'évanouissent toutes, si, comme je le dis , les comètes ne sont pas des em- brasements fortuits; si elles entrent dans la con- stitution même du ciel, qui les montre rarement et nous dérobe leurs évolutions. Combien d'autres corps roulent en secret dans l'espace, et ne se lèvent jamais pour les yeux de l'homme ! Dieu , en effet, n'a pas tout fait pour nous. Quelle faible portion de ce vasie ensemble est accordée h nos regards! L'arbitre, le créateur de tant de pro- diges, le fondateur de ce grand tout dont il s'est fait le centre; ce Dieu , la plus belle et la plus no- ble partie de son ouvrage, se dérobe lui-même à nos yeux; il n'est visible qu"a la pensée. XXXI. Bien d'autres puissances, voisines de l'être suprême par leur nature et leur pouvoir, nous sont inconnues, ou peut-être, merveille en- core plus grande , écliappent 'a nos yeux à force de les éblouir, soit parce que des substances si ténues deviennent imperceptibles à la vue de l'homme, soit parce que leur majestueuse sainteté se cache dans une retraite profonde pour gouverner leur empire, c'est-a-dire cllos- mêmes, et ne laisser d'accès qu''a l'âme. Quel est cet être sans lequel rien n'existe? Nous ne pouvons le savoir, et nous sommessurpris de ne connaître qu'imparfaitement quelques points lumineux, nous à qui échappe ce dieu qui, dans l'univers, lient la plus grande place! Que d'animaux nous ne connaissons que depuis le siècle actuel! Combien d'autres, incon- nus de nous, seront découverts par les races fu- tures! Que de conquêtes pour les âges à venir, quand notre mémoire même ne sera plus-! Que serait le monde, s'il n'enfermait cette grande énigme que le monde entier doit chercher? Il est des mystères religieux qui ne se révèlent pas en un jour. Eleusis réserve des secrets pour ceux qui la viennent revoir. Ainsi , la nature ne se manifeste pas toute au premier abord. Nous nous croyons initiés , et nous sommes encore aux portesdu lem- ]ile. Ses merveilles ne se découvrent pas indi- stinctement et "a tout mortel ; elles sont reculées et enfermées au fond du sanctuaire. Ce siècle en verra quelques-unes; d'autres seront pour l'âge qui va nous remplacer. Quand donc ces connaissances arriveront-elles "a l'homme? Les grandes décou- vertes sont lentes, surtout lorsque les efforts lan- guissent. Il n'est qu'une chose où nous tendons de toutes les forces de notre âme, et nous n'y attei- gnons pas encore ; c'est d'être le plus corrompus qu'il soit possible. Nos vices sont encore en pro- grès Le luxe trouve 'a se passionner de nouvelles folies ; la débauche invente contre elle-même de nouveaux outrages; la vie de délices qui dissout et consume tout l'homme trouve à enchérir sur ces raffinements homicides. Nous n'avons pas assez fait abdication de virilité. Ce qui nous reste d'ha- bitudes mâles disparait sous le luisant et le poli de nos corps. Nous avons vaincu les femmes en toilette ; le fard des courtisanes, que nos dames romaines se sont interdit, nous, Romains, l'a- vons adopté. On affecte des attitudes molles, une allure de femme, un pas indécis ; on ne marche plus, on se laisse aller. Des anneaux parent nos oœli regio idonca , in qua creenlur; an quacumqne ire, ini eliam coDcipi possiiit; et cetera, quae uuivcrsa tollun- tur, quuni dicoillos fortuilos uon esse ignés, scd iDte.itos niundo , quos non fréquenter cducit, sed in occullo nio- vet. Quani iiiulla prœter hos pcr secretura eunt , nunquani humanis (iculls orienlia ? Neque enim oninia Reus honiini fecit. Quota lars operis lauli oobis coniniillilur? Ipse qui ea tractât, qui condidit, qui lolura boc fundavit, de- ditqiie lirca r , niaiori|iip est pars operis sui , ac nielior, cifiiyit ociilds , cogiuilione \lsendus est. XXXI. Milita praterea coguata nuniini siimmo, ef vi- cinam sortita potenliam , obscura suut. Aut fortasse, qnod magis nilreris cciilos iioslros et implent et cf- fuginnt : sive illis tint:! sublililas est, qu:iulani consequi acies tiuniaiia non possil; sive in sancliore seccssu luajis- lastanla ileliluit, et regnuni suum, id est , se, régit, ncc ulli adiluiu dat, nisi anima. Qiiid sithoc, sine qiio nil est, scire non possunius; et iniramur, si quos igniculos parum novinius, qunni niaxinia pars mundi Dcus tatoat? Quiim uiulta animalia hoc primum cognovinius secuto, et quidem niuUa vcnientis œvi populus ignota nobis sciet. îlnlta scculis tune futuris, quura memorii nosîri exoleveri t. reservantur. l'usilla res mundus est, nisi in illo qnod quae- rat omnis raundus haboat. Non semel qua;dam sacra Ira- duntur. Elensin serrai, quod osteudat revisentil>us. Re- ruin nalura s^cra sua non siiiiul tradlt. luiliatos nos cre- dinius; in vestibulo ejus hasreinns. Illa arcana non. pro- niiscue nec omnibus paient ;reducta et in interioresacrario ctausa sunt. Ex quibus aliud ba;c a-las, alind qus po>t nos subibit, dispiciet. Qnando ergo ista in notitiam nos- tram pcrducentur ? Tarde magna provenlunt; utiqoe si labur cessât. In (|uod unum toto agimur animo , nondum perfecimus, ut pessimi essemus. Adbuc in processu villa sunt. InTcnit luiuria aliquid novi, in quod insaniat. In- venilimpudiciiii novcm contumeliam sibi. Invenit deli- ciarnni dissoliitio et tabès aliquid tenerius molliusque , quo pcreat. Nondum salis robur omne projecimus. Adhuc quidquid est boni nioris , exstingniraus laîTitale et polilura corporum. Mnlicbres muudilias aniecessimns, colores nierelricios, malronis quidem non induendns, viri su- mimus. Tonero et molli ingressu snspcndimus gradnm; non amlmlamus, scd incedimus. £\ornanins annulis di- gilos ; in omni articulo gemma disponitur. Qnolidie cnm- rainiscimur, per quacvlrilltatifiat injuria, aultraducatur. QUESTIONS NATURELLES. doigls; sur cbaque phalange brille une pierre pré- 1 .'il!) cicuse. Tous les jours nous imaginons de nou- veaux moyens de dégrader notre sexe ou de le Iravestir, ne pouvant le dépouiller : l'un livre au for ce qui le fait homme; l'autre therfilic l'asile déshonoré du cirque , se loue pour mourir, et s'arme pour devenir infâme. L'indigent même est libre de satisfaire ses goûts monstrueux. XXXII. Vous êtes surpris que la science n'ait pas encore achevé son œuvre 1 L'iranioralilc n'a pas acquis tout son développement. Elle ne fait que de naître, et tous pourtant nous lui vouons nos soins ; nos yeux . nos mains se font ses minis- tres. Mais la science, quels amis a-t-clle? qui la croit digne de mieux que d'un coup-d'œil en pas- sant? Et la philosophie, les arts libéraux, quels qu'ilssoient, leur donnc-t-on d'autres momeotsque ceux que laisse l'intervalle des jeux ou une journée pluvieuse, d'autres moments que les moments per- dus ? Aussi , les branches de la grande famille philo- sophique s'éteignent-elles fauie de rejetons. Les deux académies, l'ancienne et la moderne, n'ont plus de ponlife qui les continue. Chez qui puiser la tradition et la doctrine pyrrhoniennes? L'illustre quia non polest eini. Alin? genltalia eicidit, allus in obscar:- nanTparteoiludi fugit.el localus adinoricni, inf.iini.T ar- niatur. Egeiiiis etiam, iu quoniorbuiii suuinc\iTceat,lrgii. XXXII. Miraris, si nonduni sapicntia oinneopus suuiii iniple?il? Pioudura tola se oequiiia prolulit. Adhtic nas- citur, et buic omne» operam danius; liiiic oculi iioslii , huic manus serviunl. Ad (apiealiam quis accedit ? qiils dignam judicat , oisi quant in Iransitu uoicril? Quis plii- losopliiani, autuUuni libérale respicit studium, nisiquuni ludi inlercalantur, quura aliquis pluvius inlervenit dies , quem perdere licct? lUque lot familia; philosopboium sine successore deficiunt. Acadoniici et vetercs et minores nullum aotislitem reliquerunt. Quis est qui Iradat i)ra;- cepta Pyrrhonis? Pythagorica illa invidiosa tnrba; schola prœceptorem non invenit. Sextiorum nova et Romani ro- mais impopulaire école de Pytliagore n'a point trouvé de représentant. Celle des Sextius, qui la renouvelait avec une vigueur loule romaine, sui- vie 'a sa naissance avec enthousiasme, est déjà morte. En revanche, que de soins et d'efforts pour que le nom du moindre pantomime ne puisse pé- rir ! Elle revit dans leurs successeurs la noble race de Pylade et de Batbylle ; pour ce genre de scienci^s il y a force disciples, force maîtres. Chaque mai- son n'est plus qu'un bruyant Ihéàtre de danses où figurent les deux sexes. Le mari et la femme su disputent chacun leur partenaire. Le front usé par le masque niimiijue, on court ensuite aux lieux de prostitution. Pour la philosophie, nul n'cnasouci. Aussi , bien loin que l'on découvre ce qui a pu échapper aux investigations de nos pères, la plu- part de leurs découvertes meurent dans l'oubli. Et pourtant , ô dieux ! quand nous y vouerions toutes nos facultés; quand noire jeunesse, tempé- rante, eu ferait son unique étude; les pères, le texte de leurs leçons; les lils, l'objet de leurs tra- vaux , a peine arriverions-nous au fond de cet abîme oîi dort la vérité, qu'aujourd'hui notre in- dolente main ne cherche qu"a la surface du sol. boris sccta , m'.cf inilia sua , quuin magno impnlii cœpis- set, exslincla osl. At quanta ciua laburatur, ne cujusiiljet pantoniinii noniciiinUTcidat?Stalpersuccc.vsorcsPyladis et Bathylli dornus; liaruui artiuni niulli discipuli sunt, niultiiiue do.tores. Piivaliiii urtie tola sonat pulpilum. lu hoc \ih , iii lioc feniina' Iripudiant. Marcs intiT se u\o- resque conteiidunt, ulir det laUis illis. Deinde sub per- sona <|UiMU diu tril.i irons est, transilur ad gancuui. Phi- losophia; nulla cura est. Itaquc adeo nihil invenitur ex bis qux' paruui irivtstif^ata autiqui rclii|ucruut, ut inulla qua; inventa craiit, obliteiciUur. At nielicrcules si boc totis niembris prenierenius, si in hoc juvoutus sobria iucuni- bcrel, hoc majores diH^eient, hoc minores addiscerentj yiï ad fundum vcnirctur, in quo Veritas posila est , qu;.u; nuuc in summa terra et Icvi mauu qua;riniui. • ^•4»è»*»4*i»4«*«***»*«**»****'»»»«***»*>*»«t«**t»*«»*-. •♦•♦•♦•♦•♦•♦•♦•♦•♦•♦•••♦•♦•«•♦•••♦•:•♦• FRAGMENTS. FRAGMEOTS TIRES DE LACTANCE. I. Ne comprcnds-tu pas l'autorité et la majesté de ton juge? Régulateur de notre globe, Dieu du ciel et de tous les autres dieui , de lui relèvent ces puissances célestes qui se partagent bos ado- rations et notre culte. II. Alors qu'il jetait les premiers Tondoments de son édifice merveilleux , et qu'il ébauchait cette oeuvre , la plus vaste et la plus parfaite que la nature ait connue, il voulut que chaque chose marchât sous son chef, et bien que lui-même s'in- corporât 'a tout l'ensemble de son empire , le dieu se créa aussi des ministres. III. Notre origine se rattache à quelque chose qui est hors de nous. Et notre pensée se reporte à un être à qui nous sommes redevables de ce qu'il y a en nous de meilleur. Nous tenons d'un autre notre naissance , tout ce que nous sommes : Dieu n'est l'œuvre que de lui-même. IV. D'où vient donc que Jupiter, si inconti- nent chez les poètes , a cessé de procréer des en- fants? Est-il devenu sexagénaire, et la loi Papia l'a-t-elle soumis 'a l'infibulation? A-t-il obtenu le privilège de u'avoirque trois enfants ? Ou lui est- il venu enfin à l'esprit qu'il faut s'attendre à re- cevoir des autres ce qu'on a fait à autrui ; et craint-il qu'on ne le traite comme lui-même a traité Saturne? V. Ils vénèrent les simulacres des dieux , ils les supplient même le genou en terre , ils les ado- rent ; ils se tiennent tout un jour assis ou debout devant ces images; ils leur jettent de l'argent, leur immolent des victimes, prodiguent à ces œuvres de l'homme le culte le plus passionne ; et l'ouvrier qui les a fabriquées, ils le méprisent. VI. Nous ne sommes pas deux fois enfants, comme on a coutume de le dire ; nous le sommes toujours. Mais il y a cette différence, que nos en- jeux sont plus forts. VII. Ne louerons-nous donc point Dieu parce I. NOD iatflligii, inquit, auctoritatem ac inajettatem ladicis tui ? Rector is orbi» terramm , CŒlique et deornm omaium Detu, a quo ista numina, qux siogala adora- mui et colimoi, luipenia sont. XII. Uic, qaum prima fundameala molis pulcherrima; iaceret , et hoc ordiretnr , quo neqae majiu quidqoam iiOTit Ddtura, Dec melios, ut omnia sub ducibus suis irent , quainvis ipse pertotum se corpus intenderat, tameo ministres regnl sni deos genuit. III. Nos aiiunde peudemus. Itaquc ad aliqucm res- picimos, cni.quod est optimum in nobis, debeamus. Alins nos edidit, alius instniiit : Deus ipse te fecil. IV. Quid ergo est, quare apud poetas aallacissimus Jupiter desierit liberoi tollere F Utrnm seiagenarius ric- tus est, et iUi lei Papia Obulam imposuit? au impetravit jus trium liberorum? an tandem illi venit in meutem , ab alio eispectes, alteri quod feceris? et timet, ne quis sibi faciat, quod ipse Saturne? V. Simulacra deorum venerantur; illis supplicant genu posito; illa adorant; illis per totum assident diem , autadstant; illis stipitem jaciunt, victimas cœdunt; et quum haec tantopere suspiciant , fabros qui illa fecere , contemnunt. VI. Non bis pueri sumus (ut vulgo dicitur), sed sempcr. Verum boc interest , quod majora nos ludinius. VII. Ergo, Deum non laudabimus, cui naturalls est ft22 SE NE que sa vertu est dans sa nature? En effet, il ne l'a apprise de personne. Oui vraiment, nous le loue- rons; car bien que sa vertu soit dans sa nature , c'est lui qui se l'est donnée, puisque sa naiure c'est Dieu lui-même. VIII. La philosophie n'est autre chose qu'une règle morale de conduite , ou bien la science de vivre honnêtement, ou l'art d'ordonner morale- ment sa vie. Nous ne nous tromperons point en disant que la philosophie est la loi q-ui uous fait bien et honnêlement vivre; et qui la dclinirait la règle de la vie , lui restituerait son vrai nom. IX. La plupart des philosophes sont dos hom- mes lels, que leurs belles paroles tournent a leur propre honte; à les ouïr pérorer contre l'avarice, la débauche , l'ambition , ou dirait que c'est eux- mêmes qu'ils dénoncent, tant rejaillissent sur eux les traits qu'ils lancent sur la société. Il convient do les comparer à ces charlaians dont l'enseigne annonce des remèdes, et dont les tiroirs sont pleins de poisons. Il est de ces philosophes que ne retient même pas la honte de leurs vices, cl qui se forgent des apologies pour pallier leur turpitude , pour paraître même pécher honnêtement. X. Le sage fera quelquefois ce qu'il n'approu- vera point, si c'est un moyen d'arriver à un plus noble but; il ne renoncera pas aux principes du bien , mais il les accommodera au temps ; et ce que d'autres exploitent au prolit de leur morgue ou de leurs plaisirs , il le fera servir au bien com- mun. XI. Tout ce que font les voluptueux , les igno- rants, le sage le fera aussi, mais non de la même manière ni dans les mêmes vues. QUE. XII. Il u'y a pas encore mille ans que les princi- pes de la sagesse sont connus. XIII. La plus haute vertu à leurs yeui , c'est un grand courage ; et ces mômes hommes tiennent pour frénétique celui qui méprise la mort, ce qui révèle en eux une profonde perversité. XIV. L'homme vraiment honorable n'est pas celui que la pourpre ou le bandeau royal et une escorte de licteurs distinguent entre tous : c'est celui qui , sans être inférieur à aucune situation , voit la mort à ses côtés sans en être troublé comme d'une chose qui lui semblerait nouvelle ; c'est ce- lui qui, soit qu'il lui faille livrer aux tortures toutes les parties de son corps , ou recevoir dans la bouche un tison ardent, ou étendre ses bras sur un gibet, songe alors uou a ses souffrances, mais au moyen de les bien supporter. XV. Il est grand, quel qu'il soit, et plus grand qu'on ne le saurait concevoir, ce Dieu au culte duquel nous consacrons notre vie ; c'est son suf- frage qu'il nous faut mériter. Car il ne sert de rien que noire conscience soit fermée à tous les re- gards ; elle est ouverte à Dieu. XV'l. Que fais-tu? Que machines- tu? Que caches-tu? Ton surveillant te suit. Tu en as eu d'autres qu'un voyage, que la mort, que la ma- ladie t'enlevèrent; celui-ci reste 'a tes côtés, et jamais il ne te manquera. Pourquoi choisir un lieu reculé , éloigner les témoins? Crois-tu donc avoir réussi à te soustraire aux yeux de tous? Insensé I que le sert de n'avoir pas deconGdents? N'as-tu pas ta conscience ? XVII. Ne sauriez-vous concevoir un Dieu dont la grandeur égale la mansuétude, un Dieu véné- virtus? Nec enim illam didicit ex ullo. Immoliudabimiis; quamyis enim natiiralis illi sit, sibi illam dédit, quotiiain Deiis ipse natura est. VIII. Philosophia nihil aliud est, quam recta Vivendi ratio; Tel boneste vivendi scientia; vel ars recte vitae agenda;. Non errabimus , sidixeriraus, philnsophiain esse legembenehonesteqiie vivendi. Et qui dixerit illani regu- lam vita;, suum illi nomen reddiderit. IX. Plerique philosophorum taies sunt , nt sint di- serti in convicium suum ; quos si audias in avaritlam , in libidinem, in ambilionem perdantes, professionis indi- cium putes; adeo redundant in ipsos maledicla in publi- cam missa; quos non aliter intueri decot , quara medicos, quorum tituli remédia habeut, pyxidesvencna. X. Faciet sapiens, eliam quas non probabit, ut etiam ad majora transitum inveniat; nec relinquet bonos mo- res, scd tempori aplabit; et quibus alii utuniur in glo- riam, aul voluplatem, utetur agendcc rci causa. XI. Omnia quœ luxuriosi faciunt , quaeque impcrili, faciet et sapiens, sed non eodem modo, eodemque pro- posito. XII. Nondum sunt , mille anni , ex quo iuitia sapientia; nota sunt. XIII. Summa virtus illis videtur niagnus animns; et iideni cura , qui contemnit mortem , pro furioso babent; quod est ulique summée perversitalis. XIV. Hic est ille bomo honesius, non apice, piirpu- rave, non lictorum insignis ministerio, sed nuUa re mi- nor; qui quum mortem in vicino videl, non sic perlur- l)alur, tanquam rem novam viderit; qui, sive loto cor- porc tnrraenta patienda sunt, sive flamma ore recipienda est, sive extendcndae per patibulum uianus , non quaBrit quid palialur, scd quam bene. Qui auteni Deuni colit, hœc patitur, nec timet. XV. Magnum, nescio quid, majusqne qoam cogitari potcst , numen est; cui vivendo operam damas , haie nos approbemus. Nihil prodest inclusam esse conscieatiam ; patemus Deo. XVI. Quid agis? qnid machinaris? quid abscoadis? Custos te luus seijnitur. Alium libi peregrinatio sub- daxit, alium mors, alium valetudo; haeret hic, quo ca- rcre nunquain potes. Quid locum abditam legis, et ar- bitres reuioves? Pulas tibi contigisse , ut ocnlos omnium cffugias ? Démens, qoid tibi prodest non hibere consdam, babenti conscientiam ? XVII. Vultisne vos deura cogitare? magaom et p!<- I FRAGMENTS. 523 rable par sa douce majesté, ami de l'homme , toujours présent à ses côtes , et qui demande non point des victimes ni des flots de sang pour hommage (quel plaisir, en effet, de voir égorger d'innocents animaux), mais une âme pure , mais des intentions droites et vertueuses. 11 n'a pas besoin qu'on lui construise des temples, en éle- vant îï une grande hauteur des masses de pierres ; c'est dans son cœur que chacun doit lui consacrer un sanctuaire. XVlll. La première enfance de Rome se passa sous le roi Romulus, qui fut son père et com- mença {M)ur ainsi dire son éducation. Le second âge a été sous les rois suivants ; elle grandit cl se forma 'a l'abri de leurs nombreux règlements cl de leurs institutions. Mais quand Tarquin régna , Rome, adulte déjb , devint impatiente de la ser- vitude , rejeta le joug d'une orgueilleuse domina- tion, et aima mieux obéir aux loisqu"a la volonté d'an seul. Son adolescence Onit avec les guerres puniques: alors ses forces avaient pris tout leur développement , et elle entrait dans la jeunesse. Caribage, eu effet, ayant cessé d'être, après lui avoir longtemps disputé l'empire , Rome étendit en tous lieux, sur terre et sur mer, ses puissantes mains , tant qu'enfln , rois et peuples réunis tous sous son commandement, et la guerre ne lui of- frant plus de théâtre, elle Gt de ses forces un fu- nesie usage en les tournant à sa propre ruine De là date sa vieillesse , alors que déchirée de guerres civiles, en proie 'a des convulsions intestines, elle tombe de nouveau sous le régime d'un chef uni- que . et rétrograde vers l'enfance. Après la perte de cette liberté que, sur les pas et à la voix do Brutus, elle avait su défendre, sa décrépitude devint telle, qu'elle sembla ne plus pouvoir se sou- tenir qu'en clierchaut quelque appui dans la tu- telle des gouvernants. FRAGMENTS TIRES DE SAINT JEROME. I. Mieux lui eût valu cependant que cet évé- nement eût servi "a glorilier en elle une chas- teté incontestée, plutôt qu'à la justiher des soup- çons. II. L'amour de la beauté physique est un ou- bli de la raison, qui touche à la folie, une fai- blesse dégradante qui ne sied nullement à une âme saine , qui trouble le jugement, paralyse les sentiments nobles et généreux , et des hautes spé- culations de l'esprit nous ravale aux pensées les plus basses; il nous rend grondeurs, irascibles, téméraires, impérieux jusqu'à la dureté, ou ser- vilement flatteurs , mutiles a tous , et à l'amour même. Car l'insatiable passion de jouir qui le dé- vore lui fait perdre presque tout le temps en soupçons , en larmes, en plaintes éternelles; il se fait hair, et flnit par se prendre en haine 'a son tour. III. Sénèque rapporte encore qu'il a connu un homme distingué qui , lorsqu'il avait à sortir, entourait d'un voile 'a plusieurs replis le sein de sa femme , et ne pouvait rester même l'espace d'une heure privé de sa présence : ni la femme, ni le mari ne prenaient aucun breuvage que l'au- cidum, et majestate leni vcrendum ; nmicum , et sempor in prciiimo; nna immolalionibus ei saD(!iniic niul:o co- lendum ; qus eDim ei triicidatione inimcrcntium volup- tasent?sed mente pura, l)onu honestuquc proposito. ISon tetnpla illi, coogestis ia altiludinem saiis, itrucadasunt; in suo cuiquc ronsecrandus cl prctiire. XV'III. Primam eoini diiit iiifantiam sub rege Ro- mulo fuisse . a qao et cenita , et qua.si educata sit Knma ; deinde piieritiam sub céleris regilms, a quibus et aucta >it, et disciplinis pluribus instilutis(|uc formata; at Tcni Tarquinin régnante, quuin jam quasi adulla esse cœpis- iet , servitium non tulissc, et rejecto superbs domina - tionis jugo, maluisse Iegil>u9 obtemperare, quam regi- bos; qimmquc essct adolcscpntia ejusflne Punici belli tcr- Diinata, tum denique confîrmatls viribus cirpi^se jiive- aescere. Siiblata cnim Carlhagine, qu.T tam diu a-miila jnperii fuit, manui suas in totum orbem lerra mariquc porreiit ; donec regil)us cunctis et nationibus imperio (uhjug^^iis, quum jam bcllorum materia deficerit, viri- bus suis maie nlcrclur, qnibus se ipsa confccil. II.ic fuit prima ejus srnecins, quum l)tllis laccnta civilihus, at- que inleslino raalo pressa , rursus ad reginien siuj^ularis iioperii rec'dit , qu.isi ad altcram infanliam retoluta. Amissa cnim lit>ertate, quam Bruto duce et auctore de- fenderat , ita consenuit, tanijuam susientare se ipsa non Taleret, nisi adiuiniculu regentium niteretur. B. BIEBO:iTlDS IDtEBSlIS JOTMIÀ^IUM LIBBO PBIMO. I. Melius tamen , cnm illa esset actum , si boc quod evenit, ornamenlum potius explorats fuisset pudicitiie , quam dubix palrocinium. II. Amnr forma; obli?io est, et insanix prosimus, fœduni miniraeque conveniens animo sospiti vitiuni; tur- bat consilia , al. os et generosos spiritus frangit , a niagnis cogitalionibus ad bumillimas detrahil; quprulos, iiacun- dos, tcmerarios, dure imperiosos, scrviliter blandos , omnibus inutiles , i|)si novissime amori , facit. Nam quum fruendi cupiditate insaliabili flagrat , plura tcmpnra sus- picionilius, lacrymis, conquestiunibu'i perdit, odium sui facit, et ipse novissime sibi odio est. m. Refert praelerea Scneca, cognovisse sequemdam ornatum homincm , qui exilunis in publicum , fascia uxo- ris pectns colligabat, et ne punclo quidem hora; praîscn- tia ejus carere poterat; potionenique nullam, nisi alle- rius tactam labris, vir et uior haurielunt; alia dcince) s 524 tre ne l'eût touché de ses lèvres; faisant du reste mille autres extrayagances où éclatait l'aveugle violence d'une passion sans frein. IV. Car que dire des citoyens pauvres, dont la plupart ne se déterminent à prendre le nom de SENÈQUE. mari que pour éluder les lois portées contre le cé- libat? Comment peut-il régler les mœurs de sa compagne, et lui prescrire la chasteté, et main- tenir l'autorité maritale, celui qui dans sa femme a pris un maître? non minus inepta facienles , in quéB improvida vis arden- tis affectas erumpebat. IV. Nam quid de TJrls pauperibus dicam? quorum lu nomen mariti , ad cludendas leges qua; coutra cœ- llbes sunt, para magna conducitur. Quomodo potest re- gere mores, et praecipere castitatcm, et mariti auctori- tatem tueri , cui nupsit ? 0CS880S0SS003SSSSS90C8S300Sa08S08SSSSS88SCC8S.1^ ÉPITRES A LUCILIL'S. I-PITUE PREMIFRIÎ. Qae le tempi est précieux , et qu'il en Taut être boo mé- nager. Faites en sorte, mon cher Lucile, que vous soyez ^ vous-raôme ; et ménagez le temps que l'on a coutume devons ravir, ou devons dérober, ou que vous-même laissez échapper. Croyez que c est une vérité , qu'il y a des heures que l'on nous em- porte, d'autresque l'on nous soustrait, et d'autres enOn qui s'écoulent insensiblement ; mais la plus honteuse de loules ces pertes est celle qui arrive par noire négligence. Si vous y prenez garde , vous trouverez qu'il se passe beaucoup de la vie 'a mal faire, davantage à ne rien faire, et tout "a faire autre chose que ce qu'on devrait faire. Où voit-on une personne qui sache estimer le temps et la valeur d'une journée , et qui considère que cha- que jour il approche de sa lin? Voici ce qui nous (rompe; nous regardons la mort comme si elle était loin de nous ; bien qu'en effet la plus grande partie en soit déj'a passée ; car le temps qui s'est écoulé jusqu'à cette heure appai tient "a la mort. Continuez donc ce que vous m'écrivez que vous faites; tenez compte de toutes les heures, aGn qu'ayant profité du temps pré-sent, vous ayez moins besoin de l'avenir. La vie se consume de- vant tontes nos remises. En vérité, il n'y a rien qui soit tant 'a nous que le temps, et l'on peut dire que tout le reste n'est point à nous. C'est la seule chose dont la nature nous a mis en possession, qui toutefois est si lét;ère et si glissante, que le premier venu nous le peut ôler. Les hommes ont cette fantaisie, qu'ils se tiennent obligés pour des bagatelles qu'on leur a accordées, et comptent pour rien le temps qu'on leur a donné, qui et pourtant une chose que les plus recoiiiiaissanls ne sauraient payer. Vous me demanderez peut-être ce ([ue je rai<-, EPISTOLA I. r>E TEiii'nni.i isii. Ito Tac, ini Lucili, yiiidica te til>l, et tempiis, qund adhnc aiil auferebatur, aut subripiebatur, sot eici(lel>at, cotlige et serva. Persuade tibi hoc, lie esse ut scribo : qnsdani tcmpura eripiuntnr nobii, qu.Tdam sul)ducutt- tur, qusdam eFflunut. Turpissima tauirn est jactura , quaa per nFeligentiam (11; et, si voliieris attendere , inaiima p;m vilae elat)ilur mate aRcnlilius, magna nihil ascntibus, tola vita aliud agcntibus. Qiictii mihl dis, qui aliquod pretlam tempurl ponat? qui diem a?s!iiii(t? qui iotclligat se quotidie rnori? la lioc cnim (slliiiiur. qudd mortem prospiciiiius; magna pars rjiis jani pi-a?- leriil; quidquid œtatis rétro est mors leriet. Fac ergo, mi Lucili, qund facere le sciibis; omnos hiiras coiiiplcc- tere : sic fiel, iit minus ex crnstino (lendcas, si lio- dierno nianum iiijpceris. Dum dificrtur TJta, Iransciirril. Omnia, mi Lucili, aliéna suni; lenipus lantimi uos- trum est. In buju.< rei unius fiigacis ac lubrica' posses- sionemnatura nos misit, ex qua cxpellltquicuinque Tult; et lania bliiltitia morlaliuni est, ut, qiue minima etvi- lissima sunt, rerte reparabilin , iuipiitari sibi , quum im- pelraveie, patianlur; nenio se jiidicet quid<|uam del)crc, qui tempus accepit; quuni intérim lioc unum est, quod ne gratus quidem potest rcddero. lulerrogabi» fortasse. moi qui vous donne ces avis ; je vous avouerai que je fais comme ces gens qui vivent dans le luxe , mais avec quelque économie. Je tiens registre de ma dépense ; je ne dirai pas que je ne perds rien , mais au moins dirai-je combien je perds : en un mot , je rendrai raison de ma pauvreté. Il m'ar- rive aussi , comme a ceux qui sont tombés en di- sette, sans qu'il y ait de leur faute : tout le monde les excuse, et personne ne les soulage. Mais quoi! je n'estime pas pauvre celui qui se contente du peu qui lui reste. J'aime mieux pourtant que vous conserviez ce que vous avez et que vous commen- ciez de bonne heure; car, suivant l'ancien pro- verbe , il est bien tard d'épargner le vin lorsqu'il est à la lie. Pour ce qui reste au fond du vaisseau, outre que c'est peu de chose , encore est-ce le plus mauvais. EPITRI' II. Il ne faut pas lire toute sorte de liTres; il suffit de lire les bons. — Le pauvre n'est pas celui qui a peu de chose, mais celui qui désire plus que ce qu'il a. Ce que vous m'écrivez et ce que l'on me dit de vous , me fait bien espérer de vous : vous ne cou- rez point, vous ne changez point continuellement de lieux; cette agitation n'appartient qu'à un es- prit malade. 11 me semble que la meilleure mar- que d'un esprit bien fait, c'est de pouvoir s'ar- rêter et demeurer avec soi-même. Mais prenez garde que dans cette lecture que vous faites de plusieurs auteurs et de toutes séries de livres , il SÉNÈQUE. n'y ait quelque chose de vague et de trop léger. H faut s'attacher, et se nourrir de leur esprit, si nous en voulons tirer quelque chose qui demeuie au fond de notre âme. Qui est partout , n'est nulle part. Ceux qui ne s'arrêtent à aucun auteur , et qui passent légèrement sur les matières , sont sem- blables aux voyageurs , lesquels se font beaucoup d'hôtes et point d'amis. La viande prise et rendue presque en même temps ne sert de rien pour la nourriture du corps; rien n'est si contraire à la guérison que de changer souvent de remèdes. La plaie ne se ferme point tant qu'on y essaie divers médicaments; un arbre ne prend point racine s'il est souvent transplanté, et il n'y a rien dans la nature de si salutaire qui puisse servir quand il ne fail que passer. Car enfin, la multitude des livres dissipe les forces de l'esprit : c'est pourquoi, comme on n'en peut pas lire autant qu'on en peut avoir, il suffitd'en avoir autant qu'on en peutlire. — Mais, direz-vous, je veux lire tantôt celui-ci, tantôt celui -Ta. — Cest la marque d'un estomac dc- goûié de vouloir tâter de plusieurs viandes, qui, par leurs qualités différentes, corrompent plutôt qu'elles ne nourrissent. Lisez donc toujours des auteurs approuvés, et, s'il vous arrive d'en lire d'autres, reprenez les premiers. Faites chaque jour quelque fonds contre la mort, contre la pau- vreté et contre les autres misères de la vis. Quand vous aurez parcouru beaucoup de choses, cboi- sissez-en une pour la bien digérer ce jour-là. Pour moi, j'en use ainsi , et je m'arrête d'or- dinaire à quelque point, entre plusieuis que j'ai quid ego faciam , qui tibi ista praecipio? Fatebor ingé- nue; quod apud luïuriosum , scd diligentem, evenit; ra- tio mibi constat impensae. Non possum diccre , nihil pcr- dcre; sed quid perdani, etquare, et queniadmoiium, di- cam : causas paupertatis meis reddam. Sed evenit niilii , quod plerisque non suo \ilio ad inopiam redaclis ; omnes ignoscunt, ncnio succurrit. Quid crgo est? Non pulo pauperem , cui , quantuluniciimque supcrest, sat est. Tu tamen malo serves tua ; et bono tenipore incipies. Nam , utTisura est majoribus nostiis, sera parcimonia in fundo est, Non enim tantum minimum in imo, sed pessimum remanet. Vale. EPISTOLA II. DE rriNEBiBus ET nE lectiose. Eï his qnîe mihi scribis, et ex bis quae audio, bonam spem de te concipio ; non discurris , nec locorum mu- lationibus inquietaris. lEgvi animi isia jaclaiio est. Pri- mum argumcntum compositae mentis existimo, posse consistere , et sccum morari. lllud aulcm vide, ne ista lectio auctorum raultornm et oninis generis TOliiminum habeat atiquid Tagum et instabile. Cerlis ingcniis im- morari et inautriri oportct, si Ttiis aliqiiid trahere, quod in animo fideliter sedcat. Nusquam est, qui ubi- que est. Vitam iu peregriualione eiigeotibus lioc evenit , ut multa hospilia babeant, nullas amicitias. Idem ac- cidat neccsse est bis, qui nullius se iagenio ramilli:riter applicant, sed omnia cursim et proi)eranles transmi.tunl. Non prodest cibus , nec corpori acccdlt , qui slalim suuip- tus emitlilur. Nihil a?que sanitatem impedil, quam re- nicdiorum crebra mulatio. Non vcnil vulnus ad cicairi- cem, in quo medicamenta tentanlur; non convalescit planta, quae sœpc Iransfertur; nihil lani utile est, ut in transitu prosit. Distringit librorum nmltitudo. Ilaque quum légère non possis quantum babueris , satis est ba- bcre quantum legas. — Scd modo, inquis, hune librom CTolvere volo, modo illum. — Faslidicni.s stomachi est mulla dogustarc; qua; ubi varia suut et diersa, inqui- naut, non alunt. Prohatos ilaque semper lege; et, si quando ad alios diverti libuerit , ad priores redi. A;iquid quotidie adversus paupertatem , aliquid adversus mortem ausilii compara , nec minus adversus caeteras pestes; et quum multa percurreris, unum e\cerpe, quod illo die concoqnas. Hoc ipse quoque facio ; ci pluribus , quip legi , aliquid apprehendo. Ilodiernum hoc est, quod apud Epi- ÉPITRES A LUCILIUS. 527 his. Voici ce que j'ai trouvé aujourd'hui chez Epi- cure : car j'outre quelquefois dans le parti contraire, non pas comme iransfuge, mais comme espion. « C'est, dit-il , une chose fort honnête qu'une pau- vreté gaie et contente; » mais si elle est contente, elle n'est pas pauvreté, car celui qui s'acconii! ode avec la pauvreté est riche en effet; et on doit estimer pauvre , non celui qui a peu de chose, mais celui qui en désire davantage. Qu'importe d'avoir beaucoup d'argent, de grains, de trou- peaux et de rentes, si l'on convoite le bien d'au- trui , et si l'on considère plus ce que l'on voudrait posséder que ce que l'on possède? Voulez-vous savoir les bornes que l'on doit mettre aux riches- ses? La première est d'avoir le nécessaire, et la seconde ce qui suffit. Adieu. ÉPITRE HI. Il est lK>n de délibérer avant que de faire on ami ; mais , quand oo l'a fait, on ne lui doit rien cacher. Vous me mandez que vous avez donné dos let- tres "a notre ami pour me les rendre; puis vous m'avertissez de ne lui rien communiquer de ce qui vous touche, parce que vous avez coutume d'en user ainsi. Vous l'avez, dans une môme lettre, avoué et désavoué pour votre ami ; partant , il est à croire que vous avez suivi l'usage, et que vous l'avez appelé votre ami de la manière que nous qualilious gens de bien tous ceux qui briguent les dignités, et que nous appelons monsieur celui que nous avons 'a la rencontre, quand son nom ne se présente pas. Passe pour cela ; mais si vous tenez pour ami une personne en qui vous n'avex pas autant de conQance qu'en vous-même, vous vous trompez lourdement , et vous ne connaissez guère ce que c'est qu'une amitié véritable. Examinez toutes choses avec votre ami ; mais examinez votre ami avant toutes choses : avant le choix on peut tout discuter ; quand il est fait, on doit tout croire, il y a des gens qui, par un ordre ^ renversé et contre les préceptes de Théophraste, examinent après avoir aimé, et cessent d'aimer lorsqu'ils ont examiné. Songez longtemps si vous devez prendre un tel pour ami; quand vous l'aurez résolu, recevez-le à cœur ouvert, et lui parlez avec autant de con- fiance qu'il vous-même. Vivez pourtant de telle façon que vous ne fassiez rien que vous ne puissiez dire même à votre ennemi ; mais , hormis de cer- taines choses que la bienséance a rendues secrètes, vous devez faire part a votre ami de toutes vos pensées et de toutes vos affaires. Vous le rendrez fidèle, si vous croyez qu'il le soit; outre que l'on donne envie de tromper en craignant d'être trompé, et qu'il semble qu'on met en droit do commettre une faute celui que l'on soupçonne d'être capable de le faire. Qu'est te donc qui me peut obliger 'a retenir mes paroles en présence de mon ami? Pourquoi ne croirais-je pas que je suis seul quand je suis avec lui? Certaines gens disent îi tout le monde ce qu'ils ne devraient confier qu'à leurs amis, et déchargent ce qui les presse dans le sein du pre- mier qui se rencontre; d'autres , au contraire, se tacheraient volontiers a eux-mêmes, et n'oseraient se découvrir "a leurs meilleurs amis ; ils resserrent Curum nactns tnm (soleo enim et in aliéna castra trans- ire, non tanquiim transfuga , scd tanqimni eipl nator ) : • Ilonesta, inqiiit, rescst, la-la piiipcras. ■ llla ïero non est pauprrtas , si Iseta est. Non qui paruni h.i!)ct , sed qui plus cupit, paupcr est. Qiiid eiiiui refi-rt, quanlum illiin arca, quantum in horreisjaceat, quantum pascal aiit foenerel, si alicno inmiinct, si non adquisila, scil adqu lomla compiitat? Qnis sit divitiarum niodus, qua?ris? l'riums, bal>creqnod necesseest; proiinius, quod satest. Vale. EPISTOLA III. Dt elice:«dis laicis. Epistolas ad me perfcrend.K tradidisti , ut scribis , amico lao. Deinde admonea me, ne omnia cum eo ad te pci tinentia communicem , quia non suleas ne ipse quideni id facere. lia cadem epistula illum et dixisli amicum, et ncgnsii. Ilaiiuc mc priorc illo vcrbo, quasi publico, usus e%, el sic illum amicum Tocasli, quomodn onmcs candi- dates bonos viros dicimus; quomodo obvios, si nonirn non succnrrit, dominos salutinius. Ilac abieriti Sed ii tliqurm amirnm eilslimas, cui non tanlumdcm cre- dis , quanlum til)i , Tchementer erras , et non salis nosli vim vcra; aniicilia.-. Tu Tero omnia cum amico délibéra , sed de ipso prius. PosI amicilinm credendum esl , anlc amicitiam judicandum. Isli vero prïposlero officia per- iiiiscent, qui conlra pra-ccpla Tlieuphrasti , quum ama- vcruDt, juilicant, et non amant, quum jiKlicaverunl. Diu cogita, an libi in aniiciliam aliquis recipiindus sit: quum placuerit ficri, tolo illum peclorc adiiiille ; tain auducter cnm illo loqucre , qnam tecum. Tu quideni ila vive, ut nihil tibi commillas, nisi quod couunillere cliani iuimico tuo possis ; sed , quia iuterTCniuiit quicdain , qux consuetudo fecil arcana , cum amico omnes curas, omnes cocilatiouf s tuas misce. FIdtlein si piitavcris, fa- ciès. ISani quidam fdllere docuerunt, dum timenl falli; etaliis jus peccandi suspicando fecoiunl. Quid? qiiarc ergo uIIm Tcrba connu amico raeo retrah.im!' quid est, quare nie coram illo non putem snliuii '! Quidam , qua; tanlum aniicis commitlinda simt , obviis narrant, et ia quaslibct aures, quidquid illos uril , eionerant; quidam rursus etiam caii»simorum consciciitiam rcroriiiidant, et, siposseut, ne sibi quidem credituri, inlerius premnnt omnc srcrctura. ISeutrnm facicnduniest; ulrumqne cnim S28 leur secret au dedans. Il faut éviter ces deux ex- trémités; car ce sont deux défauts, de se fier a tout le monde, et de ne se fier à personne; mais l'un est plus honnête , et l'autre plus sûr. De même on blâmerait également deux per- sonnes, dont l'une serait toujours en action, et l'autre toujours en repos ; car cette industrie qui éclate parmi le tumulte n'est, 'a vrai dire, que la saillie d'un esprit inquiet ; et ce repos , qui ne peut souffrir aucune agitation, est plutôt une lâ- cheté ou une langueur. Vous retiendrez donc ce quej'ailudartsPomponius: o II y a des gens qui se sont si fort enfoncés dans l'obscurilé , que tout ce qui est au jour leur paraît trouble : » Enfin, il faut prendre ces deux choses alternativement, le tra- vail quand on s'est reposé, et le repos quand on a travaillé. Si vous consultez la nature, elle vous dira qu'elle a fait le jour et la nuit. EPITRE IV. La véritable joie consiste dans ie règlement des passions. — La vie ne peut être tranquille sans le mépris de la mort. Continuez comme vous avez commencé , et hâ- tez-vous tant que vous pourrez , afin que vous jouissiez plus longtemps du plaisir de voir vos passions adoucies et réglées. Vous en jouirez môme au moment que vous les adoucirez et que vous les réglerez; mais c'est bien un autre plaisir de se contempler soi-même affranchi de la corrup- tion ordinaire des hommes. Vous souvient-il de la joie que vous reçûtes, lorsqu'ayant quitté l'habit SÉNÈQUE. d'adolescent vous prîtes la robe virile, et que vous fûtes introduit dans le barreau? Je vous en pro- mets une plus grande lorsqu'ayant perdu la fai- blesse des enfants , vous aurez acquis la force des hommes sages. Car il est vrai que nous ne sommes plus enfants ; mais nous retenons encore quelque chose de l'enfance; et ce qui est de pire, nous avons l'autorité des vieillards avec les défauts des enfants, et des enfants au berceau : ceux-l'a s'ef- fraient de peu de chose , ceux-ci de ce qui n'est pas, et nous de tous les deux. Appliquez cela maintenant, et vous connaîtrez qu'il y a de certaines choses qui sont d'autant moins "a craindre qu'elles nous ôtent beaucoup de sujets de craindre. Le mal n'est jamais grand quand c'est le dernier qui doit arriver. La mort vient a vous ; véritablement elle serait 'a appré- hender si elle pouvait subsister avec vous. Mais il faut qu'elle ne vienne pas , ou qu'elle passe. Il est difficile, me direz-vous , d'accoutumer son esprit au mépris de la vie. — Ne voyez-vous pas qu'on l'abandonne tous les jours pour des bagatelles? Un amant se pend devant la porte de sa maîtresse; un serviteur se précipite du haut d'une maison, ne pouvant supporter plus longtemps la mauvaise humeur de son maître ; un autre se donne de l'é- pée dans le ventre , pour ne pas retourner au lieu d'où il s'était échappé. Ne croyez-vous pas que la vertu puisse faire ce que fait une forte appréhen- sion ? Personne ne peut avoir une vie tranquille , qui se met trop en peine de l'avoir longue , et qui compte entre ses biens le nombre des consuls qu'il a vus. Faites souvent réflexion sur toutes ces choses, Titium est, et omnibus credere, et nulli; scd alterum honcstius diserim vitium, alterum tutius. Sic utrosque reprt'hcndas, et eos qui semper in-|Uieti sunt, et eos qui senipcr quiescunt. INamilla, tumullu gauderis, non est iiidustria, sed exagilata' mentis concursalio; et ba>c non est quiis, quiK molum omnem mole.vt ani judicat, sed dissolutio el languor. Itaque hoc quod apud l'oniponium Ic'gi , aniiiio mandabitur : « Quidam adeo in lalebras re- fugcrunt, ut puieut in lurbido esse qiiidquid i:i luceest.B Inter se ista niiscenda suni ; et quiescenli agcndum, et îigenli quioscondum est. Cum rerum uatura délibéra; illa dicet libi, et diem fecisse etnoctem. Vale. EPISTOLA IV. DE MOBTIS METU. Persévéra ut cœpisti , et quantum potes propera , quo diutius fnii emendato animo et composito possis. Frueris quidcm ctiam dum emendas, etiam dum componis; alia tanicn illa voluptas est qiiœ percipilur ei rontcmpla- lionc nisntis ab omni labe pura; et spli-udida'. Tencs uti- que memoria , quantum senseris gaudinm , qaDDi , prae- tpxta posita, sumpsisti virilem togara, et in forum de- ductus es : majus exspecla , quum puerilem animam de posueris, et te in viros pliilosophia Iranscripserit. Ad- huc enim non puerilia, sed, quod est gravius, pueri- litas remanet. Et hoc quidem pejus est , quod auctori- tatem babemus .senum, vitia puerorum; nec puerorum tantum , sed infantium; iUilevia, bi falsa foni.idant; nos utraque. Proflce modo; intelliges, quudam ideo mi- nus timeiida, quia multum metus aflerunl. Nullum mag- num, quod eitremum est. Mors ad te venit? limenda erat, si tecum esse posset : necesse *st, aut non porve- niat, aut transeat. — Difficile est, inquis, animum per- ducere ad contemptionem animae. — Non vides , quam ex frivolis causis contemnalur ? Aliusanle amies fores la- queo pependit; alius se praecipitavit etecto, nedominum stomacliantem diulius audiret; alius, ne redncerelnr e fuga , ferrum adegit in viscera. Non putas virlutem hoc effecturam , quod effecit nimia formido? Nulli potest se- cura vita contingere, qui de producenda nimis cogitât, qui inter magna bona multos consnies numerat. Hoc quo- lidic medilare, ni possis a?quo animo vilam rclioiuerc, ÉPITHliS A LUCILIUS. 52!) pour vous disposer à quitter librement la vie, que la plupart' embrassent de la même façon que ceux qui sont entraînés par les eaux d'un torrent s'attachent aux ronces et aux épines. Il y en a beaucoup qui sont flottants entre la crainte de la mort et les déplaisirs de la vie. Ils ne voudraient point vivre, ma^is ils ne savent pas mourir. Faites- vous une vie contente , en quittant l'appréhension que vous avez de la perdre. Le bien n'accommode point celui qui le possède , s'il n'est résolu de le perdre quand il faudra. Or, il n'y a rien qui se puisse perdre plus doucement que ce qui ne peut être regretté lorsqu'il est perdu. Vous devez donc vous endurcir et vous animer contre tous les ac- cidents qui pourraient arriver, même aux plus grands. N'a-t-on p;is vu un pupille et un eunuque décider de la vie de Pompée; un particulier cruel et insolent de celle de Crassus? Caïus César con- traignit Lépidus de présenter sa léteà Dexter, maréchal-de-camp; il donna la sienne 'a Chéréas, son assassin. La fortune n'a jamais mis personne en état de ne point appréhender ce qu'elle lui avait permis de Tiire 'a d'autres. Dé6ez-T0US de la tranquillité présente; la mer se change en un moment , les vaisseaux se ()crdent 'a l'endroit même où uu peu auparavant ils s'étaient joués. Songez qu'un voleur ou un ennemi \yeut vous sur- prendre et vous couper la gorge. Mais, .sans cher- cher d'autre puissance , il n'y a point de serviteur qui n'ait votre vie et voire mort enire ses mains. Je vous assure que quiconque néglige sa vie est maître de la vôtre. Si vous rappelez les exemples de ceux qui sont péris par des surprises ou par des violences domestiques, vous Irouverez que la haine des serviteurs en a fait mourir aulant quo la colère des princes. Qu'importe donc si celui quo vous craignez est puissant , puisque chacun l'est assez pour faire ce que vous craignez ?Peul-êlre, si vous tombiez entre les mains des ennemis, le vainqueur vous ferait conduire a la mort; mais c'est où vous allez. Pourquoi vous flattez-vous , feignant de n'avoir pas compris jusqu'à présent co que vous faites il y a si longtemps? Car je vous assure que vous allez à la mort depuis le jour de votre naissance. Il faut donc entretenir notre es- prit de toutes ces considérations, si nous voulons arriver doucement à cette dernière heure qui jette du trouble dans tous les moments de la vie. Mais pour finir celte lettre, je veux vous donner ce que je viens de cueillir dans le champ d'au- trui, et qui m'a semblé parfaitement l)eau. « La pauvreté qui est conforme "a la loi de la nature est une grande opulence. » Savez-vous en quoi cette loi consiste ? C'est de nous garantir de la faim, do la soif et du froid. Pour éviter ces choses, il n'est pas nécessaire de se rendre assidu a la porte des grands, ni de s'exposer à leur mépris sourcilleux ou à leur civilité négligente. On n a pas besoin de passer les mers, ni do suivre les armées. Le nécessaire est facile à trouver; il est exposé devant nous; on ne travaille que pour le superflu ; c'est cela qui nous fait user uns robes dans le barreau , qui fait blanchir nos cheveux à la guerre, et qui nous fait passer dans les pays étrangers. Nous avons en notre pouvoir ce(|ui nous sulûl. qiiam loulti sic complectiintur et teneot, quomodo, qui aqiu tiirrenle rapiuntur, sploas et aspera. Plerique inter murtis metuin, et vils tonnrnta , niiseri iluctuant; et Tivere noiuat , et mori nesciunt. Fac itaque tibi jucundani Titam , nmncni pro illa sollicitudinein deponeodo. Nulluni boaum adjuvat hal)enleni, nisi ad cujus amissiODeni pra;- paratus r.-t aiuiius. Nullius auteiiireifacilioraniissiuest, quani qux de^iderari aniissa non polest. Ergo adversus omnia, qux iucidcre p iiielus onuies uUu» inquiétas facit. Seil ul finem cpistolx iniponam, accipe quod mihi hiHlienio die ptacuit (et hucquoque ex alieois horlulii» sumptum est) : • Magna- divitife sunt, tege uaturae cum- piisila paupt'rtas. • Lei autem illa natura; scis quos uobis terminus statuât? ^on esurire, non sitire, nou algcre. Ut famem silimqiie depelias, non est necesse superliis as- sidcre limiuibus, nec supercilium grave et cuntumelio- sam etiam liumauilatem pati; non est necesse maria ten- tare, nec sequi castra. Parabile est quod uatura de.side- rat, et apposilum; ad supervacua sudatur. Illa sunt qu» togani cuuterunt, quœ nos scnesccre sub leutori» cogiml, qiix in aliéna liltora impiugunt. Ad maiiiiiii est, quod satis est. Cui cuni pnupertate benc convenil, dives est Vale. dl h «30 SEjXKUUK. KI'liUE V. Il faut éviter la singulirité et se conformer à ia cou- tume. Je me réjouis de l'assidiiitc que vous apportez a rétutle, et du soin que vous prenez de vous ren- dre tous les jours plijs homme de bien, préféral)ie- iiienl à toute autre affaire. Je ne vous exliortepns sculenicut, je vous prie encore de continuer; mais je vous donne avis de ne pas faire comme ceux (jui, par un motif de vanité plutôt que de vertu , affectent certaines choses qui sont extraordinaires, soit en leurs habits, soit en leur façon de vivre; fuyez lout ce qui conduit à l'ambition par des voies obli.jues, comme un extérieur désagréable, des cheveux trop longs, une barbe négligée, l'a- version contre l'argent, un lit posé contre terre. Le seul nom de philosophe est assez choquant, encore mînie qu'il se rencontre en la personne d'un lionnéle homme; que sera-ce si nous ve- nons 'a nous séquestrer de la coutume des autres hommes? Faisons donc que le dehors s'accom- mode à l'esprit du peuple , et que le dedans ne lui ressemble point. Que nos habits ne soient ni splendides , ni vilains; n'ayons point de vaisselle d'or ciselée , mais ne nous imaginons pas que te soit une marque de tempérance do n'avoir ni or ni argent en notre vaisselle. Faisons seulement que notre vie soit meilleure , mais non pas tout autre que celle du peuple; autrement nous éloi- gnerons de nous tous ceux que nous désirons cor- riger, et ferons si bien qu'ils ne voudront nous imiter en rien , de peur d'être obligés de nous imiter en tout. La philosophie se propose avant toutes choses de former le sens coinmim ot de ré- gler les devoirs de la vie et de la conversation ; nous nous en bannirons si nous faisons profession de vivre autrement que les autres. Prenons donc garde que ce qui nous doit rendre considérables ne nous rende ridicules et odieux; il est certain que notre principale intention est de vivre selon la nature ; mais il est contre la nature d'affliger son corps, de mépriser une propreté qui ne coûte rien, de se plaire dans l'ordure, et de se repaître de viandes qui donnent du dégoût et de l'horreur. Comme il y a du luxe à rechercher les choses délicates, il y a aussi de la folie à s'abs- tenir de celles qui sont communes et qui ne coû- tent guère. La philosophie nous oblige a la fru- galité et non pas a la souffrance. Or, il peut y avoir une frugalité avec quelque politesse ; et ce tem- pérament me plat t. Que notre vie se maintienne entre les bonnes mœurs et la coutume publique; que tout le monde l'admire , mais que chacun la connaisse. Et quoi donc, nous pourra-t-on dire, ferons-nous tout ce que les autres font? N'y aura-i-il point de diffé- rence entre eux et nous? Oui, beaucoup; il faut que l'on connaisse que nous sommes au-dessus du commun, quand on nous aura considérés de près, et que celui qui sera entré dans notre chambre admire davantage notre personne que notre ameu- blement. Oh ! que celui-là est grand qui se sert de vaisselle de terre comme si c'était de la vaisselle d'argent ! Mais celui-ci n'est pas moindre qui se sert de vaisselle d'argent comme si c'était de la vaisselle de terre. En vérité , c'est une imbécillité d'esprit de ne pouvoir supporter les richesses. EPISTOLA V. OE l'IlILOSOPUl* OSTEiNTiTlONE ET DE VEBi l'IlILOSOl'UlA. Quod peninaciter studes , et omnibus oniissis lioc ununi afiis, ut te melioiem quotidie facias, et probo et gaudeo; nec tanluin liortor, ut persévères, sed etiam rogo. Illud auleni te rduioneo, ne eorum more, qui uon proficere, scd conspici cupiuiit, facias aliqua , qux in liabitu tuo, sml génère vitiB notaliilia sint. Asperum culluni , et inton- sum captit, it ncgligenliorem barbam, et indictum ar- gcuto odium, et cubile humi positum, et quidquid aliud aiubition.ni perversa via sequitur, cvila. Salis ipsuin nonien philosophiae, etiam si modeste Iracletur, invidio- suni est; (|iiid, si nos honiiiuim consueludini cœperimiis excerpere? Intus omnia dissimilia sint; frop.s nostra po- pulo convcniat. ISon splendeat toga; ne sordeat quideni. Non habeamus argcnluin, in quort .solidi auri taeladira ec hco promitlo jara aut speio , niiiil in me superesse, quod mntandum sit. Quidni multa tia- lieam, qua? dclieant colligi, qux extenuiiri , qua; allolli? Et lioc ipsuni argumentiim est in melius traosiati animi , quod vitia sua , qiia; adhuc igiiorahat , videt. Quibus- dam aigris gratiilalio fit , quiiin ipsi u-gros se esse scnse- runl. Cuperem ilaque tecum cummuoicire tara subiiam mutaiinnem mci : luiic amicitia; nosîra; certiorein fldu- ciam lial>erc cœpissein ; illius vera; , quani non spes , non tiniiir, non utilitatis sua.* cura divellit; illiiis, ciim qua hiiniinca moriiintur, pro qua nioriuotur. Multos tihi dalx), non qui amico, sed amicitia canierunt. Hoc non poti'st accidere, quuin animiis in societateni lioucsta cu- piendi par voluntas trabit. Quidni non possit ? Sciunl euiui ipsos oinnia babcie comiiiunia, et qiii.:ciu magis adversa. Concipcre aniiiio non pôles, quautuin niomenti aiierre mibi singulos dics vidcain. Mitle , iuquis, et nnbis isla , qu^pectaclcs insinuent facilemeut \e vice. Vous i!ie demandez ce que vous devez princi- paiement éviter. Ce sont les grandes compagnies; je n'y trouve point encore de sûreté pour vous. J'avoue mon faible ; jamais je n'en reviens tel que j'y étais entré; il y a toujours quelque mouve- ment, que j'avais assoupi, qui se réveille, ou quel- que pensée que j'avais bannie, qui revient; ce qui arrive aux malades affaiblis de longue main, que l'oQ ne saurait porter dehors sans leur faire tort, nous arrive aussi, "a nous autres de qui les espriis se rétablissent d'une longue maladie. La conver- sation d'un grand nombre de personnes nous est contraire; on rencontre toujours quelqu'un qui favorise le vice, qui nous l'imprime ou qui nous l'insinue; et plus il y a de gens, plus il y a de pé- rils. Mais rien n'est si préjudiciable aux bonnes mœurs que de s'arrêter longtemps aux spectacles publics, parce que le plaisir qu'on y reçoit fait couler le vice plus aisément; que voulez-vous que jo vous dise?Oui, je reviens plus avare, plusani- bitieux et plus inhumaiu que je n'étais, pour avoir été parmi des hommes. Je me suis rencontré 'a un spectacle qui se don- nait'a midi, où jo pensais entendre quelques bons mots, et voir des jeux et quelque divertissement pour récréer les yeux , rebutés du sang humain que l'on venait de répandre; mais, au contraire, les combats qui avaient précédé n'étaient que des actions de miséricorde. Il n'y a plus de jeux; ce ijiclusam teneam nec enuntieni, rejiciam . Nullius boni , sine .socio, jucunda possessio est. Mitlam itaque ipsos tihi li- bros; et, ne uiuUuin operse impcudus duin passlni pro- l'utiirii secliiris, iinponam notas , ut adip.«aproliniis, (|ua; probo et niiror, accédas. Plus lanien libi et viva vos et lOiiviclus. qiiiiin uratio, proJeril. In rcni prœsentem ve- nias opurtel; pi'iiiium,quia boniiuesanipliusoculisquam urilmscreiluiil; deinde, quia lougnni lier est per pra;- cepta, brevi^ et efticax per exempla. Zenoneni CIcanthes non expressisset, si ouni tantumniudu audissel. Yiiae ejus iutcM'fuit, seerela perspcxil, observavit illum, an ex for- mula sua \i\erel. Plato, et ArisUHeles, et omnis in di- versuin itura sapienliuin turba, plus ex nioribus quamex »erb'sSocralis traxit. Metrodonun , et llerniarcbum , et Polya;uuni, nnignos viros non scbola Epicnri, sed contu- lierniuiii, fecit. Nec in hoc te arccsso tanluni, ni proficias, M'd ut prosis : pluriuium enini aller alteri conferemus. Intérim, quoniain diiiruani tilii niercedubim del>e<>, quid ne liodie apud Ilecatoncin deleclaTcrit, riirani. • Qiiu'ris , inqnit , quid profecerlin ? Amicus esse niihi. » l\!ultiun pi'(>recil; iiunij'.iani erit sulus. Scito buacaïuicuiu oninibu» oise. Vale. EPISTOLA VU. FUGIEKDi EST TinUl. Quid libi Titandurapra.'cipue exisliraesquîpris. — Tur- bam! ?s qu'ils .".e donnent. Le spectacle est-il cessé , on égorge des hommes afin qu'on ne reste pas sans rien faire. Mais ne sivcz-vous pas que les mauvais exemples retombent sur ceux qui en sont les au- teurs ? Vous devez rendre grâces aux dieux im- mortels de ce que vous enseignez la cruauté 'a un prince qui ne la saurait apprendre. ; qaidq'iid nnle pucnatumest, luiwricordia fuit. INiinr, iiistls nu^i.s. mera homicidia sunt; niiiil halicot (|uu tc- ^utur; ad ictum toti!> corporibus euposili, nunquani fru&tra rnauuiii niitlunl. Hiic plcrique ordiiiariis paribus et poslulatiiiis pr.i'fcrniit. Quidai pra'fcraiit ? non galea, noQiculo repcllitur ferrum.Quomiininienla? quoniics? Oiiiniii ifta iiiorlis iiiora! sunt. Mane li-noibus et iirsis honiine» , mendie spcitaloribus suis objiciiinlur. Inicr- fectures ioterrecturis jubentur objici ; et viclurcm in iiliam detinent œdein. Eiilus pugnnHtiuin mors est; ferro et igae res gcriiur. Il£pc fluut , diim vacat arena. — Scd la- trocinium fecit aliquis! quid ergo? meruit utsuspcnda- lur. Occidit bominem ! qui txxidit , ille meniit ul hoc pa- leretur. — Tu quid meruisli miser ? ut hocspccles. • Oc- cide, verl)era, urel Quare tam timide Incurrit iu ferruin? qnarc parum aiidacter occidit? quare parum libenicr moritur? •— Plagis agitur in vulnera, ut mnluos iciiis nudis et obviis pecturibus cicipiant. — ■ Inlermissuiii est spectaculum; intérim jugulentur homines, ne nihil agatur. » Age, ne hoc quidem intelligitis , niala eiempla in ens radundnrc qui faciunt? Agite Diis immorlalilius gralias. Il ne faut pas laisser parmi ces gr.indes assem- blées une âme tendre qui n'est pas encore conûr- mée dans le bien. On se range volontiers du côté «lu grand nombre. Socrate, Caton et Lélie eussent peut-être changé de n;œurs, s'ils eussent vu quan- tité de personnes avoir des senlimeuls opposés aux leurs; tant il est véritable qu'il n'y a personiie (particulièrement lorsque nous formons notre es- prit) qui puisse résister a l'effort des vices qui viennent si bien accompagnés. Un seui exemple d'amour on d'impureté fait beaucoup de mal; un homme délicat, avec lequel nous mangeons ordi- nairement, est capable de nous amollir et de nous énerver peu "a peu ; un voisin riche irrite notre convoitise, et un coMipagnou de mauvaise vie communique son venin 'a une âme simple et can- dide. Que pensez-vous donc qu'il arrive "a ceux que le public s'cffnrce de pervertir? Il est néces- saire que vous imitiez ou que vous haïssiez. Il faut toutefois éviter l'un et l'autre; car on ne doit pas se conformer aux méchants, à cause qu'ils sont eu grand nombre ; ni se rendre ennemi de ce grand nombre, "a cause (ju'il ne vous ressemble pas. Retirez-vous donc dans vous-même autant (jue vous pourrez ; recherchez ceux qui peuvent vous rendre meilleur, et recevez aussi ceux que vous pourrez rendre meilleurs ; cela est réciproque ; les hommes apprennent lorsipi'ils enseignent II ne faut pas tiiutcfois, |)our faire montre de votre es- prit, vous produire partout et faire des lc(;oiis publiques. Je vous le permettrais, si vos senti- ments s'accordaient avec ceux (lu peuple; mais il n'y a personne qui vous puisse «nlendre, hormis quod eum docelis esse crudelem , qui non potesl discei'<". Subducendus populo est tener aiilmus , el p.'inun leii;i\ recti : facile transilur ad plures. Socrati , et Catoui , et La'lio excutere morem suum dissiinilis nuiltitudo potiiis- set; adeo nemo uostrum ({ui, quurn maxime coucinnamiis ingenium, ferre impetum vitiuruni tara magno comiliitii venientium potest. Unum exempliim luxuriie aut avaritiat multum mali facit : conf ictor delicatus paulatim énervât et mollit ; vicinus dives cupidilalem irr.tat; malignus cii- mcs quamvis candido et simplici rubiginem suam adfri- cuit : quid tu accidere bis raoribus rrrdis, in quos publiée factcis est impetus? Neccsse est aut iuiitcris, aitt odcris. L'trumque autera devitandum est; ne vel similis mali-. fias , quia mniti sunt; neve inimicus mullis, quia dissi- niiles suut. Recède in te ipse quanluiii potes; cum bi.s ïersare, qui te meliorein facturi sun!; illos adiiiitte, quo» tu potes facere raeliores ! Mutuo isia (iunt; et homines, dura diicent, discunt. Non est eif;i) quod te gloria pu- blirandi inpcnii producat in niediiiin, lit rccitire istis velis, aut dispulare ; quod lacère te ^cllem.si li:iberes isli populn idoneam mercein iVeiiioot, (|ni iiilelligi'n; te possit. Aliquisfortasteunusautalter iniidcl: et liicip»!* 554 SÈNÈQUE. peut-f Iro lin ou deux , el encore seroz-vous obligé de les focraer el de les rendre capables de vous entendre. Pourquoi donc, direz-vous, ai-je appris loutes ces choses? ^■(■n ayez point de regret; vous n'avez pas perdu votre peine, car vous les avez apprises pour vous. Mais, afin qu'on ne m'impute pas de n'avoir rien appris aujourd'hui pour moi seul, je vous communiquerai trois sentences parfaitement bel- les, que j'ai rencontrées presque sur notre sujet, dont l'une paiera la dette de ce jour, et les deux autres vous seront données par avance. Démocrite dit : « Je compte un homme seul pour tout un peu- ple, et tout un peuple pourun homme seul. » Ce- lui-là, quel qu'il fût (car on n'en sait pas l'auteur), répondit aussi fort a propos à ceux qui lui de- mandaient 'a quoi servirait ce raffinement si ex- quis de son art, vu que fort peu de gens le pour- raient connaître : « C'est assez depeu de yens; c'est assez d'un seul ; ce serait même assez (juaud il n'y aurait personne. » Ce dernier trait-ci est excellent. ILpicure, écri- vant 'a un deses compagnons d'étude : «Les choses Bfue et ille, quisquis fuit (ambigilur eniin deauctorc), (]uuni quœre- rclur ab illo , quo taula diligeulia arlis speclaret ad pau- cissimos perveuluia; : « Salis sunV, inquit, niinl pauci, satis est unus, salis est nullns. « Egrcpie hoc tcrtiuni Epicurus , qnum uni ex consorlibus siudioriim suorum scriberel : « Ha'C, inquit, ego non mullis.scd tibi; salis enirn magnum aller allcri tliealrum sumus.» Isla, mi Lncili, ciindcnda in animum sunt, ut contînmes volup- lalem ex pluriuni assensione venicntem. Alulti te laudanl. Et quid liabes ciir placeas tibi , si is es quem intelligant multi ? inlrorsus bona tua spectcnt. Vale. EPISTOLA TIII CCI BEI SAPItNS OPEBAII IUPENDEDE DEBEiT. • Tu me, inquis, vilare turbam jubés, secedere, et cunscientia esse cuntentimi ! Ll)i illa préeccpta veslra , (|ua; imperanl in aetu niori?» — Quid? ego tibi videor inlerim sedere.' In lioc me recondidi, et fores clausi, ut prodesse pluril)us pos:>im. r^ultus mihi per olium dies exit; partem noctium studiis vindico ; non vacosomno, >ed snccumbo; et oculos, vigilia fatigalus cadcntesque, in opère detineo. Secessi non tanluin ab bominibus. sed eiiam a rébus, et piinium a meis. Posteroruin uegotium ago; illls aliqua , qucT possiut prodesse, conscrilio; salu- tarcs admoDitiones, vclutmedicamentorumuliliuiu coiu- positiones, lilteris mando; esse illas efficaces lu meis ul- cerilms experlus, quas, eliamsi persanata non suut, ser- pcre desierunt. Reclum iter, quod sero cognovi et lassus errando, aliis monslro. Clanio: • Vilalequacuniquevulgo pLicent, qua." casus attribuiU ad omne forluilum bonum suspiciosi pavidique subsisti:e ! Et fera , et piscis , spe ali- qua obtectante decipitur. Alunera isla fortuna?putatis? io- 1 EPiTHES A LECILILS. I des picgcs. Unicouque veul vivre en siirelé , qu'il éviie autant qu'il pourra des bieufaiis si enga- geants: car, en les pensunt prendre, il se trouve que nous sommes pris. Ce cliemin conduit a un précipice, et une vio si cclalanle finit ordinaire- ment par une chute Tuncste. D'ailleurs on ne peut plus s'arrêter quand la prospérité commence a vous emporter. Teneï-vous ferme, ou retirez- vous ; car si vous en usez ainsi , la fortune pourra bien vous donner quelque secousse , mais elle ne vous renversera pas. Gardez ce régime de vivre qui est fort salutaire. Donnez seulement a votre corps ce qui suffit pour se bien porter. Il faut le traiter un peu rudement, de peur qu'il ne soit pas assez soumis h l'esprit. Ne mangez que pour apaiser la faim , et ne bu- vez que pour éteindre la soif. Ne cherchez dans votre habit qu'"a vous défendre du froid, ni en votre logement qu'à vous mettre à couvert des injures de la saison. Il est indifférent que votre maison soit bâtie de gazons ou de marbre ; un homme est aussi bien sous une couverture de chaume que sous un lanibris doré; et l'on ne doit point faire état des embcllissemcnis qui sont su- perflus. Songez qu'il n'y a rien en vous de consi- dérable que l'esprit, lequel étant grand , tout lui doit paraître petit. Si je m'entretiens de ces pen- sées et que je les transmette "a la postérité, ne vous semble-t-il pas que je fais beaucoup plus de fruit que d'aller plaider une cause, que d'apposer mon cachet h quelque testament , ou de prêter ma voix et ma main , dans le si'nat , 'a un ami qui briguera ijuclque charge? Croyez-moi, ceux que l'on pense iidia} «uni. Qaisquis veslnim luiam agcre vilam viilct, quautuin plurimtiiii |H);c!>t , isia viscâlabeacllcia deùlet; in quibiu hoc qiioque ii;i!ierriini fallimiir : tiabere nos putamus, baerenius. In pra;cipilia cursus iste dcducit; hujus eminentU vilae exitus , cadere est. Deinde ne resis- tcre quidem licet, qoura coepii transversos ogere Félicitas. Aul sallein redis . aut semel rucre ! >on vertit forluna , si'd ccrnajat et allidit. Ilanc ergo sanam et salubrem for- mant TiljB teoete, nt corpori tantum indulgeatis, quan- tum tranae valeludini satis est. Durius traclandum est , ne animo maie parrat ; cibus famem sedct , potio sitim ei- (tioguat, Testis arceat frlgus, doinus munimcnlura sit adversus infesta corpori. Uanc utnim ccs|)es crexerit, an varius lapis gentis alienœ , niliil interest ; scilote tam bone hnmiopni cuimo, quam aurotoiii. Contemnitc om- nia, qua; snperTacuus labor Tcint ornnnictiUim ac, dccus ponit. Cogilate, nibil pra;ter animum esse niirabile, cui mugno nihil magnum est I » Sf hœc meenm , si cnm postcris loquor, non viileor tihi plus prodcsse , quam quum ad vadimoninm advocaliis «lescenderem , aut tabulis tcstamcnti annulnm imprinip- rem , aul in senatu candidalo vocem et nianuni commo- iarcm? Mihi credo : qui nihil agere vidcnlur, niajiira être "a ne rien faire , sont ceux qui quelquefois font les plus grandes choses ; ils traitent en mèiuc lenijis de ce qui regarde les dieux et les hommes. Mais il faut liiiir, et payer quoique chose pour cette lettre, comme j'ai de coutume; ce ne sera pas du mien. Revoyons encore lilpicurc, dont voici une parole Habet autem non tantum nmiciiix usus, veterisetcertae, magnam voluptatein, sed cliam initium et comparatio nova?. Quod interest intcr metcntem agricolam , et serenlem , hoc inter cum qui pa- ravit amicum , et qui parât. .Mîaliis pliilosophus dicere solcbal ; • Jucundius esse amicum faccrc, quam bjilicrr, EPIÏRES A LUCILIUS. 537 vr.ige le charme dans te travail ; mais quand il est achevé, il jouità la vérité du fruit de son art, mais il jouissait de l'art même quand il travaillait. Les enfants rendent |>lus de services quand ils sont grands; mais ils donnent plus de plaisir quand ils sont petits. Revenons maintenant à no- tre propos. Le sage, quoiqu'il se contente de lui-mt^me, est toutefois bien aise d'avoir un ami , quand ce ne serait que pour exercer l'amitié , et faire qu'une si grande vertu ne demeure pas oisive. Ce n'est pas pour la raison dont parle lipicure dans celte épttre , aûn qu'il ait un ami près de soi quand il sera malade, un ami qui l'assiste dans la capti- vité ou dans l'indigence; mais aGn qu'il ait une personne, laquelle il puisse soulager dans la ma- ladie, et délivrer de la captivité. Celui qui se considère en contractant une amitié, ne fait rien qui vaille; il Onira comme il a commencé. Il a l;.it un ami pour en être assisté dans les fers; et lui, sitôt qu'il entendra le brait de la chaîne, il se retirera. Voilà ce que le peuple appelle des amitiés du temps. L'ami que l'on a choisi par in- térêt, sera agréable autant de temps qu'il sera utile. C'est pourquoi vous voyez une foule d'amis iuiprès des gens qui sont en fortune , et une éirunge solitude chez ceux qui n'ont pas le vent en poupe. De là vient que les amis se retirent dans les occasions où l'on en doit faire épreuve , et que l'on voit tant de mauvais exemples de personnes qui abandonnent leurs amis par crainte, et d'au- tres qui les trahissent par lâcheté. Aussi faut-il que la Gn ait du rapport avec le commencement. Celui qui a commencé d'être ami parce que cela lui était expédient, ne refusera pas l'avantage qui lui sera offert au préjudice de lamilié, s'il estime qu'il y ait un plus grand avantage que l'amitié môme. Pour quelle raison fais-je donc un ami? AGn que j'aie une personne pour qui je puisse mou- rir, que j'accompagne dans l'exil, et que je dé- fende de la mort aux dépens de ma propre viei Cette amitié dont vous nous donnez l'idée, n'est autre chose qu'un traflc où l'on considère ses commodités et le proOt qu'on y pourrait faire. Sans doute, l'amour a quelque chose qui res- semble à l'amitié; vous le pourriez appeler une amitié violente. Y a-t-il quelqu'un qui devienne amoureux pour le proGt, pour l'ambition ou pour la gloire? L'amour, cette passion qui de soi né- glige toute autre chose , engage l'esprit "a la re- cherche de la beauté, sans autre motif que l'es- pérance de s'en faire aimer. Quoi donc ! Une cause plus honnête prodiiira-l-ellc une affection (pii soit infâme? Il ne s'agit pus, dites-voiis mainicnunt, de savoir si l'on doit désirer l'amitié "a cause d'elle- même, ou pour quelqu'autre sujet; car, si on la doit désirer il cause d'elle-même , celui qui trouve son contentement en soi , s'en peut approcher comme d'une chose parfaitement belle, sans espé- rance d'aucun proGl, et sans craindre les capri- ces de la fortune. Celui-l'a dégrade l'amitié de sa noblesse, qui la recherche pour s'en servir au besoin. Beaucoup de gens , mon cher Lucile , entendent fort mal ces paroles : Le sage est content de soi- même. Ils l'éloignent de toutes choses, et le ren- ferment dans sa peau ; mais il faut distinguer cela, et savoir l'essence et l'étendue de ces mots : Le qnoniodo artifici Jucnndius pingcre est , qii.im piniisse. i llla in oppre «uo occupât) sollicitiido iogeos ot>lectaniea- tum h.il)ct in Ipsa occupatione. Non a;(|ue dcleciatur, qui ab opcre peifeclo remoiit nianiim : jaiii fiuctii anis suas fniiliir; ipsa fnietiatnr arle, quum piugercl. Fnictuosior est adiilesceatia liberorum, sed iiifaiilia dulcior. Nunc ad propositum retertamur. Sapiens, eliam si coateotui est se, tamea haltère amicum »ull; si ob nibil aliiid, uteierceat amicitlam , ne tam magna virlus ja- eeat; non ob hoc, quod Epicunis diceliat in liac ipsa epi- (tola , t ut habeat qui sibi sgro assideat , succurrat in Vincala conjorto Tel inopi ; i sed ut halieat allqneni , cui ip«e sgro assideat, quem ip^um circumTentuin hostili custodia lilierct. Qui se specliit , et piopter hoc ad aiiiiei- tiam Teait,inalecogi'.at ; quemadmodum cœpil, sic desinet. Paraïit amicum, adfersus vincula laturum opem ; quum rrip-.um crepuerit catena , discedct. Hœ sunt aniiciliie, Hiias tem|H)rarias populus appcll.it. Qui causa utilitati» iis-umptus fst, tamdiu placebit, quamdiuutilis fuerit. Hac re llorentes amicorum turlw ciicuiD.''Cdit : circa ercrso» •oliludo est; et inde aniici fugliinl , ulti prol>an:ur. ilac re ista lot ncf.iria exempta suut , aliiiruni niclu rcln- qucotium, ali ruin inotu pnidentiuni. Nccusc est initia inler se et eiitus congniant. Qui amicns esse cœpil, quiaexpedit, placebiteialiquodpretium contra amicitiiiin, si ullum in illa phicet prxter ipsam. In quiil aniicuiii paro ? ut halieani pro quo mori possini , ut h.ibeaiii qui'iii in eisilium scquar, ciijus me iiiorli et opponam et inipcn- dam. Ista, qnam tu de cril>is, negotialio est, non nnii- citia ; qucB ad commO'tum accedit , qua» , quid consecutui a Bit, spécial. Non dubie aliquid hal>et siniite aniicilix> »[- frétas amantium : possis dicere, illam esse insanam anii- citiam. Nuraquid ergo quisquam amal lucri causa ? niun- quid amliiliouis aul gloriae? Ipsc per se «mor, omnium aliarum rerum négligeas , animos in cupiditateni Tormie , non sine spe raaiuae caritalis , accendit. Quid ergo, ex honestiore causa coil turpis affeclus ? — • Non agiliir , in- qiiis , nunc hoc , an amicitia propter se , an propter .niiiid sit expelenda ; nam si propter se ipsam eipctcuda est , potest ad illam acccdere , qui se ipso contentns est. > — Quouiodnergo ad illam accedit? quomodo ad rem pnl- cheriimam. non hicrocaptus, nec varielate forluna' per- territus. Deirahil amicilia; niajestatem snam, qui illam parât ad bonos r-isas. Se cnnlentiis e'^t sapiens. Hoc, mi Lucili, pleriqiic pcrpnam intcrprclantiir; sapientoni uadii|uu submuTent , et iutra cutcm suam ci»- nm sage est coiilcnl de soi; non pour vivre, mais pour vivre heureusement. Car pour celui-là, il a besoin de beaucoup de choses , et pour celui-ci , il n'a besoin que d'un esprit ferme et droit qui méprise la fortune. Je vous veux encore donner la distinction de Chrysippe. Il dit que le sage ne manque de lien , et pourtant qu'il a besoin de plusieurs choses : au contraire, le sot n'a besoin de rien , car il ne sait user d'aucune chose , mais il manque de tout ; le sage a besoin de mains et d'yeux , et de beaucoup d'autres choses qui sem- blent nécessaires à notre usage. Néanmoins il ne manque de rien ; car ce mot de manquer emporte nécessité. Or, il n'y a rien qui soit nécessaire au sage. De tout cela je conclus que le sage est con- tent de soi; mais qu'en même temps il a besoin d'amis, et voudrait en avoir un grand nombre. Ce n'est pas pour vivre heureusement; car il le peut faire même sans amis. Le souverain bien ne va point chercher du secours au dehors , il règne chez soi , il procède entièrement de soi ; car, s'il procédait tant soit peu d'ailleurs, il conunencerait à être sujet à la fortune. Mais voulez-vous savoir quelle sera la vie du sage s'il se trouve abandonné, sans amis, dans nne étroite prison on parmi des peuples étrangers, s'il est arrêté dans un voyage de long cours, ou jeté sur quelque rivage désert? Elle sera semblable a celle de Jupiter, lequel, lors- que le monde et les dieux retournent dans l'ancien chaos, et que la nature cesse d'agir pour un peu de temps , trouve sa satisfaction dans ses pensées. C'est à peu près ce que fait le sage; il se relire dans soi-même, il se tient compagnie. Taut qu'il SÉNEQUE. lui est permis de conduire ses affaires a sa discré- tion , il est content de soi , et n'a besoin de per- sonne : il épouse une femme, il a des enfants, quoiqu'il pût vivre content sans cela. Si ce lui était toutefois une nécessité absolue de vivre seul , il aimerait mieux ne vivre pas ; il s'engage dans l'amitié par une pure inclination, sans aucune prétention d'utilité ; car il est de l'amitié com(?.e d'autres choses qui sont agréables "a notre goût , et nous aimons la compagnie comme nous haïs- sons la solitude; le même instinct qui concilie l'homme avec l'homme , nous inspire le désir de faire des amis : néanmoins , quoique le sage aime extrêmement ses amis, qu'il en fasse autant d'é- tat et souvent plus que de soi, il fera consister tout son contentement dans lui-même. Il dira ce que dit Stilpon, lequel Épicure raille dans une certaine épître. Ce philosophe, après la prise de sa ville natale, après la perle de sa femme et de ses enfants, s'étant retiré de l'incendie gé- néral , seul et toutefois heureux , répondit 'a bé- mélrius Poliorcète , qui lui demandait s'il n'avait rien perdu : Tous mes biens sout avec moi. O l'homme fort et généreux ! Il a triomphé de la vic- toire de son ennemi ; car, en disant : Je n'ai rien perdu , il l'a fait douter s'il l'avait vaincu. Tous mes biens sont avec moi , c'est-à-dire la justice , la venu, la prudence, la tempérance, et celle belle résolution de ne pas estimer bien celui qui peut être ôlé. Nous admirons certains animaux qui passent au travers des Qammes , sans en être atteints : cet homme n'est-il pas plus admirable , qui , parmi (junt. Distinguendura est autein , quid et qiiatenus vox ista promiltat. Se contenlus est sapiens, ad béate viveiidum. .Ad hoc eoim njultis illi rébus opus est; ad i lud tantum aaiino sauo, et ereclo, et despiciente forliinaiii. Volo tibi Cliiysippi quoque dislinclionem indicare. Ail, «sa- pieiilem iiiilla re indigere , et tanien niuitis illi rcbus opus esse : contra stulto nulla re opus est; nidla cuim re scit uti , sed omnibus eget. » Sapienli et nianibus, et oculis, et uiultis ad quotidiaiumi usum necessariis opus est ; eget nulla re : cgere enini, nccessitatis esl; niliil necesse sa- pienli est. Ergo, quamvis se ipso contenlus sil, auiicis illi opus est; hos cupit habere quam pluriuios; non ut l)eale vivat, vivet enim eliam sue aniicis biate. Summum bonum extrinsecus instrumenta non qua'rit ; domi colilur; ex se totuni est. Incipit fortun» esse snbjcclus, si quam parteni sui foris qua'rit. Qualis tnmen futuia est vita sa- pienlis,si sine aniicis relincjuatur in custodiam conjeclirs, vel in aliqua gente aliéna deslitntus, vol in navigalione longa retentus , aut in desertum liltus ejoclus ? Qualis est Jovis, quuni resoluto mundo, et Diis iu unum confusis, [laulisper cessante natura, acquicscit sibi, cogilationibus suis traditusl Taie qniddam sapiens facit: in se recondi- liir; scc;im est. Quaindiu quidem illi licet suo arbitrio res suas ordinare, se contentas est : etducit uiorem, se contentas; et liberos tollit, se contentas; et lanieo non vivet, si fuerit sine homine victurns. Ad amicitiain fert itlum nulla utiliias sua, sed naturalis irritatio. Nam, ut aliarum nobis rernm innata dulcedo est, sic amiciîix. Quomodo solitude in odium est, et appelitio sociebitis qiiomodo boininem homini nalura conciliât; sic inest buic quoque rei stimulus, qui nos amicitiarum appetcQ- les faciat. Nihilominus , quam sit amicoruiu ainantissi- mus, quum illos sibi coniparet, sa?pe prœferat, omne intra se bonum terminabit, et dicet quod Stilpon ille dixit , quem Epicuri epistola insequitur. Hic enim , capta palria , ainissis liberis, amissa uxore , quum ei incendio publico soins , et tamen beatus exiret, interroganti De- inelrio , cui cognoraen ab exilio urbium Poliorcetes fuit : 0 Nuraquid perdidisset? omnia, inquit, bona niea me- ciini sunt ! » Ecce vir, fortis ac strenuus I ipsam hoslis sui victoriam vicit. ÎSihil, inquit, perdidi : dubitare il- lum cocgit an vicisset. Omnia raea mecum sunt : ins- t'tia, virtus, prndentia, hoc ipsum, nihil bonum pulare quod eripi possit. Miramur animalia quaedam, qua- pcr medios ignés sine noxa corporum transeunt : quacto hic mirabilior vir, qui per fcrrum et ruinas et ignés, illarsiis ÉPITRES A LUCILllIS. m) le fer, le pillage el le feu , s'est relire sans avoir reçu (le perle ? Vuus voyez comme il est plus fa- cile de vaincre tout un peuple qu'un homme seul. | Le stoicieu parle de mCme que Stilpon ; il emporte i aussi bien que lui ses biens entiers au milieu des \ villes brûlées ; car, étant content de soi-même, il borne la sa félicité. Mais ne vous ima!;inez pas qu'il n'y ait que nous qui ayons en la bouche des paroles si généreuses. Épicure même, qui reprend Slilpon , en a dit de semblables , lesquelles vou: prendrez, s'il vousplait, en bonne part, quoi- qu'il ne doive rien pour ce jour. Quiconque, dit- il , ne trouve point ses biens assez amples , il est misérable , quoiqu'il possède toute la terre. Ou si vous aimiz mieux (car il faut s'attacher au sens et non aux paroles) , celui qui ne se croit pas heureux est misérable , quoiqu'il commande à tout le monde. Mais alin que vous sachiez que ces sentiments sont communs, et que la nature les dicte à toutes sortes de personnes, vous trouverez chez le poète comique : Il ne trouve d'heureux que ceux qui pensent l'élre. Car, qu'importe quel soit votre état, si vous n'en êtes pas satisfait? Et quoi donc, 'a votre compte, siée riche infâme, et cet autre qui a un si grand nombre de valets , mais qui a encore plus de maîtres, disent qu'ils sont heureux, le seront-ils en effet pour cela ? 11 faut considérer , non ce qu'ils disent , mais ce qu'ils pensent ; non ce qu'ils pensent un jour, mais ce qu'ils pensent continuellement. Ne craignez pas qu'une vertu si excellente vienne entre les mains de per- sonnes si indignes; il n'y a que le sage qui soit satisfait de soi ; tous les sots ont du dégoût d'eux- mômes. EPITRE X. La solitude n'est propre que pour le sage. — De quelle manière on doit parler à Dieu et vivre avec tous les bomines. — Il faut se proposer quelque homme d'iiou- neur pour toraoiu de toutes ses actions. Oui, je ne m'en dédis point , fuyez les grandes compagnies, fuyez aussi les petites; fuyez même la conversation d'un homme seul ; je ne vois per- sonne avec qui vous puissiez communiquer; et regardez où va ma pensée et l'estime que je f;iis de vous. J'aime mieux vous laisser en voire dis- position. On dit que Craies , qui était disciple de Stilpon , duquel je viens de parler, ayant rencon- tré un jeune homme qui se promenait "a l'écart , lui demanda ce qu'il faisait la tout seul : « Je m'en- tretiens, dit-il, avec moi-même; n ■a(|Ui(iCratès répliqua : « l'renez bien garde que vous ne soyez en mauvaise compagnie. » Ou tient ordinairement compagnie 'a une per- sonne affligée, ou qui est dans la crainte de quel- i que événement fâcheux , et l'on ne doit pas laisser ■ uu esprit léger sur sa bonne foi, de peur qu'il ne fasse un mauvais usage de sa solitude : car c'est I alors qu'il roule de mauvaises pensées , et qu'il bâtit des desseins au préjudice d'aulrui et de lui- . même; c'est alors qu'il range en bataille ses pas- sions , et qu'il pousse dehors lout ce que la crainte ou la pudeur lui faisait tenir caché ; enfln c'est alors que sa témérité s'emporte , que sa convoitise s'irrite, et que sa colère s'échauffe : il jouit par ce et iademois evasitl Vides, quauto facilius sit totam gca- tem , quam unum virum vincere? Hxc toi illi cooimuuis est cum Stoico : xquc et hic intacta booa per coacrema- tas orbes fert. Se enim ipst; coutentus est ; hoc felicitatem suam Tine désignât. ?ie eiistimes nos solos geaerosa verba jaclare : et ipse Stilponis objurgator Epicurus, siniilem ilii vocem emisit ; quam tu boni consule, eliamsi bunc diem jam eipunii. • Si cui , inquit , sua non vidcntur amplis- sima , licet totius mundi dominus sil , tamen miser est. > Vel, si boc modo tibi melius eountiari videlur (id enim ageodum, ut non verbisserTiamus, sed sensibus) : • Mi- ser est , qui se dou bealissimum judicat , llc«t imperct muodo. «Ut scias autem bos «easus esse comnmiies , na- tura scilicet dictante , apud Comieum invenies : Non est l>eatus , esse se qui non pulat. Quid enim refert qualis status luus sit, si tibi videtur malus? — Quid crgo?iaquis, sibeatunisedixcritillciur- piter dives , et ille mullorum dominus, scd plurium serïus : beatus sua sentenliaficl? — Non, quid dicat, sed quid senliat, refert; ncc, quid uno die sentiat, sed quid adsidne. Non est autem quod vcrearis, ne ad indignutii res tanta pcrvenial. INisi sapienli , sua non placent : oni- nis stultitia laborat fastldio sui. Vale. EPISTOLA X. l'E SOLITLUiniS LT1L1.T1TE. Sicest! non niulo sententiam : fuge multiludiiiem, fuge paucitatem, fuge eliam unum. Pion babeo cum (juo le conmumicatuni veliui. Kt vide quod Judiciuui iiieuui ha- beas ; audeo te tibi credere. Crates , ut aiunt, bu jus ip- sius Stilponis auditor, cujus nientionem prioie epistola feci , quum vidisset adolescentulum secrcto ambiilaulcm , interrogavit, « quid illic soins facerct? — Mecuni , inquit, lofiuor. — Cui Crates: Cave, inc|uit, rogo, et diligenter attende ne cum homine nialo loquarisl » I.ugenteni ti- menlemquecusloiliresiilemus, ne solitiidine nialeutntur; nemo est ei iniprudenlibus (pii leliuqui sibi dcbeat.ïunc Miala consilia agitant; tune aut ali:s , aut ipsis futura pe- I riculastruiint; tuiiccupidilatcs iniprobas ordinant; tuno i quid(|niil .lutiiietu. aut pudore ceialwl, aninius exponil. ! tuuc audaiiiiin aciiit , lil)idiiK'ni iirilat, inicundiani in sligal. Dcnqiic, ([Urd uuumsuliiiido babct comniodum , 5i0 SfiNKQUE. moyen Jii seul avantage qui se trouve dans la so- litude, de ne lien conlier b personne, et de ne craindre aucun témoin, puisqu'il se découvre et se trahit lui-même. Considérez donc combien j'espère de vous, mais combien je m'en promets. ( Car, espérer se dit d'un l)icn incertain. ) Je ne trouve personne avec qui j'aime mieux que vous conversiez qu'avec vous : je repasse dans ma mémoire les choses que vous avez dites avec tant de force et de généro- sité, je m'en réjouis, et je dis on moi-même : Cela ne vient pas du bout des lèvres, mais du fond du cœur ; cet bonime-ci n'est pas du commun, il regarde ce qui est salutaire. Parlez et vivez toujours de même ; prenez garde qu(î rien ne vous fasse baisser le cœur ; quand vous remercierez les dieux du bon succès de vos prières, ne craignez point de les fatiguer par d'autres ; faites-leur encore celles-ci, dcniandcz-lcur le bim sens, la santé de l'esprit et celle du coips; pour- quoi ne feriez-vous pas souvent ces prières? Vous pouvez demander hardiment à Dieu quand vous nejui demanderez rien du bien d'autrui. Mais aOn que, selon ma coutume, j'accompa- gne cette lettre d'un petit présent , je vous donne ce que j'ai lu chez Athénodorus : croycc. que vous serez libre de toute convoitise, lorsque vous vien- drez "a ce point de ne rien demander a Dieu , (jue vous ne lui puissiez demander en public. Mais que les hommes d'aujourd'hui sont fous! lis font aux dieux des prières qui sont honteuses; aussi les font-ils tout bas; si (pielqu'un prête l'oreille, ils .se taisent incontinent : Ainsi ils disent 'a Dieu ce qu'ils ne voudraient pas dire 'a un homme ; faites donc que l'on ne soit pas contraint de vous dire: Vivez avec les hommes comme si Dieu vous regar- dait, et parlez b Dieu comme si les hommes vous écoutaient. EPITRE XI. Que l'art ne saurait corriger tes défauts qui viennent du tempérameot , et que les grands personnages sont su- jets à rougir. Je me suis entretenu avec votre ami, qui m'a paru de bon naturel , et le discours qu'il m'a tenu d'abord m'a fait connaître combien il a de cœur, d'esprit et de capacité : car, quoiqu'il m'ait parlé par occasion seulement et sans aucune prépara- tion, il a pourtant donné un essai de ce qu'il pourra faire un jour. Quand il est venu b se re- mettre , à peine a-t-il pu se défaire de la rougeur qui couvrait son visage, tant elle était grande: c'est toutefois une bonne marque dans un jeune homme, laquelle , b mon avis, pourra bien lui demeurer après qu'il sera guéri de tous ses défauts, quelque assurance et quelque sagesse qu'il puisse acquérir*, car il n'y a point de sagesse qui puisse nous déli- vrer des défauts naturels du corps et de Tcspril. L'art peut bien les amoindrir, niais non pas les effacer. Il y a des gens fort résolus , qui ne sau- raient parler en public, sans se mettre en sueur comme s'ils étaient déjà las et bien échauffés. Il y en a d'autres b qui les genoux tremblent quand ils veulent parler; à d'autres les dents s'enlre-cho- quent , la langue bégaie et les lèvres s'embarras- sent. On ne se défait de tout cela ni par l'accoutu- mance ni par l'art; la nature veut témoigner sou nitiit utli committere , non timere indicem, périt stulto : ipse se prodit. Vide itaqne quid de te sperein , imnio quid spondeani milii { spes enim inceiti boni numen est); non inveuio cuin quo te malim esse, quam tecum. Re- peto nicmoria , quam niagiio animo qua;dani verba pro- jeceris, quam rol)oris plena. Gratuiatus sum protinus niibi, et dixi : non a sumniis labris ista venerunt; hal)ent Ii.'L> voces rundamentuni I isie liomo non est unus e po- pulo ; ad salutem spcctat 1 Sic loqueie, sic vive : vide ne le u'.la rcs déprimât. Vutorum tuorum veterum licet Dits gnitiam facias, aliade integro suspice : roga bonam men- tom , boiiani valetiidiuom aninii, deinde tune corporis. Quidiii tu ista vota sa^pe facas? Audacter Deum roga : nitiil illum de alieno rogaturus es. — Sed ut more nieo cum i.liquo niunusculo epistolam mittam, veiuni ist, quod apud Athenodoruminveui : « Tune sciioesse te om- nibus cupiditatibus solulum , quuin eo pervcneris , ut nihil Deum rnges , nisi quod rof;are po.«is palam I » Nunc enim quanta dementia est bominum ! turpi.ssima vota Diis insusurrant : si quis admoverit aurem, contcescent; et quod scire liotninem noiunt, Deo narrant. Vide erpo ne hoc prœcipi salubritcr possil : sic vive cum liominibus, tanqnam Deus videat : sic loquere cum Deo , tanquam bo- ulines audiant. Viile. EPISTOLA XT. QUID ÏALEiT SIPIESTU ID EMESDlSDi TITH. Locutus est mecum amicus tuus bons indotis , jo quo quantum esset animi , quantum ingenii , quantum jam etiam profectus, serrao primns ostendit. Dedil nobis gus- tum, ad quem rpspondfebit : non enim ex praeparato lo- cutus est , sed suinto deprehensus. Ubi se coltigebat , ve- recuudiiim, bonum in adolescente signum, vix potuU excutere : adeo ilti ex alto suffu>us est rubor. Hic itium , quantum suspicor, etiam quura se conlirmaTeril et om- nilms viliis exuerit, sapientem quoque sequelur. Nnlta enim sapientia naturalia corporis au; animi titia |X)nun- lur : quidquid infixum et ingenilum est , lenilur arte , noa vincitur. Quilmsdam etiam constanlissimis in conspectu populi sudor erumpit, non aliter quani fatigati.s et aestuan- lil)us solet • quibnsdam tremunt genua dicturis; quorum- dam dentés colliduntur, lingua titubât, l:ibra concurrunt. IIa>c ncc disciplna , ncc usus unqiiam excutit : sed natnra EPrtRES A Li;ciLius. 541 pouvoir , et faire counattre aux plus robustes ce qu'ils ont deplusiaibic; la routeur est de ce nom- bre, elle surprend aussi les personnes d'autorité. Il est vrai que cette faiblesse parait davan- tage dans les jeunes gens, qui ont le sang plus diaud et le cuir plus délicat; mais ille ne laisse p;is de passer jusqu'aux vieillards. Il yen a qui ne sont jamais plus h craindre que lorsqu'ils rou- gissent, comme s'ils avaient jeté toute leur honte. Sylla était cxirêmeraent violent lorsque le sang lui était monté au visage. Il n'y avait rien de plus facile a émouvoir que le visage de Pompée; sou- vent il rougissait dans les compagnies particu- lières, souvent aussi dans les assemblées publi- ques. Je me souviens que Fabianus rougit étant produit jjour témoin dans le sénat; et cette pu- deur fut trouvée merveilleusement bienséante : tria lui arriva non par faiblesse d'esprit, mais pour la iiouNe;iulé du sujet, <|ui fait quelquefois que, sans demeurer interdit, on ne laisse pas d'Ctre cinu quand la nature y est disposée; car, comme il y a des personnes qui ont le sang tempéré, il y en a d'autres qui l'ont si vif et si subtd , qu'il monte incontinent au visage. C'est ce que loule la sagesse ne saurait empê- cber, ainsi que j'ai déj'a dit; autrement elle seniit mailresse de la nature. Les choses qui viennent de la naissance ou du tempérament demeurent encore après que l'cspril a bien travaillé pour se former ; il est autant impossible de les chasser que de les faire venir. Les comédiens, qui imitent toutes les passions, qui représenlcnl si naïvement la crainteetla tristesse, se servent de ces gestes-ci pour exprimer la lionie : ils baissent la tête, ils affaiblis- im suam cxcrcel, et illo vitio sui ctlani roliustitsimos oucl. Inlcr ha-c esse il rulioreni scio, qui graïissi- mis qiioque viris subilus affundilur. Magis quidem in ju- veDibus apparet, quil>us et plus calons est, et teuera froos; nibilo minus vcteranos et srues tan);it. Quidam DUDquaro magis, quam quum erubueriut, timendi sunt; quasi oninem verccundiam erruderint. Sulla tuuc erat violentissimus.qnum faciemejus sauguis invaserat. Nihil erat mollius ore Pompeii ; unnquani non coram pluribus mbnit, ntique in coaciuuibus. Fabianuni , quum in sena- tum teslis esset induclus, erubuisse memini ; et hic illum mire pudordecuit. Non sccidit hocabinOrmitate mentis, •ed a novilate rei , qus ineiercitatos eliamsi non coo- cntit, movet nalurali in hoc facilitatc corporis pronos : nam , nt quidam boni sanguinis sunt, ita quidam iiicitati et niobilis, et cito in os prodeuntis. IIefc, ut diii , iiulla sapienlia abigit; alioqnin baberet reruno nnluram siih impprio, si onmia eraderct vitia. Qu.Tnimque attrilniit conditio naycendi elcorpfiris tempcratiira , quum muUiini se diuque animus compotuerit, ba;rel>unl. Nibil borum velari piitest , non magis quam arcessi. Arlilices sccuici, qui imilanlur afrccins, qui melum et trépida. iuueui ei- sent leurparole, ils tiennent leursyeuxarrêtéscoa- Ire terre, et toutefois ils ne sauraient se faire rougir, parcequecela ne peut être provoquéni empêché. La sagesse ne peut rieu promettre ni rieu faire contre ces sortes de maux; ils sont indépendants, ils viennent et se retirent snivantle caprice. Il est temps (le iiiellre (in à celte lettre; mais je veux qu'elle vous soit utile et salutaire, et que vous l'imprimiez bien avant dans votre esprit. Il faut se proposer quelque homme de bien, et l'avoir toujours devant les yeux, afin de vivre comme s'il éiait présent, et de faire toutes choses comme s'il nous regardait. C'est, mon cher Lucile, ce qu'Epicure a reconnnandé; il nous a donné le pé- dagogue et cet observateur avec raison ; car on ne ferait guère de mauvaises actions si l'on avait un témoin quand on va les faire. Il est bon que l'esprit se représente une per- sonne pour laquelle il ail des respects, et dont la considération rende même son secret et ses pen- sées plus honnêtes. Oli ! que j'estime heureux celui de qui le regard ou le souvenir est capable d'ar- rêter le vice d'autrui! Heureux encore celui qui peut révérer une personne de telle sorte , qu'à son souvenir il se contienne dans .sou devoir! Qui peut exercer ce respect méritera bientôt d'être respeclé. Proposez-vous donc Giton , et s'il vous semble trop austère, prenez Lélius, qui est un esprit plus doux ; enfin , choisissez celui dont la vie et les dis- cours vous auront plu davantage ; et vous faisant un portrait de son esprit et de sou visage, mon- trez-le-vous dans toutes les occasions, soit pour conseil , soit pour exemple. On a besoin , je le ré- pète , d'uue personne sur qui nos mœurs se rè- primunt.qui trislitiam représentant, hoc indicio imilan- tur verecundiam : dcjiciunt vultum , Terl>a submittunt , figunt in terram oculos ttt dcpriraunt ; ruborem sibi ei- primerenon possunt; nec probibetur hic, nec adducitur. IV'ihil adversus hsec sapienlia promittit , nibil proHcit ; sui juris suul; injussa veniunt, injussa discedunt. — Jam clausulam epistuia poscil. Accipe equidcm ulilem et saln- tarem, quam teaffigere animo volo : « aliquis vir bonus nobis eligendus est, ac scmper ante oculos hnbcndus, ut sic tanquam illo sppclante vivamus, et nmtiia lanquam illo vidente faciamus. • Hoc , mi Lucili , Epiiurus pra'ce- pit : custodem nobis Pt pISTOLA XII. DE SESECTUTIS COMMODIS , ET MORTE Ul.TllO APPETIT*. Quocuim]ue me verti , argumeiia seueclulis meae video. Veueram iii suburhanum nieuin, etqiierebar de impen- sis sdiPicii dilaheutis : ait villicus niihi, iiou osse iiegli- gcnlicB sua; vitium, oiunia se lacère, sed villain veteieiu esse. Uœc villa inler manus iiieas cievil; quid niihi futuruiu est, si tain putrida suiU a^talis meae saxa? Iratus illi, proxiiiiam stoniacliandi occasiouem airipio. Apparet , iu- quaui , lias plalaiios negligi : nullas halient froudes ! quam nodosi sunt et retorridi raini 1 quam tristes et squalidi truncil boc non accideret , si quis bas ciicumfoderet, si irrigarctl Jurât per Geaiuin iiieum, se omnia facere, in nulla le cessare curam suani ; sed illas vetulas esse. — Quod intor nos sit, ego illas posueram , ego illarum piinnmi viderani folium.— Conversus adjanuain : « Quis est, inqiiaiii , iste deciepitus, et merito ad ostium admo- lus? foras enim spectat. TJnde istune nacluses? quid te ddeclavit, alienum morUmin toUere?» At ille ; «Non cog- noscis me? inquit : ego suin Felicio, oui solcbas sigillaria afferre ; ego sum Pbilosisti villici filius , deliciolum toum. — Profecio, inquam, iste dilirat! Pupulus etiam deli- cium nieum factus est ? Prorsns potest iîeri : dentés illi quum maxime cadunt I • Debeo boc subiirbano meo, quod mibi seneclus mea, quocumque advertcram, apparuit. Complectamur illam, etamemus : plena est voluptatis, si illa scias uii. Gratis- sima sunt poma , quum fugiunt; pneritix maiimus in exitu décor est; dedilos vino potio extrema delectat, illa quae merglt, qux ebrietati suuimam nianum imponit. Quod in se jucundissimum omnis voluptas babet, in fi- nein sui differt. Jucundissima est a>tas devexa jam, non lamen prxceps : et illam quoque in extrema régula stan- tera judico habere suas voluptales; aut boc ipsum suc- cedit in locum voluplatum, nullisegere. Quam dulce est, ciipiditates fatigasse ac reliquisse : — ■ Molestum est, ïd- quis, morteiii ante oculos babere I > — Primum ista tam scui ante oculos débet esse , quam juveni ; non enim cita- mur ex censu; deinde nemo tam senex est, ut improbe uuum diem speret. Unus autem dies , gradus vilas est : tota a-tas partilius constat, et orbes baliet circumductos majores minorihiis. Est aliquis , qui omnes complectatur ctcingat; hic pertinct a natali ad diem cxli-emam : est aller, qui aunos adolescenlio? excludit ; e^t qui totam pne- EPURES A LLCILIUS. l'adolescence, un autre qui enfoinic l'enfance; puis il y a l'an qui contient en soi tous les temps de la multiplication, desquels la vie est composée. Le mois a un cercle plus étroit; celui du jour l'est beaucoup davantage ; mais il va aussi du commen- cement à la lin , et de l'orient à l'occident. C'est pourquoi Heraclite, surnommé le Ténébreux 'a causede l'obscurité de ses discours, dit qu'un jour est pareil à tous les autres; ce que l'on a interprété diversement. Les uns disent qu'il est pareil en heu- res, ils ne mentent pas; car, si le jour est un temps de vingt-quatre heures , il est nécessaire que tous les jours soient pareils, parce que la nuit gagne ce que le jour perd; les autres disent qu'un jour est semblable 'a tous les temps; car il n'y a rien dans un long espace de temps que vous ne trouviez dans un seul jour, savoir : la lumière et la nuit, cl cette vicissitude alternative du monde. Cela se reconnaît mieux par la nuit , qui est taxitôt plus courte et tantôt plus longue; c'est pourquoi il Taut disposer chaque jour comme s'il devait assembler tous les autres, et faire la conclusion de notre vie. Pacuvius, celui qui usait de la Syrie comme de son patrimoine, se faisait inhumer chaque jour; car s'étant enseveli dans le vin , en ce fcstia qu'il avait fait préparer comme pour honorer ses funé- railles, on le portait de la table dans une cham- bre, et parmi les gémissements d'une troupe de garçons prostitués, on chantait en musique : Il a vécu, il a vécu! Ce qu'il a fait] par débauche, faisons-le par raison ; et quand nous nous irons coucher, disons gaîraent : J'ai parcouru les ans marqués par mes destins. Si Dieu nous donne le lendemain , recevons-le avec joie ; celui-là est heureux et sait jouir de la vie, qui attend le lendemain sans inijuiélude. Quiconque dit : J'ai vécu, il profite du jour qui vient après. — Mais il est temps de finir cette lettre. — Quoi! direz-vous , viendra-t-cllesans quelque régal? — ^ Ne vous mettez point en peine, elle portera quel- que chose avec soi. Mais que dis-je , quelquechose, je dis beaucoup de choses; car, qu'y a-t-il de plus excellent que ce root que je lui donne pour vous porter? « C'est un grand mal de vivre en nécessité ; mais il n'y a aucune nécessité de vivre en néces- sité.» Pourquoi n'y en a-t-il point? Il y a de toutes parts des chemins courts et aises , qui sont ouverts 'a la liberté. Remercions Dieu de ce (|ue l'on ne peut retenir personne dans le monde; il est per- mis de braver la nécessité. Vous me direz : «Mais Épicure a dit cela ; pourquoi prenez-vous ce qui appartient "a autrui? » J'ai droit sur toutes lesvéri- tés, et je continuerai de vous alléguer Épicure, afin que les gens (jui considèrent , non pas ce qui a été dit, mais seulement celui qui l'a dit, sachent que ce qui est bon est commun à tout le monde. EPlTRIi XIII. Que l'on peut connaître ses forces sans s'être éprouves contre la fortune. — Que noire mal n'est le plus sou- vent que dans l'upiniun. Je sais que vous avez beaucoup de courage; car, avant que je vous donnasse des avis salu- taires pour surmonter les adversités, vous vous ritiam ambitn suo aslringit; est deinde ipse annus , in se oninia coDlinens tempora, quorum muliiplicatione vita cumponltur. Meusis arcliore prsecingiiur circulo : an- gnstissimum haliet dies gyrum ; sed et hic al) initio ad eiitum Tcnit, al> ortu ad occasum. Ideo Ileraclitus , cui cogDonieo Scotinou fecit orationis obscurités: lUnus, inqult, dies par omai est. ■ Hoc alius aliter accepit : diiit vnim , parent eue boris ; nec nientitur : nani si dies est tempus viginti et quatuor lioranini , uecessc est onines iuter se dies parcs esse , quia uox liabet quod dies per- didil. Alius ail , parein esse ununi diein ouuiibus sinii- litudine : nibil euim habet lungissiuii teui|x>ris spatium , quod non et in uno die invenias , luceni et ooctem ; et in alternas mundi vices plura facit ista, non alia, alias cou- traclior, alias productior, Itaque sic ordlnandus est dies omnis, tancjuam cogat agmen, et conxumet nique eipleat vitani. Pacuvius, qui Syriam usu suam fecit, quuni vinu et illis funeris epulis tibi pareutaverat, sic in cubiculiun ferebatnr a cœna, ut inter plausiis eioleloruni lioc ad lymphoniani canerelur, yStSiureu ^tefwai I Nulla non se die extulit. Hoc, quod illc ex mala cousciertia faciebat, nos ex biina faciamus; et in soiiinuni ituri , Ixli bil:ires- que dicanius : Viii : et , quem dnlrral cursnin (orluna , pcregi. Crastinum si adjecerit Deus , Ixtl rccipiamus. Illc lieatis- simus est, cl securus sui possessor, qui crastinum sine soliicitudine exspeclat. Quisquisdixit : l'ixi.' quolidie ad lucrum surgit. Sed jam debeoepistolam inclndere. — Sic , inquis, sine ullo ad raepeculio véniel? — ISolltiniere; aliquid secum feret ! quare aliquid dixi? multnm. Quid eiiini bac voce prsclarius, quam illi trado ad te perfcrendam? « M.ilum est , in necessitale vivere ; sed in necessilale vivere , néces- sitas nulla est. • Quidni nulla sil? patent undiejue ad li- liertatem viœ niulla;, brevfs, faciles. Apamus Deo gra- ttas, quod nemo in vlta leneri potest; calciire ipsas né- cessitâtes licel. • F.picurus , inquis , dixit. Quid libi cum alieno? • Qutid vernm est, meum est; perseverabo Epi- curum tibi ingererc; ul isli , qui in verba jurant, nec quid dicalur a-slimant, sed a quo, sciant, qua; oplima suiit.esse communia. VjiIc. EPISTOLA XIII. QU*: DIBEXT ESSE S.lPlt;ecillitite nos- Im; illud praesta mihi, ut, quoties circumsteterint qui tibi te miserum esse persuadeant, non , qmd audias, sed quid sentias , cogites; et cum patientia tua délibères; ac te ipse interroges , qui tua optime nosti , quid e.>.t quare isli me comploreni? quid est quod trépident, quod conta- gium quoquemei timeant, quasi ti ansilire calamitas pos- sit ? Est aliquid istic mali ? an rcs ista magis infiiniis est , quam mala ? Ipse te interroga ; numquid sine causa cni- cior , et mœreo , et , quod non est , malum fado ? Quomodo , inquis , intelligam , vana sint , an vera , qui- busangor? — .\ccipe hujus rei regulam ! Aut prssenti- EPI THES A LUCILIUS. o4o toutes deux ensemble. Il est aisé de JHgcr des cho- ses présentes, si votre corps est en liberté, s'il est sain , si on ue lui a point fait de mal; nous ver- rons ensuite les thoses futures; il n'en est pas question aujourd'hui. — Mais, direz-vous, elles arriveront . Premièrement, considérez s'il y a des conjec- tures infaillibles du mal qui doit arriver; car sou- vent nous sommes travaillés de soupçons, et trom- pés par les faux bruits qui perdent quelquefois des armées, et 'a plus forte raison des particuliers. Il en va ainsi , mon cher Lucile. Nous nous rendons incontinent à l'opinion , nous n'examinons point les choses qui nous font craindre ; mais nous trem- blons et nous tournons le dos comme ces soldats qui abandonnent leur camp, effrayés de la pous- sière que des bestiaux courants ont émue, ou d'une fausse nouvelle qui s'est répandue sans qu'on on sache l'auteur. Je ne sais pourquoi les choses fausses étonnent davantage que les véritables , sinon parce que celles-ci ont leur mesure et leur être déler- miné, et que celles-là qui sont incertaines dépen- dent de noire esprit qui y met du plus ou du moins, comme bon lui semble. De l'a vient qu'il n'y a point de craintes si dangereuses que ce qu'on ap- pelle terreurs paniques ; car, si les autres craintes sont sans raison , celles-ci sont encore sans con- naissance. Examinons donc l'affaire exactement. Il est vraisemblable qu'il arrivera quelque mal? Cela ne conclut pas qu'il soit vrai. Combien de cho- ses, que l'on n'attendait pas, sont-ellesarrivées? et combien de choses, que l'on attendait, n'ont- elles point eu d'événement? Mais je veux (ine le mal arrive, à quoi sert de l'anticiper? Il vous tourmentera assez tôt quand il sera venu : cepen- dant espérez mieux. Que gaguerai-je? Du temps. Il pourra survenir beaucoup de choses qui arrê- teront ou détourneront le péril prochain. On a vu des gens se sauver par un incendie ; d'autres tom- ber doucement 'a terre avec les ruines d'un bâti-, ment. N'a-t-on pas vu aussi quelquefois détourner l'épée de dessus la tète qu'elle allait abattre, et le condamné survivre à son bourreau? La mauvaise fortune a de la légèreté aussi bien que la bonne ; peut-être sera-t-il, peut-être ne sera-t-il pas; tandis qu'il n'est pas, espérez mieux. Assez sou- vent, sans aucune apparence de mal , l'esprit se forme des illusions en interprétant sinistrement un mot ambigu, ou il grossit l'injure de la personne offensée; considérant, non pas jus- qu'où monte sa colère, mais jusqu'où elle peut monter. CertaineraenI on n'aurait pas raison d'ai- mer la vie, et la misère des hommes serait ex- trême , s'il fallait craindre tout le mal qui se peut faire. Servez-vous ici de votre prudence, et chas- sez par force d'esprit la crainte même la mieux fondée; sinon, sauvez un défaut par un autre; modérez la crainte par l'espérance. 11 n'y a rien de si certain parmi les choses que nous craignons, qu'il ne soit encore plus certain que les choses que nous craignons s'adoucissent souvent, comme celles que nous cspénins s'évanouissent. Exami- nez donc votre crainte et votre espérance, et quand vous les trouverez l'une et l'autre incertaine, croyez ce que vous aimerez le mieux. Si vous avez plus de stijf't de craimlre, penchez toutefois do Imis torquetnur, aut futuris, aut utrisque. Depra'senli- tHji facile otjudicium. Si corpus tuuni liberuni est , sa- nninest, nec ullus ex injuria dolor est; ïidel);mus qtiid futurum >it; bodie aibil aegolii haliet. At enim futuruni est ! Priraum dispice , aa certa argumenta sinl venlun maii, plerumque euini suspiclonibus laboranius; et illu- dit oobiii ilia , qux couHcere bcllum soict , fama , mullu uitem niagis slogulos cunncit. lia est , nii Lucili. Citu ac- ridimui opiniuoi; ooa coargulmus illa, qu^ nos in ine- liiin adducunt, nec eicatinius; »ed trepidaniiis , et sic Tertimus terga , qnrmadinodum illi.quos pulvis nicrturbaDt; vera enim niodum suum b;it)cnt; qtiidquid pxincertoienil, conjecturaeet paventisanimilicentiaî Ira- .titur. Nulli ilaque tam perniciosi, tant irrcvocabiles, quani lympbatici metussunt; cxtcri enim sine ratione, hi sine mente sunt. In(|ulramus itaque ia rem diligenter. V'eri- rimile est, aliquid futurum mali? non statim verum est. Quam multa non eispectata venerunl! quara multa ex- (pectata nuoquam coœparucnint I Etiam si futurum est, qnid juvat dolori «no occurrere? Salis cllo dolebis, quum Venerit; intérim tibi meliora promille. Quid faciès lucri? tenipus! Multa inlervcnient , (juihiis Ticinum periculuin, ut propeadmotum, aut subsistai, aut desiiiat, autin alie- num caput transeat. Inceudiuiii ad fugani patuit; quos- dam niolliter ruina depusuit ; ali(|uando gladius ab ipsa cerïice revocatus est; aliquis carnifici suo suptrstes fuit. Uabct cliam niala fortuua bvilatem. Portasse eiil; l'or- tisse non erit ; intérim non est ; nicliora propo ic. iScm- nunquam oullis appai'entil)us $i) dcinius. £o ma^is iKinum tuiim auge, et e\orna. Sed jam linem epislola; tai'iam , si illi sigoum suum inipiesseio, id est, aliquam magnidcam vocem perferendam ad le niandavcio. « In- ler cœlcra mata hoc quoque tiabel slnltitia, semper in- cipit yiTCrc. » Considéra quid vox ista signiflcet, Lucili Tironim opiimc, etinlelbges, quam frda sit humiuuni U'vilas, qudtidie nom vit.T fundamenla ponentium , no- vas spes etiam in cs^itu iochoantium. Circumspice t' cum singulos; occurrcut tibi senes, qui se quiim maxime ad anibitionem , ad peregrinaliones , ad nogiitiandum pa- rent. Quid est lurpius. quamscnei Ti\ere incipiens ! ÎSoii adjicerera aucîorem buic voci , nisi tsseî secretior , nec inter Tulgata Epicuri dicta, quiemilii et laudare, et adnp- larepermisi.Vale. EPISTOLA XIV. QI^OUODO COBPOEI CONSULENDCa. Fateor insitani esse nobis rorporis noslri carilaleni; fateor nos hnjus gerere tutelam ; nnu nego indulgendum itii ; serviendum nego. Multis enini servict , qui corixiri servit, qui pro illo nimium timet , qui ad illud oninia re- fert. Sic gcrerc nos debeniu? , non lairqiiain prop er cor- pus vivore dobwimus, sed tanijuam non pcssimiis sine corpore. llu;us nos niiiiius araor limoribus inquiétât , sollicitudiiiibiis ont-rat, conluni.tlis objicil. Honestum ei vile est, cuicoipiis niniis caruin est. Agatur ejus diligen- lissime cura; ita tanion , ut, quum exiget ratio, quum digniias, quum Mes, mitteudum in ignés sit. T retnii , inopia atigue niorbi , sileutiosubennt, nec ocu'is, nec ajiribus quidt|u:ini ter- rons ioculiunt; ingens allerius mali p^mipa est; fcrrum ciria se babct , el igncs, it caUnas, et lurbara ferarum , quam in viscera iiumiUat bumana. Cogita boc loco car- cerem, etcruces, et eqiiuteos, et uucum, et adactum per nnedUini hominem , qui pcr os emergeret , stipitem , et distracLi in diversum actis curribus membra ; illnm tu- nicam, abnienlis ignium et illitani et lextam; quidqiiid aliud, pneter biec, commenta ssevitia est. Mon est ilaque minim, si maiinias hujus rei timor est, cujus et varie- tas magna , et apparatus terribilis est. ?tam quemadmo- dum plus agit lortor, quo plura instrumenta doloris ei- posuil { spccie enim vincuntur, qui patientiae restilissent ) ; ita ex bis , qux animes nostros subigunt et dnmant , plus pr.ofIciunt qux babent quod ostcndant. Itlo; pestes non miflDt graves sunt, famem dico, et silini, et pra-cirdia- nim siispiralioncs , tt febres viscera ipsi lorrentes; scd l.'iteiit , nibil babent quod intentent, quod proférant; lixc, m magna botta , aspcctu panituquc vicerunl. Ueiiius itaque operam , alislineamus ofTcnsis. Interdum populus est, qucm timere de!>ramus; interdum, si ea ci- \ilatis disciplina est, ut plurinia per .senatum tran>.igan- tur, gratiosi in eoviri; interdum singiili,quibus potostas populi , et in populum, data est. Hos omnes amicos lia- bere , opcrosum est; salis est , ininiicos non balierc. l'a- que sapiens nuncjuam polentium iras provocubit; imrno (Icclinabit , non aliter iiuam iu n:nigniido pn>e«]]:im. Quum petcres Sieiliam, lrajecistirrelum.Tenierariu.spu- bernalor ronlempsit aus:n minas (ille est enim, qui Si- culum pelagus esasperel , el in voitices eogat); non sl- nislruMi peliit lillus , scd jd , quo propior Cliaryhdis ma- ria convolïit; at ille eau'.inr pcrilos locirum rogat, qui œstiis sit, qua' signa di'ut nubes; el longe ab ilta regione Torliiibus infami cursum lenet. Idem fiicit snpiens; noci- turam polenliam \llat, hoc primiim Ciivens, ne vilare vi- dpatur. Pars enim sccurilatis el in hoc e,4 , non ex |>ro- fesso eampelere; quia, qu.T quis fugil, damnai. Circiitn- spiciendum ergo niiliis est , rpiotiiodo a vulgo tuli esse pcn- i siinu-i. l'rimum nihil idem c inciipisCfU);!.';; rixaefî in cr SÉINÈQUE. fxdtei- des débals et nous aUirerdes coiiipclileurs. Après cela, n'ayons rien qui puisse faire la foi- tjDC de celui qui nous le voudrait ravir ; qu'il n'y iiit pas même grand bulin "a faire eu uous dépouil- lant. 11 y a peu de gens qui verseul le sang pour le sang seulement, et l'on rencontre plus d'avares que d'ennemis ; le voleur laisse passer celui qui n'a rien à perdre , et le pauvre marche en paix dans un chemin couvert de soldats. 11 faut ensuite éviter trois clioses , suivant l'ancienne maxime : la haine , l'tnvie et le mépris. La sagesse seule en peut enseigner la méthode , car c'est un tempéra- ment assez diflicile. Il y a danger que, craignant l'envie, on ne tombe dans le mépris, et que no voulant pas nous élever au-dessus des autres, nous ne leur fassions voir qu'ils peuvent nous mettre sous leurs pieds : d'autre part , beaucoup de gens sont obligés de craindre, parce qu'il y a sujet de les craindre ; assurons-nous de tous côtés ; il n'est pas moins dangereux d'être méprisé que d'être envié. Il faut donc avoir recours "a la pliilosopliie : cette étude est en vénération, non-seulement aux gens de bien , mais encore "a ceux qui ne sont pas tout il fait (lerdus. L'éloquence du barreau et tout ce qui sert 'a persuader les peuples a toujours une partie adverse; mais la philosophie , qui est tran- quille et qui ne se mêle que de ses affaires , n'est jamais méprisée , puisque tous les arts et les sciences lui rendent honneur, même chez les peu- ])les les plus barbares. Le vice n'aura jamais tant de crédit, et la conspiration qu'il a jurée contre la vertu ne sera jamais assez forte pour empêcher que le nom de la philosophie ne demeure véné- rable et sacré ; mais enfln il en faut user avec modestie et avec prudence. Quoi ! me direz-vous, vous semble- t-il queMar- cus Caton philosophât comme il faut, de prétendre empêcher par son avis la guerre civile de se jeter au milieu de deux princes armes et furieux , et tandis que les uns se déclaraient contre Pompé* , et les autres contre César, de les choquer tous les deux ensemble? On pourrait douter que le sage fit bien de prendre part au gouvernement de la république dans un temps de confusion. Que prétendez-vous, Caton? 11 ne s'agit plus à présent de la liberté, il y a longtemps qu'elle est perdue, ou demande seulement si Pompée ou César sera le maître; quel intérêt prenez-vous dans ce différend? Rien ne vous regarde ici, on veut faire choix d'un maîlre. Que vous importe qui demeure le vainqueur? Celui qui succombera aurait bien pu , 'a la vérité , devenir plus méchant ; mais celui qui demeurera victorieux n'eu sera pas meilleur. J ai parlé des derniers temps de Caton ; mais dans les temps précédents les conseils d'un homme si sage , qui voulait piévenir la ruine de la répu- blique, ne furent point écoutés; il ne cessa de ciier et de faire des harangues inutiles, tandis que porté sur les mains du peuple et tout cou- vert de l'ordure qui lui avait été jetée, on le tirait hors de la place , ou qu'on le traînait du sénat dans la prison. Mais nous verrons bientôt si le sage doit s'employer quand il n'y a nulle appa- rence de succès ; cependant je vous propose pour exemple ces grands personnages , lesquels étant exclus des affaires publiques , se sont retires pour ronipetitores. Deiade niliil liabcaiiius (iiind ciiiii iiia;.'iM t'iiiolumeiito ia.sidiantis cripi possit; quaiii iijijiiiutiiii sil incorpore liio spolioi'uiii. Nciuo ad liaiiiaiiiiin saiigu;- iieiii propuT ii'siini veiiit, aiil ailnjodum pauci; pluies conipu;aiil,(piaiii udcrunl; UMdiiiii Ia.ru tiansniitlii; eiiani in obsi'ssa via panpeii pas esi. Tria dciude, v\ prarep- tione Teteri , pra"slaud:i Mint ul vi.eiKUr; odiuiu , invidia, c:)ntenip;u-. Ouomodoliocfiat, sapicMilia iola luoiistiubii. Diflicile en 111 Iciuperainciituni est; viMTudiinijue, ne in lontfmpaini nos inviiiliL' linior U'ansIVral; nt', duin cal caro iK.Iiinius, videamiir posse calcari ; muUis liiuendj iiUulil ciiisas , llnieri possc. Undi.mo uos rcducanius; non iiiinn^ conlcmni, (luain snspici, liocul. Ad pliiKisii|iliiiini crgo coufugienduni isl; Iku lillcra;, noQ dlio .ipiid boniis, sed apud incdliiCiilcT uialos, iu- ruIariiMi loco sanl. ÎS.nw forensis ekxiueuiia, vl iiua-iuni- i)ue alla popnluni niovcl, adversarios 11 ibel; lia'C, (juieta et sui ni'golii, conlcmni non |H>icsl; cni ab omnibus arti- liiis, cliain a|md pebSiiiios.bonor est. INuuquam iu tantum ix)uvalfiscel ne(|uitia, uunquam sicconira virtutes conju- rabiiiir, ut non philosophie nomen venerubile et s:u-i nrn luaiieal. Ca'leruni philosopliia ipsa tranquille niodotcsl non pejorcssc, qui viterii! Ullimas partes aitipl Calonls; sed uepriores (juidcm auai liiei uut, qui sapieuu ni iu illani rap:DaQi i-ei- inblica." adniitierent. Quid aliud quani vociferatus est Cato, et niisii irritas voces.quuui mud ) perpopuli leva lus inanus , et obruius spulis , et porlanJns extra Torum Ira- heretur , modo e seoalu iu carcereni duc«re!ur? Sed poslea vidcbinuis, an sapienli opéra perdeuda sit; inle- rini a 1 hos le Sloicos vuco, qui a republica eiclusi, se- cesseruut ad coleudani vitani, et buiuano geaeri jura condenla, sine ull.i polentioris ofTensa. Non conlurlialiil sapii'us publicos nsores, nec populutu ia se vila; DuTÏtate convertet. Quid crgo? ulique erit tutus, qui lioc prop(>- siluni scqnetur? Promillere tibi hoc uou magis possum. ÈPtTKES A LUCILIUS. 559 mener une vie privée et donner des lois à tous les hommes sans choquer ceux qui avaient le pouvoir en main. Le sage ne va point contre les coutumes établies, ot ne s'attire point la haine du peuple par la singularité de sa conduite. Quoi donc ! Ce- lui qui suivra cet avis, sera-t-il eu sûreté? C'est de quoi l'on n'oserait vous répondre, non plus qu'on ne saurait promettre la santé 'a un liomnie -■•obre; et toutefois la sobriété fait qu'on se porte bien. Il [lérit quelquefois un vaisseau dans le port ; mais que pensez-vous qu'il arrive en pleine mer? Combien celui qui n'est pas en sûreté, vivant en repos, serait-il plus exposé s'il se jetait dans les affaires et dans l'embarras I Les bons périssent quelquefois ; qui en doute? Mais cela est plus or- dinaire aux méchants. On ne laisse pas d'être bon escrimeur pour avoir reçu quelques coups dans la garde de son épée. Enlin , le sage considère en loutes choses ce qu'il entreprend, et non pas ce qu'il en aviendra. Nous simiraes maîtres de nos entreprises; la fortune ordonne du succès : à la vé- rité, jene me soumettrai jamais "a ses jugements. Vous me direz qu'elle donne souvent du chagrin et des traverses : il est vrai ; mais on ne condamne pas le voleur au même temps qu'il fait le coup. Je m'imagine présentement que vous tendez la main pour recevoir la paie ordinaire ; je vous la veux payer en or ; et puisque je parle de la pos- session de ce métal , il faut que vous appreniez la manière de vous en servir utilement et avec plaisir. « Celui-I'a jouit parfaitement des richesses, qui n'a nullement besoin de richesses. » Vous nie demanderez le nom de l'auteur; c'est Epicure , Mélrodore, ou quelque autre de lu miiiie secte. Jugez de ma bonté, puisque je fais ainsi valoir les sentiments d'autrui. Mais qu'importe qui l'ait dit? Il est dit pour tout le inonde. Qui a besoin de ri- chesses a peur de les perdre; or, la jouissance d'un bien qui donne du soin ne satisfait point le propriétaire; il veut toujours l'augmenter, et tandis qu'il songe 'a l'accroître , il ne pense pas "a en jouir : il se rend compte 'a lui-môme, il plaide, il feuillette son journal , et de maître il devient procureur de sa maison. EPITIŒ XV. Il est plus nécessaire d'cKrcer l'esprit (jiie le corps. — Les bleus du forluoe ae suuraieut remplir nos amitiés. C'ctaitla coutume des anciens, qui s'observait encore de mon temps, de mettre au commence- ment d'une lettre : Si vous vous portez bien , tout va bien. Nous pouvons dire avecautant de raison : Si vous philosophez, tout va bien; car enlin, c'est par l'a qu'on se porte bien , autrement les- prit est malade. Le corps même, quoiqu'il soit robuste , ne l'est qu"a la manière des furieux et des frénétiques. C'est pourquoi ayez un soin par- ticulier de conserver cette sanic ; puis vous pour- voirez "a l'autre, qui ne vous coûtera pas beau- coup, si vous voulez >ous bien porter. Car je trouve , mon cher Lucile , que c'est une sotte oc- cupation et fort indécente a un homme de lettres d'exercer ses bras, de se grossir le cou et de s'af- fermir les reins; vous avez beau vous engraisser et fortifier vos membres, vous ne serez jamais si gros qu'un bœuf; outre que l'embonpoint étouffe l'esprit et le rend pesant. C'est pourquoi resserrez tant que vous pourrez votre corps , et donnez 1» quaoi in homiac tempérant! bonam valetudinetn; et t:i- nien facit temperantia Ixiium viiIctuJiaciii. l'criit aliqiin ujTis ia portu ; sed quid tu accidere iii luediu mari cre- dis? Quanto Imic periculum parutiiis furet, iiiu:ta apciiii inolientique , oui ue utium quidem tutiim e:>t'^ l'creunt Hiiquando ioiioccntes; quis iiegat? iiuceales tanica sx- pius. Ars ei constat, qui per oruaiucola percussus ett. I> uique con^iliuiu , rerum omnium s iplens, non eiitum , v|iectal. Initia in poteslate n islra sunl; de evcntu For- tuoa Judicat, cni de me sentenliam non do. At aliquid tetationis arteret, aliquid adversil Non domiuatur latro, quum occidit. Nuncad qnotidianamstipem manum pnrrigis. Aurea te slipe implebo; et quia facta est auri mcntio.accipe qucm- iidiiioduni usus fruclasque cjiis tiiii esse gralior possit. • Is maiime divitiis fruitur, qui niinimcdivit is indifel. • — Edc, inqnis, auct'jrcm. — Ut scias quam benifini si- rnus, propositum est aliéna laudare; Kpicuri est, aut Mctrodori, aut alicnjus ei illa «riicina. Et quid iutercil, qnis diieri.? omnibus dixit. Qui eget divitii», limcl pro 'dlis; nemo auirm sollirito bono fruitur; adjicer» illi» ali- quid studet; dum de increiiiento riipilat , olililus est usuf; raliones aciipil, f.iruui couîeril, k:ik-udanuni veriiit, lit ex dumino procurator. \iile. EPISTOLA XV. DE COnPOniS CIEUCITlTIOfllDlS. Mosantiquis fuit, iisque ad nieam servatus aetatem, primis epislola; verbis adjicere : • Si valcs , bene est ; ego Taleo. • Rectc et nos dicinms : Si philosopharis , bcnu est. Yalere cnim hnc demura est ; sine lioc agcr est ani- nius. Corpus quoque , cliam si magnas babet vires, non allier quam furiosi aut pbrcnctici validuni est. Ergo banc pra-cipue valetudinem cura ; dcin:le tt ill.im secundam , qui- non magno tibi conslabit, si volueris bcne Talere. Stulfci est cnim, mi Lucili, et niinimecoiivenicns litle- ra:o liro, occiipatio eiercciidi liuirlos, et dilalandi ccr- vic«m , iiclatera firniandi. Quum tibi féliciter sagina cc»- serit, et tori crcverinl; me* ires iinciuaiii opiini bovis. nec pondus iquabis. Adjicc nunc , quod niMJore corporis sarcina animus cliditur, «t minus agilis est. Itaque, qnau- sso SÊNEQUE. large à votre esprit. Ceux qui s'adonnent à tes exercices violents s'engagent h beaucoup d'incom- modités, car en premier lieu, le grand travail, en épuisant les esprits, rend l'homme incapable d'une forte application et d'une ctuile sérieuse, et puis le poids des viandes lui rend la conception plus tardive. Vous voyez encore des esclaves qui montrent les exercices, gens de mauvaise vie, qui ne font rien que boire et s'oindre d'huile, et qui croient avoir bien employé la journée (juand ils ont bien sué , et puis avalé quanlllc de vin au lieu de la sueur qu'ils ont rendue. C'est une vie de malade que de boire et de suer continuelle- ment. Il y a des exercices couris et aisés qui dé- lient le corps, et n'emportent guère de temps, ce qu'il faut considérer avant toutes choses. Par exemple la course, le mouvement des mains char- gées de quelque poids, le saut en l'air ou par bas, ou celui qui se fait a la mode des Sallcns, ou, pour parler plus librement, le saut du foulon ; choisissez celui qu'il vous plaira de ces exercices , l'usage vous le rendra facile. Mais quoi que vous fassiez, revenez bientôt du corps à l'esprit, et l'exercez le jour et la nuit. Il n'y a pas grand'peine 'a l'entretenir; le froid, le chaud , ni même la vieillesse ne vous empêchera pas de cultiver un bien qui devient meilleur plus il vieillit. Ce n'est pas (]ue je veuille que vous soyez continuellement attaché sur un livre ou sur vos tablettes; il faut donnera l'esprit quelque re- pos qui le récrée et ne l'énervé pas. 11 est bon de se faire porter en litière ; cela remue le corps , et n'empêche pas l'étude; car vous y pouvez lire, dicter, parler et écouler. La promenade fait la même chose. Vous ne devez pas aussi négliger l'exercice de votre voix; mais je ne puis approu- ver que vous l'éleviez avec de certains tons, et que vous l'abaissiez ensuite. Si vous voulez encore apprendre îi marcher, vous ferez venir de ces gens 'a qui la nécessité a fait inventer des règles pour cela; vous en trouverez qui compasseront vos pas , qui observeront les morceaux que vous mangerez, et qui prendront autant de licence que votre patience leur en donnera. Quoi ! faut-il d'a- bord parler en criant et en faisant effort ? 11 est si naturel de s'émouvoir petit a petit , que les plai- deurs mêmes ne crient qu'après avoir parlé dou- cement ; il n'y a personne qui implore le secours et la foi des Quirites dès le commencement d'une cause. C'est pourquoi suivez le mouvement de votre esprit , en reprenant le vice tantôt plus im- pétueusement, et tantôt plus lentement, selon que votre voix et votre poumon se trouveront disposes; mais , quand vous reprendrez baleine , prenez garde que votre voix s'abaisse doucement , et qu'elle ne tombe pas tout à coup; il faut qu'elle se ressente des qualités de celui qui la gouverne, et qu'elle ne s'adoucisse pas d'une manière inepte et grossière ; car il ne s'agit pas d'exercer notre voix , mais de nous exercer avec noire voix. Je ne vous ai pas déchargé de peu d'affaires , en vous dounant tous ces avis; je veux joindre a cette grâce un présent qui ne vous déplaira pas. Voici un beau précepte. « La vie des fous est cha- grine , agitée de crainte et tout embarrassée de l'avenir. » Vous me demandez qui a dit cela? C'est celui que je vous ai nommé ci-devant. Maintenant quelle est, 'a votre avis, cette vie des fous? Est-ce tumpo'es, C!rciiii!sciil)c corpus tuum, et nniiiio locuin laia ! MuUa seqiiunlur incommoda liuic deditos cunp ; primuin esercitationes, (]iiannn labor spirituiiieitiaurit, et inliabilem intentinniacsliidiis acrioribusrediiil; di-inde copia cibnnim sublilitas inipodilur. Accedimt pcssiniiv not.ie nianciiiia in niagisterinin recepta, honiinos iu'x'r olenni et vinuin occupati ; quibus ad votiun dies actiis est, .si bene dcsndaverunt, si in lucuni ejus quoi cinuxil, inulluin polionis a'.lius in iojuuio iiura; regessccunt. Bi- l)ere et sudare , vita eardiaii est. Suni cxercitaliones et faciles et lireves, qiiaî corpus et sine niora la\cnl, et tcm- pori parcant, cnjus pnecipuii ratio habeiida est. Cursus, et cum aliquo pondère nianus niotée , et saltiis , Tel ilie (|ui corpus in altinn levât , vel ille qui in longum inittit , vcl ille ,ut ita dicam, saliaris, aut, ut coiitiinieliosius dicani, fullonius. Quod libet ex bis elige ; usu lit facile. Quidquid faciès, cito redi a corporc ad animum; illum noctibus ac diebus eseice; labore modico aliturille. lîanc cxercitatio- nem non frigns, non acstus inipedict, ne senectns qui- rieni. Id boDum cura , quoTl vctustate fit inclius. IS'equo ego te jubro soniper imminere liuro , aut pugillaribus; JauduPM est aliquad intervallum aninio; ita tamcn ut nou resolvatur, sed remittatur. Gestatio et corpus coDculit, et i.tudio non officit; possis légère, possis dictare, possis lo- qni , possis audirc ; quorum nihil ne ambulatio qnidero vetal lieri. >"ec tu iutentionem vocis contempseris; quam veto te per gradus et certes modos attoUere, deinde de- priniere. Quod si velis dein, quemadraodum ambules, diicere , admitte istos, quus nova artiDcia docuit famés; erit qui gradus tuos teinperet, et buccas et dentés obser- vet , et In tautuni procédât, in quantum ejus audaciam palicnlias crednlitate produieris. Quid ergo? a clamore protinus et a summa contenlione vos tua iacipiet? Usqae eo naturale est , paulatim incitari , ut litigantes quoque a sermone incipiant, ad vociferationcm transeant; nemo stalini Quiritium fidem implorât. Ergo ulcumque impe- tus libi animi suaserit, modo veheraentius fac in vices convicium, modo lenlius, prout vox quoque te lortabi- lur etlatus. Modesta, quuui receperis illam revocarisque, descendat, non décidât; moderatoris sni temperamentum babeat, nec hoc indocto et rustico raore desa?viat. Non cuim id agimus, ut exerceatur vox, sed ut eierceat. Dotraxi libi non pusillumnegotium; mercedula etunus gradus ad ba?c bénéficia accedet. Ecce insigne praeceptuiu . EPITRES A LUCILIUS. sst celle de Baba et d'ixion? Non, je vous assure, c'est celle que nous nieDons, nous autrcE qu'une aveugle convoitise porte à la reclierclie de quan- tité de choses plus capables de nous nuire que de uous rassasier, nous qui serions dcj'a satisfaits, si quelque chose nous pouvait suflire, i/ous qui ne considërous pas combien il est doux de ne rien demander, et combien il est magniflque de vivre de ce qui sufflt sans dépendre de la fortune. Sou- venez-vous donc, mon cher Lucile, de tant de biens que vous avez acquis, et, au lieu de regar- der combien de personnes il y a au-dessus de vous, songez combien il y en a au-dessous, si vous voulez rendre ce que vous devez aux dieux et a votre condition. Considérez tant de gens que vous avez passés. Mais que vous souciez-vous des autres, puisque vous vousCtes passé vous-même? Mettez une borne que vous ne puissiez outre- passer quand vous en auriez envie; ils s'en iront un jour ces biens si dangereux , et qu'il vaut mieux attendre que posséder. S'ils avaient quel- que chose de solide, on verrait au moins quelque personne qui serait rassasiée ; mais ils ne font qu'irriter la soif de celui qui en goûte ; et l'appa- reil du festin est ordinairement ce qui donne de l'appétit. Après tout, pourquoi veux-je avoir plu- tôt obligation 'a la fortune de me donner ce qui roule dans le hasard , qu"a moi-même de ne le pas demander? Mais pourquoi le demander à moins que d'avoir oublie la fragilité des choses humaines? Amasserai-je? à quel dessein? Travail- lerai-je ? Voici le dernier jour de ma vie ; eu tout cas il u'est pas éloigné du dernier. El'lTRE XVI. La s::g:'bs(^ rend l'homme heureux , et le dispose à obéir auv ordres de la Provideuce. Je crois que vous savez, mon cher Lucile, que l'on ne peut vivre heureusement, non pas même commodcaieut, sans l'étude de la sagesse ; que la vie est heui cuse (luaml ou a fait cette acquisition , qu'elle est même assez duuceaussitot qu'on y a fait quehiue progrès. — Mais il y faut penser souvent , aOn de vous affermir dans cette connaissance , et de vous l'imprinier plusfortement.il estsans doute plus diflicile de garder une bonne résolution que de la prendre , et vous devez fortifier votre âmo par une étude continuelle, jusqu'à ce que vous ayez fait une bonne habitude de ce qui n'est encore qu'une bonne volonté. Au reste, je vois bien que vous avez beaucoup proûté, sans que vous m'en assuriez par tant de paroles. Je sais d"où procèi toutefois ce que j'en pense. J'espère bien de vous ; mais je n'ose pas encore m'en assu- rer : je vous conseille de faire la même chose ; car il n'est pas à propos que vous preniez si tôt ton- Gance en vous-même. Examinez-vous, sondez- vous auparavant, prenez garde, sur toutes choses, si ce proUtque vous avez fait n'est pas plutôt pour la philosophie que pour les mœurs. La philosophie n'est pas une pièce de montre , destinée pour le peuple; elle s'arrête seulement aux choses et non aux paroles ; on ne la prend pas pour se divertir durant quelque journée, ou pour se désennuyer quand on est de loisir. Elle forme • Stnlti vila ingrata est, trépida, tota in futuruni fcrliir.» — Quii bfc, inquis, dicit? — Idem qui «upra. Quam tu nunc vitam dici eiistimas stultam? Babœ et Iiionis? Non ita est; nosira dicitar, quos caeca copidilas in nocitura , rcrteuuDquam satiatura , prxcipitat; quibus, si quid sa- lis esse posset, fuisset; qui dod cogitamus , quam jucun- dumsit, nihil pnscpre;quam m-ognificum sit, plénum 'S'e, ncc ex fortuna pondère. Subiude itaque, Lucili , quam multa sis consequulu». recordare; quum adspeie- ris qnot te antecedant , cogita quoi setiuantur. Si vis gra- tas esse adversus Deos et atlversus vitam tiiam , coKila «luam malfos anicccsseris. Quid tibi cum caeteris? te ipse iintecetaisti I Fincm constitue , quom transire ne possis quidem, si Tolis; discedcnt aliquandoista insidiosa bona, et sperantibus meliora , quam assequulis. Si quid in illis es»et solidi , aliqnando et implerent ; nunc haurienlium titim coBcitant. Mutantur spcciosi appariitus; et, quod futuri teinporis incerta «ors volvit, quarepoliusa fdriuna impctrem, ut del, quam a nie, ne pelam? Quarc autem petam, nblitus fragilitalisbumaas? cungerani iuquidla- borcm ? Eccc hic dies ultimus est 1 ut non sit , prope ab ultimo est 1 Vale. F.PISTOI>.\ XVI DK tTILITiTE rBILOSOPOI.1'. Liquere hoc tibi , Lucili, scio, nemineni pusse beats Tirercne tolerabililer quidem, siue sapientia; studioi et beatam vitam perfccta sapieutiacnici, cslcrum tolera- bilem eliam inciioatn. Scd hue, quod iiquet, (Irmanduni et altius quotidiana meditationc Ggeudum est. Plus operii est in eo, ut proposila custodias, quam ut bonesta pro- ponas. Persevcraiiduin est, et assidun studio robur ad - deudum , dunec l)oii:i mens sit , quod bona voluntas est. Itaijue tibi apud me pluribus veibis haud afllrmaudum , ncctamlonnis; intellit'O.multumte profecisse. QujbscH- bis , undc venianl scio; non sunt ficta , nec colorata. Di- cam lanien quid sentiam ; jam de te spem habeo , nondum fiduciaiii. Tu quoque idem facias, volo; non est quod tibi cito et facile credas; excute te, et varie scrutarc, et ob- serTa! lUud ante omnia vide, uiruin in philosophia , au in ipsa vila profeccris. ^on est philosophia populare ar- tiDcium , ncc ostcntationi paratum; non ia verbis, sed iu rébus est. Ncc in hoc adhihctnr, ut cura aliqua obleita- tioue coQsumatur dies, ut deniaturotio nausea; aninium 3S2 SÉIVÈQUE. l'esprit , ordonne la vie , règle les aclious, montre ce qu'il faut faire et ce qu'on ne doit pas faire ; elle tient le gouvernail et conduit le vaisseau dans les passages dangereux. Sans elle personne n'est en sûreté ; il arrive a toute heure une infinité de choses où Ton a besoin de conseil , et c'est ce qu'elle vous donnera. Mais (dira quelqu'un) à quoi me servira ma philosophie , s'il y a une des- tinée? Si Dieu gouverne toutes choses, ou si le hasard en est le maître (car les événements cer- tains ne peuvent être changés , et l'on ne sait qu'opposer contre les incertains ) ; à quoi , dis-je , me servira la philosophie, si Dieu a prévenu mon dessein et a ordonné ce que je ferai , ou si la for- tune ne me donne jws le loisir de délibérer? Que cela soit vrai en tout ou en partie, je rai- sonne ainsi, mon cher Lucile. Soit que la desti- née nous lie par une nécessité immuable , soit que Dieu, comme arbitre de l'univers, ordonne de toutes choses, soit que le hasard roule et conduise aveuglément les affaires humaines , il est certain que la philosophie nous assistera toujours; elle nous exhortera de nous soumettre volontairement à Dieu , de résister constamment a la fortune, de suivre les ordres de la Providence, et de suppor- ter les coups du hasard. Mais je ne veux pas exa- miner présentement ce qui demeure en notre pou- voir, soit que laProvidence nous gouverne, ou que le destin nous entraîne, ou que les accidents su- bits se rendent maîtres de noire liberté. Je reviens donc à mon sujet , et je vous avertis de ne pas lais- ser refroidir la chaleur de vos bonnes iulenlions; affermissez-les et faites-les passer en habitude. Mais, si je connais bien votre humeur, vous regardez dès le commencement de cette lettre le fruit qu'elle vous doit apporter ; examinez-la bien, et vous le trouverez : ne vous étonnez pas si je vous fais encore libéralité du bien d'autrui. Mais pourquoi d'autrui , si je puis m'approprier tout ce qui a été bien dit par un autre , comme celte sentence d'Epicurel « Si vous vivez selon la na- ture, vous ne serez jamais pauvre; si vous vivez selon l'opinion, vous ne serez jamais riche. La na- ture demande peu de choses; l'opinion en veut une infinité. Que l'on assemble dans votre maison toutes les richesses qu'un grand nombre de person- iies ont possédées; que la fortune vous donne plus d'argent que n'en eut jamais un particulier; qu'elle vous habille de pour()re et qu'elle vous loge dans ses palais lambrissés d'or et pavés de marbre, enfin que vous ayez des richesses sur la tête et sous les pieds; qu'elle y ajoute des statues, des peintures et tout ce que les arts ont jamais fait pour contenter le luxe ; tout cela ne servira qu"a vous en faire souhaiter davantage. Les désirs de la nature sont bornés; ceux de l'opinion ne savent où s'arrêter, car l'erreur n'a point de terme certain. Celui qui tient le droit chemin vient à son but , celui qui s'égare n'y arrive jamais. Retirez- vous donc des vanités, et quand vous voudrez sa- voir si ce que vous désirez est selon la nature , voyez s'il peut s'arrêter en quelque endroit ; car il ne sera point naturel si, s'étant fort avaucé, il veut encore aller plus loin. formnt ot fiibrc.it, Titnni dispMiit, aclinnes régit, apoiiil.T et omiltoïKJaricnDiistrat, se;lotad gul)ernaculiim , et per ancipitia fluctuaiitium dirigil cnrsum. Sine hac ncnio se- cunisest; innumerabilia accidun'singulislioris.qua; con- siliiim cxigant , quod ab tiac pclendum est. — Dictt ali- quis ; « Quid niihi piodest philosophia , si fatum est? qiiid prodest , si Dcus rector e.st? quid prodrst, si casus imperal? ÎVaiii ptmutari cci ta non possunt, et niliil prae- parari potest advcrsus incerta; si autcoasiliuni uicum Deus occupaïit, decrevitque quid facerem, aut consilio meo ailiil forluna permitlit. « — Quidquid est ex liis, Lncili, Tel si omnia ba'C sinit, pliilosophandum est; sive dos ineîorabili lege fata conslringiint, sive arbiler Deus uni- versi ciincta disposait, sive c;isus res hiinianas sine oi'- dine inipeilit et ): 0 at , philosophia nos lueri d(l)el.Ha!C adhorlahitur, ut Dec llbenler pareamus, ut rnituna^con- lumaciter rcsisiamus ; ha'C docebit, ut Diuin scquaiis, feras casum. Scd non est nunc in hanc disputaionefli transeunduiii , quid sit juris nostri , si Providentia in irn- peiio est, aut si faloiura séries ilhgalos Iraliil, aut si re- pentina ac subila doaiinaulur ; illo mine revei'lor , ut te moneain et exhorter , ne patiaris impetum auirni tui de- lahi et refrigcscere. Coniino illum, et eunotitue , uî ha- bUus liai quod csl inipclus. Jani abinilio.si bene tenovi, circumspicis ecquid.hsec epistola munusculi attulerit ? cicute illani , et iuTcnies. Non est quod mireris aninium meum ; adhuc de alieno liberalis sum. Quare autem alienum diii ? quidquid lieue dictnin est ab ullo, meum est. Sic quoque quod ab Epi- euro dictumest; « Si ad naturam vives, nunquam eris paupcr; si ad opinioneni, nunquam eris divcs. » Exi- guuni natura desiderat, opinio immensum. Congeratur iu te quidquid multi locupleles posse'teranl; ultra pri- vatum pecnniae modum fiirtuna te provehat , aui'o tegat , puri)ura vesîiat; eo deliciarum opumquc pcrducat, ut leirani maruionbus abscondas ; non tantuni bat)ere tibi liceat, sedcalcare divili.is; accédant statua; et picturae, et quidquid ars uUa luiuriae claliaravit; majora cupere ab bis dîsces. ÎNaturalia desideria finila sunt ; ex falsa opinioue nascentia , ubi desinani , non habent; nullus enim terminus falso est. Via eunti aliquid extremum est; error imuiensus est. Retrahe ergo te a vanis! etquim voles scire, quod pelis utrum natundcm lubeat, an cxcara cu- plditatem, considéra an possit alicubi coasistere. Si lougo progresse semper aliquid longius rrslat, scito id iialural« non esse. Vale. ÉPURES A LUCILIUS. ÉPITRE XVII. Il faut acquérir la sagesse par préférence à tons les antres biens. — Les richesses peuvent bien changer les rai- sires, et ne pcuTeot pas les Onir. Quittez toute sorte d'occupations, si vous Ctes sage, mais plutôt aQn que vous le deveniez ; sui- vez le chemin de la vertu à grands pas et de toutes vos forces, et s'il y a quelque chose qui vous ar- rête, il faut vous en défaire ou le rompre. oMais, me direz-vous , le soin de ma maison me retient , je la veux clahlir en sorte que je puisse subsister sans rien faire, afin que n'étant point incommo- dé , je ne sois incommode à personne. » Quand vous parlez ainsi, il semble que vous ne compre- niez pas assez la force cl l'étendue du bien que vous prétendez. Vous entendez 'a la vérité le principal de l'affaire, et combien la philosophie est utile; mais vous ne pénétrez pas encore dans le détail . et ne connaissez pas combien nous en tirons de se- cours en toutes choses, et de quelle manière (pour user des termes deCicéron) a elle nous assiste dans les grandes affaires et nous sert encore dans les petites.» Consultez-la, si vous me croyez : elle vous dira que vous ne vous amusiez pas a compter ce que vous avez de biens , car vous ne prétendez par la qu'éviter la pauvreté; mais a quel propos, s'il est vrai qu'on la doit désirer, et que les richesses ont fait obstacle à beaucoup de gens qui se vou- laient appliquer à la philosophie ? La pauvreté, au contraire, est toujours libre et tranquille. Quand la trompelle sonne , elle sait bien que ce n'est point pour elle; si clic entend l'alarme, elle regarde par oii elle sortira, et non 553 pas ce qu'elle emportera. S'il faut aller sur mer, on n'entend point de bruit au port, et le rivage n'est point embarrassé de son équipage; on ne la voit [H)int environnée d'une troupe de valets, pour la nourriture desquels tout ce qui est dans un pays peut a peine suffire. 11 est aisé de rassa-^ sier plusieurs personnes quand leur estomac est bien réglé , et ne demande autre chose que de se remplir. 11 coûte peu pour contenter la faim, et beaucoup pour satisfaire le dégoût. Il suffit à la pauvreté d'apaiser la nécessité qui est pressante. Pourquoi donc refusez-vous sa compagnie, puis- que même le riche, quand il est de bon sens, suit son exemple? Si vous voulez vaquer 'a l'étude, il faut être pauvre , ou du moins semblable à celui qui est pauvre; car, pour étudier avec profit, il faut de la sobriété, qui est une pauvreté volontaire. Nedilcsdonc plus pour excuse: oJen'enai point encore assez ; si je puis amasser tant de biens, alors je medonnerai entièrement'ala philosophie.» Et cependant il n'y a rien que vous devriez acqué- rir plus lôtqueeeque vous voulez acquérir le der- nier: c'est par l'a qu'il fautcommencer. «Je veux, diles-vous , amasser auparavant de quoi vivre. • Apprenez, en même temps, comment il faut amas- ser. Ce qui vous peut empêcher de bien vivre ne saurait vous empêcluT de bien mourir. La pau- vreté, ni la disette, ne vous doivent point dé- tourner de la philosophie; elle mérite bien que Ion endure pour elle la faim que l'on souffrirait dans un siège , pour ne pas tomber entre les mains d'un ennemi victorieux, puisqu'elle vous promet une liberté perpélucilo , et que vous EPISTOLA XVU. SnE aOBl i)IPLEXi.'«Dln esse PUILOSOPUIAM : PÀUPEBTiTEM ESSE BOM M. Projice nmnia ista , si sapis , immo ut snpias ; et ad bn- nani mentem magno cursu ac tolis viribus tende. Si (jiiid est quo teoeris, aut eipcdi, aut incide. — • Mnrnliir, inquis, me res familiarisl sic illani dispnnere volo, ut sufTicere nihil agenti possil ; ne aut paupertas niihi onei i sit, aut ego alicui. • — Quam hoc dicis , non vidcris viiu ac potentlam ejus, de quo cogitas, boni nosse ; et suni- mani quidem rel pervides, quantum ptiilosophia prosil; partes autem nondum salis suhtiliter dispicis, necdum scis, quantum ubique nos adjuvet , qucniadmodum et • in masi- mii, ul Ciceronis utar vcrbo, opituletur, et in mininia descendat. « Mihi crcde , advoca illam in consiliuin ! sua- debit tibi, ne ad calculos scdeas. Nempe hoc quisris, et hoc ista dilalione vis consequi , ne tibi paupertas timcnda fit. Quid si appelenda est? Mullis od phiiosophandum obstilcre divitiae ; paupertas cipcdita est, sccura est. Quuni classicuiii cpcinit,scit non se peti ; quum aiiquii conclamatio est , quomodu eieat , non quid cfferat , qua;- rit> Si naiigaudum est, nou strrpuni portus, nec unius comitatu inquiéta sunt liltora; non circumstat illum lurba scrvoruni , .nd qnos pasccndos transmai inaniin regionum estoplanda fertiliLis. Facile est pascei'c paucos ventres, et bene inslitulos, et niliil aliud desidcnmtcs, quam ini- plori. Parvo famés conslat, niagno fastidium. Paupertas conieuta est de.^'iderlis iiistaiilibus satisfacere. Quid est orgo quare u[ tianc rociiscs coutul>prn:ilem , ciijus mores sanus divos iiiiitalur ? Si vis vacare iiiiirao , aut pauper sis oportet, aut paiipcri similis. Non potest sludiuni saluliirelieii sine frnsalit^tlis cura ; fnigalitas au- tem, paupertiis Tdluiilaria est. ïolie ilaque istas eiciisa- tioui s : " Quantum sat esl , nondum habeo ; si ad illam siimmam pervenero, tune nie tolum philosopliia; datïo. • Atqui nihil prius, quam hoc, paranduni est. quod tu diffsrs et post cttera paras; ah hoc iii(i|iieuduni est. « Parare, inquis, unde vivani , volo. •— SiniLd et parare disce I Si quid te vetat bene viverc , bene moii non velal. Non est quod nos paupci tas a philosopliia revocet , ne egestas quidem. Toleranda est enim ad hoc propcranti- husvet famés, quam lok'raverc quidam in (>l)sidionihus. Et quod aliud erat illius palionli.e pnTmium, quam in arbitrium non cadere victoris? quanto hoc majus est, quo proniitlitur perpétua libellas, nultius nec bominis 55t SENEQUE. n'aurez rien a craindre du côté des hommes, ni du côté de Dieu. Après tout, il en faut venir là , quand on devrait mourir de faim. Si des armées entières ont souffert une disette générale de toutes choses , ont vécu dhorbes et de racines dans une faim qui faisait horreur; et tout cela (le croirez- vous! ) afindeconquérirun royaume pourautrui; se trouvera-t-il quelqu'un qui ne veuille pas souf- frir la pauvreté aOn de délivrer son âme de la ty- rannie des passions? Il n'y a donc rien que l'on doive acquérir pré- i férablement, et l'on peut s'embarquer sans au- cunes provisions pour la conquête de la sagesse. Je vois votre pensée. Après que vous aurez tout , vous voudrez avoir encore la sagesse , qui sera le dernier acquêt de votre vie, et une espèce de sup- plément. Mais si vous avez du bien , commencez à philosopher; car qui vous a dit que vous n'en avez pas trop? Si vous n'avez rien , il faut re- chercher ce bien-là avant tous les autres. «Oui, mais je manquerai de ce qui m'est nécessaire. » En premier lieu, il ne vous manquera pas, puisque la nature demande fort peu de choses, et que le sage sait s'y accommoder. Mais s'il tombe dans la dernière nécessité , il est en son pouvoir de s'en délivrer bientôt et de n'être plus à charge à lui- même ; que s'il a fort peu de chose pour subsister, il s'en consolera , et , sans se mettre en peine que du nécessaire, il pourvoira doucement h son vivre et à ses babils, se moijuant de l'embarras des ri- ches et de l'empressement de ceux qui courent après les richesses; il se dira d'un visage tranquille et riant : Pourquoi , mon ami , diffères-tu si long- temps à travailler pour toi-même? Attendras-tu le profit de quelque argent prêté , ou de quelque marchandise achetée, ou qu'un riche vieillard te fasse son héritier, si tu peux te faire riche dès à présent? La sagesse lient lieu de toutes sortes de biens, elle les donne même quand elle les fait mépriser. Mais cela est bon pour d'autres, car à votre regard on peut dire que vous approche* da- vantage de ceux que l'on appelle riches ; fermez votre bourse , elle n'est que trop pleine ; car il n'y en a point où l'on ne trouve ce qui suffit. Si je ne vous avais point gâté, je pourrais ici finir ma lettre; mais comme il n'est pas permis de saluer le roi des Partîtes sans un présent à la main, on ne saurait aussi prendre congé de vous qu'il n'eu coûte quelque chose. Que sera-ce donc? Je le veux emprunter d'Epicure. « Il y a bien des gens qui ne trouvent pas la fin , mais plutôt le change- ment de leur misère dans les richesses qu'ils ont acquises. » Je ne m'en étonne pas ; car le défaut ne vient pas des choses, mais des personnes ; c'est pourquoi les richesses leur sont 'a charge aussi bien que la pauvreté. Il n'importe pas que vous couchiez un malade dans un lit d'or ou de bois, car sa maladie le suivra partout; ainsi il est indifférent qu'un esprit malsain soit parmi les richesses ou dans la pau- vreté , puisque son mal demeurera toujours alla- ché à sa personne. EPITRE XVIIl. II est boa quelquerois de pratiquer la pauvreté volont^iire. — Celui qui méprise les richesses est digne de Dieu. Voici le mois de décembre , et le temps où la nec Dei timor ! Equidem »tl csurienti ad isia vcniendum est. Perpcssi sunt exercitus inopiam omnium rcrum, vixe- runt lierliartiin radicilras, et diclu fœdistulerunl fameiu. HcBC omnia pussi simt pro regno ( qiio m:ipis mircris ) alieno; diibilnbil aliquis ferre pnupcrlatem , lit animuiii furorilius liberet? Non est ergo prius acqiiircndiini ; licet ad pliilosopliiam eliam sine viatico pcrvciiirc. lia est; quum onmia habueris, tune bal)ere et sapieiiliaiu voles; ha'c erit idliinum vitiu instiumentiim , et, ut i'a dicani, additaiiier.lum. Tu \ero, sive aliquid babes , jam philoso- phare (unde enim scis an jam non uimis liabcas?), sive nihil , lioc prius quatre, quara quidquani. » At nccessaria deeruut! » Primum déesse ujn poterunt, quia nalura minimum petit; natura; ntiL m se sapiens accommodât. Sed, si nécessitâtes ultiiiicO inciderint, jauidudum essiliet e vita , et nioleslussibi esse desinct. Si vero esiguum fue- rit et anguslum quo possitvila produci, id lioui consulet, nec ultra necessaria sollicitus aut ansiiis, veutri et scapii- lis suum reddet, et occupationes divituiu, concursatio- nesque ad divitias euntinm , secunis lEetusciue rldebit, ac dicet : Quid in longum ipse te differs? exspectabisne fœ- poris qua-stum , aut c\ nierce compendium , aut tabulas lx:ali senis, quum fieri possis statim dives? Représentât opes sapientia; quas, cuicumque fecit supervacuas , de- dit. Ha;c ad alios pertinent; tu locuplelibus propior es, Sa'culum muta , uimis habes ; id est omni sseculo quod sat est. Poteram hoc loco epistolam claudere , nisi te maie in- stiluisscra. Regps Parthos non pntest quisqaam salutaie sine munere; tibi valedicere non licet gratis. Quid islic? ab Epicuro mutuura sumam. • Multis, parasse divilias, non finis miseriarum fuit, sed rautatio. » Nec hoc miror: non est enim in rébus Titiura, sed in ipso animo. Illud , quod paupcrtJilem gravera fecerat , et divitias graves fe- cit. Quemadmodum nihil differt, utrum œgrum in ligneo lecto an in aurco coUoces; quocumque illum Iranstuleris, morbum suum secum transferet : sic nihil refert, utrum animus aîger in diîitiis an in paupertate poaatur ; malum illum suum sequilur. Vale. EPISTOLA XVIII. DK OBLECTiTIONlBDS SlPIEm'IS. December est mensis ; quam maxime ciritas audat ; jai ÉPITRES A LUCILIUS. ville s'échaaffe davanlage dans ia débauclie ; elle est universelle, et comme de droit public; on fait partout du bruit et de grands préparatifs , comme si les Saturnales étaient aulrc chose que les jours ouvriers ; il y a toutefois si peu de différence, que celui qui a dit que décembre ne durait autrefois qu'un mois, et qu'il dure à présent toute l'année , me semble avoir bien rencontré. Si je vous avais ici, je conférerais volontiers avec vous de ce que nous devons faire ; si nous vivrons à l'ordinaire , oa si, pour ne pas paraître ennemis de la coutume, nous quitterons la robe et nous nous réjouirons comme les autres ; car nous changeons d'habits présentement aux jours de récréation, comme on faisait autrefois lorsque la république était eu trouble on en tristesse. Si je connais votre esprit, vous eu userez comme un amiable compositeur , qui voudrait qu'en cette occasion l'on ne fut pas entièrement conforme, ni aussi entièrement con- traire à la populace, si ce n'est peut-être que l'on doit se retenir et se priver des plaisirs en un temps où tout le monde s'y jette à corps perdu. L'esprit . ne saurait mieux connaître sa fermeté que quand il ne trouve rien qui soit capable de le porter, ni de l'entraîner dans li dissolution. Il faut, 'u la vé- rité, de la vertu , pour garder la sobriété , tandis que le peuple se plonge dans le vin ; aussi faut-il beaucoup de conduite pour faire ce que funt les autres, mais d'une manière plus honnôtc, sans se distinguer et se retirer à part, et sans se mêler îyissi avec toute sorte de personnes. Ne peut-on pas se réjouir sans passer jusqu'au débordement? Au reste, j'ai tant d'envie d'éprouver la force de votre âme, que je vous conseille , suivant l'avis 556 de ces grands personnages, de prendre quelques jours pour être nourri et vêtu grossièrement, afln que vous puissiez dire : N'est-ce que cela de quoi j'avais tant de peur? Il faut, dans la tranquillité, se préparer aux choses fâcheuses, et, durant les faveurs de la fortune, se munir contre ses injures. Le soldat , durant la paix , s'exerce 'a la course/ darde le javelot , et se lasse à des travaux inutiles, afin (le pouvoir fournir au néct'ssaire. Pour ne se point étonner dans l'occasion , il se faut éprou- ver auparavant ; c'est ce qu'ont fait plusieurs per- sonnes considérables qui se sont soumises à la di- sette et 'a une pauvreté volontaire durant quelques jours de chaque mois, afin de n'être jamais sur- pris de ce qu'ils avaient si souvent pratiqué. Ne vous imaginez pas que je veuille vous obliger seu- lement "a ne pas faire si bonne chère, 'a passer dans l'appartement des pauvres, et à embrasser les fausses abstinences que les riches ont inventées pour guérir leur dégoût ; je prétends que vous n'aurez qu'une paillasse, qu'un hoqueton de bure avec du pain dur et bis : faites cela trois ou quatre jours, et quelquefois davantage, afin que ce ne soit pas un jeu , mais une véritable épreuve. Vous ne sauriez croire, mon cher Lucile, com- bien vous serez cenlent lorsque vous verrez que pour deux oboles vous serez rassasié , et que vous n'aurez pas besoin du secours de la fortune , puis- que sa malignité ne peut empêcher que vous n'ayez le nécessaire. Mais ne vous imaginez pas alors avoir fait quelque chose de fort grand ; car vous n'aurez rien fait qu'une infinité de pauvres et d'es- claves ne fassent tous les jours. Sachez- vous gré seulement de l'avoir fait sans y être forcé ; il vous luxurise publiée datam est; ingenti apparatu souant om- nia; tanquam qiiidquain inler Saturnalia ioleryit et dies renitu ageudarnm. Adeo uiliil inlerest, ut vilcalur mihi noD errasse qui dixit , olim inenscm deccmbrcm fuisse , nuncannuni. Si te tiic tiabcrera , lil)cn:cr tccuiii confcr- rem quid eii»tim:irp8osse racleDdum : utrum niliil e\ quo- tidiana consiieladine inoTendum ; an, ne dissidere vidc- remur cum pablicis moribus , et bilarius cœnnndum , et eiiieiidain togani. Naai , ([uod fieri nisi in tuniullu et tristi Irnipore cifitiitU non solebat, voluplatis causa, ac festonim dirrum , vestem mutavinius. Si te bcne novi, arbitri partibus functus, ncc per oinnia nos similcs esse pilealEe lurtiae Toluisses, nec per omnia dissiroilcs; nisi forte liis maxime dicbu5 animo imperandnm est , ut tune Toluptatil)us solus abstineat, quuni in iilas onniis lurba procubait. Cerlissimum argumeotu.'ii firniitatis sua- c;ipit, •i ad blandfi et in luxurlam trahenlia nec it, nec abduci- lar. Uoc>multo forUus est, cbriii ac vomilantc populo •iccum ac sobriumesse;il!ud tcmpcratius, noneiccrpere •P, nec insignire, nec misceri omnibus; et eadcm, scd non codem modo, facere; licct entra sine luxuria agerc feslum dieni. Caetcrum adeo mihi placcf tentarc animi tui (Irmitatem , ut ex prœcepto magnornm virorum tibi quoque prscipiam ; lnterpon»s aliquot dies , quibus, con- tentus niinimo ac vilissimo cilm, dura atque horrida ves- te, dicas tibi : Hoc est quod limebalur? In ipsa securi- tale aiiimus ad difficilla se praeparct, et contra injuria» fortunae inler bénéficia fîrnietur. Miles in média pace de- curril sine ullo hoste , valluni jacit, et supervacuo labore lassalur, ut sufficere necessario possit. Quem in ipsa re trepidare nolueris , ante rem exerceas. Hoc secuti sunt qui omnibus mensilms paupertatera iniilati , propc ad inopiaui accesserunt , ne unquam eipavesccrent qiiod sœpe didicissent. ÎSon est nunc quod existimes me rlicere Timoneas cœnas, et pauperum cellas , et quidquid aliud est, per quod luxuria divitiarum t.x'dio ludit. Grabatus ille Terus sit, et sagum , et panis durus ne sordidus. Hoc Iriduo et quatriduo fer, interdum pluribus dicbus; ut non lusus sit, sed experimenluni. Tuiic, niibi cicde, Lucili , exsulubis , dipondio salur , et intdliges ad secii- rilalcm nonopus esse forluna ; hoc enim, quod necessitali sat est, débet etiiira irala. Non est tamen quare tu mul- tura tibi facere videaris; f.icies enim quod niulia niillia serTorum, niulla millia paupciuni faciunt. Il!o noniinc te W6 SÉNÈQUE. sera aussi facile de souffrir cela toujours que de l'essayer quelquefois. Exerçons-nous-y, et de peur que la fortune ne nous prenne au dépourvu , ren- dons-nous la pauvreté familière ; nous serons ri- ches avec moins d'appréliension quand nous sau- rons que ce n'est pas un si grand mal que d'être pauvre. Epicure, ce grand maître de la volupté, avait de certains jours où il ne se rassasiait qu'à demi, pour voir si cela pouvait diminuer cette grande et parfaite volupté qu'il recherchait, pour voir combien elle diminuait et si la chose méritait que l'on s'en tourmentât beaucoup. C'est ce qu'il dit dans les lettresqu'il écrivit à Polyajnus durant ie gouvernement de Charinus , où il se vante qu'il se rassasiait pour moins d'un sou, et que Métio- dore , qui n'était pas encore si sobre, le dépensait entier. Vous aurez peut-être de la peine a croire qu'il y ait de quoi contenter l'appétit dans ces sor- tes de repas : il y a même de la volupté, non pas une volupté vaine et passagère, qui ait besoin d'être entretenue, mais une satisfaction solide et assurée; car il n'y a pas grand plaisir "a boire de l'eau et à manger du pain d'orge ; mais c'est une extrême commodité de s'en pouvoir contenter et de s'être réduit 'a des choses que la fortune la plus contraire ne vous saurait ôter. On vit plus large- ment dans la prison , et l'on traite mieux les cri- minels qui sont réservés pour le dernier supplice. Oui, mais quelle grandeur d'âme d'embrasser vo- lontairement ce que l'on ne souffrirait pas même si l'on était réduit aux plus malheureuses extré- mités ! Cela s'appelle prévenir les insultes, et émousser les traits de la fortune. Commencez donc. mon cher Lucile , à suivre une si louable coutume, et choisissez quelques jours pour vous mettre en retraite et pour vous apprivoiser avec l'indigence ; établissez une bonne correspondance avec la pau- vreté. Soyez digne des dieuï par le mépris de l'or. 11 n'y a que celui qui méprise les richesses, qui soit digne de celui qui les a créées; je ne vousdé- fends pas d'en avoir, mais je veux que vous les possédiez sans inquiétude. Vous y roussirez si vous vous persuadez que vous ne laisserez pas de vivre heureux sans elles, et si vous les regardez toujours comme si elles étaient prêtes 'a vous quitter. Mais il est temps de fermer cette lettre. Vous m'allez dire : Acquittez auparavant ce que vous devez. Je l'assignerai sur Épicure; ce sera lui qui le paiera. « L'excès de la colère trouble le sens. «Vous devez savoir combien cette sentence est véritable , puisque vous avez des valets et des ennemis. Car cette passion qui vient d'amour aussi bien que de haine s'échauffe contre toute sorte de personnes, et non moins parmi les divertissements que dans les occupations sérieuses : c'est pourquoi l'on ne doit pas regarder l'importance du sujet , mais plu- tôt la disposition de l'esprit qui en est touché, de même qu'il n'importe pas combien le feu soit grand, mais seulement surquelle matière il tombe: car il y a des choses si solides , qu'elles sont impé- nétrables au plus grand feu; d'autres, au con- traire, en sont si susceptibles, qu'une seule éiin- celle y peut causer un grand embrasement. Oui , je dis, cher Lucile, que l'excès de la colère ne se suspice, quod faciès non coactus, quod tam facile eri| tibi illud pâli seraper, quara aliquando espcriri. Exer. ceanmrad paliiin ! et, ne imparatosfonuna deprehendat, fiât nobis panperlas familiaiis! Securius divites erimus, si scierimus quam non sit prave panperes esse. Cerlos liabebat dies ille mSgistcr voliiptalis Epienrus , quibus malis'ic faniein exslin<;neret, visiirus an alicpiid deesset ex plena et consnmniata Toluptale, Tel quanlum dccssrt, et an dignum , quod qnis niagno labore pensaret ; boc celte in bis E;)is(o/is ait, quas scripsit, Cbarino magis- tratu, ad l'ohjœnum . Ktqnidem gloriatur, « noutotoassc pasci; Melrodorun), (]ui nondum tantuni piofecerit, toto.» Hoc lu in viclu saturilatcni piitas esse? et voluptas est! voluptas autem non illa levis et fugax, et subindc reficien- da, sed slabilis et ccrta. Non enini juiunda res est aqiia et polenta , ont frustum hordcacei panis ; sed suiiima vo- luptas est, posse capere etiam ex bis voluptatera, et ad id se deduxisse, quod eripere nuUa fortunœ iuiquitas pos- sit. Liberiora sunt alimenta carceris; sepositos ad capitale supplicium non tam angusle, qui occisurus est, pascit. Quanta est animi magniludo , ad id sua sponle descen- dere, quod ne ad extrema quidemdccrctistimendum sit I DOC est pra?occupare tela Fortune. Incipe ergo, mi Lu- cili, sequi borum consuetudinem ; et aliqaos dies des- tina , quibus secedas a tuis rébus , minimoque te facias famdiarem; incipe cum paupertate habere conimercium 1 Aude , liospes , contemnere opes , et te quoque digQura Finge Dco ! Nemo aliusest Deodignus. quara qui npes contempsil. Qiiaruni possessionem tibi non interdico ; sed eflicere >olo, ut illas intrépide possideas.; quod uno consequeris modo , si te eliam sine illis béate victurum persuaseris tibi ; si illas tanquam esiluras sempcr aspexeris. Sed jam incipiamus cpistolam coniplirare. — « Prias, inquis, redde quod debes. » Delegabo te ad Epicurura; ab i!lo fiet numeratio. « Immodica ira gignit insaniam. • Hoc quam veruiij sit, necesse est scias, quura habueris et serxum et inimicum. In omnes personas hic exardes- cit affectus ; tain ex amore nascilur , quara ex odio; non minus inler séria, quam interlusus etjocos.Necintercst, ex quam magna causa nascatur, sed iu qualem perxeniat animum. Sic ignis non refert quara magnus, sed qao in- cidat; nam etiam maximum solida non recfperunt; rur- sus arida , et corripi facilia , scintillam quoque foveut us- que in incendiuni. Ita est, mi Lucili , ingentis iras cxitus. ÉPITRES A LUCILIUS. 5S7 termine que par la fureur : il faut donc éviter la colère, non tant pour garder la modcratiou , que pour conserver le bon sens. El'lTRE XIX. Çoe l'on ne pentacquéiir la sagesse qu'il n'en coûte quel- que chose. — Pour faire des amis , il faut douncr avec discernement, et non pas à l'aventure. J'ai bien de la joie lorsque je reçois de vos let- tres ; car elles rac répondent à («réscnt de ce qu'elles m'avaient autrefois fait espérer de vous. Conti- nuez, je vous prie et je vous en conjure; car saurais-jc demander quelque chose de meilleur à mon ami, que ce que je voudrais demander pour lui? Sauvez-vous, s'il y a moyen, de l'embarras des affaires ; nous avous assez perdu de tcmp< du- rant la jeunesse; commençons à nous recueillir «lansTarrièrc-saison : quel bh'imeen pouvons-nous recevoir'? Si nous avons vécu parmi le trouble, mourons dans la Iranquillité. Ce n'est pas que je vous conseille de vous rendre fameuï par l'oisi- veté, puisqu'il n en faut faire ni vanité, ni mys- tère , je ne prétends pas aussi vous engaper dans la soliludo el dans la retraite, en vous exa- gérant la corruption des hommes. Faites seule- ment, si votre repos parait, qu'il n'éclale pas. C'est affaire 'a ceux qui peuvent disposer de leurs personnes , de délibérer s'ils veulent passer leur vie dans l'obscurité; mais cela ne vous est pas li- bre : voire génie, vos écrits, et tant d'illustres amis vous ont trop fait connaître; et quand vous affecteriez de vous cacher, la lumière de vos l>elles actions, étant inséparable de voire personne, vous découvrirait assez. Vous pouvez toutefois vous mettre eu repos saiis que personne le trouve mau- vais, et sans que vous en ayez aucun remords; car que laisserez- vous dont vous puissiez avoir regret'? Des clients? Il n'y en a pas un qui s'atta- che à vous , pour en dire la vérité ; c'est plutôt à quelque avantage qu'il y rencontre. Des amis? on ~ recherchait autrefois l'amitié, et à présent on ne considère que l'intérêt. Mais peut-être que cer- tains vieillards vous effaceront de leur lejlament quand ils ne vous \erroiit plus , et que des gens qui étaient assidus eu votre logis iront faire leur cour ailleurs. Que voulez-vous? Il est malaisé qu'une eiiose (|ni vaut beaucoup ne coûte guère ; voyez si vous aimez mieux vous abandonner vous- même que (|uel<|ue pièce de ce ijui vous appar- tient. l'Iùt "a Dieu que vous fussiez demeuré dans l'état de votre naissance , et que la fortune ne vous eût point si fort élevé! Mais !a prospérité, les gouvernements et les emplois, avec les espérances qui le« neeompaL'nent, vous ont bien empêché d'envisager les douceurs d'une vie paisible et tran- quille; vous aurez encore de plus grandes char- ges, et celles-lii vous en allireronl d'autres ; mais quelle eu sera la (in? Qu'atleinlez-vous pour vous reposer? D'avoirlout ce que vous désirez? Jamais ce lemps-la ne viendra. Mais disons que les causes qui produisent les passions ont un enchaînement pareil à celles qui font le destin ; les unes tirent leur origine de la On dos autres. En vérité, vous êtes engagé dans un genre de vie qui vous tiendra toujours esclave; secouez le joug; il vaudrait mieux, pour ainsi dire, avoir une fois le cou rompu , que de l'avoir rmorestjct ideoira vitandaest, non modcratlonii cans.n, •cd sanilalis. Vale. EPISTOLA XIX. ((0£ SIXT QUIETIS COllJIODt Eisultoqnotics cpistnias tuasaccipin; implcnt enini me bona spe; et jam non promittunt de te, sed spoiulent. Ita facl oro alqne obtccro; quid cnim habco mclitis, quod amicum rogeni, quani quod pro ipso ropaiuius anm? Si potes, subdnc te Islis occupationibus , si minus, eripe. Salis mullum tempnris sparsimus; incipianiiis in senectule vasa colliRerc. >'umquid invidiosum est? in freto viximus, moriamur in portu. ÎSeque ego snaserim llbi nomen ej otio petere, quod ncc jactnrc debes, nec aliscondere. Tiunquam enim nsque eo le abigam, gcneris linmani furore damnnto, ut ialchram tibi aliquam pa- rari et oblivioneni yelim j id âge , ni otinm Inura non emi- neat , sed apparent. Deinde videbunl de islo quibns inte- -gra sont et prima consUia , an vclintTlIam pcrobscurnm transmiltcre. Tibi liberum non est ; in médium te protu- Hl ingenii vigor, scriptomm elegantia, claric et nobilcs imicitix; jain noiitia te iovasit; ni in ettrema mergaris , ac penilus reoondaris, lanion priera nionstrabiml. Tcnc- brjs hal)erc iiuu potes; sfqiietiir, quocumquc fugeris , niullnm prisliniB lucis. Quiclem pôles vindicare, sine nlliusodio,sinc desidcrioautiiiorkuammi lui. Quid enim relinques , quod invilus reliclum a le possis cogitare? Clienes? quorum neiiio le ipsuni se({uitur, sed aliquid e\ tel Aniicos? oliin amicitia petehatur , nimc prada ! Mntabunt tesLimcnla deslilnli senes; migrabit ad aliud limeii f.iliilalor; nin piilcst parvo rcs magna conslarc; jCsliin nîrupii te rcliniiuere, an aliquid ei luis malis. tJlinam qudem tibi scnescere conligisset inlra nitnliuin luorum modum, noe le in altnm fortuna mi.sissct ! Tulil le longea conspec'.u vil.e salnbris rapida felicilas , provincia et procuralio , et quiilqnid ab islis proniillilnr; majora deinde officia te excipient, et ex aliis nlin. Qnis eiilus crit? Quid exspectas donec desinas ? Habere quod cupias? Nnnquam eril tempus. Qualem dicimus esse seriem cau- sarum , ex quibus neclilur fatum , lalcni et cupiditatura ; altéra ex fine allerins nascitur. In eamdemissusesvitam, quœ nnnquam tibi miserianmi terminum ac servilnti» ipsa factura sil. Subdnc cervicem jugo tritam; semel illam tncidi , quam scmper premi , satins est. Si le ad privaia IwS SÉNÉQIIE. toujours chargé. Si vous vous remettez dans la vie privée , tout vous semblera plus petit , mais il vous satisfera pleinement ; au lieu qu'une infinité de choses que l'on vous apporte de toutes parts ne sauraient vous contenter en l'état où vous êtes. Préféreroz-vous l'abondance qui ne remplit pas "a la disette qui rassasie? La prospérité est avide et sujette à l'avidité d'autrui ; et tandis que rien ne vous suffira , à peine aussi suffirez-vous aux autres. Mais comment, direz-vous, en sortirai-je? Comme vous pourrez. Considérez combien de choses vous avez entreprises pour acquérir de l'honneur et des richesses : il faut aussi entreprendre quelque chose pour se mettre en repos, ou bien se résoudre à finir sa vie dans le tracas des affaires et dans le tumulte des charges publiques , agile de flots et de nouveautés continuelles que l'adresse de votre es- prit -ni la douceur de votre naturel ne sauraient éviter. Mais à quoi sert de vous mettre en repos? Votre fortune ne le permet pas. Que sera-ce donc si vous la poussez plus loin? Cet accroissement ne fera que multiplier les sujets de vos craintes. Je veux , en cet endroit, vous rapporter un bon mol de Mécénas ; il en a justifié la vérité par sa propre expérience. « La grande hauteur, dit-il, s'étonne d'elle-même. » Vous me demandez en quel livre il l'a dit : c'est en celui qui est intitulé Prométliée. 11 a entendu dire que la grande hauieiir élonne ceux qui s'y voient élevés ; y a-t-il grandeur dans le monde qui mérite que l'on fasse une si étrange confession? C'était un homme d'esprit, lequel, sans doute , aurait laissé une belle idée de l'élo- quence romaine , si les richesses ne l'eussent point énervé, ou plutôt efféminé à la manière des eu- nuques. Vous aurez un pareil sort si vous ne pliez les voiles, et que vous ne veniez de bonne heure en (en e ferme , comme il le voulut faire , mais trop tard. Je pourrais, avec cette sentence de Mécénas, m'acquilter de ce que je vous dois; mais, si je vous connais bien , vous me ferez un procès , et ne voudrez pas être payé en monnaie neuve, encore que de bon aloi. Ainsi , il faut que j'en emprunte d'autre chez Epicure. o Vous devez, dit-il, prendre garde avec qui il vous faudra boire et manger, avant que de voir ce que vous boirez et mangerez ; car, de se repaître de viandes sans la compagnie d'un ami, c'est une vie de lion et de loup, » Mais cela ne vous arrivera pas si vous ne faites retraite; car vous verrez manger à voire table tous ceux que l'intendant de votre maison aura choisis entre les gens qui viennent vous faire la cour. Ce n'est point dans une salle que l'on trouve des amis; ce n'est point a la table qu'on les éprouve. Le plus grand malheur d'un homme qui a de grands em- plois et de grands biens, c'est de tenir pour ses amis ceux auxquels il n'est pas ami , s'imaginant que les grâces qu'il leur fait ont assez de force pour gagner leur amitié, quoiqu'il y ait certains esprits lesquels aiment d'autant moins qu'ils se sentent plus obligés. Une petite somme prêtée vous rend un homme redevable , une grosse vous le rend ennemi. Quoi donc! les bienfails ne servent- ils de rien pour acquérir des amis? Oui , ils ser- vent si vous avez pu choisir des personnes dignes de les recevoir ; si vous avez donné avec discerne- ment et non pas 'a l'aventure. C'est pourquoi, tandis que vous formez votre conduite, suivez l'avis des sages , et ne regardez pas tant le don que vous faites que la main qui le reçoit. retuleris, minora eruDt omnia, scd affalim implebnnt; at iiunc plurioia et undiquc iagcsta non satiaat. Uti-um auleni maTJs, ex inopia saturitileni , an ia copia fameni ? Et aïida félicitas est , et aliénée nvidiiali csposila. Quam- diii tibi salis niliil fueril, ipse aliis non iris. « Quoinodo, inquis, exibo? » Utcumque! Cogita, quaiu niulta leniere pro pecunia, quam mulla lal)oriose pro honore tentaïe- ris; aliquid et pro otio audenduiu est, aut, in isla .solli- citudine procurationum et deinde nrbanorum officiorum, seiiesccndum in tumultu ac scinper novis fluclibiis, quos cffugere nulla niodestia , nnlla vitas quiète contingit. Quid cniin ad rem pertinet , an tu quiescere velis? forluna tua non Tult. Quid si illi etiam nunc perniiseris crescere ? quantum ad successum accesserit , accedet ad mctum. \o!o tibi hoc loco referre dictum Mœcenalis , veia in ipso cquuleo elocuti : «Ipsa enim altitudo attonat summa. » Si quEeris, in quo libro dixerit? in eo qui Promelheus inscribitur. Hoc TOluit dicere: « Atlonita habot summa. « Est ergo tanli ulla potenlia , ut sit tibi tara ebrius sermo? Ingeniosus vir ille fuit , magnum exemplum Komanac elo- quentiœ datunis , nisi illum eaervasset felicilas , immo castrasset. Hic te exitns manet, nisi jam contrahes vêla, nisi (quod ille sero voluit) terram leges. Poleram tecum hac Maecenatis sentenlia parem facere rationem; sed mOTebis mihi controversiam , si te novl, ncc voies , quod debeo, nisi in aspero et probo accipere. Ut se res habet , ab Epicuro versura facienda est. • Anfe, inquit , circumspiciendum est , cnm quibus edas et bibas. Nam, sine amico visceratio, leonis ac lupi vita est. • Hoc non continget tibi ; nisi secesseris ; alioquin babebis con- vivas , quos ex turba salutantium nomenclator digesserit. Erratautem qui amicum m atrio quaerit, inconvivio pro- bat. Nullum habet majus malum occupatus bonio, et bonis suis obsessus , quam quodamicossibi putat, quibus ipse non est; quod bénéficia sua efficacia judical ad con- ciliandos amicos , quum quidam , qun plus debent, magis oderint. Levé aes alienum debiloiem facit, grave inimi- cum. — « Quid ergo, bénéficia non parant amicitias? • — Parant , si acccpturos licuit eligere; si collocata , non sparsa sunt. Xtaquc, dum incipis esse mentis tua; , intérim boc consilio s:ipientium ulerc , ut magis ala inconslantia, et dissimililudo rerum coii^ilioruinque. N( nio piopouit silii quid velit; nec, si propusuit, purseverat in co, sed Iransilit; iiec taninm niulat, sed redit, et in ea, qux deseruit ac dam- navit, revolvitur. Ilai|ue ut relinquam dclinitioufs sapienliic vcteres , et totum compk'ctar huinaua' vilx nioduni, hac possutn con - tenlusessc : Quid est sapieutia? Semper idem vellc atqiie idem nulle; tiret ill.im cxcepliunculam non adjicias, ut rectum sit quddvclis; non |)Otest cuim cuiquam idem sem- per placere, nisi rectum. IS'esciuut ergo homincs quid • velint, illo momento, quo voluntjin tolum, uulli vellc aut noile decrelnm est. Varialur quotidie judicium, et in contrarium vertilur, ac plerisque agitur vila pcr lusum. - Prerac ergo quod cocpisli , et foilassc perduccris aul ad summum, aut eo, quod summum nondum esse solus in- telligas. — « Quid fiel , inquis, huic lurba; ramiliarum? i — "Turba ista quum a te pasci desierit, ipsa se pascet mo SÉNÈQUE. plus haut degré, au moins, à tel degré que vous seul pourrez connaître que ce n'est pas encore le plus haut. Mais que deviendra, me dircz-vous, ce grand nombre de domestiques? Quand vous ne les nourrirez plus, ils se nourriront eux-mêmes ; à l'égard des autres, la diminution de votre bien vous fera connaître ce que vous n'aurez pu ap- prendre par vos bienfaits ; car vos vérilablcs amis demeureront auprès de vous , et ceux qui suivaient voire fortune plutôt que voire personne, se reti- reront. La pauvreté n'est-elle pas agréable en ce qu'elle vous découvre ceux qui sont effectivement vos amis? Quand viendra le jour que personne ne mentira plus pour vous faire honneur? N'ayez donc point d'autre pensée , d'autre soin, ni d'autre désir que de trouver le fond de votre satisfaction et de votre bonheur eu vous-même ; peut-il y avoir une félicité qui approche davantage de celle de Dieu? Mettez- vous si bas que vous ne puissiez tomber; et aOn que vous le fassiez plus volontiers , j'appliquerai 'a ce propos la sentence qui doit finir cette lettre. Epicure me la fournira de bon cœur , quand vous devriez en être jaloux. i( Vos paroles assurément auront plus d'autorilé, quand elles seront prononcées sur un lit de paille et dans un habit de bure, car elles seront dites et vérifiées en môme temps. » Pour moi , j'é- coule plus volontiers notre Démétrius, quand il j)arle presque tout nu couche sur une paillasse; car il n'est pas alors précepteur . mais plutôt té- moin de la vérité. Quoi donc! ne peut-on pas mé- priser les richesses que l'on possède? Pourquoi non? J'estime qu'un homme doué d'une belle âme les voyant autour de soi, et ne sachant comment elles lui sont venues, en sourit, et entend dire qu'elles lui appartiennent , sans que lui-môme s'en aperçoive. C'est beaucoup de ne pas se laisser cor- rompre par la compagnie des richesses; celui-lb est grand, à mon avis, qui demeure pauvre au milieu de l'abondance; mais je trouve cet antre plus en sûreté qui est effectivement pauvre et ne possède rien. Vous me direz peut-être : Je ne sais si celui que vous nous figurez pourrait supporter la pauvreté si elle lui arrivait ; et moi, qui sers d'interprète 'a Epicure , je doute aussi si cet autre, qui est effectivement pauvre, pourrait mépriser les richesses si elles lui arrivaient : c'est pourquoi il faut examiner le fond de leur âme; si l'un est satisfait de sa pauvreté , i-t si l'autre a de l'indif- férence pour ses richesses; autrement, la pail- lasse et la bure seraient une assez mauvaise preuve delà vertu d'une personne, puisqu'il faut savoir si code personne s'accommode 'a cet état par né- ccssilé ou par choix. Au reste, un homme de bon sens ne doit point courir après les incommodités comme étant des choses excellentes, mais bien s'y préparer comme élant faciles à supporter ; elles sont faciles en effet, mon cher Lucile ; elles sont même agréables quand on s'en approche, après les avoir longtemps mé- ditées; car on y trouve de la sûreté; sans quoi nul élat ne nous peut satisfaire. C'est pourquoi j'estime qu'il est à propos de choisir quelques jours pour nous disposer 'a la véritable pauvreté par la pratique de la pauvreté volontaire, ainsi qu'ont fait ces grands persoimages dont je vous ai ci-de- vant écrit, ce qui est d'autant plus nécessaire en ce temps où les délices ont causé tant de relâche- ment que les moindres incommodités vous sem- blent insupportables. 11 vaut mieux toutefois pi- aut qund tu benelicio lu non potes scire, pauperlatis scies, nia veros certosqueamicosrelinebit; dlscedet quis- quis noa te , sed aliud scquebatur. Non est aulem vel ob hocunum amanda panperlas, quod, a quibiis ameris, ostendet ? O quando ille veniet dies , quo iieino in hono- rera tuum menliaturl Hue ergo cogiialiones tua' ten- dant , hoc cura , hoc opta , omnia alla vola Deo remissu- rus, ut contenlus sis temelipso et ex te nascenlibus bonis. Qua» potest esse félicitas propior? Rédige te ad parva , ex quibus cadere nonpossisi idque ut libentius facias, ad hoc pertincbit tributum cpistola; hujus, quod stalim con- feram. luvideas licet, eliam nunc libenter pro me de- pendet Epicurus. uiemoriam aetcrnani proniisit , «i pra'sUil ; 50 562 SENE et les faire durer autant que moi ; notre Virgile avait prorais d'en rendre deux immortels, connue il a fait : Couple hcnreuï, «i mes vers sont des ans respeclés, Vos noms ne mourront point , par ma muse chantés. Je les ferai durer tant que la destinée Rendra Rome soumise aui descendants d'Enée, Tant que ceux de son sang, par leurs honneurs divers. Régneront sur ces murs, ces uiurs sur l'univers. Tous ceux que la fortune a élevés , et qui ont eu [>arl à la puissance des souverains, ont éié en crédit, et leurs maisons ont été fréquentées tant que leurs maîtres ont subsisté; mais la mémoire s'en est abolie aussitôt que ces princes sont dis- parus; au contraire, l'estime des beaux-esprits augmente après leur mort, et passe jusqu'aux personnes qui ont eu quelque liaison avec eux. Mais,aDnqueronnem'impule pasd'avcjir pro- duit Idomoneus dans cette lettre, sans sujet, je veux l'aehever'a ses dépens. Épicurc lui écrivit ce beau mot pour le dissuader d'enriciiir Pythoclès par les moyens ordinaires, voulant qu'il en prît de plus assurés: «Si vous voulez, dit-il, quePylho- clès devienne ricbe, il ne faut pas augmenter ses trésors, mais il faut diminuer sa convoitise. » Cette sentence est trop claire pour avoir besoin d'inter- prétation, et trop étendue pour souffrir un com- mentaire. Mais ne croyez pas que cela ait été dit pour les richesses seulement, vous le pourrez ap- pliquer à tout ce qu'il vous plaira. Si vous vou- lez rendre Pytlioclfcs vertueux, vous direz qu'il ne faut point accroître ses honneurs, mais diminuer cette même convoitise : si vous voulez que Pytho- tlcs vive dans une satisfaction continuelle , vous direz encore qu'il ne faut pas augmenter ses vo- yuE. luptés, mais diminuer ses désirs. Enfin, si vogi^ voulez que sa vie soit longue, vous direz qu'il ne sert de rien d'augmenter le nombre deses années, mais qu'il est nécessaire de diminuer celui de ses passions. Ne vous imaginez pas que ces sentiments soient particuliers "a Épicure , ils sont communs 'a tout le monde. Pour moi , je tiens qu'il faut faire dans la philosophie ce qui se fait ordinairement dans le sénat : lorsqu'un sénateur, en opinant, a dit quelque chose qui me plaît, je le prie de diviser son avis, et je m'y range quant "a ce chef. Je rap- porte volontiers les discours d'Épicure , afin de convaincre ces gens mal intentionnés, qui cher- chent dans cet auteur de quoi prétexter leurs dé- bauches, pour leur montrer qu'ils doivent bien vivre en quelque lieu qu'ils aillent. Quand ils se- ront entrés dans ses jardins, et qu'ils y verront celle inscription : « Passant, vous serez bien logé céans; on n'y connaît point de plus grand bien que la volupté; » vous trouverez le concierge de cette maison tout disposé a vous recevoir; il est humain , il est honnête , il vous régalera d'un gâteau et vous donnera de l'eau largement; il vous dira ensuite : « Hé bien ! n'avez- vous pas été bien traité? Dans ces jardins, dis-je, on ne provoque point l'appétit, mais on le contente; on n'irrite point la soif par des breuvages délicieux , mais on l'apaise par un remède qui est naturel et qui ne coûte rien. » Avec cette volupté, je suis parvenu à la vieillesse. Je prétends vous parler seulement des désirs qui n'écoutent point de raison , et qu'il faut satis- faire en leur accordant quelque chose; car pour ces appétits extraordinaires, qui ne sont pas si FortnnaU ambo! si quid tnea carmina possunt. Niilla (lies unciiiam niemori vos cxiiiiet x\o , Omn doinns Jîiica; Capitbii iinnioliilc saxmn Accolet, impcriiimiiue patcr Roiiianu» habeblt. Quoscumque in médium fortuna prolulit, quicumqtie niembra ac partes aliéna; potcutiae fuerant, hoiuni gralia viguit, donms frcquentala est, dnm ipsi stelerunl; post ipsos cito uicmoi'ia defecit. Ingeoioruni cresoit di{.'nntio; nec ipsis taiitum honor habctur, sed, quidquid illorum memoriic adlia'sit, cxcipilur. Ke gratis Idomi ueus in epistolara nifara veneril , ipse cam de suo redimet. Ad huuc Epicnrus illani nobiliui senlenliani scripsit, qua horialur, ut Pulioclca locuple- teui non publica, nec aiicipiti via facial. « Si vis, in([uit. Pythoclea divitcra facere, non pecuuise adjioirnduni , sed cupiditati deirahendum est. » Et apirlioi- ista senlenlia est, quani ut interpretauda sit, ctdiserlioi-, quani ul ad- juvauda. Hoc unum te admoneo, ne istud lauluin cxisti- nie» de diviliis dictum; quocumque transtuliris , idem potcrit: si vis Pjlbocleahcinstuiu facere, non honorihus •djiciendum est, sed cupidilalibus detrahendum; si vis Pythoclea esse in perpétua voUiptate, non volaptatibai adjiciendiim est, sed cupiditatibus detrabendum; si vis Pj^boclea senem facere, et im;)lere \itam , non annis ad- jiciendum est , sed cupiditalibusdelrahendum. Has voces non est quod Epicuri esse jtidices ; pul)licaB sunt. Quod fieri in seiiatu sotet, facienduni ego iu philosophia quo- queeiistimo; quuni cciisuit aliquis quod ei parle mihi placeat , jubeo illum di\idere senlenliani , et sequor pro eo quod probj. Eo libentius Epicuri ogregia dicta com- meuioro, ut istis, <|uiad illa coiifugicnt spe mala inducti, <]ui velamentum ipsos viliorum suDruni habituros existi- niant, probem , quocumque ierint, honeste esse vivcn- dum. Qnum adieriiit islos hortnlos, et inscripium bor- tulis : « Hospes, bicbene mambis, hicsunmium bonum volup!as esl 1 » paratus erit istius domicilii custos, liospi- talis, buinanus, et te polenta cxcipii'l, et aquani qiioquc large miuistrabit , et dicet : • Ecqnid bene acceptus es ? Non irritant, inquit, bi liortuli faniem ,sed eistinguunt, nec majorem ipsis polionibus siiini faciunt, sed naturaU et graluito rcmedio sedaut. ■ In hac voluptate couseoui. De bis tecnm desideriis loquor , qus consolationem non EPITRES A LUCILIUS. 5()3 pressants et que l'on peut adoucir ou retrancher, je vous dirai que ce sont des délicatesses qui ne sont point naturelles , ni nécessaires, auxquelles, par conséquent , vous ne devez rien. Si vous leur accordez quelque chose, cela dépend de votre vo- lonté. Mais la ventre n'écoule point de remon- Irances : il demande, il crie sans cesse; ce n'est pas toutefois un créancier fort rigoureux , il se contente de peu de chose , pourvu que vous lui fournissiez ce que vous lui devez seulement , non pas tout ce que vous pourriez lui donner. EPITRE XXII. Le sage doUse retirer de l'embarras des affaires. — La plapart sortent de la ?ie comme s'ils y veiiiiient d'ca- Irer. Vous voyez bien qu'il faut vous dt'faire de ces occupations éclatantes et touiefuis pernicieuses ; mais vous demandez comment vous pourrez en venir à bout. Il y a des choses que l'on ne peut enseigner si l'on n'est présent. Le médecin ne sau- rait prescrire de loin à son malade les heures qu'il doit manger ou se mettre dans le bain, il faut qu'il lui tâte le pouls. Le vieux proverbe dit que le gladiateur prend conseil sur-le-cliamp; le vi- sage de son ennemi , le mouvement de sa main , et le branle de son corps l'avertissent de ce qu'il a à faire. On peut bien ordonner et écrire ce que l'on doit et que l'on a coutume de faire en géné- ral, et ces sortes d'inslructions sont autant pour la postérité que pour les personnes absentes; mais il est impossible d'avertir de loin quand et de quelle manière on doit agir; il faut prendre avis dans les affaires mômes. Ce n'est pas assez d'ôtre présent , si l'on n'est encore vigilant pour épier l'occasion. Obscrvcz-la donc bien, et, si elle se pré- sente, saisissez -vons-en, et faites tous vos efforts pour vous retirer de l'embarras des affaires. Cepen- dant, écoutez, s'il vous plaît, mon sentiment sur cette matière. J'estime qu'il vous faut renoncera la vie , ou mener une autre vie ; il y a toujours un tempérament "a garder, savoir : de dénouer dou- cement plutôt que de rompre avec éclat les liens" où vous vous êtes empêtré; mais, si vous ne pouvez autrement, ouvrez-vous un passag'j'a la liberté; il n'y a personne si timide qui n'aimât mieux tom- ber une fois que d'être toujours suspendu. Cepen- dant, prenez garde surtout de ne vous point en- gager davantage. Contentez-vous des affaires que vous avez embrassées, ou (pour parler a voire gré) que vous avez rencontrées. Vous ne devez donc pas aller plus avant, sinon vous n'aurez plus d'excuse, et, outre cela, vous ferez voir que votre engagement est volontaire. Car ce discours , qui est ordinairement en la bouche des hommes, est très-faux : «Je n'ai pu faire aulrcment; quand je ne l'aurais pas voulu faire , la nécessité m'y aurait forcé. » Personne n'est obligé de courir après la prospérité ; c'est quelque chose de s'arrêter, et de ne pas |)resser la fortune qui nous emporte , quoi- que volontairement. Mais, enfin, ne trouvez-vous point mauvais que je me mêle de vous donner conseil, et que j'y appelle de plus habiles gens que raoi , de qui j'ai c.iutume de prendre les avis? J'ai l'a une lettre d'I^picure 'a IJomenens, louchant cette matière; il le prie « de se retirer le plus vile qu'il lui sera possible , avant qu'il arrive une force recipinnt, qnibns dandum est sliqnid , nt dpsinant. Nam de illis eitraurdioarlis , <|uaB licet differre , licet casligare et oppriniere , boc ununi commonet'aciam : Ista voluptas nataralis est, dod oecessaria; hiiic iiiiiil dcbes ; si quid inipcadis, ruluntarium est. Venter priccrpta noa audit ; poscit, artpollat; iiou est taiiieo nioleslus croditcir; parvo (limiuitur, si niodo das iili quod (iel>es , noa quod putes. Vale. EPISTOLA XXII. DE DIMDIS aOllTIS. — UE FLGIC^UIS VECOTIIS. Jam iotellipis educendum esse te ei islls occupationi- bus speciosis tt malis ; sed, qa moi'io id consequi pus- sis , quacris. — Qua-dam non nisi a pra'scnte nionstr:intur. Mon potest medicus per epistolas cilii .nul bilnci teinpiis eligere; vena tangenda est. Velus proverbium est, • pl.i- dlâtorem in arena capere consiliura : • aiiqaid adversarii Tultus, aliquid manus mota , ali(iaid ipsa indinatio cor- poris, intuentem monet. Quid fieri f-olral, quid opoileat, in unirersum et mandari potcst et scribi ; taie consilium non iaatum absentibus, eliam poslerisdalur; illud alle- rum, qaando fieri debeat, aut quemadmodam , ex lon- j ginquo nemo snadebit; cum rcbiis ipsis delibeiandum est. ^on tantum pra'senlis , scd vïKilanlis est, occasionem observare properautem. Ilaquc banc circum.-.pice; banc, si Tideris, prende, et toto ini)>elu, toiis viribus id âge, ut te istis officils exu3s. Et quidcm quam sculentiam fe- ram attende ; confir , aut ex ista vila tibi , aut e vita exeundum. Se I iilim illud rxistimo . Uni euudum via , ut, quud mnle implicuisti, solraspoiiiisquam abrumpas; dummo'lo, si alla snlvcndi ratiu noa erit, Tel abrnmpas. Nemo tam liniidus est, ut nialit seniper pendere, quam semcl caderc. Intérim, quod prinmm est, impcdire te noii; contentus eslo negutiis, iu quae descendisti, Tel , quod ïideii mavis , incidisli. Non est quod ad ulteriora nilaris; aut perdes excusationem, et apparebit te non in- cidis^e. Ista cnim quœ dici soient, falsa sunt : « Nou po- tui aliter I quid , si noilem , necesse erat I • Nulli necesse est felicitatem cursu sc(|ui ; est aliquid , cliam si non re- pugnare, subsikteic, nie insiaro fortunae ferenli. Numquid offcnderis, si ia consilium non venio tantam, scd ailvoco equidem prudenliorcs quam ipse sum, ad quoa soleo déferre, si qiiiddelibero?Epicuricpistolam ad banc rem pertinentem lege, Idomeneo quae scribitur; quein r.6. S64 supérieure qui lui en ôte la libertô. 11 ajoute toutefois enigno vnltu mala liMgni6ca tribuerunt, ait hoc unum excutati, quod ista , qu9 arunt, qnae eicruciant , optantibtis data sunl. Jam impriniebain epistulf sigoum ; resolTendu est , ut cum soleinni ad te munu.sculo veniat , et aliquam niagni- Picam Tocem ferai secum ; et occurrit mibi , ecce, nescio iitrum verior, an etoceutem , seneni , incdiuni; invenies œquc limtdum mortis , aque inscium vits. Nemo quidquam babet Eacti ; in futunmi enim nostra distulinius. Nihil me Diagis in ista voce deleclat , quam quod exprobrulur seni- bas infantia : • Nemo, inquit, aliter, quam quomodo Batus est , exil e vita. • Faisnm est I Pejorrs morimur , quam nascimur. Mostrum istud , non natura; , vilium est. llla de nobis conqneri dcliet , et dicere : Quid boc est ? sine cupidilatibus vos geoui , sine limoribus , sine snper- stltlone, sine perlldia , caeterisquc pestibus ; quales intras- tls.esllel Pcrccpil sapientiam, si quis tam secunis mo- rllur, quam nascitur. Piunc vero trepidamus , quum pe- riculum accessit; non animus nobis, non color constat ; lacryma; nihil profuturx oadunt. Quid est turpius, quam la ipso limine seenritatis esse sollicilnm ? Causa autem hïc est , qnod inanes omnium bonorum sumus, vitœ de- siderio laboramus. Non enimapud nos parsejusulla suli- sedit ; Iransmissa est, et eflluxit. Nemo quam liene vivat, sed quam diu, curât; quum omnibus possit conlingcre, ut bene vivant., ut diu , nulli. Vale. EPISTOLA XXIII. in PBILOSOPMI* VEB4S ÏSSE VOIUPTATES. Pulas rae tibi scriplurum, quam hunune nobiscum hiems egcrit, quaB et remissa fuit, et bmis; qiiani ma- lignnm ver sit, quam pr.i'poslerum fiipiis , it alias inep- tias veiba quaprentium. Ego vero aliquid , qnod et mihi , et libi prodesse possit, scribam. Quid autem id erit , nisi ut te exhorter ad bonam mcntem? Hujus fundamentum quod sit , qua-ris? Ne gandcas vanis ! Fundamentum hoc esse dixi ; cutmen est. Ad summum pcrveuit , qui scitquo ^audeat , qui felicitatem suam in aliéna potestale non po- suit. Sollici.us est el incerlus sui , queni spes aliqua pro- riliit licet ad manum sit, lied non ex difTicili pelatur, licel nunquam illura sperata deceperint. Hoc anle omnia fac, mi Lucili : dise» gauderc! Eiislimss nunc me de- 866 SÉNÉ QUE. vais vous retrancher beaucoup de plaisirs par la soustraction que je prétends faire des choses for- tuites, et de toutes les espérances dont naissent les plus douces satisfactions de la \ie; au con- traire , je prétends vous maintenir dans une salis- faction continuelle; je veux même vous la rendre familière et domestique pour ainsi dire ; ce qui arrivera si vous la portez au dedans de vous. Les autres joies ne descendent point jusqu'au coeur; elles s'arrêtent seulement sur le front, parce qu'elles sont superficielles et légères ; à moins qu'on ne veuille dire qu'il suffit de rire pour être content. Mais il faut avoir pour cela l'esprit libre, ferme et au-dessus de toutes choses. Enfin , soyez persuadé que la véritable joie a toujours quelque chose de sévère. Quoi ! pensez-vous qu'où puisse , avec un visage ouvert et un œil riant (comme par- lent nos délicats), mépriser la mort, accepter la pauvreté, tenir en bride la volupté, et se résoudre à supporter la douleur ? Celui qui roule ces pen- sées dans son esprit a certainement beaucoup de joie , quoiqu'elle ne chatouille guère les sens. Je veux vous mettre en possession de cette joie ; elle ne vous manquera jamais, quand vous en aurez trouvé une fois la source. Les métaux com- muns sont proches de la superficie de la terre ; ceux qui sont précieux ne se trouvent que dans le fond, et se montrent à mesure que l'on fouille plus avant. Les choses qui sont agréables au com- mun des hommes n'apportent qu'un plaisir fort léger, et le bien qui vient de dehors n'est appuyé sur aucun fondement : celui dont je vous parle, et où je veux vous conduire, est solide, et se fait connaître principalement au dedans. Enfin , mon cher Lucile, faites une chose qui peut vous rendre heureux ; ne vous arrêtez point aux apparences extérieures, ni aux promesses d'autrui ; cherchez le vrai bien et jouissez en paix de ce qui est il vous. Mais , quand je dis ce qui est 'a vous, j'entends de votre personne , et de la meilleure partie de vous-même ; car vous m'a- vouerez que ce corps chétif ( sans lequel pourtant on ne peut rien ) , bien qu'il soit quelque chose de nécessaire, est fort peu considérable; il nous fournit de faux plaisirs, qui sont de peu de durée et sujets au repentir, lesquels , si on n'y apjiorte beaucoup de modération , passent souvent dans l'extrémité qui leur est opposée. Car il est certain que la volupté se précipite d'une pente naturelle dans la douleur, si vous ne la retenez , et l'on se retient assez rarement dans les choses que l'on croit être bonnes. En un mot il n'y a que l'avi- dité du vrai bien qui soit sûre et hors de péril. Si vous me demandez ce que c'est et ce qui le produit: je vous répondrai que c'est la bonne conscience, les intentions droites, les actions vertueuses, le mépris des choses fortuites , avec un genre de vie tranquille et toujours égal. Car est il possible que ces gens qui, ayant embrassé un dessein, se jettent volontairement ou sont poussés par quelque ha- sard dans un autre , demeurent dans un état cer- tain et arrêté, puisqu'ils sont toujours agités et irrésolus? Il y a peu de personnes qui se condui- sent par conseil dans leurs mœurs et dans leurs affaires; tous les autres vont au courant de l'eau, comme les choses qui flottent sur les rivières. Vous en verrez une partie portée doucement sur une eau dormante; l'autre, poussée par une va- gue impétueuse qui , venant 'a se raleutir, les met infailliblement auprès du rivage ; l'autre, enfin , trahere til)i multas volnptales, qui fortuita sulinioTco, qui spes, dulcissiraa oljlictinicnta, devitandas csistimo? Immo conlial uolo tibi unijuam déesse laeliliam. Voie illam li))i doini nasci; nascelur, si modo intra te ipsum sit. Ca;tei'aî liilaritates non iuiplent pectus; fronleni re- mitlunt , levés sunt ; uisi forte tu judicas eum pauriere , qui ridet. Animus débet esse alacei' et fideiis , et super oninia erectiis. Mihi crede , ris severa est vcruni gau- diuni. An tu existiinas <{uenii|uam soluto vultu,el, ut istidelicali loquunur, liilari oculo, morlcui coulemnere? paupcriati domnm aperire?Toluplates tenerc sul)frœno? nieditari dolorum patienliani? Ilasc qui apud se versât, in magno gaudio est , sed parum blando. In liujus fiaudii possessione esse te^o!o ; Dwnquam deficiet, quuni seiiiej, unde petalur , invencris. Levium nietalloruni fructus in suninio est; illa opulentissiina suut , quorum in alto latet veiia, assidue plenius respoiifura fodienti. lla'C, quibus delectatiu' vulgns, tcnuem hahcnt ac pcrralolaai lil)erare : • Mo- leslum est, semper vilam incboare; • aut (si hoc modo niagis scDsus (lotesteiprimi) : € Maie quasseauimum forlissimorum ; sicut illum Cn. Pomiœii socerum Scipionem, qui , contrario in Africam vento re- l.itus, quum teneri nayem suam vidisset ab hoslibns, ferro se transverberavit , et quaBrentibus ubi imperator esset ; Imperator , inquit, se bene habet. Voi haec illum parem majoribus fccit , et fataleni Scipionibus in Arrica ÉPITRES A LUCILIUS. 569 rôle seule le rendit égal à ses ancêtres , et lit que la gloire des Scipion , qui était fatale à l'Afrique , ne fut point interrompue. C'était beaucoup de dompter Carthage, mab c'était encore plus de vaincre la mort , en disant : Le général est bien. Un général, qui commandait à Caton en personne, pouvait-il mourir plus dignement? Je ne veux point vous renvoyer à l'histoire , ni vous ramener tous ceux qui , dans les siècles passés , ont mé- prise la mort, lesquels sont en grand nombre. Considérez seulement le temps où nous vivons , que l'on accuse de lenteur et de mollesse; vous y trouverez pourtant des gens de toutes sortes d'âges et de qualités, qui ont accourci leurs disgrâces par la mort. En vérité , mon cher Lucile , il n'y a point de raison de craindre la mort , puisqu'il n'est rien de plus avantageux. Ne vous inquiétez donc pas des menaces de votre ennemi, et quoique vo- tre conscience vous mette en sûreté, néanmoins , parce qu'il y a bien des choses que l'on met en considération hors le fond d'une affaire, espérez que l'on vous conservera la justice, et résolvez- vous en même temps de souffrir l'injustice. Souvenez-vous principalement de séparer les choses du bruit qu'elles font, et de les considérer seulement en elles-mêmes; vous trouverez qu'elles u'ont rien de terrible que la peur qu'on en a. Ce qui arrive aux enfants, nous arrive aussi a nous qui sommes leurs aines ; ceux qu'ils aiment, et avec lesquels ils ont accoutumé de jouer , leur font peur s'ils se présentent masqués : il faut voir les choses à découvert aussi bien que l'on voit les hommes, et les considérer dans leur visage natu- rel. A quoi sert de me montrer des bourreaux, des couteaux et des brasiers, qui vous environ- nent? Otez cet appareil dont vous épouvantez les faibles ; ce n'est que la mort dont mon valet et ma servante se sont moqués ces jours passés. Que sert- il encore d'exposer à mes yeux des fouets, des chevalets et des outils inventés pour tourmenter certaines parties, avec mille autres instruments propres à faire mourir un homme par pièces? Dé- tournez toutes ces machines qui donnent de l'ef- froi ; faites cesser les plaintes, les gémissements et l'horreur des cris entrecoupés par l'effort de la torture ; ce ne sera plus qu'une douleur, dont un goutteux ne se met pas en peine ; qu'un gourmand, qui a mauvais estomac , supporte au milieu de la bonne chère, et qu'une jeune femme souffre d'or- dinaire dans son premier accouchement. Elle sera légère, si je la puis souffrir; elle sera courte, si je ne la puis supporter. Repassez dans votre esprit ce que vous avez si souvent ouï dire, et ce que vous avez dit vous- même si souvent; faites voir par les effets si vous l'avez entendu et si vous l'avez dit comme vous le deviez, car certainement il est honteux (ce qu'on nous reproche d'ordinaire) de parler en philosophe et de ne point agir en philosophe. Quoi ! ne saviez- vous pas encore que vous êtes sujet à la mort, à l'exil et h lu douleur? Vous êtes ne sous cette con- dition. Regardons tout ce qui peut arriver, comme s"il devait arriver. Mais je m'assure que vous avez déj'a fait ce que je vous conseille de faire ; je vous avertis seulement de ne point plonger votre es- prit dans le chagrin, de peur qu'il ne se trouve appesanti et moins vigoureux , lorsque vous le voudrez relever; faites-le passer de votre affaire gloriam non est internimpi passa. Moltiim fuit , Cartlia- ginem Tincere ; sed ampljus, mortem. Imperator, inqnit, le bene habet ! An aliter debebat imperator , et quidem Catonis, niori? !Son revoco te ad historias, nec ci omni- bus sœculis coDtemptores mortis, qui sunt plurimi, col- ligo; respic ad ha'cnostra tempera, de quorum tanguera ac delicii» querimur; omnis ordinis bomioes succurreut , omnis fortuoae , omnis f tatis, qui mata sua morte prsci- dernnt. Mihi crede , Lnciti , adeo mors timenda non est , ut benencio ejus nibil timendum sil. Securus ilaque ini- mici minas audi ; et , quamris conscientia tibi tua fidu- ciam facial, tamen, quia multa eitra caosam valent, et, qnod squissimum est, spera, et ad id le, quod est ioi- quissimum, compara. Illud autem anlc omnia mémento , demere rébus tumuttuiu, ac videre quid in quaque re sil; •des niliil esse in istis terribile , nisi ipsum timorem. Quod vides accidere pueris, hoc nobis quoque, majujculis pue- lis , evenit ; ilti , quos amant, quibus assoeverunt , curu quibualudunt, si personatos vident , espavescunt. Non homioibns tanium , sed et rébus persona demenda est , et reddenda faciès sua. Quid mibi gladios et ignés ostendis, et lurbam carnificum circa te fremeniem? Toile istam pompam, sub qua latcs, et stultos territas! Mors est, qnam nuper ser?u$ meus, quamancillaconlempsit. Quid tu rursus mihi flagella et equuleos magno apparatu ei- plicas ? quid siugutis arliculis siogula machinamenta, qui- bus eitorqueantur, aptata, et mille alla instrumenta ei- carniQcandi particutaliui hominis ? Pone ista , qua- uos ot>stupefaciunt; jubé conticescere gemitus et eiclamatio- ne8,etTocum inter tacerationem elisarum accrbilatem. Nempe dolor est, queni podagricus illc contemnil, queni ttomacbicus ille in ipsis deliciis perfert, quem in puer- pcrio puella pcrpetitur. Levis est, si ferre possuui ; bre- Tis est, si ferre non possum. Haec in aniino voluta , quae sspe audisti, sôepe dixisti ; sed , an vere audieris , an verediieris, effectu proba I hoc cnim turpissimum est , quod nobis objici solet, verba nos pbilosopbia; , non 0|)era tractare. Quid tu? nunc primum tibi mortem imminerp scisli, nunc exsilium, nuuc dolo- rera? In liœc natus es ! Quidquid lieri poU'St, quasi fulu- rum cogitemus; quod facerc le moneo , scio certe fecissc. Nunc admoneo , ut animum luum non mcrgas in istam sollicitudinein ; hel)elabitur enim , ei minus habebit vi- g:iris, qiiuni cxsurgcmlura dit. Abduc illuni a privala 570 SÉNÈQUE. particulière à celle qui est générale; et dites que vous avez un pelit corps mortel et fragile, qui peut être tourmenté, non-seulement par la per- sécution d'un ennemi ou d'une puissance supé- rieure, mais encore par la volupté môme, qui se change quelquefois en douleur. Les viandes don- nent des crudités, le vin engourdit les nerfs et cause le tremblement, la luxure débilite les pieds , les mains et toutes les jointures. Que sera-ce, si je deviens pauvre? J'aurai bien des compagnons. Si je suis banni ? Je me persuaderai d'être né dans le lieu de mon exil. Si je suis dans les liens? Qu'est-ce que cela? Suis-je libre, étant lié à mon corps, qui est nalurellement pesant? Si je meurs, je dirai : Je ne puis plus être malade , ni captif, et je ne pourrai plus mourir. Je ne suis pas siiniperlinent que de répéter en cet endroit la cbanson d'Epicure, et de dire que la crainte des enfers est une superstilion ; qu'lxion n'est pas occupé à tourner une roue, ni Sisyphe à pousser une pierre conire mont; et ([u'il est im- possible que les entrailles d'une même personne soient dévorées et renaissent cliaiue jour. 11 ne s'en rencontre point qui soient si fort enfaiils que de craindre le Cerbère, et d'avoir peur des té- nèbres et de ces fantômes qui paraissent sous des os nus et décharnés. La mort nous réduit au néant, ou nous transporte en un autre lieu ; l'état de ceux qui sont transportés devient meilleur, puis- qu'ils sont déchargés de leur fardeau. Pour ceux qui sont réduits au néant, il n'en reste rien; ainsi ils sont également incapables de bien et de mal. Permettez-moi de vous rapporter ici un vers de Votre façon , après vous avoir dit que vous l'avez écrit, non pour les autres , mais pour vous-même. S'il est honteux de dire une chose, et d'en penser une autre, il l'est encore davantage d'écrire une chose et d'en croire une autre. Je me souviens de vous avoir ouï quelquefois raisonner sur cette ma- tière , que nous ne tombons point subitement en- tre les mains de la mort , mais que nous y arri- vons pelit à petit : nous mourons tous les jours, parce que nous perdons tous les jours une portion de notre vie, laquelle même diminue lorsque nous croissons. Le temps de l'enfance est évanoui, nous avons passé celui de l'adolescence et de la jeunesse ; en un mot , tout le temps qui s'est écou- lé Jusqu'au jour d'hier est perdu pour nous, et ce jour même où nous sommes sera partagé entre la vie et la mort. Comme la dernière goutte ne vide pas une bouteille, mais bien toutes celles qui en sont sorties auparavant; de même, ce n'est pas la dernière heure qui fait la mort, mais celle qui laccomplit; nous y arrivons alors, mais il y avait longtemps que nous y allions. Lorsque vous discouriez de ces choses avec votre éloquence or- dinaire , vous me parûtes toujours grand ; mais je ne trouvai rien de plus ferme que ces paroles que vous prêtâtes à la vérité : Nous mourons tous les jours; mais on u'appelle mort Que celle enfin qui vient terminer notre sort. J'aime mieux que vous lisiez votre ouvrage que ma lettre , car vous verrez par Fa que la mort que nous craignons n'est pas la seule qu'il y ait : ce n'est que la dernière. Mais je vois ce que vous at- tendez ; vous voulez savoir de quoi j'accompagne- rai cette lettre, si c'est de quelque parole génc- caiisn ad publicam; die morlale tilii et fragile corpuscu- lumesse, cui non ex injuria lanluin aut ex polenlioris viribus deoiinliabilur dolor: ipsjE in tornieula vuliiptalcs vei-lunlur. Epulœ cruditatem affeiunl; chrielal s nervo- runi tor(iorenrtienKirerii(|ue; lihidines peduni , maniuun, arlloulcruui (imn uni depr^valiones. Pauper fiani ? iiiler pluies ero. Exsul fiaiii? ibi me na!um putalio. quo rai;- lar. .\lli(;ab(ir? quid eiiim? nuuc solutussiun? :id hoc me natura grave cm-poiis n»-i_ pondus adstiiiixit. Moriar? hoc dicis, desinani œgrotare posse, desinnni alligari posse, desinani niori posse. Nonsumtnm inrplus. ul cpicure-m cantilcnam lioc loco perse(iuar, et dicam , vanos esse in- ferorum nieiiis; noc Ixiaucm rota volvi; iiec saxum hu meris Sisypîii irudi in advcr^um, ncc idlius viscera et renascl posse qipotidie , el oarpi. Nonio lam puor est , ut Ccrl)ernm timeat. et tenebr;is, et larvalem liabilum nu- dis oss'hus coha'reiiiium. Meus nos nul coii'Uiuit, aiit efiiitlit. Emissis moliora restant . onere delraclo; consump- tis niliil reslat, bona paiiler malaque sulimot i sunt. Per- nillle mihi hoc loco reforre vcrsuni tiium, si prius ad- nioniiero , ut te jndices non aiiis scripsisse ista , sed oliam tibi. Turpe est aliud loqui , aliud sentirej quanto turpius. aliud scrihere, aliud sentire ? Memini te illum locum ali- quando tractasse, non repente nos in mortem incidere, sed niinutatini procedere. Quotidie morimur, quoiidie inim deniitur aliqua pars vilie; et tuncquoque, quum crescinius, vita decrescit. InTanliam amisimus, deinile pueriliarn, deinde adolescenti m ; usque ad hesternum, ijuidquid transiit temporis, periit; bunc ipsum , quem agimus, diem cum morte dividimus. Queniadmodum de- ps>diani non e tremum stillicidium eibaurit , sed quid- quid ante defluxit: sic ultima bora, qna esse desinimos, non sola morlem facit, sed sola consiimmat. Tune ad iilain perveoimus , sed diu venimus. I{a>c quum descripsisses, quo soUs ore, semper quideni magnus, nuuquam tamea aciior quam ubi veritati commodiis verba , diiisti : Morî non uiia venit ; sed , quae rajiit , ultima mors est. Malo te legas , qeam epistolam meam; apparcbit enim tibi banc, quam timemus, murtem eitremam esse, non solam. Video quo spectes ; qnaeris quid huic epistols infulse- rim , quod dictum aliciijus animosum , quod prsceptuni utile? El bac ipsa materia qus in maaibus fuit , mittetor ÉPITRES A LUCILIUS. 571 reuse el hardie, prononcée par quelque grand per- sonnage, ou de quelque avis salutaire; il faut tirer cet avis du sujet même que nous traitons. Epicure blâme également ceux qui souhaitent la mort et ceux qui la craignent:» Il est, dil-il, bien ridicule de rechercher la mort pour le dégoût de la vie, lors- que la vie que vous avez menée vous oblige à recher- cher la mort. » Il dit encore en un autre endroit : « Est-il rien de plus impertinent que de souhaiter la mort, pour s'être fait une vie malheureuse par la crainte de la mort?i Aquoion peut ajouter ceci, qui est à peu près de même sens : « Que l'imprudence, ou plutôt la folie des hommes est telle, qu'il y en B que la crainte de la mort réduit enfin à vouloir mourir. «Vous ne trouverez aucun de ces raisonne- ments qui ne dispose votre esprit à supporter sans chagrin la vie ou la mort : car il nous faut pren- dre garde de ne pas trop aimer, ni aussi de ne pas trop haïr la vie ; et quand la raison nous oblige de la quitter, il ne le faut pas faire légèrement et avec précipitation. Un homme généreux et sage ne doit pas se dérober de la vie, mais en sortir honnêtement : surtout il faut éviter cette envie passionnée de mourir, qui est tombée autrefois dans l'esprit de l)caucoup de gens ; car il est cer- tain, mon cher Lucilc, que Pâme se porte quel- quefois aveuglément au désir de la mort, ainsi qu'à d'autres objets , et que cela est arrivé tantôt à d'honnêtes gens et tantôt à des lâches. Ccux-I'a méprisaient la vie, ceux-ci en étaient incommo- dés ; il Y en a plusieurs aussi qui , lassés de faire et de voir toujours les mêmes choses, prennent du dégoût de la vie , sans toutefois en avoir de l'aversion. C'est a quoi la philosophie nous porte insensiblement, lorsque nous disons: «Quoi! tou- jours les mômes choses? Dormir, se réveiller, avoir faim , se rassasier, avoir froid, avoir chaud? Bref, toutes les choses du monde n'ont point de fin : elles se fuient, elles se suivent, et sont liées les unes aux autres par un enchaînement qui re- commence sans cesse. La nuit chasse le jour, puis le jour chasse la nuit; l'été se termine dans l'au- tomne, l'automne finit dans l'hiver, et l'hiver dans le printemps. Tout passe pour revenir après; je ne vois et je ne fais rien de nouveau.» Il arrive quelquefois que l'on se dégoûte de cela ; c'est pourquoi plusieurs estiment que, s'il n'est point fâcheux , il est au moins superflu de vivre long- temps. EPITRE XXV. On se peut toujours amender, taudis que l'on a honte de mal faire. — Pour bien vivre , il faut être censeur de sui-ni^me. Pour ce qui est de nos deux amis, il les faut traiter d'une manière bien différente; car il faut réformer les défauts de l'un , et détruire ceux de l'autre : je snis résolu d'en user fort libre- ment, et je n'aimerais pas le premier, si je ne le persécutais. — Quoi donc , direz-vous , penseï- vous remettre en tutelle un pupille de quarante ans? Considérez qu'il est dans un âge dur et in- capable de réformalion ; car il n'y a que les choses teudres qu'on puisse redresser. — Je ne sais si j'y gagnerai quelque chose ; mais j'aime mieux ne pas réussir que de manquer "a ce que je dois; d'ail- leurs, il ne faut pas désespérer de la guérison des aliqaid. Objnrgat Epicurus non minus eos , qui morlem concupiscunt, quam eos, qui liment, et ait : > Itidicu- Inm est currere ad mortem ta^dio vita? ; quum génère vilcB , ut currendum ad mortem esset , effeeeris. » Item alio loco dicit : • Qnid tam ridiculum , quam appetere mortem, quum vitam inquictam tibi feceris nietu nidrlis? > tlis adjicias (t illnd ejusdem notie licet : • Tantani tionii- num imprudentiam esse, inimo dementiam , ut quidam timoré mortis cogantur rd mortem. • Quidqiiid horum tractaveris, conflrmabis animnm, vel ad mortis, vel ad Titx palientiam. Ad utrumque enim mOTendi pe ignavosiaccnlcs- que; illi contemnunt vilam , lii (iravantur. Qnosdam sub- it cadem facicndi Tidcndiqnesatictas.flTilirnon odiiirii, •ed fastidium, in quod prolaUmur ipsa iqipellente pliilo- sophia , dum dicimus : • Quousque eadom ? Nempe ci- pergiscar, dormiam,satiabor,esunaiu, algebo, .Tstual>o; nullius rei Tmisest, sed in orbem ncia sunt omnia; fu- giuiit ac sequuntiir. Dieni nu\ preaiit, dics noctem , œstas in autumnum desinit, aulunino hienis inslat, quae vcpc coiiipescitur ; omnia sic Iranscunt , ut revcrtantur ; niliil novi facio, nibil novi video; fit aliquando et hujus rei natisea? • MuUi (uat qui non acerbum judicent vircre , sed supervacuuo). Vale. EPISTOLA XXV. DE SOLITCDI.MS PEaiCULIS, DE PIUI'EBTITIS COMIIODIS. Qiiod ad duos amicos nostros perlinet, divcrsa via ciin- duni est; allcrius enim vitia emendiinda, alicrius fran- genda sunt. Ulnr lil>crlate tola; non anio illiim, nisi of- fendero. — Qiiid ergo ? inquis , qu;idragenarium piipillinii cogitnssnb tutela lu;i continerePRespicca'tatcm ejus jani duram et inlractalnlein ; non potest rcformari ; teneia fingunlnr. — An profcctunis sim nescio; malo succcs'um niihi , quam fidem , déesse. ÎS'ec desperaveris , etiam diu- tinos sgros possc tauari , si contra intemperantiaiii stc- 572 SÉNËQUE. maux invétérés, si vous arrêtez l'intempérance du malade , et le forcez de faire et de souffrir beaucoup de choses qui peuvent ne lui pas plaire. Ce n'est pas que je me tienne fort assuré de notre autre ami , sinon que je vois qu'il rougit encore de faire mal; il faut avoir soin d'entretenir cette pudeur, car tant qu'elle subsiste dans une per- sonne, il y a toujours lieu d'en bien espérer. Je crois qu'il faudra agir plus doucement avec ce vieux pécheur, de peur qu'il ne perde l'espérance de sa gucrison , et je ne crois pas qu'on puisse l'entreprendre dans un temps plus propre que ce- lui-ci, tandis qu'il est tranquille et qu'il paraît tout réformé. Cette intermission, toutefois, qui a trompé bien des gens , ne me trompera pas ; car, comme je sais que ses défauts ne sont point gué- ris, mais seulement endormis, je m'attends bien qu'ils reviendront avec plus de violence qu'aupa- ravant. Quoiqu'il en arrive, j'emploierai volon- tiers mon temps pour ce sujet , et je verrai si l'on peut y faire quelque chose ou non. Pour vous, soyez toujours ferme et généreux , et commencez à plier bagage. Souvenez-vous que si nous suivons la loi de nature, il n'y a presque rien qui nous soit nécessaire parmi les choses que nous po'ssédons. Les richesses sont exposées 'a tout le monde ; car ce de quoi nous avons besoin se donne gratuitement ou pour peu de chose ; mais , comme il ne consiste qu'en du pain et de l'eau , il ne se voit presque personne qui en soit indigent, o et celui qui peut borner là ses désirs, a droit de prétendre au souverain bonheur, con- curremment avec Jupiter, » comme disait fort bien Épicure. Je veux Qnir cette lettre par un de ses avis ; (I Faites, dit-il, toutes choses comme si quelqu'un vous regardait. » 11 est sans doute très-utile d'avoir quelqu'un auprès de soi, que vous regardiez comme s'il était présent à toutes vos pensées ; mais il est beaucoup plus honorable de vivre comme si vous étiez en la présence de quelque homme de probité. Je serai content, pourvu que vous fassiez toutes choses comme si quelqu'un vous voyait. La soli- tude ne vous inspire que du mal. Quand vous se- rez venu au point d'avoir du respect pour vous- même , alors vous pourrez congédier votre contrô- leur; cependant conduisez - vous sous l'autorité de quelques personnes considérables , comme de Caton, de Scipion, de Lélius, ou de quelque autre dont l'idée soit capable d'arrêter la licence des plus abandonnés. Quand vous aurez fait cela ,■ et que vous commencerez "a avoir quelque considé- ration pour voire personne , je vous permettrai ce que conseille Epicure, quand il dit : «Retirez- vous en vous-même, surtout lorsque vous serez obligé de vous trouver en compagnie. » Il ne faut pas que vous soyez semblable à cette multitude ; c'est pourquoi il y aurait du péril a sortir de vous-même. Considérez tous ces gens-l'a que vous voyez ; il n'y en a pas un qui ne fût mieux avec un autre qu'avec soi. Oui, je le répète, retirez- vous en vous-même , lorsque vous serez obligé de vous trouver en compagnie, pourvu toutefois que vous soyez homme de bien, pacifique et modéré; autrement , produisez - vous partout , sortez de vous-même , vous ne sauriez être eu plus mau- vaise compagnie. teris, si multa iovUos et facere coegeris et pati. Ne de altcro quidem salis liducia; habeo; cïceplo eo, quod ad- liuc peccare erubescit. Nulriendus est hic pudor; qui quamdiu in animo ejus duraverit , aliquis crit bona; spei locus. Cura hoc veterauo parcius agenduin puto , ne in desperationem sui Teniat; nec ulium tempos aggrediendi fuit nielius.quam hoc, dum interquiescit, dum enien- dato siniiiis est. Aliis hacintermissio ejus imposuil; niihi verba non dat; exspecto cuin naagno fenore vitia redi- tara , quœ nunc scio cessane, non déesse. Inipendam huic rei dies, et, utiura possit aliqiiid agi , an non possit, ex- periar. Tn nobis te, ut facis, fortem pra;sla, et sarcinas contrahe. Nihil ex his , qua; habemus , necessariura est. Ad legem naturas revcrtamur ; divilia) paratae sunt. Aut gratuitum est, quo egemus, aut vile. Paneiu et aquain natura desiderat; ncnio ad ha!c pauper est; « intra qua; quisquis desideiiuni suum clusit, cnm ipso Jove de feh- citate conlendat , » ut ait Epicurus , cujusaliquam voceni huic epistola; involvain. « Sicfac, inquit, oninia, tan- (|Ham spectet Epicurus ! » Prodest sine dubio, cnstodem tibi imposuisse, et habire quern respicias, quein intéresse coptalionibus luis judices. Hoc quidcni longe maguiPi- centius est , sic vivere tanqoam sub alicnjas lx>ni Tiri , ae semperprxsentis, oculis; sed ego eliam hoc conlentnt suni , ut sic facias quxcuoique faciès , tanquani spectet aliquis. Omnia nobis niala solitudo persuade!. Quum jam profeccris tantum , ut sit tibi etiam tui reverentia , licebit dimittas pxdagogum ; intérim aliquorum te auctoriate custodi. Aut Cato ille sit, aut Scipio , aut Laelius , aut ca- jus iotcrventu perditi quoque bomines vilia supprimè- rent ; dum te eOicis eum , cum quo peccare non audeas. Quum hoc effeceris, et aliqua cœperit apud te tui esse digoatio , incipiam tibi permittere ; quod idem suadet Epicurus : « Tune prascipue in te ipsesecede, quum esse cogeris inturba. » Dissimilemte tierimultisoportet. Dum tibi tutum sit ad te reccdere , circumspice singulos ; uemo est, cui non satius sit cum quolibet esse, quam secum. « Tune préecipue in te ipse secede , quum esse cogeris in lurba ; • si bonus vir es , si quietus , si temperans ; alioquin in turbam tibi a te recedendum est; istic tuaio viro propius es. Vale. EPITRES A LUCILIUS. 575 ÉPITRE XXVI. C'eit à la mort que la rertn se reconnail. Je vous disais, il n'y a pas longtemps, que j'en- trais dans la vieillesse; je crains présentement que je ne l'aie passée : ce nom ne convient plus a mon âge plein de langueur et non pas impuissant. Vous pouvez donc me compter entre les personnes dé- crépites et les gens qui touchent à leur fin. Je vous avoue pourtant que je me sais bon gré de ce que je ne sens la vieillesse que dans le corps , et non pas dans l'esprit ; il n'y a que le vice et ce qui servait au vice qui se soit affaibli chez moi ; l'esprit est encore vigoureux et se réjouit de n'a- voir plus tant de commerce avec le corps. Comme il se voit déchargé d'une bonne partie de son far- deau, il soutient qu'il n'est pas vieux, et qu'il n'est que dans sa fleur ; il faut le croire et le lais- ser jouir de son avantage. Mais il est bon d'exa- miner ce que la philosophie et ce que l'âge a con- tribue a la modération de mes passions , comme aussi ce que je ne puis faire, si je puis faire en- core quelque chose que je ne veuille pas faire ; car, s'il y a quelque chose que je ne puisse pas faire , je ne me fâche point de cette impuissance , parce que l'on ne se doit pas plaindre qu'une chose qui doit finir soit arrivée à son terme. « Mais , direz- vous, cela est bien fâcheux de se voir diminuer, et, pour parler ainsi, de se voir fondre ; car nous ne sommes pas poussés et renversés tout d'un coup; chaque jour nous mine et altère quelque chose de nos forces. «Quoi! peut-on mieux Unir que d'arriver doucement a la fin par la défaillance de la nature ? Ce n'est pas que ce soit un grand mal d'être poussé subitement hors de la vie; mais il est toujours plus agréable d'en sortir doucement. Pour moi, je vous avoue que je m'observe, et je me parle comme si j'allais être mis 'a l'épreuve, et que ce dernier jour qui doit juger de tous les autres fût tout proche. Je dis 'a part moi: aToutce que nous avons témoigne jusqu'ici par nos paroles ou par nos actions n'est encore rien ; ce ne sont que des talents d'esprit légers et trompeurs. Je^ verrai à la mort le profit que j'aurai fait ; c'est pourquoi je me prépare sérieusement "a ce jour- là, auquel je pourrai juger, sans nulle obscurité, si j'ai eu la vertu sur les lèvres ou dans le cœur, et si tant de paroles hardies que j'ai dites contre la fortune n'étaient point des productions de la vanité et de la dissimulation. Ne t'arrête point à l'opinion que les hommes ont de loi, qui est tou- jours fort incertaine ; ne t'arrête point encore à tes études ; examine toute ta vie , et tu trouveras qu'il n'y a que la mort seule qui puisse juger de ce qne lu es. Oui, je le dis, les disputes, les doctes con- versations, et les discours empruntés des sages de l'antiquité, ne sont pas une preuve de la force de l'âme; les plus timides parlent quelquefois hardi- ment; on connaîtra par quel ressort tu auras agi, lorsque tu rendras l'esprit : j'accepte volontiers celte condition, je n'appréhende point ce juge- ment. » Voilà ce que je me dis à moi-même; imagi- nez-vous que c'est à vous que je le dis : vous êtes jeune, mais qu'importe? La mort ne compte point les années , vous ne savez où elle vous attend : c'est pourquoi attendez-la partout. EPISTOLA XXVI. SeiECTUTIS UDDU. i Modo dicebam tibi, in coDspecta eue me senectutis ; jam ?ereor ne scnectutem post me reliquerim. Aliud jam , his annis, ccrte hnic corpori , Tocaliulum convenit; quo- i niam quidem senectus lass» statis , non fracta; , nomen ^ c-st. Inter decrepitos me mimera et eitrema tangentes. ! dratias tamen mibi apud te ago; non sentio in animo a'tatis injuriam, quum senliam in corpore ; tantum vitia etyitiorum ministeria senuerunt. Viget animus , et gaudet non multuni sibi esse cum corpore ; magnam partem one ; ris 9ui posuit ; exsultat , et niihi facit controversiam de \ senectute ; bunc ait esse florem suum. Credamus illi ; bono suo utatur I Ire in cogitalioncm jnvat , et dispicere , qnid ex bac tranqnillitate et modcstia raorum sapientia; del>cam, quid actati ; etdiligentcr exctitere, qus non possim Tacere; qnx noiim , possc habiturus. Atqui si noilm quidquid non potsum , non possc me gaiideo. Quie enim querela est , quod incommodum , si , quod débet desinere , defccit ? — Incommoilum summum est, inqnis.nilnui et deperirc; et , nt proprie dicam , tiquescore. Non enim subito im- pulsi ac prostrati sumus; carpimur; singiili dies allquid sabtrabunt viribus. — Et quis e\itus est melior, quam in flnem suum , natura soWente , dilabl ? non quia aliquid mali est citus et e vita repentions eicessus ; sed quia lenis b>ec via est, subduci. Ego certe velut appropinquet ex- perimentum, et ille l:iturus sententiam de omnibus annis meis dies venerit , ita me nbscrvo et alloqunr : > Nibil est enim , inqunm, adbuc , quod aut rébus , aut verbis eibi- buimos. Levia suiit ista (t Tallacia pignora animi, mul- tisque ioTOlula lenociniis ; quid profecerim , niorti credi- turus sum. Non timide itaque componor ad illum diem , quo, remotis strophis ac fucis, de me judicalurus sum , utrum loquar fortia , an scntiam ; numquid siniulatio fue- rit et mimus , quidquid contra forlunam jaclavi Terbo- mm conlumacium. Remove existiuialionem hominum ! dut)ia semper est , et in partem ulranique dividitur. Re- mOTe studia tota vita tractata ? mors de te pronuntiatura est. lia dico; disputationes, et litterata colloquia , et ex prapceptis sapientium verha coltecta , et eruditus sermo , non ostendunt verum robur animi ; est enim oratio etiani timidissimis audax. Quid egeris , tune apparcbit , quum animam açes. Accipio condilionem , non reformido judi- cium. • — Ha;c mecum loquor; sed tecnm quoque me loquulum puta. Juvcnior es? quid refcrtf non diname- S74 S EN Je voulais flnir, et j'étais près de fermer cette lettre; mais je me suis souvenu qu'il fallait en payer le port. Quand je ne vous dirais pas où je le veux emprunter , vous savez bien de quelle bourse je me sers ordinairement. Attendez encore un peu; je le trouverai dans ma bibliothèque; ce- pendant Épicure me le prêtera. «Voyez, dit-il, le- quel est le plus commode, ou que la mort vienne à nous, ou que nous allions a elle. » Voici le sens ; c'est une belle chose d'apprendre à mourir. Vous croirez possible qu'il n'est guère nécessaire d'ap- prendre une chose dont on ne se peut servir qu'une seule fois ; c'est pour cela qu'il y faut pen- ser ; car il faut toujours étudier ce que l'on ne peut s'assurer de bien savoir. Pensez à la mort ; quiconque dit cela vous porte 'a penser 'a la liberté. Celui qui sait mourir ne sait plus servir : s'il n'est au-dessus, il est au moins au-delà de toutes les puissances. Qu'est-ce que les chaînes et les pri- sons peuvent contre lui , puisqu'il a toujours une porte libre? Il n'y a qu'une chaîne qui nims tient captifs, c'est l'amour de la vie, lequel il ne faut pas éteindre, mais seulement modérer, afin que dans le besoin rien ne nous empêche de faire de bonne heure ce que nous devons faire quelque jour. ÉPITRE XXVIl. Il est lionteus à un vieillard d'avoir encore les désirs d'un enfant. — Dans l'étude de la sagesse on n'agit point par procureur. Vos lettres me disent que je vous instruis après m'être instruit et corrigé moi-même , et que c'est pour cela que je m'applique 'a réformer les antres. Je ne suis pas si impertinent que de me vanlei de guérir les autres, tandis que je suis malade, mais, me trouvant couché dans une môme infir- merie, je parle avec vous du mal qui nous csl commun ; je vous fais part des remèdes que je sais. Ecoutez-moi donc, comme parlant à moi- même , et vous faisant part de mon secret. Je me dis en votre présence et je crie à mes oreilles : Compte tes années , et tu seras honteux de désirer les mêmes choses que tu désirais étant encore en- fant; donne-toi cette satisfaction de voir mourir tes vices avant toi ; quitte ces infâmes plaisirs qui coûtent si cher, car les passés incommodent autant que ceux qui sont à venir, comme les crimes lais- sent toujours de l'inquiétude, quoiqu'ils n'aient pas été découverts lorsqu'ils ont été commis; c'est ainsi que les plaisirs désbonnêtes donnent du regret après qu'on s'en est rassasié ; ils ne sont ni solides ni fidèles; ils te quitteront, quand ils ne te feraicntpoint d'autre mal. Cherche plutôt quel- que bien qui ait de la stabilité. Mais il n'y en a point, hormis celui que l'âme trouve au dedans de soi. La vertu seule est capable de donner une satisfaction solide et perpétuelle; s'il arrive quelque obstacle , il en est comme des nuages qui passent sous le soleil , et n'éteignent jamais sa clarté. Quand verrons-nous le jour qui nous fera jouir de cette satisfaction ? On ne cesse de la demander, mais on ne se hâte point de l'ac- quérir; il y a bien encore 'a travailler, il faut veil- ler et s'y appliquer en personne ; car en cette af- rantnranni. Incerlum est, quo te loco mors eïspectet ; itaque tu illam omni loco cïspecla. Desinere jam volebam , et manus spectabat ad clausu- lam ; sed conficienda sunt sacra , et liuic cpistolœ Tiati- cum dandum est. Puta me non dicere , unde sumpturus siin mutuum ; scis cujus arca utar. Exspecta pusillum et de domofiet numeralio; intérim comniodavit Epieurus, qui ait : « Meditare mortem , vel si comuiodius sit traus- ire ad nos , vel nos ad eam. » Hic patet sensus ; cgregia res est, mortem condiscere. Supervacuum forsitan pulas id discere , quo semel utendum est? lioc est ipsum.quare meditari debeamus; seniper discendnm est, quod, an scianius, experiri non possumus. Medilare mortem ! Qui hocdicit, meditari libertatem jul)et. Qui niori didicil, servire dedidicit; supra omnem potentiani est , certe extra omnem. Quidad illum carcer, et cuslodia, et claus- tra? liberum ostium habet! Una est calena , quœ nos al- ligatos tenet, amor vitae ; qui , ut non eslalijiciendus, ita minuendns est; ut, si quimdo res exiget, nihil nos deti- neat, ncc impediat, quo minus parati siraus, quodquan- doque faciendum est, statim facere. Vale. EPISTOLA XXVII. HCLLÀM NISI m TIBTUTB TEItlJI ÏOI,L'PTiTEJI. Tu me , inquis , mânes ! Jam cnim te ipse monuisti , jam correxisti ? ideo aliorum emendationi vacas ? — NoD sum tam improbus, ut curatioues aeger oheam; sed, tau- quani in eodtm Taletudinario jaceam, de communi malo tecum colloquor , et remédia communico. Sic itaque me audi tanquam meeuni loquar ; in secretum te meum ad- mitto, et, te adhibilo, mecum exigo. Clame mihi ipse : Numera annos tuos; et pudeliit eadem Telle, qua: volue- ras puer, eadem parare. Hoc denique libi ciira diem mortis praesia ; moriantnr ante te vitia ! Dimitte istas to- luptates turbidas , niagno luendas : non venturx tantum , sed praeteritse nocent. Quemadmodum, scelera etiam si non sint deprebensa quum fièrent , sollicitudo non com ipsisabiit; ita improbarum Toluplatum , etiam post ipsas, poenitentia est. Non sunt solidas, non sunt Hdeles; etiam si non nocent, fugiunt. Aliquod potius bonum mansanim circumspice; nuUum autem est, nisi qund animuseise sibi inveuit. Sola virtus pra?stat gaudium perpetuum , se- curuni ; si quid obslat , nubium modo iutervenit , qus in- fra fernntur, nec unquam diem vincunt. Quando ad lioc gaudium pervenire continget? Non quidem cessatnrad- huc, sed festiuatur. Multum restât operis, tn quod ipse iiccesse est vigiliam , ipse laborem tuura impendas , si ef- fici cupis. Dclegationem res ista non recipit. Aliud litter»- rum genus adjutorium admittit. Cahisius Sabions mémo- ria Dosira fuit dives; et patrimonium babeliat libertini i ÊPlïRtS A LUCILIUS. 57Î3 faire on n'agit point par procureur; dans un autre genre d'étude, on peut recevoir quelques secours. Calyisius Sabinus, qui vivait de notre temps, était un homme riclie qui avait un fortgrand et fort ample patrimoine. Je ne vis jamais une personne puissante plus inepte : il avait la mémoire si mal- heureuse, qu'il oubliait tantôt le nom d'Ulysse, tantôt celui d'Achille et tantôt celui de Priam , quoiqu'il les connût comme nous connaissons les maîtres qui nous enseignent ; jamais truchement ne déchira plus cruellement les noms, qu'il faisait ceux des Troyens et des Grecs. H voulait néan- moins passer pour savant, et voici l'expédient dont il s'avisa. Il acheta bien cher deux esclaves, l'un pour apprendre Homère par cœur, et l'autre pour apprendre Hésiode; il en acheta neuf autres, à chaciin desquels il fli apprendre un poème ly- rique. Ne vous étonnez [las s'ils lui coûtèrent beaucoup , parce qu'il ne les trouva pas instruits , mais il les lit instruire. Après qu'il eut composé cette troupe, il commença "a persécuter les gens qui mangeaient 'a sa table; il avait 'a ses pieds ceux qui lui suggéraient les vers qu'il désirait; mais le plus souvent il demeurait 'a moitié. EnGn , Satel- lius Quadratus, aussi grand railleur qu'il était grand écorniOeur, lui conseilla d'avoir des valets pour ramasser les paroles qu'il laissait tomber ; mais Calvisius lui ayant dit que chacun de ces es- claves lui coûtait deux mille écus, il lui répondit : Vous auriez eu autant de bibliothèques à meilleur marché. Cet homme pourtant avait toujours la fantaisie de croire qu'il savait tout ce que ses do- mesiiques savaient. Le même Salellius lui proposa nn jour de s'exercer "a la lutte, quoiqu'il le vît pâle, maigre et languissant; mais Calvisius lai ayant répondu : « Comment le pourrai-je faire? A peine nie puis-je soutenir; » il lui repartit : « Ne dites pas cela , je vous prie ; ne voyez -vous pas combien vous avez de valets qui sont forts et ro- bustes? I) Après tout, l'esprit de vertu et de probité ne se prête ni ne s'achète. Je crois même que, s'il y en avait à vendre, personne n'en voudrait acheter; mais pour l'esprit de fourberie, on ne débile autre chose tous les jours. Il est temps que je paie ce que Je dois , et que je prenne congé de vous. « La pauvreté qui s'ac- commode à la loi de nature tient lieu de richesses. » C'est ce qu'Epicure dit souvent , tantôt d'une ma- nière et tantôt d'une autre; mais on ne saurait trop dire une chose que l'on n'apprend jamais assez. Il y a des gens "a qui il ne faut que propo- ser les bons avis , et d'autres a qui l'on a peine de les mettre dans la tête. EPITRE XXVIII. Les voyage» ne guérissent point les maladies de l'âme. — C'ei^t déjà quelque amendement que de rcœaiiaître sa faute. Vous croyez qu'il est nouveau , et qu'il n'est arrive qu'"a vous seul , d'avoir fait un long voyage et traversé divers pays sans avoir pu dissiper vo- tre tristesse et votre chagrin ; il vous faut changer d'esprit et non pas de lieu. Quoique vous passiez les mers, et que la terre et les villes se reculent loin de vous, comme parle notre Virgile, vos pas- sions vous suivront partout oîi vous irez. Socrate répondit 'a celui qui lui faisait la même plainte: et in|;eninm. Nnnquam vidi hominem boatum indccen- tius. Hiiic meiiiori i tam main erat , ut illi iiomcD modo Dlyssls eicidcrcl, modo Achillis, morioPriiimi, quos tnm bene noTcral , (|uam pœdagoaoi iiostios novimus. Ncmo velulus nnmenclator, qui nomina non reddit, scd iinpo- Dit , lam perperani Irilius , quam ille Trojanos et Aclii- vos, persalulabat. Nitiil miinus cnidiius volebat viderl. Hanc itaqne compendiariaiii cxcngilavit ; magna summa emitserTos, unum qui Homprui:i leneret, allcrum (jui Hfsiodura ; novem pra'tcrea Lyricis singulos asslgnaiit. Magno émisse illum non est quod inlreris; non invcneral; faciendos locavit. Poslquam hsc familia illl comparala est, coepit convirai suos in<|uietare. Haliehat ad pcdes bus, a quibus subindc quum pctcrelTcrsns quos refcrrel, »,Tpe in medio verb» cicidebat. Suasit illi Satellius Qua- dratus , stullonim dititum ano^or, et (quod scquilur) arrisor, et , qund duobns bis adjnnctuii est , dcrisor , ut grammaticos haberet analccfcis. Quum diiissct S:il)inus , ccntcnis millibus sibi constarc siiigulos sorvos : Minoris, Jiiquit, tolidem scrinia émisses ! Ille lamen in ea opinionc ernt, ut putaret se scire quod qu squani in domo sun sci- ret. Mem Satfllius illuni horlari crpit, ni lucSarft'ir ; hominem a-grum , pallidum , graoi'.em. Quum Sabinu» respondisset : El quoniodo possum ? vii vivo ! Noli , ob- scci'O te , inquit, istud diccre I non vides, quani mullos serves valenlissimos habeas? — Bona meus nec commo- dalur, nec emilur; et pulo, si venalis esset , non haberet empiorem: al mala quolidie emilur. Srd accipe ym\ quod debio, et vale. « Divili» sunt, ad legem naturaj eoinposila panperlas. • Ifoc saepe dicit Epicurus, aliter alquealiler; sed nunquam uiinis dici- tur.quod nunqnam salis discitur. Quibusdam remédia monslranda , quibusdam inculcanda sunt. Vale. EPISTOLA XXVIII. I^IDTILES ESSK AD SÀSiSDiJl MESTEM PEBECBINATIOnES. Hoc tibi .soli pillas accidisse, et admirans qu.isi rem no«ani,quod pcregrinatione tam longa , ei lot locorum varielatibus, nondiscussisli tristitiam gravitatcmque men- tis. Animum delws mulare , non cœlum ! Licet vastum trajecerli marc , bcet, ut ait Virgilius noster, Terrirque nrbcsque recédant i sequenlur te , quocumi|uc perveneris , vilia. Hoc idem S76 SENEQUE. « Vous étonnez-vous que vous ne profitiez pas de vos voyages, puisque vous vous portez en tous les endroits où vous allez ? » La même raison qui vous a fait voyager vous travaille encore. De quoi vous peut servir Je changement des lieux , et la connais- sance que vous acquérez des villes et des pro- vinces? Tout cela n'est qu'une agitation inutile , et si vous demandez pourquoi toutes ces courses demeurent sans fruit , c'est que vous les faites en votre compagnie. Il faut décharger votre esprit de tout ce qui lui pèse ; autrement vous ne trouverez point de lieu qui vous puisse être agréable. Ima- ginez-vous que vous êtes en l'état de cette prê- Cresse que notre Virgile représente tout agitée et remplie d'un esprit étranger : Elle s'agite et cherche à se voir délivrée De la divinité chez elle renfermée. Vous allez ça et la pour vous soulager de ce poids que l'agitation rend encore plus incommode. Comme la charge d'un vaisseau presse moins quand on ne la remue pas, aussi met-elle plus tôt à fond le côté sur lequel on la jette, quand on ne la re- mue pas également. Tout ce que vous faites vous est préjudiciable; le mouvement même vous est contraire, car vous remuez un malade. Mais, quand vous serez guéri de ce mal, toutes sortes de lieux vous seront agréables. Quand vous seriez relégué au bout du monde , ou confiné dans le fond de la Barbarie, vous vous trouverifz bien [)artoutoù vous feriez votre demeure; cela dépond plus de l'hôte que delà maison ; aussi ne doit-on attacher son affection en aucun endroit. 11 faut vivre dans cette persuasion, que nous ne sommes pas nés pour être fixés dans un petit coin de terre, et que tout le monde est notre pays. Si vous conceviez bien cela, vous ne seriez pas surpris de voir que l'ennui vous faisant partir d'un pays, vous n'êtes pas plus satis- fait dans un autre où vous arrivez ; car le pre- mier ne vous aurait pas déplu , si vous étiez bien persuadé que vous êtes de tout pays. Ce n'est pas voyager, c'est marcher à l'aventure et changer seulement de lieu, puisque, ne cherchant qu'à vivre à votre aise , vous le pouvez faire partout. Y a-t-il un lieu moins tranquille que le barreau ? Cependant on y peut vivre en repos quand on y est attaché ; ce n'est pas que celui qui peut dis- poser de sa personne ne doive fuir le voisinage et la vue même du barreau; car, comme des lieux malsains peuvent altérer une santé vigoureuse, il y a aussi des choses peu salutaires qui peuvent corrompre des esprits qui ne sont pas encore con- firmés dans le bien. Je n'approuve point ces gens qui se jettent au milieu des flots et qui, se plaisant dans le tumulte, combattent nécessairement parmi les affaires et les difficultés. Un honnête homme prendra patience, mais il ne choisira pas ce genre de vie , et préférera t(jujours la paix à la guerre ; autrement il ne servirait guère d'avoir dompte ses passions, si l'on était obligé de combattre en- core celles des autres. Vous me direz que trente ty- rans ont attaqué Socrate, et ne l'ont point abattu ; mais qu'importe combien il y ait de maîtres? Il n'y a qu'une servitude, et celui qui la une fois surmontée est libre au milieu de cent maîtres. Il est temps de finir ma lettre ; mais il faut au- querenti cuidam Socrates ait : « Quid miraris, nihll tibi peregrinaliones prodesse , quura te circiimferas ? « Fré- mit te eadem causa , quae espulit. Quid terrarum juvare novilas potest? quid cognitio urbium , aut locorum?in irritum ccdit ista jactatio. Qua?ris , quare te fuga ist.i non adjuîet ? Tecum fugis. Onus animi deponendum est ; non ante tibi ullus placebit locus. Talem nunc esse habitum tuum cogita, qualeni Virgilius uoster vatis inducitjam concitatae et instigalae , multumque babentis in se spiritus non sui : Bacchatur vates , magnum si pectore possit Excussisse Deum. Vadis hue illuc, ut excutias insideus pondus , quod ipsa jactfitione incommodius fit : sicut in navi onera immola minus urgent; inaequaliler convoluta cilius eam partem , iu quam incnbuere, dcmergunt. Quidquid facis , contra te facis, et motu ipso noces tibi; aegrum enim concutis. At, quura islud exemeris malum , omnis mutatio loci jucunda (iet. In ultimas expellaris terras licebit; in quolibet bar- baria; aiigulo coUoceris , hospitalis tibi illa qualiscumque scdes erit. Magis, quis veneris, quam quo, interest; et ideoDuUi loco addicere debemus ammum. Cum bac per- suasione vivendum est : Kou snm uni angulo natus; pa» tria mea totus hic mundus est. Quid si liqueret tibi, dou adniirareris nil adjuvari te regionum varietatibus, in quai subinde priorum taedio migras; prima enim quasque pla- cuisset, si omnem tuam crederes. Nunc non peregrina- ris, sed erras, et ageris, ac locum ei loco mutas; quum illud , quod quaeris : Bene vivere, omni loco positum sit. Num quid tam turbidum Geri potest, quam forum? ibi quoque licet quiète Tivere, si necesse sit. Sed, siliceat disponere se , conspectum quoque et ïiciniam fori procul fugiam : uam ut loca gravia etiam tîmissimam valetudi- uem tenlant, ita bonae quoque menti, necdum adbucper- fectae et convalescenti , sont aliqua parum salubria. Dù- sentio ab his , qui in fluctus medios eunt , et , tumultuosam probantes vitam, quotidie cum difficnltatibus rerum magno anime colluctantur. Sapiens feret isla , noneliget; et ma- let in pace esse , quam in pugna. Non multum prodest vitia sua projecisse , si cum alienis rixandiun est. — Tri- ginta,inquis, tyranni Socratem circimistelerunt ; necpo- tuerunt animiim ejus infringere. — Quid interest, qnot domini sint ? servitus una est; hanc qui cootempait, in quantalibet turba dominantium liber est. Tempus est desinere , sed si prius purlorium solTCrOt ËPITRES A LUCILIUS. S77 paravant en payer le port. « C'est déjà quelque amendement de reconnaître sa faute.» Epicure, ce me semble, a dit cela fort à propos : car celui qui ne reconnaît point sa faute ne la veut pas corriger. En effet, il faut se surprendre et se convaincre soi- même avant que de se pouvoir réformer. Il y en a qui font gloire de leurs imperfections; pensez- vous que ces gens-là songent à guérir un mal qui passe dans leur esprii pour une vertu? C'est pourquoi je vous conseille de vous reprendre et de veiller sur vous. Soyez voire accusateur, puis votrejuge; demandez-vous grâce quelquefois, et, s'il est besoin , imposez-vous quelque peine. ÉPITRE XXIX. Il faut reprendre le vice, même quand il est endurci. — Celui (jui aime la vertu ne peut être aimé du peuple. Vous me demandez des nouvelles de Marcellinus notre ami , et vous voulez savoir ce qu'il fait. H vient rarement chez moi, et je n'en sais point d'autre raison, sinon qu'il ne prend pas plaisir à entendre la vérité. 11 est en sûreté de ce côté-là ; car on ne la doit dire qu'à celui qui la veut bien entendre. C'est pour cela qu'on ne demeure pas d'accord que Diogène et les autres philosophes Cy- niques aient bien fait d'instruire, comme ils faisaient, sans garder aucune bienséance, tous ceux qu'ils rencontraient par les rues; car, que sera-ce si vous vous adressez à des gens qui sont sourds ou muets? Mais pourquoi, direz-vous, épargnerai-je mes paroles? elles ne me coûtent rien. .le ne puis pas savoir si je gagnerai quel- que chose auprès de celui que j'instruis; mais je sais bien que je ferai profit à quelqu'un si j'en instruis beaucoup. 11 faut jeter la main par- tout; il est impossible que, sondant à beau- coup d'endroits, ou ne rencontre quelquefois. C'est , mon cher Lucile , ce que je n'estime pas qu'un homme d'honneur doive faire, parce que son autorité se perd et n'a plus assez de force pour corriger ceux qui s'y seraient soumis auparavant. Un archer doit donner d'ordinaire dans le blanc; - il peut bien le manquer parfois. L'art ne doit point opérer par hasard, et, comme la sagesse est un art, elle doit aussi prendre le certain , et faire choix do ceux qui sont capables de profiter de ses avis, en abandonnant les autres dont elle n'espère rien. Ce u'est pas qu'il faille les abandonner si tôt ; au con- traire , on doit employer les derniers remèdes quand ils sont dans cemalheureux étal. Après tout, je ne désespère pas de noire Marcellinus; ou lo peut encore sauver, pourvu qu'on lui prête bien- tôt la main; mais il y a danger qu'il n'entraîne celui qui la lui prêtera, à cause de la rapidité de son esprit, qui se porte déjà fortement au mal. Je veux bien courir ce hasard, et je suis résolu de lui faire connaître tous ses défauts. Je m'attends qu'il en usera à son ordinaire, et qu'il dira des plaisanteries et des contes à faire rire des gens qui voudraient pleurer. 11 raillera premièrement de lui , puis de moi , et préviendra tout ce que je lui voudrai dire. H fera l'examen de toutes nos sectes , et me trouvera des philoso- phes pensionnaires des princes, sujets à des maî- tresses et au vin. Il me fera voir l'un à la cour, l'autre en adultère, eU'aulre au cabaret. Ilneman» • Initiam est satulls notilia peccali. > Egregie mihi hoc diiisse TidelnrEpicurus; nam qui peccaresc nescil, cor- rigi non tuII; deprehendas te oporict, antequam emen- dei. Quidam vitiis gloriantar. Tu eiistimas , aliquid de remedio cogitare, qui mata sua virtutnm loco nnmerant? Ideo, quantum potis, te ipse coarguel inquire in te; ac- cusatoris primum portibus fungere, deinde judicis, no- V isslme deprecatoris ; aliqoando le offeode ! Valc, EPISTOLA XXIX. DE IKOPPOITIINIS HO'IITI.S. De Marcellino nostro qusris , el Tis scire quid agat. llaroad nos veoit, nulla alia c\ causa , qiiam quod au- dire verum timet. A quo periculo jiim abest ; nulli entra nisi audituro dicendum est. Ideo de Diogene , nec minus de aliis Cynicis , qui lihertate promiscua usi sunt et ob- vies monucrunt , dabitari «olet , an hoc facere debucrint. Quid enim , si qui» surdoa objurgel , aut nalura morbove mutosy — Qnare , inqnis , vcrbis parcam? gratnila sunt. Non possnm scire ao ei profutarus sim, qnem admoneo; illud scio , alicui me profuluium , si multos admnn ucr Spargenda manus est; non potesl fieri , ut non aliquando succédât mulla tenlanli. — Hoc , nii Lucili , non exislimo niagno viro facienduni : dituitur cjus auctorilas , uec ba- bet apud eos salis ponderis, quos posset minus olisolc- facla corrigere. Sagitlarius non aliquando ferirc débet , sed aliquando dcerr.ire. Non est ars, qua; ad effectuui casu venit. Sapicnlia ars est; cerium pelât; eligat profce- turos; ab bis quos desperaNit, recédât; non tanien eilo retinquat,et in ipsa dosperalionecxtreraa remédia tenlel. Marcellinum nostrum ego nondum despero. Eliaiiiminc servari poîest, sed si cito illi manus porrigilnr. Est qui- dem periculum, ne porrigentem trahal; mapna in illo ingenii vis est , sed jam tendentisin pravum. Mhiloniinus adibo hoc periculum , el audebo illi mala sua oslendere. Facict quod solet; advocabit illas facelias, qua; risum cvo- care lugentibus possunl ; et in se primum , deinde in iiot jocabilur; omnia , qu!E diclurus sum, orcupahit. Scru- tabitur scholas nostras , et objiciet philosophis cougiaria, arnicas, gulam; oslendct mibl alium io adulterio, alium in popina , alium in aula; ostendet mihi lepidum pbiloso- phnm Arisinnem , qui in gestatione disserebat ; hoc enim 57 ;:s SÉJVÈQUE. •juerapasde me citer Ariston, ce philosophe ga- lant , qui ne discourait jamais que lorsqu'on le portait dans sa litière ; car c'était le temps qu'il avait choisi pour débiter sa doctrine ; ce qui donna sujet à Scaurus de répondre a celui qui lui de- mandait de quelle secte il était . Au moins n'est-il paspéripatéticien. JuliusGriBcinus encore, homme de mérite , pressé de dire quel sentiment il avait de ce philosophe , répondit : Je ne puis vous le dire ; car je ne sais point ce qu'il fait sur ce siège branlant; — comme si on lui eût parlé d'un cocher. Après cela , Marcelliuus m'amènera une troupe de charlatans, qui auraient mieux fait de renoncer à la philosophie que de la débiter mercenairemen t . Je suis pourtant résolu de souffrir toutes ses injures ; s'il me fait rire , je pourrai bien le faire pleurer. Que s'il continue de railler et de rire , je me con- solerai , comme on fait dans les autres maux , de ce qu'en perdant la raison , il soit au moins de- venu un fou plaisant. iMais la gaîté de telles gens ne dure pas longtemps; car, si vous y prenez garde, vous les verrez rire et s'affliger avec excès , pres- qu'cn raCme temps. J'ai envie de l'entreprendre , et de lui faire voir qu'il valait beaucoup mieux, lorsqu'il était moins estimé de beaucoup de gens. Jairêterai au moins ses vices , si je ne les arrache tout-à-fait. Je leur donnerai quelque intermission; et, à force d'intermission , on guérit enfin : c'est même une espèce de gucrison, dans les graves maladies , que la suspension du mal. Tandis donc que je me préparerai contre lui, vous qui avez déjà des forces, qui connaissez le progrès que vous avez fait , et qui pouvez juger de là jusqu'où vous pouvez monter, réglez vos pas- sions , relevez voire esprit , tenez ferme contre tout ce qui donne de la crainte, et ne considérei pas le nombre de ceux qui vous paraissent formi- dables. Ne tiendriez-vous pas pour un fou celui qui craindrait de rencontrer une troupe d'enne- mis dans un lieu où l'on ne peut passer que l'un après l'autre? Tout le monde peut bien vous mena- cer de la mort, mais tout le monde n'est pas en pouvoir de vous la donner; car la nature a voul» que , comme il n'y a qu'une seule personne qui vous adonné la vie, il n'y en ait aussi qu'une qui vous la puisse ôier. Au reste, si vous étiez un peu généreux, vous me remettriez la dette de ce jour; toutefois je la veux payer, et ne rien retenir du bien d'au- trui. Je n'ai jamais prétendu de plaire au peuple, il n'approuve pas les choses que je sais, et je ne sais pas celles qu'il approuve. Qui dit cela, me demanderez-vous? comme si vous ne saviez pas à qui je le fais dire; c'est Epicure. Mais les phi- losophes de toutes les sectes vous chanteront la même chose : Péripatéticiens, Académiciens, Stoï- ciens, Cyniques. Car, comment voulez-vous que celui qui aime la vertu soit aimé du peuple? La faveur du peuple ne s'acquiert que par de mau- vais moyens. Il faut vous rendre semblable à lui; autrement, il ne vous connaîtra pas, et vous ne pourrez lui être agréable. Mais il importe plus que vous connaissiez quel vous êtes , que de vous faire savoir aux autres. On ne peut gagner l'amitié des gens de basse condition que par des actions ravalées. De quoi servira, me direz-vous, cette philosophie que l'on élève si haut, et que l'on pré- fère à tous les arts et à toute sorte de biens? Ce ad edendas opéras tempus exceperat. De cnjns secta quum quaereretur Scaurus, ait : Ltique Peripateiicus non otl De codera quuin consulerelur Julius Graciiius , vir egre- giiis, quid scnliret : Non possum , inquit, libi dicere; uescio enim quid de gradu faciat I tanquam de essednrio intcrrogaretur. Hos mihi circulatores, qui philosophiani honestius negleiissent , quaiii vendunt.in faclem ingeret. Constitui tamen conlumelias perpeli. Moveat ille niitii risum; ego forlasse illi lacrymas moTcl)o; aut, si ridere perseverabit, gaudebo, tauquaui in malis, quod illi gê- nas insanix hilare contigcril. Sed non est illa bilarilas longa : observa; videbis eosdem intra cxignum tempus acerrime ridere, et acerrirae rabere. Propositiim est aggredi illum, et ostendere quanto pluris fuerit, quuni multis minoris videretur. Vitia ejus , eliam si non exci- dero, inhibebo; non desinenl, sed intermittent; forlasse autem et desinent, si inlermitlendi consuetudineni fece- rint. Non est hoc ipsuni fastidiendum , quoniam quidem graviter affectis sanilalls loco estbona remissio, Dum me illi paro, tu intérim, qui potes, qui intelligis, unde, quo Mascris , et ei eo suspicaris quousque sis evasurus , com- IXjds mores tuoi , attolle animuni , adversns formidata consiste ; numerare eos noii , qui tibi metnin f^ciual. Is'onne vldealur stullus, si quis multitudincm co loco ti- meat, per qucm transitus singulis est? £que ad luam morteni multis aditus non est, licet illam muiti mincn- tur. Sic isiud natnra disposuit; spiriium tibi tam uuas eripiet, quam unus dedil. Si pudorem baberes , ultiroam milii pensiooem remi- sisses; sed ne ego quidem me sordide geram in fenore a;ris alieni, et tibi, quod debeo, impingam. i INunquam volui populo placere ; nam , qua; ego scio , non protiat populus; quasprobat populus,ego nescio. • — Quis hoc? inquis. — Tanquaul nescias, cui imperem ! Epicurus. Sed idem hoc omnes tibi ei omoi domo conclamabnnt, Peri- patetici, Academiei, Stoici, Cynici Quis enim placere potest populo, cui placel virlus? Malis artibus popularis favor quaritur; similem te illis facias oportet; non pro- babunt , nisi agnoverint. Multo aulem ad rem magis per- tinet, qualis tiln videaris, quam qualis aliis. Coaciliari, nisi luipi ratione, amor turpiura non potest. Quid ergo illalaudata, et omnibus praeferenda arlibus rebusqoe, philosophie praestabit? Scilicct, ut malis tibi placere, quam populo ; ut aestimes jndicia , non numeres ; ut sine metu ÉPITRES A LDCILIUS. 579 sera d'avoir plus soin de vous plaire que de plaire au peuple; de peser et de ne pas compter les ju- gements quand vous les examinerez ; de vivre sans craindre le reproche des dieux ni des hommes ; enfin, de surmonter les adversités ou de savoir les terminer. Au reste , si je vous vois élevé par les suffrages du peuple ; si vous entrez dans les spectacles au bruit des acclamations , des applau- dissements et des instruments de bateleurs; si les femmes et les enfants chantent vos louanges par les rues ; ne trouvez pas étrange que j'aie pitié de vous . sachant , comme je fais , par quelle voie on obtient ces faveurs. ÉPITRE XXX. La vieillene n'a point de ressource contre la mort. — II n'y a que le sage qui sache bien mourir. Le bonhomme Bassus Âufidius, que je vis ces jours passés, est tout cassé, et fait ce qu'il peut pour se défendre contre la vieillesse ; mais il est si courbé sous le poids de ses années , que je ne crois pas qu'il se puisse jamais redresser. Vous sa- vez qu'il a toujours eu un corps infirme et fort maigre, et qu'ili'a conservé ou plutôt raccommodé fort longtemps par sa façon de vivre ; le voilà en- fin tombé tout 'a coup. Comme dans un navire qui fait eau on peut bien boucher une fente on deui, mais s'il y en a beaucoup on ne peut plus sauver le vaisseau; de même, on peut bien soutenir pour quelque temps la faiblesse d'un vieux corps ; mais, lorsqu'il vient 'a se relâcher, comme font les vieux bâtiments, et que l'on voit tomber un endroit, tandis que l'on en élaie uu autre, il est temps de regarder par où l'on pourra sortir. Néanmoins notre Bassus a toujours l'esprit gai, et cela par un privilège de la philosophie, qui rend un homme ferme dans un corps infirme , heureux et content aux approches de la mort , et cspable de se sou- tenir dans la défaillance même. Va bon pilote ne laisse pas do voguer quand les voiles sont en piè- ces; et, après que tout l'équipage est rompu, 'il rajuste encore quelques pièces du débris pour achever sa course. C'est ce que fait Bassus; car il voit arriver sa fin avec tant de tranquillité, que vous le blâmeriez s'il regardait ainsi la fin d'une autre personne. C'est une chose importante, mon cher Lucilc, et que l'on n'apprend qu'avec beaucoup de temps et beaucoup de peine, de savoir partir sans regret quand la source de la vie est épuisée, et qu'on a atteint l'heure inévitable. Les autres genres de mort sont môles d'espérance : la maladie cesse, un embrasement s'éteint, la chute d'un bâtiment peut mettre doucement à terre ceux qu'elle de- vait écraser; la merjette quelquefois des gens sur le rivage au même état qu'elle les avait engloutis. Un soldat retient aussi quelquefois son épée lors- qu'il est près d'en percer son ennemi ; mais la vieillesse ne laisse point d'espérance à celui qu'elle conduit à la mort, car rien ne s'y peut opposer. Il est vrai qu'il n'y a point de genre de mort qui soit plus doux , il n'y en a point aussi de plus long. A voir notre Bassus , il semble qu'il se soit couché dans le tombeau , et que , survivant 'a soi-même, il assiste à ses funérailles, et regarde indifférem- ment la dissolution de sa machine. Car il nous dit beaucoup de choses de la mort, et lâche de nous persuader que, s'il y a quelque chose de fâcheux dans cette affaire, on ne le doit pas imputer "a la deorumbominumqueTivas; otaatTincas mala, aut fioiai. Cstemm, «ite Tidero celebrem secundis vocihus vutgi; ri, iatrante te,clamoretplaasuspaotomimica oroamenta obslrepaeriot ; si lola civitale feminx te puerique lauda- veriat;quidiii ego titi iniserear , quum sciam , quae «ia ad istum favorem ferai? Vale. EPISTOLA XXX. EXSPECTi;iDl]| ESSE CQUO Â?IIM0 MORTeV , elCMPLO BtSSI ILLATO. Basfum AnSdium, tirum optimum, vidi quassam. iptali obluct<^ntem; sed jam plus illum degravat, quam quod possit attolli ; magno scnectui et universo pondère incubait. Sois illnm wmper inflrmi corporis et eisutci fuisse; diu illud continuit , et, ut Terias dicam , concin- naïit; subito defecit. Qnemadmo.ium in nave qusp sen- tinnm trahit , uni rima; aut alteri obsistitnr ; nhj plurimis locis laiari cœpit et cedere , «uccurri non potest navigio dchiscenti : ita in leaili corpore aliqiiatenus imbecillitns (usiineriet fulciri potest; nbi , tanquam in putri aedificio, omnis junctura diducitur, et, dum alia eicipitur, alia discinditur , circumspiciendum est quomodo exeas. Bassus tamen noster alaccr animo est. Hoc philosophia pra'Slat ; in conspectn mortis hiliucni . in qiiocunique corporis ha- bitti fortcml^ituinquc; nec delicientem , quannis deOcia- tur. Magous gubernator et scisso nuvigat vcl», et, si exarmatur, tainea reliquiasnavigii aptatad cursum. Hoc facit Bassus noster, et ro animo viiltuqiie finem suuni spectat,quoalienumspectare, uimlsseruriputares. M:'gnn res est hipc. Lucili , et diudiscenda, qunm adventat hora illa inevitabilis , xquo animo abirc. Alia gênera mortis spei mixta sunt, Desinit morbus ; incendium ex.stinguilur; ruina , qnos videbatur oppressura , deposuit ; mare , quos hauserat , vi cadcm , qua si>rl)el)at , cjecil incolumes ; gla- dium miles ab ipsa perituri cerv'ce revocavit; nil liabet quod spcret, quem senectus ducit ad mortem; huic uni intercedi non potest. "SuWo génère homines mollius mo- riuntur , sed nec diutius. Bassus noster Tidebatur mihi prosequi se et componere, et livere tanquam supersles sibi, et snpienter ferre desiderium sui. Nam de mono :^7. S80 SÉNEQUE. mort, mais a celui qui mourl, et que l'on ne souf- fre pas plus de mal au temps de la mort qu'après la mort même ; que c'est une égale folie d'appré- hender ce que l'on ne sentira pas , et de craindre ce que l'on ne souffrira jamais. — Kst-il possible de s'imaginer que l'on sentira une chose qui fera que lt)n ne pourra rien sentir? Partant, conclut-il, la mort est tellement exempte de mal , qu'elle est exempte même de la crainte si on la prend comme il faut. Je sais bien que toutes ces choses ont été di- tes et se diront encore souvent ; mais quand je les ai lues ou que je les ai entendues de la bouche de ceux qui en discouraient, et qui blâmaient la crain te du mal lorsqu'ils en étaien t encore éloignés, je n'en ai point été touché comme lorsque j'ai ouï ce vieux philosophe parler de la mort, de laquelle il était si proche. Pour vous dire franchement ce que j'en pense, je crois que l'on est plus ferme dans l'agonie que dans les approches de la mort qui ne sont pas si voisines; car, lorsqu'il n'y a plus lieu d'espérer, et qu'elle se montre a découvert, elle inspire aux plus faibles la résolution de souffrir ce qu'ils ne sauraient éviter. C'est la raison pourquoi nous voyons que le gladiateur qui avait paru timide dans le combat , s'abandonne à son ennemi qui l'a terrassé , et prête la gorge à son épée. Mais la mort qui est voisine et qui *ient lentement de- mande une fermeté de cœur étudiée, laquelle est assez rare, et ne se rencontre qu'en la personne du sage. C'est pourquoi j'écoutais volontiers Bas- sus comme un juge expert de la mort, et qui en connaissait d'autant mieux la nature, qu'il l'avait envisagée de plus près. Je crois, pour en dire la vérité, que vous auriez encore plus de foi pour une personne qui serait ressuscitée, et qui vons assurerait, par sa propre expérience, qu'il n'y a point de mal dans la mort ; cependant vous pou- vez savoir le trouble qu'elle apporte quand elle arrive par la bouche de ceux qui se sont trouvés près d'elle , qui l'ont vue venir et qui l'ont reçue. Bassus est de ce nombre ; il ne veut pas que nous y soyons trompés , et dit qu'il y a aussi peu de raison à craindre la mort que de craindre la vieillesse; car, comme la vieillesse succède à l'âge viril , ainsi la mort succède 'a la vieillesse. Celui qui ne veut pas mourir semble n'avoir pas voulu vivre, parce que la vie ne lui a été accordée qu''a condition de mourir. C'est donc folie de s'en effrayer^ puisque l'on ne doit craindre que ce qui est incertain , et que l'on doit attendre ce qui est certain. La mort est d'une nécessité invincible et égale 'a tout le monde. Qui pourrait se plaindre d'une loi qui n'excepte personne? L'égalité fait la principale partie de l'équité. Mais il n'est pas be- soin de plaider ici la cause de la nature, et de dire qu'elle n'a point voulu que notre condition fût autre que la sienne; elle défait tout ce qu'elle a fait, et refait twit ce qu'elle a défait. Cependant, si la vieillesse détache doucement une personne, et la met sans violence hors de la vie, cette per- sonne doit remercier les dieux de l'avoir conduite au centre du repos, qui est si nécessaire après un si long travail. Vous en voyez qui souhaitent la mort avec plus de passion que d'autres ne demandent la vie. Je irmlta loqiiilur, et ici agit sediil:), ut nobis persuadeat, « si f|uitl incommodi aiit metiis in hoc negotio est, mo- ricntis vit uni esse, non mortis; nec magis in ipsa quiil- (juam esse niolesliœ , quani post ipsani. Tam démens «i- leni est qui timet qnod non est passurus , quam qui timet quod non est sensurus. An quisquam hoc futurum cré- dit, ut, per quain uihil sentitur, ea senliatur? Ergo, iuquit, mors adeo extra onine inaium est, ut sit eitra ouineni nialorum melum. • Ha!C ego scio et sœpe dicta , et saepe diccnda; sed ne- que , quuni legprem , aeque niilii profuerunt , neque, quuiu «udirem , his dicenlibus , qui negabant timenda , a quo- rum metu aberant. Hic vero plurinium apud me auclo- ritatis habuit , quum loqueretur de morte vicina. Dicam eliam quid sentiain; puto, forlioreni euni esse qui iu ipsa morte est , quam qui ciica morlem. Mors enim admota ei$ esse crcdimus mortem. A quo enim prope non est, parata omnibus locis omui- bnsque momcnlis ? Sod consideremns , inquit, lune, quum aliqua causa moricndi viilctur accedere , quanto alla' pro- piores sint , qua; non limenlur. • Hoslis alicui mortem minabatur; banc crudilas oconpa>it. Si distinguere vo- luerimus causas melus noslri , inveniemus alias esse, alias videri. Non mortem tiraemus, sed cogitationcui mor- tis;abipsa enim sempcr taatumdem absunius. Iti , si timcndamurs est, semper timenda est; quod enim morll tempus exemptum est? Sed vereri dcbeo , ne tam longas epistolns jiejiis , quitiTi mortem, oderis; itaque llnem faciam. Tu tamen iiiorlem, ut nunqnani limeas, semper cogita. Vale. EPISTOLA XXXI. DU CO^TE!ISI!nUÀ TULGI EIlSTIMiTIO.M. Agnosco Luciliium maum : incipit^ quem promhcrjt ssa sÉNf: se rendre tel qu'il avait promis. Suivez, je vous prie, ce beau feu avec lequel vous vous portiez à la vertu , méprisant la faveur populaire. Je ne de- mande point que vous deveniez plus grand ni meilleur que vous vous l'ôtes propose. Les fonde- ments que vous en avez jetés occupent bien de la place ; achevez seulement ce que vous avez entre- pris, et exécutez vos bonnes résolutions. Vous se- rez parfaitement sage si vous bouchez vos oreilles, non pas comme Ulysse obligea ses compagnons de faire , mais avec quelque chose de plus ferme et de plus épais; car la voix qu'ils craignaient était douce à la vérité, mais elle n'était pas publique ; outre que celle que vous avez à craindre ne vient pas d'un seul endroit, mais de tous les coins de l'univers. Ne vous arrêtez donc pas dans une con- trée, ni même dans ces villes qui vous seront sus- l)ectes de mollesse et de débauche ; rendez-vous sourd à la voix de vos meilleurs amis. Ils sou- haitent d'ordinaire des choses fort mauvaises à bonne intention; et, pour devenir heureux , il n'y a qua prier les dieux que les choses que vos amis souhaitent n'arrivent pas. Ce ne sont pas des biens, que les avantages donti!s veulent vous combler ; car il n'y a qu'un seul bien qui fait le bonheur de la vie, savoir : de s'assurer de soi- même ; mais on ne le peut aconof heure à la régler. Je m'informe de vos nouvelles , et je demande à tous ceux qui viennent de vos quartiers ce que vous faites, en quel lieu et avec qui vous demeu- rez. Vous ne sauriez m'en faire accroire; car je suis toujours avec vous. Vivez donc comme étant persuadé que je puis entendre , même voir toutes vos actions. Si vous me demandez ce qui meplait davantage de ce que l'on me rapporte de vous ; c'est que l'un ne m'en dit rien , a cause que la plu- illc, qui pnlrhris rebui impenditur .- quoniam animi est ipsa tolerantia , quce se ad dura et aspera hortatur, et dicit : quid cessas ? non est viri , tinaere sudorem ! Huic etillud accédât, ut perfccta virUis sil, aH]ualitasac ténor vita9 per omnia consonans sibi : quod non potest esse, 'i isi rerum scienlia contiueat, et ars , per quam divina et humana iioscantur. Hoc es! summum boiium; qucd si ocrupas , inripis Dcoruni sociiis esse, non supplei. — Quo- modo, inquis, isto perTenitur? — Non per Peuinum Graiumve montcm, nec per rie-erta CandaTix; nen Syr- tcstibl, nec Sc)lla aut Cbarybdis , adi'unda? sunt;qna> tamenomnin transisU procnraliiincula; pretio. Tutum i!pr est, jucundum est, ad qmid nalura te iristruiit. Dédit tilii il'a, quae si non deserueris, par Deo snrpes. Parem au- tem le Deo pecnnia non faciet; Deus nihil liabet : prîB- texta non faciel; Deus nndus est : Fama non facirt, nec ostnntatio tui, et in populos nominis dimissa notitia ; nc- mo noïit Deum , mulli de illo maie existimant, et im- puiie : non turba servorum , lecticam Inam per itincra urliana ac peregrina portantium ; Deum ille maximus po- tentissimusque ipse vehit omnia. ISe forma quide^n , et vires , beatiim te facere possunt : niliil horuoi patitur te- tustatcm. Quserendnm est, qnod non flat in dies deteriui, cui non possit obstari. Quid hoc est? Animus; sed bio reclus, bonus, magnus. Quid aliud voces hune, quam Deum in humano corpure hospitantem? Hic animas tam in e(|uitem romanum , quam in lihertinum , quam in ser- Tum , polest cadere. Quid etl corum contemptum opto , quorum illi copiam. Vola illo- ruin multos compilant , ut te locupletent : quidquid ad te transferunt, alicui deirahendum est. Opto tibi tui facul- tatera, ut ïagis cogitaiionibus agitata mens tandem ré- sistât, et certa sit; ut placeat sitii, et, intellectis Teris bonis (qux, siuiul intellecta snnt, possidentur), sLilis adjectioue non cgeat. Ille demnm nécessitâtes supergres- siisest, cleiaucloratus ac liber, qui vivit vita peracta. Vale. EPISTOLA XXXIII. DE SEXTENTIIS PB I LOS O P H I CIS. Desideras bis quoque episîolis, sicut prioribus, ad- scribi aliquas Toces nostrorum procernm. Non fuenmt circa floscalos occnpati; tolus contenus illorum Tirilis est : imqualitatem scias esse, ubi qua» eminent sunt no- labilia. Non est admiralioni ana arbor, ubi in eamdem altilndinem tola silva surreïit. EJusmodi vocibus referta sunt carniina , referta- hisîoriae. Itaque nnio illas Epicuri esse oiistimes; public» simt, et maxime nos:rîP. Seii illi ÉPITHES A LUCILIUS. 58iî leur, d'auCant plus qu'ils y sont rares et moins attendus, et qu'il est assez surprenant qu'un homme qui fait profession de mollesse dise quel- que chose de fort. C'est ainsi qu'en jugent la plu- part. Pour moi, j'aime Épicure homme de vertu , tout fourré qu'il est contre la mauvaise saison. La valeur, l'industrie, et l'inclination pour la guerre serencoutrentaussi bien chez les Perses, qui por- tent de longs habits, que chez les peuples qui por- tent les chausses retroussées. Il ne faut donc pas que vous me demandiez des sentences triées et choisies; car on peut choisir dans les autres livres; mais, dans les nôtres, tout y est également fort. Aussi n'avons-uous point de montre pour trom- per les marchands, qui ne trouveront rien quand ils seront entrés dans la boutique. Nous leur permettons de prendre des échantillons de tout ce qui leur plaît. Pensez-vous que nous voulions déta- cher quelques sentences d'un si grand nombreque nous en avons? A qui les attribuerons-nous? 'a Ze- non, "a Cléanthe, 'a Chrysi|>pus, à Panoitius, ou'a Posi- donius? Nous n'avons point de tuteur, chacun jouit de ses droits. Chez les autres, tout ce que dit Ilerma- chus ou Métrodorus se rapporte au chef de la secte. Tout ce qui se traite dans leur école, c'est sous les auspices et sous l'autorité du maître ; nous ne sau- rions, comme j'ai déjà dit, rien détacher d'un si grand amas de choses toutes égales, quand nous le voudrions faire. Le pauvre leulement doit compter son tronpeau. Dans tous les endroits où vous jetterez les yeux, vous y trouverez toujours quelque chose qui pour- rait être admiré si le reste n'était point semblable. C'est pourquoi, défaites-vous de celte pensée, que vous puissiez goûter par extrait les esprits de ces grands personnages ; il les faut voir en leur entier, il les faut tâter de tous côtés. Leurs ouvrages , qui portent le caractère de leurs esprits , sont tissus de telle manière que vous n'en sauriez rien déta- cher sans les détruire; je veux bien que vous con- sidériezchaquemembreen particulier, pourvuquc ce soit dans le sujet entier. Une femme n'est point estimée belle pour avoir la jambe ou le bras bien fait, mais lorsque, sans considérer aucune des parties, il se forme une idée avantageuse de tout le corps. Si toutefois vous le désirez, j'agirai plus libéralement avec vous, et je vous donnerai à plei- nes mains. Il y a quantité de bonnes choses ré- pandues dans nos livres; il n'y a qu'à prendre, il ne faut point choisir; elles ne tombent point par gouttes, elles coulent en abondance et sans inter- ruption. Ce qui me fait croire qu'elles seraient fort utiles aux personnes qui se font instruire; car on relient plus aisément ce qui est borné et mesuré 'a la manière d'un vers. C'est pour cela que nous faisons apprendre aux enfants des sen- tences, et ceque les Grecs appellent apophihcgmes, parce que leur esprit les embrasse facilement et ne peut aller plus avant. Mais il est honteux 'a un homme fait de chercher de beaux mois, de s'at- tacher "a cerlaines phrases qui sont communes , et de ne se faire considérer que par sa mémoire. Qu'il se soutienne de soi-même , qu'il dise et ne récite pas ; car il n'est pas honnête "a un vieillard magis annotantar, quia rarx intérim intervenlunt , quia inexspectatae, quia mirum est forliter aliquid dici al> bo- niine molliliam professo. Iti enim plerique judicant : apud me est Epicurus et forlis, licet nianuleatus sil. For- litudo, et indusiria , et ad bellum prompta mens, tani in Persas, quam in alte cinctos, cadit. Non est ergo qiiod exigas cicerpta et repctita ; continuum est apud nostro^ , quidquid apud alios excerpilur. Pion tiabemus itaque ista oculiferia ; nec emptorem decipimus , nibil inventuruin , quum intravorit , prster iila qux in fronte suspensa sunt. Ipsis permittimus , nnde veliat sumcre exemplaria. Puta nos vclle singulares sententias ex turt>a scpai-arc : oui illas assignabiinus ? Zeuoni , au Cleanthi , an Cbrysippo , an l'anxtio, an Posidonio? Non sumus sub rcce; sibi quisque se yindicat : apud istos, quidquid dicit Ilerma- (bus, quidquid Métrodorus, ad unum rctertur. Onmia, qnae qu's<|uan? in illo contuberoio locutus est , uuius duclu et auspiciis dicta sunt. Non possumiis , inquam , liiet ten- temug, educere aliquid ex tanta rerum a'qualium multi- todine. Pauperif est iiumcrare puciis. Quocumqoe miseris nculum, id tibi occurrct quod cmi- ncri" |)Osscl, nisi inlcr paria Icgerelur. Qnare depone istam spem , posse te summatim degu- stare ingénia maxiniorum virorum; tota tibi incipieuda sunt, tota tractanda. Hes gcritur, et per lineameota sua ingenii opus nectitur, ex uuo nibil subduci sine ruina potest. Nec recuso, quo minus singula membra, duni- modo in ipso homine , considères. Non est formoss , cnjus crus laudatur aul bracbium ; sed illa , cujus universa fa- ciès adniirationcm partil)us singulis abstulit. Si tamcn exegcris, non tani mendice tecuni agam , sed pUna manu Piet. Ingens eorum turba est , passim jaccntium ; su- iiicnda erunt, non roUipcnda. Non enim excidunt, scd lluunt : perpétua et intcr se connexa sunt. Nec dubilo, quin multum conférant nidibus ailbuc , et extrinsecus auscullantibus. Facilius enim singula insidunt circum- scripta , et carminis modo indusa. Ideo pueris et senten- tias ediscendas damus, et bas quas (iraeci rliHas vocant, quia coiiiplecli illas puerilis animus polest , qui plus adbuc non capit certi piofectus. Viro captare flosculus turpo est, et fulciic se notissimis ac paucissimis vocibns, ec memoria slare. Sibi jam innitatur; dicat ista, non tcneat. Turpe est enim seni, eut prospicicnti senectutem, ex com- mentario sapere. Hoc Zenon dixit : tu quid? Hoc Cleau- Ihes; tu quid?Quousque subalio moTcris? et inipcra, r\ 586 oU "a un bomme avaDcé dans l'âge, de parler par tabiclies. Zénou a dit ceci , Cléanthe cela. Et vous, que je sache ce que vous dites, jusqu'à quand vous laisserez-vous conduire par un autre? Parlez et produisez quelque cliose de votre cru? C'est ce qui me fait croire que ces gens qui sont toujours interprètes et jamais auteurs, et qui se couvrent de l'ombre d'aulrui, ne sont guère hardis, puis- qu'ils n'osent faire une fois ce qu'ils ont étudié si longtemps. Ils n'apprennent que pour exercer leur mémoire. Autre chose est de se souvenir, et autre chose est de savoir : se souvenir, c'est garder ce qui a été mis dans sa mémoire; savoir , au con- traire, c'est s'approprier une chose, n'avoir plus besoin de patron, ni de regarder son maître. Zenon et Cléanthe disent cela. Mettez, je vous prie, quel()ue différence entre vous et votre livre; ap- prendrez-vous toujours ? 11 est temps que vous en- seigniez. Qu'ai-je a faire d'écouler ce que je puis lire quand il me plaira? Vous me direz, la vive voix fait beaucoup : non pas celle qui ne fait que rapporter les paroles d'au- trui, comme ferait un greffier; joint que ces tu- telles suivent leurs auteurs en des opinions qui ne sont plus à la mode, ou bien en des choses que l'on cherche encore. Aiusi, l'on ne trouvera jamais rien si l'on se contente de ce qui a été Irouvé; d'ailleurs, celui qui suit un autre, ne suit rien, ne trouve rien , mais plutôt ne cherche rien. Quoi donci ne marchcrai-je point sur les traces des an- ciens? Pour moi, je me servirai de leur route; mais si j'en trouve une plus courte, je la pren- drai. Tous ceux qui ont remué des questions avant nous, ne sont pas nos maîtres, mais seulement SÉNÊQUE. nos guides. La vérité est exposée à (ont le monde: personne ne s'en est encore emparé ; il en reste encore assez pour ceux qui viendront après nous. EPITRE XXXIV. L'homme de bien est celui duquel les paroles et le« ac- tions s'accordent ensemble. Je me réjouis , je me porte mieux , et je me ré- chauffe, nonobstant ma vieillesse, toutes les fois que je reconnais par vos lettres et par voire con- duite, combien vous vous surpassez vous-même, après avoir, il y a longtemps , surpassé les autres. Si le jardinier prend plaisir 'a voir le fruit de l'ar- bre qu'il aplanie; et le berger, celui du troupeau qu'il conduit; s'il n'y a personne qui ne s'inté- resse a voir croître l'enfant qu'il nourrit; que pensez-vous qu'il arrive 'a ceux qui ontcultivé des esprits et qui les ont formés tout tendres, lors- qu'ils les voient parvenus de bonne heure à leur maturité? Je vous avoue pour être à moi ; vous êtes mon ouvrage. Aussitôt que je reconnus votre bon na- turel , j'y mis la main ; je vous exhortai , je vous pressai , et ne vous laissai point marcher lente- ment. Ensuite je vous excitai comme je fais encore h présent ; mais c'est en courant dans la lice d'où vous m'exhortez réciproquement par votre exem- ple. Vous me direz : Que désirez-vous davan- tage.? J'avoue que c'est beaucoup ; car il en va des ouvrages de l'esprit comme des autres que l'on tient à demi faits quand ils sont bien commencés. Il est vrai que c'est une partie de la bonté de vou- loir être bon. Mais savez-vous qui j'appelle bon? die, quod memoria? traditur; aliquid et de lue profer ! Onines itaque istos, nunquam auctores, semper inter- prètes, sub aliéna umbia latentes, nihil eiistinio habere generosi, nuiiquam ausos aliqu ndo facere, quod diu di- dicerant. Mi moriain in alienis cxcrcuerunt; aliud autem est nieminisse, aliud scire. Memiuisse, est rem commis- sani nieriioiiœ custodire; at contra scire, est et sua facere quaequc, me ah exeniplari pcndere ei toiies respicere ad inagistrum. IIcc disitZeun, lioc Cleantlies. Aliquid in- tersit inter le, et Ibrum I quousque disces ? jam et pras- cipe. Quid est, quare aiidiam, quo^i légère possura? -- Multuni , inqu's, vivavox facit. — INon quidcm hœc, quae aliènes verbis comnind::tur, et actuaril vice fungitur. Ad- jice nunc, quod isti, qui nunquam tutcla; suœ fiunt, pri- mum in ea re seqnuiitnr priores, in qua nemo non a priiire descivit; deinde in ca re sequuntur, quœ adhuc quaeritur ; nunquam autem invcnietur, si contenti fueri- mus inventis. Praelerea, qui alium sequitur, nihil invenit, immo ncc quarit. — QuiJ ergo? non ibo per priorum vestigia? — Ego vero utar via vetere ; sed si pmpiorem plaoioremque invenero, hanc nmniam. Qui ante nos ista mo^erunt , non domini nostri , sed duces sunt. Patet om- nibus Veritas , Dondum est occupata : moltam ex illa etiam futuris relictum est. Vale. EPISTOLA XXXIV. GBiTCLiTIO ET HOBTATIO iD PEBCEKDDM. Cresca et exsulto , et discassa scnectute recalesco quo- ties ex his , quœ agis et scribis , intelligo , quantum te ipse (nam turhain olim reliqueras) supergrederis. Si agricolain arbor ad fructum perducta delectat; si pastor ex fétu gregis sui capit voluptatem ; si alumnum suam nemo aliter intuetnr, quam ut adolescentiam illius suam judicet : quid evenire crcdis his , qui ingénia educave- runt, et, quietenera formaverunt, adulta subito vident? Adsero te mihi ; raeum opus es. Ego quum vidissem in- dolem tuam , injeci manum , exhortatus sum , addidi sti- nmlis, nec lente ire passus sum, sed subinde incitavi : et nunc idem facio , sed jam currentem hortor, et iuTÏ- cem hortantem. — Quid aliud , inquis , adhuc volof — In hoc plurimuni est. Nam sic quomodo principia totius operis dimidium occupare dicuntur, ita res animo con- stat : itaque pars magna bonitatis est, velle fieri boDum, ÉPITRES A LUCILIUS. S87 C'est un homme parfait et accompli , que la vio- lence et la nécessité ne sauraient rendre mauvais. Je prévois que vous serez tel si vous continuez , et si vous faites en sorte que toutes vos paroles et vos actions s'accordent ensemble, et soient comme frappées à un même coin. L'esprit n'est pas bien droit quand les actions se trouvent tou- jours opposées. ÉPITRE XXXV. Il D'y a que le sage qui soit véritablement ami. Lorsque je vous prie avec tant d'empressement de vaquer 'a l'étude, je fais mon affaire : je veux avoir un ami ; ce qui ne me peut arriver, si vous ne travailfez à vous former comme vous avez com- mencé; car, encore que vous m'aimiez présente- ment, il ne s'ensuit pas pour cela que vous soyez mon ami. Quoi donc? sont-ce des choses différcn ■ tes? Oui, voire dissemblables; car celui qui est ami, aime; mais ceini qui aime n'est pas toujours ami ; c'est pourquoi l'amitié est toujours utile , et l'amour, au contraire, est nuisible quelquefois. Quand il n'y aurait point d'autre raison , faites proflt dans l'étude de la sagesse, afin seulement que vous appreniez à aimer. Hâtez- vous donc, tandis que ce profit est pour moi , de peur qu'il n'arrive que vous ayez appris pour un autre ; j'en reçois dcja le fruit par avance, quand je m'ima- gine que nous serons unis de cœur comme de sentiments, et que je recouvrerai dans votre âge, quoiqu'assez proche du mien , tout ce que les années m'ont ôté de vigueur et de force. Mais je veux jouir de ce bien en effet. La joie que nous recevons de nos amis qui sont absents est légère et passe incontinent; mais le plaisir que nous donnent leur vue, leur présence et leur conversa- tion, a quelque chose de vif et d'animé, particu- lièrement si c'est une personne qui ait les qualités telles que nous les désirons. Faites donc que je reçoive un riche présent en votre personne, quand vous viendrez ici. Et afin que vous ne perdiez point de temps, songez que je suis vieux et que vous êtes mortel ; hâtez-vous de venir avec moi , mais soyez premièrement avec vous; profitez, et surtout soyez ferme dans vos résolutions. Quand vous voudrez éprouver si vous avez fait quelque profit, voyez si vous voulez au- jourd'hui ce que vous vouliez hier ; ce change- ment de volonté est la marque d'un esprit flottant, qui se laisse conduire au gré du vent. Ce qui est fixe et bien fondé ne branle point : celte fermeté se trouve pleine et entière dans le sage ; elle n'est pas si grande en celui qui n'est pas si parfait. Mais en quoi diffèrent-ils? Celui-ci est ému, il branle , mais il ne sort pas de son assiette , et l'autre ne sent pas la moindre émotion. ÉPITRE XXXVI. La jeunessB est la saison d'apprendre. — L'eiercice du sage est le mépris de la mort. — Tout meurt, et rien ne périt dans le monde. Exhortez votre ami h mépriser courageusement les gens qui lui reprochent de s'être plongé dans l'oisiveté, et d'avoir préféré le repos aux charges, Scis quem bonum riicam? perfectum, absolutnm , quem iiialum facere nnlla vis, niilla nécessitas possit. Ilun^^ in te prospieio , si perseveraveris et iucubueris, et id egeris, ut onmia facta dictaquc tua intorse coiipru;intac rpspgotiuni agn. Ilabcrc amicum voloj quod conlinpero niihi,ni.-i pergas, ut cœpisti , eicolere te , ni>n potest; nunc ciiiiu amas mej aniicus non es. — Quid erg»? li.TC inter se di- versa sunt? — Immo dissimilia ! Qui amicus est, ainat; qui aniat, non i tique amicus est. Itaque aniicilia sem|n ne périt de tout ce qui disparait à nos yeux ; il retourne dans le sein de la nature pour en sor- lir encore bientôt. Tout finit , mais rien ne périt. La mort, que nous craignons et rebutons si fort, fait cesser la vie pour un temps, mais elle ne l'ôte pas ; un jour viendra qui nous remettra dans le monde où bien des gens ne voudraient pas rentrer, s'ils se souvenaient d'y être venus. Mais je vous montrerai ci-;iprès plus exactement que tout co | qui semble périr ne fait que changer. On doit donc \ s'en aller sans regret, quand on s'en va pour re- i venir. Considérez la vicissitude des choses , vous I trouverez que rien ne s'anéantit dans le monde , | mais tombe et se relève successivement. L'été s'en i va, mais une autre année le ramène ; l'hiver est I 589 passé, mais la saison le ramènera aussi; la nuit cache le soleil , mais le jour la chassera bientôt. Tout le cours des étoiles n'est qu'un passage et un retour qui se fait alternativement sur les mêmes routes ; une partie du ciel se lèvecontinuellement, l'autre s'abaisse. Je veux finir en ajoutant que les enfants et les fous ne craignent point la mort , et qu'il est bien honteux que l'on n'acquière point par la raison l'assurance que donne la folie. EPITRE XXXVI. Ce n'est pas un exercice aisé de se rendre liomme de l)icn. — Tout nous sera suumis, si nous nous souiiicltoiis à la raison. Vous avez promis de vous rendre homme de bien, c'est un grand engagement à le devenir. Vous en avez fait serment : l'on vous flatte, si l'on vous dit que c'est un exercice doux et aisé ; je ne veux pas que l'on vous trompe. Ce serment si hon- nête que vous avez fait, n'est point différent, quant aux paroles, de cet autre si infâme que prê- tent ces gens qui se louent pour les speclacles, et qui boivent et mangent ce qu'ils doivent payer de leur sang bientôt après. Ou leur fait jurer qu'ils endureront malgré eux les fouets el le fer, et on vous demande que vous souffriez toutes choses volontairement. 11 leur est permis de mettre les armes bas et de demander grâce au peuple , mais cela vous est interdit. Il vous faut mourir debout et victorieux. Que sert-il de gagner quelques jours ou quelques années? Nous venons au monde pour Ilicc singniis disciplina gentis taœ tnadct , et imperat. Quid buic ergo incditiindumcst? quod adversus omnia tcla (luod adversus oniiie bostium genus bene facit : mor- tom contenimre ! Quœ quin babeat aliquid in se terribile, ut an mos nostros qiios in amorem sui natura formaTit offendat, nenio dubitit; nec enim opus essct in id com- parari et aciii , in quod insiioctu quodam Toluntario ire- iiius , sicul fenintur onines ad conscrvationem sui. Ncmo discit, lit, si ncresse fuerit, asqno animo ia rosa jaceat : !>ed in hoc duratur, ut tormentisnonsubmittat lidem ; ut, si fuerit, stans, etiam aliquando saucius, pro vallo per- ugilet , et ne piio qnideni incuiiiliat, quia solet obrcpcre intérim somnas in aliquod a:lniiniculuni reclinalis. Mors uullum habet incoininodum : esse enim débet aliquid , cuju» .sit incommodum. Quod si lanta cupiditas te lon- gioi'is af\ tenet , cogita, nibil eorum quac ab oculis ubeunt, et in rerum naturam, ex qua prodierunt, ac moi processura sunt, reconduntur, consunii. Dcsinunt isia, non pereunt. Et mort, quani portimescimus ac recusamns, intermittit vilam, non eripit : »eniet ite- nim, qui nos in Incem reponat, dics; queni multi recusarcnt, nisi oblitoj rcduceret. Sed postca diligentius docebo, omnia, quœ videntur perirc, mutari. *quo animo débet rediturus eiire. Observa urbem rerum lu se remcanlinm ; videbis niliiJ in hoc niundo exstin- gui, sed vicibus desccndere, ac surgere. jîîstas abit, sed aller illam anniis adducit; hiems cecidit, réfèrent illamsui menses; snleni nox obruit, sed ipsamstatimdiis abiget. Stellarum is'.e decursus, quidquid pra'Ierit, re- petit; pars cœli levatur assidue , pars niergitur. Deuiquf flnem faciam, si hoc uunra adjccero, nec infantes, nec pueros , nec mente lapsos , timcre mortem ; et esse tur- pissimum , si eam secnriiatem nobis ratio non pricstat , ad quara stultitia perducit. Vale. EPISTOI>A XXXVII. DE FOBTITUDIKE Qi:i» SOPPEDITAT rOILOSOFUIA. Qnod maximum viuciilum est ad bonam menlem, pro- misisti; virum bonuni. Siicramcuto rogatuses. Deridebit, si quis tibi diieril, niollcm esse militiam et facilcni; nolo te decipi. Eadem bonestissimi bujus et illius turpissinii auctoraroenli verba sunt, uii, vinciri, fcrroque necari. Ab bis , qui nianus arena; locant, et edunt ac bibunt (|ua- per sanguinem reddant , cavetur, ul ista vel inviti palian- tur; a te, utvolens libensque patiaris. Illis licetarma sul)- miltcre, misericordiam populi tcntare; tu neque sub- milles; nec vitam rogabis; recto tibi invictoque morien- dum est. Quid porro prodest, paucos dies aut annos lu- cri faceie?8ine niissione nascimnr. — Quomodo ergo. 590 SÉNÈQUE. combattre sans relâche. Comment , direz-vous , me sauvcrai-je? Vous ne pouvez éviter la néces- silé, vous la pouvez bien surmonter. Il faut se faire un chemin, et la philosophie vous montrera ce chemin; suivez-le, si vous voulez être en sû- reté, vivre heureux, et surtout libre ; vous ue sau- riez l'être autrement. En vérité, le vice est une chose basse, vilaine, servile et sujette à beaucoup de passions très-cruelles. La sagesse vous délivrera de ces tyrans fâcheux qui régnent quelquefois l'un après l'autre, quelquefois tous ensemble. Il n'y a qu'un chemin pour y arriver; il est droit; vous ne sauriez vous égarer, marchez avec assurance. Si vous voulez que toutes choses vous soient soumises , soumettez-vous premièrement à la rai- son; vous conduirez les autres , si la raison vous conduit; elle vous apprendra ce que vous devez entreprendre, et comment vous le pouvez exécu- ter; vous ne ferez rien par hasard. On ne trouve personne qui sache comment il a commencé a vouloir ce qu'il veut; c'est par instinct qu'il s'y est engagé, et non point par raison. La fortune nous rencontre aussi souvent que nous la rencon- trons. Cela est honteux de se laisser emporter, et de ne se pas conduire. Quelle faiblesse à celui qui se voit entraîné par le torrent des affaires, de de- mander : Comment suis-je venu ici? EPURE XXXYIII. La conversation instruit mieux que la dispute. C'est avec raison que vous désirez que les lettres soient fréquentes entre nous. Un discours que l'on verse dans l'âme comme par goutte jnolile beaucoup, et ces disputes qui se font avec ap- pareil , en présence du peuple, ont trop de bruit, et nont point assez de familiarité. Il est certain que la philosophie donne de bons conseils ; mais personne ne donne conseil en criant. Il est pour- tant à propos d'user quelquefois de cette manière de harangues, lorsqu'il est questicm de pousser une personne qui est encore irrésolue; mais quand il ne s'agit que de l'instruire et non pas de l'obli- ger à apprendre, on doit, ce me semble, employer des paroles plus douces, aGn qu'elles entrent et demeurent plus facilement. H n'en faut pas beaucoup , pourvu qu'elles soient efficaces ; à peu près comme la semence , la- quelle, quoique petite, étant jetée dans un lien bien disposé, étend si force, et fait des produc- tions d'une grandeur étunnaiite. La raison en fait de môme, elle est petite en apparence, elle croit dans l'action. On dit peu de paroles; mais quand elles sont bien reçues, elles germent et se fortifient merveilleusement. Je dis encore qu'il arrive aux maîtres comme à la semence; ils font beaucoup avec des préceptes fort courts, pourvu, comme j'ai dit , qu'ils soient reçus dans un esprit qui les embrasse et qui s'en nourrisse. Il en produira beaucoup d'autres a son tour, et rendra avec usure ce qu'il aura reçu. EPITRE XXXIX. Les richesses mé.liocres sont préférables à celles qni sont excessives. — L'habitude nii plaisir rend nécessaires Ici choses qui étaient superflues. Je vous enverrai les mémoires que vous me de- inquis, meexpediam? — Effugere non potes nécessitâtes; potes viiicere. Fiat vial et hanc tibi viam dabit philoso- phia. Ad hanc te confer, si vis salvus esse , si securus , si bealusi denique si vis esse, quod est maxiiiiiim, liber. Hoc Couliugere aliter non polesl. Ilnniilis les est slullitin, abjecta , sordida, scrvilis, niultis affeclibus et saevissimis subjecta. Hos lam graves dominos, intcrduni alleruis imperantes, interdum pariler, dimitiit a te sapieiitia, qua; sola .'ibertas est. Una ad banc fcit via , et quidem recta ; non aberrabis ; vade ccrto pradu ! Sivisonmia tibi subjicere, te subjice rationi ! Multos reges, si ratio te rcxerit. Ab illa disces , quid et quemadmodum aggredi debeas : non incides rébus. Neminem inihi dabis, qui sciât, quomodo, quod vult, cœperil velle : non consilio adductus ullo, sed impetu impactus est. Non minus sœpe fortuna in nos incurrit, quam nos in illam. Turpe est non ire, «ed ferri , et subito, iu medio turbine reru m stupentem, quaerere : Hue ego quemadmodum veni? Vale. EPISTOLA XXXVIIL LiUDiT BBEVES SEIIMOISES. Meritocxigia, ut hoc inler nos epistolarum commer- cium frcquentemus. Plurimum proficit sermo.qni mi- nulatim irrepit animo : disputationes praei aratcB et ef- fusa; , audiente populo , plus habent strepitus , minus fa- miliaritatis. Philosophia bonum consilium est; dmsilinm nenio clare dat. Aliqiiando utondum est et illis, ut ita di- cani, concionibus, ulii , qui dubitat, impoUendus est; ubi vcro non hoc agindum est, ut velit discere, sed ut discal , ad ha?c submissiora verba veniendum est. Faci- lius iiitrant et harent; nec enim multis opus est , scdeffi- cacibus. Seminis modo spargcnda sunt; (|uod, quamvis sit exiguuni, quum occupavit idoneum locum, vires sua» exphcat, et ex niinimo in maximos auctus dirfunditur. Idem facit ratio; non laie palet, si aspicias; in opère cres- cit. Pauca sunt quœ dicunlur; sed si illa animus bene ci- ceperit, convalescunt et eisurgunl. Eadem est, inquam, praceptorura conditio, quae seminum; uiultum etGclunt, ctsi angusta sunt; tanliiiu, ut dixi , idonea mens rapiat illa cl in se tr.ibat. Multa invicem et ipsa generabit, et plus leddet, quam acceperit. Vale. EPISTOLA XXXrX. DE IXCOMMODIS B0>'.E FOIITCN^. Commentarios, quos desideras, diligcnltT ordinalos et ÉPIÏRES A LUCILIUS. ^1 mandez , et je les ferai autant succincts et polis qu'il me sera possible. Mais voyez si un discours fait a l'ordinaire ne vous proflterait pas davantage que ce qu'on appelle présentement un abrégé, et que l'on appelait un sommaire au temps que l'on parlait bon latin. Le dernier est plus propre pour celui qui apprend, et le premier pour celui qui sait déj'a; car l'un fournit des préceptes, et l'au- tre les remet seulement en mémoire. Mais ne vous mettez pas en peine de celui que vous me devez demander; puisque j'ai dessein de vous donner l'un et l'autre , je serai clair à mon ordi- naire ; il est certain que l'on n'est pas entendu quand on a besoin d'être expliqué. Cependant vous avez quantité d'auteurs dont les écrits me semblent assez confus , et vous le verrez si vous lisez la liste des philosophes. Ce sera un sujet de vous réveiller, et connaissant combien d'honnêtes gens ont travaillé pour vous, vous aurez envie d'èlre de ce nombre. Une âme généreuse a cola de propre qu'elle se laisse facilement porter aux choses honnêtes , et ce qui est sordide et ravalé ne touche point un esprit sublime. Nous sentons que l'idée que nous concevons des gi'andes choses nous attire et nous élève. Comme la Oamme monte droit en hauteur, et ne peut ramper, ni se reposer ; ainsi , notre esprit étant tenu, parait d'autant plus actif et violent qu'il est prompt de son naturel. Mais heureux celui qui sait bien employer cette impétuosité; il se peut mettre hors du pouvoir de la fortune , se modé- rant dans la prospérité, se consolant dans l'ad- versité, et méprisant beaucoup de choses que tout le monde admire. C'est le propre d'un grand cœur de mépriser les grandes richesses, et de préférer les médiocres a celles qui sont excessives; car les premières sont toujours utiles, et les aulres peu- vent êlre nuisibles "a cause de leur superfluité. C'est ainsi que l'abondance couche les grains par terre , que les branches rompent étant trop char- gées de fruits, et que la trop graude fécondité no saurait venir en maturité. 11 en arrive de même à ces gens qui ne sauraient porter l'excès de leur prospérité, et qui s'en servent non-seulement au ^ préjudice d'autrui , mais encore à leur dommage. Se trouve-t-il des ennemis plus cruels que sont les plaisirs , au regard de certaines gens? Vous pouvez, 'a la vérité, excuser l'intempérance de ces gens par celte seule raison , qu'ils expient par leurs souffrances le mal qu'ils se sont procuré : ils méritent bien cette punition ; car la cupidité tombe dans l'excès sitôt qu'elle a passé les bornes de la nature , laquelle a son étendue réglée , au lieu que le luxe est sans ternie et sans fln. Les choses nécessaires se mesurent par l'utilité qu'elles apportent; mais quelle mesure prendrez-vous pour lessuperOuités? Ces gens-Pa se plongent tellement dans les plaisirs, que s'en étant fait une habitude , ils ne s'en peuvent plus passer, malheureux en cela, que ce qui leur était auparavant superflu leur devient enfin nécessaire. C'est pourquoi je dis qu'ils sont dans l'esclavage, et non pas dans la jouissance des voluptés , puisqu'ils ont pour leurs maux quelque sentiment de tendresse, ce qui est le plus grand de tous les maux. Car cnGn, le malheur est extrême lorsque les choses dés- honnêtes sont non-seulement les sources de nos plaisirs, mais encore les objets de notre complai- ioan^stum coactos , ego vero componam ; aed vide ne plus profeclura sit ratio ordinaria , qaam hivc , quae nunc Tulgo breTisrium dicitur; olim, quum latine loquere- mur, siimmarium vocabatur. Illa res discenli magia De- ces^ariaest, hxc scient) : illa eoim docet, hîec admonet. Sed utriusque rei tibi copiam faciam. Tu a me non est quod ilium aut illuni eiigas; qui notorem dat.ignotus est. Scribam ergo quod vis, sed mec more. Intérim mul- tos habes, quorum scripla nescio tm satis ordiucnt. Sume in manus Iiidicem Philosopborum; ha-c ipsa res eiper- giaci te coget, si videris quam miilti tibi latraraveriot : concupiscFS et ipse ex illis unus esse. Habet enim boc op- timum in se generosus aiiimus , quod concitatur ad ho- uesta. ISeminem eiceisi ingenii virum humilia délectant et sordida ; magnanim rerum spocies ad se Tocat , et ex- tollit. Quemadmodum flamma surgit in rectum , jacere ac deprimi non pntest, non magis quam qiiiescere ; ita noster animns in motu est , eo mobilier et actuosior, quo vehe- mentior fuerit. Sed felii , qui ad meliora hune impetum dédit I pooct se eitra jus ditionemque fortuno*; sccunila temperabit, adversa comminuet, et alilsadmiranda de- •pidet.Hagni animi est magna contemnere, ac mediocria malle quam nimia ; illa enim utilia vitaliaquc sunt ; at bsee, co quud superQuunI , nocent. Sic segotem nimia strrnit ubertas; sicrami oncre franguntur; sic ad maluritatem non pervenit nimia fecunditas. Idem animis (juoque eve- nit, quos immoderala félicitas rumpit; qua non tantum in aliorum in|uriam , sed etiam in suam , uluutiir. Quis hustia in quemquam lani contumeliosus fuit, quam iu quosdam ïoluptates suae sunt? quorum impolentia; atque ia. I fuerant vitia , mores sunt. Vale. 5i)2 SENÈQIIK. sance; et le mal est sans remède depuis qa'unc Ibis les vices sont passés eu babiludc. EPITRE XL. Les lettres rendent les ariiis présents. — 11 est plus hon- nête de parler lentement. Je VOUS remercie de ce que vous m'écrivez sou- vent, car c'est le seul moyen que vous avez de vous rendre présent à mes yeux; aussi ue reçois- je jamais de vos lettres, que nous ne soyons incon- tinent ensemble. Si nous aimons les portraits de nos amis, parce qu'ils les rappellent dans notre souvenir, et charment d'un faux plaisir l'ennui que nous avons de leur absence, combien devons- nous chérir les lettres qui nous en apportent des traits et des marques vérilablesl Car ce qu'il y a de plus doux dans leur conversation, leur main nous le fait reconnaître sur le papier. Vous me mandez que l'on vous a dit que le phi- losophe Sérapion étant autrefois débarqué sur la côte où vous êtes, faisait de grands discours, et précipitait ses paroles , parce qu'il se présentait tant de choses à son imagination , qu'une seule voix ne les pouvait produire. Je n'approuve point cette manière en un philosophe , de qui la parole doit être aussi réglée que la vie. Or, il est certain que tout ce qui se hâte et se précipite n'est pas bien réglé. Vous voyez aussi, dans Homère, que cette parole impétueuse qui s'épanche dru et me- nu comme la neige , est donnée à un orateur, et l'on en fait couler une autre plus douce que le miel de la bouche d'un vieillard. Croyez donc que celle éloquence rapide et féconde convient mieux "a celui qui veut surprendre ses auditeurs, qu'il celui qui traite de quelque affaire importante, et qui fait profession d'enseigner les autres. Pour moi, je ne la veux ni trop lente, ni trop brusque; je ne veux point qu'elle m'ennuie , ni qu'elle m'é- tourdisse ; tant il est vrai qu'un discours lent rend l'auditeur moins attentif et le lasse même par sa pesanteur : ce n'est pas toutefois que ce qui est attendu s'imprime plus aisément que ce qui passe si vite. Eufln , si les maîtres doivent donner des préceptes "a leurs disciples , une chose qui s'enfuit n'est pas proprement donnée : joint qu'un discours qui recherche la vérité doit être simple et sans ornement. Ceux qui se font en pu- blic n'ont rien de véritable; leur but est seule- ment d'émouvoir l'assemblée , et d'enlever la créance d'un peuple ignorant ; ils ne permettent pas qu'on les examine, car ils s'évanouissent in- continent. Comment peuvent-ils modérer les an- tres, puisqu'ils ne sauraient se modérer eux- mêmes? Que sera-ce , si j'ajoute que ce qui se dit pour la réformation des mœurs doit passer jus- qu'au cœur? Les remèdes ne profitent point s'ils ne séjournent quelque temps; outre que ces sortes de discours ont toujours beaucoup de pompe et de vanité , et font plus de bruit que de fruit. J'ai besoin d'adoucir ce qui m'épouvante, de retenir ce qui m'échauffe , d'examiner ce qui me trompe , enfin , do me guérir de l'amour et de l'a- varice ; y a-t-il rien do tout cela qui se puisse faire subitement? Où est le médecin qui guérit ses malades en passant? D'ailleurs ce bruit de paroles proférées tumulluairenient et sans choix ne cha- touille guère les oreilles ; il en est de même de certaines choses que l'on croyait impossibles, EPISÏOLA XL. QVM DECEiT PUILOSOPULM ELOQL'tSTIA. Quod fréquenter raihi scribis , gralias ago ; nam quo UEO niocio potes, te mlhi ostenciis. Nunquam cpistolaiu tuam accipio, ut non prolinus una siinns. Si imagines nobis amicorum alisentium jucHndœ smil, qua? memo- riam rénovant, et desiderium abseulia; falso atque inani solatio levant ;quanlojucnndiorcs suut littera;, qua; vera aniici abseniis vestigia, veras notas ariernutl Is'am, quod in conspectu dulcissimum est, id amici mauus rpistola; im- pressa prœstat, agnosceie. Audisse te, scribis, Serapionem philosophum , quum istuc applicuisset , solere magno cursii vciba couvolvire, quae non effundit, immo premitet urget; pliira enim ve- niunt, quam quibus una vox sufficiat. Hoc non probo in philosophe , cujus pronuntialio quoque , sicul vita , dibei esse eomposita; nihil aulem ordinalum est, quod pra'ci- pitatur et properat. Itaque oratio illa apud Homerum concitata , et sine inlermissione in niorcm nivis supcrve- uieus , oratori data est ; at lenis et melle dulcior seni pro- Quit. Sic ilaqne habe, istam vim dicendi rspidam atqM abuudantem aptiorem esse circulanti , quam agcnti rem inaguam ac seriam docentique. JEque stillare illam noio, quam currere ; nec eitendat aures , nec obruat. Piam iila (luoque inopia et eiililas minus inlcnlum aiiditorem ha- bet, tifdio iuterruplae tardilatis; facilius lamrn insidit quod ejspectatur , quam quod praelervolat. Denique Ira- derehomines discipulis pra'cepta diountur; non traditur, quod fugit. Adjice nunc, , qui>d, qua; Viriiali operam dat oratio, incomposita rtibet esse et simples. Hac popularis nihil liabet veri ; raovere vult turbani , et inconsullas au- res impetu rapere; traclandam se non praebel; aufertur. Quomodo au fera regere potest, quae régi non potesl? Quid , quod hase oralio, quas sanandis mcntibus adhibe- tur, descendere in nos débet? remédia non prosunt, nisi iramorentur. Mullum praeterea habet inanitalis et vaoi ; plusïonat , quam \alit. Lenienda sunt qu» me eiterrent, comdcscenda quae irritant , discutienda quaefallunt ; inbi- benda luiuria , corripienda avaritia. Quid horum raptim piitest fieri .' qais medicus intransitu curât apgros? Qnid, quod ne voluptatem quidem ullam haliet talis TerlKirum i;i'HI'.KS A LU Cl Ll us. ^!)." c est assez de les avoir vues une fuis, il siillil aussi (Vavoir ouï un seul disciuirs de ces fiiaiuls par- leurs. Que peut-on appiendre ou imiter, rucinc que peut-on juger de ces gens qui parlent avec lant d'emi)arras et de \)rLTipitalion, et qui ne sau- raient s'arrêter? Comme ceux qui courent conlre- l);is ne se peuvent retenir et sont emportés plus loin (|irils ne veulent par le branle de leiircarps; ainsi ce baliil, étant une fois ému, ne saurait plus s'apaiser. II fait déshonneur à la philosophie, (|ui doit fonder et no pas jeter ses paroles en l'air; elle doit procéder avec ordre et me^ure. Kh quoi ! no s'échauffera-t-elle jamais? l'onrqnoi non? mais elle conservera sa gravite, qui se perd ordinaire- ment dans la violence et l'emportcmenl. Je veux liien que le discours ait de l.i force, pourvu qu'il ait de la modération ; que le so l un flux conli- nuel , et non pas un torrent. A peine pourrais-je souffrir qo'nn orateur s'an- nonçât avec tant de prompliluunde est semcl audissc. Qiiid eiiiiii qnis dlsccre , quid imilari vflit? qiiid de corain anini > jiidicel , quorum oralio perturliala < l im.'ii ssa f.sl , ni'C potesl rcprinii? Qiiemadniiidiim per proclive ciiiTin- tium , uon iibi vi.vum rst , ^radiis sisliliir; sed iniitato eorpnris (ionderc se rapit, ac longius, quani ïoluit.effer- lur, >ic i.sta dicendi Cfleritas nec iu sua potestatc est , ncc salis décora pliilosnphiip , (|ii;b ponere deliet verlia , non pro]icere, ot pedptius ferel, qua- rcprcliciiderc vciis. Nou 58 :m si:>Eyi K. jetlerait dans l'impudence, elqui, d'ailleurs, veut que l'on s'exerce tous les jours, et ([ue l'on ait plus de soin des piiroies que do la raalicre : mais , quand vous les auriez à commandciiicnl , et que sans peine elles vous couleraient de la bouclie , il ne faudrait pas laisser de les modérer; car il ne sied pas moins a un honnête liomine de parler doucement, «pie de marclicravec modestie, lùilin, pour tout réduire en un mot, je vous conseille de parler lentement. ÉPITIIE XLI. Dieu réside au-ded^ins de l'homme. — Les forêts , les fleuves et tous les ouvrages de la nature nous font sen- lir qu'il y a un Dieu. Vous failes fort bien et utilement pour vous, si vous persistez dans le cliemin de la vertu , comme vous me le mandez; il serait impertinent de le souliaiter, puisque vous pouvez obtenir de vous- même cette veilu. Il ne faut point lever les mains vers le ciel, ni prier le sacristain qu'il vous laisse approcher de 1 idole, aliii que vous puissiez lui parler à l'oreille; car Dieu est près de vous; il est avec vous, il est au-dedans de vous. Oui, mon ciier Lucile, je vous dis (ju'il réside au-dedans de nous un esprit saint , qui observe et qui garde comme un dépôt le bien et le mal que nous fai- sons ; il nous traite selon que nous lavons traité. Sans ce Dieu, personne nest homme de bien; sans son secours, personne ne se pourrait mettre hors du pouvoir de la fortune. Il donne des con- seils hardis et courageux. Il y a ccrldinement uu dieu dans tous les gens de bien ; mais quel est ce Dieu? Nul ne le peut dire. Si vous passez dans une forêt peuplée de vieux arbres d'une hauteur extraordinaire, dont les branches, étendues les unes sur les autres, vous dérobent la vue du ciel , l'excessive grandeur de cette forêt , le silence du lieu , et cette ombre si vaste et si épaisse au milieu d'une campagne , vous font connaître qu'il y a un Dieu. Si vous voyez une grotte creusée sans art , et par les mains de la nature, qu'avec des pierres enlr'ouvertes et toutes mangées soutient une montagne suspendue, vous êtes aussitôt louché de quelque sentiment de religion. On a de la vénération pour les sources des grands fleuves; ondresse desautels'a l'endroit où ccriaines rivières sortent subitement hors de terre; on rend du culte aux fontaines d'eaux chaudes; il y a des étangs consacrés à cause de l'obscurité ou de la profondeur de leurs eaux. Si vous remarquez un homme intrépide dans les dangers, invincible aux plaisirs, heureux dans ladversilé, tranquille au milieu de la tempête, et qui voit les hommes au-dessous de lui, et les dieux a ses côlés , n'aurez-vous point quelque vé- néiation pour lui? Ne direz-vous pas : Cela est trop grand ci trop relevé pour croire que rien de semblable se puisse trouver dans un si petit corps? Une force divine lui est venue d'en haut, et e'est une puissance toute céleste qui fait agir celle àme si modérée, qui passe légèrement sur toutes cho- ses, comme lui étant inférieures, et qui méprise celles que nous craignons ou que nous désirons. Une chose si grande ne pourrait subsister sans potest, inquam, tibi contingcre res ist.i, salva verccun- dia. Prœlerea exerciiatiouc opus est quo;idiau:i , et a ré- bus siudium Iransferendum est ad verba. Hœc aulcni , eliam si aderunt , e,t poli ruut sine ullo tuo labnrc ducur- rere, laiiien teinperaiida sunl; nani queiiiaduioduiii s.n- pienli viroiucessus ni'jdeslior coivenil , ita oiatio picss,!, non audas. Ssiuiiiia ergo suiiiwiaruni ha;c cril : uirdiiO- quum te esse julien. Vale. EPISTOLA XLI, DEU3I I» VIBO DONO SCDEBE. Facisrcin oplimam, et til)l salu'arem , si, utscribis, persévéras ire ad bouam nienteni ; quiiin stiiltuni est op- tare, quuiii possis a te iinpetrare. iNou sunt ad cœlum elevandie niauus, nec cxoramlus ii'diiuus, ut nos ad au- rem sinmla-ri, quasi magiscxiuid ri possiinus, adniiltat; prope est a te Deus, tecum est, iiitus esi I lia dico, Lu- cili ; sacer intia nos spiiitus sidet, nialorum lionorum- que uostrorum obiervator et ciistos; l;ic, prout a nobis tractatus est , ita nos ipsc tracta' . Bonus vir sine Deo nemo est. .4n potest aliquis supra forlunam , nisiabilloadjulus, exsurgpre? Ulc dit consilia mignifii-a rt erecia. In uno- r]"«>asli amnis erupHoaras b:>bel; colui.tiir aquirum ealeiitiuni fontes; et stagna qua'iiam vel opaiilas, vel imnieiisa altitudo sacravit. Si bomineiD videris inttrrriium periculis, in.aclum cupiditatibus, in- ter adversa telicem.ln nicdiis lenipeslatilms plr.ciduiu, ex superioi e loco homiucs >idenleni , ex aquo Dcos, non subibil te ejus ïcneratio? non d ces : Ista res major est al;iorque,quani ut credi similis huic.inquo est, corpus- culo pussii'i' Ms islue divina descendit. Animum excelien- teni , muderatum, nmnia lancguam minora transcuotem. quidqnid timenius optauîusquo rideuteni , caelestis poteB- tia agitât. INou potest res tao:a sine adniinirulo Nnmini* i stare; itaquc ma;ore siii paite ill;c est, uodc descecdtt. ÉPITRES A LL'CILIUS. 598 l'assislance de quelque diviiiilc. C'esl pourquoi elle tient par sa meilleure partie au lieu d'où elle est descendue. Comme les rayons du soleil touchent bien la terre, mais ne quittent point le lieu d'où ils sont envoyés; de même eetie âme grande et sainte, qui n'est envoyée ici-bas que pour nous montrer de plus près les choses divines, converse, 'a la vérité, avec nous ; mais elle demeure attachée au lieu de son origine; c'est-d'où elle relève; c'esl où elle jette ses regards, et où elle aspire. Ce- pendant elle est parmi nous comme la plus ex- cellente chose que nous ayons. Mais quelle est cette grande âme? Celle qui ne reluit que par ses bonnes qualités ; car y a-t-il rien de plus inepte que de louer un homme de ce qui n'est pas en lui , ou d'admirer ce qui peut en un moment passer entre les mains d'un autre 1^ Le frein doré ne rend pas le cheval meilleur. Ce lion , tout sauvage et plein de vigueur , paraît bien mieux ce qu'il est, que cet autre qui se laisse ma- nier et dorer le crin après avoir été réduit par la lassitude 'a souffrir des ornements ; car le premier, avec sa férocité naturelle et son poil hérissé qui lui sert de parure; celui-l'a, dis-je, de qui la beauté consistée faire trembler ceux qui le regar- dent, est prélérahle h ce dernier, qui est adouci et paré autrement. On ne se doit priver de ce qui est 'a .soi. Nous estimons une vigue charïéc de fruits lorsqu'elle fait ployer les échalas qui la sou- tiennent; lui prcférera-t-on une autre vigne qui aura les feuilles et les raisins dorés? La fertilité est la vertu propre de la vigue : l'on ne doit aussi estimer un homme que de ce qui est en lui. 11 a un beau train et une belle maison , il a beaucoup de terres, il a beaucoup de rentes; rien de loul cela n'est en lui , mais autour de lui; louez ce qui ne lui peut ôlre donné ni ravi, qui est le propre bien de l'homme. Si vous demandez ce que c'est, je vous dirai que c'est une âme en qui la raison est parHiite. Car l'homme est un animal raisonnable; son bien est au plusliaut degré lorsqu'il a accompli ce pour quoi il est ne. Mais qu'est-ce que cette raison exige de lui? Une chose très-aisée, savoir, de vivre se- lon sa nature: toutefois l'erreur commune la rend difûcile; car nous nous poussons I un l'autre dans le vice. Comment donc pourrait-on arrêter ceux (|ue tout le monde entraîne et que personne ne retient? EPITRE XLIl. On ne devient pas lubitenient homme de liien. — Le manque de pouvoir cuu> re les \ices de beaucoup de gi'ns. Cet homme vous a déjà fait accroire qu'il est homme de bien ; mais je ne puis comprendre qu'on se fasse si vite homme de bien. Savez-vous de quet homme de bien J'entend-. parler maintenant? C'est de celui qu'un appelle ainsi communément, non pas decet autre |u<)queid laudandum est, quod ipsius e>t. Fa- aiD foruoiain babet, et domum pnlchram; multura serit, îDultum fœncrat; nihilhorum in ipsoest , sed circa ipsum. Lauda in illn quod ncc eripi polcst, nec dari; qnod proprium hominis est. Qua>ris, quid sit? Animus, et ratio in animo perfecta I ttationale enim animal est homo; consummalur itaque bonum cjiis , si id implevit , cui nasciinr. Quid est aulem , qu»d ab illo ratio haec eii- gi'.r Rem facillimam; secundum nainram suam vivere! 5ed hauc difllcilem facit conimuiiis insani.n; in vitia aller alterum Irudinius ! qunnioda autem revocari ad suliitcni possunt, quos nemo relinel, populus inipellit? Vaie. EPISTOLA XLIL BiBissiHOS tast viioa bo?ios. Jam tibi iste persuasit, virnm se Iwnum esse ? Atqui vir Ixinus tam cite necOeri polest , necrntelligi. Scisquem nunc rinim bonum dicam ? bujus secundse nots ! naoi ille aller fortasse, taiiquam phœnii, semel anno quingente- simo nnscitiir ; ncc est miruin , ex intervallo magnj gcne- rati. MediiK-ria, et in tiirliani ii.isoc'n;i:i , f-'i'pe foiluna pidduc l; cxiraia vero ipsa ranlHe conniiciid.it. Sed iste multuiD adimc abrsl ab eo • uod proGirtur et , si sciret 38. mi SÉ.NEQUi"-. acquis, el s'il savait ce que c'est qu'un homme do l)ien, ii cioiiait qu'il ne l'ost pas encore; peui- èlre n'cspérerail-il pas do l'être jamais. Vous médirez qu'il mésestime les méclianls; c'est ce que font aussi les méclianls, dont la plus grande peine est de se voir condaiiuiés par leurs compagnons et par eux-mêmes. Vous direz encore (|ii'il a de l'aversion con Ire ces gens subileraent élevés, qui usent insolemment de leur pouvoir : il en serait capable s'il avait la même autorité. La faiblesse couvre les vices de r|uanlilé de personnes qui ne seraient pas moins violents s'ils avaient la force en main , que ceux dont la prospérilé met les défauts en évidence. Il ne leur manque que les moyens de produire leurs injustices. C-est ainsi qucl'on pcutmanierun serpenten sûreté lorsqu'il est gelé de froid; le venin ne lui manque pas, mais il est engourdi. Ce qui empêche que la plupart ne poussent leur cruaulé, leur andiilion cl leur convoitise aussi loin q.ue les plus méchants, c'est que leur fortune ne le permet pas. Vous trouverez qu'ils auront les mêmes inclinations, si vous leur donnez le même pouvoir. Il vous souvient bien que, lorsfpie vous m'iis- suriez qu'un cerlain esprit, volage et léger, élait entièrement 'a vous, je vous dis que vous le tenie? non par le pied , mais par le bout de l'aile ; je nie trompais toulefois, car c'élait par li plume, qu'il a quitlée, et s'en est envolé. Vous savez les tours qu'il vous a joués depuis, et ce qu'il a cnlrepris contre vous, qui sans doute seraient retombés sur lui. n ne considérait pas qu'il courait à sa ruine en voulant perdre les autres, et qu'il aurait suc- combé sous le faix des choses qu'il demandait, qnoi(]u'elle.s lui pariis.senl fort inutiles. C'est pour- (juoi, dans les desseins i]ue nous embiatsons avec chaleur, nous devous considérer qu'il n'y a nul avantage quehjuefois pour nous, ou même qu'il s'y rencontre du désavantage. Car il y a des choses qui nous sont inutiles, d'autres qui ne méritent pas la peine de les acquérir; mais nous u'exami- nons pas ces dernières, el nous croyons avoir pour rien ce qui nous coûte bien cher. C'est en cel.i que paraît notre peu de jugement, que nous croyons n'acheter que ce que nous payons eu ar- gent; et nous réputons gratuit ce que nous payons de noire soin et de notre Iravail. En un mot, ce que nous ne voudrions pas acheter s'il fallait «Imi- ner noire maison ou une belle métairie, non.-» sommes prêls à l'acquérir avec peine et danger, et par la perle de notre honneur, de notre temps et de noire liberté. Tant i! est vrai qu'il n'y a rien dont l'homnie fasse si bon marché que de sa peine. Faisons donc en loules nos affaires ce (|ue nous avons coutume de pratiquer lorsque nous euinms dans la bouiique d un maichand ; cachons le prix de ce que n nis voulons avoir. Il arrive souvent qu'on paie bien cher ce qui ne coule rien. Je pourrais Mius uiaïquer beauco:ip do choses <|ui nous ont ôlé la libcrlé après les avoir acqui.ses ou accepicis; nous serions encore "a nous si elles n'élaient point'anous. Faitesdonccos rcQexiunsen vous-même, aux occasions qui s'offriront de faire du profit, ou de siiuffiic <|iiclqu'' perle. Diles : F.e bien doit périr quelque jour |iuis(|u'il est venu fortuitement ; je vivrai aussi coulent sans cela, que j'ai fait auparavant. Llu effet, sivousl'avez possédé qiiid essiït vir honiis , iiondum esse se cr^derel , fortii'se elinni (ierl pi)tse dVsiJeniret. — AI niale exlstiiua; de ma- ils !—Iloc oliaiii inali faciunt; iiec iilla major («l'ii i iie- qiiiliiL' est , qiiam qiiod slhi ac .'■uis d splicci. — Al od t cos qui siibila el iiiagiiii polentia impiitenler uluiilur I — Idem lacict, qiiiini idem poterit. Multoriim, quia iiubetiliia «'iiit , latent vilia ; non minns aiisura , quuiii ijlis vires sua; placiieiiiit, quani illa , qua' jam felicilas aperuU. Insliu- inenla ills explicandic iiequitiie desunt. Sic tulo serpcns tliam pesifija Iraclalur, dum Hgel fiigore; non desunt tune illi venena, sed lorpenl. Multoium cnidelitas, et aiiibitio, el luxurla, ut paria pessiniis aiidial, fortuna," favore deficinir. Eadeni \€lle eus eogiiosces; da pusse , qii::ntum volunt. ^leininisti , quum ([nenid ini ariirniaies esse in Ina potestale, d xisse me, vola.iiuni e.>se ::c lè- vent; el te non pedem ejus tenere, se^l p ■[inaïuV Menli- lussiim; l'iumi IcneWatur. quani reuiisit, et fuBil. Scis quos pi)»!ea lihi exhihurrit ludos, quani niuita in capiit «uum casura tentaverit? Non videiiat se ]kv alioruni pe- ricula in snum ruere; non cogilab„li;uani oncrosa esseut qiiiD petehil , e ianisi snpervacna non esscn.'. tluc ilaque in bis , qu>T affee.tiuims , i.d qua laborc magno coiitendinius . iu$pic«redel}emus, aut nihil in illit conniiodl esse, aul plus incommodi. Qusdain superva- eua suiit; quœdain lunli non sunl. Sed hiEc non provi- demusj ei graluiia nobis videutur, qna; carissime con- stant. 1£\ eo licet slupoi' nosler ap|>areat, quod ea sola pulauiiisemi, pro quibuspecuuiani solvimus; etgratu'U vocanius, j ro qii bus nos ipsos ini|>endiinns. Qi a! emere niillemus, si domus nubis nos ra pro i lis esset danda , à aniTnuni nliquod rructuosumve prapdiiim; ad ea parali»- simi sunius perveuirc cum si lliciuiilin:', cuin pcriculo, cnni jaetura pudoris, el libertalis, «t teinpoii-. Adeo ni- hil est cuique se viliiis ! Idem i aque ni omnibus consitii* reliusque faciamus , qii'id .••oIcmMs facere, quoliesad in- .'li.oriin alirnjus niercis accessiuius; vide::iiius , hoc, quod concnpisriiiuis, quanti deferalur. Siepc maiimum pre.iiim est, pri que nulliiin dalur. Mul:a po^sum libi osteudere, que , aciuisila arcei'laqne, libcrlalem noliil eitorseruiit; noslri essenins, si isa uosira non essenl. Ila-c erpo ticum ipse \ersa, non solam ubi de ineitK menlo agetur, sed clam ubi de jacfura. Hoc perituruiir est?ne!iipe a.lvenliiiimi fuit; Inni facile s'iie is!o ^iiei, quam vitisli. Si diu illud iiabuisli , perdis postquaoi satin- ÉP1TKI:S A LUCILIUS. o»7 longtemps, vous le perdez quand vous en êtes soûl; s'il n'y a pas longlem[is, vous le perdez avant que d'y cire accoutumé. Si vous avez moins de biens, vous aurez moins de crédit, vous aurez moins de soins; .'i vous avez moins de crédit, vous aurez nsoins d'envieux Considérez bien toutes les choses dont la perle nous tire des larmes et nous trouble le sens; vous trouverez que ce iiiii nous afflige n'est pas lant ce que nous perdons (jue ce que nous Cl oyons avilir perdu. Personne ne sent Lu perle que dans son imagination. Celui qui se possède ne peut rien perdre, mais il y en a bien peu qui se sachent posséder. EPITRE XLIll. Il faut vivre eu particulier conjme l'on Terait en public. Vous me demandez comment j'ai su et qui m'a pu dire votre dessein, que vous n'avez découvert a personne? C'est le bruit commun, qui est bien savant. Eh quoi ! direz-vous, mon nom est-il assez considérable pour pouvoir faire du bruit? Il ne faut pas que vous vous mesuriez sur ce lieu-ci, mais sur celui où vous êtes. Tout ce qui surpasse en grandeur ce qui est proche de soi , n'est grand (ju'au lieu nù il le surpasse; car la grandeur n'a rien de limité ; la comparaison lélcvc ou l'abaisse. Un vaisseau, qui parait grand sur une rivière, serait tort petit en pleino nier. Un gouvernail, qui est grand pour un navire, serait petit pour un autre. Vous êtes grand au lieu où vous com- mandez, quoi que vous en puissiez dire; on de- mande et on .sait tout ce que vous faites, ce qu'on vous sert, comment vous avez passe la nuit. Cela vous doit obliger à vivre plus régulière- ment. Vous aurez raison de vous estimer heureux lorsque vous pourrez vivre en public , et que vo- tre mai.scm ne servira qu'à vous couvrir contre la saison , et non pas 'a vous cacher : quoique la plu- part s'imaginent que les maisons sont faites plu- tôt |)our la connnoililé des vices que pour la sû- reté lies peiscinncs. Je vais vous dire une chose qui vous fera jujicr de la corrupiinn de nos mœurs. A peine trouverez-v(uis un homme qui puisse vivre a porte ouverte. Ce n'est point par faste , mai» par précaution que l'on a établi des portiers ; car nous vivons de manière que c'est êire surpris que d'être vu sans avoir été averti. Mais que sert- il de se cacher et d'éviter les yeux et les oreilles des hommes? Une bonne conscience est bien aise de paraître en public; une mauvaise porte son trouble et sa déliance jusque dans le désert. Si vos actions sont honnêtes, que tout le monde les sache ; si elles sont vicii'Uses , qu'importe que per- sonne ne les sache , puisque vom Icssavtz? Oh ! que vous êtes malheureux si vous méprisez un tel témoin 1 ÉPITUE XLIV. La philoiopbie ne considère iHiint reilraclion. — La no- blesse >ieol de la vcrlii. Vous vous faites encore petit , et vous dilcs que la nature ni la fortune ne vous ont pas traité fa- vorablement; mais c'est il tort, puisqu'il est en votre pouvoir de vous tirer de la poiuil.icc et de monter au plus haut degré de la félicité. La (ihilo- tiue.s; si iiKii diii, furdin aotrqurim ussiiesc.is. Prcaniain minorpin tiabebis? iiciiipe et niolestiani ; firaliani niino- rcm? ncmtK! et iuvidiaiii. Circunispicc isia, (|ua; nos •gunt iii iiianiani , cpia; ruiii plurimis lacryniis aniitii- ■us; ! iiiqiiis : lanlus tain, ut posslm eicitare nuiinreni? — Non est ipioavis . ipia- in fiuniine niaena rsl , in mari pai\iila esl : cobeinacnliiin. qoo I alteri nnvi mapiiuiii est , allrii rsiiiuuin est. Tu nniic !■ pnniiicia , hcet con'.eninas ip>c U- , niagiiiis rs; quid agai, queinadmodiini c(i-nc», quemadnioduin iluroiiis. quiiTitur, scitur. En lilii ciiliKCiilius vi\endiiiii esl. Tune aulcni leliceui esse te judica, iiiiuui poleris lu publieo vi- verc, quuinlc parieles lui liRiiil . nouabseondecit; (juiis plerinnque tiicuunlatos iioliis juilicainus, i ut tutiua \ivaHius, sed ul peeteniiis occulous. Kein ditaiu , ex qua mores e»islinies nosUos; \ii quiiuipiajii iinenies, qui possil apiilo osliii \i\i're. Jaiiilures coustientia nosira, niMi supciliia . opposiiil. Sic vixiiuus.ul deprebiiidi sit subito aspici. Quid aulein prodosl n eoiidere se , cl ocu- los buminuni auics.pie vilare? Itiiua tunscieiilia lurliam advocal ; uiaUi cliaui.i:i sobludineaiixia alipie sollieiia est. Si lionesla siinl qua- facis , omiies s( iaiil ; »i luipia , quid relerl ncuiinem »ciic , eatam ^itam oplent? quod instrumenta ejus pro ipsa habent, et illam , dum peinnt , fuginut. Nam , quum summa beatae \H:e sit solida sccurilas et ejns inconcassa tiducia , sollici- tudinis colligunt causas , et per insidiosum iter vitae non tantum ferunt sarclnas, sed traliunt. Ita loogiusab effectu ejns quod petunt, semper abscedunt, et, quo plus opéra» impenderunt, hoc se magis impediunt, et feruntur rétro. Quod evenit in labyrinthe properantibns ; ip(a illos vélo, citas implicat. Yale. ÉPITRES A LUCILIUS. S9!) EPITR1£ XLV. On perd trop de temps dans la chienne de Iccoie. — II est pins dangereux d'être trompé par les choses que par les parulis. Vous vous plaiiincz que vous avez disclle de livres au lieu où vous êtes. Il importe plus d'en avoir de bons que d'en avoir beaucitup ; car la leclured'un livre particulier est prolilable, el celle de plusieurs livres n'est simpleioeiit que diveilis- santc. Celui ijui veut arrivcrau lieu qu'il s'est pro- posé doit suivre un luêiiic cliemin , sans eu tenir plusieurs; car ce serait ()lutôt s'égarer que che- miner. Vous me direz : «J'aimerais mieux que \ous me donnassiez des livres que des conseils. » Pour iniii , je suis prêt "a vous envoyer tous les livres que j'ai, même h vider ma Libliotliéque. Je nie rendrais aussi Ircsvdlonliers auprès de vous, et j'enlre()ren(irais ce voyage, nonobstant ma vieil- le^se, sans appréhender le détroit fabuleux de Scylla , ni le gouffre de Cbarybde , si je ne savais que le temps de votre commission flnira bientôt. Je passerais de granil cœur le tnijel 'a voile, même il la nage , pour pouvoir vous embrasser, el pour apprendre, par vidre conversation, combien vo- tre âme s'est fnrlifiéc. Au reste , je ne présume pas être éloquent parce que vous me demandez mes livres, comme je ne croirais pas être brau si vous demandiez mon por- trait. Jesais que cela se fait parbonté et non pas par csiinie , et que si c'e>l par estime , vous avez été surpris par voire bonté. Mais, quels que mes livres soient , je vous prie de les lire comme venant d'un homme qui clicrclic opiniâtrement la vérité , la- quelle il n'a pas encore trouvée; car je ne me suis assujetti 'a personne, et je ne m'autorise du nom de personne. Ce n'est pas que je ne défère beau- coup au sentiment de ces grands personnages; mais je donne aussi quelque chose au mien. Car ils nous ont laissé 'a chercher des choses qu'ils n'ont pas trouvées, et possible, eussent-ils trouvé les nécessaires, s'ils ne se fusscut point amusés aux inuliles. Ils ont conunié beaucoup de lenipsdans la chicane des mois, et des disputes capricieuses" qui ne consistent qu'en de vaines subtilités. Nou^ formons des difllcullés, et nous choisissons des pa- roles "a double sens, puis nous eu donnons la sn- lution , comme si nous avions de la vie de reste el que nous sussions iléjii coiimie il faut mourir. Nous devons appliquer tout noire esprit ii nous raedre dans un étal "a ne plus être trompés par les choses; les paroles n'iinportent guère. Qu'ai-je à faire que vous me distinguiez des termes équivo- <|nes, dont persmine n'a jamais été embarrassé irions auparavant, nos vœux se combat- tent, nos desseins sont opposés. Combien la flal- terie ressemhle-t-elle à l'amitié? liUe ne l'iuiitc pas seulement, elle la passe encore, et descend dans le Cd'Ur par les oreilles, qui lui sont toujours ouvertes, se rendant agréable par la blessure même qu'elle fait. Apprenez-moi "a démêler cette fausse ressem- blance. Un ennemi flatteur vient "a moi sous l'ap- parence d'un vérilable ami; les vices s'insinuent sous le nom des vertus; la témérité se couvre du EPISTOLA XLV. DE Tint DIlLECnCOHVn SGBTILITITE. Librorum istic Inopiam e.sse qiiercris. Won refcrt quam niultos, sed qu:ni bonos hiibcas; lectio certa prodest , varia délectai: (jui.qu.) des inaïit , pervcnirc vult, unam sequatur viani., non per niullas vagetur; non ire islud , »ed errare est. — Vellcm , in(|uis , magis libros niihi quam cousiliuin dares. — Ego vero quosi unique habeo, inlltire paraïus buni , et lotum horrcuin exculere ; me quoque isto, si pijssem, transTerrem, et, nisi mature te Piiem (ifficii sperarem imprtriiturum , hanc scnilem expeditio- uem indiiissem mihi ; nec me Cliaryldis, et Scjlla, et fabulosura islud frclum detcrrere potuissent. Tran>na- tassem i.sta, non soluni trajecissem, dunimoilo te com- plecli possem , el prssens sstimare quantum animn cre- \ ls»C». Caeterum quod libros mec» tibi niitti desideras, non niagi» idco me discHum paie , quam formosum pularem, (i iraaginem nieam peteres. Indulgentix srio istud esse , non judicii; et , si modo judicii est , indulgentia tibi im- pocuit. Sed qualcscumqnesunt.tnillos tic lege , tin ;ujm verum quaerani , adhuc non sciam . et contumacller quac- ram. Non enim mecuiquam emancipavi; nullius nomen fcro; nmlium magnorum vinirum judicio credo, aliquid et ineo vin ico. ISam ITi qnm|ue non inventa, sed qua;- reuda nobis reliquenint; cl invenisscnl rursitan netessa- ria, nisi et superv.icun quii'sissi'nt. Multum illis lemporis verborum ca\illalio cripiiii ; cap.ioss di>put.'itl()nes , qua: acuiiien irritum exercent. Neclimus midos, dambiguam signincatiiinem vcrliis illiganiiis, ac deinde diss:il\inms. Tautuin nobis vacai? Jaui vivcre,]aiii uiori scimu5?Tota illo mente pcrgcndiim isl, id)i proùderi debel, ne rcs nos, non verba, d cipiaut. Quid niihl vorum similitudi- nrs dislinguis, quibus nenio uuqiiarn, ni»i duin dispu- tât, captiis est ? Iles fallunt : illas discerne ! Pio Imuis niala amplectimur; oplanius contra id (;uod optavinins; pug- nanl vota nostra cum votis , consilia cuni consiliis. Adu- latlu quam similis est aniiritliel noniiniiatur t^mtnni illam, sed vincit. el pra'teril ; apcitis <;qiiiieniiii nniiiinc po;ius svj)lihmttlii appel- le ni ? n.'C iRUGi-. u,i nocciit . ;•. c sciciitcui iii\aut. Si vis 11 ique veibiinini aiiil)iguilalcs didiiceri>, lioc nos doce, beatiini non cuni e^se, qiuni ndtjas appellat. ad queni pcc'iiniM magna cnit telurn norentssiiiiuiii \i n:a\iuiaiului'&it, piiiigll,nonvulnerat, et hoc rarii. Nnni ratera ejus tela, (piibiis geaus biiinaDuin dcbellalur, giMUdinis more dissultanl, qiia>, iociissa tr.clis, sine iilli> lialiitatoris incommiidocrepilatacsolvilur. Qiiid niedeli- nos in eo, queiii tu ipsc pseitdomenon appcllas, de qui) tanluui libroruui coniposituni est? Ecce to:a inilii vita m. utitur ; banc coargue ! liane ad verum , si acutus ts , rcilige! Necessaria judicat, quorum magnn pars superva- cua est; cliiini ,qua! non est supervacua, nibil in se mo- menli habetin hoc, ut possil fortunatum bciilunique pia'- starc. ISon enim statim bonum est , si (|uid necessariuiii est; aut piojicimus boiiiim, si bue noinea pani aui (lo- lentiL' damus , et ca>tcri$ sine quil>u.s vita non ducilur. Quod t>ouuin est, ulique nccessarium est ; quod nccess;i- riuni est, non ulique bonnni est; qiiooiam qiiideiu iie- cessaiia sunt quapdam , eadeni viiissira i. Keaio usque co di;.'iiit3lcm tioni ignorât , iit iltud ad lia>c in dieni iititia dt'niit:at. Quid eigo? non eo potins curani transfères , ut osendas iminibus, mamiu teoiporis impeiidio qui ri su- pnvacua ; et niiiltos trans'sse vilam, dum Tin instrn- ineiila c.cnquiiunl? Rccognoscesingulos, considéra uni- V( l'sos; nirlius iiun vila spécial io craslinum. Quid \a bnc i:p)tres a lucii.ils. 601 car ils no vivoni pns: mais ils regardent coiiinient ils vivront, et reuifiicni tout a l'avenir. Quand nous y prendrions garde de près, la vie ne laisse- rait pas de s'enfuir ; mais, parce que nous n'y son- geons pas, clle's'cnvole comme si nous n'y avions pas de pari, et, se consumant chaque jour, elle se termine enfin au dernier. Mais, pour ne point passer les bornes d'une lettre, qui ne doit pas char- ger la main de celui qui la lil, je remellrai 'a un ! aulie jour cette dispute contre les dialecticiens chicaneurs, qui nient le pour et le contre, et sont toujours prêts 'a dire': Ce n'est pas ceci, ce n'est pas ci'l:i. ÉPITRE XLVI. Quan I un veut écrire, il faut clioi&ir uue matière ample et fenilc. J'ai reçu le livre que vous m'aviez promis, et, l'ayant ouvert pour en faire I essai , et le lire après à ma commudilc, il me plut et m'engagea d'aller plus avant. C'est vous marquer assez l'estime que j'en dois faire, que de vous dire <|ueje1'ai trouve court, encore ()ue par la grosseur on puisse juger qu'il n'est ni de volie temps ni du mien. Car on le prendrait d'al>ord pour un ouvrage de Tite-Livo ou d'Kpicure. linlin , il me charma de telle façoif, que, sans pouvoir différer d'un moment, je le lus entier. La nuit venait, la faim me pressait, la pluie me menaçait, et avec cela je ne laissai pas d'en venir'a bi)ut. J'y ai trouvé non-seulement du plai- sir, mais encore de la joie. Combien l'auteur a-t-il d'esprit et de forcel Je dirais coml)ien d'impcluo- sité, s'il entrecoupait quelquefois, et si, s'arrêtant. il s'élevait ensuite par intervalles! Mais son ca- ractère n'est pas tant d'êtie impétueux qued'avoir un mouvement réglé; de ne dire rien que de mâle, que de fort, et, pour ainsi dire, que de saint, où, toutefois , la douceur et la délicatesse se trouvent mêlées fort adroitement et fort h propos. Il est grand, il est droit; mais je veux que vous sachiez que son sujet y a contribué quehiue clicsc. C'est pourquoi l'on doit toujours choisir une matière ample et fertile, afin qu'elle puisse remplir et émouvoir l'esprit de l'auteur. Je vous écrirai plus au long de votre livre quand je l'aurai revu ; car, pour 11! présent, je n'en saurais juger que comme si je l'avais ouï lire , et non pas comme l'ayant lu moi-môme. Permettez-moi de l'examiner, je vous en dirai la vérité. Oh! que vous êtes heureux de n'avoir rien qui puisse obliger personne de vous mentir de loin, si ce n'est que l'on ment encore par habitude quand on n'a plus sujet de mentir! EPITRE XLVll. Il faut traiter bon.iélcroent vos serviteurs. J'ai été bien aise d'apprendre , par ceux qui viennent de votre part, que vous vivez familière- ment avec vos serviteurs ; cela est digne d'un homme sage et savant connue vous êtes. Ou dira : Quoi? ce sont des esclaves ; mais ils sont hommes, ils sont nos donu'sti(|ues. Ce sont des esclaves; mais ce sont des amis respectueux , et ce sont nos compagnons, si vous considérez que nous sonunes également sujets au pouvoir de la fortune. C est pour(|uoi je me ris de ceux qui tieuuent qu'il tit mali , qnaeris? Inflnitiim! non enim vivunt, sed vic- lori suot ; nninia diffcrunt. Edam si altenderemus , tanien DOS vita prîFCurrcrel ; niMic vit» cunctantes, quasi aliéna, Iranscurrit, et .ultimo die nnltiir, onini périt. Sed ne epistoix mndiim excedam , <|(ia! non del)et sliilstram ma- num legeniis iinplerc, inalinm dienihaDC lltem cuin dia- lecticis differain , niiiiium subtilibus , et boc tolum corao- til)iis , non et hoc. Vale. EPISTOLA XLVI. De LIIIO LCaLlI , PBILUSOPillCO UT VIDETUl , JCDICAT , LID- DiTQUe EUS. I.ilirum tnuni, quem mibi promiseras, accepi , et, taujuaip lectunis ex commodo , adaperui ac tantiim de- gusiarc volui. Deinde blanditus est ipse , ut procederem lungiut; qui qiiani diserlus fucrit , ex boc iotelligas licel; bruvis rnihi tIsus est, quumesset ncc mei , nec luicorpo- ris, sed qui primo aspectu autT. Livii, aul Epicuri posset videri; taula autem dulcedine me teiiuil et traiit , ut illum sioe ulla dilalione perlcgeiem. Sol me infital>at, famés ■dmoaebat, nubes miDaljanlur; tamen exhausi totum. Nnn butuiii deleclatiis, sed gavisus sum. Qnid ingenii iste babuit , quid animi ! dicerem , quid inipctus ! si inlerquie- visset, si inlervallo surrexissel. Nunc non fuit iiiipetus, sed ténor; compositio viriiis et sancla. ISihilomiims in- ttrveoietiat dulce illud , et locn leue. (îrandis, erectus es; hoc te Tolo leiiere , sic ire. Fccit aliquid et materia ; idoo eligenda est fertilis, quie capiat ingenium , qux> incitet. De libro tuo plura scribaui , quuni illuiu relraclavero ; nunc paruni niibi sedit judieiuui, tauquam audii^rim illa, non legerim. Siue me et inquirere. tSon est quod \erea- ris; venini audies. G le bommem felicem, quud nibil ba- bes,prupter quud quisquam tibi lam longe meiitiiilur I nisi quod jam , eliam ule songes-lu pas que celui que lu appelles ton esclave tire son origine d'une semblable semence , qu'il jouit du même ciel, qu'il respire le même air, qu'il vit et meurt de môme que loi? Tu le peux voir aussitôt libre qu'il te peut voir esclave. En la défaite de Varus combien la fortune renversa-t-elle de jeunes gens sortis de bonne maison , qui s'c- taieiil enrôlés pour mériter le degré de sénateur ! Elle en fil : l'un berger, l'autre portier. Après cela , méprisez , si vous voulez , une personne réduite à la condition où vous pouvez tomber. Je ue veux point me jeter dans un cbamp qui serait trop vaste , et traiter de l'usage que l'on doit faire des serviteurs , envers lesquels certainement nous nous montrons trop arrogants, injurieux et cruels : je dirai pourtant mon avis en deux mots. Vivez avec voire inférieur comme vous voudriez que votre supérieur vécût avec vous. Toutes les fois que vous songerez combien de pouvoir vous avez sur voire scrvileur, songez aussi que votre maître en a autant sur vous. — Mais, direz-vous, je n'ai point de maître. — Vous êlesencore jeune, vous en aurez peut-être quelque jour. Ne savez-vous point à quel âge Hécube , Crésus , la mère de Darius , Platon et Diogcne furent esclaves? Vivez douce- ment avec votre serviteur, parlez, conférez et mangez avec lui. C'est ici où loute la troupe des délicats s'écriera contre moi : Il n'y a rien, dironl- il.s , coiKhision d'un principe véritable, Je ne pouvais discerner ce que je dois fuir d'avec ce que j(? dois désirer. J'ai bonle qu''a l'âge où nous sommes nous badi- nions ainsi dans une matière si sérieuse. Le rat est une syllabe ; or, le rat mange le fromage : donc la syllabe mange le fromage. Supposé que je ne puisse pas démêler cela , quel mal ou quelle in- commodité m'en arrivera- t-il? Est-il à craindre que je ne prenne quelquefois des syllabes dans la ratière , ou que la syllabe ne mange le fromage, à moins que je n'y prenne garde?' Cet argument, peut-être, sera plus subtil : le rat est une syllabe; mais la syllabe ne mange point le fromage : donc le rat ne mange point le fromage. 0 sottises pué- riles I Faut-il, pour les apprendre, se fronceb le sourcil et se laisser croître la barbe? Faut-il les enseigner avec un visage pâle et mélancolique? Voulez-vous savoir ce que la philosophie pro- met "a tout le genre humain? de bons avis. L'un est pressé de la pauvreté; l'autre est tourmenté par ses richesses ou parcelles d'autrui; celui-ci se dépite contre sa mauvaise fortune ; celui-là vou- drait bien se dégager des embarras qu'apporle la prospérité; qui se plaint des hommes, qui des dieux. Pourquoi me ()ro|iosez-vous ces Iwga- telles? Vous avez promis du secours à ceux qui ont fait naufrage, qui sont captifs, malades , pau- vres , et qui sont près de porter leur tête sur un écliafaud ; où vous égarez-vous? Que faites-vous? Cet homme tremble , avec lequel vous vous jouez ainsi par des syllogismes. Si vous avez plus d'élo- quence que les autres, employez-la pour soulager (les affligés qui voient la mort si prochaine. Ou vous tend les mains de lonles [larls. Ceux qui se sont perdus, et ceux qui craignent de se perdre par leur mauvaise conduite implorent votre as- sistance ; vous êtes tout leur espoir et leur asile ; ils (len)andent que vous les reliriez d'un si ^rand embarras, et que, pour redresser leurs égare- adiersi : in mmmiine vitiliir. iSi-c potest quisquam lieate drgere, qui se Iiintiiin intucinr, qui omnla art utilitates «lia» coDïerlitj akeri ïivasoportit, si vis tilii vivere. Haec «iciclas (lilificnter i-t .saiiclc ol>.sorvata , quse nos omncs onrnibns niisret , et jiiilic.1t aliquod esse commune jus ge- ncris himinni , plurimuni ad illain quoque, de qua loque- liar, intcriireiii societaleni amicilia; (nlfnd.m proticil. Omnia ciiim ciini amico cciiimunia baliebit , qui multa cum honiine. lioc, Liicili, Tirorum oplime, mihi ab Utis sublililms prscipi malo, quid amico praslare debeani, quid lio- mini , quam quot niodis amicus diciilur , et homo quam milita signillcel. In di?ersum, ecce, sapienlia ctstiillilia discidimt : cui acicdo? in ulram ire parlera julies? llli homo pri) amico est , huic amicus est pro lioniine : ille aniicum dlii parai , hic se amico. Tu niitii verba dislor- quc», et sylliibin digcris. Sciiicet, aisi inlcrrogaliones Taferi'imas struiero, et conclusior.e falsa a vero nascens mendaciiim.-ia'riDxero, non polero a fugiendis pclenda tecernerel Pudet me, in re lani «tria scncs ludinius. ' Mu» syllaba e«l ; mus aulem raseuiii rodit : sjllal>a ergo cascuni rodii. » Puli uunc, me istud non posie solverc; quod mihi ei ista inscientia |>ericulum imminel ? quoi in- coniMioduni ? Sine dubio vcrenduni est, ne quando in muscipula sjllab.is capiiim , aut ne quando , si ncglitien- tior fuero, ci^scum liber comedat. Nisi forle illa acutior est collectiu : 1 Mus sjllaba est; s}llaba aûteni caseum non rodit : nms ergo ca>cuni non rddil. » O puérile» ineptias I iii hoc supercilia sid)duiimus? in lioc harbam deiiiisinius? hoc est qiu;d tristes docenius et pallidi? Vis scire, quid philosopliia prumiltat generi bumano? Consilium ! Alium mors vocal; aliuni paupirlasurit; aliuni diïiliae ïel aliéna- torquent , vcl siia? ; illc malam forlunam borret, bic se felicilali su;e subduccre cupit ; hune homi- ni's maie balicnt, illum Dii. Quid mihi lusoria ista com- poiiisV non est jocandi lociis : ad niiseros advocatus es. Opem laturu M te naufr.igis , captis, a'gris, egontilius, intenEe securi sul)jeclum pra-slaiitibus capul, pollicilu» es : quo diverleris? quid iigi« ? Ilic, cum quo liidis, ti- m»-t. Succurre , quidquid loqueiili, respondenlin pccni» omnes. Undique ad te manus tendunt, perdila; vitaî pe- litiira-que auxilium aliquod implorant ; in te spes ope»., que sont ; rogant , ut ex lanta illos volulatinne cxtrahas , ul disjectis et err:m:ilias clarum veritalis lumen osîendas. (]06 SÉNÈQUE. nients, vous leur montriez le flambeau de la vé- rité. Apprenez-leur ce que la nature a rendu né- cessaire, et ce qui est superflu , combien ses lois sont aisées , et la vie de ceux qui les suivent agréa- ble et libre; au contraire, combien est grand le cbagrin et la peine de tous ceux qui défèrent plus a l'opinion qu'à la nature ; en un mot, ce qui peut éteindre ou modérer leurs passions. Encore si ces dispulesétaient seulement inutiles; mais elles sont nuisibles; je vous le ferai voir clairement quand il vous plaira, et qu'un naturel généreux et fort s'allère et s'affaiblit dans l'exercice de ces vaines subtilités. J'aurais honle de dire comment ils préparent ôeux qui ont à combattre contre la forlune, et quelles armes ils leur donnent. Voila bien le moyen d'acquérir le souverain bien ! On ne trouve chez eux que des exceptions et des chicanes qui seraient même infâmes en la personne d'un plaideur. Car, que failes-vous autre chose, quand vous trompez à escient ceux que vous interrogez, que de leur faire croire qu'ils sont convaincus par les formes? Mais, comme le préteur relève des formalités, aussi la philosophie remet en entier ceux que vous avez surpris. Pourquoi , après m'avoir promis si solennellement que vous feriez en sorte que le brillant de l'or, ni la lueur d'une épée ne me cau- serait aucune émoliiin, et que je mépriserais har- dimeni tout ce qui est désiré ou redouté des hom- mes, vous réduisez- vous aux éléments de la grammaire? Que dites- vous? Est-ce ainsi que l'on monte au ciel? Car la philosophie me pi omet de me rendre pareil à Dieu : je suis invité, je suis venu pour ce sujet, tenez votre promesse. C'ett pourquoi , mon cher Lucile , défaites-vous de ces exceptions et de ces prescriptions de sophistes. La bonté doit être simple et ouverte. Quand il nous resterait encore beaucoup de temps 'a vivre, il faudrait le ménager pour apprendre les choses nécessaires; et maintenant qu'il nous en reste si peu, n'est-ce pas une folie d'apprendre des choses qui sont inutiles? ÉPITRE XLIX. La vie est courte, le temps passe »ite. —II est booteux d'ea consumer une partie en questions inutiles. C'est être, 'a mon avis, bien négligent, mon cher Lucile, que de ne se pas souvenir d'un ami , si la rencontre de quelque pays ne le remet en mémoire. Ce n'est pas que les lieux où nous avons conversé avec les personnes (|ue nous aimons ne réveillent quelquefois le désir que nous avions de les revoir; car le souvenir n'en était pas perdu, il n'était qu'endormi. De même que quand on pleure un défunt, la douleur que le temps avait adoucie se renouvelle à la vue de son serviteur, de sa robe ou de sa maison ; vous ne sauriez croire combien la campagne de Rome , et surtout Naples, où j'ai vu vos amis les Pompée , a renouvelé le chagrin que j'ai de ne vous plus voir. Vous êtes pourtant toujours présent ii mes yeux , et dans l'état où je vous laissai quand je partis d'auprès de vous. Je vous vois encore baigné de vos larmes, et cédant aux transports de votre affection que vous tâchiez de retenir ; il me semble qu'il n'y a rien Die, quid natura necessarium fecerit , quid supervacnum; quam faciles leges posuerit; quam jucunda sit vlta, quam eipedila , illam seqiientibus; quam acerba ot implicila «orum , qui opinioni plus quam naturœ crediderunt; si prius docueris , qux paitem malorum levatura sunt, quid istorum cupidilates demat , quid temperet. Utinam tautum non prodessent ! nocent. Hoc lihi , quum voles , manifes- tissinium faciam , et comminui et debilitari penerosam indolem in islas argutias conjeclam. Pudet dicere , contra fortunam mililaturis qux porrlgant tcla , quemadmodum illos suliornent. Ilac ad summum bonnm itiir? Per islud philosophiaî sunt nigrae et turpes infamesque , eliani ad album sedentibus , excepliones. Quid enim aliud agilis , quum eum , queni interrogalis , scienles in fraudem indu- cilis.quam ut formula cccidisse videatnr? Sed quem;id- nvodum illos Prastor, sicbos philosopbia in integrum res- tltuil. Quid disccditis ab ingeritibus promissis, et, grandia locutl , » effectuios vos, ut non magis auri fulgor , quam gladli , perstringat oculos mcos ; ut ingenli constantla, et t, quam recens desiderium tuifeccril. Totus mihi lu oculis es , quum maiime a te discedo : vi- deo lacrymas combil)entem , et affeciihustuis inler ipsnm cotrcitionenieieuDlibus non salis resistentem. Moiloymi- sisse te videor. Quid enim non modo est, si reccrderis? modoapud ÉPITIIES A LUCILILS. G07 qne je vous ai perdu. Mais ce rien , de quoi ne se peut-il pas dire? S'il vous en souvient, il n'y a rien que j'étais tout jeune 'a l'école de Solion le philosophe; il n'yarienqueje plaidais ;ui barreau; il n'y a rien que j'ai cessé de le faire ; il n'y a rien que je suis hors d'état de le pouvoir faire. Le temps passe iofiniroeiit vite; on s'en aper- çoit mieux quand on regarde derrière soi ; car le présent échappe 'a ceux qui le veulent considérer, tant sa fuite est légère. Voiilez-vous en savoir la raison? C'est que tous les temps qui sont passés se réduisent en un même lieu, et sont joints en- semble; on les comprend d'une seule idée; en- suite tout s'abime dans l'oubli! D'ailleurs, une chose si courte ne peut pas avoir de longs inter- valles. Notre vie ne dure qu'un moment, et en- core moins qu'un moment; mais la naiure, en divisant ce moment, lui a donné l'apparcnced'une plus longue durée. Elle en a fait l'enfance, l'ado- lescence, l'âge viril, et de celui (|ui tombe dans h vieillesse, elle en a fait la vieillesse niênie. Onn- bien do degrés en un si petit espace ! J'élais naguè- re en votre compagnie , et toutefois ce nagucrc- Pa fait une bonne portion de notre vie; songeons qu'étant si courte, elle ne peut pas avoir une lin bieu éloignée. H ne me semblait pas autrefois que le temps passatsi vile; je reconnais à présent que sa précipitation est incroyable , ou parce que je sens approcher mon terme , ou parce que je com- mence à prendre garde au temps que je perds, et à le compter. C'est ce qui me donne plus d'indi- gnation contre ces gens qui prodiguent, en des choses subtiles , la meilleure partie du temps qui ne suflirai^ pas quand il serait employé tout entier pour les choses nécessaires. Cicéron disait que quand on doublerait le temps de sa vie , il n'en aurait pas assez pour lire les poè- tes lyriques. On en peut dire autant des auteurs de dialecli(|ue ; mais ceux-ci sont refrogués et sé- rieux , s'imaginanl faire quelque chose de consi- dérable ; les autres font seulement profession de badiner. Je ne dis pas qu'on ne les regarde, pourvu qu'on les regarde seulement, et qu'on les salue de loin , aûn que l'on ne nous trompe point en nous faisant accroire qu'ils ont quelque chose de bon que tout le monde ne connaît pas. Pourquoi se tourmenter sur une question , lorsqu'il y a plus d'esprit à la négliger qu"a la résoudre? Celui qui est en repos et qui peut partir a sa commodité, a loisir de chercher ses menues bardes ; mais quand on a l'ennemi 'a dos et qu'il faut déloger 'a la hâte, on laisse, par nécessité, beaucoup de choses en arrière, qu'on aurait ramassées 'a son aise durant la paix. Je n'ai pas le temps d'éplucher des mots "a double sens , ni d'éprouver, par ces bagatelles, la subtilité de mon esprit. Conil)ien de gens armés courent sur les remparts , Kl cumbieu à la porte on voit luire de dards 1 Il faut que je me dispose 'a entendre sans peur le bruit de guerre qui éclate de tous côtés. Je pas- serais pour insensé, si, tandis que les femmes et les vieillards porlent des pierres pour réparer la brèche, tandis que la jeunesse demeure sous les armes, attendant ou demandant l'ordre pour faire une sortie , landisque les ennemis s'avancent pour forcer la porte, et que la terre, toute percée de raines, tremble sons les pieds; si, dis-je , je de- meurais assis, et proposais des questions de cette nature. Ce que vous n'avez pas perdu, vous l'avez; SotioDem philosophnm puer tedi ; modo cansas agere cœpl; mododesii Telle agere; modo de&ii posse. Infîoila est velocitas temporis , qua; magii ap|>aret respicientilius. Mara .-id prxsentia iattntos fallit; adeo pra'cipitis fiigae transltus Icris est. Caiisam buju» rei quicris? quidquid (emporis transiit, eodem loco est; pariler aspicilur, una jaiet; nmnia Inde in profundum cadimt. Etalinqui non po.ssunt longa iotervalla esse in ea re, quac tota lire^is est. Pcincium est.quod vivlmus, et adhuc pnncto miou''; (ed hoc minimnm s()ecie quadam long cris spatii ualura divisii. Aliud ei hoc infanliam fecil, aliud pueritiam , aliud adolesceniiam , aliud iriclinutionrm quaiiidam ab .ndoli'sccutia ad sencdutem, aliud ipsain senecluteni. lu quain aiipusto quot cradus poMiil! .Modo te prosecutus suni ; et lamen lioc modo œlalis nostrie bona portio est , cujus brevitaieiu ali;)uani.'o futuram cogitenius. Non so- iebat milii tani tcIox tempus ïidcri; nunc incredibilis curtus apparel; live quia admoTeri lincas scntio,si?c <|uia iiltendere cœpi et eoniputare damnum ineum. Eo niagis utiqiie indignor, aliquoset hoc lempore (quod tufflcere oc ad necessaria quidem potett, eliamti custo- ditum diligenti^sime fuerit ), in supervacua majorera par- lera erogare. ■ Negat Cicero, si duplicetur tibiaetas, habi- turum seleinj.usiiuoligatLyricos. • Eiidem loco Dialecti- cos.TnstiusiDeptiiunt;illi cxprofessolasciviuut; hi agere seipsosa:ii|uid existiniant.Necego negoprospicienda ista; sed prospii:ienda tanium, et a limine salutanda, in h»c unuiu , ne verh.i noliis deulur, et aliquid in illis esse niagni acsecreli boni judiceiiius.Qiiid te torques et macéras in ea quii'stione, quain sulJtiiiiis est coutcuipsisse, quani sot- ïere?Securi est, et cxcommodo migran.is, minuta con- quirere; quum liosiis instat a tergo, et moiere se jussu» est miles , excutii nécessitas quidquid pax otiosa collegerat. î\on Tacat niilii verba dibie cadeutia conseclari , et va- fritiam lu illis nieani expcriri. Aapice , qui coeaiit poputi , quae raœnia claosis Ferrum acu.iiu porlis !... Magno mibi animn strcpitus iste liclli circurnsonanlis ei- audiendus est. Oeniens omnibus meiito viderer,si, qiuini saxa in munimenlum nuiroruiu senes feinin^que congé rerent, quuiu juTCntusiulra portas armata siguum cnip- lioois eispectaret, aut posceret; quum bostilia ia portii tm or, vous n'avez point perdu de cornes : donc vous avez descornes. Vous pourriezavecaulacit de rai- son dire que j'aurais perdu l"espril , si je m'occu- pais à ces sortes de i fiveries , à pi rseut i|ue je suis assiégé, et que je n'ai point de rempart ([ui me sépare de mon ennemi ; au contraire , lont ce qui me peut nuire est au-dedans de moi , je n'ai pas le loisir de m'arrûlcr à ces sorncties, j'ai une af- faire iraporlanle sur les bras. , Que ferai-jc? La mort me talonne, la vie me quitte , donnez-moi quelque expédient pour faire que je ne fuie point la mort, cl q ue la vie ne s'enfuie point de moi. Inspirez-moi du courage pour sur- monter les difficultés , et de la patience pour sup- porter les maux inévitables. Etendez la brièveté de mes jours; faites-moi voir que le bonbeur de la vie ne consiste pas en sa durée, mais en son usage; qu'il se peut faire, que même il arrive souvent que celui qui a longuement vécu n'a guère vécu. Di- tes-moi , lorsque j'irai coucber : Peul-clre ne vous lèverez-vons jamais. Dites-moi, lorsijue je serai leié : Peut-êlre ne vous coucherez-vous jan)ais ; lorsque je sortirai du logis : l'cul-êtro n'y revien- drez-v(uis plus; et quand je serai revenu : Peut- être n'en sorlirez-vous plus. Vous vous trompez si vous croyez que c'est sur l'eau que la vie se trouve plus proche de la mort; elle en est aussi protlie ailleurs : j'avoue que la mort ne se mon- tre pus ailleurs de si près ; mais elle n'est pas plus éloignée. Chassez ces ténèbres, puis vous m'imprimerez plus aisément ce que je suis dis])Osé d'entendre, ta nature nous a rendus dociles et nous a donné SKNÈQUK. uneraison, qui est imparfaite 'a la vérité, mais qni peut être conduite à sa perfection. Pariez-moi de la justice , de la piété , de la sobriété et de la con- tinence : j'arriverai plus aiséuienl où je veux al- ler, si vous ne me détournez point. Car, comme dit le poète tragique , les paroles de la vérité sont simples et sans fard, il ne faut point les embar- rasser. Certainement il n'y a rien qui convienne moins 'a une âme qui se propose de grands des- seins, que ces subtilités qui licnnentde la ruse et de la linesse. EPITiUi l. Nous imputons ordinairement nos dé auts h des c. «tes étrangères. — L:i ^crtu Cit nu.urellea I ti inun! : il >c peut corriger en tout âge. J'ai reçu votre dernière Icure plusieurs mois après que vous me l'avez envoyée. C'est la r.iisiui pourquoi j'ai cru qu'il serait inutile de ilematider 'a celui qui me l'a rendue ce que vous faisiez ; car il aurait bonne mémoire s'il s'en souvenait. Je cois, toutefois, que vous vivez préseutenient se positum bo- num vita» in spatocjus, sed in usu; pnsse lieri.immo sa;pissimc lieri , ut, (|ui diu vixit, parum vixcrit. Die liiihi dormiluro : Potes non experpisci; die experrecto : Potes non dormir e am|)lius; die exeunti : Potes non rc- verii ; die redeunti : Potes non exire. Erras , si in naviga- (ionelanlum evistimas minimum esse, quo a morlc vila didudlur ; in omni toco a-que tenue interTallum c t. Non ul)i(]ue se morstam prope oslendit; ubique tam prnpe est. Mas teoebras discute; et laciliu-- ea Irades.ad qu;p praeparatus suni. Dociles natura nosedidit, et ralionem dédit imperfectani , sed quae perfici possei. De jusiitia mihi , de pietate disputa , de frugalilate , de pudicilia ulra- que, et illa, oui alieni corporis abstiuenlia est, et b.îC, cui sui cura Si me nolueris per dévia ducere , facilius ad id, quo tendo, perveniam. Nara ut ille ait Tragicus : « Veriiatis simplex oratio est, » idcoque illam implicare nonopporlet : necenim quidquam minus couTenit.quam subdola ista calliditas, aniaiis ciinantibus magna. Vale. EPISTOLA L. PLEBOSQUC SVk TITIA NON VIDEBE : Q11.E SI VIDEÀMUS , KCN- QIllM OESPERiNOi SANÀTIO EST. Epistolam tuam accepi post multos menses , qnam mi- seras; supervacuum itaque putavi, ab eo, qui affcrelial, qiiid ageres , quaerere. Valde enim bonae memoria" est, si meminit; et tamen spero , sic te jamTivere, utuliicum- que eris, sciam quid agas. Qnid enim aliud agas, qu.im ut meliorem te ipse quotidie facias , ut aliquid es errori- lins ponas, ut inteiligas tua vilia esse, qua- putas rerum? Qua?dam enim locis et tem|H)ribus aseribimus; at illa, .|uncnmqnc transierimtrs , seeuhira sont. T! rpaslen. ÉP nu Jis A Vous savez qu'HarpasIe, qui est la folle de ma ] feiniue, est demeurée dans ma maUoa comme une charge héréditaire; car j'ai ualurclleiuent grande aversion pour ces sortes de monstres. Si je désire avoir un fou pour me faire rire, il ne le faut pas chercher loin de moi ; je ris de moi-même. Cette folle a perdu subitement la vue; et je veux vous rapporter, à ce propos , une chose que vous aurez peine à croire, et qui est pourtant véritable. Elle ne sait pas qu'elle est aveugle , elle croit que c'est la maison qui est obscure , et prie son gouverneur de l'en faire déloger. Sachez que ce défaut, qui nous donne matière de rire, nous est commun avec cette folle. Persouiie ne croit être avare ni ambitieux. Les aveugles prennent un guide; mais nous voulons errer sans guide , disant : Je ne suis point ambitieux, mais personne ne peut vivre à Rome autrement ; je ne suis point prodigue , mais la ville oblige 'a faire beaucoup de dépense; ce n'est point ma faute si je suis colère et si ma vie n'est point encore réglée, c'est la jeunesse qui fait cela. Pourquoi nous tromper ainsi nous-mê- mes? Notre mal n'est point hors de nous, il est au dedans de nous et dans le fond de notre cœur; et notre guérison est d'autant pins diflicile que nous ne connaissons pas si nous sommes en effet malades. Quand nous commencerions 'a cette heure à nous faire traiter, combien de temps fuudrait-il pourchasser tant de maladies et d'indispositions? Mais nous ne cherchons pas seulement un méde- cin ; il trouverait , sans doute , moins de dilficultés s'il était appelé au coramencen)enl de la maladie; des âmes encore tendres suivraient celui qui leur LUGILIUS. (m montrerait le droit chemin. Car on n'a peine à re- mettre dans le Irain de la nature que ceux qui l'ont entièrement abandonné. Nous avons honte d'ap- prendre à devenir gens de bien; mais, ô dieux! y a-t-il de la honte athercher un maître pour cela? Il ne faut pas espérer qu'un si grand bien tombe par hasard entre nos mains; il ne s'acquiert que par le travail, lequel , certainement, ne sera pas grand , pourvu que nous ayons soin , comme j'ai dit, de former et de régler nos mœurs, avant qu'elles soient endurcies au mal. Quand elles le seraient même, je n'en désespérerais pas; il n'y a rien dont on ne vienne à bout avec une applica- tion sérieuse et un travail opiniâtre. Ou redresse des chênes qui sont courbés ; on remet au niveau par le moyen de la chaleur, des poutres qui ne sont pas droites, et on leur donne une forme nouvelle pour les laire .servir h noire usage. Condjien est-il plus aisé de plier noire âme, qui est plus obéis- sante que les lii|ueurs mêmes! Car, qu'esi-elle si- non on esprit di.-iposé d'une cerlaine manière? Or, il est clair que l'esprit esld'aulanc plus flexible, qu'il est moMis é|!iiis ([ue pas une aulre matière. C'est pouiijuoi, mon cher Lucile, il n'y a rieu 'a désespérer, quoicjue vous voyiez une personne engagée dans le vice, et po.ssédée de ses passions depuis un long temps. L:i perfection ue vient ja- mais avant le défaut ; nous sommes tous malheu- reusement préoccupés. Il nous faut oublier les vi- ces avant que d'apprendre les vertus : mais, co qui doit nous animer davantage a la réforraalion de nos mœurs , c'est qu'un tel bien , étant une fois acquis , se conserve toujours. La vertu ne s'oublie jamais; les vices qui lui sont contraires viennent nxoris meœ fatuam , scis hereditariuni onus in domo itica rennansi>:-e; ipse eniiii averiis.siiiiusabisliii prudigiis i,uiu : ■iquando fatuo deleclari ïoIo, non est niilii longe ()u;e- reodoi : me ridco. H:vc fatua subito desiit videre. Incre- dibilemlibi narrorera , sed verain ; nescitesse se cxcam ; tubinde pxdagoguni suuni rogat, ut niigrel; ait doinum Digrain et tcaelirosaiu esse. Hoc, quod in illa rideinus, omnibus nobis accidere, lique^it tit>i. Nenio se a>aruni Mse intelligit, nemu cupiduni. Cxci tanien duceiii (jus- mat; nos sine duce errainiis, et diciinus : Non ego ani- biliosiis suni , sed neuio aliter Koinae potest viyere I Non «go sumptuo:>U5 suin , sed Urbs ipsa niagiui impensas eiigil I Nou estmeuiu vitium, quod iracuiidus sum.quod ooodum constitui certum genus Tilœ; adolcscenlia haec facit! Qnid no» decipimus? non est extriosecus malum nos- Irum; inlra no» est, in viscerilius ipsis sedel. Et ideo difTiculter ad sanitatem pervenimus, quia nos aîgrolaie nescimus. Si curari cœperimus, quaodo lot niortws, lantasve a;gritudines disculiemus ? Nunc »ero ne quajri- musquidem medicum; qui minus negotii liaberet, si ad- Jliberetur ad rcccns \iiiuni : scquerentur teneri et nides aiiiiiii recta nion.strantcni. Nenio difflcultcr ad naturaui ruducilur, nisi qui ab illa defi cit. Erul)cscinius discere iMtiiani nicntem ; al, ineherculcs , si tuipe est iiiasislrum liujus ni qu.ereie , illud desiKîninduni est , posse nol)is casu tantuni houuin intliiere : lal)oraiuiuni est! Et, ut verum dicam, ne labor quidcui niagnusest, si modo, utdixi,aute aninmiii ucistrum fiiniiare inceperiums et recorrigere , quam iudurescat pravilas cjus. Sed nec in- duraUmi dcspero : nibil est quod non expugnel perliiiax opéra , cl intenta ac diligens cuia. Kubora in rectum , quamvis Uexa , revocabis ; curvalas Irabes calor ei- plicat, et, aliternatae, in id finguutur, quod usus nos- ter eiigit. Qiunto faciliu» aninms acdpit furmam , llexibils, et onini huniore obscqnenlioi! Quid enim est aliiid auimus, qiiam quodam modo se bubens spiritus? Vides autem lanto spirituni esse faciliiirem onini alia ma- teria , quanto teuuiiir est. Illud , mi Lucili , non est quod le impedi.it, quo minus de nobis benc spercs, quod nialitia jani nos toiiet, quod diu in possessione nostri est. Ad neminein aute bona meus venit, (|uaiir mala; onmcs praeoccupati suums. Virlutcs discere est fitia dedisorre. Sed eu majore animo ad emendaliunem nostri dibenms 59 (ÎIO SËNÈQUE dans une terre étrangère, d'où l'on peut facile- ment les arracher. Il est certain que les choses qui croissent ti.ms un fonds qui leur est naturel y de- meurent tixes et arrêtées. La vertu est selon notre nature; les vies lui sont opposes et ennemis. Mais, comme les vertus qui sont entrées dans une âme n'en surlent plus, et qu'il est aisé de les conserver, il est aussi trés-ilifflcile de faire les pre- miers pas pour les rechercher : car un esprit fai- Lleet languissant craint ordinairement ce qu'il n'a pas éprouvé. C"est la raison pourquoi il fauts'o1)li- ger a commencer une fois. En vérité, la médecine n'est point amere, elie plaît a mesure qu'elle gué- rit. Les autres remèdes ne donnent du plaisir qu'a- près la guérison ; mais la philosophie plaît et gué- rit en même temps. EPURE LI. La qualité du pays où l'on demeure peut amollir ou affermir l.' counge. Vous voyez le mont Gihcl , celle fameuse mon- tagne de Si(ile (comme chacun la peut voir au lieu où vous êtes); je ne sais ponniuoi Messala l'appelle unique, et Vagins aussi (car je l'ai lu chez l'un et cluz l'autre) , vu qu'il y a beaucoup de lii'ux hauls et bas qui jetlent du feu ; cela, toutefois, se voit plus souvent aux emlroils éle- vés, à cause que le feu se |iorle naturellement en haut. Pour moi, je suis satisfait de Bayes auiant ijue jele puis être; j'en parlis le jour d'après (pie j'y fus arrivé ; car c'est un lieu dont le séjour est dangereux a cause qu'il a certaines qualités natu- relles que les délicats ont mises en réputation. Quoi donc ? faut-il attacher sa haine à quelque lieu particulier? Non pas ; mais comme une sorte d'habit sied mieux a un honnête homme que ne ferait un autre, et que, sans halraucune couleur, il choisira celle qu'il estime plus séante a une per- sonne qui fait profession de modestie, il se trouve aussi des lieux que le sage doit éviter comme en- nemis des bonnes mœurs. C'est pourquoi celui qui voudra faire retraite ne s'avisera jamais d'al- ler demeurer à Canope, bien que cette ville-la n'empêche personne de vivre dans l'ordre, il n'ira pas même a Bayes, parce que c'est la retraite des vices. C'est l'a où l'impureté se donne le plus de li- cence, comme si le lieu obligeait a quelque disso- lution. C'est pourquoi nous devons choisir une de- meure qui siiit aussi favorable a la bonté des mœurs qu'il la santé du corps. Comme je ne vou- drais pas me loger dans une place patibulaire, aussi ne pourrai-jc pas demeurer dans des taver- nes et des cabarels. Qu'e^t-il nécessaire de voira tous moments des ivrognes qui courent sur le bord d'un lac? Des gens qui font bonne chère sur des barques? Des concerts de musique qui retentissent de toutes parLs, et tous les excès que la débauche la plus effrénée peut commettre et peut étaler aux yeux des hommes? Nous devons avoir soin d"éloi- puer (le nous tout ce qui peut nous porter au vice, d'endurcir notre âme, et de lui cacher les amor- ces que les voluptés lui présentent. Annibal perdit sa force et son courage dans un quartier d'hiver, et ce grand homme , que les neiges et les difQcul- rccederc, quod semel traditi nobis boni perpétua pnsses- ^io est. Non dcdiscilur virlus. Contraihi enim inala in olieno baerent; idei) expelli et es'urbari possunt : fidelitcf sedent, (pia; in locum suum veniunt. Virtus secundnm naturamest; vilia iniinica et infesta sunt. Sed quemad- modum Tirtutesreceptieesire non possunt, facilisquc ea- rum lulela est; ita initium ad illas eundi arduum; quia h "C priiBum imbecilla; mentis atqiie agras est, formidare inexperta. Ilaqne cogeuda est mens, nt incipiat. Deinde non est acerba medicma ; prolinus enim deicctat, dum «anal. Alioriim remed ornm post sanitatem Toluptas est : Philosophia pariter et salutaris et dulcis est. Vale. EPISTOLA LI. EUOENDDB ESSE SAPIKJITl iPTUM QUO ïlTiT I.OCCM. Qunmodo quisqne po'est , mi Lucili 1 Tu istic liabcs ^tnam , illum nobilissimum Siciliae montem : quem quare dixerit Messala unicuni , sive Valgius (apud ntrumque enim legi), non rcperio; quum plurima loca evomant ignem non tantum édita (quod crebrins evenit, videlicet quia ignis in allissimum efferlur), sed etiam jacentia. Nos, Btcuiiique poisumus , contenti sumus Baiis , quas poslero die, quam altigeram , reliqui ; locum ob hoc devitandnm quam habeat quasdam natnrales dotes , quia sibi illmn celebrandum luxuria de-sumpsit. Quid ergo? ulli loco indii'pndum est odinm? Minime ! sed quemadmodum alla vestis sapienli ac prol)o viro ma- gis convenit quamaliqua , nec ullumcoloremilleodit, sed aliquem putat parum aptuni esse fmgalilatem professe ; sic régie quoque est, quam sapiens vir, aut ad sapientiam lendens , declinet, tanquani alienara bonis moribus. Ita- que de secessu cogitans, nunquam Canopum eligel, quaravis neminem Canopus esse frugi vetet, ne Baias quidem. Diversorium vitiorum esse cœperunt; illic siM plurimuni luïur a perniittil; illic, tanquani aliqua licen- tia debeatur loco, magis solvitur. Non tantum corpori, sed elia-Ti moribus salubrera locum eligere debemus. Quemadmodum inter torlores habitare noiim , sic ne in- ter popinas quidem. Vidcre ebrios ptr littora errantes, et comessationes naTigantium, et symphonianim canli- bos strepentes lacns, etalia,qu sunt in [iriniis voluplales; i|U9, lit vides, sxra q' niiiii^ ad te ingénia rspuerunt. Si quis sibi proixisueiit, qu;int>iiii operiii ag- gresKis sit . sciet nibil delicnte , niiiit molliter esse facien- dum. 4^uid iiiibi cum isiis caleotib is stagois? quid cum «udatoriis, in quesiccus vapor corpora exliausturus in- dnditur? Oninia sudor per liiborein eieat. Si facercmus qnod fecit Hamiibal , ut iuterrupto cursii rcrum , ninis- soqnetiello, fovcDdis corpiiribus oprram daremus, ne- mo non inicmpestivam desidiani, (iclori quoqiie, ne- dniii Tincenti , periciilosain , nierilo n prelicnderet. Minus Dobis , qiiam illis Piinica signa sequentilius , licet : plus periculi restât cedrntibus, plus operis etiam pei-sevcran- libus. Fortuaa mecum liella gerit; nuusutii iinperata lac- larus; jagnm non recipio; iiiimu , qu(xl majore virtiite faciendum est , excutio. Non e.st emoltieudus aniiiius. Si voluptati cessero, cedendum est doluri, ccdcnduin l:i- bori , cedendum est paupertati ; idem sibi in me juris esse volet et ambitio, étira; inter tôt affeclns disti-abar, immci dijcerpar. Liberlas proposila est: ad bnc prxniiiiiu lalm- ratur. Qiia; sit lilierlas , quaeris? Nulli rei servire , nulli necpssiti.ti,iiiilliscasilms; fortunam in aquum dedacerr. Quo die illa nie inlclleiero plus pos.se , nit poterit. Kgo il- lain feraiii, qiinin iu manu mors sit? HisCDCitatioiiibiisiuteiitumioca séria sanctsque eligere oportcl. ElTeiuinut nniinesamœuitas niiiiia; needubieali- quid adcorrumpeiiduni vigorem polest login. Quanililiit \iani junienla patiunliir, quorum durata in as pi ru uii- gula csl; in inulli pa!ustrique pjseuo t,agi!iatj cilosuli- leruutur : et forlior aiiles ex confiageMiveiii: : S'-gnis est urbaiiiis et vcrna. Niilluiii laborem reiii^aiilnianiis, ijiiie ad arma ub aralro Iran r-runtur : iu primo dclicil pul- ïore il!« uncus el uitidus. Suïerior li'c; liiocinl.aa fii mat ingi'iiiiim, .i(ilun:qui- niajjnis (•(•naiiiiis ii(!dt. Lileini bonc'stlus Sc;|iio, quani Baiis eisulabal; iiiiaa ejiis uon ' est tam niollitcr collocaiida. Illi quoqiie, ad quos primos ; forUiua Uomiiui populi publicas o[ies tianstulit, C. Marins ; et tn. Pom|ieiiis et ( lesar, cistruierunt quidein villas in repione Bai<:na , .^ed iilas imposueiuntsuiriinis jiigis iiioii- î tiiim. Videba;ur lioc magis niilitare, ex e^ito specuiaii ; laie longfquesul^jecta. Aspicequam positionem elegerinl, • quilms adificia escitaveriiil Iw is , et qiiatin ; scios nou \ il- 39. SÉNÈQUE. 612 rtwses et non pas des maisons. Croyez-vous que Calon se soil jamais anêié en sa maison des clianips pour compter les femmes débauchées qui se piomenaient sur l'eau , pour voir tant de sor- tes de barques peintes de diverses couleurs, et les roses qui Holtaient sur le lac, ou pour enten- dre les sales cliansims (|ui s'y récitaient toutes les nuits? N'eûl-il pns mieux aimé coucher dans la Iraiiciiéc que de passer une nuit de la sorte? Qui est l'homme de cœur qui n'aimât mieux qu'une tronipellc l'éveillai qu'un concert de musiiiiie? Mais c'est assez parler contre Dayes, quoiqu'on ne pui-.se jamais assez parler contre les vites. Je ■vous prie, mon cher Lucile , de leur faire la pnerre sans lin et sans relâche , car ils n'ont aussi ni Tin ni relâche. Délailes- vous de tout ce qui ^ous ronge le foeiir, et si vous ne le pouvez autre- ment, arraihiz- vous le cœur même ; surtout chiissrz les voluptés et ayez-les en horreur autant <]ue CTS assassins (pie les Égyptiens appellent Thi- lèlcs ou lîaiscurs; ils embrassent les passants afin | une personne qui peut se sauver par le secours «le les clran"lcr. ' tl autrui , car c'est beaucoup de se vouloir sauver. ' 11 y a encore une autre sorte de personnes qui ne sont pas à mépriser, lesquelles on peut pousser et amener par force a la vertu. Mais ce n'est pas L'irriSsoIiitlcn prooMe d'ignorance.— Tous les vlci-s ont assez de les conduire, il faut encore, pour ainsi tre diverses pensées ; nous ne voulons rien libre- ment, absolument, et en tout temps. C'est, dites- vous , la folie ou l'opinion qui n'a rien de certain , et "a qui rien ne saurait plaire longtemps. Mais quand et comment nous eu pourrons-nous déli- vrer ? Personne n'a la force de s'en retirer tout seul ; il est besoin que quelqu'un lui prête la main et l'en dégage. Épicure dit qu'il y a des gens qui se sont mis en quête de la vérité, et qui se sont aplani le« chemins sans être aidés de personne; d'autres qui veulent être aidés, et qui ne sauraient marcher s'ils ne voient aller quelqu'un devant eux, mais qui savent bien suivre. Il estime davantage ceux qui, par un beau génie, se sont produits eux- mêmes. Le philosophe Métrodore est du second ordre. Car, quoique ce fût un excellent esprit , il n'était pas de ce premier rang, non plus que nous qui serons assez heureux, si nous avons place dans le second; aussi , ne doit-on pas mésestimer EPITRr^ I.II des ccraCicres citcrieurs qui lesra:iuif^'i>tcnt. QuVst-ce, cher Lucile, qui nous tire d'un côté, ^uand nous voulons aller d'un autre, et qui lions f;iit avancer (juand nous voulons reculer ; qui lutte contre noire âme et l'empêche de fixer ses volontés? Nous sommes toujours flottants en- dire, leur faire violence; c'est ici la troisième classe. Si vous en voulez un exemple , Epicure vous proJuira Hermachus. 11 félicite l'un et ad- mire l'autre ; car, quoiqu'ils soient tous deux ar- rives a une même Cn, il est toutefois plus glorieux d'avoir fait la même chose dans un sujet plus dif- hs CSC, srd castra. Ilabitaturum tu pntas unquam fuisse in Miicca C:iloiiein , u pra'lernaviganles adultéras dinu- nic raret , et tôt aspicei'et gênera cynd)ai-uni variis coloi i- bus (licta, et (liii:antem t lo lacu rosani, ut aurtiretc;i- nin.iuui n^^ctiirna couvicia? norme nianere illc inlra \s\- ) .m nia'iiisset. qn.iin umin nocleni iuier lalia duxisse? Quidui niiilil, (|ui.*(|!iis \ir est, soninum sunni classiro, qu III symphoTiia, runipi ? — Sod .satis diu cuni Baiis litiga- viiims, mm ;ui:iii^;;lis euin viti s; qua», oio le , mi Lii' ili, pcrsequere siue niddo, fine Une; nain illis quoque ncc finis esl , née niodii.s. l'rojice quafcumque cor liium l;i- nai ; (|iii' si r.lilcr extrahi nequirent , cor ipsiim cuin illis r(-vell.-ii hiiii eia'. Vrhiplales pr.ieipue eîfurbi , et invisissiiuas habe • lationum more, quos Philctas .ffigyp- tii vocant.iu hoc nos aniplectuntur, ut slrangulent. Vale. EPISTOLA. LU. CJIM.« SiPItMUM 4F1'I;CTA^TCS INDIOERE ÀDJUTOBIO : BONUS! DUCE.1I EUCICNDI.M. Quid e.-^l hoc , Lucili , quod nos alio tcndentes alio ira- bil , et co, unde receilere cupimns, impellit? quid col- liiitiliircumaniiro nostro.nec permiltitnolus quidquani ttusnl velH? Vhirtuainu» inter raiia comiliaj nihil lihcrc Tolnmus, nibil absolute, nibil semper. — Stultitia, ioquis, est, oui nibil constat, nibil diu placet. — Sedquomodo nos, aut quando, ab illa rcTellemus? Nemo per se satis valet, ut eiiiergat; oportet manuni aliquis porrigat, aliquis educat. (Jnosdam ait Epicurus ad veritatem sine ullius adjutorlo contendere : ex bis se; fecisse sibi ipsuni viam; hos maxi- me landat , quilius es se impetus fuit, qui se ipsi protu- lerunt : qiiosdam indigere ope aliéna; non ituros, si ne- nio l'j-a'cesserit , sed bene secuturos;,ei bis Metrodorum ail esse. E^reginm hoc quoque, sed secundae soriis, in- genium. ISos ex illa prima Do:a non sumus; bene oobis- cum aeilur, si in secundam recipiniur : ue hune quidem conlenipseiis bominem, qui alieno beneficio esse saltus potest ; et boc multum est , velle servari. Prater lia?c ad- hnc inventes aliud gcnus bominum , ne ipsuni quidem fasiidieuduin, eorum, qui cogi ad rectum compellique possunt; quibus non duce tanium opus sit, sed adjiitore, et ( ul ita dicam ) coactore. Hic tertius color est. Si qua- ris hujus exemplar, Hermacbum ait Epicurus talem fuisse. Iti que alteri luagis giatulatur, alterum magis suspicit. Quamvis enim ad euindem (Inem uterque pervenerit, tanien major est laus , idem efftcisse in difticiliore materia. Pula cnim duo xdificia exciiaia esse, ambo paria, xque cxcelsa atqne magnifica : alterum, puta, area accepit; icile. Supposez que deux maisons aient été bâiies de pareille hauteur et avec une égale magnili- cence, l'une, sur un terrain ferme et solide, où l'ouvrage a paru et s'est élevé en peu de temps ; l'autre, dans un lieu glissant et marécageux , où l'on n'a trouvé la terre ferme, pour y poser les fondements, qu'après un long travail ; on voit en l'une le bâtiment entier; une bonne partie de l'autre et la plus difOcile est cachée. De même il y a des espriis qui sont vifs et aisés , d'autres qu'il faut (comme l'on dit) forger a coups de main, et leur donner les premiers fondements. C'est pour- quoi je dis que ceux-l'a sont plus heureux qui n'ont 1 oint trouvé de dildcullé dans eux-mêmes, cl cos antres plus obligés 'a leurs soins, d'être parvenus à la sagesse en forçant la malignité de leur naturel. Sachez que nous sommes de ces derniers , et que l'on nous a mis dans un cheuiiu difficile et fâcheux; nous y rencontrons partout des obsta- cles; combattons donc, et prenons l'assislance de quelqu'un. De qui? me demanderez- vous. Il n'importe, de celui-ci ou de cclui-l'a ; mais à con- dition de retourner 'a ces premiers qui n'ont plus rien "a faire, soit anciens ou modernes, car ils nous peuvent également aider. Au regard des mo- dernes, évitons , s'il est possible , ces grands par- leurs qui débitent force lieux communs , et qui manquent de sincérité. Mais faisons clmix de ces personnes qui enseignent par leur exemple , qui montrent ce qu'il faut faire en le faisant eux-mê- mes, qui ne font jamais ce qu'ils ont une fois con- damné , et que l'on admire davantage a les voir qu'à les entendre. Je n'empêche pas pour cela que vous n'alliez en- ÉPlTPiES A LUCILIUS. 615 tendre ceux qui ont coutume de donner enlrée au peuple, et de discourir en public, non par vanité, mais 'a dessein de s'amender eux-mêmes en corri- geant les autres. Car y a-t il rien de plus honteux h la philosophie que de rechercher iiinsi les applau- dissements'i* I e malade s'anuise-l-il "a louer le chi- rurgien, tandis qu'il lui fait des incisions? 'l'aisez- vous , écoulez, et laissez-vous panser; vous avez beau faire des exclamations, je ne les pri-Muliai que pour des cris qui vous échappent lorsqu'on vient "a touiher votre mal. Voulez-vous montrer que c'est la grandeur des choses qui vous émeut et qui vous rend actif? Je le veux bien , et quo vous disiez même votre sentiment sur ce que vous trouverez de meilleur. Pylhagore obligeait ses dis- ciples à un silence de cinq années. Crojez-vous qu'il leur fût permis de parler et de faire des (lo- ges des le premier jour? Mais quelle faiblisse h un phildsoiihe de se réjouir des applauilisscminls que lui donnent des ignorants au sortir de son audience? Quelle salisl'aclion peul-il recevoir do gens auxquels il n'en saurait donner? l'abianus, autrefois, discourait devant le peuple; mais ou l'écoiilail modestement. Il est vrai que ['ta s'é- criait qnelquelois ; maison y était e^cilé par la sublimité do ses pensées, et non par la lluidité de son discours, ni par la douce cadence de ses P'iiodes. Il est pourtant permis ([Uclquefois do donner des louanges; mais il est juste de lucllro quelque dilférence entre les applaudissements du lliéâlre et ceux des écoles. Si l'on y prend garde, toutes les choses du monde ont certaines marques qui les font eoiinaî- ire , et Ion peut juger des mœurs d'une personuo illic protinus opus crevit : alterum rundamcala la\a lia- bet, ia niollcmac lluidain huiiiain missa, tiiu'.tiuiiquc la boris eihadstuni est , duin itcrreuitur ad iolidiun. Appri- rel in aller» quid(|uid f icluin e»t; allcrius nMgiia pars et diriicillor latct Quidam m^jcnia LciUa et cxpedila; qu.i'- dam manu, (|iii>d{.iiint, facienda suiit, et in ruDdaiiieiiUs mis occupanda. IlaijUe eg» illuni reliciureni dixerim, qui iiiliil negulii sccum liabur.Tit; iiiiiic quidem de se uieliiis mcriii'se, qui malignltatem naturo; sua; vicit, et ad sa- pieatiam se non perdutit, iel eilravit. Ilncdurum et la- lioriusum iiigenium noliis d.tuiii scias licet ; iiims pcrob- «tontia. Ilaque pugncmus, aliqiiiirum invoceinus auxillum! Quem, inquis, invocalio? hune, sut illuni? — Tu vero rliam ad prières reTcrtere, qui vacant; adjuvare nos pos- •unt non tantum qui sunt, sed et qui fuerunt. Ei bis aulem, qui sunt, elig:inus non eos, qui verba magna celerilale ) r.Tcipilanl.elconmiuneslocosïoWunt, et in privaio cir- culantur; sed eos, qui ïilani docenl, qui , quuni dixeiint quid racieodum sit, probant fadcndo;qui dncent quid vitandum sil, ncc unquiini in eo, qiiod fugicndiim dise- rnt , deprebenduntur. Eum elige adjutorein , queni nia<;i» •driiircns quura videris , qiinm quu:u audieti*. Nec id«o te prohiliuerim hos quoque audire , quibus admillerc |X)- piduni ae disserore cousuctudo est ; si modo boc propo- sito in lurbain prodcunt, ut mcliorcs fiant, fatiantqtio miliores; si non ainlùtiouis boc causa eserccnt. Quid enim lurpius pbilosophia c:iplanle cliimores? Numquid eger laudat nicdiciim secanleni? i'acele, favcte, eï pra;- bcte voscurationi : cliauisieicLiniaveritis, non aliter au- diam, qu::m si ad tacliim \itioiuin vestronun ingeiiiisca- tis. Testari vultis altendiro vos, luovciique niaguiiudiuo rcrum'i' .sanc liceat! Ltquideiujudicetis, 1 1 feiat's de me- iiore sulfragiuni , quidni non perniitlani ;■' Apud P j ttiago- rani discipulis quinque aunis tacendum oral; nuniquid ergo eiislimas, s'.atim illis et loqui et laudare licuisscf Quanta auteni detnentia ejus est, queni clamores impe- rilorura bilarcm ex audilorio diniitlunt? Quid laîtaiis, quod ab boniinibtis bis laudaris . qnns non pôles ipsa laudare? Disserebat populo l'abianus; sed audieliatur iiiodesle : erumpeliat intcnlum iiiaguus clanior laudan- tium, sed quem reiuni magniludocïocaverat.non -Mmni inoffeusa; ac moUiteroratioiiis elapsa-. luleisit aliquid in- terclamorem tbeatri.et .schela': est aliqua et laudancli licentia. Omnium reruni.si ol)s le bord. Quand je m'en vis assez proche, je n'at- tendis pas qu'on fit rien de ce que dit Virgile, ni que l'on tournât la proue vers terre, ni que l'on jetât l'ancre en mer; mais, me ressouvenant de ce que j'avais fait autrefois, je me jclai dans l'eau, étant ceint d'une mante velue comme si j'eusse voulu prenJre un bain d'eau froide. Combien pen- sez-vous que j'aie souffert en traversant des ro- chers, en cherchant ou en me faisant un chemin? Je connus bien alors que les mai iiiiers avaient raison de craindre la lerre; car je souffris des Ei . manx incroyables, jnsqu'à ne pouvoir plus me î porter moi-même. Ne vous imaginez pas que la mer fût si contraire a Ulysse qu'il (ît naufrage en tous les endroits ; au moins il avait l'avantage de vomir facilement. Pour moi , si jamais je m'em- barque, je souhaite de n'arriver que vingt ans après où je voudrai aller. Apres que mon estomac fut un peu remis ( car vous savez que ce mal ne cesse pas aussitôt qu'on est hors de la mer), et que l'on m'eut oint tout le corps, je commençai "a penser en moi-même combien nous oublions facile:iient nos défauts même corporels qui se pn-sentent'a toute heure, à plus forte raison ceux de l'âme, qui sont d'au- tant plus grands qu'ils sont plus cachés. Une lé- gère émotion nous peut trom|)er; mais, si elle augmente et que la lièvre y mette le feu , il n'y a point d'homme si dur et si patient qui ne l'avoue. On a mal aux pieds, on sent comme des points dans les jointures ; on dissimule encore, et l'on feint de s'être donne une entorse ou de s'être foulé dans quelque eiercice violent; jusque-l'a le mal est douteux , et l'on ne sait quel nom lui donner. Mais, quand il est descendu aux talons, on est bien contraint d'avouer que c'est la goutte. Tout le contraire arrive dans les maladies de l'ârae: plus elles sont grandes, moins on les sent. Ne vous en étonnez pas, mon cher Lucile. Car celui qui dort légcrcn)cnt songe quelquefois, et, en dormant, il s'imagine dormir en effet; mais un profond sommeil plonge l'âme si avant, qu'elle de- meure sans fonction. Savez-vous pourquoi per- sonne n'avoue ses défauts? C'est parce qu'il y est encore engagé. Il faut être éveillé pour conter ses songes, et c'est un signe d'un esprit sain que de confesser ses fautes. Eveillons-nous donc, afin que nous puissions connaître nos erreurs; mais il n'y a que la philo- sophie qui nous puisse éveiller. Elle seule estca pable de dissiper ce sommeil profond et léthargi- que où nous nous trouvons plongés. Donnez-vous tout entier h cette maîtresse; vous vous rendrei digne d'elle, comme elle est digne de vous, lîni- brassez-vous l'un l'autre, et refusez ouvertement votre affection 'a tout autre chose; il ne faut pas philoso()hcr par manière d'acquit. Si vous étiez malade, vous quitteriez le soin du ménage, vous oublieriez les affaires du barreau, et vous ne vou- driez pas aller pl.iider une cause pour quelque personne que ce fût : vous ne songeriez qu"a vous guérir. Quoi donc? ne fcrez-vous pas maintenant la même chose? Quittez toutes ces occupations, et travaillez a la réformation de vos mœurs. On n'y réussit guère quand l'on est embarrassé d'aflaircs. La philosophie est une souveraine qui dispose du attigimus, non exspecto, ut quidquam ex prsccptis Vir- gilii fiât, Obvertant pelago prorai .. aul Ancora de prora jaciatiir.... led, iDemor arlificli mei , vcius fri^idae cultor, mitto me in mare , quomodo psjciirululaiii decot, gausapatus. Qua- |iutas me pa-siim, dum per aspera ercpii, dum viani qiixro, dum facio? IiilelleiLi non immeiilo oautis terram limcri. Incredibilia suât (|uae tuleiim, quum me ferre non posseni. Illud scilo, Uljssem non fuisse lam iralo irari naliim , ut ubique naufj agia facerel : nauscator er;;l. Et ego, quocumque natigarc dcbucro, viccsimo anno pcr»enlam. Ut priii.um stomacliiim , qucm tels cum mari oauseam rffugere , coltegi , ut corpus UDcliooe rccreavi , hoc cœpi roecum cngitare, (juanta nos viiiorum nostrorum seque- retur oblivio , etiam corporalium , quac tul'indc admonent sui; ordum itlornm, qux eu ma gis latent, quo majora lunl. Leîi» aliqucm motiuncula decipit;sedquum crevil, et vera febri» eiarsit, etiam duro etperpessito confesslo- neni exprimit. Pcde» dolen: , articuli punctiunculas sen- Himt; adliuc dissimutamus; et aut l.ilnm extorsisse di- ciinut, aul in eicrdlitiono aliqua laborasse. Dnlùo rt in- clpieate morbo, qua^ritur nomen; qui ubi jara talaria cœpit intendcre, et utrosque pede-^ fecitdeilercs, necesse est podagram fateri. Contra evcnit in iis luorbis, quibui afTic'iuntur animi ; quo i|uis |)ejus se habet, miuus sentit. Non est quod niiieris , Luciii carissiuie. Nam qui leviler dormit, et species srcundum quietcm capit, aliquando dorniire se dormiens cogitât : graiis sopor eliam somnia exslinguit, iinimumque altius mergit, quam nt uli utio inlcltcctu sinal. Qiiare vitia sua nemo confitetur? Quiu ctiamnunc in illiscst. Somnium narrare, vigilantls est; et vitia sua confiteri, sanitatis indicium est. Eipergisra- mur ergo , ut errores noslros coargucre possimns : sola autem nos Pliilnsophia escitabit, sola soronum eicutiet gratem. Illi tctotum dcdica! dignus illa es; illa digua te est. Ite in complexum aller alterius; oranil)US aliis rébus te nega , fortiter, aperte ! Non est quod preciirio phil^j». pheris. Si ffccr esses , curam intcrmisisses rei familial i«. et forensia libi negotia excidissent, nec quemquiim lautl pulares, cui advocatus in reniissionc descendcres; toto animo id ngcres, ut quam primum morlio lilienircris. Quid ergo? non et nunc idem faciès ? Onmia impedimenta dimitte, et vaca bonae raenli; nemo ad illam pervcuiluo- cupatns. F.iercrt Philoeophia cegnum fumii : dat tuinp'it . non (AU SENEQUE. temps; mais ou iic le partage point avec elle. Ce | n'est point un ouvrage que l'on puisse remettre à sa commodité. CVst une maîtresse qui est tou- jours présente et qui coniraaude de vive voix. Alexandre répondit a une ville qui offrait de lui abandonner moitié de son territoire et de tous ses biens : « Je suis venu en Asie, non pas pour rece- voir ce que vous me donneriez , mais afin que vous eussiez ce que je voudrais vous laisser. » La philoso- phie dit la même chose h toutes sortes de person- nes : (iJe ne veux point du temps que vous pouvez avoir de re^te , mais vous aurez celui que je vous accorderai.» Donnez-lui donc tous vos soins, atta- chez-vous auprès d'elle, faites-lui la coui, et met- tez un grand intervalle entre vous et le reste des hommes. Vous irez bien loin devant eux , et vous suivrez les dieux de fort près. Voulez-vous savoir la diflérence qu'il y a entre eux et vous? C'est qu'ils vivront plus longtemps que vous. Mais le sage est aussi content de la durée de sa vie, que Dieu l'est de son éternité ; et c'est le propre d'un bon ouvrier de tout enfermer dans un petit espace. Il y a encore une chose en quoi le sage a quelque avantage sur Dieu : c'est qu'il possède la sagesse par acquisition , et Dieu ne la possède que par na- ture. Voila une chose bien excellente d'avoir la faiblesse d'un homme et la tranquillité d'un Dieu ! Vous ne sauriez croire combien la philosophie est un fort rempart contre tous les assauts de la for- tune. Elle est ferme et solide, il n'y a point de trait «|ui la puisse entamer. Elle rompt les coups les plus légers en leur présenlaiit le sein, et renvoie les autres contre ceux mêmes (lui les ont tirés. EPITRE LIV. II parle d'une courte haleine, à quoi il était sujet; et , par un faux raisonnement , il tictre de prouver qu'il o'y a nul sentiment après la nrart. La maladie avait fait une assez longue trêve avec moi; mais elle ra'a repris tout d'un coup. C'est avec raison que vous me demanderez quelle sorte de maladie; car il n'y en a point que je ne croie avoir éprouvée. H y en a, toutefois, une à laquelle je suis plus sujet; je ne sais pourquoi je la nommerais asthme , qui est un mot grec , puisque je la puis appeler proprement courte haleine : elle ne dure pas, et son effort, qui vient comme un orage, se passe en moins d'une heure; car, qui pourrait être longtemps à ex- pirer? Je crois avoir eu ma part de tous les maux les plus dangereux; mais je n'en ai point trouvé de si fâcheux que celui-là ; parce que d'a- voir lesautres, queisqu'ils soient, cen'est, après tout, qu'être malade; mais d'avoir l'asthme, c'est rendre l'esprit. C'est pourquoi les médecins l'appellent une méditation de la mort. Ce manque de respiration fait à la lin ce qu'il a plusieurs lois essayé. Ne croyez pas aussi que je me réjouisse en vous écrivant ceci, comme si j'étais échappé ; si je prenais cette cessation pour une entière guérison , je serais aussi ridicule que celui qui penserait avoir gagné son procès pour avoir obtenu un délai. Durant ma suflocatiou, je n'ai pas laissé de me consoler par des pensées douces et fortes. Qu'est- ce que cela? disais-je eu moi-môme; la mort me tnet bien souvent h l'épreuve ; qu'elle fasse ce qu'il Jiccipit. Non est res subseciva : ordinaria est; domina est; adest etjuljet. Alexander cuidain civltati, partem jigrorum et dimidlum rerum omnium promilteuti : « Eo, inquit, proposilo in Asiam \eiii, non ut id accipcrem quod dedisselis, sed ut id liabiiretis, quud reliquissem. » )dem Philosophia rebns (imnilms : « IN'on sum lioc tempos iicceptura , qund vobis supeifucril ; sed id habekilis, quod ipsa erogavero. « Tolam lioc converte raenlem, liiiic ab- side, hauc cole; ingens intervallum inter le et caHcnis liât! Omnes mortales niullo antecedes, non niultn le Dii antécédent. — Quid inter te cl illos interfutuium sit, quaeris? — Diutius erunt. At, mehercules, magni arlificis est clusisse totum inexiguo. Tantum sapienti sua, quan- tum Deo omnis œtas patel. Est aliquid, quo sapiens ante- cedat Deura : ille Ijeneficio naturae non timet, suo sa- piens. Ecce res magna, liabere imbecillitalem hominis , securitatem Dei ! Incredibilis Philosophia; vis est ad om- nem forluitam vim retundendani. ISullum tcluni in ci:r- pore ejus sedet; munila est et solida : quaîdam defatigat, et velullevia tela laxo sinu eludil; (]na'dam discutit, et in fuin usque, qui miserai, respuit. Vale EPISTOLA LIV. SE SUSPIBIO AFFECTC» ESSE, JAMQCE HOBTI ESSE PBOI'I.N- QtlIOREH EIQUE 01I.M>0 PABITCH. Longum mihi commeatura dederat mata valetudo; re- pente me invasit. — Quo génère? inquis. — Prorsus me- rito interrogas; adeo nullum mitii iguotum est. Uni ta- men niorbo quasi assiguatus sum , quem quare grxco noniine appellem, uesciu; satis enim apte dici suspiriun potest. Brevis auteni valde, et procella; similis, est impe- Iun; intra horam fera desinit. Quis enim diu exspirat? Oiimia corporis aut incommoda , aut pericula , per me transierunt; nullum raihi videtur molestius. Quidni? aliud enim, quidquid est, aegrotare est; hoc, animam agere. Itaque medici hanc meditationem mortis vocant. Facitenim aliquando spiritus ille, quod sa'pe conatus est. Hilarem nie putas hœc tibi scribere , quia elfngi ? Si hoc fine quasi bona valetudine delector, tam ridicule fa- cto, quam ille , quisquis vicisse se putat, quum vadimo- nium distulil. Ego vero et in ipsa suffocalione non desii cogilationibus taetis ac fortibus acquiescere. Quid lioc, ini|uam, est? tam saepe mors experiturme? facial 1 At. ego illiim diu eii>crtns sum. — Quando? inquis. — Aji- ÊPITRES A LUCILIUS. 617 lui plaira , il y a longtemps que je la connais. Mais (juand? me dcmandeicz-voiis : avant que je fusse né; car, n'ôlre point, c'est être mort : je sais maintenant ce que c'est. Il en sera de même après moi, qu'il en a été devant ipoi. S'il y a quelque douleur après qu'on sera parti du monde, il faut qu'il y en ait eu avant que l'on y soit entré. Mais nous n'en sentions point alors. Oitcs-moi, je vous prie, ne serait-ce pas une grande sottise de s'inia- giiicr qu'un flambeau suit en pire état quand il s'éteint, qu'il n'était avant qu'il fût allumé? Il en est de même de nous; nous sommes allumés, puis éteints. J'avoue que dans cet intervalle nous souffrons quelque chose; mais devant et après on ne doit rien craindre. Notre erreur, si je ne me trompe, mon cher Lucile, vient de ce que nous considérons uniquement que la mort nous suivra , sans nous représenter qu'elle ne suivra que comme elle a précédé. Tout ce qui est devant nous tient lieu de mort "a notre égard ; car, qu'importe-t-il de ne point commencer, ou de cesser d'être, puis- que l'un et l'autre se réduit à un même état, c'est- à-dire de n'être point? Je m'entretins toujours de ces réflexions se- crètes; car j'avais perdu l'usage de la parole; ce- pcndaut celte suffocation , étant dégénérée en une difliculté de respirer, me donna plus de relâche; elles'alenlit, et enfin se dissipa. Mais, quoiqu'elle soit cessée, je n'ai pas encore la respiration bien libre , je sens quelque chose qui la relient el la re- tarde. Que je respire comme je pourrai , pourvu que je ne soupire point dans l'âme. Mais je vous donne parole (|ue je ne tremblerai point lorsque je me verrai 'a l'extrémité; j'y suis tout préparé. et je ne me soucie pas quand ce jour arrivera. Je ne me propose point pour exemple; car on ne doit imiter et louer que celui qui n'a point regret de mourir, quoiqu'il ait du plaisir h vivre. En ef- fet, quel honneur y a-t-il de sortir lorsqu'on est chassé? Il y en a , toutefois , en cette rencontre. On me chasse , 'a la vérité ; mais c'est comme si je sortais volontairement. C'est pourquoi le sage n'est jamais chassé; car ce mot veut dire être jeté hors- d'un lieu d'où l'on ne veut point sortir. Mais le sage ne fait rien malgré lui; il prévient la néces- sité, et veut ce qu'elle le forcerait de vouloir. EPITRE LV. La délicatesse nous interdit enfin l'iisnge des parties que- Duus iivdiis laissées ionulemps inutiles. — La solitude suri quelquefois de prétcite à la Tainéautite. Je me suis fait porter en chaise et j'en reviens aussi faligué que si j'avais autant cheminé que j'ai été assis. C'est une peine que d'être porté long- temps, et peut-être d'autant plus grande qu'elle est cintre la nature, qui nous a donné des pieds pour marcher, ainsi que des yeux pour voir. Mais les délices nous ont affaiblis, et nous nous trou- vons hors d'état de pouvoir faire ce que pendant un longieinps nous n'avons pas voulu faire. Il m'était nécessaire de prendre de l'exercice pour dissiper une bilp qui s'était épanchée dans ma gorge, et pour soulager ma respiration qui était incommodée. Quoi que c'en soit , je me suis bien trouvé de cette agitation ; c'est ce qui m'a oblige de me faire porter plus longtemps, convié d'ail- leurs par la beauté du rivage (jui s'étcud depuis teqnarn nascerer. Itlors est, non esse; id quod ante fuit : led, id quale sit, jani scio; hoc erit post me, quod antc me fuit. Si quid iu bac re tornienti est, neccsse est et fuisse, antequam prodiremus in lucem : atqiii nullain MnsiiDus luuc Teialioneoi. Rogo, non stultiuinium di- cai , si quis eiistlmet lucernie pejus esse , quuiu eistincta est, qoam antequam acccnditur? INos quuquc et accendi- ■nur, et eisiinguimnr; medio illo tenipore aliquid pati- mur : utrinique veru alla securitas est. In lioc enim , mi IiUCili, nisi fallor, erramus, quoe- qui; qnuin ilia et praecesscrit, et secutura sit. Quidquid ■nte nos fuit , mors est. Quid enim refert , ulrum non incipias, an desinasP quum utriusque rei bic tit effectus , ■on esse. His et hnjusmodi cihortationitius ( tacilis fcilicet, nam Terbislocus non erat), alloqui nie nondcsii; deinde pau- latim snspirium illud, quod esscjam anhelitus cœiKTiit, ioterralla majora fecit, et retardatum cst.ac rcmansil. Kec adliuc, qtiamvis desierit, ex natura fluit .sjiiriliis : lentii) liapsitalioneni quanidam eju» el morani. Quoiiiodo tolet! dummodo non ex animo suspircm. Hoc libide me Vcipe ; non trepidabo ad eitrenia; jam prxparatus «uni; niliil cogilo de die loto. Illum lauda el imitare , queni non pigct mori, (luum juvel vivere. Quie euini viiius est , quum ejiciaris, cxire? Tamcu est et liic îirtus : cji- cior quidem, sed laD(|uain exeani. Et ideo nunquaiii <'ji- cilur Sapiens ; (|iiia cjici est inde expeiti, unde invitus recédas. Nitiil invitus facit Sapiens; uecessititcni eflugil, quia TuU quod coaclura est. A aie. EPISTOLA LV. DE YiTI* VILLA : DE B0>0 IULOQLE OTIO. A gestatione quum maxime venio; non nliIlU^ falii^alus sum, quam si lantura anibulassem , quantum sodi. Lalior est enim et diu ferii, ac uescio au eo iiiaj ir, quia contra naturam est , qua; pcdes dedil , iit pcr nos anibularemus; el oculos , ut per nos videremus. Debilitateni nobis in- diierc ddicia; ; et quod diu iioluimus , posse desiviinus. Milii taiiien neccssaiium erat concutere corpus ; ut , sive bilis insedcrat faucibus, disculeietur; sive ipseex aliqua causa spiritus densior erat, extemiaret illmn jattatio ; quam profuissc niibi ^ensi. Ideodiulius vehi perseveravi, invitante ipso liltore , quod iiiter Ciimas el Servilii Valia. 618 SÉNÉ QUE. Ciimes jusqu'à la maison de Servilius Vatia, comnio une langue de (erre; car il est clos de la mer in odium possunt aures adducere : quum fortiores excrcentur, et niaiius plumbo graves jactant , quum aul laborant , aut laborau- tem imilantur, gemitus audio; quotics retentum spirilum remiserunt, sibilos et accrbissimas respirationes : quum io alipten incrtem et hac plebeia unclione conlentum in- cidi , audio crepitum illisae nianus bumeris; quse , prout plana perveuit, aut cimcava , ita sonnm mutât. Si vero pilicrepus superveneritelnumerare cœperit pilas, .tctum est. Adjice nunc scordaluni , et furcm depreliensum , et illuni, cui Tox sua in balneo placet. Adjice nuuc eos, qui in piscinamcum ingenti impulsée aqux sono saliunt. Pr»> 6:o SÉNÈQUE. Taire remarquer, pousse une voix grêle et per- dante , sans se taire jamais qu'il n'en fasse crier un autre auquel il arrache le poil des aisselles. Vous entendez ensuite le bruit des pâtissiers, des rôtisseurs et des cabarctiers, qui crient chacun leurs denrées avec des cris tout différents. Vous direz que je suis de fer, et que je suis sourd, si j'ai la tête entière parmi tout ce tiniamarre, vu que notre Chrysippe se mourait d'ennui d'enten- dre les compliments de ceux qui venaient le saluer lous les jours. Mais cerlaineracnt je ne me soucie lion plus de ce bruit que d'un flot qui gronde, ou d'une eau que l'on jette de haut en bas. Quoique l'on dise que certains peuples, ne pou- vant supporter le bruit des cataractes du Nil, ont Iransporlé leurs villes ailleurs, il me semble que la voix interrompt plus que le bruit; car elle détourne l'esprit, et celui-ci ne fait que frap- ])er ou remplir les oreilles. Entre les choses qui font du bruit sans me détourner, je mets les car- rosses qui passent dans la rue, le maréchal qui loge chez moi , le serrurier mon voisin , et cet ouvrier qui demeure auprès de la place , où les jeunes gens s'exercent 'a la course, lorsqii'il essaie ses trompettes et ses hautbois, et qu'il crie plutôt qu'il ne chante. Le bruit qui cesse parfois me semble plus importun que celui qui continue tou- jours. Mais je me suis tellement endurci "a tout cela que j'entendrais un comité crier après des forçats pour les faire bien ramer, sans en être ému. Je contrains mon esprit de se prêter attention , et de ik; se point distraire ailleurs. Qu'on fasse au de- liors tant de bruit que l'on voudra , pourvu que le désir et la crainte, l'avarice et le luxe n'excitent point de tumulte chez moi. Car à quoi sert le si- lence du dehors , si vos passions éclateni au de- dans ? La nuit avait partout répandu ses parois Et doDDiiitaux humains un paisible repos Cela est faux , car il n'y a point de repos que ce- lui qui se trouve établi par la raison. La nuit nous ramène nos déplaisirs au lieu de les chasser, et ne fuit que changer nos soucis. Ceux qui dorment sont d'ordinaire aussi troublés dans leurs songes qu'ils l'ont été durant leurs veilles. La vraie tran- quillité ne se trouve que dans une bonne con- science. Considérez un homme riche et délicat : il faut imposer silence à toute la maison , alin de le faire dormir ; tous les valets se taisent , et ceux qui s'en doivent approcher tiennent le pied suspendu et le posent doucement a terre. 11 se tourne de côté et d'autre pour prendre un peu de sommeil parmi ses inquiétudes, et se plaint d'avoir ouï re- muer quelqu'un , lorsque personne ne branle. Qui est la cause de cela? C'est son esprit qui lut fait du bruit. Il faut l'apaiser, il faut arrêter ses mouvements. Ne vous imaginez pasqu'il soit tran- quille pour voir son corps couché mollement dans un lit. Souvent le repos cause de l'inquiétude; c'est pourquoi il faut agir et nous occuper à quel- que exercice honnête, toutes les fois que la fai- néantise, qui se lasse d'elle-même, nous porte à quelque chose de mauvais. Les grands capitaines teristos, quorum, si uihil aliud, recta; voces sunt, ali- ]iilum cogita, teuuem et stiidulam vocem, quo sit nola- I)i;ior, subinde exprimentem ; nec unquam tacentem, iiisi duni \ellit alas , et alium pro se clamare cogit. Jam lit)arii varias cxclaniationcs, et l)otutanum , et crustula- riiiin, et omnes popinaruni institores , niercem sua qua- d m et insignita modulatione vendentes. O te , ini)uis , ferreum aut surdum , oui mens inter cla- iiiores tam varios, tam dissonos, consfcit, quum Cri- .•i|iumnostrumassidua salutatio perducat ad morlem 1 Al, nieliercules, ego istum fremitum non magis euro, quarn llnclum, autdcjcclum aquœ; quamvis audiam, cuidam j;i'nti liane unam fuisse oausani urbem suam transferendi, nitentla, secessisse : tamen in illa la- tebra, in quam nos timor et lassitudoconjecit, interdum rccrudescit amliitio. Non enim excisa desiit , sed faligata, aat etram abjecta , rehus parum sibi cedentibus. Idem de Iniuria dico, quae videlur aliquando cessi.^se; deinde fru- gilitatem professes sollicilat, alque in mediu parciiiionia TOlupUites non damnatas, sed relictas, petit; et quideni «0 ïehemenlius , quo occullius. Omnia enim vitia in aperto leviors suiit; morbi qaoque tune ad sanitatem Inclinant, quum ex abdito erumpunl.ac vimsuam proferunt. Et afariliam itaque , el anibi:ionem, et cœtera mala mentis buniaaae, tune perniciosissima scias esse, quum simulata tiinitate lubsidunt. Otiosi Tidemur,ctnonsnmus. Nam si hona fldesumus, si receptui cecinimus, si speciosa contemp- slmus, ut paulo ante dicebam , nulla res nos avocabit, nullus hominum aviumque conccntus inlenumpct cogitaliunes l>oaas solidasque , ctjamcerlas. Levé illnd est ingenium, I aec se adhuc reduiitiulrorsus, qnodad vocemetacciden- lia erigitur. Habet intus aliquidsollicitudinis,ct concept! pavoris.quodillumcuriosumfacil; ulaitVIrgilius noster: Et me, qiiem dndum non ulla injecta movebant Tela, nec adverse glcmieraU ex agmine Craii, Nune omnes terrent aura;, sonus excilat omnis Suipensiim . et pariter coniitiquo onerique timenlem. Prior ille sapiens est, quem non tela librantia, noa arietala inter se arma agminis densi, non urbis impulsa» fragor terriîal; hic alter imperitus est, rébus suis timet ad omnem crepilum etpavescens, quem una quaclibet vox pro fremilu accepta dejccit, quem molus levissimi cxanimanl.Timidum illuni sarcinx' faciunt. Quemcumque ex istis felicibus elegeris, multa irahentibus, multa por- tantibus, videbis illum Comitique oneriqne timentem. Tune ergo te scito esse compositum , quum ad te nullui clamor perlinebit; quum te nulla vox tihi eicutiet, non si blandietur, non si minabilur, non si inani sono varia circumstrepel. — Quid ergo? non aliquanto comniodius est, carere convicio? — Faleor. Itaque ego ex hoc loco migrabo: experiri eteiercere me volui. Quid necesseest diulins torqueri, quum lani facile rcmedium C'Iyssesso- ciis eliam adversus Sirenas invenerit? Valc. SÉN ÉPITRE LVir. Il y a des faiblesses naturelles que la raisoa ne saurait vaincre. Voulant partir de Bayes , pour m'en retourner à Naples, je me laissai volontiers persuader que la mer n'était pas bonne , pour ne pas m' embar- quer une seconde fois; mais les chemins étaient si sales et si mouilles , que je puis dire que je suis venu par eau. Je souffris toute cette journée le sort des athlètes ; car, après avoir été bien arrosés , nous eûmes de la poussière abondamment dans la grotte de Naples. Cette sorte de prison est extrê- mement longue , et son entrée est si obscure, qu'il faut voir, non pas a travers les ténèbres , mais les ténèbres mêmes. De plus, quand il y aurait quel- que lumière dans ce lieu, elle serait offusquée par la poussière, qui est une chose importune et fâ- cheuse, même à découvert, a plus forte raison dans une cave , où s'étant élevée comme un tour- billon, et ne pouvant sortir par aucune ouverture, elle retombe sur ceux qui l'ont émue. Ainsi nous avons souffert ensemble deux incommodités bien contraires , ayant eu en même jour et eu même ■chemin ta boue et la poussière. Cette obscurité, toutefois, me donna sujet de rêver; car je sentis mon esprit frappé d'une émotion, sans peur toute- fois, par l'horreur et par la nouveauté d'uue chose si extraordinaire. Je ne vous parle pas maintenant de moi , qui suis bien éloigné de la médiocrité, et plus encore de la perfection; mais je vous assure qu'un homme résolu, sur lequel la fortune n'a plus de pouvoir, en aurait été louclié ; sa couleur se serait changée. Car il y a des clioses, inoncherLucile, que la vertu ÈQUE. ne saurait empêcher. C'est par la que la nature fait connaître au sage qu'il est sujet 'a la mort. Aussi le verrez-vous froncer le sourcil 'a la ren- contre d'un objet fâcheux, frémir aux accidents imprévus, et se troubler, lorsque d'une hauteur escarpée il regarde un lieu bien profond. Ce n'est pas la crainte qui fait tout cela , c'est une disposi- tion naturelle que la raison ne saurait corriger. De là vient qu'il y a des gens courageux et tou- jours prêts 'a verser leur sang , qui ne sauraient voir celui des autres. Les uns s'évanouissent en voyant panser une plaie, quand elle est nouvelle et qu'elle saigne encore; les autres, quand elle est vieille et pleine de matière; il y en a même qui s'effraient plus de la lueur d'une épéc qu'ils ne font du coup. Je sentis, comme je vous ai dit, une certaine émotion, qui fut toutefois sans trouble. Mais aussitôt que nous revîmes le jour, nous entrâmes dans une allégresse que nous n'attendiojis pas. Alors je commençai a faire ce raisonnement en moi-même : que l'on craint certaines choses plus ou moins , assez mal à propos , puisqu'elii's se réduisent toutes à une même Un. Car, qu'im- porte que ce soit une montagne ou une tour qui vous accable? C'est tout un. Vous en trouverez pourtant qui craindraient davantage la dernière de ces ruines , quoique l'une el l'autre soient égn.- lement mortelles; tant il est vrai que la crainte considère moins l'effet que la manière dont il ar- rive. Ne vous imaginez pas que je parle comme les stoïciens, qui tiennent que l'âme d'une per- sonne accablée sous un si grand poids, ne trou- vant point de passage libre, se dissipe aussitôt dans le corps. Bien loin de dire cela je crois que ceui EPISTOLA LVII. PRIMOS AMJU MOTUS VEL SiPlE«TIS IS POTESTATE NON ESSE. Quuin a Baiis del)ereni Neapolim repefere , facile cre- didi leinpestateni esse, ne iteruin naYeni experirer : sed lantiim luti tota via fuit, ut posseiii videri niliilominus navigasse. Totum athlel^inmi fatum mihi illo die perpe- tienduni fuit : a ccroniatcnos haplieexcepitincrypt;i Nea- politana. Nihil illo cnrcere longius; nihil illls facibus ob- «curius , (piai nobis pricstaiit , non ut per tenebras vidca- mus , sed ut ipsas. Ca'terum eliam si locus baberct lucem, pnivis aufenet, in aperto quoque rcs gravis et molesta; <)uid illic, ubi in se volutatur, et, quum sine ullo spira- inento sit iuclusus, in ipsos, a quibus excitatus est, re- cidit? Duo incommoda inter se contraria simul pertuli- mus : eadem via, eodem die , et luto et pulvere labora- vimus. Aliquid tamen mihi illa obscuritas , quod cogitareni , ourquoi l'on demande si elle est immortelle. Mais tenez pour certain que si l'âme vit après le corps, elle ne peut périr en aucune manière, ne périssant point avec lui. Ce qui est immortel l'est sans aucune exception, et rien ne peut nuire 'a ce qui est éternel. EPITRE LVIll. De ta disette de la langne latine. — La division des êtres avec l'eiplication des iilées de Plaloo. — Q\e l'on peut proloiii^er .«a vie par le moyen de la tempérance ; mais qu'il e$t permis de retr^nctier cette même vie quand elle est à c!iarf;e. Je n'ai jamais mieux reconnu que j'ai fait au- jourd'hui le besoin ou plutôt la disetic que nous avons de quantité de mots. Comme nous parlions de Platon, par occasion , il s'est rencontré mille cbosesqui avaient besoin de noms, et qui, toute- fois, n'en avaient point; d'autres encore, qui en avaient eu autrefois, mais qui ies avaient perdus, parce que l'on s'en était dégoûté. Est-il possible d'avoir du dégoût dans l'indigence? Il y a une sorte de mouche <|ui pique les bestiaux et tjui les fait courir par les montagnes : les Grecs l'appellent œsiros , et les anciens Latins l'appelaient asilus. Vous en devez croire Virgile : Auprès du mont All)urue et du l)ois de Siler, Ou voit par escadrons un insecte voler. Il est craint des troupeaux ; au seul bruit de son aile, Ils senililcnt agites d'une fureur nouvelle : Tout s'eufuil aux forets sans prendre aucun repos . Le nom de col insecie ctiez les Grecs est CE-tros, Asiius parmi nous. Je pense qu'il voulait dire que ce mot était hors d'usage. Et , pour ne point vous tenir en suspens , on se servait autrefois de quelques mots simples comme cernere ferro. Stupet ipse Latinus Intentes, penilos divcrsis partibus orbis, Inler se coiisse viros, et cernere ferro. C'est ce que nous disons maintenant deccrnere. , l'usage du mot simple étant perdu. Les anciens di- saient encore si jusso au li«u de sijussero. Le même Virgile en sera témoin : Cictera, qua jusso , mecura manus inférât arma. Je ne fais pas maintenant cette recherche pour vous montrer combien j'ai perdu de temps dans l'étude (le la gramniaire; mais , pour vous faiie connaiire combien il y a de mots dans Ennius et dans Attius, qui sont vieux et moisis, puisqu'il s'en trouve dans Virgile, lequel on Ht tous les jours, (|ui sont a présent hors d'us.ige. Mais il quoi tend, direz-vous, cet avant-propos? Je ne vous le cèlerai point, c'est alln do pouvoir dire ce mot essentia , pour signiûcr essence , sans bles- errare. Quemadmodum flainrua non potest opprlmi ( nam drca id difiugit, quo urpelor) ; quemadmodum aer ver- | lierc a:it ictn, non Iseditiir, ne scioditur quidcm, sed i rirca id , rui cessit, refnndilur : sic animus, qui ex le- ! nuisiimo constat , depreliendi non potest, nt^c iulra cor- { pasafllici; sed lienencio sulitilitatis sua; , pcr ipsa , qui- j bus premitur, erurapit. Quomodo fulmini, etiam quura iatissime percnsslt ac fulsil , per eiiguuni foranien est redilus.sic animo,qui adhuc tenuiorcst igné, peromae ; terpus fuga est. Itaque de illo (jua-rcnduni est , an possit 1 (mmortnlis esse. Hoc quidcm certum liahe : si superstes est corpori , propterillud nullo génère mori posse , prop- 1er qiiod Doo périt; quoniam nulla immortalitas cum ex- ccptione est , Dec quidquam noiium xterno est. Vale. EPISTOLA LVIIL EIPI.IC1T QDOaODO OaNIl QD£ SONT PLITO DIVISEBIT. Quanta verborum nobis paupertas , imo egfstas sit , nunquam magisquam hodierno die intelleii. Mille res in- dderunt , quum forte de Platone loqucremur, quac Do- mina desiderareot , nec liaberent; quidam vero, quum 'habnissent, fastidio nostro perdidisseot. Quis autem ferat •iu egestalf fasiidiuni ? Iluuc , qiipm (Ira-ci a?jlron vocant, jx-cora peragcntem et lotis sallilms dissipantem , asiltim uosiri vocabant. Hoc \ irgilio licet çredas : Est lucum Silari jniU ilicibiisuni interisse. Ne le longe diffc- ram , quaedam simplicia iu usu erant , sicnt cerneri' ferro Mer se dicebantur. Idem Virgilius hoc probabit tibi : Stupet ipse Lalinii! . Ingénies, gcnitos diversis partibus orbis, lulerse coiisse viros, cl cernere ferro .... quod nunc deccrnere dicimus ; simplicis verbi usus auiis- susesl. Dicebantanliqui,sijiisso,idcst, sijussero. Hoc nolomibi credas, sed rdeli Vrgilio : Ciftera , qui jusso . inccum manus infpr.it arma. >'on id ago nunc bac diligcntia , ut osicndam, (|unntnm tempus apud Graiumaticuni perdiderini ; sed ut ex hoc intelligas, quantum apud Ennium et Attium verborum situs occupaverit; quum apud hune quoque, qui qnotidie eicutilur, aliqua nobis subducta sint. SÉNÉ QUE. 624 ser vos oreilles. Sinon, je ne laisserai pas do le dire, en dussiez-vous être fâché. J'ai un bon ga- rant de ce mot, c'est Cicérun. Si vous en voulez un plus récent, je vous produirai Fabianus, élé- gant et disert orateur, qui, parte avec la netteté que notre délicatesse demande aujourd'hui. Carie moyen, mon cher Luciie , de pouvoir tourner autrement oOah, ce mot grec si nécessaire, qui contient la nature et le foiidcmciil des choses? Permettez-moi donc d'en user, à condition que je vous promets de ne pas abuser de la liberté que vous m'aurez accordée, l'eut- être me cinitenterai- je seulement de l'avoir obtenue. Mais de quoi me servira votre facilité , puisque je ne puis ex- primer en vrai latin ce qui me donne sujet de faire ce reproche à notre langue? Vous en blamerei bien plus ladisette, quand voussaurez qu'il y a une syllabe grecque que je ne saurais tourner. Voulez- vous savoir quelle elle est? C'est to ov: vousdirez que j'ai peu d'esprit de ne pas voir qu'il est aisé de la traduire ainsi : Ce qui est. Mais j'y trouve beaucoup de différence ; car je suis obligé de met- tre un verbe pour un nom. Toutefois , s'il est né- cessaire, je dirai : Ce qui est. Notre ami, qui est un homme fort savant, me disait aujourd'hui que Platon donne à ce mot six tliffércnles signiDcations : je vous les expliquerai toutes après que je vous aurai montré qu'en l'or- dre des choses il y a ce qu'on appelle genre. 11 nous faut premièrement chercher ce genre duquel dépendent toutes les espèces , qui comprend toutes choses , et duquel procèdent toutes les divisions. Nous le trouverons si nous allons en remontant. Quid, ioqiiis.sibi ista Tult pra-paratio? que spécial? — rvon celal)0 te : cupio , si lleri potest propiliis aurilms tuis, Essentiam àitcre ; sin minus , dicani et iiulis. Cice- rooem auctorera tiujus verbi habeo, puto lociiplcleiii : si recentioreiii i]iiœns, Fabianum, disertuni et clepaii- tem, orationis , etiam ad nostrum fastidiutu, nitida'. Quid enimfiet, iiii I.ucili ? quomodo dicetur ojoia, rcs neccs saria , natmani coutincns , fuDdanientum omutuni ? Ko^fo ilaque , permitlas niitii hoc verbouti; nitiiloiniuiis dalio operam , ut jus a le datum parcissime exerceam ; fortasse contentus ero mitii licere. Quid prodeiit Tacilitas tua, quum ecce id iiullo modo laliueexprimere possiiii, prop- ter quod liugUcE uoslraî convicium feci? Magis damnatiis angusiias Romauas, si scieris unam syllabam esse, quam mularenonpossim. — Qua' hase (.il, quaeris? — ri bi. Duri tibi vidcor ingenii : iu medio posi- lum posse sic transfem , ut dicaiii ; Qvod csl. Sed mut- tuni interesse video : cogor verbum pro vocal)ulo poncre; sed ila necesse est , ponam : Quod est. Sex modis lioc a Platone dici amicus nosler, liomo eruditissinnis, hodicr- no die dicelial. Omnes libi eiponam , si anie indicavero , esse aiiquid genus, esse ft speciem. Nuuc enini gcuus illud priniuni qua;rlnms, ex quo entera; speties suspensir îunt a quo nascilur omnis divisio, quo uui\ei'sa eoiii- L'homme est une espèce, comme dit Aristote; le cheval est une espèce ; le chien est encore une es- pèce. Donc il faut chercher quelque chose de commun à ces espèces, et qui, comme un lien , les embrasse et les tienne toutes sous soi. Mais , quel est-il? C'est l'animal. Donc l'animal com- mence d'être le genre de ce que j'ai rapporté, savoir, de l'homme, du cheval et du chien. Mais il y a des choses qui ont une âme, et ue sont point animaux. Car on veut que les arbres et les plantes aient une âme, ce qui fait que nous disons qu'ils vivent et qu'ils meurent. Donc les choses ani- mées seront dans un rang au-dessus, puisque les animaux et les plantes sont contenus sous celte forme. 11 y a encore des choses qui n'ont point d'âme , comme les pierres ; parlant il y a quelque chose encore au-dessus des choses animées, savoir, le corps. Maintenant je diviserai le corps en ce qui csl animé et ce qui est inanimé. Car il y a quelque chose au-dessus du corps, puisque nous disons qu'il y a des choses corporelles, et d'autres qui sont incorporelles. Mais quel est le principe d'où nous tirerons cela? C'est ce que nous venons do nommer assez improprement, Ce qui est. l'ar ce moyeu , il sera divisé en espèces; de sorte que nous dirons : Ce qui est, est ou corporel ou incor- porel. C'est donc la le premier, le plus ancien et le plus général de tons les genres. Les autres sont bien genres, mais ils sont subalternes : comme l'homme est un genre , parce qu'il contient en soi plusieurs espèces de nations, les Grecs, les Ro- mains , les Parthes ; et de couleurs , les blancs , les noirs, les roux ; il contient encore les particu- prehensa sunt. Inveuietur autem , si cœperimus siogula relro légère; sic enim perducemur ad primum. Homo species est, ut Aristoleles ait; equus species est ; caois species ; ergo commune aliquod quaerendum est hi» om- nibus viDculum, quod illa complectatur , et sub se ha- beat. Hoc quid est? Animal. Ergo genus esse cœpit om- nium horum , quae modoretuli, hominis, cqui, canis, animal. Sed sunt quasdam , quae animamhabent, necsunt animalia ; placet enim, salis et arbusiis animam iaesse; itaque et vivere illa , et mori dicimus. Ergo animanlia supeiiorem tenebunt locuiir, quia et animalia in hac forma sunt, et sata. Qua;dani anima carent, ut saxa; itaque erit aiiquid animantilius aniiquius, corpus; hoc sic di- vidam, ut dicam, corpora onmia, aut animata esse, aut inaninia. Etlamnum est aiiquid su[>erius , quam corpus : dicimus enim quaedam eorporalia <'s>e , qna^dam incor- poralia. Quid ergo erit ex quo hue diducauturV illud , cni nouieu modo paruin pi-i)|iriuiu imposuimus , Quod est. Sic enim in species secabitur , ut dicamus ; Quod esl, aut corporale est, aut incorporale. Hoc ergo genu» est priniuni etantinuissimnni , et, ut ita dicani , générale; , cœlera , gênera quidem sunt, sed specialia; tanquan honio genus esl ; habet enim in se nalionnm species : Giacos, Koniduos, Parthos; colonuu : albos , uigroi , ÉPlTHtS A I.LCILIUS. 025 liers, Caton, Cicéron, Lucrèce. C'est pourquoi, en ianl qu'il conlienl plusieurs choses sous soi, il esl genre; en lant ([u'il est contenu sous un autre, il esl espèce : car ce genre . qui est général , n'a rien au-dessus de soi ; il est le principe des choses , tout esl sous lui. Les stoïciens veulent mettre en- core au-dessus un genre plus universel , duquel je traiterai aussitôt que j'aurai montré que ce genre, duquel je viens de parler, esl mis, "a bon droit, le premier, parce qu'il enferme et comprend toutes choses. Je divise donc ce qui est , eu espèces ; en corporel et en incorporel ; il n'y en a jwiul de troisième. Comment divisé- je le corps'? Je dis : Ou il esl animé, ou il est inanimé. Après, comment divisé-je ce qui est animé. Je dis: Il y a des choses qui ont esprit et âme, et d'autres choses qui n'ont qu'une âme; ou bien de lu sorte : Il y a des choses qui ont mouvement, qui marchent et qui avancent, et d'autres qui sonlatlachées h la terre, sont nour- ries par leurs racines et prennent accroissement. Kosuile, en quelles espèces divisé-je les ani- maux ? Je dis : Ou ils sont mortels, ou ils sont iui- raorlels. C'est le premier genre , au sentiment de quelques stoïciens; je vais vous exposer leur raison. Il y a, disent-ils, des choses qui existent dans la nature, et d'autres qui n'y existent pas. lintre cellesquin'ontpoiutd'existeiice sont les Centaures, IcsGéantsel tout ce que produit l'imagination, lui donnant quelque forme, quoiqu'il n'ait point de substance. Je reviens maintenant à ce que je vous ai pro- mis; savoir, comment Platon divise toutes les choses qui sont dans la nature en six classes. Ce premier être que nous appelons Ce qui est, ue tombe point sous la vue, sous rattouchenient, ni sous aucun autre sens; car, ce qui est qualilié genre ue subsiste que par la peusée, comme l'homme en général n'est point aperçu des yeux, mais bien le particulier; par exesiiple, Cicéron et Caton. On ne ^oit poinl l'animal , mais on l'ima- jjinc. On voit, toutefois, sou espèce, comme le cheval et le chien. Le second des êtres, Platon le met dans un degré émincnt qui surpasse toutes choses ; ildil qu'il est l'èire par excellence, comme l'on (lit communément, le poète : car, quoique ce nom convienne à tnusccux (jui font des veis, si est-ce que chez tes Grecs il dénote particulière- ment Homère. Mais quel est cet être? C'est Dieu, qui est plus grand et plus pui.ssant que toutes cho- ses. Le troisième genre est des choses à qui pro- prement il appartient d'être. Elles sont saus nom- bre; mais elles ue sont pas perceptibles à nos veux. Demandez-vous ce que c'est? C'est un meu- ble propre "a l'usage de Platon , qu'il appelle Idées, de (|Uoi toutes choses sont faites, et sur quoi ces choses sont fruuiées; elles sont iminoilelles , immuables, inviolablis. Écoulez maintenant ce que c'est qu'Idée, au moins comme Platon l'cn- tcud. Idée est un exemplaire éternel de toutes les choses qui se font dans la nature. J'expliquerai celle délinilion, afin de vous la rendre plus claire. Je veux faire votre portrait, je vous ai pour exem- plaire de ma peinture , d'oii mon esprit lire quel- que trait qu'il met dans son ouvrage, .\iiisi, ce vi.sage, <]ui m'instruit et que je làc^lie d'iiniler, fltvos; haliet siogulot : Catoncm , Ciceroneiii , I.iicre- linm. Ilaque qua niulta coatinet, ingénus caillt ; qua iiibalioest,in9|>ecicni. lllud gpiius , Quod est , peni'nilc, lupra se iiiliil lial>et. luitium reruin C!.t : oniiiia siib illo HUtt. Stoid Tolunt snperponere buic ctiam allii.l cenus nw- RH principale : de quo stalirn dicain , si priiis lllud genus, 4l«enl, incc- dout, Iranseuul; quacdani , solo afOïa, radicilms alun- lur el crocunl. Kursiis aninialia in quas species si-co? Aut iiiortjlia sunt , aut inniiorUlia. Priniuni genus Stoi- eii quihusdam videtur, Quiddani. Quarc videatur, sub- jieiam. In reruui , inquiuut, oatura quaedani sunt, qui- dam non sunt. Et liœc autim , quœ non sunt , rerum na- lura coniplectilur , quœanimo succurrunt , lanquam Cen- t»nri , Gigantis , et quidquid aliud , falsa cngilalione for- ■wtuin , lial)ere aliquam Iroaginem cofpil , qiiimvis non Inijeai siibstantiani. ÎSunc ad id quod tibi pronjisi, rcverlor; qimniodo , quxcumque sunt , in sei modos Plato parli.:lur. Prinuini lllud, Quod esl, nec (isu, neciactu , nec ullo .sensu coni- prehendilur, cogitabile est. Qiiod generaliti-r esl, lan- quam homo generalis, sub oeuins non venit, scd speci.ilis venit, ut Cicero et Cato. Animal non vidclur, sed cogi- tatur : videtur autem species ejus, cquus , el canis. Se cundum ei bis, qUcC sunt , poiiil Plato, quod eminel e* eisuperat omnia. Hoc, ail, pcr escellentiani esse , ut poêla conimuniler dicilur ; omnibus enini versus facien- tibus hoc niinien est : sed jam apud Grieco» in unius no- tani cessit. Ilimierum inteltigas, quum audieris Poetani. Quid er^o Ixic est? Deus ; sciticet major ac polenli.ir cunctis. Terlium genus est eorum , quae proprie sunt : innumerabilia liaec sunt , sed eitra nostrum posila cnn- spcctum. — Quœ sunt, inlerrogas? — Propria Plalonis supi lle> est , Ideas vocal , ex qnibus omnia , quiecuuiquc videmns, flunl, et ad quas cuncla Tiirmantur. IIx iin- mortales, immulabiles, inTinlabilcs sunt. Quid sit idea , id est, quid Platoni esse videatur, .nndi : « Idea esl eo- rum, qua; natura liunt, eiemplar ateriuni!. • Adjiciiiia dcfinitioni interprelationem , (iiio lilii res aperlior fiât. Voloimaginem tuam facere; e\enipl.Tr piclur,-!' le li;ilieo, ex quo capit aliquem Iiabituni mens , qncm operi suu ini- 40 mo SÉNÉQUE. est une idée. La naluie a une inûnilé de ces exem- plaires, sur lesquels elle forme tout ce qu'elle doit produire, comme ceux sur lesquels sont formés les hommes, les poissons, les arbres. Le quatrième genre est tîôos. Il faut vous rendre attentif pour savoir ce que c'est que de cet t'oos, et que vous imputiez à Platon , et non pas à moi , la difficulté que vous y trouverez ; mais les choses subtiles donnent toujours de la peine. Je me servais tout présentement du portrait que faisait un peintre. Quand il voulait, avec ses couleurs, représenter Virgile, il le regardait; le visage de Virgile étail l'idée du peintre et l'exemplaire de son ouvrage. Ce qu'il a tiré de ce visage, et qu'il a mis dans son ouvrage, est cet £'00; dont nous parlons. Voulez- vous savoir quelle différence il s'y rencontre? L'un est l'exemplaire, et l'autre est la figure tirée de l'exemplaire et appliquée à l'ouvrage. L'ouvrier imite l'un, et il fait l'autre. La statue a une tête, c'est ce qu'il appelle iBos, L'exemplaire a aussi une tête sur laquelle l'ouvrier, arrêtant ses yeus, a formé la statue ; c'est ce qu'il appelle Idée. Vou- lez-vous encore une autre distinction? eKo; est dans l'ouvrage, et l'idée est hors de l'ouvrage, et même avant l'ouvrage. Le cinquième genre estdes choses qui sont communément dans la nature; cela commence 'a nous regarder. Il y comprend les hommes, les bêtes et toules les autres choses. Le sixième genre est des choses qui semblent être, comme le vide , comme le temps. l'ialon ne met point ce que nous voyons et ce que nous touchons au nombre des choses qui sont vérilablement, parce qu'elles changent, et sont dans un accroissement ou dans un déchet conti- nuel. Personne de nous n'est le même en sa vieil- lesse qu'il était en sa jeunesse; ni le même au- jourd'hui qu'il était hier; nos corps s'écoulent comme les rivières. Ce que vous voyez s'enfuit avec le temps, et rien ne demeure. Moi-même, pendant que je vous dis que toutes ces choses chan- gent, je suis déjà changé. C'est ce qu'Heraclite entend, quand il dit que nous ne nous baignons pas deux fois dans une même rivière. Le nom est de- meuré, mais l'eau est passée. Cela se remarque mieux dans les rivières qu'en l'homme; mais, pourtant , nous ne passons pas moins vite. Ce qui fait que je m'étonne de notre folie, d'aimer tani une chose aussi changeante que le corps, el de craindre de mourir un jour, vu que chaque mo- ment fait mourir en nous notre élat précédent. Pourquoi craignez-vous que ce qui se fait tous les jours ne se fasse une fois? Je ne parle que de l'homme, qui est une matière (ragile et caduque, sujette h toute sorte d'accidents; mais le monde, qui est une chose éternelle et que l'on ne peut dé- truire, change aussi, et ne demeure point en même état ; car, encore qu'il ait en soi toutes i les choses qu'il a eues de tout temps , il les a d'une ' aulre manière qu'il ne les a eues; son ordre est changé. — A quoi me servira, direz-vous, cette subtilité? — A rien. Mais, comme un graveur quia i tenu sa vue longtemps attachée sur son ouvrage, ; la détourne ailleurs pour la délasser et la récréer, nous devons aussi donner quelque relâche a notre i esprit , et le remettre par quelque divertissement; I mais il ne faut pas que ce divertissement soit sans ponat. Ita illa, quas me docet et iDstrnit, faciès, a qua pelilur iniilalio, idea est. Talia ergo exeniplaria inGnita habet natuia rerum , bomiuuin , pisciuiu , aiborum ; ad t|ua;, qiiodcumque fieri ab illa débet, Ciprimitur. Quar- tuin locum liabet ««05, Quid sit hoc sWoç, altendas opor- let; et Platoni imputes, non mihi, banc rerum difflculta- teni ; nuUa estautem sine difficultatesubtilitas. Paulo anlc pictoris imagine utebar ; ille , quum redderc Virgiliuni loloribus vellet, ipsum intuebalur; idea eiat Airgilii fa- ciès, futurioperis exemplar; ex hacquod ailifex trahit, et operi suo iniposuit, eM»; est.— Quid inlersit, quœris? Allerum exemplar est , alterum forma ab exemplari sum- pla et operi imposita. Alteram arlifex imitatur, alleram facit. Habet aliquam faciem statua : hœc est jWoç. Habet allquam faciem exemplar ipsum , quod iutuens opifex statuam llpuravit : ha'c idea est. Etiaumunc aliam desi- deras disliuctionem? Idos in opère est; idea extra opus : nec tanlum extra opus est , sed anie opus. Quintura ge- nus est corum, quie communiter sunt : haec incipiuut ad nospertinere; hic sunt omnia, boulines, pecora, res. Sextum genus eorumest , quae quasi sunt ; tanquam inane, tanquam tempus. QnaBCumque Tidemus ac tangimus, Plalo in illis non •unierat, qua? esse proprie putat. Fluunt eoini , et in as sidua diminutione atque adjectione sunt. Mémo nostnim idem est in senectute, qui fuit juvenii; nemo est mane , qui fuit pridie. Corpora nostra rapianturflnminom more; quidquid vides , currit cum tempore ; nihil ex bis , (\xue Tidemus , manet. Ego ipse , dum loquor mutari ista , mu- talus sum. Hoc est quod ait Heraclitus : < In idemtlumen l)is non descendimiis. > îlanet idem fluminis nomen ; aqua trausmissa est. Hoc in amne manifestius est , quam in hominc : sed nos quoque non minus veloi cursus prae- tervehit ; et ideo admirer dementiam nostram , quod tanlopere amamus rem fugacissimam , corpus , timemus- que ne quando moiiamur , quum omne momentum mors prioris habitus sit. Vis lu non timere, ne semel fiât qnod quotidie fit? De homine dixi , Duida materia cl caducs, et omnibus obnoxia causis : mundus quoque, œlerna res et invicta , mutatur , nec idem manet. Quaniris enim om- nia in se liabeat, quc£ habuit; aliter habet, quam babuit : ordinem mutât. Quid. inquis. ista subtilitas mihi proderit? — Si me interrogas , nihil. Sed quemadmodum ille caelator ocalot diu intentes ac fatigatos remiltit atque evocat, et, nt did solet , pascit ; sic nos animum aliquando debcmus re- lasare , cl quibusdam oblectamentis reficerc. Sed ipia ob- lectamenta opéra sint; ex bis quoque, si observaTens. EPITUKS A LUCILIUS. (27 quelque sorte d'oocupalion , parce que, si vous y preuez garde, il vous fournira une matière dont vous pourrez tirer du proOt. C'est ce que j'ai coutume de faire, mon cher Lucile ; car je ne m'applique b rien de si éloigné de la pliilosopliic , que je ne tâclie d'en tirer quel- que chose qui puisse me la rendre utile. Voulez- vous savoir ce que je tirerai dt's tlioses dont nous venons de traiter, qui sont éloignées de la réfor- mation des mœurs , comme quoi les idées de Pla- ton me peuvent rendre meilleur, ce qui pourra servir à comprimer mes passions? C'est cela même que dit Platon, que tout ce qui tombe sous les sens , qui nous charme et qui nous échauffe 'a sa poursuite, n'est pas du nombre des choses qui sont véritablement. Tout cela est donc imaginaire, et revêtu seulement de quelque apparence qui ne dure qu'un temps. Rien n'est permanent et solide; et cependant nous le désirons comme s'il devait toujours durer, ou que nous le dussions toujours posséder. Imbéciles et lâches que nous sommes , nous nous arrêtons 'a tout. Portons notre esprit aux choses qui sont éter- nelles, élevons-nous en haut pour contempler et pour admirer ces exemplaires et ces formes de tous les êtres, et Dieu, qui est au milieu, préservant par là de la mort ce qu'il n'a pu fuire immortel , à cause que la matière n'y était pas disposée , et ré- parant par sa science le défaut des choses qu'il a créées. Car tout ce qui se voit dans le monde sub- siste, non parce qu'il est éternel , mais parce qu'il est conservé par le soin de celui qui le gouverne. Les choses immortelles n'ont pas besoin de protec- tion ; les mortelles sont maintenues par l'auteur qui les a faites, et qui, par sa vertu , soutient la fragilité de leur matière. Méprisez-les donc, puis- qu'elles ne sont pas si précieuses, qu'on ne doute encore si elles sont effoctivemcii t. Faisonscn même temps cette réflexion que voici : Que si Dieu , par sa providence , conserve le monde qui est mortel comme nous, nous pouvons aussi, par la nôtre, prolonger la durée de ce faible corps , en lui re- tranchant les voluptés qui font périr la plupart des hommes. Platon , duquel nous parlions naguère", est arrivé "a la vieillesse par la tempérance. Il avait nalurcllement le corps fort et robuste, comme le témoigne son nom , qui marquait la largeur de sa poitrine ; mais les voyages sur mer et les dan- gers qu'il avait essuyés avaient bien diminué ses forces. Toulcfois, la sobriété, l'u.sage modéré de loules les choses qui excitent nos désirs, et le soin qu'il prit de se conserver, le conduisirent à une longue vieillesse , malgré beaucoup d'obstacles. Car vous savez , comme je crois , qu'il mourut "a l'âge de quatre-vingt-un ans, précisément, et a pareil jour qu'il était né. Pour ce sujet, les Mages qui se rencontrèrent lors à Athènes lui offrirent des sacrifices après sa mort, estimant qu'il était au-dessus de la condition des hommes pour avoir accompli le nombre le plus parfait de tous, et avoir vécu neuf fois neuf années. Je crois qu'il ne se fût guère soucié du sacrifice, ni qu'il eût manqué quelques jours au compte. Il est lertairi que la so- briété peut fort bien protéger la vie, qui est une chose, "a mon avis, que l'on ne doit ni désirer ni refuser. Il est doux de demeurer longtemps avec soi, quand on .s'en est rendu la jouissance agréable. lûmes quod pussit fieri salutare. Hoc ego, mi Lacili, so- leo facere : ex oiuni vacatione, eliarosi a pbilosopliia ton- gistime aversa est , eruere aliqiiid conor et utite efOcere. Quid de istis capiam , quae modo traclavimus , rcniotis a refurmatiooe muruin ? qucmodo metioreni nie facorc ides Platooics pos»unt?quid ex istis trabaui , quod cupi ditales meas comprimât? Vel hoc ipsuni , qui>d (iniiiia iita qu9 sensibuiserviuDt ,quaeuos acceoduntetiriitaut, negat Plato ex bis esse , qus vere sint. £r{,'o ista iiiiagi- naria sunl, ei ad tempus aliquam faciem ferunl : nibit horum stabile , nec sulidum est. Et nos tanicn cupimus lanquaiii aut seinp«r futura, ant seroper babitiiri. Irabc- cilli fluidiqiie, per intervalla consistimus. Mittamus ani- niura ad illa qua; xterna sunt! miremur in sublimi voti- taates rcrum omnium formas , Deumque inter illa vcr- Mntem , et tioc providentem , queniadmodum , quae im- mortalia faore non potuit, quia materia prohibebat, defendataraorte, ac rationc vitinm corporis vincat! Ma- ncnt cnini cuncla , non quia sierna sunt , scd quia de- fendunlur cura regcntis. Immortalia tutore non egent : hi€C conservât arlifei , rragilitatcm maleris vi sua vin- CCDs. Contemnamns omnia , qua; adeo preliosa non stmt , nt,an sintomnino, dul>iiini sil. lllud simul cogilemns : si munduni ipsum, non minus inortaleui qunin nos sunms, Providentia pcriculis exiniii, poirst tanirn aliqualenus nosira quoque providentia prorogare buic cx)rpusrulo ninram , si voluptaies , (|uibus pars major périt , potue- rimus rcgere el coerccro. Plato ipse ad senectuleni se di- ligentia pertiilit. Kral quidcni corpus validum ac forte sortitus , et illi nomen laliludo pcctoris fecerat; sed navi- gationes ac pcricula mutluiii dctraxerant viribus ; parci- monia tamen , et eoniiii , qiin? avidltateni evocant, niodus, et dJIIgens mi tiitela , produxit illum ad sciiectutcni , multis pro)id>entibus causis. Kam boc scis , pulo , l'iatoni ditigentia- SUIE benencio cc^ntigisse. quud natali suii de- cessit , et annum ununi alque octogesiiiiiim iinpievit sino ulla dcductione. Ideo Ma^i, qui furie Albcnis erant, ini- molaverunt defuncto, aniplioris fuisse sortis qua m bu- man» rati , quia consuiiiuiasset lerfectissiiuujii nume- rum , quem novem novies mulliplicata coinpouunt. Pion dubito, quin paratus es»i>t paucus dies ex ista summa et sacriflciutn reiniticie. Potcst frugalilas producore senec- tuteni; quam ut non puto concupiscendam , ita ne recu- sandam quid; II). Jiicimdum est, esse secum quam diu- 40. 6-8 SÉNÉgUE. A celle nccasinii, nous dirons noire avis; sa- voir, s'il est bon de fuii reNlréiiiilé de la vieillesse, el d'avancer sa fin sans ait' ndre qu'elle arrive. Celui qui attend làclienicnt la mort ne diffère Ruère de celui qui la craint; el c'est iMre bien ivrogne, lorsque l'on a bu le vin , de boire encore la lie. Mais c'est une question de savoir si cette dernière porlion delà vie en est la lie, ou le plus pur, particulièrement quand le corps n'est point usé et que l'espiit et les sens prêtent leur secours ordinaire aux fonctions de l'àine. Car il y a grande différence entre une longue vie et une longue mort. Mais, si le corps devient inutile h touie sorte d'emplois, pourquoi ne pas délivrer ràn)e qui souffre eu sa compagnie , et de bonne heure , de peur qu'on ne le puisse plus faire lorsqu'il «-era temps de le faire? D'ailleurs, commr' il y a plus de danger à vivre misérablement qu'à mouiir bientôt, je liens pour mal avisé celui qui ne vou- drait pas quitter quelques jours pour se garantir d'un si grand inconvénient. Il s'en trouve bien peu qui soient arrivés 'a la mort par une longue vieillesse sans aucune alté- ration ni décliet en leurs personnes. Mais il y eu a beaucoup a qui la vie est demeurée sans en pou- voir user. Pourquoi donc estimerez -vous que ce soit une cruauté d'en retrancher quelque portion, sachant bien qu'elle doit finir un jour? Ne ra'é- coutez point avec répugnance , comme si l'affaire vous regardait désormais ; mais observez ce que je vais dire. Pour moi, je ne fausserai point com- pagnie à la vieillesse . pourvu qu'elle me laisse en mon entier, j'entends do la meilleure partie de raoi-mèmc. Mais si elle vient à ébranler mon es- prit, 'a altérer ses fonctions, s'il ne me reste qu'une âme destituée de raiMUi , je délogerai de celle maison, la voyant ruinée cl prêle à tomber. Tant qu'une maladie se pourra guérir, el ne don- nera point d'atteinte 'a mon esprit, je ne me ferai point de violence, non plus que pour m'exemplcr de la douleur ; car c'est lâcheté que de mourir de la S'Tle : mais si je sais que je doive souffrir per- pétuellement , je me tirerai de la vie , non pas à cause de la d.uleur, mais à cause de l'incommo- dité qu'elle m'apporterait dans les actions de la vie. En effet, j'estime lâche celui qui raeurl de peur de souffrir, et sot celui qui vil pi)ur souffrir. Mais je m'enipnrle bien loin dans cetie matièie, qui fournirait de que] discourir un jour entier. Vous me direz comment [xiurrail mettre fin à >a vie un homme qni ne la saurait mettre à une lettre ? Je vous dis donc adieu , ce que vous lirez plus volontiers, je m'assure, que des discours de la mort. EPITRE l,IX. De ta manière que l'on doit cerirc. — Que nous demeu- rons dans l'erreur parce que nous ne cherchons point la vérité , et que nous croyons les flatteurs qui nous donnent des quaiilés oue nous n'avons pas. J'ai lu voire lettre avec beaucoup de voluplé ; permettez-moi d'user des termes ordinaires , el ne les rapportez pas a la signification stoîi|ue. Nous croyons que la volupté est un vice. Je veu.x qu'il soit ainsi; néanmoins nous avons coutume de nous servir de ce mot pttur signifier l'allégrose de notre esprit. Je sais bien encore que la volupté tissime, quum quis se dignnm , que frucrctnr , effecit. Ita(|ue lie islo feremus sentenliam , an oporte.it fasti- dire senectutis exironia, et fiocm nonopperiri , sed manu lacère. Prope est a tiineute, qui l'aluni .-egnis exspcctat; ticut ille ultra niodum deditus vino est , qui aniplioiani essiccal, et fœcem quoque exsorbet. De hoc tanien qua;- retnus , pars snmnia vitae , utruui ea fa;x sit, an liquidis- simuni ac purissinmin qiiiddam ; si modo mens sine in- juria est, et iniegri senfus animum juvant, nec defcctum et prajmortuum corpus csl. Plurimum cnim refert, vilain aliquis exUndat , an mortem. At, si inolite ministeriis est corpus, quidni oporteat educere aniiiiuni lsliriia. Non relinquani .'•■eiipclutem, si metotuni niilii rcsorialdl; to- tuin aulcni ab illa parie nieliore; at, si cœperit r-iaculerc mcntrm , si parles cjus couTelIere , si mihi non vilani re liquerit, sed animam; proslliam ex a^dificio putride ac menti. Morbum morte non fugiam , duiitaxat sanabil m nec officientem animo ; non aiferam mihi manus proptfr doloreni; sic niori vinci est. Hune tainen si sciero per- petun mihi esse patiendum , exibo, non propter ipsuui , sed quia impedimeuto mihi fnturus est ad omne propter quod vivilur. Imbecillus est et ignavns , qui propter dolo- l'cm nioritnr ; siultus, qui doloris causa vivit. Sed in lon- gum exeo ; est prse me magoani ex epistola tua Kilnplatom : quaiiiTis enini ex bonesia causa imperi- tu« liomo gaiideat, tamen affectum cjus inipotealem , eC in diversa statim iiiclin;iUiruni , voluptatein voco, opi- nioiie falsi lioni molam, iinnioderatani cl inimodieam. Scd , ut ad proposituin reverlar, audi (|uid me in epi- «tola tua delcclaveril. Ualtcs ïer!)a in poleslalc ; non ef- fert le oralio, iiec longiU!i,<;iiani destiiiasti, Iraliil. Multi «uni , qui ad id , qaod non proposucrant scribere, alicii- ju» verbi ptacentia décore vocentur; quod tibi nonevonil; pressa sunt omnia , et rci aplata. Uiqucris quantum vis , •t plus signiflras quant loquerij. Hoc majoris rei iadiciuin «si : apparet airiroum qaoque nihil liabcre superracni , uiliit tuniidi. loTenio nunc Iraoslaliones Tcrbonim, ut non tpnicrarias , ita non inrtecoras : itaque periculuin sui fecerinl. Inrenio imagines; (|uil)iis si quis nos nti vetal , et poptis illas solis judical esse concessas , neiiiinem mihi vidi'lur ex antiquis Ir^isse, npud quos nnndnni caplalxi- tiir plauviliilis oralio. i lli , qui simplicitcr et dcmoo'ilranda! rei causa eloqueliantur , paraholis referti suut; qiias etis- limo necossarias, non ex eadem causa qiia pnctis , scd lit iiijl>ecillilalis nuslrir admiuicula sint, et utdisceuteiu cl aiidirnlein in rem pra»sentem adducanl. S iliuiii ecce quum maxime tego , virum acrem , gra;- cis ïcrliis, romanis morit)us philosoptiautem. Movit me iiiiago ab illo posila : Ire qiiadrato aRuiine eserciluni , iilii hoslis al) oinn; part.' siisi)cctns est, piigna; paralum. Idem, inqull, sapiens facere débet; omnes tirlutes suas ui!(lii|iic e\pai»!at, ul iibiciiiufiue iiifesti aliquid oiielur, illic parala pra-sidia siiit.etad iiulum regenlis sine tu- ninl u ie8[H>iidcanl. Qiiod iii eiercililius bis , <îuos inipe- ratiH'fS inagiii ordinanl , fieri videmus , ul iiiipcrium du- cis siiiiul omnes copia; seuliaiit, se disposila; , ut signuro ab une dalum, ledilcm .siniiileijiiilciu'inepcrciirral ; lioc aliqiianlo m.n|{is Decesiariuin ctss nobit Sextius ail. HU U30 SLNEQUE. l'ennemi sans sujet, et que le lieu qui semblait le plus suspect se trouve quelquefois le plus assuré. La folie u'cst jamais tranquille ; elle craint d'en haut et d'en bas ; les deux flancs la battent ; elle voit des périls devant et derrière; elle tremble 'a toute occasion ; elle est toujours sans défense, elle a peur même du secours qui lui vient. Mais le sage est prêt à tous assauts , et quand la pauvreté, la perte de ses proclies , le mépris et la douleur le viendront atlaciuer, il ne lâchera point le pied; au contraire , on le verra marcher sans peur , et combattre généreusement au milieu do ces tra- verses. En vérité, il y a beaucoup de choses qui nous tiennent attachés, beaucoup qui altèrent nos for- ces. Nous avons longtemps croupi dans le vice. Il est malaisé de nous nettoyer; car nous sommes plus sales au dedans qu'au dehors. Mais je de- mande une fliose que je considère souvent en moi- même, pourquoi nous demeurons si opiniâtrement dans l'erreur? C'est premièrement que nous ne la repoussons pas avec courage, et que nous ne cher- chons pas la vérité de toutes nos forces. De plus, nous n'avons pas assez de créance pour les choses que lessanes ont trouvées; nous ne voulons point iipprofoudir tant de belles connaissances; nous nous contentons de passer légèrement par-dessus. Mais aussi comment pourrait se fortifier contre le vice un homme qui n'y travaille qu'autant do temps qu'il n'est point occupé dans le vice? Per- sonne de nous n"a pénétré au fond ; nous avons pris seulement la superficie , et nous croyons que c'est assez, voire trop, d'avoir donné quelques heures à la philosophie parmi nos autres emplois. Le plus grand obstacle que nous ayons, c'est que si l'on nous appelle gens de bien , prudents et jus- tes , nous le croyons aussitôt , et nous en avons de la complaisance pour nous-mêmes. Nous ne som- mes pas contents d'une médiocre louange ; tout ce que la flatterie la plus effrontée nous présente, nous le recevons comme s'il nous était dû. Quand on dit que nous sommes parfaitement bons et sa- ges , nous en demeurons comme d'accord , quoi- que nous sachions que c'est un mensonge, et nous avons tant d'amour pour nous, que nous voulons être loués pour des choses toutes contraires a celles que nous faisons. Si nous sommes cruels , concus- sionnaires ou débauchés , nous sommes bien aises d'entendre dire que nous sommes doux , libéraux et continents. De 'à vient que nous ue voulons point nous changer, parce que nous croyons être fort gens de bien. Alexandre, lorsqu'il courait dans les Indes , ruinant des peuples qui étaient 'a peine connus de leurs voisins , fut blessé d'un coup de flèche en allant reconnaître le faible d'une place qu'il tenait assiégée. Il ne laissa pas de continuer; mais comme, le sang étant étanché, la douleur de sa plaie augmenta , et que sa cuisse, qui avait été suspendue sur son cheval , vint 'a s'engourdir, il fut contraint de s'arrêter, et dit : « Tout le monde m'assure que je suis fils de Jupiter; mais cette blessure me fait bien voirque je suis un homme. • Faisons la même chose , chacun selon notre condi- tion. Quand les flatteurs nous voudront infatuer, disons-leur : Vous me faites entendre que je suis prudent ; je vois pourtant que je désire beaucoup de choses qui me sont inutiles et qui me pourraient nuire si je les avais. Je ne sais pas encore combien cnim sappehoslem timuere sine causa ; tutissiinumquc illis iter, quod suspectissimum, fuit. Nihil slultitia pacatniii habet j lam superne illi metus est, quani infra ; ulrniiique trépidât lalus : scquuntur ptricula , et occurrunt ; ad omnia pavel; iniparala est, et ipsis lerretur auxiliit-. Sa- piens autem , ad onincin incursum niunltus est et iiitin- tus : non si panpertas, nou si luctus, non si ignomiuia, noasidolor impetum faciat, pedem referet. Interrilus et contra illa ibit, et intei- illa. Nos niulta aliigant , niulta débilitant; diu in istis viliis jacuimiis; clui ditricileest : non eniin inquinati sumus, sed infecti. Ne ab alia imagine ad aliani transeanius , boc quaeram, quod niecnm ssepe dispicio, qui 1 ila nos stultitia lam per- linaciter teneat? Primo, quia uon fortiter illam repelli- mus, nec toto ad saluteni inipetu nitinmr; deinde , quia illa, qua; a sapientibus viris reperta sunt, non salis cre- dimus , nec aperlis pectoribus haurimus , leviterque tam magnœ ici insistimus. Queniadniodum autem potesl ali- qnis , quantum satis sit, adversus \itia disccrc, qui, quan- luiii a viiiisiacat, discit?INemonoslrurn inaltiun descen- dit ;sununa tamuni decerpsiuuis; et e\iguuni teniporis iliipcndisse philosoi)bi,x', salis abuu leque occnpatis fuit. lUud piu'cipiK- iuijjcdit, quod cilo noliis placemus. .Si in- \cnimus , qui nos bonos îiros dicat , qui prudentes , qui saiictos , agnoscimus. Nec sumus modica laudatione con- tenti : quidquid in nos adulatio sine pudoi-e congessit , tauquam debituni prendinms ; oplimos nos esse , sapieu- tissimos, affîrmaalibus assentimur, quum sciamus illos mulla mentiri; adecque indulgenius nobis , ut laudari ye- limus in id, cui contraria quum maùme facimus. Mitissi- nmm ille se in ipsis suppliciis audit , in rapiuis liberalis- simum, in ebrietatibus ac libidinibus temperanli.ssimum. Sequilur itaque, ut ideo rautari noliraus, quia nos opti- nios esse credimus. Aleiander quum jam in India vaga- retur, et gentes, ne Dnitimis quidem s;ilis notas, bello vastaret, in obsidione cujusdam urbis, dum circumit mu- ros et imbecillissima mœnium quarit, sagitta ictus, diu persedere et incœpta agere perseveravit Deinde quum, represso sanguine, sicci vulneris dolor cresccrel , et crus suspensum equo paulatim obtorpuisset , caictus absistere : « Omnes , inquit, jurant esse me Joyis filium; sedvulnus boc lioniinem esse me clamât. > Idem nos faciamus; quum pro sua (pieuique portione adulatio infatuat, dicamus : Vos quidem me dicitis prudentem esse ; egoaulem video, quani nuilta inutilia coucupiscam , nocitura optem ; ne liiic qiiidi-m in'elligo, quod auimalibus salicUs monstrat,quis ÉPITRES A LUCILILS. G5I je Jois boire et manger, ni quelle est la portée de mon estomac , et cependant les bêles connaissent la portée du leur aussitôt qu'elles sont rassasiées. Mais je vais vous faire voir comment vous pourrez connaître que vous n'êtes pas sage. Celui- là est sage qui, rempli de joie, tranquille et as- suré, vit ainsi que font les dieux. Examinez-vous maintenant. Si vous n'êtes jamais troublé de tris- tesse , iuquiélé d'espérances ; si votre âme est jour et nuit dans une même assiette , élevée et satis- faite d'elle-même; assurez- vous que vous êtes ve- nu au plus haut point de la félicité humaine. Mais si vous cherchez les voluptés de toutes parts, sa- chez que vous êtes autant éloigné de la sagesse que de la joie. Vous désirez celle-ci avec empres- sement ; mais ne croyez pas que vous la puissiez posséder dans la compagnie des richesses. Vous la cherchez encore parmi les honneurs , c'est-à-dire parmi les soucis et les épines, et ce que vous sijuhaitez, pour en tirer de la salisfaction, est ce qui fait le sujet ordinaire de tous les déplaisirs. Tout lo monde prétend à la jiùe; mais personne ne sait où l'on doit pui-^cr celle qui est permanente et solile. L' un croit la Irouver dans le luxe et dans les festins; l'autre, dans l'ambition et dans la foule des clients qui le suivent; celui-ci, dans l'entretien d'une maîtresse; celui-là, dans l'os- tenlatîon de son savoir des belles-lettres , qui ne guérissent de rien. Tous ces plaisirs passagers et trompeurs traitent ces gens-là à peu près comme fait l'ivre&se , qui change la gailé d'une heure en un regret qui dure longtemps; ou bien comme fait l'applaudissement et la faveur du peuple, que l'on acquiert avec bien de la peine , et qu'il fatit payer ensuite avec beaucoup de soucis. Tenez donc pour certain que c'est en effet de la sagesse d'avoir une joie toujours égale. L'esprit du sage est en pareil état qu'est le monde au des- sus de la lune. Il y fait toujours beau temps. Vous avez donc raison de souhaiter la sagesse , puisque le sage n'est jamais sans joie. Mais cette joie ne prend naissance que dans une âme qui sait biey qu'elle a de la vertu. Il n'y a que l'Iiorame con- stant, juste et modéré, qui puisse avoir delà joie. Quoi donc! direz-vous, les fous et les mcthanls ne se ri^ouissent-ils point? Non pas autrcuient que font les lions quand ils ont trouve qufl(]ue proie. Quand ces gens-là sont las de boire et de faire la débauche , qu'ils ont passe la nuit parmi le vin , et qu'ils commencent à rendre les ragoûts délicieux dont ils chargent leur estomac , ils s'é- crient alors, et récitent d'un ton mélancoli(|ue ces paroles de Virgile : Car vous savez que celte nuit dcrni6re En faux plaisirs se passa tout enlicre. Les débauchés passent chaque nuit en de fausses joies, comme si c'était la dernière de leur vie. Mais cette joie , qui accompagne les dieux et ceux qui les imitent, n'estjainais interrompue et jamais ne cesse ; elle cesserait si elle était empruntée d'ailleurs ; aussi n'est-ce point une grâce qui vienne de personne, ni qui dépende d'aulrui. La fortune ne saurait ôtcr ce qu'elle n'a point donné. cibo debeat esse, quis potioni moitus; quactura capiara , adhuc nescio. Jara docebo, quemadroodam intclligas te non esse sa- plenlcm. Sapiens ille pleniis est gaudio, hilaris, et placi- diis, inconcussus; cuni Dtis ex pari vivil. >'unc ipse te consule. Si aunquain niirstus es, niilla spes aDimiim tuuni futuii eispcctatione sollicitât, si per dies aoclesquc par et aequalis aninii ténor crccti et placentis sibi est , per- Tenisti ad humani boni summam. Sed si appetis volupta- tes, et uDdique, et ornues, scito, tanlum tibi ex sapien- tia , quantum ex gaudio , déesse. Ad hoc cupis pervenire; «ed erras, qui inter divilias illuc te venturum esse speras; toter honores gaudium, inter sollicitudines quaeris. Ista, qua» sic pclis, tanquam datura laetitiatn ae voluptatem, causœ dolorum sunt. Omnei, inqiiam, illi tendant ad gaudium ; scd , unde stabile magnumque conspquantur, ignorant. Ille ex conviviis et luiuria; ille ex ambilione, et circamfusa clienlium turba ; ille ex arnica , alius ex stu- diorum lilicraliam vana ostentatione , et nihil sanantibus liiteris. Omnes istos oblcctamcula fallaciaet breïia dcci- piunt; sicut ebrietas, qux unius horae bilarem insaniam Inngi temporis ttedio pensât; sicut plausns et acclainatio- qU SiTunda: favor, qui magna sollicitudinc et parlas est , et cipiandus. Hoc ergo cogita , hune esse sapieiitia; cffec- tum, gaudii squabtateni. Talis est Sapieutis auinius, qualis inundus super lunam; seniper illic screnum est. Habcs ergo , quare velis sapiens esse ; quia nunquam sine gaudio est. Gaudium hoc non nascitur, nisi ex virtuluni eonscientia. Non potcst gaudere, nisi fortis, nisi jusius, nisi temperans. — Quid ergo? inquis; stuiti ac mali non gaudent ? — Non inagis , quara praîdain nacti Icônes. Quum fatigaverunt se rino et tibidinibus; quuni illos nox inter vina defecit , qnura voluptates , angusto corpoii ul- tra quam capiebat ingestœ, suppararc cœpcrunlj lune exclamant miseri Virgiliauum illum versum : Namque ut supremam falsa inter gaudia nocteni Egerimus , nosU. Omncm liixuriosi noctem inter falsa gaudia , et quidem tanquam supremaui, agunt. Illud gaudium, quod Deos Deorumque xmulos sequitur, non interrumpitur, non dcsiuit : dcsincret , si sumptura essct aliunde; quia non est alieni muneris, ne arbitrii quidem alieni csl. Quod non dcdit fortuna , non eripit. Vale. 652 SÉM-:t>UE. Él'UKl' LX. Qve les souhaits de nos parenU nous sonl coiitniircs. — Que l'on doit mettre an rang des bétes les hommes qni les surpassent en avidité. Je me plains, je ciio, je me fâche, de ce que vous désirez encoie ce que voire nourrice, voire gouverneur et votre mère vous ont autrefois sou- haité. Quoi! vous ne savez pas le mal qu'ils vous ont souhaité ! Oh ! que les vœux de ceux qui nous aiment nous sont contraires! et ce d'autant plus que le succès en a été plus heureux. Je commence à ne me point élonaer si toutes sortes de maux nous suivent dès notre enfance; nous sommes éle- vés parmi les imprécations de nos parents. Puissent les dieux quelque jour recevoir de nous un cnlle désintéressé. Leur demanderons-nous toujours quelque chose, comme si nous n'avions pas de quoi nous nourrir? Tiendrons-nous tou- jours les campagnes couvertes de nos hlés , et tant de peuples occupés à les moissonner? Verra-t-on toujours quantité do navires, chargés de froment , venir de diverses mers pour la provision d'une seule table? Un bœuf se nourrit dans un pâturage de peu d'arpents, une seule forêt suffit à plusieurs éléphants; et il faut la terre et la mer pour nour- rir un seul homme. Quoi donc! la nature, en nous donnant un si petit corps, nous a-t-elle donné un ventre si insatiable, alin qu'il surpasse l'avi- dité des plus gros animaux et des plus gourmands? Nullement. Que pensez-vous qu'il faille a la na- ture? Elle se contente de peu de chose. Ce n'est pas la faim, mais c'est l'ambition qui nous oblige à faire taut de dépense. Voila pourquoi , comme dit Salluste, il faut mettre au rang des bêles ce« hommes qui sont si sujets 'a leur ventre. Il y en a même qui ne méritent pas d'être mis au rang des bêtes, mais au rang des morts. C'est vivre, eu effet, que d'user de sa vie; mais ceux qui se ca- chent et qui sont ensevelis dans la fainéantise , on peut dire qu'ils demeurent dans leur maison comme dans leur tombeau. On peut mettre au frontispice cette inscription sur le marbre : Un tel est mort avant la fin de sa vie. EPITKE LXl. Pour jouir de la vie il faut é!re toujours prêt de la (loil- ler. — Il est plus nécessaire de faire ses préparatifs pour la mort que de faire ses provisions pour la vie. Ne désirons plus ce que nous avons désiré au- trefois. Pour moi, je prends garde de ne pas sou- haiter, à présent (|ue je suis vieux, les mêmes choses queje souhaitais lorsque j'étais jeune. C'est ;t quoi j'emploie les jours et les nuits. Mon élude et ma pensée sont de mettre fin "a mes désordres passés. Je lâche de faire en sorte qu'un jour me tienne lieu de toute ma vie; je ne le prends pas pour le dernier, mais je le considère comme .s'il le pouvait être. Je vous écris présentement dans celte disposition d'esprit, que si la mort m'ap- pelle tandis que j'ai la plume 'a la maiu , je suis tout prêt à partir. Ce qui fait que je jouis de la vie , c'est que je ne me soucie pas de la quitter. Je songeais à bien vivre avant (|ue je fusse vieux; maintenant que je le suis, je songe à bien mourir. Or, c'est bien mourir que de mourir sans regret. Eî'ISTOLA LX. CU»TejUNE.\Di ES.se QU.Ï VULGUS CUPIT. Queior, liligo, irsscor. Etiam uunc optas quod tibi optavit nulrix lua, aut pa-dacogus , aut mater? Nondum iritellifiis, quantum mali opîaverinl? O quam inimica nobis sont vota nostroriim ! eo quidem ininiiciora , que ccssere felicius. Jam nui ndmiror, si omnia nos a prima Dueritia niala sequiintnr; iuler exseeraliouos parentum crovimiis. Exaudiaiit (|iioque Dii n(is;ram pro nobis vo- cem gratuitam. Qumisqiie poscemus aliquid |:cos , quasi uonduiu ipsi aleie mis possimus? Qiiamdiu salionibus iniiilebimus magiiariim nrbium campos? (piaiiidiu nobis pipulus nutet? quamdiu nniiis meusas slnimenlum muUa nav igia , et quideni n(in ex uno mari , subvcbent? Tau- riis poiicissimonim jngerum pascuq impletur; una silva elcpliaii;!S pluribiLS sillicil; homo et teira poscitur, et mari. Qiiid ergo? tain iiisatiabileni noliis nalura alvuni dedil , i|Uiiin tam modica corpora dedisset, ut vaslissimo- nim edacissiin;;! unique animalium aviilitalem vinceremiis? I^iumie I Quantulimi est ciiini qur.d naluiie dalnr? parvo iili dimiititur. ISon famés nobis ventris nostri magna eoiLtlat, sed aiiiliilio. llos itaque , ut ait Sallost^us, ven- tri obedientes. animalinni loco numeremus, non liomi- num : quosdani vcro ne auimaliii;:i quideni , sed iiior- tuorum. Vivit is qui multis usni est. Vivit is, qui se utilur. Qui vero latitant et torpent.sic in domosuni, qnumodo in condilivo. Hornm licet in limine ipso nomen inarmori inscribas : mortem sujm antecesserunl. Vale. EPISTOLA LXI. SE PIRITU'H ESSE «OBTI. Desinamus, quod voluinms, velle. Ego cerle id ago se- uei , ne eadem Telle videar qnae puer volni. In hoc nnam eunt dies , in hoc iiottes ; hoc opus raenni est , hœc cogi- tatio, imponere veleribus nialis fiuem. Idr.go, ut niihi instar tolius vila» sit dies. >ec mehercules tanquam ulti- nium rapio ; sed sic iiluni aspicio, tanquam esse vcl ullimus possit. Hoc animo tibi banc epistolam scribo, tanquam quum maxime scribcnlem mors evocatura .'^it. Parains exire «uni , et ideo fruor vita ; quia , qiianidiii fulurnm hoc sit, niinimi pende. Anie scneclulcm curati , ut bene ÉPITRES A LUCILIUS. 633 l'renez garde de ne faire jamais rien malgré vous ; car, ce qui doit être arrivera infailliblement, et la nécessité se fait sentir a celui qui résiste, non pas a celui qui consent. C'est pourquoi je vous dis qu'en se soumettant volontairement à ce qui est commandé , l'on évite ce qu'il y a de plus rude dans la servitude, qui est de faire ce qu'on ne voudrait pas. Celui qui fait ce qui lui est com- mandé, n'est pas malbeureux ; mais bien celui qui le fait contre son gré. Disposons donc notre esprit à prendre en gré tout ce qui arrivera , et surtout que la pensée de notre fin ne nous afflige point. Il faut faire ses préparatifs pour la mort avant que de songer aux provisions pour la vie. Il se trouve assez de celles-ci, et c'est ce qui excite nos avi- dités ; car il nous semble , et il nous semblera tou- jours, qu'il nous manque quelque cliose. Mais, quand il faut se persuader que l'on a assez vécu , cela ne dépend point des jours ni des années, mais seulement de l'esprit. Pour moi , mon cher Lucile, j'ai vécu assez longtemps, j'ensuis salis- fait, et j'attends la mort. EPITRE LXII. I^esafTiiires nVnipèchent point d'étndicr. — Le moyen le pUis facile d'acquérir des richesses c'est de les mé- priser. Ceux qui veulent faire croire que la quantité «les affaires les empêcbe d'étudier, ne disent point la vérité. Ils font les occupés plus qu'ils ne le sont, et s'embarrassent d'eux-mêmes. Pour Dioi, mon cher Lucile, je suis de loisir, et partout où je me trouve, je suis toujours 'a moi; car je ne m'abandonne pas, maisje me prête seulement aux affaires, et je ne cliercbe point les occasions de perdre du temps. En quelque lieu que je m'ar- rête, j'y entretiens mes pensées, et je roule dans mon esprit quelque chose qui me puisse être utile. Quand je suis avec mes amis, je ne suis pas pourtant absent de moi-même. Je ne m'arrête pas avec ceux que je vois par l'occasion du temps ou des affaires; mais j'envoie mon esprit en la con-^ versation de quelque homme vertueux, en quelque lieu et en quelque siècle qu'il ait été. Je porte d'ordinaire avec moi Démétrius. C'est le meilleur homme qui fut jamais. Je laisse à part ces gens vêtus d'écarlate, pour m'entretenir avec lui, U)ut nu et délabré qu'il est; et je l'admire. Pourquoi ne l'admirerais-je pas? Je vois qu'en cet état rien ne lui manque. Ou peut bien tout mé- priser, mais on ne saurait tout avoir. La plus courte voie pour avoir des richesses, c'est de les mépriser. Mais notre Démétrius vit d'une manière qu'on dirait qu'il ne les méprise pas seulement, mais qu'il les a abandonnées aux autres. EPITRE LXIll. Il est bienséant de donner quelques larmes à t.i perte d'un ami. — Mais il est ridicule de le pleurer éternci- Icmeut. Vous êtes fâché de la mort de Flaccus, voti-o ami ; je ne vous conseille pas de l'être plus que de raison. Je vous demanderais bien de ne l'être point du tout, sachant que c'est le meilleur. Mais, qui est capable (l'une telle constance, hormis celui qui s'est affranchi du pouvoir de la fortune? Encore viverem; in senectute, ut hene moriar : beneantem mori est libenler mori. Da o;>eram , ne quid unquam invjtiis racias! Quidquid Tuluruni est, necesse futunmi est rc- pu^oanU; in volonteni nécessitas non est. Ita dico : (;ui imperia lil>ens excipit, partcni ncerbissiuiam .servilutis eTTugit , facere quod noiit. ÎSon , qui Jussiis aliquid (acit , miser est; sed qui invitus facil. Ilaque mc animum co:ii- ponamus, nt, quidquid reseiigct, id vctmus : et in primis fioeni nostri sine tristitia cngitcmus. Ante ad nior- lem , quam ad vitam , prsparandi sumus. Satis iastructa *ila est; sed nos instrnnirnlorum ejus af idi sumus : dé- esse nobis iiliquid videlur, et saniier tideliilur. L't s:itis Tixerimus, necanni , nec dies tacient, sed animus. Vixi, Lucili carissime , quantum satis erat : mortem plenus ei- ■pecto. Vale. EPISTOLA LXII. De TEMPOBIS USV. MentiuD'.ur, qui sibi obstare ad studia lilicralia turbnni negoliorum \ideii votunt; simulant occupationcs et au- vent, et ipsise occupant. Vaco, mi Lucili, vaco; cl, ubi- (iira<|iie sura, ibimeui sum. Rébus enimnon me trado. sed coninmd»; nec ronsector perdendi teinporis causas. F.', qiii)Cimr|ueconstiti liico , ibi cogitationcs nieas tracio, et aliquid in animo salulare verso. Quum me amicis dcdi, nnn tamen niilii al)duco ; nec cum illis moror, quibus me lenipus iiliquod cougrcpavit, nul causa ei officio nala ci- vil! ; sed cuni oplimo (|Uoque sum : ad illos, in qiiocuni- que loco, in (|Uociimque sa-culo fuerint, aniniuin mcum raiUo.Demetriuin, viroruni optimum, mccum circinnfero; <;l , relictis conchjli:ilis . cum illo seiuinudo loquor, illuni adiniror. Quidni admirer? vidi nihil ei déesse. Contera - nere omnia atiqui; polest ; omnia habore nciiio potest. Brerissima ad divilias, pcr contemptum diviliarum, via est. Dcmelrius autem nosler sicviïit, non tanquam con- tempsoril omnia, sed tanquam aliis habenda i)ermiserit. Valc. F.I'ISÏOLA LXIII. non isiHonioe ueFLe»uns esse ahicos. Molesle fers decessisse Flacciun , aniicum tuum ; pi!is tamen lequo dolere te U'ilo. Illud , ut non doluas, vix aii- dcbo esigerc; et esse melius scio. Sed cui isla nriiiitas 63i SÉNÈQUE cela le louclicrait-il ; mais il ne passerait pas plus avant. Pour nous aulres, il y a lieu d'excuser nos larmes, quand elles ne sont point excessives, et que nous tâchons de les retenir; car, dans la porte d'un ami , il n'est pas honnête d'avoir les veux secs, ni aussi toujours pleurants. Il est bon de jeter quel- ques larmes , mais non pas de se fondre en pleurs. Ne croyez pas que je sois sévère en votre endroit, puisque le premier des poêles grecs ne permet pas de pleurer plus d'un jour, ayant dit que Mobé eut soin de manger le jour même qu'elle perdit ses enrauls. Voulez-vous savoir d'où procèdent ces torrents de pleurs et toutes ce» lamentations? C'est que nous prétendons d'en tirer la preuve du regrclque nous avons, et de faire paraître plus de douleur au dehors que nous n'en avons au dedans; car il n'y en a pas un seul qui soit toujours triste dans le cœur. 0 malheureuse folio! on croit se faire hon- neur en paraissant affligé. — Quoi! direz-vous, faut-il que j'oublie incontinent mon ami? — Le souvenir que vous en auroznescrapasiong, s'il ue dure pas davantage que votre douleur. Car, tout rcirogné que vous êtes, il estccrtain que le moindre sujet (pii se présentera par hasard est capable de vous faire rire. Il n'est pas besoin, pour cela, de la longueur du temps, qui sait adoucir toute sorte de regrets et tarir les larmes les plus fécondes. Cessez seulement d'observer votre contenance, et aussitôt ce fantôme de tristesse disparaîtra. Vous conservez maintenant votre douleur, qui ne laisse pas de s'adoucir, quelque soin que vous en preniez , et qui finira d'autant plus vite qu'elle se trouvera plus violente. Faisons donc en sorte que le souvenir des amis que nous avons perdus nous soit toujours agréable. On ne se réfléchit pas vo- lontiers sur un objet qui donne de la peine. Mais, s'il est impossible de se remettre sans chagrin le nom des personnes que nous avons aimées durant leur vie, faisons que ce chagrin ne soit pas sans quelque plaisir. Âttalus disait autrefois que le souvenirquc nous avons de nos amis, après leur mort, nous plaît "a peu près comme faiU'amertume dans le vin vieux, ou comme certaines pommes qui sont aigres el douces. Laissons passer quelque temps, l'amer- tume se dissipera, et le plaisir nous demeurera tout pur. Si nous en croyons Attalus, c'est une es- pèce de miel et de ragoût, que de songer que no» amis sont en vie et en bon état; mais il dit que le souvenir de ceux qui sont morts n'a point de sa- tisfaction qui ne soit raêlce de quelque aigreur. Or, qui n'avouera pas que les choses aigres réjouis- sent l'estomac? Pour moi, je ne suis pas de son avis. Le souvenir des amis que j'ai perdus m'est toujours agréable et doux ; car je les ai possédés , sachant bien que je les devais perdre, et je les ai perdus comme si je les possédais encore. Faites donc, mon cher Lucile, en cette rencon- tre, ce qui convient "a une personne raisonnable comme vous l'êtes. Ne parlez point indignement d'un si beau présent que vous fait la nature. Il est vrai qu'elle vous laôté; mais elle vous l'avait donné. Cela nous devrait rendre avides de la con- versation de nos amis, de ne pas savoir combieu de temps nous en pourrons jouir. En effet, si nous considérons combien de fois nous les avons quittés, à l'occasion de quelque voyage ; combien de jour» anhni continuel, nisi jani multmii supra forlunarn elato? Illum quoque ista res vellicaliit : sed tantimi vellical)it. Nol)is auteiu ignosci potost prolapsis ad. laci'inias, si non iiimiœ decurrcrunt, si ipsi illas reprcs^imus. Ncc sicci siiit oculi amissu amico, nccniianl: lacniiiandiim est, non ploraaduni. Durain tibi Icgein videor ponere? quuni poelaruni Gra'corum niaxiniiis jus lleiidi dederit in UDum duntaxat diein; quum diserit , . etiara Nio- ben de cibo cogilasse. » Quii'ris, uiuie siiit lamentalio- nes, unde immodici flelus? Per lacrlmas argumenta desiderii qucerimus; et doliirem non sequiniur, sed os- tendimus. Neino trislis sibi est. O Infelicem stullitiam 1 ait aliqua el doloris ambiiio. — Quid crgo ? inquis ; ob- liviscar amici? — BreTcm illi apud te nicmoriam pro- miltis, si cum dolorc mansura est. Jam istam fiontcm ad risum qua.'lil)et forluita res transfert; non difl'ero in lou- gius tempiis, que desideriuni oinnc nmicetur, qiio eliam acerriini Inclus residunt. Qiuun priinuin te ol)servarc div sieri.s, imago istii tristitiœdiscedct: nunc ipse custodisdo- loreui luuni; sed eusloilicnti qnoqueelabitur,eo(|ue cilius quo est aciior, dcsinit. Id aganius, ut jucunda liât nobis amissorum recordatio : ncmo libentcr ad id redit, quod lion sine lormenlocogitaturusest. Si tanienislud lieri nc- cesse est, ut cum aliquo nobis morsu amissomm, quos nniavimus, nomen occurrat , hic quoque niorsus habet suam ïoliiplateni. Nam , ul dicere solebat Attalus nosler : « Sic auiicorum defunctorum memoria jucunda est, quo- niodo poma quapdam sunt suaviter aspera , quomodo io ïino nimis »eteri ipsa nos amaritudo détectât ; quum vero inlervenit spatiuni, omne.quod angebat , exstinguitnr, et pura ad nos ;oluptas venit. • Si illi credimus : t Aniicos incolumcs cogitare , raelle ac placenta frui est ! eorura , qui fuerunt, retractalio. non sine acerbitate quadam juvat. Quis autem negaverit , haec acria quoque , et ha- benlia ausleritatis aliquid, stomachum eicitare? • Ego non idem sentie; mihi aniicorum defunctorum cogitatio dulcis ac blanda est. Halmi entra itios, taoquam aniissu- rus ; amisi , tanqiiam habeam. Fac ergo, mi Lucili, quod asquilatem tuam decel; de- sine beneficitim fortuna; maie interprelaril Abstutit, sed dédit. Ideo auiicis avide fruamur, quia , quamdiu con- tingcrc boc possit, inccrlum est. Cogiteuius, quam sa>p«- ÉPlTRtS A LUCILIUS. 633 Dous avons passés sans les voir lorsque dous de- meurions en même lieu , nous trouverons que nous avons perdu plus de temps hors de leur compa- gnie, durant qu'ils vivaient, que nous n'en per- drons à présent qu'ils sont morts. Mais peut-on supporter ces gens qui se déso- lent dans la mort de leurs amis, après les avoir négligésdurant leur vie? Ils ne sauraient Icsaimer que quand ils les ont perdus; c'est pour cela qu'ils font éclater leurs regrets , craignant qu'on ne doute deleur affection, de laquelleilss'avisent bien lard de donner des marques. Au reste , si nous avons d'autres amis, nous leur faisons tort , témoignant qu'ils ne valent pas assez pour nous consoler de celui que la mort nous a fait perdre. Si nous n'en avons point, nous avons plus a nous plaindre de nous que de la fortune, parce qu'elle ne nous a ôté qu'un seul ami, et que nous n'avons pas eu soin d'en acquérir d'autres. Outre qu'il est'a croire que celui qui n'a pu aimer plus d'une personne n'en a point aimé du tout. Un liomme qui, se voyant dépouillé de son habit, aimerait mieux se plainilrc que de chercher quelque chose pour se couvrir les épaules et se parer du froid , ne vous sen)lilcrail- il pas un grand fou? Celui que vous aimiez est mort, cherchez-en un autre que vous puissiez ai- mer; car il vaut mieux remplacer un ami que de le pleurer éternellement. Je sais bien que ce que je vais dire est assez commun ; je n'omettrai pas pourtant de le dire , quoique tout le monde l'ait dit. Le temps Qnil la douleur que la raison n'avait pu guérir. Il est, toutefois, bien honteux 'a un homme de jugement de flnir son deuil parce qu'il est las d'être en deuil. Je vous conseille de quitter la douleur avant qu'elle vous quitte, et de cesser de faire ce que vous ne sauriez faire longtemps, (piand même vous le voudriez. Nos anciens ont donné aux fem- mes une année pour pleurer, non pas afin qu'elles pleurassent si longtemps, mais de peur qu'elles ne pleurassent plus longtemps. Il n'y a point de terme prescrit [M)ur les hommes, parce qu'il n'y > en a point d'honnête pour eux. Entre toutes ces femmes que l'on a eu peine de retirer du bûcher ardent, et d'arracher de dessus les corps de leurs maris défunts, donnez-m'en une seule qui ait pu pleurer un mois entier? Croyez-moi, il n'y a rien dont on se rebute plus tôt que de la tristesse : il est vrai que lorsqu'elle est récente, on lâche de la consoler ; mais , quand elle est trop longue , on la tourne en ridicule. Ce n'est pas sans sujet, car elle est d'ordinaire ou feinte ou déraisonnable. Je vous parle ainsi , moi qui ai pleuré avec tant d'excès Anuieus Sérénus, mon cher ami , que l'on me met, à mon grand regret, entre les exemples de ceux qui ont été surmontes par la douleur. Je condamne 'a présent mon erreur, voyant qu'elle procédait de ce que je n'avais jamais pensé qu'il pouvait mourir devant moi. Je considérais seule- ment qu'il était joime et l>eaucoup moins âgé que je n'étais , comme si la mort gardait quelque ordre quand elle nous mène au tombeau. Souvenons- nous donc que nous et nos amis sommes tous mor- tels. Je devais dire alors : Sérénus, 'a la vérité, est plus jeune (jue moi; qu'importe? Il peut mou- rir devant moi , quoiqu'il doive mourir après moi. illos rellqueritniis io alliiiinm percgrinaliimem lon^iiiquain etituri;qu msœpe, eodiin inorautcs loco, non vidcri- nius ; inlelli(!emus, plus nos temporis in vivis pcrdidisse. Feras anlem lios , qui , quum nenligenlissinic ainicos hn- heant, iniserririie tugeni, ncc amant qnemqiiani , ni&i qoum pcrdiderunl? ideoquc lunceffusius ma'rcnt, quia verentur ne dubium sit.an iimavcrint; ,<:cra iiidicla an'cc- lu> sui qua.'iiint. Si bat>emus aiios aniicos, mate de his et meremar, et eiistimamus , quia paruin valent in unius elati Sdiatium : si non bybeinus, niajoreui ipsi nobis inju- riani Teciinus, quara a Tortuna accepinius. Illaununi3t)s- tulit; nos quemcumquc non Tecimus. Dcinde ne unum quidem nimis amavit, qui plus quani unum aniare non potuit. Si quis despolialus, aniissa unica tuuica , complo- rarc se malit, quam circumspicere , quomodo liigus cf- lugiat, et atiquid inveniat <|Uo tcgat scapulas; nonne tibi Tidealur slultitsimus ? Queni amabas, eituli&ti; qua're quein âmes ! salius est auiicuiii reparare, quani llcrc. Sein pcrirituin jani boc esse, quod adjecturus siun; non idco tanKn prirlcrniiltani,quia ab omnibus dicluin rsl.Fiiicni dolendi eliuni qui consilio no» fecerat , temporc invenit; tarpifsinium .julcni est in hnniine prudenli renicdium mœroris, las^itudo ni- nom ejus non faciet. Scies esse illam in excelso , sci vo- lenti peneirabilcm. Hoc idem virtus tibi ipsa praestabit , ut illam admirons , et tamen speres. Mihi cerie ninltnm auferre temporis soict conleniplatio ipsa sapientiae : non ililer illam intneor obslupcfactus , quam ipsum intérim mundum, quem sa>pe tanquam spei^talor novus video. Veneror itaque inventa Sapientiic invenloresque : adiré , tanqnani nuiitorum heredilateni, juva!. Viiii ist» ÊPITRES A LUCILIUS. 637 liavail f;iil pour moi; c'est un acquêt qui ni'ap- parlicnl. Mais imitons le i)on père de famille; augmentons le bien qui nous a clé laissé-, afin que ce patrimoine se trouve plus ample entre les mains (le nos suceesseius. Il reste encore beaucoup d'ou- viage, et il en restera toujours beaucoup. Ceux qui viendront après mille siècles pourront encore V ajouter; et quand mC-me les anciens auraient tout trouve, c'est toujours quelque chose de nou- veau desavoir faire l'usage eU'application de ce que les autres ont trouvé. Supposez que l'on nous ait laissé des remèdes pour guérir les yeux ; il n'est pas nécessaire que j'en aille cliercher d'autres, mais il faut savoir ap- pliquer ceux-ci suivant la nature du mal et l'op- portunité (lu temps : l'un apaise la démangeaison d(,'s yeux, l'autre diminue l'épaisseur des paupiè- res; l'un détourJie la fluxion, l'autre fortiGe la vue ; il faut que vous prépariez ces remèdes, que vous en régliez la dose, et que vous les donniez quand il sera temps. De même, les anciens ont trouvé les reiuèdcs qui sont propres pour les ma- ladies de ràine. Mais c'est à iu)us de chercher (|uaud et comment il les faut appliquer. Ceux qui nous ont précédés ont beaucoup fait, mais ils n'ont pas tout achevé. On les doit toutefois admirer et les révérer comme dieux. Pourquoi ne garderions-nous pas les portraits de ces grands hommes, et n'honore- rions-nous pas le jour de leur naissance, alin de nous exciter "a la vertu? Ne les nommons jamais sans quelque éloge ; car le rcs|)ecl que nous devons à nos précepteurs , nous hî devons aussi 'a ces pré- cepteurs du genre humain, qui nous ont découvert les sources de tant de choses utiles. Si nous ren- controns un préteur, un consul, nous lui rendons toutes les marques d'honneur, nous descendons de cheval , nous nous dccouvnms , nous nous re- tirons du chemin. Kt, quand les deux Gâtons , le sage Lélic, Socrate , Platon , Zenon et Cléanlhe se présenteront à nos esprits, les recevrons-nous sans leur rendre quelque vénération particulière? Pour moi, je les révère extrêmement, et je n'entends point citer les noms de ces grands personnages, quejenemelève toujours pourleur faire uouneur. ÉPITRE LXV. Du nombre des causes siiivan! les anciens pliilosoplies. — Que la conteiiiplalion de l'unifecs élève et cnntenlo l'esprit , pourvu q[(e l'on ne la rétinisc point a des ques- tions vaincs et frivoles. Uier je partageai la journée avec ma maladie : elle prit le malin, et me laissa l'après-dînée, où je commençai d'essayer par la lecture les forces de mon esprit. Voyant qu'il l'avait bien reçue, je lui permis ([uelque chose de plus; je me mis "a écrire , et certainement avec plus d'application que je ne fais d'ordinaire quand je travaille sur une matière difûcile et que je veux emporter. Mais il survint quelques-uns de mes amis qui me forcèrent de tout quitter, me blâmant comme un malade qui aurait fait quelque excès. De sorte que, au lieu d'écrire , je fus obligé de parler dans la conversa- tion que nous eûmes ensuite. Je ne vous en rap- porterai que ce qui regarde la contestation (jui arriva entre nous, dont vous fûtes choisi pour ar- I bitre , et où vous trouverez peut-être plus de difli- cultés que vous ne pensez. arquisita , mihi ista labornt;i snnt. Sed agamus bonnm patremraiiiillas; faciiinius ampllora qua> acccp'oius: ma- jor isla bcredilas a me ad posteros Iranscat. Muttum ad- huc restât nperis,muUumi{ne rcstahit; nec ulli nutn post mille sxciila priTclndetur occasio aliqtiid ailhuc adjicien- 0i. Sed, etiainsi omnia a veterilms inventa sunt, hoc temper novnm erit, usus, e: invenlorum ali aliis scien- tia ac iiispositio. Pnta relie .1 nobis medicanienta , qiiiUus s;:nnrcntur oculi : non op:is est mihi alla quarere; sed b;re tamen morbis et ten:poril)(is aptanda snnt. Jlocaspe- ritas oculorum colleval((r ; hoc palpehrarum crassitndo tenuatur; hoc vis subita cl hnmor avertitnr; hoc acuelur ^isus. Teras ista oportet , et cligas tempos ; adbibeas sin- gulis modum. Aninii remédia inventi suntah anti(|uis : quo modo aulcm admovcantur , aut quando, noslri ope- ris est q(i,Trcre. Mdltum egerunt qui anle nos bienint ; wd non peregerunt : suspiciendi lamen snnt , et ritu Deo- rum cnlendi. Quidoi ego mngnorum virornm et imagines habram incitamenla animi , et natales celebrem? Qii dni «L'o illos honoris causa semper uppclleni? Qiiam venera- lionem praeeeiVorilms meis del)eo,eamdem illis praeeep- lorilMis generis hnmani, a qiiibus lanli l>oni initia lluxe- ruiil. Si consulem videro , iuit pra'lorera , oiimia , qnibns honor hat)eri honori solet , faciam? equo desiliam , caput adaperiam, semila cedam? Quid ergoî Marcum Cato- nem u'rnmque , et La'lium sapientem, et Socralem cum Plaionc, ctZenonem Cleanthemque, in animum (ncum sine dignaliooe summa recipiam ? Ego vero illos vcne- ror , et tantis nominilms semper assurgo. Vale. EPISTOr.A LXV. OPiniO!(K.S PI.ATOBIS, iBISTOTE[.IS ET STOICOHUM OE «iUS*. DIS C(>GITlTIO>UirS tïdMUH ITTOLLI ID S(3Rl.i>Ml. Hesternnra diem divi.-i cura mala valeludine . anîenie- ridianum illa sibi vindioant , postmeri<)iiin() milii cessit. Itaqiie lectione prirouui tentavi animum ; deindc , Ma- teria jacet iners, res ad omnia parala; ccssatura , si nemo moveat. Causa autem,id est, ratio, nialeriam format , et . quocumque vult , versai; ex illa varia opéra producit. Esse crgo débet, uiidc ullquid fiât, deindc a que fiât : hoc causa est, illud materia. Omnis aïs natiira; iinitatio est; itaque, quod de uuivcrso diceliani, ad lia'c Iransfer quœ ab lioraine facienda sunt. Slatua f;t ma:e- riam lialmit, quae paterelur artificeiii; et aitiliccni, qui maleriœ daret faciem. Ergo , in staua , matcriii œs fuit , causa opifex. liadcm condilio rcrum omnium est : ex eo constant , quod fit; et ex eo , qiio I facit. Stoicis placet , « unam caiisam esse, id quod ficit. • Aristoteles pulat , causam lril)us modis dici. « Prima , inquit , causa est ipsa materia , sine qua niliit polesl effici : secunda , opifex ; tertia est forma , qua; uuiculqiie operi iniponitur , lan- quam stattiEe : » nam liaoc Aristoteles idos vucat. ■ Quarla quoquc, inquit, tiis accedit, proposiluin totius operis. • Quid sit hoc, aperiam. JCs prima statuae causa est : nun- quam enim facta esset, nisi fuissetid, ex quo funderelur ducereturve. Secunda causa artifex est : non potuisset enini a's illud in hal)ituni statuae figurari , nisi accessis- seut perila' inanus Tertia causa est forma : uequc enini statua ista Doryphoros ant Diadumenos vocaretar , nisi hêec itii esset impressa faciès. Quarta causa est faciendi propositum ; nam nisi hoc fuisset , facta non esset. Qaid est propositum ? Quod invilavit artificem , quod ille secu- lus fccit. Vel pecunia est hoc. si venditurus fabricavit; vct gloria, si lalmraiit in nonieu; vet religio, si donani templo paravit. Ergo et hiec causa est , propter quun lit. Au non putas inter causas facti operis esse nuiiierandum, quo remoto factumnon esset? Uis quiotain Plato adjicit, exeinplar , quam ipse ideam vocat ; hoc est enim , ad quod respiciens artifex id, quod deslinabat, effecit. Tiihil au- tem ad rem pertinet , utrum foris hal)eat exemplar , ad quod référât oculos ; an intus , quod sibi ipse concepit et posuit. Hajc exemplaria rerum omnium Deus intra se ba- bet; Dumerosque universorum, quae agenda sunt, et mo- dos , meute complexus est : plenns his flguris est , quas Plato ideas appellat immorlales, immutabiles, infatiga- bites. Itaque homines quidem pereunt; ipsa aulcm buma- nitas, ad quem honio eflingitur, permanet; et, homini- bus laliorantibus , inlereuntibus , illa uihil patitur. « Quin- que ergo causa suot , • ut Plato dicit : • id ei quo, id a quo, id in quo, id ad quod, id propter quod : novissim* id quod CI bis est. » Tanquam in statua (quia de lia» EPITRES A LUCILIUS. 639 fin , ce qui provient de toutes ces causes. Comme , (kns la statue dont nous parlions , celle de quoi est le cuivre, celle par qui est l'ouvrier, celle comme quoi est la forme qui lui est donnée, celle sur quoi est l'exemplaire que l'ouvrier imite, celle pourquoi est l'intention de l'ouvrier, ce qui pro- vient de tout cela est la statue. Le monde , comme dit Platon , a toutes ces cau- ses; Dieu en est l'ouvrier; ce de quoi il est fait, est la matière; la forme, c'est l'ordre et la disposi- tion qu'il Y a mise ; l'exemplaire est rentcndeiiicnl de Dieu, sur lequel il a fait ce grand ouvrage; la cause pourquoi il l'a fait, est sa bonté. Il est boD , il a fait tout bon; car celui qui est bon n'a point de répugnance a rien qui soit bon; c'est pourquoi il l'a fait le meilleur qu'il lui a été possi- ble. C'est h vous, maintenant, à prononcer et à déclarer celui qui vous semble avoir dit quelque cbose de vraisemblable , non pas de certain; car cela est autant au-dessus de nous que la vérité même. Je dirai cependant que cette multitude de cau- ses, qu'introduisent Platon et Âristote, comprend trop ou trop peu; car, s'ils prennent pour causes de ce qui est fait les choses sans lesquelles il n'nu- rail pas été fait, ils en ont mis trop peu; ils de- vaient y mettre encore le temps, puis<^)uc rien ne se peut faire sans le temps. Il fallait ajouter le lieu; car on ne peut faire une chose sans (ju'il y ait un lieu pour la faire. On en peut dire au- tant du mouvement : car sans lui rien ne se f:iit, rien ne sedétruit; on ne peut exercer aucun art; il ne se peut faire aucune mutation sans mou- vement. Mais nous cherchons maintenant une cause première et générale, laquelle doit être simple , puisque la matière est simple. Nous de- mandons ce que c'est que cette cause. C'est une intelligence qui agit, c'est-a-dire Dieu. Ainsi, celles que je viens de rapporter ne sont point pro- prement causes , chacune à son regard ; mais elles dépendent toutes d'une seule ; savoir, de celle qui agit. Vous dites que la forme est une cause ; mais c'est l'ouvrier qui la donne à son ouvrage , duquel elle est une partie, et non pas la cause; de même l'exemplaire n'est pas la cause, mais un instru- ment nécessaire à la cause, comme le ciseau et la lime sont nécessaires à l'ouvrier ; car, sans cela , l'art ne saurait rien exécuter ; ils ne sont pas pour- tant des parties ou des causes de l'art. Ces deux philosophes disent encore que l'intention de l'ou- vrier est une cause; si c'est une cause, elle n'est pas une cause efficiente, mais seulement acces- soire. Or, toutes ces causes sont sans nombre, et nous en cherchons une qui soit générale. Quand ils ont dit que le monde et (out ce parfait ouvrage que nous voyons est celte cause, ils ont oublié leur subtilitcordinairc , air il y a grande différence en- tre l'ouvrage et la cause de l'ouvrage. Eufln, don- nez voire jugement , ou , comme il est plus expé- dient en ces sortes de matières, dites que vous ne voyez pas encore assez clair, et renvoyez-nous à une autre fois. Vous me direz : Quel plaisir prenez-vous à per- dre le temps en des questions qui ne vous sauraient guérir de la moindre de vos passions? Je songe premièrement à ce qui peut établir le repos de mon âme, et, après que je me suis bien examiné, je considère ce grand univers. Mais ne croyez pas loqai cœpimut) id eiqnn, apiest; idaquo.artiretest; id in quo , torma est, quic aptatiir illi ; id ad quod , eicni- plar est, quod iiiiitatiir i< qui facit; id prnpter quod, fd- cientis prciposiluin est; id quod ex istis est, ipsn slnliin est. • II^c (ininia muiidus quoque, ut ait Plato, b.ibet: fiicienteni ; hic Deus esl : r% quo fil ; lia-c inalciia e4 : riirniani; hic est habilus et ordo iiiniidi (|uein videmus : eieinplar, scilicrtadquod Dcnsh.incnia(;niludincrii ()i)e- ris pulcherrinii fccit : proposilniii , propter quod fecil. • Quxrii , quod sit proposituni Dco? Bonitas csl. Ita certc Plato ait : • Qu» Deo facirndi nuindum cnusa Cnil? Bo- nus est; iKino nuUa cujusquani l)oni invidia est. Fecit ila- qup quam optimnin poluit. » Fer ergo judex sententiam, et pronuntia , quis tibi vi- deatur «erisimilliinan) dicere , non quis Terissimum di- cat; id enim lam supra dos est , qnam ipsa \eritas. Hiec, nux ab Aristolele et Platonc ponltur , tiirba causaruin , out DimiuiD multa, aut nimium paura coniprehendit. Nam si , quoi umque reniiilo quid efflci non potcst , id c;iu- (ain judicaot e»«e facicndi , p^uica diieruiit. Ponnut iiiter causas teinpus; nihil sine tcniporc piitost (Icri : ponant lo- cum ; tl non fuerit ul)i fiât ali(|uid , ne fiit qnidem : |)0- Dant iiioliini; nil sine hoc ncc fit. uec |)eiit; nulla siiic niohiars, nnlla mntatin esl. Sed nos nunc priiram et generaleni causani quuTinius : hxc siniplei esse débet ; nam et niateria siniplex est. Qua?rimus, qux sit causa, ratio scilicet facieiis : isia enim, quscumque retulistis, nonsuntnmitx et singula' causa', sed ex una pendent, ex ea qii.e laciet. Formani dicis causam esse ? Hanc im- ponit arliFex iipcri ; pars causae est, non causa. Eicmplar quoque non estcausii; sed instrumentum, causaî noces- sarium. Sic nccessariuni est oxeniplar artifici , quomodo scalprum , Jels S4)ient différents. Je vis dernièrement Claranus , mon compagnon d'école, après un intervalle de plusieurs années. Vous savez déjà (et vous n'attendez pas que je vous le dise) qu'il est vieux ; mais il a encore l'esprit sain et vigoureux , et qui ne cède point à l'inQr- mité de son corps. En vérité , la nature a eu grand tort d'avoir si mal logé un si bel esprit, si ce n'est pour nous faire voir qu'une âme généreuse et j contente peut être enveloppée d'un étui défec- ! tueux. 11 a néanmoins surmonté tous ces obsta- cles, et, par le mépris qu'il a fait de soi-même , il s'est appris a mépriser toutes choses. Celui-là s'est trompé ( à mon avis ) qui a dit : La l>eauté rend toujours la vertu plus aimable. j Car celle-ci n'a pas besoin de parure , elle trouve en soi son plus grand ornement. Elle honore , et, pour ainsi dire , elle consacre son corps. Après tout, quand je considère notre Claranus, il me semble lu-au et aussi droit de corps que d'esprit. Un grand homme peut sortir d'uue petite maison, et une grande âme peut se rencontrer dans un corps petit et difforme; ce qui me fait croire que la nature produit de telles personnes, aGn que l'on connaisse que la vertu peut naître partout. S'il lui avait été possible de produire les âmes toutes nues , elle l'aurait fait sans doute ; mais elle a fait davantage ; car elle a mis au monde certaines gens qui sont embarrasses de leur corps , et ne laissent pas d'agir, nonobstant les incommodités qu'ils en reçoivent. Il semble que Claranus ail été fait ex- près pour nous apprendre que l'âme n'est point souillée par la difformité du corps , mais que le corp.< reç^iit du lustre par la beauté de l'âme. Quoique nous ayons passé fort peu de jours eu- scrable, nous avons eu toutefois beaucoup d'en- tretiens , lesquels je mettrai par écrit, et vous les enverrai ci-après. Le premier jour, on demanda comment les biens pouvaient être égaux , leur nature étant différente et de trois sortes. Nos philosophes veulent qu'il y en ait du premier ordre, comme la joie, la paix, Ut ad propositnm revertar : huic libertati multuni con- fert et llla, de qua modo loqnebamar, inspectio. Neiiipe universa ei materia et ex Deo constant : Deus ista tem- pérât, qux rircumfusa rectorem scquuntur et ducem. Putenlius autem est ac pretiosius quod facit, quod est Deus, quam materia, pntiens Dei. Qnem in lioc uiundo locum Deus obtinet, tiunc in homine aninius : quod est illic materia , id in nobis corpus est. Sertiaot ergo dété- riora melioribus ; fortes simus ad?crsus fortnita; non con- tremiscamus injurias , non ruinera , non vincula , non pgestatem. Mors (|uidem aut Huis est , ant transitus. Nec dcsinere timeo ; idem est euim , quod non cœpisse : nec transire ; quia nusqoam tam auguste ero. Vale. EPISTOLA LXVI. BOnA fQlllU ESSE : TIBTIlTea JEQUiLES ESSE. Claranum condiscipulum meum vidi post multos an- nos ; non , puto , eispectas ut adjiciam , scnem ; sed me- hercules viridem animo ac vigentem , et cum corpusculo sao colluctantem. Inique enim se natura ges.sit, et talcm auimum maie collocafit : aut fortaise Toluit boc ipsum nobis ostendere , posse ingen'um fortissimum ac beatissi- mum sub qualibet ente latcre. Vicit lamcn umnia inipe- dimenta ; et ad caetera contcnincnda a contemptu siii cor- poris venit. Errare mibi \isus est qui diiit : Gratior est pulchro vcnieiis in corporc virtus. Nec enim nllo honestamento egct ; ipsa magnum sui dé- çus est , et corpus suum consecrat. Ccrie Claranum uos- trum cœpi intueri : form»sus mibi videtur, et lam rec- tus corpore , quam est animo. Potcst es rasa >ii- magnus exire; potest et ex deformi humilique corpusculo foruio- sus animus ac niagnus. Quosdam itaque mibi vidclur in boc laies ualura generare, ut approbet virtulcin omni loco nasci. Si posset pcr se nudos cdcre animos , fecissel ; nuDC , quod amplius est , facit ; quosdam eniiu edit cor- poribus inipcditos , sed nibilo minus perrump"ntes ob- stanlia. Claranus mibi videtur in exeniplar e>iilus, ut scire posscmus, nondeformitale corporisfœdarianimuni, sed pulchritudine aniuii corpus ornari. Quamvis autem paucissimos una fccerimus dics , ta- men niulti nobis sermones fuerunt , qnos suliinde ege- r.im et ad te permittam. Hoc primo die qua'silum est; 4< 042 et le salut de la patrie ; d'autres , du second ordre, qui sont attachés à des sujets tristes et fâcheux , comme la patience dans les tourments, la con- stance dans une forte maladie. Nous désirons ab- solument ceux-là ; mais mius ue demandons ceux- ci que par occasion , et quand nous en avons be- soin. Il y a encore des biens du troisième ordre, comme un port modeste et bien réglé, un exté- rieur de prud'liomie, le geste et les manières d'un homme judicieux. Comment ces choses peu- vent-elles être pareilles , puisque nous aimons les unes et que nous appréhendons les autres? Pour les bien distinguer , il faut les rapporter au pre- inier bien , et considérer ce que c'est. C'est une âme qui ne regarde que la vérité , qui sait ce qu'il faut désirer et ce qu'il faut éviter; qui estime les choses suivant leur valeur , et non suivant leur réputation ; qui , jetant ses regards sur tout l'uni- vers, considère attentivement tout cequis'y passe; qui veille sur ses pensées et sur ses actions , égale- ment forte et grande, invincible "a la douleur et au plaisir; pareille en l'uueet l'autre fortune; qui est au-dessus de tous les accidents ; en qui la beauté se trouve accompagnée de la grâce , et la santé de la vigueur ; ferme , intrépide , que la vio- lence ne saurait abattre, qui ne s'élève ni ne s'a- baisse pour aucune chose qui arrive. La vertu est faite de la sorte ; voil'a son portrait , si vous la re- gardez d'une seule vue, quand elle se montre à découvert. Mais il y en a plusieurs espèces, qui s'étendent "a lous les élats et à toutes les actions de la vie, sans qu'elle en devienne ni plus grande, ni plus petite. Le souverain bien no saurait déchoir, ni la SËNËQUE. vertu marcher en arrière. Elle prend seulement di- verses qualités, suivant la nature des actions qu'elle exerce ; elle impi ime sa ressemblance et son ca- ractère a tout ce qu'elle louche; elle relève les ac- tions et les amitiés des particuliers ; elle honore des familles entières, quand elle y a pris habitude; tout ce qu'elle touche devient aimable, éclatant et merveilleux entre ses mains. C'est pourquoi sa force et sa grandeur ne peuvent monter plus haut, puisque l'extrême grandeur est incapable d'ac- croissement. Aussi ne trouverez-vous rien qui soit plus droit que ce qui est droit ; ni rien de plus tempéré que ce qui est tempéré. Toute vertu a sa mesure et ses bornes. La constance ne saurait aller plus avant , non plus que la vérité, l'assu- rance et la bonne foi. Que pourrait-on ajouter a ce qui est parfait? Rien, ou bien il n'était pas parfait. H en est de même de la vertu , a qui né- cessairement il manquerait quelque chose si l'on pouvait y ajouter. Ce qui est honnête ne reçoit point d'augmeniation ; car il est le butet la On de tout ce que je viens de dire. Ne mettez-vous pas eu même rang ce qui est bienséant , ou juste , ou légitime? Tout cela est renfermé en de certaines bornes qui ne se peuvent étendre. C'est une mar- que d'iuiperfeciiou , que d'êlrc susceptible d'ac- croissement ; le bien , de quelque sorte qu'il soit , se réduit toujours aux mêmes termes. Le bien pu- blic et le particulier sont liés ensemble, et ne se peuvent non plus séparer que l'honnête et le dé- siiiible. Les vertus sont donc pareilles entre elles , aussi bien ([Ue leurs actions et les hommes qui les produisent. Les vertus des plantes et des animaux, qui sont i Quomodo possint paria bonaesse, si triplex eorum con- ditioesl. » Quajdam, ut iioslris viilet;ir, piima l)Oua siint; lanquara gauiiura, pax , salusi)ati'iaB.Qua'dam se- crniila , in inaleria iufelici expressa ; tan(piaiii tin'iiieMlo- rura pitientia , et in niorbo gravi tcmperanlia. 111a l)ona directo optamus Dol)is ; liaec, si nec.sse erit. Sunt adhuc terlia; tanquam modcsiiis incessus, et compositus ac pnibus vultus, et ciinveniens prudenli vire pcsuis. Quo- modo ista inter se paria esse pitssuni , qimni alia optanda sint, alia aversanda ? Si volunnis ista dislinguere, ad primum bonum revertamur , et considerenms , id quale sit. Animus intucns Tcra , pcritus fugieadoruni ac peten- dorum ; non ex opinione , sed ex nalura , prelia lebus imponens; loti se insérons mnndo, cl in omnes cjus ac- lus conlemplationem siiara njitlens , cojjitaiionibus aclio- nibiisqueititentus, ex apquo msgnns ac vehemens, as- peris l)landisque parileriuvictus, nenlri se foi-tunae sub- niiltens, supra omnia quie coniingunt acci.lunlque enii- nens, pnlclierrinms cura décore, cnm viribus sanus ac siccus, iinperturbatus , iutrepidus, qm-m nulla vis Iran- gat , queni ncc altollant lortuila , nec déprimant : talis animiis Virlus est; haec ejus est faciès , si sut) utiuni \e- nial aspettuni , cl semel tola ss ostendat. Caslerum muUae cjns spccies sunt , quœ pro vifae varietate et pro aciioni- bus expllcantur; nec miuor fit aut major ipsa. Decres- cere eiiim summum Ixinuni non potest, nec virluli ire reiro licet : sed in alias alque a.ias qualitates con- veiliturjal reruni , quas actur i est, habiium figurata. Qtiidquid attigi:, iu siniilitu ineni sui addiicit et tia- git : ac.ioms. amicit as, ijitcrdum dumos toias, quas in- iravil (lisposuilque , condecorat : quidquid tractaïit.id ani^bile, conspiiuuin, mirabile ftcit. llaque vis ejo» et magnilnlo ultra non po:est surt;ere, quando incre- nientimi maxinio non est. INihil invenies rectius recto, non magis quam vérins vero, quam temperaio teiupe- ratius. Onmis in modo estvir'Hs; modus certa mensu;a est. Constantia non habetquo procédât, non magis quam fidu- cia.ant veritas, aut fi.lcs. Qnivl acccdere perfecio potest? nibil; aut pcri'ectum non erat , cui accessit : ergo ne vir- tuti quidcm; cui si qiiid adjici poirsl, defuit. Honestum quoc|ue nullam accessionera recipit ; honestum est enim propter isia qua; retali. Quid porro décorum, et justum, et legilinmm ? non cjusdem esse forma» putas, ccrtis ter- niiniscoaiijrehensum? Cresccre posse, imperfectae rei signuiD est : bonum omoe in easdem cadit leges ; juncta EPITRES A mortelles, fragiles, incertaines et caduques, tan- tôt s'élèvent et tantôt s'abaissent; ce qui fait qu'on ne saurait les estimer pour un même prix. Mais il n'y a qu'une seule règle qui conduit les vertus humaines ; parce qu'il n'y a qu'une seule raison qui est droite et simple. Il ne se trouve rien de plus divin que ce qui est divin , ni de plus céleste que ce qui est céleste. Les choses mortelles mon- tent, déchéent, augmentent, dépérissent, se rera- plisseiil, se vident, et celte vicissitude produit l'inégalité qui se trouve entre elles. Les choses di- vines sont toutes d'une même condition et d'une même nature. Or, cette raison , dont je parle , n'est autre chose qu'une portion de la divinité , enfermée dans le corps de l'homme. Si la raison est divine et qu'il n'y ait rien de bon sans la rai- son , il faut que ce qui est bon soit divin. Or, il n'y a pas de différence entre les clicses divines ; il n'y en a donc point aussi entre les bonnes. Ainsi vous voyez que la joie et la constance dans les toumionls sont deux vertus pareilles ; car il se rencontre en l'une et en l'autre une même gran- deur d'âme , hormis qu'elle est oisive et relâchée en celle-là I raide et opiniâtre en celle-ci. Quoi , ue croyez-vous pas que la vertu soit pareille en celui qui force hardiment une place, et en celui qui h défend avec courage et patience? Si Sci[)ion est glorieux pour avoir enfermé Numance et l'a- voir serrée de si près , qu'il contraignit les assié- gés, qu'il ne pouvait vaincre, de ^e perdre eux- mêmes ; les Numantins le sont aussi , qui , sachant bien que rien n'est fermé quand le passage de la mort est ouvert, expirèrent courageusement entre LUC IL! US. 6iô les bras de la liberté. Tout le reste est de la mente sorte : comme la tranquillité, la sincérité, la li- berté, la constance, la patience, la persévérance ; car il n'y a qu'une vertu qui leur sert d'appui, et qui tient l'âme droite et invariable. Quoi doiicl n'y a-t-il point de différence entre la joie et la patience invincible dans les douleurs ?•■ Non, quant 'a la vertu; mais beaucoup, quant au sujet où l'une et l'autre sont employées; car on voit d'un côté de la récréation d'esprit qui est natu- relle, et de l'autre , de la douleur qui est contraire 'a la nature. Ce sont des moyens, 'a la vérité, fort différents; mais la vertu s'y trouve toute pareille; elle ne change pas avec la matière ; celle qui est difGcile et fâcheuse ne la rend pas moindre, comme celle qui est agréable et plaisante ne la rend pas meilleure. Il est donc nécessaire que ces deux biens soient égaux , puisque de deux hommes .sa- ges, l'un ne saurait se mieux comporter dans la joie, ni l'autre dans les souffrances. Or, est-il que deux choses sont égales, quand elles sont telles que l'on ne peut rien faire de mieux. Si ce qui est étranger et détaché de la vertu la pnuvail aug- menter ou diminuer, il est certain qu'une même chose ne pourrait être bonne et honnête tout en- semble; cela étant, il n'y aurait plus rien d'hon- nête dans le monde. l'i)uri|U()i'? Je vais vous le dire : parce que rien n'est honnête quand on le fait malgré soi; il doit être volontaire. Si l'on y apporte de la paiesse , de la répugnance , de l'ir- résolution et de la crainte, l'action perd aussitôt co qu'elle a de meilleur, (|ui est d'être faite avec plaisir. Ce qui n'est pas libre , ne peut être hon- etl prirala et pubtica iitililai, tant mehercules, quam in- «eparjbile eat laudandiim petrndiimqae. Ergn virtules inter se parcs suni , et opcra virtiituin , et omnes liomi- iie», (|uiliu< illae cootiRere. Satnnini vero animaliiiinque virtules, qiiiim ni»rtalc< sint, fraclles qiioque cadiicae- qiie sunt rt iiicerlae; cxsitiUDt, rpsidiinlque , cl iileo non riKicni pretio assiimaniiir. Una i:i:lucilur tmmanis virla- t'l)ii5 repiila; iina «niin est ratio recta, simpleiquc. Jiitiil est ditino diviii'us, coRlesli cœlesliiis. Mortalia mlauuntiir, cadunl, deleruntur; crescunl , exhauriunmr, iniplcnlur. Ilaqiie ittis in tani iiirfita sorlp in,T(|ualitas est; divlnii- rum iin.i nalura (!>l. Ra;i i auleiri niliil atiud est , qiiani io corpus lium.iiiiini pars di»ini spirilus nicr.'.a. Si n;tio di- viiia est , niitiuiii autem bnnuni sine ralione est ; Imnum omnc ditiniMii est ; nultum porro inler divina discrimcn est; ergo nec inler lM)na. Paria ilaque sunl il Randium , !t fortis atqucobslinata torinenloruin fx-rpcssio ; in iilro- ijue cnini eadem est anirai niagniludo , in altcro rcmissa et laio, in allero pognax et intenta. Qnid? lu non puta», jiareni esse Virlutein ejus qui forliter hosliuni niiL-nia eipngnat, et ejus qui ot)sidionempatienlissinie susiiuet? Et niagnus Scipio , qui Namanliara dudit et comprimit , COi^que inviclas manus in exitium ipsas auuni verli; et magnus ille obseuorumanimus, quiscil non cise clusuni, rui mors aperta est, et in coniplexu tibertatis eipirat. /tîque reliqua quoque inler se paria sunl , Iranquillilas , Mnipticitas , liberalitas , constinlia , apquanimiias. tnleran- lia; omnibus enim islis una Viiius suIhsI, qua; aninium rectum et iudeclinabitem prapslat. Qnid ergo? nihil interest inler gandium, et dolnnini inQexibilem paticuliani? ?tiliil , quantum ad ipsas virtu- tes; pturinium inler illa, iu quilius virlus utraqiie ostcn- di ur : io altère enim naturalis est animi remissio ne laii- t.'is; in altcro, contra naturaro doinr. Itaquc média suiit h£ec, quae pturinium intervalli recipiunt; virtus in ulro- que par est. Virlulem matcria non mutai; nec ppjoicm facit dura et difTicili.s, nec meliorem hil;iris et liita : ne- cesse est ergoa-qualia sint l)ona utraquc. Nec hic polestse nielius in hoc gaudio gcrcre. nec ille milius in illis cni- ciatilins : duo autem, quibus nihil lîeri nieiius polrsl, paria sunt. ÎSam, si qnœ extra virtnteni posita sniil , aut minuere illani aut augerc possnnt , de^uil unuin bo- num esse quoil honeslum est. Si hoc concesseris, unino hnoestuin periit. Quare ? dic.im : ijuia nihil lioociluin est, quod ab invito , quod a coiclo fil. Omnc honeslum volun- tarium est : admisce illi pigriliam , querelam , lergiversa- 41. tiU SÉNÈQUË. nfite. Celui qui craint n'est pas libre. Tout ce qui «!st honnête est loujours assuré et tranquille. Si l'on refuse une chose , "ullum haliet momentura veiatio, et dolor, et quidquid aliud incommodi est; virtute enim obruitur. Quemadmodum minuta lumina claritas solis olxcurat; s:c dolores, moleslias, injurias, virtns magniliidine sua eli- dit atque opprimit ; et quocumque arfulsit, ilii , quidquid sine itla apparet, exstinguilur; nec magis ullam portio- ncm liabent incommoda, quum in virtuten inciderint, quant in mari nimbus. lioc ut scias ila esse, ad omne pulcbrum Tir boDUs sine ulla cunctalione procurret ; stet illic licet carnifei , stet tortor atque iguis, perseveraliit; nec quid passuras, sed quid facturus sit, aspiciet, et se honestae rei tanipiam l)ono viro credet : utileni illam sibi judicabil, tutam, prosperam. Eumdcm locuni habebit apud illum hones-ta res, sed Irislis atque aspera, qnem vir bonus, pauper, aut exsul , ac pallidus. Agedum pone 8i alla p;!rle virum bonuiii, divitiis ahundantem; ei altéra nihil liabentem. sed in se onmia : uterqne a»que vir erit bonus, etiamsi fortuna dispnri uletur. Idem, ut dixi , in rthus judicitmi est , quod in bomiuibus : aequc laudabilis est virtus in corpoie valido ac libère pusila , quam io morbido »c >iucto. Ergo tuani quoque virtutciu non magis laudalris, si corpus illibalum fortuna praestiterit, quam si ex aliqua ÉPURES A LLCILIUS. 643 par l'habit de son valet ; car toules les choses qui sont soumises au pouvoir du hasard sont serviles, caduques et périssables, comme l'argent, le corps, les honneurs. Au contraire, les œuvres de la vertu sont libres et immuables; elles ne sont pas de plus grand prix , quand la fortune les Fa- vorise, ni de moindre aussi quand le malheur les persécute. Ce qu'est le désir au regard des choses , l'amitié l'est au regard des hommes. Je crois que vous n'aimeriez pas davantage «n homme de bien , riche , que pauvre ; ni puissant et robuste , que chélifet languissant. Par cette raison, vous ne devez pas désirer davantage une chose plaisante et douce , qu'une autre qui serait pénible et la- borieuse. Autrement, de deux hommes égale- ment vertueux , vous aimeriez mieux celui qui sera propre et parfumé , que celui qui sera bor- gne ou boiteux. Enfin, vous deviendrez si déli- cat, que de deux hommes également justes et prudents, vous préférerez celui qui aura la per- ruque bien frisée à celui qui aura la tête chauve. Quand la vertu se trouve égale entre Jeux per- sonnes, on ne regarde point d'ailleurs ce qu'elles ont d'inégal. Elle fait le capital , le reste n'est qu'accessoire. Qui serait le père si injuste , lequel aimerait davantage un enfant bien constitué qu'un autre qui serait valétudinaire, celui qui aurait la taille grande que celui qui l'aurait petite ? Les bétes ne mettent point de distinction entre leurs petits; elles leur prêtent également la nour- riture. Ulysse se relira dans les rochers d'ilhaque avec autant d'empressement qu'Agamemnon dans la ville fameuse de Mycènes : car personne n'aime sa patrie à cause qu'elle est grande , mais à cause qu'elle est sa patrie. Vous me direz : A quoi tend tout cela? A vous faire connaître que la vertu re- garde tous ses ouvrages comme ses propres en- fants , et qu'elle les aime tous également ; mais uo peu plus ceux qui sont engagés dans la peine. Et comme un père a plus de penchant pour celui dont l'iuûrmitc lui donne de la compassion , aussi la vertu, quoiqu'elle aime également ses ouvrages, prend un soin particulier de ceu.v qu'elle voit af- fligés et persécutés. Pourquoi un bien n'est-il pa.s plus grand que l'autre? Parce qu'il n'y a rien de plus propre que ce qui est propre; rien de plus plein que ce qui est plein; vous ne sauriez dire : Ceci est plus pareil que cela. Partant , il n'y a rien de plus honnête que ce qui est honnête. Que si la na- ture de toutes les vertus est pareille, les trois genres de bien sont aussi pareils. Ainsi , je dis qu'il est égal (le se réjouir avec modération , ou de souffrir avec modération; car la joie ne l'emporte point au-dessus de cette constance , qui l'empêche de gémir sous la main du bourreau. Le premier est un bien qui attire nos souhaits. Le second est un bien qui méri'.e uos admirations. Ils sont pourtant tous deux égaux, parce que l'incommodité qui s'y rencontre est comme absorbée dans la grandeur du bien qui en résulte. Celui qui les estime inégaux ne veut point envisager la vertu, mais seulement les choses extérieures. Les biens véritables sont tous d'une môme mesure et d'un même poids; ceux qui sont faux ont beaucoup de vide. De la vient que ce qui paraissait 'a l'œil grand et beau n'est parte ointilatum i alioqui hi<; erit , ci sprroniin tiahitu donrinum aeslimare. Oninia enim ista , ta qu!E dominiani eaïus eiercet , serra siint, pecuoia, et corpus, et lioiiorrs; bnltecilla, lluida, rnortalia, pnssessionis iocertcT. Illa riirsus libéra et invicla, opéra virtuHs : quie non ideo iiiagis ap peteDda >unt, si benigniiis a fortuna traclantiir; nec ini- nos, si aliqua iniquitate riTuin premunlur. Qund aniicitia ia bominibus est, boc iu rébus appelitio. îioa, pulo, inagis amares virum boDum locuplclcm, quam paupercni, nec robustum et lacerlosum , quam gracilcni, et lanfîuidi corporis ; ergo ne rem qiiidcui niagis appelés liilareni et pacalam, quam distnicbim et operosam. At si bodie ma- gis diliges , ex duolms jeque bonis Tiris , nitidum et unc- tum, c|uam pulvcrulentnm et horrenlem; deinde bue usque pervenies, nt magis diligas inlegrum omnibus niemhris et illssiim , quam debilem aut luscuni : paulnlim fastidlum tuum illo usque procedct, ut ci duobus œquc justis ac prudenlihus , comntum et crispuluiii malis , quam recalrum. lll)i par est in utroquevirlus, non com- paret aliarum rerum iniqaalitas; omnia enim alia non partes, scd arcessiones sunt. Nam quis tarainiquam cen- Miram inter siios agit, ut (Illura sanum, quamiegram, magis diligal ? proci runive etexc^lsimi , quam l>re»cm aut aiudicuiii':' Fa-ius suus tiou diitiiiguuiil krie , rt te in alimenlnni pari 1er omnium sternunt; avcs ex aequo par- liuntur cibos. Ulysses ad Ilbaca; su:e saia sic properat, quemadiiiodum Aganienmou ad Mycenarum nobiles mu- ros. »mo cniin patriam , quia magna est , amat , scd (luia sua. — Quorsnshic pcriincnl? — Ut scias, virtutein onuiia opéra, Telut fœtus siios, iisdcm oculis iiitueri, lequc inrtulgiTC onmil>us,etquidem irapeusiiis, laboraii- tibus : quoniam quidem ctiam p:ircntum anior niafiis in ea, quorum iniseretiir, inclinalur. Virtus quoquc opéra sua, quae ïidctafflci otpremi, non magis anial, sed, pa- renlum lionorum more, niagis compleclitur ac fovet. — Quare non est u!lum bonum allero majus ? — Quia non est quidquani aplo aptius, quia piano niliil est plauius. J\(m potes dicere, boc magis paresse alicui , quam illud : ergo nec honcsto boncslius quidquam est. Quod si par omniuoi tirlutum natura est, tria gênera bnnorum in a-quo sunt. Ita dieu : in œquo est raodcnite gauderc, et moderate dolere; la'tilia ijia non mincit banc animi (irmit,item sub torlore goinilus devorantcro. Illa bona optabilia sunt; birc mirabilio :utraquc nibilonilnus paria; quia quidquid incoinmodi est , velamenlo majoris boni tegitur. Quisquis haec imparia judicat, ab ipsis virtu- tilius aTertitoculos, et eilcriora circunispicil. Tîona ïent idem pcnduut, idem patent; illa falsa niultumbubcot VCni- &'S SÊKÉQUE. plus le même qiiami on vient a le inclire dans la balance. Il est certain , mon cher Luclle, que tout ce que la raison autorise est solide et immuable. Elle met l'âme dans une forme assiette, et lélève a un degré d'où elle ne descend jamais. Mais ce qui est approuvé et qui passe pour bon dans l'opinion du vulgaire, ne sert (jue pour entêter ceux qui se repaissent de fumées. Les choses que le vulgaire prend pour des maux jettent la frayeur dins l'es- prit, de la même façon (jue l'imagination du péril effarouche les bêtes. C'est donc sans sujet que l'âme s'épanouit ou se resserre, puisqu'il n'y a rien en tout cela qui soit digne de joie ni de crainte. Aussi n'y a-t-il que la raison qui soit ferme et immuable dans ses sentiments, parce qu'elle commande et n'obéit point aux sens. La raison est égale à la raison , comme une chose droite à une droite; la vertu est donc égale h la vertu , puisqu'elle n'est autre chose qu'une droite raison. Toutes les vertus sont dos raisons droites : telle qu'( st la raison , tollis sont les actions. Elles sont donc toutes égales : si elles sont droites, elles sont égales ; car étant semblables h la raison , elles sont aussi souiblables entre elles. J'entends, en ce qu'elles ont de juste et d'honnête; elles peuvent être (I ailleurs beaucoup différentes, selon la di- versité de la matière , qui sera tantôt plus ample, et quelquefois moins; tantôt plus importante, tan- tôt plus commune ; qui regardera quelquefois le général, et quelquefois le particulier. Mais ce qu'il y a de bon eu tout cela est égal , comme tous les gens de bien le sont entre eux, nonobstant la différence de leur âge, l'un étant plus jeune, l'autre plus vieux ; de leurs corps, l'un étant beau, l'autre difforme; de leur fortune, l'un étant riche , l'autre pauvre ; l'un en crédit et connu des grands et des petits; l'autre rampant et io- counu presque 'a tout le monde. Ils sont toutefois égaux , en tant qu'ils sont tous gens de bien Les sens ne sauraient juger des biens ni des maux ; ils ne connaissent pas ce qui est utile, non plus que ce qui est inutile ; ils ne prononcent que sur la matière qui est présente; et comme ils ne pénètrent point dans l'avenir, et ne réfléchissent point sur le passé , ils ne prévoient pas aussi la suite des événements. C'est de là , toutefois, que dépend l'ordre des choses , et l'uniformité de la vie , qui tend à la perfection. Il n'y a donc que la raison qui sache juger des biens et des maux. Elle ne fait point d'état de ce qui est hors de l'homme. Les choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises lui paraissent de fort petits avantages. Elle ren- ferme tout le bien dans l'ùme. Au reste , il y a des biens principaux qu'elle se propose de dessein forn)é , comme la victoire , de sages enfants , le salut de Ja patrie; d'autres subalternes, qui ne paraissent que dans l'adversité , comme de souf- frir [lutiemment l'exil ou une grande maladie : il y en a encore d'une moyenne espèce, qui ne sont ni conformes ni contraires à la nature, comme de marcher modestement , d'être assis de bonne grâce; car il n'est pas moins selon la nature d'être assis que d'être debout et de marcher. Les pre- miors et les seconds sont bien différents ; car il est selon la nature de se réjouir de la bonne conduite de ses enfants , et du salut de sa patrie; et conlre la nature, de souffrir les tourments, d'endurer la Ilaqno speciosa , et ningiin contra visentibus, (|uum ad pondus revocata suiit, falluiit. lt,i i-st, ml Liiciii , (luidquiii vera ratio Coiuniciuiat, solidiini et a'tt'rnuin est, firniat tnimuin , atiollitqiie, seniperfiitiniirii iii cscolso : illa, (|Uii' teinere laudaiitur, clviilgi .si'iitontiu i>oiia sont , iiiilaut ioanibiis lœins. lîiir- sus ca , qiia; liiiicntur liinqnam mala, iujiciiint forniidi- noni ini'iilil)iis, et illas non iilittr, quam aninialia species periciili, agi'.ant. L'iraiiie ergo res sine causa auimuni et diffaiidit, cl mordet : nec illa gaudio, nnc lia'c metu digua est. Sola raio ininmlabilis et jiidiciitenai est; non enini servit, sed imperat sensil)us. Ratio ralioni par est, sicut r 'Cluin recio ; ergo et virtus virluti : virlus non aliud quam rei ta nitio est. Oniiies virlulcs raliones sunt : si ra- lioni^ssuiitî recta" sunt, sirecticsunt, cl pares sunt. Qnalis ratio est, taies et actiones sunt; eigo omnes parcs sunt : nam (pium .similcs ratioui siut, siniiles et intor se sunt. Pares auteni actiones iuler se esse dico, i;nia reclic sout et honotx' : ca™leruni magna lial)el)Hnl discrimina, va- riante nialeriasqua? modo latior est, modo augustior modo illusliis, modo ignobilis, modo ad nndtos pertinens, modo ad paucos. In onmihus lamcn istis id , quod opti- nmni est , par est ; bonestae sunt. Tanqnam viri l>oni om- nes pares sunt, quia boni sunt : sed bal)ent dilTerenlia* atitis, alius senior est, alius junior : tiabent corporis; alius furuiosus , alius dcformis est : habenl fortune; ille dives , hic pauper e.~t; ille graliosus, potens, urbibus uotus et populis ; ignolus hic plerisque, et obscurus. Sed per illuil, quod boni sunt, pares sunt. De honis ac malis scusus non judicat : quid utile sit, quid inutile, ignorât. Non polest ferre sententiani , nisi iu rem pra'senlera perduciusest, nec futur! providus est, nec prn'tcrili niemor; quid sitconsequens, nescit. Ex hoc aiitem reruni ordo seriesque contexilur, et unitas vit» per l'cclum ilura. Ratio ergo arbitra est bouorum ac ma- lorum; aliéna et exleroa pro vilibus habet, et ea quae ne- que bona sunt, neque niala, accessiones miaimas ac le- vissimas judicat: oume illibonum in anime est. Ca^temm biiua qua'dara prima esistimat, ad quîe ei proposito ve- nlt, tamiuani victoiiam, bouos liberos, salulem patrix: quiedam secunda , quae non apparent uisi in reluis adver- sls; tiinquam a>quo animo pati morbum magnum , eisi- liuni : qua;dani média , qiue nihilo magis secuudum natu- rara sunt, quam contra naturam; tanquam prudenter ÉPITUES A LUCILIIS. 647 soif sans se plaindre, tandis que la Gèvre vous brûle les eairajlles. Quoi donc! 7 a-t-il quelque bien conlre la nature? iNuileinent ; mais le sujet où ce l)ien-là se rencnnlre est quelquefois con- traire a la p-jlure. Il est , toutefois, selon la nature lie conserviT la fermelc de son àiue parmi toutes les souffrances. Et pour m'expliiiucr en peu de mots , je dis que la matière du bien est quelque- fois contre la nature ; mais le bien n'y est jamais , parce qu'il est accompagne de la raison , qui suit toujours la nature. Qu'esl-ce donc que la raison? C'est une imitalion de la nature. Quel est le sou- verain bien de riiorame ? De se conduire selon l'intention de la nature. Vous me direz : On ne peut douter qu'une paix qui n'a jamais été troublée ne soit plus heureuse que celle qui a coûté beaucoup de sang ; qu'une santé qui n'a point été altérée ne soit plus avan- tageuse que celle qui s'est rét;iblie "a force de re- mèdes, après une longue et dangereuse maladie : de môme que c'est ifti plus grand bien de se ré- jouir que d'être réduit à souffrir le Irancliant des couteaux et l'activité du feu. — Nullement. Car les cliosf'S fortuites ont beaucoup de différence entre elles, quand on les considère par l'utilité des personnes qui les reçoivent. Les gens de bien n'ont qu'une même intention , qui est de s'accom- moder à la nature. Cela est égal en tous. Lors- qu'on suit un avis qui a été proposé dans le sénat, on ne saurait dire : Celui-ci le suit davantage que celui-l'a ; car tout le monde tombe dans un même sentiment. J'en dis de même des vertus : elles sui- vent toutes la nature. J'en dis de même des biens : ils suivent tous la nature. L'un est mort jeune, l'autre vieux ; uu autre encore dans l'enfance , ayant à peine vu la lumière. Ils étaient tous éga- lement mortels , et quoique la mort ait permis que l'un ait avancé dans l'âge, elle a enlevé les deux autres ; le premier au milieu de sa fleur, et l'autre dès le jour de sa naissance. Celui-ci est mort en mangeant ; celui-l'a en dormant ; un autre dans les embrassements d'une maîtresse. Opposez à ces gens-là tous ceuï qui sont péris par le fer, par la morsure des serpents, par des ruines su- bites, ou par de longues convulsions qui leur ont donne la gêne à plusieurs reprises. J'avoue que l'on peut dire que la (in des uns est meilleure, et celle des autres plus mauvaise. Mais la mort est pareille en tous; elle vient par divers chemins ; mais elle n'arrive qu'a un même point. 11 n'y a point de mort qui soit plus grande ni plus petit(!. Elle n'a qu'une même mesure , qui est de flnir la vie. J'en dis de même de tous les biens. Celui-ci consiste en des plaisirs tout purs; celui-l'a, en des sujets trislcs et fâcheux. Cet homme a bien ména- gé la faveur de la fortune. Cet autre en a su dompter la violence et la malice. Ils sont tous deux également bons, quoique le premier ait marché dans un chemin tout uni, et que l'autre ait passé sur la pointe des cailloux et des rochers. Tous ces biens se réduisent à une même lin. lis sont bons; ils sont louables. Ils suivent la vertu ambulare, composiie sedere. Non diim minus seciindiicn natiirani est , tcdere, qtiani autstare , aut ambulare. Duu illa bona superiora divcrs.1 sunt; prima enim sfcundimi naturam &uut, gaudere liluTOrum pietain.patriae iocolu- mitale ; lecunda contra naturam sunt , fortiler obslnre tormcntis, et «ilini perpeii morbo urente pra?cordia. — Quld ergo ? aliquid conira naturam bonum est? — Minime ! ted id aliqiiando contra naluram est, in quo bonum illud exsistil : Tulnpfari euini , et subjeclo igné tibescere , et adversa valetudine afilipi, contra naturam est; sed inlcr ista servarc aninium inraticabUem , secuudum naUinini ett. Et ut, quod toIo, csprimam bre\iler, materia l>oni a'iiquando conira nalurani est , bonum nunquam ; quo- nlam bonum sine raiione nullum est, seqiiiluraulem ra- tio naturam. Quid est ergo ratio? Naturx imilatio. Quod est summum bominis bonum? Ex naturx voluolate se gerere. ?ionest, inqnit, dal)inm, qnin fdicior pax sit nun- quam lacessita , qiiam mullo reparata sanguine, ^on est dublum, inquit ,quin fclicior rassit incoiicus>a valeludo, quam ex gravibus morbis et exlrenia miuilantibus in lu- tum ?iquadamet palientia cdncta. Eodem modo nonerit dnbium , quin majus Iwntim sit gaudium , quam obnixus animas ad perpctiendoscruciatus Tulnerum autignium.— Minime I Illa enim .quae fortuita sunt, plurinmm discri- winii rccipiuDt; «stimantur eoUn utilitate tumentium. Rononim unum prnpositum est, cou. Se vesicae eteiulcerali ventris torraenla lolerare, ulteriorem doloris accessionem non recipicnlia; esse nihilomiaui sibi illum bealuni diem. • Beatuni aulem agere, nisi qui est in summo bono , non potest. Ergo et apud Epicurum sunt ha-c bona, quae malles non expcriri; sed, quia ita res tulit, et ainplexanria, et laudanda, et exœquanda sumni-s sunt. Nod polest dici , lioc non esse par niaximis bonum, quod beaiie vilae clausulam imposait , cui Epi- curus exlrema voce grattas cgil. Permitle mihi, Lucili, Tiroruni opiinie, aliquid anda- cius dicere : si ulla bona majora esse aliis possent, hœc ego, qu» tristia videnlur, mollibusillis etdelicatis prae- tulissem. Majus est enim perfringere dilïicilia, quam lîeta moderari. Eadem ratione fit, scio. ut aliquis feliciiatem bene, et ut calamitatem fortiter ferat. JEqne esse fortis potest, qui pro vallo securus esculmit, nullis hostibas castra tontanlibus; et qui, succisis poplilibus , in geoua se excepit , nec arma dimisit. Macle virtute esto ! san- guinolentis et ex acte redeantibus dicitur. Itaque haec ma- gis laudaverim bona exercitata et fortia, et cura fortuna riiata. Ego cur dubitem, qnin magis laudem truucam ËPITRES A LUCILIUS. 6Î9 bout, méprisant le feu et ses enaemis, et regarda sa main qui distillait sur les charbons, jusqu'à ce que Porsenoa, qui prenait plaisir à sa peine, de- vint envieux de sa gloire, et fit ôter le feu malgré lui. Pourquoi ne mettrai-je pas ce bien au pre- mier rang? Pourquoi ne le préférerai-je pas à ces autres qui sont tranquilles et inconnus aux traits de la fortune, avec d'autant plus de raison qu'il est plus rare de vaincre son ennemi avec une main rôtie qu'avec une main armée? Quoi! medira-t-on , souLaiteriez-vous un bien de la sorte? — Pourquoi non? Il n'y a personne qui puisse faire une chose s'il n'a la force de la désirer. Ferai-je mieux de donner mes pieds à laver 'a un bardache, et mes mains à une femme, ou a un eunuque pour les rendre souples? Pourquoi n'es- timcrai-Je pas Mucius beaucoup plus heureux, qui mit sa main dans le feu , comme s'il l'eût pré- sentée 'a quelqu'un pour la nettoyer? Il répara bien le coup qu'il avait manque; car il mit fin h la guerre, quoique manchot et désarmé, et vainquit deux rois avec une main estropiée ÉPITRE LXVll. Qae la vertu étant un bien désirable, il s'ensuit que la liatiencc daut les tourments est un bien que l'on doit désirer. Pour commencer par les entretiens les plus or- dinaires , le printemps se faisait déjà sentir; mais en s'avançaut vers l'été, il s'est refroidi dans le temps qu'il se devait échauffer. On lie s'en peut pas assurer encore , car il retombe souvent dans l'hiver. Mais , pour vous montrer qu'il est encore incertain , vous saurez que je ne m'expose point au grand air que je ne sois muni contre la froidure. C'est ce que vous appelez n'avoir ni chaud ni froid. Je vous l'avoue, mon cher Lucile, c'est bien assez d'avoir la froideur de mon âge. A peine puis-je le dégeler au milieu de l'été, et j'en passe la plus grande partie sur des matelas. Je rends grâces à la vieillesse de m'avoir ainsi attaché au lit. Pourquoi ne la remercierais-je pas, puisque je ne puis plus faire ce que je devrais ne plus vouloir? Au reste , je m'entretiens souvent avec mes livres. Si quel- quefois je reçois de vos lettres , il nie semble que je suis avec vous; et quand je vous écris, je m'i- magine que je réponds à vos paroles. C'est pour- quoi je veux agiter avec vous la question que vous me proposez , et que nous examinions ensemble tout ce qui en dépend. Vous me demandez si toute sorte de bien est dé- sirable. Si c'est un bien , dites-vous , de souffrir la torture, le feu et les maladies avec patience et courage, il s'ensuit que ces choses sont désirables. Néanmoins, vous ne voyez rien en tout cela qui soit à désirer, et vous ne connaissez personne qui ait jamais acquitté les vœux qu'il avait faits pour ôtre battu de verges , tourmenté par la goutte ou étendu sur le chevalet. Distinguez toutes ces cho- ses, mon cher Lucile, et vous trouverez ce qu'il y a de désirable. Pour moi , je serai toujours bien aise d'être loin des tourments; mais, si je suis obligé de les souffrir, je souhaiterai de m'y com- porter en homme d'honneur et de courage. Je voudrais bien qu'il n'arrivât point de guerre; illam et retorridam roanum Macii, qnam cujusiibet fortis- (imi salvani? Stelit liostium Oammarumque contemptor, et œanuni suam in hostili foculo distillantem perspecta- vit; donec Porsenoa , cujus pceox favebat, glorix inïl- dit, et ignem invito eripi jussit. Hoc bonuni quidni intcr prima onniereni, tantoque ninjus putem, quani illa se- cnra et intentala forlunac, quaiito rarius est, hostem amissa manu vicisse, quani armata? — Quidergo? inquis: hoc lx>num tibi optabis? — Quidni? hoc eniin, nisi qui (lotest et optare , non potest facere. An p<>tius opiem , ut malaiandos articules eioletis nieis porrigani ? ut niulicr- cula , aut aliquis In mulierculam ex viro versus , digitulos meos ducat? Quidni ego reliciorem putem Mucium , qui sic tractatit ignem , (|uam si illam manuni tractatori prae- stitisset? In integrum restituit quidquid erraverat : con- fecit t>ellum inennis ac mancus , et illa manu trunca reges duos vicit. Vale. EPXSTOLA LXVII. QVIDQUID BOni^a E.ST, OPTABILE ESSE. Ut a communibus initium faciam , ver apcrire se cœpit : >ed, jam inclioatum in ipstatom , quo tempore calerc de- bebat, intrpuil; oec adhuc illi fidct est; sxpc poim in biemem revolvitur. Vis scire, quam dubium adhuc sit? nondum me committo frigid» merae, adbuc rigorem ejus infringo. — Hoc est, inquis, nec calidum, nec frigidum pati. — Ita est , mi Lucili : jam xtas mea coutenta est suo frigore; vil média regclatur xstate. Itaque major pars in Testimentis degitur. Ago gralias senecluli , quod me lec- Inlo affiiit. Quidni gratias illi hoc nomine agam ? quidquid dcbebam noilc, non possum. Cum libellis mibi plurimus sermo est. Si quando interveniunt epistolx luae , tecum esse mihi videor, et sic aflicior animo, tanquam libi n(in pescribam, sed respond&im, Ilaque et de hoc, quod qiiaeris , quasi collu(iuar tecum , quale sit , una scrutabi- nuir. Quaeris, an omne booum opiabile sit? «Si bonum est, inquis, fortitcr torqueri, et magno animo uri,et patienter aîgrolare, scciuitur ut ibta optabilia sinl : nihil aulem video ex islis veto dignuni. Neminern ceitc adhucscio co nomine votum solvisse , quod llagellis caesns esset, aut podiigra dislortus, aut cquulco lon- gior factus. » — Distingue , mi Lucili, ita; et intelli- ges, esse in hisaliqnid optandum. Tormenta «I)esse a nio velim; sed. si susiinenda fnorinl, ut me iu illis forti- ter, lioniste , animosc gerani , opiabo. Quidni eso ma- nso SÉNÈQUE. mais , si elle arrive , je souhaiterai de pouvoir sup- porter avec générosité les coups , la faim , et toutes les iiiconiraodités qui suivent la guerre. Je ne suis pas si fou que de souhaiter d'être malade; mais, s'il le faut êlre, je souhaiterai de ne rien faire par intempérance ou par mollesse. Ainsi, ce ne sont pas les incommodités qui sont à désirer ; mais plutôt la vertu, qui fait souffrir douiemenl les incommodilés. Il y en a des noires qui tien- nent qu'il ne faut ni désirer ni rejeter la patience dans les adversités, parce qu'il n'y a que le bien pur et tranquille qui doive être l'objet de nos dé- sirs. Ce n'est pas là mon avis. Pourquoi? parce que, premièrement, il est impossible qu'une chose soit bonne, et quelle ne soit point désirable. En second lieu, si la vertu est désirable et qu'il n'y ait point de bien sans vertu, il s'ensuit que tout bien est désirable. Enfin, si la patience dans les tourments n'est point désirable , je le demande , la force n'est-elle pas 'a souhaiter? Or, est-il qu'elle méprise et délie les périls; sa plus belle et sa plus admirable fonction éiant de ne point céder aux feux , d'aller au-devant des coups, et quelquefois même de présenter la poitrine pour les recevoir. Si la force est désirable, la patience dans les tour- ments l'est aussi , car c'est une partie de la force. Distinguez donc tout cela comme je vous l'ai dit ; il n'y aura plus rien ipii vous abuse. Ce qui est 'a désirer n'est pas de soul^frir les tourments (qui a jamais fait un tel souhait? ) ; mais de les souffrir conslamment. Je ne désire précisément que ce en quoi consiste la vertu, il y a des vœux limités, quand ils sont faits pour des sujets particuliers, et d'autres généraux, quand ils enferment pluslcars autres vœux. Par exemple, je désire mener une vie honnête. Or est-il que cette vie est composée de différentes actions. On y rencontre le tonneau de Régulus , la plaie de Caton déchirée de ses pro- pres mains, l'exil de Rutiiius, la coupe em|H>i- sonnée de Socrate, qui le transféra de la priison dans le ciel. Ainsi , lorsque j'ai désiré une vie hon- nête, j'ai désiré en même temps toutes les chosds sans lesquelles il est quelquefois impossible de vi- vre avec honneur. O mille fois beurenx Le sort de ces Troyens fiardis et généreui , Qui , défendant les murs de leur chère patrie , Aux jeux de leurs parents immolèrent leur vie. Qu'importe que vous souhaitiez cela "a quel- qu'un , ou que vous confessiez qu'il est désirable? Décius se dévoua pour la république, et, pous- sant son cheval , alla chercher la mort au milieu des ennemis. Le fils ensuite , imitant la verta de son père , après avoir proféré certaines paroles consacrées à cett& action, qui étaient assez con- nues de leur famille, courut tête baissée contre un gros bataillon qu'il voyait devant lui, 'a des- sein de s'immoler 'a la colère des dieux , eslimanl qu'une si belle mort était a désirer. Après cela , doutez-vous que ce ne soit un grand avantage de mourir glorieux en faisant quelque action ver- tueuse? Quand un homme souffre les tourments sans s'impatienter, il met d'ordinaire toutes les vertus en usage, quoique la patience y éclate par- ticulièrement. En premier lieu, on y tiouvc la force, de qui la patience, la souffrance et la lolé- lira non incidere bellura? SPd, si inciderit, ut vulnera, ut fainem, et omnia, qiiae bellorum necessitns affei t, ge- neiose feram , optabo. ISon .suni lam démens , ut a'gio- tare cupiam; sed , si agrotandiim fiierit, ut niliil in:em- peraiitiu-, nihil efreniiiiaie faciani , opi.ibo. lia UDnincom- mixia optaliilij .sunt, seii viriiis, qua perferuntur inciini- nioda Quid.uii ex ni)>triscxisliinan!,tiiriiicnlorum fortrm toleiviiitinin ncin esse oplaliitini, sed ne alxiniin.iiidani quidem; (piia volopurum boruiiii pcti deliel, et tranquil- lum, el cxlia niote.siiani positiiui. l'.go dis-seiUiu. Quare? prinium, (|ui;i (icii nonpotrst, ntaliipia res I (inaquideiii sit, sed iipt.iliilis ni)ii sit : deiiide, si virtus oplal)ilis est, nulliini auleni sine \irtule bonuni, cl oiiine lioiiurii op- tabite est Deiiide, etiain si lornientoruiii lorlis palienlia optatiilis non est, eliaui nunc iiitcirogo; nuiiine foititudo optabilis est? Aiqiii |)ericula conlcEiiuit el piovocyl : pnl- clieri-ima pars ejus, UHximjqiic iniral)ilis , itia est, uoa cedere i^'nilius; ol)viam ire vulneribus; inlerdum lela ne vilare quidem , sed peclore e\cipere. Si for. iludo opta- bilis est, et tormenta patienter ferre optabile est : hoc enim forliludiiiis pars e^l. Sed sépara ista, utdixi; nihil erit quod tibi faciater- rorem. Nop eaira pati tormenta optabile est , sed pati fortitcr. Illud opto, forliter; quod est virlus. — Quis la- men unquam hoc situ op'abit? — Quaedam vota apcrta et professa sunl, quum particulatim fiunl; qusdam la- lent, quum uno volo multa comprcbensa suot. Tanquam opto mihi vitani honeslani ; vita autem hoiiesla actioni- bus Yariis constat ; in hac est Keguli arca , Catonis scis- sum manu sua vulnus, Rnliliiexsilium, calix venenaliu, (|ui S craiem transtuli; e carcere in ctrlum. lia, quum optavi mild vitam honcstam, et hiec optati, sinequi- bus ia'erdum hones.a non polest esse. o terque qnaterque I>eati Qu' is, antc ora p;ilrura, Trojse submœoibtis altis Coiiligit oppeterc! Quid inlerest otites hoc alicui , an optabile fuisse fatearisf Decius se pro republica de\ovii , el in medios hostes con- cilHlo equo , moricin pctens , irruit. Aller posl hune, pa- ternae ïirlutis ieniulus, conceptis solemnibus ac jam fa- nrliarilms verbis, in aciem conferlissimam incurrit, de h ic so licilus tanluin.ut litare!, optabilem rem putaos bonam niortem. Oublias ergo, an optimum sit, memora- bilem niori, el in aliquo opère virlutis? Quum aliquis tormenta fortiter palitur, omnibus vir- lutibus utitur. Portasse una in promptu sit, et maxinw ÊPITRES A LUCILIUS. 651 rance ne sont que îles branches. On y remarque la prudence, sans laquelle on ne saurait prendre un bon conseil , et qui persuade de supporter dou- cement ce que l'on ne peut éviter. On y voit en- core la constance, que rien ne saurait ébranler, et qui demeure ferme en son propos, malgré tous les efforts de la violence. Enûn , la compagnie des vertus qui sont inséparables s'y rencontre. Tout ce qui se fait d'honnête se fait par une seule vertu , mais de l'avis des autres qui sont as- semblées. Or, ce qui est approuvé de toutes les vertus , quoiqu'il semble n'être fait que pour une seule, est à souhaiter. Quoi! pensez-vous qu'il ne faille désirer que les choses qui viennent parmi les plaisirs et le repos, et que l'on reçoit avec des marques de réjouissance? Sachez qu'il y a des plaisirs accompagnés de tristesse, et des fêtes qne l'on célèbre , non par des applaudissements, mais seulement par des vénérations publiques. Ne croyez-vous pas qnc ce fut ce qui lit souhaiter 'a Régulus (le retourner h Carthage? Entrez dans les sentiments d'un homme généraux. Ecartez-vous un peu des opinions populaires. Prenez l'idée que vous devez avoir d'une si belle et si magniGquc vertu , laquelle il ne faut point honorer en lui pré- sentant (les (leurs, mais eu versant la sueur et le sang. Considérez Caton , qui porte ses mains tou- tes pures sur sa poitrine vénérable, et qui élargit ses plaies, qui ne lui semblent pas assez profondes. Lequel des deux lui direz-vous : Je vous plains, ou je vous loue? Cela me fait souvenir de notre Dé- mctrius , qui dit qu'une vie paisible, et qui n'est point traversée de la fortune, est une mer morte. Que de n'avoir rien qui vous réveille ou qui vous échauffe , rien qui mette la fermeté de votre âme à l'épreuve , que de croupir, dis-je , dans une oi- siveté continuelle , ce n'est pas tranquillité , mais plutôt langueur. Altalus le stoïcien disait d'ordi- naire qu'il aimait mieux que la fortune l'employât h la guerre qu'à la cuisine. Je souffre , mais con- stamment. A la bonne heure. Je meurs , niais con- stamment. A la bonne heure. Écoutez Épicure ; il ajoutera : Et cehi me semble doux. Pour moi , je ne me servirai point de termes si délicals pour exprimer une chose honnête et si austère. On me brûle, il est vrai; mais je demeure invincible. Pourquoi ne doit-on point désirer, non pas d'être brûlé, mais de n'être point vaincu? En vérité, il n'y a rien de plus excellent que la vertu: tout ce qui se fait par ses ordres est toujours bon et digne de nos désirs. EPITRE LXVIII. Qu'il ne faut point alTccter la solitude par tanité. — Que l"on doit remédier aux imperfections de l'âme avec iiu tant de suiu qu'aux iafîrniités du corps. J'approuve votre résolution. Cachez-vous dans un lieu de repos; mais cachez aussi votre repos. Si vous ne le pouvez suivant les maximes des Stoï- ciens, vous le pouvez au moins suivant leurs exem- ples; mais vous le pouvez suivant leurs maximes. Je vous le niontreiai quand il vous plaira. Nous n'employons pas le sage au gouvernement «le toute sorte de républiques, sans relâche et sans fin ; et, quand nous lui avons donné une république di- gne de lui , je veux dire le monde , nous n'esti- appareat, patientia : cxtemm illic est furtitudo; cujus palientla et perpestio et tolerantia rami sunt : illic est pnidentia; sine qua nullum initur consiliuni, qux sua- det, quod cffugere non possis, (|uam forlissiine ferre : illic est constanlia ; qiiœ dejici loco non polest, et propo- situm nulla vi eitorquente dimitlit : illic est indi\iduu8 iile comilatus virtutuni. Quidquid boneste Ht, una virtus facit.spd ex c<^speciem, qus nubis non thure, nec sertis , sed su- dorc et sanguine colenda est ! Aspice M. Catoncni , siicro illi pecturi purissimas manus admoventein, et Tulnera parum demissa laxantem ! Utrum tandem illi dicturus es : Yt'lleni, qua* velles ! et, Moleste fera ! an : Féliciter, quod agis! Hoc loco mihi Demetrius noster occurrit, qui vi- tani securam et sine ullis forluna; occursionibus mare mortuum Yocat. >iiiil habeie ad quod exnileris , ad quod le conciles, cujus denunliaiione et incursu llrmitalem animi lui tentes, sed in olio inconcusso jacere, non est Iraiiquillltas; maliicia est. Atlalus Stolcusdicere solcbat : • Malo me furtuna in castris suis , quam in deliciis habeat. Torqueor; sed forliler : benc est! Occidor; sed fortiter; bene est!» Audi Epicmum , dicct : El dulce est. Ego tam honesla; rei ac sevcra; nunquam molle nomen imponam. Uror, sed invidus. Quidiii optabile sit , non ([uod urit me ignis , sed quod non vincil? ISihil est Tirtulc pra'stan- tius; nihil piilchrius : et bi)num est, et uptabilc, quid- quid ex hujus gerilur impcrio. Vale. EPISTOLA LXVIII. OTIUM C0BHE>D1T, ET QL'iLB ESSE DEBEiT, UOCET. Consilio tuo acccdo : absconde le in otio; sed et ipsum otium aliscDude. Hoc te fiictiirum, Stoicorum, etiamsi non praiccpio , at exemplo licet scias ; sed ex praeceplo quuque faciès ; et libi,<|uuni voles, approbabis. Nec ad omnem rcmpublicam mittimus , nec seraper, nec sine nllo fine : prsicrea, quum sapienti rempublicam ipso 6Sâ inons pas qu'il en soit dehors quand il est dans la retraite. Au contraire , nous croyons qu'il est passé d'un petit coin de terre en des lieux plus spa- cieux ; et que , s'élant élevé dans le ciel , il recon- naît qu'il était assis bien bas, quand il élait monté Mir le tribunal. Je vous le dis en secret ; jamais le sage n'est plus dans l'action que quand les choses divines et humaines sont présentes devant lui. Je reviens maintenant au conseil que je vous ai donné. Il ne faut pas dire que c'est pour philosopher que vous vous retirez, mais plutôt que c'est par indis- position ou par lassitude. En vérité, c'est une sotte ambition que de faire gloire de ne rien faire. Il y a certains animaux (|ui effacent leurs traces près de leur gîte , de peur qu'on ne les trouve. Vous devez en faire de même ; car vous ne manquerez pas de gens qui vous iront chercher, et qui vous suivront partout. On passe par-dessus ce qui est exposé ; mais on cherche cu- rieusementce qui est caché. Le voleur a plus d'en- vie de ce qu'il trouve clos et scellé, et, après avoir rompu des portes fermées, il passe, sans s'arrê- ter aux lieux qui sont ouverts. C'est aussi l'esprit du peuple, et de tous les ignorants, de vouloir pénétrer dans les secrets d'autrui. C'est pourquoi il est bon de ne rien f;dre par vanité. Or, c'est une espèce de vanité de se tenir trop caché et d'af- fecter la retraite et la solitude. Celui-ci, dit-on, s'est caché "a ïarente ; celui-là s'est enfermé dans Naples; cet autre, depuis plusieurs années, n'a point passé le seuil de sa porte. On appelle tout le monde à soi, quandonfait parler de sa retraite. Si vous vous retirez , que ce soit pour parler à SENÈQUE. vous , et non pas pour faire parler de vous. Mai», que vous direz- vous? Ce que les hommes disent volontiers des autres. Dites du mal de vous à vous-même. Accoutumez-vous à dire la vérité et "a l'entendre. Mais attachez-vous particulièrement 'a ce que vous trouverez de plus imparfait en vous. Chacun connaît les inflrmités de son corps; c'est pourquoi celui-ci soulage son estomac par le vo- missement ; celui-là l'entretient en mangeant peu et souvent ; un autre purge et décharge son corps par la diète. Ceux qui sont sujets 'a la goutte s'abs- tiennent du vin et du bain; et, négligeant tout le reste , ils vont au-devant du mal qui les incom- mode. Il y a aussi dans notre âme certaines par- ties qui sont comme des sources d'imperfections, desquelles il faut prendre beaucoup de soin. Que fais-je durant mon repos? Je panse mon ulcère. Si j'avais un pied enflé , une main froissée et toute noire , ou bien les nerfs de la jambe secs et reti- rés, vous me permettriez de ni'allcr reposer en quelque lieu et de panser mon mal. J'ai un mal beaucoup plus grand et que je ne saurais vouf montrer : c'est un amas de mauvaises humeurs , et un abcès que j'ai dans l'intérieur. Je ne veux pas que vous me flattiez , ni que vous disiez : « Oh! le grand personnage ! il a méprisé toutes choses; et, après avoir condamné les er- reurs du monde, il s'en est échappé. » Je n'ai con- damne que moi seul , et l'on ne doit pas nie venir voir pour profiter dans ma conversation ; l'on se trompe si l'on prétend en tirer quelque avantage. 11 n'y a ici ni malade, ni médecin; j'aime micuK que vous disiez, quand vous serez sorti : «Jecroyais dignam dedimus, id est, niundum , non est cxlra rempu- blicam , etiam si secesserit. Imo fortasse , rclieto utio aa- giilo, iu majora alque anipliora transit; et cœlo impo- sons, intelligit, qnnni sellam aut tribunal ascenderct, qnam tinmili loco sederit. Depono hoc apud le , nunqnam plus agere sapienteni, qnam qunm in conspeclum ejus dirina alqne linmana Tcnerunt. iSnnc ad illud revertor, qnod snaderc til)i cœperam , ntolium limm ignotum sit. >on est, quod inscril)as tilii Phitosopliiam atqne otium;aliud proposilo Ino uomen impone; valetudiuem, el imbecillitaleni vocalo, et desi- diam. Gloriari olio, iners ambitio est. Aninialia qn.e- dam , ne inveniri possint , vcstigiasna circa ipsum culiile confundunt; idem tibi facienrliira est; alioqui non dee- rnnt, qni perseqnanlur. Mulli aperla transeunt, condila Cl abstrusa rimanlur; finvni signala sollicitant. Vile vide- lur, quidqnid palet; aperla effractarins prasteril. IIos mo- res habet populns.hos imperilissimusquisqne; in sécréta irmmpere cu|.it. Optimum ilaqne est, non jaclare oliuni suuni : jaclandi aniem genusesl, niinis latere, el a con- spectu hominum seccderc. 111e Tarentum se abdidit ; ille ÏScapoli inclusus est; ille multis annis non Iransiil domus SUT liiii'n. Convocal turbam, quisquis olio suo aliqnam faijulaiii iniposnil. Quum seccsseris, non est agendum hoc, ut de te ho. mines loquautur , sed ut ispe loquaris lecum. Quid au- lem loqueris? quod homines de aliis libenti.«simefaciaDt; de le apud le maie eiislima : assuesces el dicere verum, et audire. Id autem masime tracla , quod in le esse iofir- missinium senties. Nota habet sui quisque corporis viiia ; ilaqne alius vomilu lovât stoniacluim ; alius freqiienli cilK» fulcit; alins interposito jejunio corpus cxbaurii et purgat. lii , quorum pcdes dolor repelit, aut vino aul balaeo abstinent : in caetera négligentes , huic , a qno saspe in- feslanlur occurrnnt. Sic in animo noslro sunl quasi cau- sariae partes, quibus adbibenda curalio est. Quid in olio facio? Liens nieum euro. Si oslenderein tibi pedem tur- gidum, liïidam manum, aut conlraclicrurisaridos ner- Tos, permilleres niihi uno loco jacere, el fovere morbum nicinn : majus nialum est hoc , qnod non possum tibi os- tendere. lu pectorc Inmor, collectio, et vomica est. Noio laudes, nolo dicas : G magnum \iruni ! contempsit om- nia , et d imnatis hiimanae vitœ fiiroribus fugil! Jiihil damnavi , iiisi me. ÎVon est, quod profieiendi causa ve- nire ad me velis. Erras , qui liinc aliquid auxilii speras : non medicus , sed a^ger hic habitat. Malo illa , quum di*- cesseris , dicas : Ego istnm bealnm boniiuein putabam, et eruditum; erexerain aurcs : deslilulus sum , niliil tidi,^ IMPURES A LUCILIUS. 653 que cel homme-là fût heureux et savant; je dres- sais les oreilles ; mais j'ai été trompé. Je n'ai ru-ii VII ni oui qui m'ait plu , rien qui m'ait donné en- vie d'y retourner. » Si vous avez cette opinion Je moi, je ne suis pas mal ; car j'aime mieux que ma retraite vous donne de la compassion que de l'envie. Vous me direz : o Mais vous ne voyez pas, Scnèque, qu'en me conseillant le repos, vous par- lez en épicurien.» J'avoue que je vous conseille le repos , lirais c'est pour y faire des choses qui valent mieux que tout ce que vous avez quitté. Car, faire la cour aux grands , tenir registre des vieillards qui n'ont point d'enfants , acquérir de la réputa- tion au harreau, ce sont choses sujettes "a l'envie, et, pour dire le vrai, qui ne sont pas fort hon- nêtes. Celui-ci est plus estimé que moi parmi les gens de robe ; celui-là est plus considéré à cause de ses charges et de ses appointements; cet autre est suivi d'un plus grand nombre de clients. Je iw. saurais prétendre à une faveur ni à une suite pareilles; mais je me soucie fort peu que les hom- mes me surpassent, pourvu que je surmonte la fortune. Plût aux dieux que vous eussiez pris, il y a longtemps, une telle résolution , et que nous n'eussions pas attendu , pour parler de la félicité (ic la vie , que nous fussions près de la quitter 1 Ne différons donc pas davantage, puisque nous connaissons aujourd'hni par expérience, comme nous aurions cru alors par raison , qu'il y a dans le monde beaucoup de choses superflues et ridi- cules. Faisons ce que font d'ordinaire ceux qui sont partis trop lard. Hâtons-nous , afin de rega- gner le temps ; notre âge est bien propre à cette élude, ses bouillons sont apaisés; il a lassé les vices que le feu de la jeunesse rendait incorrigi- bles; il n'aura pas graud'peine à les dompter. Mais, à quoi me servira, direz-vous, ce que j'ap- prends dans le temps qu'il faut partir? Pour partir plus homme de bien. Cependant , ne vous imagi- nez pas qu'il y ait une saison plus propre pour acquérir la sagesse, que celle où l'esprit, s'étant adouci par diverses épreuves, et dans le tracas des affaires , vient recevoir des avis salutaires avec des passions dociles et mitigées. C'est le vrai temps de posséder un si grand bien ; et l'on peut dire que quiconque se fait sage en vieillesse , l'est par le bénéflce de ses années. EPITRE LXIX. Il n'y a point de Tice qui ne promette quelque récom- pense. — Il faut trafailler sérieusement à la réforma- lion de ses mœurs, et prendre la mort poursajetde médi talion. Je n'approuve pas que vous changiez si souvent de lieux , et que vous ne fassiez que passer de l'un à l'autre. Toutes ces allées et venues sont la mar- que d'un esprit qui n'est pas arrêté. Vous ne sau- riez établir votre repos, si vous ne cessez de cou- rir et de jeter les yeux deçà et delà. Si vous voulez retenir votre esprit, il faut premièrement que vous arrêtiez votre corps ; et vous verrez que ce remède vous profitera , si vous continuez à vous en servir. 11 ne faut pas abandonner cette tran- quillité que vous avez choisie , ni discontinuer ce train de vie si opposé à celui que vous meniez au- paravant. Donnez le loisir à vos yeux de se dépren- dre de toutes les choses qui les charmaient, et h vos oreilles de s'accoutumera de meilleurs entre- liens que ceux qu'elles entendaient auparavant. Toutes les fuis que vous irez etk campagne , vous iiiliil audivl , quod oncupiscerem, ad quod rcTerlercr. Si hoc sentis , si hoc loqueris, aliquid profectum est. Malo ignoscas oiio meo, quam invideas. Otinm , inquis , Seoeca , commendas mihi ? ad F.picu- rcîis voces dUal)erisI — Otium tibi commendo, in quo m.ijora agas et pulcbriora , quam qus reliquisti. Palsare superlias poteiitioruin fores , digererc iu litteram senes orlK)S,pluriniuni in foro |)0»se, invidiosa polentia ac bre- vis est , et, si verum ssiinies, surdida. Ille me gralia fo- rensi longe aniecedit; ille stipendiii militaribus, et quas »ita per hsc dignitate; ille clicntam tnrba. Cujus tiirbx p:ir esse non possimi , pins habet gratix. Est tanti ab bominibus yinci , dum a me fortuna vincatur ? Utinam qnidem hoc proposituni scqui olim fulss«t animus tibi? Utinam de vita bcala non in conspectu mortis ageremusl Sed nanc quoque nionimur? Mulla enim , quie superva- cu;i esse et Inimica credituri fuimus rationi , nunc eipe- rientia; credimus. Quod facere soient , qui serins exeunt et voluDt tempiis celerihte reparare , calcar addamiis ! Haîc œlas opiimc facit ad haec studia; jam despuma>il ; jaui Tilia priii.o fervore aiiolcscenliîe indomila lassavil; non multnm superest, ut eistinguat. — Et quando , in- quis, tibi proderit istud, quod in eiitu discis , aut ia quam rem? — In banc , ut exeam mclior I Non est tamen quod existimps , ullam astatem aptiorem esse ad bonam nien- tem , quam qua; se multis expcrimenlis , longa ac fré- quent! rerum patieotia , domuit ; quae ad salutaria , miti- gatis affectibus , venit. Hoc est bujus boni lempus; quis- qui> seoex ad sapicntiam perveoit, aunis pervenit. Vale. EPISTOLA LXIX. SiPlEXTIf nOCFBE FBCQCENTU PEBEGBISiTIOKES. Mulare te loca , et in abum de alio Iransire , nolo. Pri- mam, quia tani frequens migratio inslabilis animi est. Coalescere olio non potest , nisi desiit circumspiccre et errare. TJt animiun possis continere , prinium corporis tui fugam siste; dcindc pliirimum remédia conliuuala proficiunt : interrumpcnda non est quies et vita; prioris obliTio. Sine dcdisccre nculos luos; sineaures assuesceic sanioribus Terbis. Qtioties processerls, in ipso transita aliqu:i , qui ronovcat cupiJilalcs tuas , titii occurrcul. GS4 SENEQUE. ne manquerez pas de trouver quelque chose qui réveillera votre passion. Mais, comme celui qui veut se défaire di; l'amour doit éviter tout ce qui lui peut ramener le souvenir de la personne qu'il aime ( car rien ne se renouvelle si aisément que cette passion ) ; de môme celui qui veut oublier les choses qu'il a désirées avec ardeur, doit détour- ner SCS yeux et ses oreilles des objets qu'il a quil- les. L'affection change bientôt de parti ; car, de quelque côté qu'elle se tourne, elle verra tou- jours quelque utilité présente dans l'engagement qu'elle voudra prendre. Aussi , n'y a-t-il point de défaut qui n'ait quelque chose qui le récompense. L'avarice promet de l'argeni; l'impudicité, des plaisirs; l'ambition, des charges, delà faveur, de l'autorité, et tout ce qui en dépend. Ainsi, vous voyez que les vices vous sollicitent par la récom- pense : mais il faut vivre sans affecter de si fu- nestes avantages. Si l'on peut a peine , durant tout uu siècle, réduire et mettre sous le joug des vices qui se sont fortiflés par une longue liience ; que peut-on faire durant le peu de temps que nous vivons, si nous n'y travaillons que par intervalle? Ne savez-vous pas qu'il faut des veilles et des ap- plications assidues pour amener une chose, quelle qu'elle soit, 'a sa perfection? Si vous me voulez croire, vous prendrez la mort pour sujet de vos méditations et de vos exer- cices, aGn que vous puissiez l'attendre sans crainte, même la prévenir par raison si vous y ôles obligé. Il importe peu qu'elle vienne 'a nous , ou que nous allions a elle. Je vous réponds que ce mot, qui est ordinairement en la bouche des ignorants, est faux, qu'il est honorable de mourir de sa mort naturelle. Songez 'aussi que personne ne meurt qu"a son heure. Vous ne perdez rien de votrr' temps, car celui que vous laissez n'est pas à vous. EPITRE LXX. Que c'est un avantage non pas de virre, mais de bien vivre. — Delà, suivant l'erreur du paganisme, il con- clut qu'il est permis de se procurer la mort quand elle est plus avantageuse que la vie. — Il en rapporte plu- sieurs exemples. J'ai rendu visite aux Pompées, vos bons amis, qu'il y a longtemps que je n'avais vus. Ils m'ont fort parlé de mon jeune temps, et m'ont si bien représenté les actions que j'y avais faites, qu'il me semblait que je venais de les faire, et que j'é- tais en état d'en faire encore autant. Nos jours, mon cher Lucile, vonten arrière, etcommc'aceux qui vont sur mer. Le rivage, les champs et le» villes reculent; de même , dans le cours du temps qui est si ra- pide, nous voyons écouler premièrement l'enfance; après, lajeunesse;puis, cet intervalle qui aboutit à la vieillesse ; ensuite , les nieilleures années de la vieillesse même; et enOn, nous apercevons le terme fatal où vient finir tout le genre humain. Nous le prenons pour un écneil , insi'iisés que nous sommes ! mais c'est un port que nous ne devons jamais fuir, et que nous pouvons désirer quelque- fois. Ceux qui y sont portés dès leurs premières années ne s'en doivent non plus phindre que le pilote qui aurait bientôt achevé sa course. Car, comme vous savez , il y a des vents faibles et doux qui vous retiennent en mer, et vous rendent le calme ennuyeux ; d'autres qui sont impétueux , et qui vous portent bien vite où vous devez arriver. Quemadmodum ei, qui amorem exuere conatur , evi- tanda est ornais admonitio dilccti corporis (nihil enim fa- cilius quam amor recriidescit) ; ila, qui deponere vult desideria rerum omnium , quarnm cupidilate flagravil, et oculos et aures ab his , qua; reliquit , averlat. Cito re- bellât affectus : quocumque se verterit , prclium aliquod pra-sens occupationis suaî aspicict. Nullum sine auctora- mento malum est. Avaritia pecuniam promil'.it; luxuria mullas ac varias voluptates; ambitio purpuram cl plau- sum , et cj tioc potentiam et quidquid pnlenlia potest. Mercede te vitia sollicitant; tiic libi gratis vivcnduni est. Yix elTici toto sacculo potest, ut vitia , tam longa licentia tumida, subigan'.ur et jugum accipiant; neduni, si tam brève tempus intervallo discidimus. Unamquaiulibet rem vix ad perfectura perducit assidua vigilia et intentio. Si me quidem vells audire , hoc medilare : exerce te, ut mortem et excipias, et, si ita res suadcbit, arcessas. In- terest nihil , illa ad nos veniat , an ad illam nos. lllud im- peritissimi cujusque verbuni falsum esse ipse tibi per- suade : I Bella res est , mori sua morte. » lllud pra-terea tecum licet cogites ; Nerao nisi suo die morilur. Niliil per- dis ex tuo tempore : nam qnod relinqais , alienum est Vale. EPISTOLA LXX. DE MORTE CLTKO ÀPPETErSDi. Post longum interrallum Pompeios tnos vidi : in con- spectum adolescenliae meie reductus sum. Quidquid illic juvenis feceram , videbar niihi faccrc adhuc posse, et laulo ante fecisse. Pra-navisaximus, Lucili, \itanij et , quemadmodum in mari, ut ait Virgilius mister, Terrac |ue urb-îsque recedunt ; sic, in hoc fnrsu rapidissimi tcmporis , priiinim pneri- liani abscondimus, rieinte adolescentiam , doinde quid- quid est illud inler juvenemet sencm médium, in ulrius- qiie conGnio posituni, deindc ipsius spneciuti* optinios annos; novissime incipit oslendi pulilicus finis generi» huniani. Scopulum esse illum pulamus, dementissimi : portus est, aliquando pelendus, nunquam recusandus; in quem si quis intra primos annos delalus est, non ma gis queri débet, quam qui cito narigavit. .\lium enim. ÉPITRES A LUCILIUS. Imaginez-vons qu'il en est de même à notre égard ; la vie mène les uns promplement (quoiqu'ils n'en aient point d'envie ) au lieu où tout le monde doit arriver. Elle conduit les autres tout secs et mai- gres jusqu'à la vieillesse , qui, comme v<)us savez, n'est pas toujours a souhaiter ; car ce n'est pas un avantage de vivre, mais de bien vivre. C'est pour- quoi le sage vil autant qu'il doit, et non aulant qu'il peut. Il considère ce qu'il fera, en quel lieu, de quelle manière, et avec quelles personnes il vivra. Il regarde plutôt combien la vie sera lion- jiête, que combien elle sera longue. S'il arrive beaucoup de choses fâcheuses qui troublent son repos, il se donne congé, et n'ailcnd pas à l'ex- trémité. Mais, aussitôt que la fortune lui est sus- pecte, il observe diligemment s'il n'est pas temps de quitter la vie. 1! croit qu'il est indifférent si c'est lui ou quelque autre qui soit l'auteur de sa fin ; si c'est plus tôt ou plus tard , il ne s'afllige pas comme s'il avait a faire une grande perte. On ne saurait guère perdre d'une eau qui ne vient que par gouttes. Il n'importe pas de mourir tôt ou tard , mais il importe beaucoi:p de mourir bien ou mal. Or, bien mourir, c'est éviter le danger de vivre mal. C'est pourquoi je tiens pour efféminée la réponse de ce Rhodien , lequel , étant enfermé dans une fosse où un tyran le faisait mourir comme une bête sauvage, dit 'a celui qui lui conseillait de s'abstenir de manger : «L'homme peut tout espé- rer tandis qu'il peut respirer. » Quand cela serait vrai, il ne faut pas acheter la vie "a tout prix. Il n'y a rien, \>i>ut grand et pour assuré qu'il soit, que je voulusse acheter par une action qui rendit un témoignage honteux de ma faiblesse. M'arrête- rai-je plutôt à considérer que la fortune peut tout pour une personncqui est en vie, qu'à penser qu'elle ne petit rien sur une personne qui sait mourir? Quelquefois, pourtant, quoique la mort soit in- stante , et que l'arrêt en soit déj'a prononcé, le sage ne prêtera pas les mains à son supplice; car c'est une folie de se faire mourir de crainte de mourir. Voici venir celui qui vous doit expédier: attendez. Pourquoi le prévenez- vous'? Pourquoi vous char- gez-vous d'une commission si cruelle? Enviez- vous l'honneur qu'on fait à votre bourieau , ou voulez-vous épargner sa peine? Socrate pouvait finir sa vie par l'abstinence, et mourir plutôt par la faim que par le poison. Il passa néanmoins trente jours en prison dans l'at- tente de la mort : non pas qu'il eût cette pensée, (|u'il n'y a rien qui ne se puisse faire, et qu'il pouvait arriver divers changements durant un si long espace ; mais pour .satisfaire aux lois et pour donner Socrate mourant h la conversation de ses amis. Il aurait été ridicule de mépriser la mort et do craindre le poison. Drusus Libon était un jeune homme de grande naissance, mais de mé- diocre esprit , qui avait des prétentions plus hau- tes que personne de ce temps-l'a , et qu'il n'aurait pas eues dans un autre siècle. Après qu'on l'eut reporté malade dans une litière , du sénat dans sa maison, comme si l'on eût fait ses funérailles, mais sans beaucoup d'appareil (car tous ses pa- rents et ses doraesti(|ues l'avaient abandonné lâ- chement, le considérant comme déj'a mort, quoi- qu'il ne fût pas encore condamné) ; il tint conseil nt scis , Tcnli scgnes ludunt ac detinent , et traaquiltila- ti> lentis.sims tsdio lassant; alium pertioat flatus celer- rime perfcrt. Idem evenirc Dobis piita; allos>ita velo- cis!inie addaiit que veniendum erat etiam ciinctantilius , allçs niaccravit et coiit; i|uir , ut scis , mm seiiiper reti- oenda est ; non enim vivere bonum es; , sed beiie vivere. Itaque sapiens Tiiit(|u:inlum débet, non quantum potcst. \'iilebit,ubi viclurus >it, cnm quibus, quomodo,(|uid arturus ; ci'gitat scmper , qualis viia , non quanta st. Si multa occurrunt moltsla et tranquillitalem lurb^mtiu, eniittit se ; nec lioc tantuni in nece»sitate ullinia facit; sed qunm primum illi cœperit suspecta esse lurtunn .diligen- ter circumspicit , nuniquid illo die desincndiun sit. >iliil eiislimat sna refullius rei meditalio tam necessaria e»t : alia eiiim exercentur foriaste in «uperracaum. AdTcrsus pja|pa- nla» est animus? permaaserc'tiivititites fortuna serva- vit. Hajus iinius rei usuni qui eii^at dies , vi ait t. Non est quod eii× , magnis lantum viris boc ro- bnr fuisse , quo servitutis bumaoae claustra pcrrumpe- rent. Pion est quod judices boc Qeri , nisi a Catone , non posse , qui , quam ferre non emiierat aniinaiii , manu ei- traxit, quum vilissimae sortis bomines ingeuli impelu in tiitum evaserint ; qnumque commodo mori non licuissel, Dec ad arbitrium suum instrumenta mnrtis eligere , ob- via quxque rapuerunt, et .quae iiatura non erant noxia . vi sua tela Iccerunt. Nuiier, in ludo l)esiiariurum , unus e (Jcrmanis, quuin ad niatulina spectscula pararetur, Decessil ad exonerandum corpus ; nullum aliud ilii daba- (nr tioc custode lecrelum ; ibl lignum id , quod ad emun- 1 dandi ol>scœna adhxrente spimgia positum est, totum in gutam fariit,et vi prxclusis faucibus spiritiuii elLtit. — Hoc fuit niorli contunielianl facere ! — lia prursus. — Pa- rum niiinde , et paruni doctnter! — Quid est stulliu.s quam fastiiiiose mori 1 O \irum fiirtoin ! o digiium , cui l'ati daretur eleclio I quam fortiler ille pladi» usus essel I ijuiui animose lu profuud;iui se allitudineni maris aut absciss rupis immisisset! Undiquo deslilulus, iuveuit quemadmodum et mortem sibi deberet et telum ; ut sciât ■nd moriendum nibit aliud in mora esse, quam velle. Kxis- timeturde facto bi>mini.s aceirinii, ut cnii|iie visum eiil; dum boc cunstet praeferendsm esse spuici.'tsimaui uior tem servituti muodissimae. Quoniani cœpi sordidis uti eiemplis , |>erseverabo ; plus enîm a se quisque exiget , si viderit haac rem eliam a contemplissimis )>ossc cnn- temni. Catooes, Scipioues:|ue, ctaHos, quos audire cum admirationc consuevimus, supra imitationeiii posiios pu- t imus; jam ego istam virlutem haliere laiu niulta exeni' pla in ludo bestiario, quam in ducibus l>elli civilis , os> tendaiii. Quuiii adveberetur nuper intercustodiaL quidam ad malutiuum spectaculum missus , tan(|uam snmuo pre- mente nutiiret , caput u.^que eo demisit , donee raiiiis m- •ereret.et taiiidiu se in scdili suo teruit, doneccervi'rn i 42 658 se lint terme sur sou siège jiisqii a ce que, le (oiir de la roue lui rompit le cou, se sauvant ainsi du supplice par lemème instrument qui l'y conduisait. Rien ne saurait arrêter celui qui veut sortir ou s'ccLappcr. La nature nous a mis dans un lieu tout ouvert ; quand la nécessité le permet , cher- chez un passage aisé. Si vous en trouvez plusieurs en votre disposition, choisissez celui que vous ju- {;erez pins propre à vous mettre en repos. Mais si l'oecasion vous paraît difûcilc, prenez la première qui se prcscnlera, comme étant la meilleure, quoiqu'elle soit extraordinaire et inouie. On a tou- jours assez d'industrie quand on a assez de cou- rage pour clierchcr la mort. Vous voyez comme des esclaves du plus bas étage, quand ils sont pressés par la crainte de la douleur, éveillent leur esprit et trompent la vigilance de leurs gardes. C'est être galant homme que de se condamner a la mort et de savoir après la rencontrer. Je vous ai promis plusieurs exemples de pareilles actions. Au second spectacle du combat naval , un barbare SÉNÈQUE. qu'elle n'arrive qu'à un même point. Or, if n'im- porte pas quelle roule on ait tenue , quand on eitt arrivé. Elle nous conseille aussi de mourir sans douleur, s'il nous est permis; sinon , de Taire da mieux que nous pourrons , et de prendre hardi- ment tout ce qui se présentera pour nous donner la mort. Il est honteux, je l'avoue, de vivre de ce que l'on dérobe ; mais il est glorieux de mourir en se saisissant de la première chose que l'on ren- contre. EPITRE LXXI. Le souvenia bien consiste en ce qui e>t boonète. — Il so rencontre inéiue dans les touroienU quand la vertu le* rend honnêtes. Vous me consultez assez souvent sur vos affaires, sans prendre garde qu'il y a un long trajet de mer entre vous et moi; et que le conseil dépendant en partie de la conjoncture du temps , il faut qu'il ar- rive quelquefois qu'un avis contraire serait meil- se perça la goi ge de la même lance qu'on lui avait | leur que celui que je vous donne à l'heure que dounée pour combattre ceux qui lui seraient pré- ! vous le recevez. Le conseil se doit ajuster "a la dis- sentés. «Pourquoi, dit-il, ne m'exemplerais-je pas : position des affaires; mais, comme elles roulent de tant de tourments et d'ignominies? Qu'ai-je i et ne marchent pas, il faut aussi que le conseil plus "a attendre, me trouvant les armes a la maini*» ] soit pris sur l'heure; et, pour mieux faire encore, Ce spectacle fut d'autant plus beau qu'il est plus snr-le-chan)p. Or, je vous veux montrer comme honnête d'apprendre a mourir qu'a tuei . Quoi i| |e faut prendre. Quand vous voudrez savoir ce donc! ceux qui, par une longue méditation et , que vous devez ou fuir ou désirer, rapportez-le aii par la raison qui est maîtresse de toutes choses, se ! souverain bien , et au dessein de la vie que vous sont préparés et munis contre de semblables acci- | avez embrassée: car toutes nos actions y doivent dents, auront-ils moins de résolution que ces in- fâmes et ces scélérats? Cette raison nous apprend que la mort vient par divers chemins ; mais être conformes, et l'on ne saurait se bien con- duire en particulier, si l'on ne s'est premièrement proposé quelque but en général. Quoique l'on ait l'ircnraactu rotœ frangcret: eodem vehiculo , quo ad pce- nam ferebatur , pœnani cffugit. Nihil ol)stat erumpere et exire cupienli. In aperlo nos natura custodit; cui peiniillit nécessitas sua, circuraspi- ciiit cxiiiira iiiolteni; cui ad uianuin plura sunt, per qux' sese asserat . is ddectum apat, et, qiia potlssimum lit)ç- letur , consideret; cui difticllis occasio est , is pioîiniani quainque pro optima arripiat , sit licet inaudita , sit nova. Non deerit ad morteiu ingenium , cui non defiieiit ani ■ mus. Vides qnemadmoduin extreii^a quoqiie mancipia, ubi illis stimulos adegit dolor , excitentnr et intentissimas custOiiias fallanl? Ille vir raagnus est , qui naorlem sibi non tantuni iniperavit. sed inveuit. Ex endcra iilii mu- nere plura cxonipla proniisi. Secundo iiaumactiia" spec taculu uuus c l)arbans lanceam , quam iu adversai ios ac- teperat, totam jugulosuo mersit. « Quare, inquil, non omne tornientum , (iinue ludihriuni janiduduni cffugio? i;uare ego mortem aruiatusexspeilo?»Tanlo hoc specio- Ùus spectaculum fuit , quanto honestius niori diseuni ho- mines , quani occidere. Quid ergo ? quod aninii peidili uoiiosique babent, non habehunt illi , quos adversus tius casus inslruzit longa meditatio, etmagistra rcrum om- nium ratio ? nia nos docet , fati varios es^c accessiu, fioem enmdeni : nihil autem intéresse, unde incipiat, quod ve- uit eodem. Illa luonct ut , si licet , nioriaris sine dolorc ; sin auteni non , queniadmoduni poies, et quidquid ob- venerit ad viin afferendam libi invadas. Injuriosuni est raplo vivcre; ai contra putcberrimum mori raplo. Vale. EPISTOLA LXXI. UNiiM DOMJM, uo^iesTi:» : oiiriii BOKi pàbu esse. Sullinde me de rébus singulis consulis, oblitus vaste nos mari di\ idi. Qimm magna pars consilii sit in tempore, ne- cesse est evenire ut de quibusdam rébus lune ad le perfera- tur senle-.itia niea, quuinjamconlrariapniiorest. Consilia cnini relius apt intur : res nosirap ferunlur, imo volvnn- tur. Ergo consiliuni sut) die nasci débet ; et boc quoqne tardum est niniis ; sub manu , quod niunl , nascalur. Quemadmodum autem iovenialur , ostendam. Quolie* quid fugiendum sit , aul quid petendom voles scire. ad summum lx)num et propositum tolius vitae tuae respice: ilii euini conscntirc débet quidquid agiums. Pion disponel singula, nisi cui jam vitae sus summapropositaest. NenM^ ËPITRES A LUCILIUS. dos couleurs loulos prêtes, on ne fera jamais on portrait qui ressemble, si l'on ne sait ce que l'on veut peindre. Nous manquons en cela, que chacun déliltère assez des parties de la vie, mais personne ne délibère jamais du total. L'archer doit savoir ce qu'il veut frapper, et ensuite bien dresser sa llèche et gouverner sa main. Nos conseils sont égares, parce qu'ils n'ont point de but certain; et l'on n'a point de vent propre quand on ne sait à quel port on veut arriver. En vérité , il faut que le hasard ait bien du pouvoir sur notre conduite, puisque nous vivons 'a l'aventure. 11 y a certaines gens qui savent des choses qu'ils ne pensent pas savoir, comme il nous arrive quelquefois de de- mander ceux qui sont auprès de nous. C'est ainsi que nous ne connaissons pas le souverain bien qui est tout proche de nous. Vous pouvez toutefois apprendre ce que c'est sans un long circuit de pa- roles. Il faut, pour ainsi dire, vous le montrer au doigt; car, à quoi sert de le diviser en tant de branches, puisque l'on peut dire tout d'un coup: Le souverain bien est tout ce qui est honnOte , et, ce qui vous surprendra davantage : 11 n'y a de vé- ritable bien que ce qui est honnête ; tous les autres sont faux et bâtards. Si vous concevez une fois cette vérité, et que vous soyez passionné pour la vertu ( car ce n'est pas assez d'en être amou- reux), lout ce qu'elle accompagnera vous sem- blera heureux et favorable, quelque opinion qu'en aient les autres. Vous ne trouverez rien d'affreux dans la torture, demeurant plus ferme que celui qui vous la donnera; ni dans la maladie, ne cé- dant point 'a sa violence, et n'en accusant point la fortune. Enfin, lout ce qui parait un mal aux yeux des autres s'adoucira et deviendra un bien pour vous, si, vous mettant au-dessus de cela, vous êtes bien persuadé qu'il n'est point de bien qui ne soit honnête, et que toutes les incommodités ont droit de prendre le nom de biens, quand la verlu les rend honnêtes. La plupart croient que nous promettons davantage que la condition de l'homme ne peut aduiettre. Us ont raison , s'ils ne regardent que le corps; mais qu'ils considèrent l'âme, je m'assure qu'ils mesureront la force de l'homme par celle de Dieu même. Relevez vos pen- sées, mon cher Lucile; méprisez les vaines subti- lités de ces philosophes qui réduisent une science si magnifique 'a l'intelligence de quelques syllabes, sans prendre garde qu'ils fatiguent et ravalcut l'esprit de leurs auditeurs , en leur enseignantdes choses si petites et si basses. Imitez ces grands hommes qui les ont trouvées, et non pas ces pé- dants qui en font des leçons en public , et qui fe- ront croire 'a la un que la philosophie donne plus de peine qu'elle ne vaut. Suivez-les, si j'ai quel- que créditauprès devons. Socrate, qui a renfermé toute la philosophie dans la morale, dit que la plus haute sagesse est de savoir distinguer les biens cl les maux. Pour être heureux, dit-il, permettez que l'on vous tienne pour nn fou. Per- mettez que l'on vous chante des injures. Il est certain que vous ne souffrirez rien si la vertu est avec vous. Si vous voulez être heureux et homme de bien en effet, cnduivzque l'on vous méprise. Mais personne n'en peut venir l'a, s'il n'a cette opinion que tous les biens sont égaux ; car il n'y a point de bien qui ne soit honnête, et ce qui est honnête est égal en tous les .-injels où il se rencon- (juaniTii paralos tiaheat colores , simililtidinem rcddet , n si jam ain.sld quid vclil pingere. Ideo peccamiis, quia à' partil.iis vila? oinnes delil>cranius, de Iota nemo deli- I cral. Scire di-bcl qiiid pel.it ille, qui saglttnni tuU niil- lere; el liiiii' diiijzcre ac nioderari nianii tcliini. Errant rcinsilia iiosini , quia non liabeut quo dirigaulur. Igno- r; Dli quciii porlnni pctat nullus .siius venins osl. Ncies^e rttmultuni in vita no^tra casuspo^sit, qui i vivimns ca>u. QuibusdamiiutcineTcnit, ut, c|uaB'iam scire se, nesciml. Queinadm:>dum qun'riinus saepu eus. cum quilms s'.amus, ita plerumqne nnem snnnni boni ignoraniiis apposiium. Nec niultisverbii, nec circuitu longo, quod sitsuniniuni honum, colligas; digito, nt ila dicam , dcmonstrandum pst, nec in nialta tpargcudum. Quid fnim ad rcni per- tiaet, in particules iltud diducere? quuni possis diccre : • Summuni biinum est, i|nod h nrstuni est; » et, qnod ■n gis admireris : € Unnra lionum e>t, quiid honesluni est;» caetera fajsa et adultéra liona snnt. Iloc si persna- seristibi, et nirtutem adaniavcris (aniare enitn p.iruin i-çl ), <|nidquid iila contigc-rit , id tibi , qualecumqne aliis %i(li.'tJtur, fanstum relitque eril; et torqucri , si modo ja- eurris Ipso torquenle securior; ot ipgrolare , si non ni;i- lediiensfortuuae, si nonccsserisinorbu. Onmia denique, qiionus, sine contemnat le aliquis. IIoo nemo pr.Tstal)it , nùsi qui omnia 1 ona exa-quavcril ; Ai. Ire. Quoi 1 est-il égal que Calon soil admis à la pré- lure, ou qu'il en soit exclus? Qu'il soil victorieux ou qu'il soit vaincu dans la bataille de Pharsale? Ce bien, de demeurer invincible après la défaite de son parti, étail-il pareilà cet autre bien de re- tourner victorieux en son pays pour lui procurer la paix? Mais, pourquoi ne serait-il point pareil? Car c'est une même vertu qui surnioute la mau- vaise fortune et qui règle la bonne : et cette vertu ne se peut faire ni plus grande ni plus petite ; car elle ne saurait changer sa taille. Mais Pompée sera battu. Tous ces grands hommes qui lui servaient de prétexte pour lénioigner qu'il défendait les in- térêts de la républiiiue, et cette avant-gai de com- posée de sénateurs portant les armes, périra dans un seul combat. La ruine d'un si grand empire jettera des éclats par tout l'univers; il en tombera surl'Égypte, surrAfriqueetsurl'Espagne; même cette misérable république n'en sera pas ((uitte pour être ruinée une fois. Arrive tout ce qui pourra : que Jnba ne se puisse sauver par la con- naissance du pays, ni par la valeur de ses fidèles sujets ; ((ue les habitants d'Utique , lassés des mal- heurs de la guerre, manquent à lafoiqu'ilsavaient jurée; que .Scipion soil abandonné de la fortune qui avait toujours suivi ceux de son nom dans l'Afrique; il v a longtemps que Calon a donné ordre que rien ne le puisse blesser. Mais il est vaincu , me du ez-vous : mettez cela au nombre de ses disgrâces, et so'jez certain qu'il ne se fâchera non plus de n'avoir pas remporté la victoire , que de n'avoir pas obtenu la préture. H joua le jour même qu'il en fut exclus; il lut durant la nuit SENEQUK. qu'il devait mourir. II se soucia aussi peu de per- dre la vie que la préture, s'étant résolu de souf- frir tout ce qui lui pourrait arriver. Pourquoi donc se tourmenterail-il de ce changement de la répu- blique, sachant bitn que rien n'est exempt de la vicissitude, ni le ciel , ni la terre, non pas même l'assemblage de ce grand univers, quoiqu'il soit conduit par la main de Dieu? Les choses ne de- meureront pas toujours dans l'ordre où nous les voyons; un jour viendra qui changera leur état et leur route. Il y a un temps limité pour leur commencement , leur progrès et leur fin. Tout ce que nous voyons rouler sur nos têtes , et celte base si solide qui soutient nos pieds, s'altère tous les jours, et perdra enlin son existence ; il n'y a rien qui n'ait sa vieillesse. La nature conduit toutes choses en même lieu, mais par des intervalles inégaux. Ce qui est maintenant ne sera plus un jour; il ne sera pas anéanti, mais il sera dé- truit. Nous prenons cette destruction pour un anéantissement, parce que nous ne regardons que ce qui est proche de nous, et que notre esprit, qui est engagé dans la matière, ne saurait jeter sa vue plus loin ; autrement , et s'il était persuade que tout meurt et revit alternalivement ; que ce qui est fait se défait , puis se refait ; et qu'en cela l'Industrie de ce grand ouvrier est perpétuellement (Kcupée, il verrait sa fin et celle des siens avec moins de trouble. C'est pourquoi Calon , se repré- sentant tous les siècles, dira : Que le genre hu- main , présent et 'a venir, est condamné à la mort. On demandera un jour que seront devenues ces grandes villes qui ont en main la puissance quia iicc bonuni sine honcsto est, et tionestuni in omiii- liiis |iur est. Quid crgo? niliil intcrest iuter prœlui'iini Calonis, et repulsam ? niliil intercst , utrum Pharsalica acie Cato vincalur , an viucat? Iioc ejus l)onuni , qiio victis partibus non potest vinci , par erat illi bono, quo Tictor rcdiret in patriam, et couiponeret pacem? — Qiiidni par fit? Ea- dem enim viilute et mata fortuna vincitur, et oïdiuotur bona : Tirtus autem non potest major aut niinor fieri ; unius slaturas est. — Sed Cn. Pomprius aniilict eserci- lum; sed illud pulcherrimuni reipublica; prailextum , op- tinniile.s, et , prima acies Pompeianaruni panium, Sena- tus ferens arma, unoprœlio profli!>abuntui-; et tara niagni ruina iinperii in totum dissiliet or bem ; aliqiia pars ejus in ^gypto, aliqua in Africa, aliqua in Ilispania cadet; ne hoc quideni niiserae reipublica; contingct , semel riiere ! — Omnia licet fiant! Jiibani in rogno suo non locoruin uotilia adjuvet , non popularium pro rege suo \irlus ob- >linali^s'n)a; Uticens niuqnoquefides, nialis fracla, dcG- ciat, et.Scipionemin Africa noniinissui toituna destituai; oiim provisnm est, ne qnid Catii delrimeiili caperet. — \ictus est tanien 1 — Et hoc nuniera inler repuisas Cato- iiis : tnm mngno aninio fi ret, aliquid sibi ad \ictoriam , «juain ad priEluram , obstilisse. Quo die repuisus est , lu sit; qua nocte perilurus fuit, legit : eodcm loco babnit , pratuia el »ita eicidere ; omnia , quae acciderent , ferenda csie persuaserat sibi. Quidni llle mulationem reipnblicae foi li et a'quo paterelur animo? Quid enim mutationis pe- liculo esceplum ? non terra , non cœluni , non totus hic rerum omnium conicxlus, quamvis Dec ageuie ducatur. ISou senipcr teneliit huiicordinera; sod illum ex hoccursu aliquis dics dejiciet. Certis cunt cuncta temporibus ; nasci debent , crcscerc , exstiujiui. Quaccumque supra nos vi- des currere, et ha'c, quiljus immiiti alque impositi su- mus ycluli solidissiniis , carpi-nUir ac dciinent. Nulli non senectus sua est; inaequalibns i>ta spa.iis eodem uatura dimitlil. Quidquid e^t , non erit; nec peribit, sed resot- vetur. ÎSobis soivi, perire est. Proxima enim iulueumr : ad ulteriora non prospicit meus hebes, et quaBse corpori addixit ; alioqui fortius fincm tui suorunique palereUir, si sperifret omnia illa sic in vitani niorlemque per vices ire, el Ciinip.isila dissolvi , dissolula coraponi; in hoc o|iere œternam r.rtim cuni;a temi>eranlis Dei \erli. Laque, ut Cato, quum aevuni aniiiio percurrcrit, dicet : « Omne bunianum genus. qnodque e't , quodque erit, morte di'.Mjni.tuiii est; Oii.nes, quae usquani rerum poliuntur, urbes , qu, luius. Omues bus fertiles cainpoa repentioa maris iiiundatio iibsc mdet, auliasubitaiiicavernaiii cou- siden is «oli lapsus alidiicek Quid est ergn, qiiare indig- ner aut doleani , si ciigno monientii pul)lica tala prsce- do? • Magnus aniiiius Deo pareat, et, quidqiiid lii uni- trersi jubet , sine caiiciaiioiie patiatur. Aut in meliorein rmiltiturTiiani,lucidiu>traiic|uilliusqneinterdiTinanian- surus, aiitcerte, sine ullii futurus incomniodn, tua; ua- turaî remiscebiiur , et revertetur in lutuui. Non est crgo M. Calunis niajus Imnnm bnn.sta vita, quam mors bo- nesLi ; quiioiani non intenditur virtus. « Idem e.sse, dire- liat Sncr-tes, Terilalem et Tirtntem : » quomodo illa non en scit , sic ne virius qoidem : babet numéros suos , plena est. Non nt ifqoe qand mireris paria rise liona , et qns ex proposi'o snmenda lunl , et qua; si ila re* tulit. Nam si banc insqualilatem reccperis, et fonilertoniueri in niinorihus Xmah nunieres , iiumcrabi.s eliam in nialis : et inrdicemSocratemdices in carctri;; infellcem Catonern, ruinera sua animosius, ijuam fecerat, retr.-.cianteni ; ca- tamitosisjimiim omnium Regnliiin, fl08- tibus servataB pendcnieni. Atqui nemo hoc dici-re , ne ex inollissini'S quidem , ausus est : ncgaut euini i.luin esse bealnm, sed lamen uepiant miserum. AcJittiiiici veteres l)eatum quidem esse etinm intcr lios crucialus fntentur, sed non ad perfectum , nec nd plénum : quod nullo modo potest rccipi. Nisi bealus est, in summo Imuo non est. Quod summum bonum e^^t, supra se gr.idum non habet, si modu illi virtus incst , si illam advcrsa iiou roinuimt, si manet etiam comm'nuto corpore iucolum s. Manet au- tem : ?irtnt "m enimintelligoanimosam et evcelsam, quain incitât <|uidquid infestai. Ilunc animum , (juem SiX'pe iii- duunt generosx indolis juvenes , quos alicujus booesta; rei pulcbritudo percus.Mt , ut omnia Tortuila «inlenioant, profeclo Siipicntia iiifundet et Iradet : persiiadcbit unuin boDum esse, quod honcstum; lioc nec reniilli, nec in- tendi posse; non magis, quam regulara, qua rectum probari solet , (lecles. Quidquid ex illa nuitaveris, inju- ria est recti. Idem ergo de ïirliile dicemus : et hîec rec- ta est ; lleiuram non recipit : rigjdari i|iii(lem pole.sl , ani- plius intendi non potest. Hac de oninilms rébus judicat , de b.ic nulla. Si reclior ipsa non poîcst ficii, nec, q«.» ail illa quidem liuut, «lia aliis nctiora simt ; liuir eniid uecessee trefponilcant : ila paria 5:001. direz-vous , sont-ce choses pareilles d'être assis h table et d'être assis sur le chevalet? Cela vous semble-t-il étrange? Vous serez bien plus surpris quand je vous dirai que c'est un mal d'être assis à table, et un bien d'être assis sur le chevalet, si l'un se fait avec honte et l'autre avec honneur. Ce n'est pas la matière , mais la vertu qui rend ces choses bonnes ou mauvaises. Partout où elle se rencontre, tout est d'une mesure et d'un prix. Il me semble que je vois me sauter aux yeux ces gens qui mesurent tout le monde 'a leur auno, à cause que je dis qu'il y a égalité de biens entre celui qui supporte courageusement l'adversité, et celui qui se conduit sagement dans la prospérité ; entre celui qui triomphe et celui qui est traîné devant le char du vainqueur, sans perdre la fer- meté de son courage ; car ils ne croient pas qu'on puisse faire ce qu'ils ne sauraient faire, jugeant ainsi de la vertu des autres par leur faiblesse. Pourquoi vous étonnez-vous que ce soit un bien d'être lié, blessé, tué, brûlé? On en est quelquefois bien aise. La sobriété est une gêne au gourmand, et le travail un supplice au fainéant. Le délicat plaint un homme qui aime l'action, et le paresseux un homme qui aime l'étude. C'est ainsi que tout ce qui est au-dessus de nos forces nous paraît dur et insupportable , sans faire réflexion qu'il y eu a beaucoup h qui le plus grand supplice serait de ne point boire de vin, ou de se lever matin. Cela n'est pas difDcile de sa nature ; mais nous sommes lâches et imbéciles. Il fautun esprit relevé pour ju- ger des choses relevées; autrement nous leur im- puterons le défaut qui vient de nous. C'est larpison SÉNÈQUE. pourquoi un bâton droit, plongé dans l'eau, pa- raît tortu ou roni|Ju ; laut il est iraportantde con- sidérer non-seulement ce que l'on regarde , mais de quelle manière on le regarde. Il faut avoner que notre esprit s'éblouit lorsqu'il veut envisager ûxement la vérité. Amenez-moi un jeune homme qui ait de l'esprit, et qui ne soit point encore pré venu des opinions populaires; je m'assure qu'il sera d'avis qu'un homme qui porte courageuse- ment le faix des adversités, est plus heureux que celui qui est au-dessus de la fortune. Ce n'est pas une chose bien rare de ne point chanceler quand on n'est point agité; mais c'est un sujet d'étonne- ment de voir un homme s'élever où les autres s'a- baissent, et se tenir debout où les autres tombent par terre. Quel mal y a-t-il dans les tourments, et dans tout ce que nous appelons adversité? C'est, à mon avis, quand il arrive que l'âme plie, se courbe et tombe sous le faix. Mais rien de tout cela ne peut arriver au sage ; il demeure droit , quelque charge qu'on lui donne ; rien ne diminue son courage, rien ne le rebute pour fâcheux qu'il soit. 11 ne se plaint jamais que ce qui pouvait tomber sur un autre soit tombé sur lui; car il connaît ses forces, et sait bien qu'elles sont suffi- santes pour la change. Je ne ptétends pas le séparer du nombre des autres hommes, ni luiôter le sen- timent des douleurs comme 'a quelque roche en- durcie. Je sais bien qu'il est composé de deux par- ties : l'une irraisonnable, qui sent les roues, les feux et les douleurs; l'autre raisonnable, qui est ferme dans ses résolutions, intrépide et inflexible. C'est en cette partie-l'a que réside le souverain Quid ergo? inquis; jacere in convivio, et lorqucri , paria sunt? — Hoc niirum videtur tibi? Illud licet inasis adtnireris : jacere iii conïWio, in:iluni esl ; lorqucri in equuleo , bonuni est; si illud turpiter, lioc honeste fit Bona ista aut mala non efDcit materia , sed virlus : ha-c ubicumque appaniit, onmia ejusdeni inensiirce ac pielii sunt. In oculos nunc uiibi niauus intentât ille , qui om- nium aninmm eestimat ex suo , quod dieam paria bona esse , adversa fortiler porlantis , et prospéra lionesle ju- dicantis; quod dicam paria bona esse, ejus qui tiium- phat , et ejus qui ante currum vehitur invictus animo. Non putant enim Deri, quidquid facere non possuut; ex infirmitate sua de viitule ferunt senlenliam. Quid niiia- ris, si uri, vulnerari, ociidi, atlipari juvat , «liquaudo ctiam libet? Luxurioso frugalitas pœiia est; pigro sup- pliai loco labor est ; delicalis luiseria esl iiidusli ia ; desi- dioso sludere torqueri est : codcm modo ha'c , ad (juae onines imbecilli sumus, dura atque intoleranda cndi- mus, obliti , quam multis tornientum .'il vino can re , aut prima luce excitari. Non ista difViCilii suntnitura, sed nos Duidi et énerves. Maçno aninio de i ebus niagiiis judicandum est; alioqui \idebitur illiium vitium esse quod noslrum esl. Sic quajdam rt'c:i.'sima , quuui iu aquam demissa sunt, spcciem cur?i prcEfractique visen- tibus reddunt. Non tantum quid videas , sed quemadmo- dum, refert : aninius noster ad vera perspicienda caiigat. Da niibi adolescentem iucorruptum, etingenio TCgetum; dicet forlunalioiem sibi videri , qui oœnia rerum adrer- sarum onera rigida cervice sustoUit, qui supra fortuuam extat. Nonmimmest, in tranquillitate nonconcuti : illud niirare.ilii exlolli aliquem, ubi omnesdeprimuutur; ibi stare , ubi oumes jaceut. Quid est in tornienlis, quid est iu aliis, quo; adversa appellamus, mali? tioc, ut opiner, succideie menteni , et incurvari , et succumbere ; quo- rum uihil sapienti vire poîest evenire. Stat reclus sub quolibet pondère; nulla illum rcsminorem faclt; nii.il illi eorum , qum ferenda sunt, displicet. Nam , quidquid ca- dere in hominem potest , in se cecidisse non queritur. Vires suas novit ; scit se esse oneri ferendo. Non educo sapientem ex bomiuum numéro; nec dolo- res ab illo , sicut ab aliqua rupe nullum sensum admit- tenlc, submoveo. Memiui ex duabus illom partibus esse coiiipositum : altéra est irrationalis ; haec mordetur , uri- lur, dolet : altéra ratioaaiis; haec inconcussas cpiniones hahet, inlrepida est, et indomita Iq hac positum ist summum illud hominis liouum : anlequani impicaturi ÉPITI'.ES A LUCILIUS. (bGÔ bien, lequel n'étant point encore assez établi, Tâme est toujours incertaine et flottante ; mais quand il est une fois parfait et accompli , elle de- meure dans une assiette ferme et immuable. C'est pourquoi celui qui s'est mis dans le chemin de la vertu, et qui veut monter au plus haut degré, quand il approchera de la perfection qu'il n'a pas encore atteinte, il s'arrêtera quelquefois, et relâ- chera ses efforis, d'auiant qu'il n'a pas surmonté les difficultés, et qu'il est encore dans un pas glis- sant et douteux; mais celui qui est heureux, et de qui la vertu est accomplie, n'est jamais plus satisfait de soi-même que lorsqu'il s'est éprouvé. S'il se présente quelque action périlleuse où il y ait de l'honneur 'a acquérir , il la reçoit et l'em- brasse, aimant mieux qu'on dise qu'il est homme de bien, que de dire qu'il est heureux. Je viens maintenant au point où vous m'attendez, afin que vous ne pensiez pas que la vertu dont je parle soit au-delà des forces de la nature. Le sage tremblera, sentira les douleurs, et pâlira ; car tous ces mou- vements appartiennent au corps. Où est donc la sourcede la misère et le véritablemal? C'est quand l'âme, troublée par toutes ces choses, est con- trainte d'avouer qu'elle est esclave du corps, et d'avoir regret de sa faiblesse ; car il est certain que le sage peut vaincre la fortune par sa vertu. Mais il y en a beaucoup qui font profession de sa- gesse, qui prennent l'épouvante quelquefois bien légèrement. Nous avons tort en celte rencontre d'exiger autant de celui qui est initié seulement que de celui qui est consommé dans la sagesse. Je m^ me conseille bien de faire ce que je loue, mais je iocerta mentis volutalio est; qaum ïero perfeclnm est, immota ilia slabililas est. Itaqiie inctinatas , et ad suiimin procedens , cullorque vil tutis, cliaiii si appnipinqiiat |mt- fectii boQO, sed ei oondum sumniiiin niiinum iiiiposiilt, ibi Intérim cessaliit.etrrmillctaliqnid ex iotenlione men- tis : nondam enim incerta transgressas est ; etiani niinc Tersatur in lubrico. Beatns vero, el virtulis exactac , lune se iiiaiime amat, quum rortissiine expcrtns est; et me- tnenda cxteris , si alicujus honesti offlcii prctia sunt , non tanlam fert , sed ampleiatur, multoque audire raavult ; • Tanto melior, quam tanlo felicior. • Venio nnnc illo, quo me Tocat eispectalio tua. Ne ex- tra rerum nalnram Ta|;ari virlns nostra videatur , et tre- met sapiens , et dniebit , et expallescrl; hi enim omnes cnrporissensns simt. L'bierRO calanilta5?ubi illiid malum verum est ? Illic scilicet , si ista aninnim deiraimnt , si ad confessionem servitntis addiicnnt , si illi pœnitenliam siii rnciiint. Sapiens qmdem ïincil virtnle forlimam ; al miilti professi sapienliam levissimis nonnnnquani niinis pxUt- rlli sunt I Hoc loco Titium noslrum est, qui, qiiod dici- tur de sapiente, eiii^mus et a protlciente. Suadpo adhiic Vihi ista quae lando, nondum p.rsuadeo; ctiam si pcr- je le serais, je n'ai point encore assez d'expérience ni d'exercice pour aller au-devant de tous les dan- gers. Comme la laine prend la teinture de cer- taines couleurs du premier coup, et ne prend les autres qu'après y avoir été plusieurs fois trempée et recuite, ainsi il est des sciences que l'on peut prali(|uer sitôt qu'on les a apprises. Mais, quant "a celle-ci , à moins que de descendre et de séjour- ner longtemps au Tond de l'âme , elle ne saurait lui don ner sa couleur ; elle l'en abreuve seulemen t, sans y produire l'effet qu'on en attenilait. On peut enseigner en peu de temps, et en peu de paroles, qu'il n'y a qu'un seul bien, qui est la vertu, et qu'il n'y en a point d'autre que la vertu , laquelle a son siège dans la meilleure partie de nous-mêmes , qui est la raison. Qu'est-ce donc que cette vertu'? C'est un discernement juste et certain qui donne le mou- vement à l'âme, et qui lui fait voir 'a nu tontes les vaines apparences qui échauffent nos passions. Ayant ce discernement, on demeurera d'accord que toutes les choses qui procèdent de la verln sont bonnes et pareilles entre elles. Les biens cor- porels sont, 'a la vérité, des biens au regard du corps; mais ils ne le sont pas universellemenl. Us auront bien quelque prix ; m;iis ils n'auront ja- mais aucune dignité qui les accompagne. Au.ssi seront-ils fort inégaux entre eux , les uns étant plus grands, les autres plus petits. J'avoue même qu'il y a de grandes différences entre cenx (|ui cul- tivent la sagesse. Car les uns sont si avancés qu'ils osent déj'a lever les yeux pour regarder la fortune, non pas fixement , car ils seraient éblouis de son éclat ; mais les autres qui sont montés au plus haut degré, ont l'assurance de se présenlcr pour suasissem , nondum tara parafa habcrom aut tam cierci- tala , ut ad omnes casus pro(!urrerent. Queinadmodum lana qu isd'ra colores scuicl duoit, quosdam , nisi sa-pius macerataet reciicta, nonpcrbibit ; sic alias disciplinas in- génia, qimm acccpcre , prolinus praestaut ; h;rc, nisi allé ilcscendit, etdiu scdil, cl animum non coloravit, sed in- fpcil,nihil ex bis, quic pioniiscrat , prajstat. Cito hoc. potest tradi , el paucissimis verl)i8 : « Untim bonuni esse virlutcm , nullum ccrle sine viitutej el ipsam virluteni in parte nosiri meliore.id est .rationali, posibim. » Quid eril hîEc virtus? judicium verujn et immolum ; ab lioc enim impetus venientmenlis; ab boc omnes species,qu;i' impelum moïent , redigentur ad liquiduni. Iluic judicio Cfjnsenlancum erit, omnia , quae virtute cnntacla sunl , eilmna judicare,ctinler se paria. Corpornm auleiiibon.i corporilms quidem bona sunt; ned in tolum non sunl bona. Ilis prclium quidem eritaliquoil , cajUiuin dignilas non erit; mngnis inter se intervallis dislabunt; alia ma- jora, alii minora crunt. F.t in ipsissapientiam scct.tnti- bus magna discrimina esse, faleauiurneccsse est. Aiiiis jam iu lanlum profecil, ul contra fortunam audeat allo:- Icrc ocnlDs, sed non perlinacitcr; cedunl enim niuiio lacomballie icte a tôle. Quand les choses deuicu- renl imparfaites, il est de aécessité qu'elles pen- chent, qu'elles dcchéent, et qu'enfin elles tom- bent pai- terre : elles dochéeiont sans doute si l'on ne s'efforce toujours d'aller en avant ; car, aussi- tôt qu'on se relâche, il faut reculer, et l'on ne se retrouve plus où l'on en était demeuré. Continuons donc et hâtons-nous ; car il reste en- core plus de chemin à faire qtie nous n'en avons fait. Toutefois, c'est déj'a beaucoup d'avance que de se vouloir avancer. Pour moi, je puis ré- pondre que je le désire , et que je le désire de tout mon cœur. Je vois de votre côté que vous y êtes porté, et que vous avez une forte inclination pour les belles choses. Dépêchons-nous, la vie noussera utile pource dessein ; autrement elle ne sera qu'un retardement honteux qu'on aura sujet de nous re- procher , SI nous croupissons dans l'ordure. Fai- sons en sorte que le temps qui nous reste soit tout à nous. Mais cela ne se peut faire si , première- ment, nous ne sommes a nous. Quand sera-ce que je me verrai en état de mépriser l'une et l'autre fortune? Quand stra-te, qu'ayant dompté et assu- jetti toutes mes passions, je pourrai dire : J'ai vaincu? Voulez-vous savoir qui j'aurai vaincu? Ce ne seront point les Perses, ni les Mèdes, ni tout ce qu'il y a de peuples belliqueux au del'a des Daces; mais ce sera l'avarice, l'ambition, et la crainte de la mort, qui a vaincu ceux qui ont vaincu le monde. SÉNÈQL'E. EPITRE LXXII. Que l'étude de la eapresse doit être préférée à toute au- tre occupation. — Que la joie du sage se forme au-de- dans , et ue peut être troublée par ce qui vient du de- hors. J'avais appris ce que vous me demandez , et y aurais fort bien répondu; mais j'ai oublié la chose; il y a si longtemps que je n'ai exercé ma mémoire, qu'elle a peine h me suivre quand j'ai besoin d'elle. Je vois bien qu'il m'est arrivé , comme aux livres moisis , d avoir les feuillets collés ; c'est pourquoi il faut déplier notre esprit, et remuer de temps en temps ce que nous y avons mis en dé- pôt, afin qu'il soit tout prêt quand nous voudrons nous en servir. Mais comme cela demande beau- coup de soin et d'application , il le faut remettre à un autre temps. Co sera aussitôt que je pourrai faire quelque séjour un peu long en un même endroit; car il y a des choses que l'on peut écrire dans un carrosse , et d'autres qui demandent le lit, le repos et la retraite. Ce n'est pas qu'il ne faille faire quelque chose aux jours mêmes que l'on est (K:cupé. Car il nous surviendra toujours de nouvelles occupations. Nous les semons , et une seule nous en produit beaucoup d'autres; outre que nous sommes accoutumés à nous donner des délais en disant : Lorsque j'aurai achevé celle af- faire , je m'appliquerai tout de bon ; ou si je puis accommoder ce fâcheux procès , je ne veux plus faire autre chose qu'étudier. Il ne faut pas atten- dre pour philosopher que vous soyez de loisir. On iplenilore piacstiicli : alius in lantum , ut possit ciim illa conferre viilluui; ^i jani per\enit ad summum, et fiducia; plcnus est. Inipi'rficta ni'ce,-,se est lalx'ut , et ntodo pro- deant , modo sublabimlur, aut succidant. SublabenUir aulem , nisi ire et niti perseveraTerint; si quidquam ex sliidio et ndeli intent one laxaveriut , relro eunidem est. Nemo profcclum ibi invenit , ubi reliqucrat. Insleitms itaque, et perseveiemus 1 Plus ipiam profli- gaviiiius, reslat; sed magna pars est profeclus, velle pro- flcerc. IIujus rei conscius mihi sum : volo , et tota mente Tolo Te (piiquc insiiuctum esse, et magno ad pulcher- rima properarc impelu, video. Propcremus! lia denmm vita bcncliciuin crit; alioipii iiiora est, et quidem turpis inter fœda versaiililms. Id ngamus, ut uostiuni omne tcmpus sil : mm crit au;em , nisi prius uns nostri esse cœ- periuuis. Qnando conlingel contemnere ulramque forlu- nam ? quando ciinlinget omnibus oppressis affectilius , et sub arbitrium adductis , hanc vocem cmittere : Vici ! — Queni vicerim , quaiis? — INon Pcrsas, nec extrema Me- riorum, nrc si quid ultra Dalirs bcllicosiini jaeet; sed avaritiam , sed ai;il)ltioncm , sed metimi morlis, qui vic- loics gcnlium vicit. Vale, EPISTOLA LXXII. OJlMi ESSE r.El.lNQtCMlA AU iMPLEXASDAM PBlLO.'iOrBUM. Quod quaeris a me, liciuebat mihi , quum rem ediscc- ri iiitrr- rupla est , iiianel; sfd . eoruin more, qiia' iiit"iita dissi- linat, usque ad ioiiia sua rccurrit, quod a contimiutioae disccssit. Resistendum est occnpationibiis, nrc explicandx, sed «ammoTendi' suiit.TcmpLS quidem aulluiii parum i st ido- neum studio salulari : alqiii niulti inlei- illa non student, propter qiiîB studendum e»t. — Incidet qiiod imix-diat ; — non equidem eiim, aijus animus in omni negolio ia;lu8 alque alac !;■ est : iraperfeclia adhuc inlersrinditur la^titia; sapientis ïcro conlexitiir gaudium, nulla runipitiir cau- sa , nuila rortun.i; scmper et ubiquetranquillumrsl. Non enim ex aliène pendet , nec faTorem foi luuœ, aut homi- nis, exs|ipctat. Domeslica illi félicitas est : exirct ex ani- me, si intrarel ; ibi nasrilur. Aliquando extrinsecus, qiio admoneatur mortalltatis, iatervenit; sedid levé, et quod summam cotera striiigat. Aliqno , inquam , incommodo af- flatur : maximum ejus bonum est fliuni. Ita dico, ei- trioieciis aliqu.i sunt incommoda ; Telid in corporc in- lerduin robuslo solidoqnc eriiptioncs qu.Tu8 bona Taleludo est; quani medicus, etiam si rcddidit, non pra-st; t : sa'pe ad eumd('m,qiii advocaferat, eicitatur. Sapientis animus semel in totum sanatus est. Dicam quomodo inlelligas sanum : siseipse rnntentus est; si confldit sibi; si scit, omnia vota mortalium , omnia benelic a quae dantur pe- tunturque , nullum in beata vita habere momentum. Nam cui aliquid accedere potest, id imperfeclum est : cui ali- quid abscederc potest, id impcrpeluum est : cujus per- pétua fulura laplitia est, is suo gaudeat. Omnia autem , quibus yulgus inhiat , ultro citroque lluunt : nihil dat for- tuna mancipio; sed bxc quoque fortuita tune délectant, quum illa rati > lemptravit ac miscuit. Hax est quœ cliam eiterna commendet, quorum avidis usns ingratus est. Solebal Allalushac imagine uli :« Vidisti aliquandoca- nem mi.-^sa .1 domini) trusta pi.nis aut carnis apcrlo 01 3 666 SÊNÈQUE. reçoit dans sa gueule des morceaux de pain ou de chairque son maître lui jelto; il les avale inconli- nenttouten tiers, afin de présenter encore la gueule pouren recevoird'autres. C'estcequi nous arrive, quand nous avalons sans goûter ce que la fortune nous envoie, après l'avoir longtemps attendu , et que nous demeurons attentifs et béants pour en attraper encore autant.» Le sage n'en use pas de la sorte , parce qu'il est toujours plein , et si quelque bien lui arrive, il le reçoit et le garde sans émo- tion, jouissant continuellement d'une joie toute pure et qui lui est particulière. Celui qui est éloi- gné de la perfection, quoiqu'il ait déj'a fait quel- ques progrès , et qu'il ait de bonnes intentions , est encore sujet a diverses secousses qui le portent haut et bas , tantôt vers le ciel , tantôt vers la terre. Les ignorants, qui n'ont nulle expérience, bronchent "a tous moments, et tombent enfin dans ce vaste chaos dont parle Epicure. Il y en a en- core d'une troisième sorte, qui sont tout proches de la sagesse , et ne l'ont pas encore atteinte ; mais ils l'ont devant les yeux, et peuvent, pour ainsi dire, la prendre par le poing. Ceux-là ne chancellent ni no glissent. Ils ne sont pas encore à terre ; mais ils sont déj'a dans le port. Puis donc qu'il se trouve une si grande différence entre les premiers et les derniers , et que ceux du milieu même sont encore daus l'agitation et au hasard de retomber, et de se voir en pire éiat qu'ils n'étaient auparavant, ne nous clmrgoons point d'affaires , fermons-leur la porte ; car, si elles entrent une fois , elles en attireront d'autres après elles. Arrô- tons-les dès l'abord. Leur commencement ne sera jamais meilleur que leur fin. ÉPITRE LXXIII. Que le sage obéit aui lois, et révère les magistrat* qai ont soin de la tranquillité pul>tiqne. — Que l'âme ne peut être bonne si Dieu n'est avec elle. C'est une erreur , à mon avis, de croire que ceux qui font profession de la philosophie sont re- belles aux luis, réfractaires aux magistrats, et qu'ils méprisent les rois et tous ceux qui out part à l'administration de l'État. Au contraire, je n'en vois point de plus soumis ni de plus reconnais- sants. Et c'est avec raison; car, comme ils ont plus d'inlérêt que les autres a la tranquillité pu- blique , qui leur donne moyen de s'employer à la vertu , il est à croire qu'ils honorent comme leurs pères les auteurs d'un si grand bien ; et plus sans doute que ne font ces personnes inquiètes et vé- nales , à qui les princes ne sauraient tant faire de grâces qu'ils ne croient qu'on leur en doit davan- tage , leur avidité croissant "a mesure qu'on s'ef- force de la remplir. Qui songe à recevoir encore a déj'a oublié ce qu'il a reçu ; et le plus grand dé- faut de la convoitise, c'est qu'elle est toujours ingrate. Ajoutez "a cela que tous ceux qui sont dans le maniement des affaires regardent plutôt com- bien il y en a devant eux, que combien il y en a derrière ; et qu'un seul , qui les précède , leur donne plus de chagrin qu'un grand nombre qu'ils ont passé ne leur donne de plaisir. L'ambition a cela de mal , qu'elle ne regarde jamais derrière soi. Elle est inconstante et légère, aussi bien que toute sorte de convoitises, parce qu'elle commence par la fln. Mais un homme sincère et candide, qui a quitté la cour, les charges et les affaires pour se captantemP quidquid excepit, prolinus integnim dévo- rât, et semper ad spem fuluri hiat. Idem evenit nobis : quidquid exspectantibus fortuna projecit, id sine ulla vo- luptate demiUimus, slatiiii ad rapinara altcrius erecli et aUenti. » Hoc sapienti non «venit ; picnus est : etinm si quid obvcnit, secure escipit, ao reponit; laptilia fruitur luaxima, conlinua, sua. Ilnbct atiquisbonum volunlalem. habet profcclum, sed cul muUum desita summo? hic de- primitur allernis, et cxtollilur, ac modo in ctelum alleva- tur, modo defertur ad terram. Impediiis ac nidibus mil- lus praîcipitalionis finis cstj in Epicureum illud chaos decidunt inaue, sine terniino. Est adhuc genus terlium , corum qui sapienlia; alluduut : qiiam n n quidein conti- gerunl, in conspeclii tameu, et, ut ita dicam, siib ictu ha- bent : hi non concutiunlur; ne dclluuiil <|uideni ; non- duni in sicco, jamin |iortu sunt.Ergo, quuni tamniMgua sint intprsummosimos(|ue discrimina ; qunm medios(|no- que sequatur frnctus suus, sequalur ingeus pcricuiuni ad détériora redeundi , non debcraus occupationibus indul- gere. Exclndendae sunt : si seniet intraveriiit, in locum tuum alias substituent. Piincipiis illarum obslcnius! Mc- liusnon incipient, quam de^iucnt. Vale. EPISTOLA LXXIII. ijiMEBrro rniLosopaos seditioSjE HE^TIS àbcui. Errare mitii videntur, qui existimant philosophiae fide- Iltcr dedilos contumaces esse acrefraclarios, et contemp- tores niagistratuum ac regum, eoiunive.per quospu- blica administrantur. E contrario enim, nulli advcrsus illos giatiores sunt; necimmerito : nullis enira plus prœ- slaut, quam quibus frui tranquillo otio licet. Ilaque hi, quibus altum ad propositum bene Vivendi confert secu- ritas publica , necesse est auctorem hujus l>oni ut paren- tem colanl; mutto quidem magis , quam ilU inquieti et in medio positi, qui niulta principibus délient, sed niulta et imputant; quibus nunquam tam plene occurrere ulla liberalitiis potitt , ut cupiditates illorum , quie cres- runt dura implenlnr, exsatiet. Quisquis aulem de acri- piendo cogitât, oblitus accep:i est; nec ullum hal)et ma- lum cupiditas majus , quam quod ingrata est. Adjice nunc, quod n. mo eorum , qui in rcpublica versantur, quos tin- cat , sed a quibus vincatur, nspicit ; et itiis non tam jncan- dumest, mul:os past se videre, quam grave, aliquem anie se. Habet hoc vitium omnis anibilio : non respicit. Nec ainbitio lantum iusabiiis est , vcrum cupiditas omnis. EPURES A LUCILIUS. 667 donner à de meilleurs emplois , aime ceui par le soin desquels il peut y vaquer en sûreté , et leur rend en son cœur un témoignage de gratitude, reconnaissant qu'il leur est obligé' d'un tel avan- tage, quoiqu'ils n'y pensent pas. Comme il a du respect pour ses maîtres, par rinsiruciion des- quels il s'est dépouillé des vices, il en a aussi pour ceux sous la protection desquels il peut exercer les vertus. Un roi, direz-vous, en prolcgn bien d'autres que celui-ci par sa puissance. Qui vous le nie? Mais, comme entre des gens qui sont ar- rivés au port, ceux qui ont amené plus de choses précieuses se sentent plus obligés a Neptune; et que le marchand acquitte sou vœu de meilleur courage que ne fait le passager ; que même entre les marchands, cens qui apportent des parfums et des drogues qui se vendent au poids de l'or font des offrandes plus libérales que ceux qui n'ont que des marchandises communes , et quelques denrées propres à charger le fond d'un vaisseau ; ainsi , le bénéDce de la paix , quoiqu'il s'étende généralement à tout le monde, se fait pourtant mieux sentir 'a ceux qui en font un meilleur usage. Il Y a bien de ces messieurs les petits collets qui ont plus de travail et d'embarras pendant la tran- quillité publique qu'ils n'en trouveraient dans la guerre. Pensez-vous que ceux qui ne se servent de la paix que pour se plonger dans le vin , dans la lubricité et dans les autres vices ( qu'il faudrait exterminer, dût-on rappeler les combats et les contradictions); pensez- vous, dis-je, qu'ils soient autant obligés 'a cette paix que les gens de bien qui l'emploient en des actions vertueuses , si ce n'est que vous estimiez le sage assez injuste pour ne se pas sentir obligé en particulier des laveurs qui sont générales? Je ne laisse pas d'être obligé au Soleil et a la Lune , quoique ces astres ne lui- sent pas pour moi seul. Je dois remercier les sai- sons de l'année , et ce Dieu qui les gouverne , quoique je sache que ce bel ordre n'y a pas été^ mis pour ma seule considération. L'avarice insen- sée des hommes distingue la possession d'avec la propriété , et ne lient à soi que ce qu'on possède en particulier. Mais le sage n'estime rien plus a soi , que ce qu'il a en commun avec tout le genre humain : car il ne serait pas commun , si chaque particulier n'y avait sa part ; étant certain que la moindre portion en une chose qui est commune sofût pour établir une société. Il faut considérer d'ailleurs que ces grands et véritables biens ne se partagent point, en sorte que chacun en ait une petite porlion ; chacun les reçoit tout entiers. Aux libéralités des princes, aux funérailles dos grands, et en d'autres pareilles occasions, les viandes se distribuent à la main , et se divisent par pièces; mais les biens indivisibles, la paix et la liberté, se donnent tout entiers au particulier aussi bien qu'au général. C'est pourquoi le sase considère qui le fait jouir de ces biens , qui l'exempte de porter les armes , «l'aller eu sentinelle, «le veiller sur le rempart, et dépaver tant d'imposilions qu'engendre la guerre ; puis il en rend grâces a ceux qui ont le gon\ernement en main. Une des principales maximes du sage est de bien recevoir un bienfait et de le bien rendre ; c'est quelquefois le rendre que de l'avouer; il avouera toujours quia iDcipit semper a One. At ille vir sincerus ac purus , qui retiquit et cariam , et forum , et omnem administra- tioDrm reipublicae, ut ad ampliora secpderet, dilicitens, per quostioc ei taccretnlolicet, i^oluraque illis gratuitum testiniuniuni reddit, et magngm rcni ncscientil)us deliet. Qucniadmudum praeceplores suos veiicratur ac suspicit, quorum beoeficio illis iuviis eiiit; sic et bos, sub quorum lutela positus eiercct artcs b >niis. — Verum alios quoque rei Tiribui suis protegit. — QuisnegatîSedqui'madmo- dum Neptnno plus dcbere se judicat, et bis qui cadpni tran- quillitale usi sunt,qui pluraet pretiiisiora illomari vcsit; etanimiisius ami!rcilore, quam a vectori", solTitur vo- tum ; rt ei ip«is mercatoribus cffusius gratirs est, qui Odores ac purpuras, et auro pinsanda port.il)at, ijuani qui \ilissima quteque, et naburrœ loco fiilura, congis- •*rat : sic hujus pacis beneflcium , ad cmnes perlicicntis, allins ad eo» perveoit, qui illa bene utuniur. Multi enim tout ex bis togalis, quibus pai opcrosior bello est. An idem eiislimas pro pace del)ereefapiens non vult. Credamus itaque Seitio monstranti puicherriniuni iter ei clamanti : « Uac iturad astra ! bac , secundum fru- galilatem; bac, secundum temperantiam; hac , secnodum forlitudinem ! ■ rSon sunt Dli f.istidiosi , non invidi ; ad- mittunt, et asceudeniibus manum porrigunt. Miraris bo- luinem ad Deos ire? Deus ad homines venit; imo, qnod propius est , in homines veuit. ISulla sine Dco mens bona est. Semiua in corpoiibus humanisdivina dispersa sunt; quae si bonus cultur eicipit, similia origini prodcunt; et paria bis, ex quibus orta sunt, surgunt: si malus, non aliter quam humus steriUs ac palustris , necat, ac deinde créât purgamenta pro frugibus. Vale. EPISTOLA LXXIV. NIBIL BOMIH ESSE, MSI HOKESTCa. Eplstola lua dclcclavit me , cl marcentrm eicilavit:. ÊPITRES A LUCILIUS. 669 moire, qui commence à devenir tardive et pares- seuse. Pourpée par le trop d'ardeur qu'on avaitde l'attraper ; uneau- menioriam quoque meam , qiis jam mihi segnis ac tenta est, evocavit. Quidiii lu, mi Lucili , maximum putes in- strumenlum beala; vitce liunc persunsiooeiii , < uuiiiii l)0- num esse , quod tionestum est? ■ Nani , qui al a l)ona ju- dicat, ÎD rnrtuns venit putestatem, alieni ;-ntain est , liona noa esse , qiiae Deo desun'. Adjice qaod inulta , quie bona rideri Tolunt, aniinalibus, quant bomiDi, pleniora conliogunt. Illa cibo afidios utuntur; venere non > capiunt . et ei facili , siae ullo pudoris aut pœnitenlia! melu. Consi- déra tu ibque, au id booum tocaDdum tit, quo Deus ab boniine Tiiicitur. Sunimum boDum inanimocuotineanius; obs4)lescit si ab optima iiostri par(c ad pessiniam traosit , et transfeiiur ad sensus, qui agilion s sont aaiiiialibus muiis. Pion est suœoia f<-licita> nostra; in carne poiieiida. Bona illa sunt vera. quœ ratio dat, solida ac senipi- terna ; quœ cadere non possimt , non dccrescere quidem aiu minui: cetera opinioae bona sunt; et nonieu qiiideni babent coniniune cum veris, proprietas in illis boni non eil. Itaque coumiuda voccnlur, et, ut oosira llngua lo- quar, pruducta : cxlerum sciamus, maacipia nostra esse, uon partes; et lint apud nos, ted ila , ut meniineriinos qui ne méritent pas qu'on s'en fasse honneur. Y a- t-il rien de plus impertinent que de se glorifier d'un ouvragequcl'on n'a pasfaii?Que toutcelasoit auprès de nous, mais qu'il n'y soit pas attaché, de peur que, s'il vient 'a se détacher, il ne nous enlève la peau. Servons-nous-en modestement et sans va- nité, comme d'im dépôt, lequel nous devons rendrp un jour. On n'en jouit pas longtemps quand on en jouit inconsidérément; car la prospérité se pré- cipite d'elle-même si elle ne se retient. Ces biens inconstants et légers sur lesquels elle s'appuie l'a- bandonnent bien vite; mais quand ils lui tien- draient compagnie , ce ne seiait que pour lui don- ner du chagrin. Il y en a peu de qui la prospérité finisse doucement et sans faire éclat; tous les au- tres tombent par la ruine des choses qui les sou- tenaient, et cela même qui les avait portés en haut, sert pour les tirer en bas. Il faut donc en user avec prudence et modération. Le désordre dissipe facilement les richesses, et les plus grandes ne durent pas longtemps si la raison n'en prend le soin et la conduite. Vous en trouverez la preuve dans le malheur de quantité de villes qui ont été renversées au plus haut point de leur domination, et (|ui ont perdu par le luxe ce que la vertu leur avait acquis. Il se faut munir contre ces accidents; mais comme il n'y a point de rempart qui puisse tenir coutre la fortune, fortifions-nous' en dedans : si cet endroit est en sûreté , on peut bien attaquer l'homme, mais on ne le saurait prendre. Voulez- vous savoir quelle est cette fortification? Qu'il ne se fâche jamais pour chose qui lui arrive, et qu'il se représente que les uiauvais événements servent eitra nos esse. Etiamsi apud dus tint, inter tubjecta nu- merentur et humilia , propler quse nemo se attullere de- beal. Quid euini stiiltius quani aliqucm co sibi placere, quod ipse nou fecit?Oiiinia ista u bis accédant, non bae- reant; ut, si abducentur, sine ulla riostii laceralione di- scedant. Utaniur illis , uon glorieniur ; et utaniur parce, lanquaiu de|)Ositis apud nos , et abituris. Quisquis illa sine ralioiie possedit, uoo diu teouil : ipsa eoliu se Mi- citas , n:si tenipcratur, preniit. Si fugiicissiniis bonis cre- didit, cito deserilur; et, ut non de>eratur, alfligitur. Paucis deponere felicitateni niolliter licuit : cxleri cum his , inter quae eniinuere, labuntur; et illos drgravaot ipsa quae eituKrant. Ideoadhil)ealur prudeu.ia,quu- mo- (lum illis ac parcimoniani imponat; quouiani quidem li- centia opes suas piiecipitat atque urgct , nec unquam im- modica durarunt, nisi illa muderalrix raiio conipescuit. IIoc Miullaruui Ubi urbinm oslendet eventus, quaium in ipso llore Unuriosa iniperia ceciderunt , et , quidquid Tir- tute parturn erat, inteniperantia corruit. Adïersns boa casus niuuiendi sumus. Nullusautem contra forlunam in- espugnabilis murus est : inius insiruaniuri Si illa pars tu a est, pulsari bonio potest , capi non potest. — Quod sil hoc inslrunicntuui , scirc desidcras?— ^ihil indigne- 672 SENÈQUE. à la conservation de l'anivers, et qu'on les peut compter entre les choses qui font le train et la va- riélc du monde. Voulons tout ceque Dieu voudra; sachons-nous gré de ne pouvoir être abattus par les adversités ; de tenir la fortune sous nos pieds, et de savoir adoucir par la raison, qui est plus forte que toute aulre chose , les disgrâces , les douleurs et les injures. Aimons la raison : son amour nous servira de bouclier pour soutenir li'S plus rudes assauts. Les botes sauvages que la rai- son ne saurait dompter à cause de leur férocité na- turelle , poussées de l'amour de leurs petits, se jet- tent au travers des pieux et des dard». Quelque^ fois les jeunes courages pour aller à la gloire pas- sent au milieu des couteaux et des brasiers. Il s'en voitquicourent'ala mortpourdes sujets qui n'ont que l'onibre et l'apparence de la vertu ; mais comme la raison a plus de force et de constance que tout cela, elle surmontera aussi avec plus de vigueur la crainte et le danger. Vous ne gagnez rien, dira quelqu'un, pour nier qu'il y ait d'autre bien que ce qui est honnête; et cela ne vous garantira pasdes assauts de la fortune. Vous avouez que c'est un bien d'avoir de sages en- fants, unpèreet une mère vertueux, et d'être établi dans une ville où régnent les bonnes mœurs. Mais si votre ville est assiégée, si vos enfants meurent, si votre père et voire mère sont prisonniers de guerre, vous ne pouvez voir tout cela sans tiouble. Je m'en vais rapporter ce que l'on a coutume de ré- pondre pour nous. Je dirai ensuite ce que je crois que l'on y peut ajouter. Il y a certaines choses lesquelles ne nous quittent jamais sans nous lais- ser des incommodités, comme la santé altérée nous laisse la maladie. Quand nous avons perdu les yeux nous devenons aveugles; quand l'o : nous a coupé une jambe nous devenons infirmes et boi- teux. Le même inconvénient ne se rencontre pas dans les choses que j'ai ci-devant proposées : car, pour avoir perdu un bon ami, tout le monde ne me devient pas inOdèle: pour avoir perdu de bons enfants, l'irapiélé ne s'arme point aussitôt contre moi ; et puis je ne perds point mon ami ni mes enfants, je ne perds que leurs corps. Mais le bien ne se peut perdre s'il ne se change en mal , ce que la nature ne souffre point, parce que la vertu et tout ce qu'elle produit est exempt de cor- ruption et de changement. D'ailleurs , si vous avez perdu des amis ou des enfants dont vous étiei content, il y a moyen de les remplacer. Deuian- dez-vous comment'? Par la vertu même qui les avait faits gens de bien, et qui ne permet pas que rien demeure vide en sa présence, puisqu'elle remplit notre âme, et que nous tenant lieu de toutes choses , elle nousôte le regret de celles que nous avions perdues. Elle est l'origine et là force de tous les biens. Qu'importe que l'eau du ruis- seau soit épuisée ou perdue, si la source demeure en son entier? Par la môme raison que vous ne direz pas qu'un homme soit plus juste, mieux ré- glé , plus prudent , ni plus honnête pour avoir ses enfants en vie que pour les avoir perdus, vous ne devez pas dire aussi qu'il en soit dans une condi- tion plus heureuse. Il en est de même des amis ; leur nombre ou plus grand ou plus petit ne nous rend ni plus sages, ni moins honnêtes gens, ni par- lur »ibi accidere; scialque, illa i[).sa,qiiil)iis la;ii vidctiir, ad conservationem uiiiversi perlinerc, et ex liiscssc,(|uae cursiiiu muDdi officiuinque cnusumanl. Placeat lioniini quid(|uid Dec placuit ; ol) hoc se ipsuin siiaque iiiirelur, quod non potest vinci , quod malii ipsa su!) .se tenel; quod lalione, qua valentius iiitiil est, c^isuni doloreinque et injuiiani subigil. Ama ratiiinem : hujus te amor contra durissima arnialiit. Feras catulorum amor in venabula impingit, ferilasque et inconsultus impelus pra'siatindo niilas : juvenilia nounun^uam ingénia cupido glorias iu contemptum tam ferri, quam igniimi , niisii; species quosdam atque nmbra virlulis in morlera voluiitariain trudit. Qnanto his omnibus fortior ratio est, quanto coa- stanlior, tanto vetiementior per nielus ipsos el pericula exibit. Nibilagiiis, inquit, quod negatis nllum esse aliud ho- nes'o lionuin! non faciet vos hiec muaitio tutos a fortuaa et iaimunes. Dicitis enim inler l)ona esse lil)eros pios, et bçne moratara patriam , et parentes bonos. Horum peri- tula non potcsiis speclare securi; perturbabit vos ol)sidio palria;, liberorum mors, parentum servitus. — Quid ad- versiis hos pro nobis responderi soleat, ponam; deiude tune adjiciam , quid pra;terea respondendum putein. Alia conditio est in his, qua> ablala in locum suuni aliquid in- commodi substiluunt : tanquam Itona valetudo vjti ila in nialam Iransfcrtiir; acies ocuiornm exstincta cacitate nos afficil; non tantiini velocitas periit poplitil>os incisis, sed débilitas pro illa subiit. IIo" non ett periculuui in liis, quae panio ante relulinius. Quare? si amicani Imnum aniisi, non est mihi pro illo perfidia paiienda; nec.si l)onos Iil)eros extiili , in illoruni locuin inipietas snccedit. Deinde non amicorum illeaut liberonira intcritus, sed corporum est. Bonum aulem uno modo périt, si in ma- liim transit; qiioil nalnra non patitur, quia nmnis virtas et opus onine virlutis incorruptiim manet. Deinde , etiamsi amici pericrunt, etiamsi probati respondentesque voto patris liberi; est quod illorum eipleat locura. — Qiiidsit, quaeris, quod illos quoque bonos fecerat? — virlus. Haec uihil vacare palitur loci; totum aoimum tenet, deside- rium onmium tollit; sola satis est, omnium enim lx)DO- rnm vis et origo in ipsa est. Quid refert an aqua decur- rens intercipiatur atque abeat, si fons, ex quofluierat, salvus est? Nondicesvitam jiisliorem salvis Iiberis,quam amissis, nec ordinatiorem , nec prudentiorem , nec ho- nestiorem : ergo ne meliorem qaidem.Non facitcollcctio amicorum sapientiorem , non facit stultioreni detractio : f.PlTBES A LUCILIUS. G73 conséquent plus beureus, ni plus misérable. Tant que la vertu demeure entière, il n'y a point de perle qui se puisse faire sentir. Ile quoi ! un homme qui se voit environné de quantité d'amis et d'en- fants n'est-il pas plus heureux qu'un autre? Pour- quoi le serait-il? Le souverain bien ne peut croître ni diminuer; il demeure toujours en même état. De quelque manière que la fortune en use avec cette personne, soit en prolongeant ses jours, soil en les abrégeant, la mesure du souverain bien de- meure égale, quoique celle de ses années .soit dif- férente. Lorsque vous faites deux cercles, l'un grand, l'autre petit, la Dgure n'est pas différente; il n'y a que la circonférence; quoique l'un de- meure et que l'autre soit effacé et recouvert de poussière, il est vrai dédire qu'ils ont été tous deux d'une raônie ligure. Ce qui est droit et juste ne s'estime ni par la grandeur, ni par le nombre, ni parle temps ; on ne le peut étendre ni raccour- cir. Réduisez la vie d'un honnête homme h l'es- pace d'un jour, si vous voulez : elle n'en sera pas moins honnête. Quelquefois la vertu se met au large; elle gouverne des royaumes, des villes et des provinces ; elle donne des lois ; elle rè|;le les devoirs entre les amis, les enfants et les proches; quelquefois elle est renfermée dans des bornes plus étroites, et se trouve occupée parmi la pau- vreté, l'exil et la perte des enfants; néanmoins elle ne perd rien de sa grandeur, quoique du com- ble des honneurs elle descende 'a une vie privée, qu'elle change la i>ourpre en bure, que du gou- Ternement d'un Etat entier elle se remette 'a la conduite d'une chétive maison ; et qu'enCn chas- sée de toute la terre, elle n'ait plus de retrailtî qu'au-dedans d'elle-même. Tout cela n'affaiblit point son courage, sa prudence, ni sa justice. Ainsi elle se trouve toujours également heureuse; car son bonheur qui est stable, grand et tranquille, et qui vient de la connaissance des choses divines et humaines, réside au fond de l'âme. Voici main- ^ tenant ce que je voudrais répondre : le sage ne s'affaiblit point de la perte de ses enfants ni de Sfs amis; car il supporte leur mort avec autant de ré- solution qu'il attend la sienne ; il ne craint pas da- vantage celle-ci qu'il regrette celle-là. Comme la vertu consiste dans une parfaite convenance , toutes ses actions ont du rapport et de la correspondance avec elle. Mais cette correspondance manquerait si l'âme, qui doit être élevée, se laissait abattre par la douleur, étant certain que ce qui se fait avec étoimeinent, avec chagrin etavec lenteur, est dé.slioniiête, au lieu que ce qui est honnête est tou- jours assuré, libre et prêt pour agir. Quoi! ne sera-t-ii point, dans cet état , un homme sujet "a quel(]ue espèce de trouble? sa couleur ne chan- gera- t-el!e point? son visage ne sera-t-il poin t ému ? nescntira-t-il point qucl({uc frisson, et ces autres mouvements que la nature excite sans le consen- tement de la raison? Je n'en doute point; mais il demeurera toujours persuadé que toutes ces pertes ne sont point un mal, et qu'elles n'ont rien qui soit capable d'ébranler un esprit bien ferme. Tout ce qu'il faudra faire, il le fera d'un air hardi et délibéré, car il n'appartient qu'aux malhabiles de faire les choses à regret, et d'avoir le corps eu un endroit et le cœur en l'autre, se laissant ainsi par- ergo Dec bcatiorem, aut miseriorera. Qaamdiu virtui nlva riiprit , non senties qaid abcesseril. Quid er|;o? non est t>ealior et amicomm et lilterorum lurlia succinctos? — Quidoi non sit? Summum enlm lx>- Dum ner inrringilar, nec augetur; in suo modo prrnia- net, ulcuniqne forluna se gessii : sive illi seneclus longa eonligit , sive citra senf ctutem (loitus est , padem niensura nimmi boni est, quamvisxiatis diversa sit. tllruni niajo- rtm an niinorcm circulnni scribas, ad spatium pjus per- linet, non ad formam : licet aller diu manscrit, alterum (titini ohduieris, et in eum , in quo scriplus est, pulve- rem (olveris , in eadem uterque forma fuit. Quod reclum Mt, nec magniludine sttimatur, ncc numéro, nec tem- père ; non niagis produci , quam conlrahi potcst. Hom s- lam vitam ex centum annorum numéro in quantum voles eorripe, et in nnum diem cogc; œque boncsta esl. Modo latins tirtus funditur: régna, urli«s, provincias tempé- rât , fcrt leges , colit amicitias , intcr propinquos liberos- qne dispensât officia; modo arcto fine circumdalur pau- pertalis, eiiilli, orbitatis : non tamen miuor est, si ex alliore fastigio in privatum, ex regio in bumilem subdu- dtur, ei publiée et spatioso |uro in angustias domus Tel •Bguli coit. ^que magna est, eliaiiisi in te recessit, un- dique eiclusa; nihilominus cnim nia^ui spiriliis est et erecti, exacla; prudenlia;, iudeclinabilis justifia;. Ergo xque lieata est : beatum enim illud uno loco positum est, in ipsa mente; stabile, grande tranquillum; quod sine scientia divinorum humanorumquc non potest efTici. Sequilur illud, quod me respoosurum esse dicebam. Non affligitur sapiens litierorum aniissioue , non auiico- ruui;eodem enim animo fert illorum mortcm, quo suam eispectat : non magis banc tiuiet, qiiam illam doict. Yir- tusen m cunveuientia constat; omnia opéra ejuscuai ipsa concordant et congruunt : haec concordia périt, si aiii- mus, quem eicelsum esse oportuil, luctu aut desiderio subniitiitur. Inbonesia est omnis trepidatio , et so!liciIiidii, et in ullo aciu pigritia. Honcstum enim secunim et ex|ie- diluni est, in terri tum est, in procinctu stal. — Quid ergu? ISoii aliquio perturl)ationi simile patietur? ^iun et colnr ejus niutabitur, et vullus agilabilur, et artus refriges- cent, et quidquid aliud non ei iuiperio auwui , scd ineon- sulto quodam nalurie impctu geritur? — Fateor : sed manebitilli persuasio eadem, uibil illorum n:alun] esse, uec dignum ad quod mens sana dt-ficiit. Onmia, qua» fa- ciendii rrunt, audacter facit et prompte. Hoc enim .sml- titia- propriuni qiiis non dixerit, ignave et ci;uliini:iciliT 874 SÉNÊQDE. tager par des mouvements tout contraires. Comme ils se voient méprises pour les actions dont ils es- péraient de la !iii)ire, ils ne trouvent plus de goût à faire ce qu'ils estiment glorieux. S'ils craignent quelque disgrâce, ils ne sont pas moins tourmen- tés durant qu'ils l'allendent, que si elle était ar- rivée, et l'appréliension leur fait souffrir par avance ce qu'ils appréhendent de souffrir. Comme il y a des signes qui précèdent les maladies du corps, soit une débilite de nerfs, des lassitudes sans que l'on ait travaillé , des bâillements ou des frissons qui courent dans les membres; de même il y a des maux qui ébranlent un esprit faible avant que (le l'abattre ; il les prévient par de vaines ré- flexions, et tombe avant qu'il soit temps de tom- ber. Mais qu'y a-t-il de plus ridicule que de se tourmenter de l'avenir, d'anticiper les misères, et de les aller quérir bien loin , au lieu de les éloi- gner, s'il ne vous est pas possible de les chasser? Voulez-vous voir comme personne ne doit se met- tre en peine de l'avenir? Que l'on vous dise qu'a- près cinquante ans d'ici vous souffrirez quelque supplice; vous ne vous en tourmenterez point dès h présent, si ce n'est que vous vouliez sauter par- dessus ce grand intervalle , et vous jeter mal à propos dans une alUiclion qui ne doit arriver que longtemps après. Il en est ainsi de ces esprits qui se plaisent en leurs maladies, et qui cherchent des occasions de s'affliger. Les maux passés leur don- nent de la tristesse; mais le passé est absent aussi bien que le futur ; nous ne sentons ni l'un ni l'au- tre. 11 ne doit donc pas y avoir de douleur, s'il n'y a point de sentiment. EPITRE LXXV. Que c'est bien parler que de dire ce que l'on pense, — Que dans l'élude de la sagesse il y a trois classes. — Qu'il y a différence entre les maladies et les affectioni de l'âme. Vous vous plaignez de la négligence de mon style dans les lettres que je vous écris; mais au discours peut-il être recherché sans être fardé? Je vous écris tout de même que je vous parlerais si nous étions ensemble dans le cabinet ou 'a la promenade , et j'y apporte aussi peu de soin et aussi peu d'ornement. J'aimerais mieux , s'il était possible, vous montrer mes sentiments que de vous les dire , et si j'avais à les soutenir devant vous, je ne hausserais point ma voix , je ne bat- trais ni des pieds ni des mains, et je laisserais tout cela pour les orateurs. Il me sufûrait de vous faire entendre ce que je pense , mais d'une ma- nière ni trop élevée ni trop basse; et je tâcherais de vous persuader que je ne dis rien qui ne soit dans mon cœur aussi bien que dans ma bouche. Un homme ne baise pas ses enfants comme sa maî- tresse. Ce baiser-l'a, toutefois, n'est pas si fort indifférent qu'il n'y paraisse de l'affection. Je ne saurais aussi approuver que l'on traite des choses si relevées avec des paroles sèches et rampantes. La philosophie n'a pas renoncé au bel esprit; mais il ne faut pas employer trop de temps a la politesse du langage. N'ayons point d'autre intention que de dire ce que nous pensons, et de penser ce que nous disons. Que uotre vie soit d'accord avec nos paroles. Un homme tient sa promesse , s'il s» facere qua; faciat; et allô corpus inipellere, alio animum , distrahiquc inler diversissiiims motus? Jam prDpter illa iju.i, q;iil>us t'xloUit suinlratiiniue, contempla est; et ne illa quidein, quilius gloriutur, libenter faiil. Si veroal- quud timotur malum , ei> per nde , dum csspecliit, quasi veuis'^el urgetur; el, qudqiiid ne patialui- tiniit, jaui nietii patitur. Queniadaxxluin in ci)rporil)us inlirmis lan- giiurcm si),'na [iracuiTunl; ciuadam enini segni.ia nervis est.ctsiue laliore iiU.) hssiludi), st oscitalio, et lioiror nieinbra porouncns : sic inlimms an nins, niuUo ante, quamopprinKitui' nialii, quanlur; pra;sninit illa , ec anie tempus cadil. Quid autennleinentins.quani angi luuiiis, nec se tormeuto resrrvare, sfd arcessere sibi miserias et admovere, quas diffcrre optimum est, si disrutere non possis? Vis scirc, futuro ncminem debcre torqueri?Qui- cunique audicrit, pust qninquagesimum annum sibi pa- tieuila supplicia, Don perturbatur, nisi si médium spa- tium traosilierit , et se in illam sfcculo post fulurani solli- ciludincm immiserit. Eodern modo fit , ut aninios libonler œgros , et captantes causas doloiis, vêlera atqueobliterala coiilrislent. El qua; prœterienuit , et qua; fulura smit, aiiKunt; neutra sentimus. F(on est autem, nisi e\ eo quod teimaj, dolcr. VaU". EPISTOLA LXXV. PUILOSOPOUH KU.'H tERBl CIPTÀEE, ÂNIBOS CDBIKE. l\Iinns tibi accnralas a me epistolas mitli qupreris.— Quis euini accurate loquitur, nisi qui vull putide loquif Qualis sermo nieusesset, si una sedercmns , ant ambu- larenms, illahoralus et facilis; taies esse epstulas mea» volo, qua; niliil liabeant arcessiiuui , nec ficlum. Si 6eri pos!.et, quid sen iiim, nsleudere, quam loqui, mallem. Etiani , si dispularem , ucc supploderem pedem , nec ma- num jaclarem , nec alloUerem voceni : sed ista oratoribus relii;uisseui , contenlus spdsus mecs ad le perlulisse. quus nec eiornasseni , nec abjpcissem. Hoc unum plane tibi approbare vellcm, omnia nie illa sentire qua; dicereni; ucc tanium sen, ire, sed amare. Aliter bomines amicani, aliter liberososculintur; tamen in hoc quoque ampleio, tani sancto et moderato, satis apparet affectus. Non, me- hercu.'es, jejuna esse et arida voie, quas de rébus laiu inagnis dicentur; neque enim philosopbia ingenio renuii- liat, multum tamen operae impendi verbis noa oporlfi. Ha;c sit propositi nostri summa : quod sentimus , loqoa- mur; quod loquimur, sentiamus; concordet senuo coa Tila. llle promifsum sunm implevit, qui , et qnum vioeM I EPITRES A LUCILIUS. 675 trouve le même quand ou le voit que quand on l'entend. Nous verrons quel il est et combien il vaut, après que nous aurons vu s'il est toujours nn. Ne cherchons point tant l'agrément que le fruit dans nos discours. Que si les belles paroles se présentent d'elles-mêmes, ou qu'elles ne coû- tent guère, recevons-les pour faire comprendre les belles matières, et non pas pour nous en faire honneur. Les autres sciences sont toutes pour l'es- prit. Celle-ci est toute pour les affaires de l'âme. Un malade ne se soucie point que son médecin sache bien parler, mais qu'il sache bien guérir. Si toutefois il se rencontre qu'en le gucrissunt il dis- coure agréablement des remèdes qui lui sont pro- pres , il l'écoutera volontiers ; mais il ne se ré- jouira pas d'avoir nn médecin qui parle bien. C'est tout de même que si un pilote était bel homme. Vous pourriez dire a ce médecin : Pour- quoi me chatouillez-vous les oreilles? Pourquoi me voulez-vous charmer? Il s'agit bien ici d'autre chose. Il est question de m'appliqucr le fer et le feu, ou de m'ordonner la diète. Je vous ai mandé pour cela ; vous avez a traiter un mal invéléré et fâcheux , et vous n'avez pas moins d'affaire qu'un médecin en temps de peste. Je vous dirai aussi : Vous amusez- vous 'a des paroles? Si vous croyez savoir assez les choses, divertissez- vous, réjouis- sez-vous, a la bonne heure. Mais quand sera-ce que vous imprimerez si fort dans votre âme ce que vous aurez appris, qu'il ne s'en efface jamais? Quand sera-ce que vous en ferez l'épreuve? Car ce n'est pas assez d'avoir mis ces belles connais- sances comme d'autres choses dans sa mémoire. il faut encore les mettre en pratique , puisque l'on se rend heureu.x en les exerçant, et uon pas en les acquérant. Mais quoi ! n'y a-t-il point de degrés? Arrive-t-on tout d'un coup "a la sagesse? Il s'eu faut bien 'a mon avis; car celui qui commence est encore au nombre des ignorants , quoi(iu'il y ait, déjà un grand espace entre eux. Il y a môme une grande différence entre ceux qui commencent. On les divise ordinairement eu trois ordres : les pre- miers sont ceux qui ne sont pas encore parvenus à la sagesse, et qui sont seulement logés auprès d'elle ; mais ce qui est près est encore dehors. De- mandez-vous qui sont ces gens-la? Ce sont ceux qui ont quitté leurs vices et leurs mauvaises incli- nations, qui ont appris ce qu'ils doivent embras- ser ; mais ils n'ont pas encore éprouvé leurs for- ces , et ne se servent pas de leur avantage ; ils sont toutefois hors de danger de retomber ou de recu- ler; mais ils ne le connais.sent pas, et, comme je crois vous avoir écrit dans quelqu'une de mes let- tres , ils ne savent pas qu'ils sont savants; ils sa voient déj'a en posscisioii de leurs biens , mais ils n'osent s'y fier. Quelques-uns disent qu'à la vérité ils sont guéris des maladies de l'ùmc, mais non pas des affcciions qui les tiennent encore sur le penchant du vice, dont personne ne se peut dire libre qu'il ne l'ait entièrement chassé; à <|uoi l'on ne réussit jamais , si l'on n'a mis auparavant la sagesse en sa place. Je vous ai marqué assez sou- vent la différt'nce qu'il y a entre les maladies et les affections de l'âme ; je veux encore vous en faire souvenir. Les maladies sont des vices invé- térés et endurcis , comme l'avarice et la trop iUom, et quam audiat, idera est. Videbimus quajis sit, qiilias, quam se, mtendat. Alise artes ad ingeniiim tuti perti- nent; hic animi negotinni agitur. Non qiia-rit aeser inedi- enm elo<|uenteni, ted sanantem; led si ita conipeiit, ut idem ille , qai saoare potest, compte de bis , qux facieuda lunt, disserat, Imoi consulet. Non tamen erit, quare gratuletur sil>i, quod iociderit in niediciim etiam diser- tnm : hoc enim laie est, quare si peritusgul)eroalor etiam formosus est. Qnid aures meas scalpis? quid oblectas? aliud agitar : urendus , secandus, absitoendus sum : ad bsc adbibituses; curare debes morlinm veterem , gra- Tem , publicum : tantum negotii lial>es , quantum in pcs- tilentia medicos. Circa verba occupatus es? jamdudum gaude, si (ufdcis rébus. Quandu multa disi^es? quaudo quœ didicrrii, afTiges tibi, ita nt cicidere non povsinl ? quando illa eipcrierii?Nonenim, utœlera, mémorise lr.i- didisse salis est ; in opère teutanda sunt. Non est lieatus qui scil illa , sed qui facit. Quid prgo? iafra illiim notii gradua ;,unl, stalim a sa- pientia prœceps est? —Non, nt esistimo : n.ini (jtii pro- flcit, in numéro quidem stullorum est, iii.-i^'nn l^iiuen in- lerTSlIo ab illis diducitur; mter ip.>ns quoqne proflcieiites sunt magna discrimina. In Ires classps, ut qiiibiisdam placet, dividunlur. Primi surit, i|iii sapienliam niinduni liabent, «ed jaTii in vicmia cjus ciiiislitiTunl. Tiiiiicu, etiam quod pro|ie est, extra est. — (^iii siiit lii, (|ua!risT — Qui omnos jam aff. ctiis ac \n\t posucnint ; qna; tranl compleclendn , didicenint : scd illis ailhuc inexperta fidu- cia est ; bonum suuni niiodimi in usu habeiit. Jam lainen in illa, qiue lugerunt, d'Tidere non possnnt; jam ibi sunt, unde non csl reiro lapsus; sed bcR- illis de se uon- dum liquct : quod in quadam epistola srripsisse i!ie niu- minl, scire se n<'seiunt. Jam cuuligll illis boiiu sno frui, nonduiM confidcre. Quiilam hoc prullcieutium ^cous, de qiio liicutoa tiim , ita complectuntur, ut illos dicant jam efTugisse morbos animi, arfeclus noodum, et adbuc in lubrlrx) starc; quia nemo sit eitra periculum malitiie, nisi qui totam eam eicussit : nemo autem ilUim excusait , nisi qui pri> illa sapienliani assumpsit. Quid inter morbos animi iutersit elaffectus, sœpe jant diii , nunc quoijue te adinonclK). Morbi sunt inTeler.iia ïiiia , et dura ; ni avarili.i . ni amliiiio nimia ; haec (luua 45. t)7() SÈNEQUE. s'élanloniparofsdc l'ârac, | né , et se donnor a l'étude avec une extrême ap- grande ambilion, qu sont devenues ses bourreaux perpcluels. Pour ie (lire en un mot, cette maladie est une opinion déréglée (]ui fait désirer ardemment des choses qui ne le méritent pas : ou, si vous aimez mieux, c'est une trop grande avidité de ce qui ne doit pas être reclicrclié avec empressement , ou qui ne le doit point être du tout; ou bien , enfin, c'est une hante estime des choses dont on doit faire peu de cas , ou que l'on doit mépriser. Les affcclions sont des mouvements désordonnés, subits et violents, (jui , s'élant rendus fréquents et n'ayant point été corrigés , dégénèrent en maladie , comme une fluxion qui ne dure pas fait -la toux, et, quand elle continue longtemps , elle produit enfin la phtliisie. De la vient que ceux qui sont bien avancés et qui approchent de la perfection sont exempts des maladies de l'âme; mais ils >ont en- core sujets aux afftctions. Le second ordre com- prend ceux qui se sont guéris des maladies et des affections de l'ârae; mais leur santé n'est pas en- core bien affermie, parce qu'ils peuvent retom- ber. Le troisième regarde ceux qui sont affran- chis de beaucoup de vices et bien grands, mais non pas de tous. L'un s'est défait de l'avarice, mais il sent encore la colère. L'autre a quitté les femmes , nwis il poursuit encore les hommes. L'autre ne désire plus, mais il craint encore, et, dans sa crainte, il se montre assez ferme en cer- taines occasions, et paraît lâche en d'autres. Il méprise la mort, et appréhende la douleur. Son- geons un peu a ce troisième ordre. Nous ne serons pas malheureux, si nous y sommes admis. Pour eiUier dans le second , il faut être heureusement plicalion d'esprit. Mais, après tout, ce troisiemsoiu sur ses passions : car c'est un bien qni ne se peut assez estimer, que d'être à soi. EPITRE LXXVl. Qu'en tout âge il est saison d'apprendre— Il proure en- core qu'il n'y a point d'autre bien que ce qui ett hoa- iicle.— Que, pour conoaitre ce qu'un bomnie vaut , il ne faut considérer que sud jme. Vous me déclarez que vous ne serez plus mon auii , si je ne vous mande ce que je fais tous les jours. Voyez comme j'agis de bonne foi avec vous. Je ne veux pas vous celer que je vais encore a re- cule, et qu'il y a cinq jours que je vais entendre un philosophe qui fait leçon depuis les huit heures. Il est bien temps, me direz- vous. Pourquoi n'esl- il plus temps? Quelle folie plus jurande que de ne pas vouloir apprendre , parce qu'il y a longtemps que l'on n'a rien appris? — Quoi donc I voulez-vous que je fasse ce que fontces jeunes cadels? — En vé- rité , j'en suis quitte 'a bon marché , si l'on n'a que ce reproche à faire °a ma vieillesse. On est admis a tout âge en celte école-là. Passons-y le reste de nos jours. Rendons-nous-y aussi assidus que si nous étions encore jeunes. Quoi! tout vieux que je suis, j'irai au théâtre, je me ferai porter au Cirque ; je me trouverai à tous les combats de gla- diateurs, et j'aurai honte d'aller entendre un phi- losophe I Tatit que l'on est ignorant, ou , comme dit le proverbe , tant que l'on vit, il est encore saison d'apprendre. 11 n'y a rien qui se rapporte mieux à celte maxime, qu'il faut apprendre à vi- vre autant de temps que l'on a h vivre. Je ne laisse pas d'enseigner aussi quelque chose dans ce lieu- Pa. Le voulez -vous savoir? C'est qu'un homme, quelque vieux qu'il soit , doit toujours apprendre. Au reste, j'ai honte de la conduite de la plupart des hommis. Pour aller i cette école , qui se tient au lugis de Méironacie, il faut passer, comme vous savez , devant le théâtre des Napulilains. Il est toujours plein de monde qui n'y va que pour ouir des joueurs de hautbois, et (X)ur juger qui est le meilleur. Il y a encore un joueur de flùie ^rec, et un trompette qui ont grande assemblée. Mais ce lieu où l'on apprend 'a devenir himimc de bien est fort mal rempli , et l'on appelle sols et fui- néants ceux qui le frcquenleni, comme gens inca- pables de faire rien de bon. Pour moi, je ne nu; fâcherai point quand on me raillera pour un tel sujet; car il faut écouter froidement les brocards des ignorants, et mépriser le mépris, quand on veut acquérir la vertu. Courage donc, mon cher Lucile! hâtez- vous, afin qu'il ne vous arrive pas coume a moi d'aller 'a l'école quand vous serez vieux. Vous y êtes d'autant plus obligé que vous avez entrepris une chose qn"a peine pourrez-vous bien savoir, quand vous seriez longtemps vieux. Vous n'y avancerez qu'autant que vous y appor- terez d'application. Personne n'est encore devenu sage par hasard. L'argent pourra bien vous venir sans peine. Les honneurs et les chaiges vous se- ront peut-êlrc présentés sans que vous les recher- chiez; mais la vertu ne vous arrivera jamais qu'a- près beaucoup de peine et de travail. Mais faut-il ipsuni babere roaiimaoi potestatein. Inxstimabile bonum est, snum fleri. Vale. EPISTOL^ LXXVI. K QUi:«gciM son loauc discebe. — iTEKva tiiL loiiia, NISl BORE£Tia, PBOBiT. luimicitias mihi denunlias, si quidquam ei his, qus quolidie facio, ignoraveris.Vidc quani siuipliciter lecuin xivain : biec quoque tibi comniiltaoï. Pbilosophumaudio; et quidem quintum jain diem babeo, ex qtio in scholani 10 , et ah octavu dispulantcm audio. — IScma , inquis , aUtle ! — Quidni boua ? qu d autrni slullius est , quatn , (;uia diu non didiceris, non discere? — Qnjd crgo? idem faciain , quod trossuli et juyenps? — Benc moruiu apilur, (i hocunnni senecluteiii lijcani didi-ctl. Oiriiiis atal s ho- niiiics h»c schol.i admittit : in hoc .«enes c.imus , ut jnvc- ncs sequantur. In tlicatrrni ^enc^ ibo . et in cin uni de- fcrar, et nullum par «ne nie depnçnabit? Ad philoso- plitun ire enibescam! Tanidiu discrnduni rs t, (|UHnidiii nescias, si proverbio ci'edimus, qu-intdin vivas. Ncc u!li hoc rei magis convcoit, quam huic; tamdiu dlsceoduio est quemadoioduni vivas, qnamdia vivas. Ego tamenJllic aliquid et docL^o. — Qnieris quid doccani? — Etiam sent esse discendum. Puiletauteni me gencris humani , quo- ties scliolam intravi. l'ru'ter ipsum tbeatrum Neapolita- nnrura , ut scis , Iranscundum est MutionacLis petcntilius dumum. Illud (juidcrn farctum est ; et ini^cnti studio, quis sit pythaulcs bonus, judicatur : habct tubiceo quoque Graecns et pm-co camursum. At in illo loco, in quo vir bonus quxi'ilur , iu (;uo vir bonus discitin- , paucissimi sedent : et bi plcrisqui' videnlur nihil boni ncgotli liabcrc quod agani ; inep:i et inertes vocantur. — Milii continuât istcderisus : .Tquoauinioaudieiida sunt impcrilorum cod- >icia, et ad bonesti vadciili conlemnendus est ipse con- teiiiptns. Pcrge, Luci i , et propera , ne til'i accidat, quodmibl, ut scnci discas : inio idpo nia^is propera , qunniam Id iiunc aggrrssMS es quod piidisiere \ix senex possis. — Quantum , in;|nis , pnificiani '! Quantum teutivi ris. Qui ( cîspertas? iinlli s.npcre casii obtigil. l'ecuuia veuiet i)|. Iio ; bonor offeretur; grali:i ac dignit.is forlassc ingcreu- I r tibi : virlus in te non incidet ; ne levi q.iidem opéra aut parvo lal)ore cognos'.ilur ; ii'd est tanii laboivrc, oui- Ci'S SÉNÈQUK. plaindre sa peiue pour gaguer en même temps toute sorte de biens ? Car il n' y a point d'autre bien que ce qui est honnête, et vous ne trouverez rien de solide ni d'assuré dans ceux que l'opinion des hommes a mis en crédit. Je vous veux dire pour- quoi il n'y a point d'autre bien que ce qui est hon- nûle : et parce que vous croyez queje ne m'en suis pas acquitté dans ma dernière lettre, et que j'ai plulôt loué que piouvé cette proposition, je ré- duirai en pou de paroles ce que j'en ai dit. Chaque chose a quoique bien en soi qui lui est particulier. On estime la vigne pour sa fécondité ; le vin , pour son goût ; le cerf, il cause de sa vi- tesse : un cheval qui a l'échiné forte , ii cause qu'il est propre à porter des charges. On considère le nez dans le chien, s'il doit détourner la bête; la vitesse, s'il la doit chasser; et la hardiesse, s'il doit l'attaquer et l'abattre. En un mot, ce qu'il y a de meilleur en cha(iue chose, est ce à quoi elle est née, et ce qui la fait estimer. Qu'est-ce qu'il y a de meilleur en l'homme"^ C'est la raison, puisque par elle il surpasse les animaux et s'approche des dieux. La raison doncest le bien propre de l'homme; ses autres qualités lui sont communes avec les animaux et avec les plantes. Mais il est fort; les lions le sont aussi : il est beau ; les paons le sont aussi : il est vite; les chevaux le sont aussi. Je ne veux pas dire qu'il leur est inférieur en toutes ces choses; car je ne cherche pas ce qu'il a de plus grand, mais ce qu'il a qui lui soit particulier. Vous me direz : Il a un corps; les arbres en ont aussi : il a un appétit et un mouvement volontaire ; les bêtes et les vermisseaux en ont aussi : il a une voix; ks chiens en ont une bien plus claire, les aigles l'ont plus perçante, les bœufs plus forte, les rossignols plus douce et plus flexible. Mais en- fin qu'y a-t-il de particulier en l'bomme? La raison. C'est elle qui rend sa félicité accomplie, quand elle est droite et parfaite. Si done une chose qui est arrivée 'a la pcrfectioa du bien qui est en elle est digne de louange comme ayant rempli la fin pour laquelle la nature l'a produite, l'homme qui a conduit à la perfection son bien particulier, qui est la raison, est digne aussi de louange, étant parvenu au but auquel la nature l'avait destiné. Celte raison parfaite est appelée Vertu , ou , si vous voulez , ce qui csl honncle. Ainsi , le bien qui est en l'homme, est le bien qui appartient 'a l'homme seul ; car nous ne deman- dons pas présentement : Qu'est-ce que le bien, mais: Quel est le bien de l'homme? Si l'homme n'en a point d'autre que la raison, il est certain qu'elle est son seul et unique bien, qui vaut mieux que tous les autres. Quand on voit un homme, s'il est méchant, on le blâme aussitôt; mais, s'il est homme de bien, ou en fait estime. C'est donc une chose propre et particulière à l'bomme, qui fait qu'on le blâme ou qu'on l'estime. Je suis persuadé que tous ne doutez pas que cela ne soit un bien; mais vous doutez qu'il n'y en ait point d'autre. Si un homme, reconnu pour méchant, avait tous les autres biens, la santé, les richesses, la noblesse, et grand nombre de clients, vous le mépriseriez sans doute. Si, au contraire, vous en voyiez un autre qui fût en estime de pro- bité, mais dépourvu d'argent, de noblesse et de clieuLS, vous ne laisseriez pas d'en faire état. C'est donc l'unique bien de l'homme, puisque le pos- nia bona semel occupaluro. Unam estenimbonuin, quod hoiiestuni; in illis iiiliil invenies veri, nihil cerli.quae- cuiiiqiie famae placent. Qiiare lioc unum sit honiim , qiiod honestiim , dicam : quoniam me paruni exsecutiira priore cpislola judicas , msgisiiue liane rem tibi laudatamquam proliatani putas : et in arclum, quœ dicta sunt, conlrahani. Oninia siio l)Ono constant : vitem fertililas conimendat et sapor vini, Telocitas cervuni. — Quare fortia dorso jninenta sint qiiaris? — Quia eorum hic uniis est usus, sarcinam fer- re. In cane sagacilas prima est , si invesligare débet fe- ras ; cursus, si consequi ; audacia , si mordere et invade- re. Id in quoque optimum esse débet, cui nascilur, quo censelur. In homine optimum quid est ? Ratio : hac au- tecedit animalia , Deos scquitur. Ratio crgo perfecla , proprium hominis booum est; caetera illi cnm animalibus «atisque communia sunt. Valet y et leones. Formosus est ? et pavones. Velosest? et ec|ui. Non dico, in liis omnibus vincitur. Non quaero quid in se niaiiinum liabeat, scd «piid suum. Corpus hal)et? sed et arliores. Habel impe- tum ac motum ïOluntarium?etbeslia; , et vermes. Hahct ïcrcni? sed quanlo clariorem canes, acutiorom aquila», grariorent tauri , dnlciorem mobilioreniqDe Imcinii ! Quid in homine proprium ? Ratio ! Haec , recta et con- summala , felicitatem liominis implevit. Ergo, si omnit res, quum l)onum suum perfecit, laudabilis.est, et ad (inem oaturte ."Uae peneuit; bomini autem suum bonum ratio est : si banc perfecit , laudabilis est , et fluem naturae sua» attigit. Ila-c ratio perfecta l'irtiis vocalur; eadem- que llonestum est. Id itaque uuum bonum est in bomine, quod unuiu bominis est ; nunc enim non qnaerimus quid sit bonum , sed quod sit bominis bonam. Si nullum aliud est huiuinis quant Ratio , haec erit unam ejus Ironmn, sed pensandum cum omnibus. Si sit aliquis malus , puto im- probabitur; si bonus, puto probabitur : id ergo io ho- mine primum solumque est , quo et prol>alur et iœpro- batur. INoD dubitas an hoc sit Bonum; dubitas an solom Bo- num sit Si quisomnia alia halieat, valetudioem, diTitias, imagines nmltas , frequens atrium , sed malus ei confesso sit, improbahis illum. Item, si quis nihil quidem illorum. quse retuli , habeat, deficiabir pecunia, clientum turba, nobilitate, et avorum proavorumque série, sed ei aw- fesso tionus &it, prohabis illnm. Ergo hoc unum est B» ËPITRES A sédant il est estimé , quoique destitué des autres, el que, en étaat privé , il est méprise el rebuté, encore qu'il jouisse de tout ce qui reste de bien dans le monde. Il Taut juger des hommes comme des autres choses. On dit un bon vaisseau , non quand il est peint de riches couleurs, qu'il a le bec doré ou argenic, les chambres cnriciiies d'i- voire, et qu'il est chargé des trésors et de l'équi- page d'un prince; mais s'il est ferme et bien élotfé, s'il ne fait point eau, s'il peut résister aux coups de mer, s'il e^t aisé à manier, s'il est vile, et s'il prend bien le vent. Vous ne direz pas qu'une cpée soit bonne pour être attachée 'a un baudrier doré, et pour avoir un fourreau garni de pierreries ; mais pour avoir le tranchant bien afiilé, et une pointe qui perce tout. On ne demande pas si une règle est belle, mais si elle est droite. Un estime toutes les choses par rapport à la un qui leur est propre. Ainsi, Ton ne considère point eu l'homme combien il a de terres, de rentes et de clients , s'il mange assis sur de riches tapis, s'il boit dans le cristal ou dans le vermeil doré , mais seule- ment s'il est homme de bien. Or, il est homme de bien si sa raison est droite et conforme 'a la vo- lonté de sa nature. C'est ce qui s'appelle vertu ; c'est ce qui est honnête et l'unique bien de l'hom- me : car, comme il n'y a que la raison qui rende l'homme parfait, il n'y a aussi que la raison par- faite qui rende l'homme heureux. Or, l'on doit estimer que le seul bien de l'homme est celui qui, seul , produit sa félicité. De l'a vient que nous ap- pelons bien tout ce qui procède de la vertu , c'est- LUCILIUS. 679 à-dire toutes ses actions. Mais elle est tellement un bien , qu'il n' y a point de bien sans elle. Si tout le bien réside dans l'âme, il s'ensuit que tout ce qui raffermit et la rehausse est un bien. Or, Il est certain que la vertu donne à l'âme plus de force, d'élévallon et d'éleiidue; car les choses qui chatouillent les sens l'abaissent et la corrompent; et lorsi|u'clles sciiiMeiii li vouloir élever, elles la précipitent dans l'orgueil el la vanité. L'àmedonc n'a point d'aulre bien ([ue te qui la rond meil- leure. La considération do ce qui est honnôic cl de ce qui ne l'est pas fait toute la conduite de notre vie. C'est par l'a qu'on se détermine "a faire ou 'a ne faire pas. Je vais vous expliquer ce que c'est. Un homme de bien fera toujours ce qu'il croira pouvoir faire avec honneur, quoi(|u'il pa raisse difDcile, encore même <|u'il lui suit préju- diciable et dangereux. Au contraire, il ne fera ja- mais ce qu'il ne jugera pas honnête, quoiqu'il lui doive apporter de l'argent, du plai>ir el de l'au- torité. La crainte ne le détournera p 'inl d'une en- treprise hounêlc, comme l'espérance ne l'enga- gera point dans une mauvaise actiuu. Si donc l'homme de bien règle ses actions par ces deux motifs , de suivre ce qui est honnête, et de fuir ce qui est deshonnête, il n'y a point d'autre bien que la vertu , ni d'aulre mal que le vice ; et s'il n'y a que la vertu qui ne puisse êlrealtérée, etqui demeure toujours eu état, il est vrai de dire qu'il n'y a poiut d'autre bien que la vertu, puisque rien ne peut faire qu'elle ne soit pas un bien. La sagesse n'est point au hasard de changer ; Dum hominU : qui bal>et, etiam si aliis deslituitur, lan- dandus est; quod qui nua habet, in omnium aliurum co- pia damualur ac rejicitur. Qua; cooditio reruni, cadera et bomiouni est. Navis IwDa dicitur , Don quee prttiosis coluribus i>icla eiit, aec cui argenleum autaureum ros- li-um est, aec cujus lutela ebore carlata est , Dec quae fls- cis Bc opibus regiis pressa est; scd stabiiis, et fjrma, et juoc:uris aquaui eictudeulibus spissa , ad fei°euduHi io- cursum maris solid.i, guberaacu'o piireas, tcIox, et non seat:eDs Tenium. Gladlum lionum dices, Don cui auia- tus est t)alleus, Dec cujus vagiua geniiiiis distiuguitur; sed i:ui el ad secandum but>tilis acics e^t, et mucro muoi- nieiitum oiiiiie rupturus. Recula, iiou quum furmusa, sed quam recta sit, quxiitur. Eu quidque laudatur.cui coiiiparalur , quod ilti pruprium est. Ergo io bomine quo- que nihil ad rein pirtioet, quantum aret, quantum fce- neret, a quam iiuiliis salutetur.quam prelioso iucumbat lecto,quam perlucido poculobibiit; sed quam bonus sit: l)oaus autem est , si ratio ciplicita et rrcia est, et ad na- turs sua! ToluDtatem accommodata. Haec vocatur Firfus : hoc est Honesium, et uoicum hominis Boduid. Nam quum iola Ratio perflciat homiDem, sola Ratio perfecta beatum tadt : boc autem unom bomiDis Bnnum est, qaouno beatus efficitur. Oidnius et itia bona eue, qu« a Virtulc profecta coa- taclaquesuut, id est, opéra ejus omnia. Sed idée uuum ips;ilK>uum est, quia nullumsineilla est. Siomneinanimo l>ODumest,quidquid illumcnnflrnial,eilollit, amplincat, bouum est ; validiorem autem animum , cxcel.Niorem , et ampliorem , facit Virtuj. Nam cjetera , ila vulgoel furmidlM 080 SÉNÈQUE. elle ne peut être ôtée ni retomber dans Terreur. Je vous ai dit, si vous vous en souvenez, que bien des gens ont autrefois méprisé, par caprice, des choses que l"on désire ou que l'on craint commu- nément. On a vu l'un mettre sa main dans le feu ; un autre rire dans la torture ; un autre ne pas jeter une larme "a la mort de ses enfants ; un autre aller résolument au-devant de la mort; enfin, combien de gens cherchent-ils les périls pour con- tenter leur amour, leur colère ou leur avarice ! Que si un peu d'opiniâtreté, poussée de je ne sais (jiicl motif, est capable de telles actions, que ne p ut pas la vertu qui n'agit point par caprice , et de qui la force est toujours égale! Il s'ensuit donc que ce qui est méprisé quelquefois des sots, et toujours des sages, n'est ni bon ni mauvais, et qu'il n'y a point d'autre bien que la vertu qui marche fièrement, et la tête levée, entre la bonne el la mauvaise fortune, dédaignant les caresses de l'une, et méprisant les menaces de l'autre. Si vous vous laissez infaluer une fois de cette opinion , qu'il y a quelque autre bien que ce qui est hon- nête, vous détruisez en même temps toutes les vertus; car on n'en pourra plus acquérir sans re- garder quelque chose qui soit hors d'elle; ce qui répugne à la raison , de qui la vertu procède el, "a la vérité, qui est toujours compagne de la raison. Or, toute opinion qui est contraire "a la vérité est fausse; déplus, il faut que vous demeuriez d'accord qu'un homme de bien révère parfaitement les dieux. Par celle raison, il supportera doucement tout ce qui lui arrivera, sachant que la providence divine, (jui conduit toutes choses , l'a ainsi ordonné. S'il fait cela , il ne croira point qu'il y ait d'autre bien que ce qui est honnête. En quoi sont compris tous ses devoirs , d'obéir aux dieux, de nese point échauffer dans les accidents hnprévus, de ne point déplorer son malheur, de se soumettre au destin, et de faire ce qu'il ordonne. Après tout, s'il y avait quelque autre bien que ce qui est honnête, nous serions tourmentés d'un désir insatiable de la vie, et de toutes les choses qui la rendent commode, ce qui serait insupportable et irait à l'infini. Il n'y a donc point d'autre bien, puisqu'il faut le répé- ter, que ce qui est honnête; car il est toujours réglé. Nous avons déj'a dit que la condifion de l'homme serait plus heureuse que celle des dieux , si l'ar- gent , les honneurs , et les autres choses qui ne sont point à l'usage des dieux étaient de véritables biens. Disons maintenant que si les âmes subsis- tent encore après la dissolution de leurs corps, elles seront sans doute dans un état plus heureux qu'elles n'étaient auparavant. Mais, si les biens dont nous jouissons par le moyen du corps étaient vrais biens, nous serions de pire condition après en être sortis , et il arriverait que la prison serait plus avantageuse que la liberté; ce qui est con- tre toute apparence. J'ai encore dit ci-devant que si ce qui est commun à t'homme et aux animaux était un bien, il s'ensuivrait que les animaux se- raient capables de la vraie félicité; ce qui est ab- solument impossible. Il faut souffrir toutes choses pour ce qui est honnête; ce qu'il ne faudrait pas faire, s'il y avait quelque autre bien que la vertu. Quoique j'aie traité cette matière plus au long dans ma lettre précédente, j'ai bien voulu la re- toucher, et je la vais raccourcir dans celle-cK inconsullo inipetu pferosqiie calcasse. lovenlus est, qui flaiiimis iinponeret manum ; cujus risum noa interruin- peret torior ; qui in funere liberoruni lacrimam non mit- teret; qui morli intrepldus occurreret; amor, ira, cupi- ditas, pericula depoposcerunt. Quod polest breïis obsti- iiatio animi, aliquostimuioexcilata.quanto magis Virtu», quaî non ex iiiipelu , uec subito , sed awpialiter valet; cui perpetunm robur est ? Sequilur ut , quae al) inconsu'.tis s.-epc contemnunlur , a sapientibus semper, ca nec bona s nt, nec mala. Dnum ergo bonum ipsa Virlus est, quae iuter banc fortunamct illam superl)a incedit, cum maguo uti'iusque conlcmpla. Si banc opinioneni reccperis, aliquid bonum esse prê- ter lionestum, nulla non virtut laboralni; nullaenimob- tincr; polcril, si quidquiim extra se rcspexerit. Quod si est , rationi répugnât , ei qua virtutes sunt ; et veritati , qua" sine ratione non est : quaeenmque autem opinio veri- ta'.i répugnai, falsa est. Virum bonum concédas neccsse est suinmw pietat's erga Deos esse; ilaque, quidquid itii ac- cident , a;quo anime sustinebit : sciet enim , id accidisse legc divina , qua univeisa procedunt. Quod si est, unum tlli bonum crit , quod bonestum ; in hoc enim positum est et parère Diis , nec eieandescere ad subita , nec deplo- rare sortem su;irn ; sed patienter eieipere fatum , el facere imperata. Si enim ullum aliud est twnum quam tiones- tum, sequetar nos aviditas vit», aviditas rerum Titam instruentinm ; quod est iutolerabile , infinilum , vagum. Solum ergo Bonum est Honestum ; cui modus est. Diir- mus bomioum, futuram feliciorem vilsmquauiDcorum, si ea Ixina sunt , quorum nullus Biis usus est ; tanquam pecunia , et honores. Adjice nunc, quod, si modo solulEe corporibus animae manent , felicior iilis status restât , quam est, dum mersantur in corpore. Atqui , si istalwna sunt, quibus per corpora utimur, emissis erit pejus; quod contra fidem est , feliciorcs esse lilieris et in uniTer- sum datis clusas et obsessas. Illud quoque diieram , si bona sunt ca, qus taui homini contingunt quam mutis aoimalibus, et muta animalia bcatani vitam aclura : quod tieri nullo modo potest. Oninia pro Honesto patienda sunt; quod non erat faciendum, si esset ullum aliud lx>- Dum , quam Uoneslum. Ilaec , quamvis latins exsecutus essem priore epislolii , coosirinxi , et breviter percurri. IS'unquam autem veivi tibi opinio talis videbitur, nisianimum alleves, el te ipse ÉPITRES A 4a reste , sachez que vous u'entrcrez jamais • dans ces sentiments , à moins que vous n'éleviez | votre esprit et que vous ne vous demandiez si en cas qu'il fallût mourir pour votre patrie et sau- ver la vie de vos concitoyens par la perte de la vôtre, vous donneriez sans peine, et même volontaire- ment, votre tête. Si vous le pouvez faire, il faut conclure qu'il n'y a point d'autre bien, puisque vous laissez toutes choses pour l'acquérir. Voyez quelle force et quelle étendue a le bien honnête : vous mourrez pour la république au même temps que vous en aurez pris la résolution , quoique vous ne l'exécutiez pas aussitôt. Quelquefois uoe belle action donne bien de la joie en peu de temps; et quoique le fruit qui en provient ne passe point jusqu'aux morts qui en sont les auteurs, si est-ce qu'ils en ont joui par avance : car, quand un homme d'honneur et de courage se représente que la lit>erté de sa patrie et le salut de tout un pays est le prix de sa mort , il ne faut point douter que ce ne lui soit un plaisir bien doux , et qu'il ne goûte déjà le succès de son action. Celui même qui se verra privé de la joie que donne l'exécution d'une grande entreprise, quand elle réussit, ne laissera point d'aller à grands pas à la mort, se contentant d'avoir fait ce que l'honneur et la piété désiraient de lui. Proposez-lui maintenant ce qui le pourra détourner. Dites-lui : On aura bientôt oublié ce que vous aurez fait , vous obligerez des gens qui n'en auront guère de reconnaissance ; il vous répondra ; Tout cela n'a rien de commun avec mon action; je la considère toute seule, et je sais bien qu'elle est honnête. C'est pourquoi je suis résolu d'aller en quelque lieu qu'elle m'ap- LUCILIUS. ($H pelle. Ainsi vous voyez qu'il u'y a point d'autre bien que ce qui est honnête , puisqu'il se fait sen- tir, non-seulement à un homme d'éminente vertu, mais encore 'a tout autre qui sera généreux et bien né. En vérité , tous les autres biens sont de légère considération et de courte durée. De l'a vient qu'on les possède avec inquiétude , quoique la fortune les ait donnés à pleines mains ; ils sont naturelle- ment pesants; ils chargent leurs maîtres, et quel- quefois ils les accablent. Tous ces gens que vous voyez porter la pourpre ne sont pas plus heureux que ceux qui, dans les comédies, portent le sceptre et le manteau royal. Ils se promènent devant le peuple, étant chaussés à l'avantage. Mais sont-ils sortis du théâtre , on les déchausse aussitôt , et ils reprennent leur première taille.. Vous n'en trou- verez pas un de tous ceux que les richesses et les charges ont mis sur la tête des autres, qui soit grand en effet. Pourquoi donc vous semblent-ils grands? C'est que vous ajoutez la mesure de la base à celle de la statue. Un nain sera toujours pe • tit, quoiqu'on le mette au sommet d'une montagne; et un colosse toujours grand, quand on le met- trait au fond d'un puits. Voici notre erreur et ce qui nous trompe d'ordinaire : nous n'estimons (las la personne teule; nous estimons encore ses habits et son équipage. Mais quand vous voudrez savoir au vrai la valeur de quelqu'un, regardez-le tout nu ; dépouillez-le de ses richesses , de ses char- ges et des autres avantages dont la fortune l'a paré; détachez-le même de son corps , etconsidé- rez son âme; voyez ce que c'est, et si elle est grande de son fonds ou de celui d'autrui. S'il re- iotrrroge* : si ces etegerit, ut prn patria moriaris , et sa- Intem omnium civium tua redimas, an porrecturus sis cerricem, non tantum patienter, led etiam libenter? Si hoc facturus es, nullum aliud lionum est : onmia relin- qui>, ut boc habeas. Vide quanta Tis Honesti sit. Pro republlca morieris, etiam si atatiiii f.xlurus boc eris, quum scieristibi tsse Tacicndum. loterdumeiirepulcher- rima magnum gaudium , etiam tcmpore eiiguo ac l)revi, capitur , et , quaniris frucuis operis |)f racti nullus nd de- fanclum ejempi~titer dcsineudum est, et non ex maiimis causis : nam nec niaiinie sunt, qux nos tenent. l'ullius Marcellinus , quem optime noreras , adolescens quielus et cilo senei , morbo , et non insanabili , correp- tus, sed Idogo et uiolesto , et multa Iniperante, cœpit de- lilwrare de morte. Conv ocavit compluret amicos : unus- quisque , aut quic timidut erat , id illi suadebat , quod sibi iuasisset; aut quia adulator et blandus, id consilium da- bat , quod deliberanti gralius fore suspical>atur. Amicui ■oster Stoicns, bomo egregiui , et, ut verbis iliuni qui- tus laudari dignus est laudem , vir fortis ac ilrenuus , vi- detur mibi optime illum cohortalus. Sic enim cœpit : • Noli , mi Marcelline , torqueri , lanquam de re magna detib Non opns erat suaiore illi , sed adju- tore : servi parère noieliant. Primum detraxit illis me- tum, et indicavit, tune familiam periculum adiré, quum incertum esset, an mors domini voluntaria fuisset; alio- qui tam mali exempli esset occidere dominum , quam pro- hibere. Deinde ipsuni Marcellinum admonuit , non essb inhumanum, quemadmodum c(pna peracla reliquiae cir- cumstanlibus dividunlur, sic peracta vila aliquid porrigi bis, qui totius vilae ministri fuissent. Erat Marcellinus fa- cilis animi, et liberalis, etiam quum de suo flcret : mi- nutas itaque summulas distribuit ilentibus servis, et illos ultra consolatus est. Non fuit illi opus ferro , non sanr guine : triduo abstinuit, et in ipso cubiculo poni taberna- culum jnssit. Solium deinde illatum est , in quo diu jar cuit; et, calda subinde sufTusa, paulatim defecit, ut aie- ïal, non sine quadam voluptale , quam afferre solet ieaf* dissolutio , non inexpcrta nobis , quos aiiquando liqi]i< animus. In lal)cllam cicessi , non ingratam tibi ; exitum enim amici lui cogoosc es , non difficilcm . nec niiserum. Quai»- 684 déplaira pas, voyant que la Du de votre ami a été SI aisée et si tranquille; car, quoiqu'il se soit donné la mort , il est toutefois parti si doucement que l'on peut dire qu'il s'est dérobé à la vie. Mais je ne prétends pas que cet exemple soit tout 'a fait inutile. La nécessité oblige quelquefois d'avoir recours à de semblables ; car, bien souvent, nous devrions mourir et nous ne le voulons pas ; sou- vent aussi nous mourons et nous ne le voudrions pas. Tout le monde sait que l'on doit mourir un jour; et toutefois il n'y a personne qui ne recule, qui ne tremble et qui ne pleure aux approches de la mort. Ne diriez-vous pas qu'un homme aurait perdu l'esprit, qui s'affligerait de n'être pas venu au monde il y a mille ans? Je n'estime pas moins fou celui qiii pleure de ce que dans mille ans il ne sera plus en vie. Cela est égal , vous ne serez plus, vous n'avez pas été; ces deux temps ne sont point "a vous; vous êtes renfermé dans un point, lequel s'il vous était permis d'étendre, quelle étendue lui pourriez-vous donner? Pourquoi pleurez-vous? Que désire?- vous? Vous perdez votre peine. Croyez-vous qu'une voix à prier obstinée Change l'ordre des dieux et de la d:;stinée f Il est fixe et arrêté ; c'est un décret éternel qui l'a établi ; vous irez où toutes choses vont. Pourquoi vous en étonnez-vous? Vous êtes né sous cette loi. Voire père , votre mère et vos ancêtres y ont obéi. Tous ceux qui sont venus devant vous l'ont souf- ferte, et ceux qui viendront après vous n'en se- ront pas exempts. Il y a un ordre invincible et invariable qui enveloppe et entraîne toutes cho- ses. 0 que vous aurez de suivants après votre mort ! ô que vous aurez de compagnons I Vous se- SÉNEQUE. riez, ce me semble, plus hardi si vous eu voyiez beiucoup d'autres mourir avec vous ; mais, an moment que vous appréhendez de mourir, il y a une infinité d'hommes et d'animaux qui meu- rent en différentes manières. Eh quoi I ne songiez- vous pas que vous arriveriez un jour au lieu où vous alliez tous les jours? 11 n'y a point de chemin qui n'ait quelque bout. Vous vous imaginez que je vais vous citer des exemples de ces grands per- sonnages de l'antiquité; je ne veux produire que des enfants. On dit qu'un jeune garçon de Lacédémone, étant prisonnier de guerre, criait en son langage dorique : Je ne servirai point ! Il tint sa parole; car, au môme temps qu'on lui commanda d'ap- porter un pot de chambre, il se cassa la tête con- tre un mur. Peut-on se résoudre à la servitude, ayant la liberté si proche de soi? N'aimeriez- vous pas mieux que votre fils mourût de la sorte que de le voir vieillir dans la fainéantise? Après tout, quand vous ne voudriez pas suivre, on vous traî- nerait : faites de vous-même ce qu'on vous for- cerait de faire. I\aurez-vous pas autant de cou- rage qu'un enfant, pourdire: Je ne servirai point? Malheureux que vous êtes, n'êtes- vous pas esclave des hommes, des affaires et de votre vie? Car la vie est une servitude quand on n'a pas le courage de la pouvoir terminer. Qu'avez-vous encore à at- tendre? Vous avez épuisé tous les plaisirs qui vous retiennent attaché; il n'y en a plus de nouveaux pour vous, ni même qui ne vous donnent du dé- goiit. Vous connaissez parfaitement la sève du viu et de la malvoisie. Qu'importe-l-il qu'il vous ei» passe encore cent ou mille barils dans le ventre? vis enim mortem sibi consciTerit , tamen mollissime ei- cessit, et vita elapsus est. Sed ne inutilis quidem baec fa- bclla fuerit : sœpe enim talia exenipla nécessitas exigit. Sa;pe debemus mori , ncc volu;iius : niorimur, nec volu- nms. Nemo tam imperilus est , ut nesciat quandoque mo- rieiidum; tamen quuin prope accessit, tergiversatur , frémit, plorat. Nonne tibi videbitur stuUissimus omnium, qui fleverit, quod anle annos mille non vixerat? JCque stultus est , qui flet, quod post annos mille non vivet! IIïîc paria sunt : non eris, nec fuisli. Utrumque tcmpus alienum est. In hoc punctum conjeclus es, quod , ut ex- tendas, quousque extendcs'^ Quid fles? quid optas? per- dis operam ! Pesine fata Deum flecti sperare prccando. Rata et fixa sunt, et magna atque a-lerna necessitate du- cuntur. Eo il)is, quo oninia eunt. Quid tibi novum est? Ad hanc legtui natus es ; hoc palri luo accidit , hoc ma- tri , hoc majoribus , lioc omnibus ante te , hoc omnibus post le. .Séries invicia, et nulla mutabilis ope, illigat ac trahit cuncta. Quantus te populus morlnorum pra?cessit ! qu^iDtus nioriturorum sequetnri quantus couiilab lur ! Fortior, utopinor, esses, si multa millia tibi coromnre- rentur. Atqui multa millia bominum et aaimalium hoc ipso momento, quo tu mori dubitas, animam variis gene- ribns emittunt. Tu autem non putabas te aliquando ad id pervenlurum.adquodsemper ibas?Nullum sineexitu iter est. Exerapla nunc magnorum virorum me tibi jiidicas re- laturum ? puerorum referam. Lacon ille memoria; tra- dilur impubes adhuc, qui captus clamabat: Non serviam I sua illa dorica lingua ; et verbis fidem imposuit. Ut pri- mum jiissus est fungi servili et contumetioso ministerio , (afferre enim vas obscœnum jubebatur), illisum parieli caput rupit. Tam prope libertas est ! et servit aliquis? Ita non sic perire filium timm malles , quam per inertiam se- nem fitri ? Quid ergo est , cur perturberis , si mori Ibrti- ter etiam puérile est ? Puta nulle te sequi, daceris. Fac lui juris, quod alieni est. Non sûmes pueri spiritum ? ut dicas : Non servie ! Infelii , servis homiuibus , servis ré- bus, servis vita-. Nam vita , si moriendi virlus abest, ser- vitus est. Et quid habes , propter quod eispectes ? Aolup- tates , qua; te morantur ac retineut , consumpsisti : nuUa tibi nova est; iiu'la non jam odiosa ipsa satictate. Qui» EPITRES A Ce ii'esl toujours que le même sac. Vous savez qael coùl oui les liuîlres et les autres mets friands. Eti- Bu. voire luxe n'a rien réservé qui puisse vous donner de l'envie. Voilà pourtant les choses dont vous avez peine de vous détacher. Car, que peut- il y avoir, d'ailleurs, que vous ayez regret de quit- ter? vos amis? voire patrie? Mais l'estimez vous à ce point, que pour sa considération vous en vou- lussiez souper plus lard? Vous éteindriez volon- tiers le soleil, s'il vous était possible; car, qu'a- vez-vous jamais fait qui soit digne d'élre mis au jour? Avouez que ce n'est point pour l'amour du sénat, des affaires, ni du monde , que vous tardez à vous résoudre "a la mort ; il vous fâche de laisser le marché et la boucherie où quelquefois vous ne laissez rien. Vous avez peur de la mort , et cepen- dant vous la défiez si hardiment au milieu de la débauche. Vous voulez vivre et craignez de mou- rir. Mais, sans mentir, la vie que vous menez, n'esl-ellc pas une mort? César, passant par la rue, un prisonnier, qui avait une vieille barbe qui lui pendait jusque sur la poitrine, le pria qu'on le fit mourir. Il lui répon- dit : ayuoi! penses-lu êlrc encore en vie? * C'est ce qu'il faut dire h ceux à qui la mort serait utile. Vous avez peur de mourir? Khquoi ! pensez vous être en vie? — Mais je veux vivre,dira (luelipi'un, parce qu'il y a bien des choses que je fais avec honneur; et j'abaudonne avec regret des devoirs dont je m'aïquilte, ce me semble, assez fidèle- ment.— Et ne savez-vous pas que c'est un des de- voirs de la vie que de mourir? Vous n'aurez point pour cela omis tous les autres; car on ne vous en a pas prescrit un nombre que vous soyez obligé de LUCILIUS. G85 rendre complet. Votre vie sera assez longue; car si vous m'allez parler de la durée de l'univers, la vie de Neslor se trouverait courte, aussi bien que celle de Stalilia, qui fit graver sur sa tombe qu'elle avaitvécu quatre-vingt-dix-neuf ans. Voyez comme une vieille se glorifie d'avoir vécu longtemps. N'ciil-elle pas été insupportable s'il lui fût arrivé d'attendre la centième année, et de faire un siècle entier? Il en va de notre viecomme d'une comédie: on ne regarde pas si elle a été longue, mais si elle a été bien représentée. Il n'importe en quel lieu vous Unissiez; Unissez où vous voudrez, pourvu que vous fassiez une bonne Un. EPITRE LXXVIII. Que le mépris de la mort est un remède à tons les maux. —Que toutes choses dépendent de ropinion, et qu'elle est la mesure des hicus et des maux. J'apprends que vous êtes sujet à des fluxions assez fréquentes, qui sont suivies de petits fris- sous. J'en suis d'aulant plus fâché que je connais CCS sortes de maux pour les avoir ressentis autre- fois. Je n'en tenais point de compte au commen- cement, parce (jne la jeunesse me faisait suppor- ter les incommodités et résister fortement aux ma- ladies; mais il liiut céder dans la suite. J'en vins jusque là que mon corp<, pour ainsi dire, se fon- dait en eau. Comme je me vis réduit "a la dernière maigreur, il me prit souvent envie de me donner la mort ; mais le grand âge de mon père, qui m'ai- mait beaucoup, me retint, considérant qu'il avait autant de raison de me regretter, que j'en av.ais sit mnisi, quis vini saper, sds : nihil interest , cenlum per Tesicam loam , an mille amphorœ trause;int : saccu.s es. Quid sapiat osireum , quid mulius, optime nosll ; nihil tibi luiuria tua in fntiiros annos reservinil iataclum. AtquI hxcsunt.a quibus iiivilus divelleris.Quid estaliud ijUDd tibi eripi doleas ? Aiuicos , et palriara ? Tanli enim illam pulas, ut tardius cœnes? solcm quoque, si posscs, eistingueres ? Quid entra unquani fccisti luce dignum ? Confiiere , non curiac le , non fort , non ipsius rerum na- lurae desiderio , tardiorem ad moriendum fieri : invitus relinquis maceltum , in qno niliil reliquisti. Morlem li- mes; at quomodo illam in meJia obleclationeconleninis? VivereTis : scis enim ? Mort timcs : qnid porro ? ista ïita non mois est? Ca-sar quum illum transeuntem per Lati- iiani Tiam unus ex custodiarum agmine, dcmissa usque in pectus >elere barba , rogaret mortem : • Nunc euini , inquit, ïiïis? . Hoc islis respondendiim est , quibus suc- cursura mors est : • Mort times? nunc enim viïis? • — S«d ego, inquit, vivere toIo, qui mulla houesle facto : in»itus reliuquo officia utœ , quibus ndeliler et industrie fungor. — Quid ? tu nescis unum este ex »ila; ofliciis , et mon ? Nulluro offlrium relinqnls; non enim certus nu- merus,quem debeas ezplere , nnilur. Nulla tita est nou brevis ; nani si ad ualuram rrruui respeieris, eliani Nes- tui'l et Stalilia; brevis est, quai inscribi monumealo suo jussit anois se nouagiota uovem vixisse. Vides auiculam gloriarl seiieclute longa : quis illam ferre potuisset , si contigisset ceulesimuin implere? Quomodu fabula , sic vita ; mm, quam dtu, scd quam bene acta sit, refert. Nihil ad reni pcrtiuet, quiiloco desiuas. Quocuiiique vo- les , desine : tantuni bunam clausulam impone I Vale. EPISTOLA LXXVIII. nOl TIBEMDOS ESSE HOIBOS. Veiari te distiltationitiuscrebris ac febriculis, qux lon- gas distillatioues et tu consuetudinem adduclas scquun- tur, eo miilestius mibi est, quia cxperlus sum boc genus valetudiuls; qmid inler initia coulempsi. Poterat adbuc adolescentia injurias ferre, et se adversus morbos con- tumaciler gerere ; deinde succubui , et eo perductus sum, ut ipse distillarcm , ad summain maciem deductus. Sna prsmiltit , ulique qui ei so- lilo reTcrtitur. Tolcrabilis est morbi patientia , si con- tempseris id quod oïlicmuni minatur. Noii mala lua faccre libi ipsi graviora , et le querelis onerare. Levis est dolor, si nihil illi opinio adjecerit : contra , si cihorlari te cœperis, ac dicere : Mbit est; aut certe : Eiiguum est ; duremus ! jam desinet : levem illum, dura putas, faciès. Omuia ei opinione suspensa sunt; non ambiiio tantura ail illam respicit , et luiuria , et ava- ritia ; ad opioionem dolemus. Tam miser est quisque, quam credidit. Detrabendas prœteritorum dolorum cou- questioncs puto , el illa verba : « Nulli unquam fuit p«)- jus. Quos crucialuB , quanta mala pertull I ncmo me sor- reclurum putavit. Quolies deploratus sum a meu.quo- (i88 SÊNK point lantdemal.» Jevcuxque tout cela soit vrai, inais il n'est plus. A quoi sert de ramener les maux qui sont passés, et de vouloir être misérable parce que vous l'avez été? Il n'y a personne qui soit Cdèle 'a soi-même dans cette renconiro, et qui ne fasse son mai plus grand qu'il n'est. Le ré- cit même que l'on en fait donne queUiue plaisir; car il est naturel de se réjouir de la (in de sa dou- leur. Il faut donc retranclier ces deux choses : la crainte de l'avenir et le souvenir des maux passés; celui-ci ne nous touche plus , l'autre ne nous lou- che pas encore. Lorsqu'un homme se Irouveia engagé dans la peine et les difficultés, qu'il dise : Endurons tous ces maux; peut-être à l'avenir Nous sera-t-il bien doux de nous eu soutenir I Qu'il emploie tout son courage pour combattre la douleur. Il sera vaincu, s'il se relâche; mais il vaincra s'il se raidit. C'est ce que font la plupart des gens en ce lenips-ci ; ils attirent sur eux la ruine qu'ils devraient arrêter. Car, si vous y pre- nez garde , un fardeau qui penche et qui pousse , si vous venez a vous retirer, vous suivra et vous accaldera ; mais si vous lenez ferme et que vous résistiez , vous le repousserez. Voyez combien de coups les athlètes s'accoutument à recevoir sur le visage et sur le reste du corps pour le seul désir de la gloire, lis souffrent toutes ces choses, non 'a cause qu'ils combattent, mais afin qu'ils sachent combattre; l'exercice même leur est un tourment. Tâchons donc de surmonter aussi toute sorte de diflicultés; notre récompense ne sera point une couronne, une palme, ni une trompette qui fera Taire silence pour ouïr les éloges qui nous seront QUE. donnés ; mais ce sera la vertu , la constance , et une tranquillité d'esprit qui durera toujours , si nous pouvons une fois terrasser la fortune. Oui, mais je sensune grande douleur. — Comment ne la sentiriez-vous pas , puisque vous n'avez pas le cou- rage de la supporter? La douleur fait comme l'en- nemi dans la guei re ; elle accable ceux qui lui cèdent et ne se défendent pas. — Mais, direz-vous, elle est bien pesante. — Quoi! sommes-nous forts afin de ne porter que des choses qui soient légères? Qu'aimez-vous mieux , ou que la maladie soit lon- gue , ou qu'elle soit violente et courte ? Si elle est longue , elle aura des intervalles qui vous don- neront loisir de vous refaire, et, après un long lemps , elle sera forcée de vous quitter ; si elle est courte, il arrivera l'une ou l'autre de ces deux choses, vous verrez bientôt sa Cn ou la vôtre. Qu'importe si c'est elle ou moi qui s'en aille, puisque d'une manière ou d'une autre je ue sen- lirai plus de mal ? H sera bon aussi de se détacher de la douleur, et de divertir son esprit "a d'autres pensées. Faites réflexion sur ce que vous avez fait de bon et de vertueux durant votie vie, con- sidérez-en les plus belles parties. Que votre mé- moire rappelle ces grandes actions que vous avez autrefois admirées ; les hommes généreux qui ont triomphé de la douleur ne man(|ueront pas de se présenter a vous. Vous verrez celui-l'a qui ne dis- continuait point de lire tandis qu'on lui coupait les veines des jambes , et cet autre encore, qui ne s'empêcha point de rire , quoique le bourreau, s'en étant irrité, rendit son supplice plus cruel. Quoi donc 1 si l'on a vaincu la douleur en riant , Iles a medicis relictus 1 In eciuulenm imposili non sic dis- tiahuntur. » Etiamsi sunt vera isla, transierunt. Quid juvat prœleritos dolores retraclare, et rniseruni esse, quia fueris ? Quid , quod nemo non multuni nialis suis adjicit, et sibi ipse mentilur? Deindc, quod aceibuni fuit, retu- lisse jucundum est : nalurale est mali sui fine gaudeie. Circumcidenda ergo duo sunt , et fnluri tinior, et veteris incommodimemoiia : hoc admejam non peilioet, illud nundum. In ipsis positus diincultatibus dicat : Forsan et Iiîec olim meminisse juvabit' Tolo conlra illum pugnet aniino : Tincelnr, si cessent ; \incet, si se coolra dolorem suuiii intcnderit. INunc hoc plerique faciunt, aUratiunt iu se ruiuara, cui obslandnm est. Istud , quod preniit , qucd inipendct , quod urgct , si subducere te cœperis, sequelur , et gravius incumbet; si contra steteris, et obniti Toluciis, repellelur. Alhleta» qnantnm plagarum ore , quantinn totocorporeeicipiunt! ferunt tanien onine loi mentum , gloria; cupiditate ; nec tantum, quia pugnant, isla paliunlur, sed ut piigncnt : eiercitalio ipsa tormentum est. Nos quoque cvincamus omnia , quorum pricmium non corona , nec palma est , ncctubicen pra-dicalioiii uoiuiuis nostrisiiliiilinm liuieiis; sed virtus , et firmitas animi , et pai in caeterum parla , si seiiiel in atiqoo cerlamine debellala fortuna est. Dolorem graveni sentio! — Quid ergof non sentis , si illum muliebriter tuleris? Qiiemadmodum pemiciosior est hostis fugientibus, sic omne fortuituni inconinioduiu magisinstatcedeuli et avcrso. — Sed grave estl — QuidT nos ad hoc fortes sumus, ut levia portemus ? Utruin vis longum esse morbum , an coarctatunietbrevem? Si lon- gus est, liabet intercapedinem , dat refecHoni locum; multum tenipoi'is donat : necesse est ut eisnrgat et de- siuat. Brevis morbus ac praeceps alterutrum faciet, aut exslinguetur, aut exstinguet. Quid aulem interest, non sit , an non sini 1 iu utroqne Quis dulendi est. Illud qno que proderit, ad alias cogitationes arertere animum, et a dolore discedere. Cogila, quid honeste, quid forliler feceris; bonas partes leeum ipse tracta : memoriam in ea, quae maxime rairatus es, spatge. Tune tibi forlissiuius quisque , et ^iclor doloris , occurrat : ille, qui , dura va- rices eisecandas pra'bcret, légère librum perseTeravil; ille, qui non desiit ridere, qnum, hoc ipsuni irali, tor- tores oninia instrumenta crndehtalis eiperirentur. Non vincelur liolor ratione , qui vicUis est risn ? Quidquid xi» uuiic '.ici t iliias , d slillatioues , et vim continua; lussis cge- EPITRES A LUCILIUS. 689 De pourra-l-on pas la vaincre en raisonnant? Di- tes maintenant luut ce qu'il vous plaira de vus fluxions, de celte toux conliiMJeliequi vous fait je- ter le sang, de la fièvre et de la soif qui vous brù- lout les entrailles, des gouttes qui vous disloquent les jointures et qui vous tordent les membres : ce n'est rien au prix de la flamme , de la gêne , des lames ardentes, et de tout te qu'on applique sur les plaies quand elles sont enflées, pour en renou- veler la douleur. Cependant il s'est trouve des gens qui ont souffert tout cela sans se plaindre; mais, bien plus, sans demander un moment de relâclie, sans vouloir répondre au juge qui les in- terrogeait, et de plus encore, qui en ont ri de bon cœur. Après cela, n'aurez-vous pas la force de vous moquer de la douleur? Mais, direz-vous, ma maladie m'empêcbe de faire quoi que ce soit, et me rend incapable de toutes mes fonctions. — Votre maladie est dnns le corps, et non pas dans l'esprit; elle pourrait bien incommo- der les jambes d'un voyageur, et les mains d'un ar- tisan; mais, si vous avez accoulumé de vous servir de votre esprit, vous donnerez conseil, vous ensei- gnerez , vous écouterez , vous apprendrez, vous ferez des questions, vous rappellerez vos idées. Pensez-vous ne rien faire quand vous |>rencz pa- tience dans votre mal? Vous faites voir qu'on le peut vaincre, on du moins qu'on le peut supporter. I.a vertu, je vous assure , ne laisse pas d'agir, quoi- que coucbce sur un grabat : ce n'est pas seulement dans les armes et dans un combat que l'on juge d'on courage vigoureux et intrépide; on le recon- naît encore 'a la manière des babils. Vous avez de quoi vous occuper : luttez avec la maladie; si elle n'emporte rien , si vous ne lui accordez rien mal k propos, vous donnerez une preuve illustre de voire constance. — Oh que ce serait une belle occa- sion d'acquérir de la gloire, si l'on venait regar- der de pics ce que nous faisons lorsque nous som- mes malades! — Soyez vous-même votre censeur, donnez-vous la louange que vous aurez mérilce. Outre cela, il y a deux sortes de plaisirs. Je sais bien que la maladie empêelic ceux du corps , mais elle ne les ôtc pas eulièrcmeiit; au con- traire, pour en parler sainement, elle les excite. Il y a plus de plaisir 'a boire quand on a bien soif, et h manger lorsque l'on est affamé. On prend avec une plus grande avidité tout ce que' l'on trouve après une longue abstinence. Quant aux plaisirs de l'esprit , qui certainement sont plus grands et plus solides que ceux du corps, il n'y a point de médecin qui les défende à un malade. Quiconque les suit et les sait goûter ne s'arrête point au cliatouilleracnt des sens. Le pauvre ma- lade 1 Pourquoi? Parce qu'il ne boit point a la neige; parce qu'il ne rafraicliil point de nouveau le vin qui est dans son verre, en rompant de la glace par-dessus; paice qu'on n'ouvre point sur sa table des huîtres de Lucriii fraîchement venues, et qu'au temps de son souper on n'entend point un bruit confus d'oflicieis de cuisine qui servent les ragoûts avec les réchauds; car, de peur que la viande ne se refroidisse, et que le palais, qui s'est endurci par la débauche, ne la trouve pas assez chaude, le luxe s'est avisé de celte inven- tion , que la cuisine doit suivre la table. Le pauvre malade! Il ne mangera qu'autnnt qu'il pourra di- gérer, il ne verra point un sanglier étendu devant lui , que l'on rebute désormais comme une viande trop commune. On ne lui présentera point dans un bassin des estomacs de perdrix et d'autres oiseaux, que l'on ne sert point entiers de peur de rentem Tiscemm parte* , et febrein praicordia ipsa tor- rcotem, et silim, et arlus io dii\ersuin articulis escuati- biu tortos ; pins est flnmma , et equiileiis , et l^niina , ( t TDiDerilms ipsis inlumescentibus, quod illa renoiaretet altiat urgeret , fei ruiii impressuni. Inler hduiit officlis. — Corpus tuum vatelndo lenel, non et animuoi. I;aque cursoris moratur pedes , »uloris ac fa- bri maons impediet. Si animiis tibi esse In us» solet , sua- debi», docebis , audies , disces, qnares , record:il)ei is. Quid porro? nihil agere te crtdi». si lemperansa-ger sis? Ostendes , Diorbum poste superari, \el certe suslineri. Est , mihi crede , îirluti eliam in lectnlo locus. Non tao- tam arma el acie» dant argumenta alacris aainii iodoini- Uque terroribus : et in Testlmenlis Tir forlis apparet. Habet qnod agas ; bene luctare cuni morbo : si nihil le floegerit, si nihil eiorareril, insigne prodis ciemplum. — G qu:ini magna erat gloriie matcria , si spectaremur œpril — Ipse te specta; ipsete laudîi I Pra"tcrea duo sunt gênera Tohiptatum : corporalesroor- bus inhibet, non tanien tollit; Imo, si Vernra ffsliines , incitât. Magis luvatliiberesitieiitem; gratiorest esurienli cihns : quldquid ex abstincntij contigit, avidiiis eicpitur. nias Tero aniiiii Toluplates, qiiie majores certiorc-que sunl,ncmo niedicus appro negat ; lias ipiisquis sequitur et bene intetliglt , omnia sensuum blandimenta coutem- nit. O infelicem a'grum ! Quare? quia non vioo nivem diluit; quia non rigoreffl potionis sua?, quam capaci sc;- pho misciiit , rénovât fracta insuper glacie; quia non os- tiea illi l.ucrina in ipsa mensa aperiuutur; quia non circa ccenatiouem ejus tumullus coquoruni est , ipsos cum olv soniis focos traniferentium. Hoc enim jani luiurin com- menta est : ne ijuis intepesrat cibns , ne quid palalo jam calloso paruni fcrveat, cœiiain culina prosequitur. O in- felicem a-gruni ! tidel quantum concoquat ; non jiicebU in conspectu aper, ut vilis caro, a ineusa relc;;atu«; iiec I in rcpositdfio ejus pectora aviuiu i lotas cnini videre fa»- ii fifX) srkeqce. donner du dc^goûl. Quel mal lui fail-ou? Il sau- pera comme un malade , a'in de souper après comme un homme qui se poric l)ien. Kiilin , nous nous accoutumerons facilement aiu bouillons, ;i l'eau chaude et à tout ce qui parait insupportable aux délicats et à ceux qui sont plus malades d'es- prit que de corps, pourvu que nous n'ayons plus d'aversion pour la mort. Nous n'en aurons plus, en offet, si nous con- naissons quelle est la lin des gens de bien et quelle est celle des méchants. Par ce moyen , nous n'au- fons plus d'ennui de la vie, ni de crainte do la mort. Car la vie ne saurait déplaire "a un homme q«i s'occupe en la contemplation de tant de choses si belles et si hautes, mais bien 'a celui qui lan- guit dans la fainéantise. Si nous examinons la na- ture de toutes choses, la vérité nous tiendra tou- jours en haleine, car il n'y a que l'erreur et le mensonge qui donnent enûn du dégoût. Au con- traire, si la mort vient, si elle nous appelle, quoi- que ce soit avant le temps, et qu'elle nous arrête au milieu du chemin , le profit que nous avions "a faire est fait il y a longtemps. Nous connaissons la plus grande partie de la nature , nous savons que la longueur du temps ne fait point croître la ver- tu , et que l'on trouve toujours la vie Imp coiïrte lorsqu'on la mesure par les faux plaisirs (|ui sont infinis et sans bornes. Consolez-vous par toutes ces pensées, dans l'espérance que, tandis que nous nous écrirons, il se présentera quelque occasion de nous revoir. Ce ne sera pas pour si peu de temps, que nous ne le rendions assez long par l'adresse d'en savoir bien user. Car, comme dit Posi ionius , «ne journée d'un homme savant a plus d'étendue que toute la vie d'uQ ignorant. Cependant demeu- rez ferme dans cette résolution de ne point céder aux disgrâces, et de ne pas vous fier aux faveurs de la fortune. Représentez-vous tous ses change- ments et tous ses caprices , comme si elle devait faii'e "a votre égard tout ce qui est en son pouvoir ; car ce qui a été longtemps attendu trouble moins quand il arrive. EPITRE LXXIX. Il prie son snii , (|ui était en Sicile, d'aller voir le nioiit Gil)el,etde faire lii description de celte f.iincuse idoii- tagne. — Que la gloire qui e>l l'onilirede la vertu nccnni- pagae les gens de mérite duvant leur vie, ou les suit après leur mort. J'attends de vos lettres pour savoir ce (juc vous avez vu de nouveau en faisant le tour de la Sicih-, et particulièrement ce qu'il y a de plus cenaiu touchant la Charybdc; car je sais fort bien que Scylla est un rocher que ceux qui vont en mer n'appréhendent pas beaucoup. Pour la Cliarybde, je serais bien aise que l'on me dit si elle a du rap- port avec tous les contes que l'on en fait. Si vous y avez pris garde (comme lu chose le mérite bien), dites-nous si c'est de tout vent, ou d'un seul, que procède le tournoiement de ses eaux ; s'il est vrai que ce (]u'il engloutit, après avoir été |iortc bien loin sous les flots, se retrouve enûn sur le rivage aupics de Taormino. Si vous me rendez bon compte de tout cela , j'oserai bien vous supplier de vouloir, pour l'amoiir de moi, visiter le mont Gibel, que l'on dit qui se consume et s'abaisse petit à petit, à cause que les matelots le décou- vraient autrefois de plus loin qu'ils ne font à pré- tidium est ) congesta ponentur 1 /i^iv.à til>i mali factuni est? cœnabis taaqnam aeger, imo aliquando tanqiiiiin Mnus. Sed omnia ista facile perfereiims, sorbilionem, a(pinni Cidi'J:ini,et qiiidquid aiiud intolerabile videtur dellcalis 01 Imu flucntibus, magisque aninio qiiam corpore iiior- liidis : laolum niorlem dcsinamus horrrre. Desinemus antem, si fines Imnonini ac milnnirn cognovorinius; ita démuni ncc vila Ifedio erit, nec mors timori \iiam eiiim occupare .satielas sui non poiest, loi rcs varias , magnas, diiinas pcrceneolcin : in odiuni illaiii sui adducere solet iners otium. Rerimi naturam peragranli niin!|uani in fas- tidiiim veriias venict; falsa satial)unt. Ilur-ns, si mors accedit et vocat, licet imnialura sit, licct mediam pr;eci- dat a>tatem , perccplus longissime fniclus est : cognila estilli CI magna parte natura; scit lenipore lioiusia non n cscpre. Ilis necosse est vid(>ri omncin vitani hrevem , qui illam voluptatibus vanis , et ideo inliniti.s, meliuntur. Ilii te cogitationihus recréa , cl in'crim epistulis nostris vacando. Véniel aliquod tempus, qiiod nos iicrura jun- gat ac mi.sceat : quanlulumlihet s't ilKid, longum facict •cientia ulcndi Naiii, ut Posidouiiis ait, . uuus dies ho- minum cruditorum plus palet, quam imperitis longis- sima a'tas. • Intérim hoc tene , hoc morde : adversis non succumbere , la'tis non credere, omnem fortuna; licentiara inoculis haberc, tan^uam.quidquidpotest facere, factura sit. Quidquid eispcclatum est diu, levius accedil. Vale. EPISTOLA LXXIX. DE CeiliïBDI , SCÏLL4 ET jETS». — SiPIESTES ISTEK SE PiBES ESSE. Eispecto cpistolaiJ tuas,quibus indices mihi, circum- itus SicilicB totius quid tibi novi ostenderit , et omnia de ipsa Charjbdi certiora. Nam Scyllam saxum esse, et quidem non terribile navigantibus, opiime scio; CbaryU- dis au respoodeat fabulis, perscrihi mihi desidero. Et, si forte ob.servaïeris (dignum estautem, quod ol>ser\e$), fac nos certiores , ulrum uno tantum vento agatur in Tor- tices, an omnis tenipeslas a^que mare illud contorqueat; et an verum sit , quidquid illo frcli turbine arreptum est, per nmlla milKa trahi condilum, et circa Tauromenila- num lillus emcrgere. Si hafc niibi perscripseris, tune tibi audel)o niandare, ut iu lionorem nieum .Ctnam quo- qui- ascendas; quain consumi, et sensim subsidere, ci EPITRES A LUCILIUS. œi sent. Cela peut procéder non pas de l'abaissement de celle n ontagne, mais pfutôi de la diminution du fou, qui, s"f levant avec moins de violence et d'élendue, la fumée aussi, qui u'csl plus si grosse, ne paraît pas si fort durant le jour. L'un et l'autre me semble assez croyable, et qu'une montagne qui est Incessamment dévorée par les flammes di- minue chaque jour, et qu'un feu qui ne s'est pas alluiiié de soi-même, mais qui s'est engendré dans quelque abîme souterrain, tirant sa nourrilure d'ailleurs que de la moutagne, qui ne lui fournil que le passage, ne demeure pas toujours en même eut. En Lycie, il y a un quartier fort connu , que les habitants du pays appellent Ephestion. La terre y est percée en plusieurs endroits, et environnée d'un feu qui ne fait point de mal ; aussi les champs y sont fleuris et pleins d'herbes, parce que les flammes n'ont qu'une lueur faible qui éclaire et ne brûle point. Mais réservons cela pour en raison- ner, lorsque vous m'aurez fait savoir combien l'ouverture de la montagne est éloignée de ces nei- ges qui ne craignent point le voisinage du feu, et que l'été même ne saurait fondre. Vous ne de- vez pas m'imputer la peine que vous aurez dans cette occasion, car je suis sûr (jue vous l'auriez prise de vous-même pour satisfaire votre turiosi lé, plpournousdoonerladescripliondcceileniontagne si fameuse par les éciils de tous les poêles, puisque Virgile, qui semblait avoir épuisé celle matière, n'a pu empêcher qu'Ovide ne l'ait encore traiice, et qu'après ces deux grands hommes, Sevcrus Cornélius a bien osé dire ce qu'il en pcns;iit. Ils y ont tous assez bien réussi; et les premiers, h mon avis, bien loin d'avoir retranché, ont plutôt fait connaître aux aulrescc qui s'en iiouvail dire; car il y a grande différence de travailler sur un sujet achevé , ou sur un autre ([ui n'est qu'ébauché; ce- lui-ci s'élend tous les joi:rs , les preniii-res iiiven- lions n'einpêclient point les dernières; en outre, la condition de ceux qui viennent les derniers est plus avanlagouse , ils trouvent les paroles toutes prêles, les'inelles, si on les cliaiigeail, donne- raient assnrénient des idées tontes nouvelles. Ils ont droit de s'en servir parce qu'elles sont deve- nues publiques, et les jurisconsultes lionuenl que ce qui Cil public ne peu! pas.ser eu propriété par aucune possession. Ou je ne vous connais pas, ou le mont Gihel vous fait venir l'eau à la bouche. Vous avez envie d'en dire quelque chose de bien fort, et qui ne le cédera point à ce que les autres en ont ci-devant éciit. Je siiis (]Hc votre modestie ne s'en promet pas(lavan:age, et que vous avez tant de véuéralion pour les anciens, que vous affaibliriez volontiers les forces de \olre esprit, de crainte de les surpas- ser. La sagesse, enire autres ciioscs, a cela de bon, ((ue personne ne peut êlre devancé par un autre, sinon durant le chemin. Quand l'on est venu jus(pi'au bout , tout est égal : on ne saurait plus croître; ou demeure lixe. Le soleil devient-il plus grand? La lune allonge-l-elle sa carrièri? La mer n'augmente pas; le monde va toujours d'un même train; les choses qui sont venues au point de leur grandeur ne haussejil plus. Tous ceux qui se trouveront sages se trouveront égaux et seni- hoc culligunt quidam , qiiod aliqiundo longius nnvigani- bas s<>lt'l>at osteudi. Potest liuc acciderc, non quia munis altiliiilo descendit, sed quia ignisevautiit et minus nhe- ■nens ac largus effertur ; ol) eamdem causain fumo quo- que per diem segoior. Neutrum nulem incredihile est, nec montem, qui devoreturquotidie, mioui, nec igncm non manere cumdem : qui non ipse ex se e>.t, scd in ali- qua iuferoa Talle conceplus exa,'stuat, et allis pasciiur; in ipso monte non alimentum liabct, sed viam. In Lycia ré- gie Dotissima et, HeptiiTstion incotaa vocimt, foratum pluribus locis solnm , quod suc ullo uascenlium damno Ignii iDOusius circumit. Lata itaque régi» est, et lierbida, ail flanjniis adurcotibus, sed tanUim \\ remissa ac lan- guid.i rerid(!ealibas. £c:l reservemos ista , tune quassiluri , quum tu niilii ■cripseris , quanlnm ab ipso ore montis nivrs absint , qiins ne (estas quidem aoUit, aden tut^ sunt al> igné vicino. Non eit antem quod istam curam imputes niilii : morbu eoim tuo daturns eras , elianisi uenio quidem mandaret tibi, doncc Ai^inain describas in tuocarm ne : nec pudor obstet De huncsolemnem omnibus pnetislocum attingas; qoem quoniinus Ovidius tractarel, nibil obstilit quuii jam Virgilius implcveral : ne Se»erum quidem Cornelium nterqne deterruil. Oainilms prœtorea felicitcrr liic locus se dédit; et qui pra'cesserant , non pra'ripuissc ntihi»i- dentur qua; dici polerant , sed aperuissc. Sed niullum iri- lerest, utruuiad aid^umptani ujaleriaui, an ad sulilicuni iisuc ipi. Aut e(;i> te non uovi, aut £lna tibi .salivani motet. Jam oupis grande aliquid, et parprioribus, .seribere. Pluseiiinispe- rare modestia tibi tua non peiiiii lit; qux lautu in te est, ut videaris mibi relracturus iogenii tni vires , si Tiucendi periculum sit : tanLi tibi priorum reverentia est. Inter caetera, hoc habel boni s pienli.i : nenio al) ;i'- lero potest vinci, nisi dum asceudliur; (| iiiin ad sum- mum perveneris , paria sunt; non e^l increniento lociis; .'^tatur. NnnKjuid sol mngnitudini suie iidiieit? nuniqnid ultra , qiiam solel, lima procedit? ni:ii'ia non crescnnt; niundu.s eunidi'ni liabilum :ic iiiddinii sénat. Extiillerc se, qu.TJustani nu^niludlDi'Ui irii|.leï< le, non i ossimt. Qui- cnnique fueriiM sapieiites , p ires erutit el a;i|na!es; lubc- liit unns inisqueox liis prnpriasdoles ; alius erit affaliilior, ; Mus eiiedilioe, alius prompt or in eliiq endo, aliuK f.i- CUU'.liDr : illiid, dfquo ngilio'. quod Ireatiini f.itil, .fijuale {m diables. Ce u'est pas que chacun d'eux ne puisse avoir quelque lalent particulier; l'un sera plus agissant, L'autre plus affable; l'un aura plus de facilité do s'exprimer , l-autre sera plus éloquent ; niais le principal avantage qui rend riiomine heu- reux sera égal en tous. Je ne sais si votre Etna peut déchoir et se ruiner, ni si Tactiviic d'un f<,u conlinufl peut consumer le haut de cette montagne que l'on découvre de si loin dans la mer; mais je sais fort bien qu'il n'y a ni feu ni ruine qui puisse abaisser la vertu. C'est la seule de loutes les gran- deurs qui ne peut avancer ni reculer; elle de- meure toujours en état comme celle des choses célestes. Tâchons doue de l'acquérir; nous avons déj'a beaucoup fait; toutefois, "a dire le vrai, nous avons fait peu de chose , car ce n'est pas être bon que de l'être seulement plus que les méchants. Y aurait-il sujet de se glorilier d'avoir de bons yeux pour apercevoir une lueur trouble, et pour en- trevoir le jour parmi des brouillards épais? Car, quoique l'on se contentât d'être hors des ténèbres, on ne jouirait pas encore du plaisir de la clarté. Noire âme aura sujet de se réjouir, lorsqn'élant sortie de ces ténèbres où elle est enveloppée , elle verra toutes choses, non plusau travers d'un voile, mais au grand-jour et 'a découvert; etiorsqu'étant retournée en sa patrie , elle aura repris la place (|Hi lui appartient par la condition de sa naissance. .Son origine l'appelle en haut; mais elle y montera avantque de sortir de celle prison, pourvu qu'elle se décharge des vices, et que, devenue pure et lé- gère, elle s'élève "a la contemplation des choses divines. C'est ce que nous avons "a faire , mon cher Lucile; c'est 'a quoi nous devons employer toutes SÉJNÈ(iUI';. nos forces. Quand peu de gens le sauraieut , quand même personne n'en verrait rien, la gloire, qui est aliaciiée à la vertu , comme si elle était sou om- bre, nous accompagnera maigre que nous en ayons. Mais comme notre ombre marche tantôt devant nous et tantôt derrière, de même la gloire nous devance quel5 dis-je , qu'on u'ail trouvé ce grand personnage quand il n'élail plus? Sa doctrine n'a-t-elle pas fait grand bruit? Mctrodore avoue aussi, dans une de ses lettres , qu'Épicure et lui n'ont point éclaté dans le monde, mais qu'il se promet qu'après leur mort ils auront grande réputation ainsi que ceux qui voudront embrasser leurs opinions. La vertu n'est point cachée, et, si elle l'est, cela ne lui fait point de tort ; il vient toujours un temps qui la manifeste et qui la venge de la malignité de son siècle. Dn homme qui ne regarde que ceux de son temps n'est pas né pour beaucoup de monde : il viendra après nous une inûnité de peuples et d'années; c'est là qu'il faut jeter la vue. Quand nos contemporains se tairaient de nous par envie, il en viendra d'autres qui, sans faveur et sans passion, nous rendront justice. Si la vertu peut tirer quelque récompense de la gloire, elle n'en sera point frustrée; car, encore que les discours qui se font de nous après la mort ne nous louchent point, la postérité ne laissera pas de nous hono- rer, et de parler souvent de nous , sans que nous le sentions. Enfin, on ne trouvera personne en- vers qui la vertu n'ait été fort reconnaissante du- rant sa vie ou après sa mort, pourvu qu'il l'ait suivie de bonne foi , et que sans se parer ni se dé- {^uiser il se soit trouvé le même étant surpris (ju'é- tanl averti. La dissimulation ne sert do rien ; c'est un visage fardé qui trompe peu de personnes. La vérité est partout semblable 'a elle-racrae. Les fausses apparences n'ont rien de certain ni de so- lide. Aussi n'esl-il rien de plus mince que le men- songe : on voit "a travers, si on le regarde de près. EPITRE LXXX. Que l'oa a moins de soin d'exercer l'esprit que le corps. — Que la véritable liberté se pent acquérir, mais ne se saurait donner. Je suis "a moi, ce jourd'hui, mais ce n'est pas moi que j'en dois remercier, c'est plutôt le jeu du ballon ; grùce "a lui, je suis délivré des importuns. Personne n'cuire dans mon logis, persoune ne di- vertit mes pensées , et cela les rend plus fortes et plus hardies. Je n'entends point frapper si sou- vent à ma porte: il ne faut point détourner le châssis qui est 'a l'enli ce de ma chambre ; je puis aller seul, coninifi un homme qui marche sans guide et qui suit le chemin qu'il s'est frayé. Quoi! ue suis-je pas les traces de ceux qui y ont marché avant moi? Oui ; mais je me donne la liberté d'y ajouter quelque chose de iiion iiivenlion, d'y lais- ser ou d'y changer ce que je trouve "a propos ; j'ap- prouve leurs opinions , mais je ne les épouse pas. J'ai beaucoup dit, lorsque je me suis piumis un jour de silence et de solitude. Voila de grands cris qu'on fuit dans la place où l'on s'exerce 'a la course; ils n'culèvent point mou esprit, mais ils l'obli- gent 'a faire celte réflexion, qu'il y a beaucoup do gens qui exercent leur coips, et bien peu qui exercent leur esprit; que l'on court en foule 'a desspcclacles, où il n'y a uisûreléni profit, tan- dis i(ue les écoles où l'on enseigne la verlij et les bonnes mœurs r priorcs? l'iici»; sed pi r- milto mihi et iuvenirc uliquid , cl mulare, et reliaquerc. Non servio illis, sed assentio. Magnum tamen vcrbuni dixi, qui niibi silcntium pro- mittobam, et sine iuierpellatione secrelum; ecce ingens clanior ex sladio pnifertur, cl nie i;on eicutit mihi, sed in bujus ipsius reicou.cnticineni Iransfert. Cogilomecum, quam mulli corpora cxerceant, ingénia quam pauci ; quantus ad si>eclaculum non lldele et lusorium fiât con- cursm, quiinlii sit cina .irtcs bonas solitudo; quam im- becilli ;Hiim(> siii! , quorum lacerlos humerosque mira- mur. Illud maxime levnlvo niecum : si corpui perduri exercilaliune ad liane patirntiam potest, qua et pugnoi im SÉiNÈ lies coups de poing et de pied de lous ceux qui se prcseiitoiit , et à passer un jour entier au grand soleil , couvert de piiiissière et de sang, il est plus aisé de fortilier l'esprit , en sorte qu'il reçoive les coups delà fortune sans se troubler, et que, se voyant abattu et foule aux pieds , il ait encore le courage de se relever. Le corps a besoin de quan- tité do choses pour se rendre fort; mais l'esprit s'affermit, se nourrit et s'exerce de lui-même. H faut que le corps mange et boive beaucoup, qu'il se frallc d huile, qu'il s'exerce continuellement; mais la vertu s'ac.]niert sans faire aucune dépense. Vous avez donc vous-même tout ce qui peut vous rendre vertueux. De quoi avez-vous besoin pour cela? Seulement de le vouloir être. Mais , que pouvez-vous vouloir de meilleur que de vous alïrancliir de la servitude, qui est insup- porfal)le à tout le monde , et dont les plus malheu- reux esclaves, qui sont nés dans cette condition ravalée, tâchent de se défaire par toute sorte do moyens? Ils doniieut pour cela tout ce qu'ils ont épargne à force de jeûner. !\e voudrez-vous pas acqiu rir la libeité 'a quelque prix que ce soit, vous qui croyez être né libre? Pourquoi jetez-vous les yeux sur votre coffre? On ne la saurait acheter, et c'est en vain qu'on emploie ce nom de liberté dans les contrais, puisque ceux qui la vendent ne l'ont poiiit, ni par conséquent ceux qui l'achè- tenl. C'est "a vous de vous la donner ; il la faut de- mander a Vdus-même. Coiiimeiicez par vous dé- Caire de la crainte de la mort, c'est le premier joug qui nous est imposé; défaites-vous ensuite de rap[)réliension de la pauvreté, et pour vous faire connaître que ce n'est point un mal , comme QUE. chacun se l'imagine, comparez ensemble le visags d'un pauvre et d'un riche. Vous trouverez que le pauvre rit plus souvent et plus franchement; il n'a point de souci au fond du cœur; s'il lui ar- rive quelque chagrin , cela passe vite comme ua léger nuage. Mais ceux que l'on appelle heureux n'ont qu'une joie apparente, ou une tristesse qui suppure par les plaisirs , et qui est d'autant plus fâcheuse, qu'ils sont obligés, le plus souvent, de la tenir secrcle , et de faire mine d'être contents, tandis qu'ils souffrent rtiille déplaisirs qui leur rongent le cœur. Je ne saurais mieux représenter les divers étal& de la vie humaine , et ces mauvais personnages que nous y jouons, que par celte coir.paraison dont je me sers assez souvent; c'est d'un comédien, qui, marchant lièremcnt sur le théâtre, et regardant vers le ciel, dit : Je commande à la Grèce, et Pélops ra'a donné Tout ce vaste pays de mers envininné , Qui va de l'ilcllcspoiit à l'istbmc de Corialhe. Ce n'est pourtant qu'un valet à cinq boisseaux de grain et douze sous par mois. Et cet autre, si superbe, qui, tout furieux et plein de fanfaron- nade , dit: Arrête , Ménélas , ou ce bras , comme un foudre, Toml)atitdessus ton corps, le va réduire en poudre. C'est un misérable, qui n'a que sa paie par jour , et qui couche dans un grenier de louage. Vous eo pouvez dire autant de tous ces délicats qui mar- chent dans des carrosses et des litières, sur )a tête (les autres hommes; leur félicité est masquée; dé- pouillez-les de leurs ornements, vous vous en mo- querez. Quand vous voulez acheter un cheval, pariter et calées non nnius liominis ferat, f]ua solem ar- dentissimiira iii lerveutissinio pulveresusliiieus oliquis, et .siiiiRiiine siio niadcns, diein ducal; quanlo facilius ani- nius orrobonn-i pnssil, ut forluna; ictus invic.lus escipiat , ut projeclus, ul eonculc.atiis exsurgat? Cori>us enim mul lis eget rcl)us, utvaleal; auiiiius ex sb crescit, se ipse alit, se esercet. llli mulio ciho, multa polione opus est, mutto oie», longa denique iipcra; tihi coulin(;ei virlus sine apparalu, siue impensa. Quidquid facere te potost bnauni, tecum est. Quid tilii opus est ut sis lioiius? Vellei Qiiid aulcni uielius potes velle, quam eri|)ere te huic ser- vituti , qua; oiunes preinit ; quam niancipia quoquc con- dilionis extrcma?, et iu liis siir,lil)us nata, omui modo exuere conanturi Peculium suum , <|uod coniparavcruut ventre fraudato, pro capite nu.neranl; lu non concu- pisces quantieuinque ::d libertalem pervcairc, (pii in illa te putas iialum? Quid ad aicaiii ttiaui rcspicis? emi non poicst. Ila(iue in taliellas \anum coujicitur iionien liber- laiis; qu::niuoc qui euieruul JKitienl, nccqui \endiderunt. Tibi des opaitel istud biiniim , a te pelas. Libéra le prl- muni iiiein niorlis; illa uobis prinium juguin iniponit; deinds nielu paupertalis. hl vis scire quam niliil iu illa inali sil , coiupara inter se paupenim et divitntn yullus. SiPpius pauper et fldelius ridet; nulla sollicitude in alto est; etiamsi qua incidit cura , velut nubes levis transit. Iloruiii , qui feliccs vocautur, hilarilas Gcta est, aut gravis et suppurata tristilia; eo quide;ii gravier, quia interdum non iicet palara esse niiseros, sed inter xrumnas, cor i[)suni exedenles, necesse est agere felicem. Sa»pius tioc exemple mitii uttndum est; ucc enim ullo elflcacius ex- primitur hic human^E vit;e minms , qui nobis partes bas , qu:is maie agamus , assignat. Ule qui ia scena elatus in- cedit, et ba?c resupinus dicit : En impero Arçis ! régna inihi liquit Pelops, Qua Ponto al) Helles atqiie ab loaio mari Urgetur Isthmes : servus est; quinque modios accipit, etquiaqne denarios Ille qui supcrbus , atque impetens , et Gducia virium ta midus ait : Quod nisi quieris. Menelae, bac dexira occides .' dlurnum accipit, in ceutunculo dormit. Idem de istis Ii- cet (in)nibus dicas . quos , supra capita bomiuum supraque lurbam, délicates lecïica suspendit; omnium istoruni. persouatd félicitas esl. Coatemnes illos , si despoUaieri< . Eqmjin ciiipluiiis , suivi jubcs stralum ; detraliis vesti- EPITUES A LUCILIUS. em \ vous lui faites oter la selle ; vous faites quitter les liabits h un esclave pour counaitre s'il n'a point de défaut , et cejicndant vous osez juger du mérite d'uu homme que vous voyez couvert de clinquant. Il y a des marchands d'esclaves qui ont accoutumé de cacher en eux tout ce qui peut choquer la vue, ce qui fait qu'on se déDe quand ils sont ajustés; n'est-il pas vrai que, si vous leur voyiez nue jambe ou un bras bandé . vous les feriez aussitôt délier, et vous voudriez voir tout le corps a découvert? Voyez-vous ce roi des Scythes ou des Sarmat^s qui a le diadème sur le front? Si vous voulez le bien connaître, et savoir son prix véritable, dépouil- lez-le de ce bandeau, vous trouverez la-dessous bien des vices et de la sottise. Mais , sans parler des autres, si vous voulez vous examiner, mettez à part votre argent , vos maisons , vos charges , puis regardez ce que vous êtes au dedans , et ne vous en rapportez pas a ce que les autres vous en «liaient. ÉPITRE LXXXI. Qae l'oo ne doit pas s'abstenir de l)ieii faire de peur de trouver un ingrat. — Que l'on n'est pas quille pour avilir rendu le bienrail. — Qu'il est dangereux d'obli- ger extrêmement une personne. Vous VOUS plaignez d'avoir rencontre un ingrat. Si c'est le premier, vous en devez remercier la 'fortune ou votre prudence; mais, en cette occa- 'sion , la prudence ne vous servira qu'à vous em- pêcher d'être bienfaisant, si, pour éviter l'ingra- titude, vous ne faites jamais plaisir à personne; ainsi , de peur qu'un bienfait ne périsse entre les mains d'autrui , vous le laisserez périr entre les vôtres. Il vaut mieux qu'il soit mal reconnu que d'être omis. On ne laisse pas de semer après une mauvaise récolte ; il arrive souvent que la ferti- lité d'une année récompense lastérilité des autres ; et il y a tant de plaisir a trouver un homme re- connaissant, qu'il faut hasarder de faire un in- grat. Personne n'a la main si heureuse a distri- buer les grâces , qu'il n'y soit souvent trompé ; perdez-en plusieurs, il y en aura enfin une qui profitera. On s'embarqueencoreaprès le naufrage ; on ne laisse pas de prêter après une banqueroute. En vérité , on serait bientôt réduit à ne rien faiie, s'il fallait abandonner tout ce qui ne réussit i)as; au contraire, cela vous doit engager "a bien faire , car, pour venir "a bout d'une chose incertaine, il la faut tenter plus d'une fois. Mais j'ai assez discouru sur celte matière dans les livres des Bienfaits. Il vaut mieux agiter une question qui n'a pas été, ce me semble, assez éclaircie jusqu'à présent. Je demande donc si ce- lui qui m'a fait plaisir, cl m'a depuis offensé, me décharge de l'obli^iatioii tendi Vides illum Scytbis Sarnialiaeve regem, insigni capitis derornm? si vis illuni xstiniare, tolumquc scire qualis sil, fasciam soli e : niultum mali sub illa latet. Quid de aliis loqiinr ? si perpcnderc le voles , sepone pecimiam, domnni , dignilatem ; iuLiis te ipse considéra, ^iunc , qua- lis sis , aliis credis. \i.\e. EPISTOI.A LXXXI. AU GliTI ESSB DtBElllUS |]< ILLUM QUI, POSTQDtll (e:iEricica contclebàt, kociiit? Quereris incidisse te io tiomineni ingraluoi. — Si hnc nunc primum, âge aut Utvttinjs , aut diligentix lus gra- tias. Si'd uiliil facere hoc loco diligcntia potrst, nisi te malignum : nani , !>i hoc periculuni titare volucris , non dabis beneflcia ; ita, ne apud alium pereant, apud te pe- ribuDt. Non retpondcant polius , quani non dentur : et pokt malain srgeleni sereuduni est. Sape, i|ui(lqiiid pe- rierat assidna inrelicis soli sterilitate , uniui anni restituit ubertis. Est tanti , ut gratum invenias , experiri et ingra- te*. Neiiio habet tani ccrlani in bencficiis manuui , ut non sa-pc fallatiir : abci n ni , ut aliquando hareanl. l'osl uaurrag:um maria tciilanlur; f altero absolvct, et di- cel : Quamvis injuria; piasponderent, lamen beneficii» donetur , quod ex injuria siiperest. Plus nocuit? sed prius profuit I ilaqne habeatur et temporis ralio. Jam illa nia- uifestiora suut , quant ut adnioneri debeas , qua'rendu.-ii e.sse, quain libenlcr profueril, quam inviliis nneneril : qiioniani aaiuio et licucDeiaet irijuriœ cniislacl. ^lllul lie (m U V'jliinlé. Quelquefois on n"a pas dessein de faire plaisir, maison y est induit par lionleou par im- p.)rluiiito, ou par l'espérance du retour; nous de- vons recevoir les choses avec le même esprit qu'on nous les donne, et ne pas regarder la valeur du présent, mais celle de la volonté. Laissons cet exa- men à part ; deuK'urons d'accord que c'était un bienfait , et que ce qui l'a excédé est une injure; un liiimiie de bien se trompera volontairement d.ins son compte en augmentant le bienfait, et en diminuant l'injure. Un antre juge plus doux (comme je le voudrais êtie) dira qu'il faut ou- blier l'injure, et se souvenir du plaisir. Je sais bien que c'est un devoir de la justice de rendre à chacun ce qui lui appartient; au bienfait, la reconnaissanie; "a l'injure, la revanche, ou du moins le ressentiment. Mais cela se doit entendre lorsque l'im vous a fait plaisir, et que l'autre vous a l'ail injure; car, si c'est la même persoime, le plaisir efface l'injure; joint que, s'il faut pardon- neracelui qui nemuisa jamaisobligé, nous devons quelipie chose de plus que le pardon "a celui qui ne nous a offensé qu'a près nous avoir obligé. Je ne mets point l'un et l'aulre "a même prix : au contraire , je donne beaucoup plus de poids au bienfait qu'"a l'injure; mais loul le miindc ne sait pas rendre un bienfait. Un iiiuorant ou un homme de néant pourra bien se revancher d'un bienfait qu'il aura reçu, parliculièrcment quand il sera tout nou- veau ; mais il ne saura pas l'obligadon qui lui en demeure. Un sot encore, s'il est de bonne volonté, ne rendra pas autant qu'il doit, ou le rendra en sÉrsÈyuK. un temps ou en un lieu qui ne conviendra point; il jettera 'a l'aventure , et ne saura pas témoigner sa reconnaissante 'a propos. Il faut avouer qu'il y a des mots merveilleuse- ment propres pour exprimer certaines choses, et que le vieux langage nous les fait connaître par des signes efficaces qui marquent ce que nous avons "a faire. Voici comme l'on parle d'ordinaire en latin : llle illi gratiaiuretulk. Ce dernier mot veut dire, rendre volontairement ce que l'on doit h celui duquel on l'a reçu. Il n'y a que le sage qui soit capable de s'en acquitter, et de mettre un jusie prix à toutes choses ; il considérera le plaisir qu'il aura reçu , et de qui il l'aura reçu , le temps, le lien , la manière. Voila pourquoi nous disons qu'il n'y a proprement que le sage qui sache re- connaîlre un bienfait, comme il n'y a que lui qui le sache conférer, parce qu'il est plus aise de don- ner, qu'un autre ne l'est de recevoir. Quelqu'un pourra dire que j'avance ici des choses qui sont contre l'opinion commune, ce que les Grecs ap- pellent paradoxes, et que, s'il est vrai qu'il n'y a que le sage qui sache reconnaître un bienfait, il n'y a iloiic que lui qui sache payer 'a un créancier ce (ju'ii lui doit , et à un marchand le prix de ce qu'on lui a vendu. Mais, afin que l'on n'impute rien aux Sloîciens, sachez qu'Epicure dit la même chose; au moins Métrodore dit qu'il n'y a que le sage qui sache rendre un bienfait. Il s'étonne en- suite que nous disions qu'il n'y a que le sage qui sache aimer et qui mérite le nom d'ami : comme si ce n'était pas une action d'amour et d'amitié iieRcium ilnre : viclus sum aiit verpcundia , aut instantis pertinacia , aut .spe. Eo animo qnidque debetur, quo da- tiir; nec , qu:inluni sit, sed a quali profectum volunlate, peipendiliir. Nuac conjectura tollatur. Et illud benefî- ciuinruit; et boc, quod niodum beDtficii prioris exces- sit. injurii est. Vir bonus utrosque caleulos sic poiiil , ut si^ipse circuMiscriliat; l)euclicio adjicit , injuriie deniit : aller ille rcinissior juden , qnem esse me nialo, injuria- olilivisci delwbit , officii iiicminiKX.-. — Hoc cerle , iuquil , jubtitiie conicnit, suum cuique rcddere, beiicficio gra- tiani , injuria; talioneni , aut cerle nialam graliani. — Ve- ruin erit istud , quum alius iiijuriam fecerit, alius bene- dciuni dedeiit : nani , si idem est, benelicio vis injuria' extiiifîHitur. IS'ani cui , eliamsi mérita non aniecessisseni, oportebat iguosci , po4 bénéficia la?denli plusquara venia del)elur. Pion pono utiique par pretium : pluiis œslinio l)en(ficiimi , quam injuriam. ISon omnes grati deliere sciunt t)eneficium : potest etiam imprudeus , et rudis , et unus e iurlia , ulique d(U)i pnipe est ab accepto; ignorât auteiu , quanlcini del)eat : uni Sapieuli notum est, quanti les i|ua'que taxanda .sit. Piam ille, de qiio loquebar modo, stultus , eliamsi borne voluntatis est, aut minus quam dé- bet, aul tempore, aut, quo non deliet, loco reddit; id quod référendum est , cffundit atque abjicit. .Mira in (piibusdani rébus verlwrum proprielas est ; et consneiudo sermonis antiqui quaedam efOcacissimis , et officia docentibus nulis signât. Sic cerie solemus loqui : « llle illi gratiam retulit. » Referre , est ultro , quod de- beas , alferre. ÎSon dieimns gratiam reddidit : rcddunl enim, et qui reposcuutur, et qui iuviii , et qui ubilit>et, et qui per alium. ISon dicimus reposuit beneficium, aut solvil : uullum nubis placuit, quod a-ri alienu convenit, verbum. Referre , est ad euin , a quo acceperis, ferre : ha'c TOI significat voluntariam relatroueni : qui retulit, ipse se appellavit. Sapiens omnia examinabit secum : quantum accepcril, a quo, quaudo,ubi,queraadmoduui. Ilaque negamus, queuiquam scire graliam referre, nisi sapii'ntera : non magis quam beneficium dare quisquani scit , nisi sapiens ; hic scilicet , qui niagis dato gaudet , quam alius accepto. Hoc aliquis inter illa numéral, quae videmur inopinala omnil)us dicere {^xpàioXx Graeci vocant), était: Nerao ergo scil prjBter sapientem referre gratiam? ergo nec, quod débet creditori suo , reponere quisquam scit alius ? nec, quum émit aliquam rem , prelinm venditori persol- vere? — Ne nobis fiât invidia , scilo idem dicere Epicu' rum. Metrodorus cerle ait, • solum sapieutem referre gratiam scire. > Deinde idem admiratur, quum dicinins : « Solus sapiens scit amare; solus sapiens amirus est. » Atqni et amoris, et aoiiciliae pars est, refenc gratiam ; EPURES A LUCILIUS. 697 que de reconnaître un bienfait , de quoi plus de gens sont capables que de la véritable amitié. Il s'étonne encore que nous disions que la foi ne se trouve que dans le sage, comme s'il ne le disait pas lui-même. Mais est-ce avoir de la bonne foi que de ne pas vouloir rendre un bienfait ? Que l'on cesse donc de nous décrier, comme si nous mettions en avant des choses qui fussent hors de toute créance. Que l'on apprenne que le sage seul possède la vertu en effet , et que le vulgaire n'en a que l'ombre et les apparences. Il est vrai qu'il n'y a que le sage qui sache s'acquitter d'un bienfait; mais que les autres s'en acquittent comme ils pourront, et qu'ils montrent qu'ils manquent plutôt de science que de volonté ; car on n'apprend à personne 'a vouloir. Le sage fera examen de toutes choses, parce que le temps, le lieu et le motif peuvent rendre un même bienfait plus ou moins considérable. Il arrive quelquefois que cent écus donnés à propos font plus de bien que tout l'ar- gent que l'on aurait versé à pleines mains dans un autre temps ; car il y a différence entre donner, ou secourir, agrandir ou sauver; souvent ce que l'on donne est peu du chose , mais la suite en est importante. Quelle distinction mettez-vous entre recevoir d'autrui afiu de donner, ou bien, retirer d'autrui pour donner encore? Mais, sans rebaltre des difficultés que nous avons assez curieusement examinées, si l'on vient a balancer un bienfait contre une injure, un homme de bien doit, en gardant l'équité, pencher toujours du côté du bien- fait. Dans ces occasions , il doit principalement mettre en considération la qualité des personnes. Vous m'avez obligé en la personne de mon servi- teur ; vous m'avez conservé mon Ois ; mais vous m'avez ôté mon père. Il observera ensuite les au- tres circonstances, comme il se fait quand on met deux choses en comparaison ; et s'il ne s'en faut guère de l'un "a l'autre, il dissimulera. Que si la différence se trouve grande, il pardonnera s'il le peut faire sans blesser la piété , ni sa foi , je veux dire si l'injure ne louche que lui seul. En un mot, il se rendra facile dans cet échange. Il vou'ira bien qu'on lui compte plus qu'il ne doit ; il aura regret de s'acquitter d'un bienfait par compensation d'une injure; il aura plus de penchant 'a se trouver re- devable et 'a se vouloir acquitter. C'est un défaut d'aimer mieux recevoir que ren- dre un bienfait. Comme l'on s'acquitte plus vo- lontiers que l'on n'emprunte , on doit être aussi plus aise de se décharger d'une obligation que de s'en charger. Les ingrats se trompent en ceci, qu'en- core qu'ils rendent à leurs créanciers quelque chose au-delà du principal, ils ne croient pas qu'un bienfait doive porter du proût; et cependant on en doit l'intérêt, puisqu'il faut rendre d'autant plus que l'on tarde à le rendre. Car c'est une ingrati- tude de ne rendre qu'autant que l'on a reçu. Cela doitentrerenlignedecomplequand on comparela recette avec la mise. Enfin, il faut faire tout ce qui nous est (wssible pour augmenter notre gratitude. C'est un bien qui est tout à nous, et d'une autre manière que n'est la justice, laquelle, au sentiment du vulgaire, ne regarde que l'intérêt d'autrui. La meilleure partie du bienfait retourne à son auteur, qui se fait du bien lorsqu'il en fait à un autre. imo hoc magij vulgare est , et in plures cadit , quam vera amicilia. Deinde idem adiniralur, quod dicimus, « ndtni niii in sapieote noo esse ; • tanquaiii nou ipse idem dicat. Ad libi videlur Qdem babere , qui rererre graliam nescit. Desioant itaque iuramare nos,taiiquam incredibilia jac- taotes ; et sciant , apu^i Sapientem esse ipsa honesia , apud Tulgum simiitacra rerum hoDe>tarum el effigies. IVemo referre graliani scit , nisi sapiens : stultus quoque , Btcumque sit et quemadmndum potest , referai ; scientia iUi |>oliiu, quam voluatas desit. Velle non discilur. Sa- piens ioter se omoia coniparaltit : majus enim aut minus fit I quamvis idem sit ) tempore , loco , causa. Saepe enim lioc non potuere diiitix in domum infu&a; , quod opportune dati mille deoarii. Jlultum enim interest, do- naveris, an succurreris; serraverit illum lua liberalilas, an instnixerit. Ssepe , quod datur, eiignum est ; quod se- quiliir ei eo , magmim. Quantum aulem eiistimas inler- rsse , uiruni aliquis de arca , quod prsstaret, sumpserit, an l>encficium acceperit , ut daret? Sed ne in eadem, qua; satis scrulati sumus, rcvolra- niur ; in bac comparatione t)encf!cii et injurias vir Imnus .judiiabit quidem , quod erit asquissimum ; scd bcneficio laTcl)it : in banc erit partem procliTior. Plurimum autem Boinenli persona soict afferre io rebiu ejusraodi. Dediili mibi l)enefîcium in scrvo; injuriam fecisli in pâtre; ser. vasti mihi lllium , sed patrem abstniisli. Alla deinceps , ppr qua; procedit omnis collatio , proscquetur : et , si pu- slilam erit , quod intersit , dissimulabit : etiam , si multum fuerit, sed si id donari salva pietate ac flde poterit, re- mittrt , id est , si ad ipsum Iota peninebit injuria. Sunmiu rci haec est : facilis erit in commutando; patietur plus imputari sibi. luvitus bcneficium per compensa tioneni injurlae soWet : in banc partem inclinablt, hue verget, ut cupiat del)crc gratiam , cupiat referrc. Errât enim , si quis beneficium accipit libcntiiis, quam reddil. Quanto bilarior est qui solvit qnam qui mutuatur, tanto débet la:- tior esse qui se maiimo aerc alieno nccepti l)enelicii exo- nérât, quam qui quum maxime ol)llgalur. Nam in boc quoque fallunlur ingrati , quod creditori quidem , prxter sortem, extra ordincm numerant; beneflciorum aulem nsnm esse gratuitum pulant. Et illa cresrunt mora ; tan- toqne plus solvendum est , quanto tardius. Ingratus est , qui beneficium reddit sine usura. Itaque hujus quoque rei tiat)el)ilur ratio, quura confcrentur accepta eteipensa. Oœnia facienda sont, ut quam gralissimi simus; nos- trum enim hoc bonum est : qucmadmoduni justitia non est, ut vulgo creditur, ad alios pertinens; maxima pars ejus io se redit. Nema non, quum alteri prodest, sibf 09K Je n'entends pas qu'on prête assistance après qu'on l'aura reçue, et que l'on protège après avoir élc protégé , à cause que le bon exemple profite, comme le mauvais nuit d'ordinaire "a celui qui en est l'auteur, et que l'on ne plaint point une per- sonne qui, en faisant une injure, a montré le chemin de la lui rendre. Mais j'entends que l'on prévienne et qu'on oblige sans autre vue, parce que toutes les vertus ont leur récompense en elles- mêmes. On ne les exerce pas pour le bien ; le sa- laire d'une bonne action est de l'avoir faite. Je serai reconnaissant non pas afin qu'un autre se porte plus aisément à m'obliger, voyant que je suis d'humeur à m'en ressentir, mais pour faire une aciion qui me semble belle et Irès-agréable. Je serai reconnaissant, non parce qu'il est expé- dient de l'être, mais parce que j'y prends plaisir; jCt pour vous le témoigner, si je ne puis être re- connaissant sans paraître ingrat, si je ne puis rendre un bienfait, qu'on ne croie que je fasse une injure, je prendrai de bon cœur le parti de la vertu au péril de ma réputation. Car enlin, per- sonne, à mon avis, ne peut avoir plus d'estime et d'affection pour la vertu, que celui qui , pour se conserver la qualité d'homme de bien , se ré- sout d'en perdre la réputation. J'ai donc eu raison de dire que la gratitude vous était plus avanta- geuse qu'à voire bienfaiteur : car il ne reçoit que ce qu'il avait donné, ce qui est assez vulgaire et commun; mais vous faites une action qui n'ap- partient qu "a une âme qui est dans un état très- heureux, de vous être montré recoimaissant. Si le vice rend les hommes misérables , si la ver- tu fait tout leur bonheur, et que la gratitude soit SÉNËQUE. une vertu, pour une chose vulgaire que tous avez rendue , vous en gagnerez une autre qui est d'un prix inestimable. C'est l'habitude de reconnaître un bienfait qui ne se forme que dans un esprit bien né et vraiment divin. Une disposition con- traire est toujours accompagnée de disgrâces et de déplaisirs. Il n'y a point d'ingrat qui ne de- vienne misérable ; mais je ne lui donne point de temps, il l'est déjà. Empêchons-nous donc d'être ingrats , non pour l'intérêt d'autrui , mais pour le nôtre. Ce qu'il y a de moins dangereux dans une mauvaise aciion rejaillit sur les autres; mais le plusnoir, et, pour ainsi dire, le plus épais demeure chez nous pour nous tourii;enter. C'est ce qui a fait dire 'a Âllalus que la malice avale la plus grande partie de son venin. Les serpents qui jet- tent leur venin sur autrui n'en sont point incoiii- modés. Celui-ci n'est pas de même ; il est perni- cieux "a ceux qui le portent. L'ingrat se tourmente, il se travaille; et parce qu'il faut rendre les grâces qu'il a reçues, il les hait et les mésestime. Au contraire , il exajjère et grossit les injures. Mais qu'y a-t-il de plus malheureux qu'un homme qui oublie les bienfaits et qui se ressouvient des inju- res';• La sagesse, par une conduite opposée, vaule toujours les grâces qu'elle reçoit; elle se les rei:d considérables, et prend plaisir d'en parler sou- vent. Les ingrats n'ont qu'un seul plaisir, qui est bien court : c'est au moment qu'ils reçoivent le bienfait ; au lieu que le sage s'en réjouit longtemps et toute sa vie. Sa satisfaction n'est pas de rece- voir, mais d'avoir reçu , ce qui est perpétuel et dure toujours. Si on lui fait quelque insulte, il n'en tient point de compte, l'oublie même, noa profuit. Non eo Domine dico, quod volet adjuvare adju- tus, pnitcgere defensus, quod bonum cxeniplum circuilu ad facientem reTerlUur; sicut nial.i exempta recidunt in auctori's, nec ulla miseratio contingit his qui patlunlur injurii;s, quas posse fieri, faciendo dncueruiit : sed qund virtutiiiii omnium prelium in ipsis est. Non enim cxer- centur ad pra'iiiiuni : recte facti , fecisse merces est. Gra- tus snin , non nt alius milii libentius pra>stet, priori irri- latus exempt,) , sed ut rem jucundissimam ac pulctierri- inam fiioiam. (iratus sum , non quia expedit, sed quia )urat. IIiic ut scias ita esse : si gratum esse non ticebit, iiisi ut viilear ingjalus; si reddere beneficlum nou atiter quara per spccieni injuria; potero; «'(juissimo aniino ad honeslum cousitiura, per mediam infamiam, lendam. ISemo mihi videtnr pluris œstimare \irlulcni , nenio illi magis esse dévolus, quam qui boni viri faniam perdidit, ne constienliani perdent. Ilaque, ut dixi, majore tno, quam allerius liono, gratus es. Itli enim vulgaris et quo- tidiana les contigit , recipere quod dederal; tibi magna , tt ex heatissimo animi statu profecta , gratum fuisse. Kam ri malitia miscros facit , virtus bcatos , gratum auleni esse wlus est, rem usitatain reddidisli, iuiislimabilcm con- seqnutus es, conscientiam grati; qux, nisi in aDlmum divinum forlunatumque , non perrenit. In conlrarium autem buic affectum summa iofelicilas urget. Nenio, si iugralus est, non miser erit: non diffènr illum, stalini miser est. Itaque ingrati esse vitemus, noa aliéna causa, sed no),tra. Minimum ei neijuitia levissi- mumque ad atios reduudat; quod pessimum ex illa est, et ( ut ita dicam | spississimum , domi remanet , et premit babeulem : quemadmodum Attalusnosterdiceresolebal: « Malitia ipsa luaiiuam partero veneoi sui bibit. > Illud venenuiu , quod serpentes in alienam perniciem prore- runl , sine sua continent, non est buic simile; hoc bai beutibus pessimum es:. Turque! ingratus se, et macérât; odit quas accepit , quia reddimrus est , et exteouat ; inju- rias \ ero dilatât atque auget. Quid autem eo miserius , cai bénéficia excidunt, ba'rent iuJuHx? M contra sapieo- tia exornat omne beneficium ac sibi ipsa conimendat, et se assidua ejus commeinoratione détectât. Malis uoa vo- luptas est, et ha'c brevis, dum accipiuut l>eDeficiat ex quibus sapienti longum gaudium manet ac perenne. Non enim itluiu accipere, sed accepisse détectât ; quod immor- tale est et assiduum. I>U coutemnit, quibui Icsus ett, EPITRIiS A LUCILIUS. 699 par négligence , mais volontairement. Il ne prend jamais les choses au pis. Il n'impute a personne les mauvais événements, et croit que c'est la faute de la fortune plutôt que celle des hommes. Il n'in- terprète point sinistremcnt ni les paroles ni les mines; au contraire, il adoucit, par une expli- cation favorable, ce qu'il y pourrait avoir de cho- quant, et ne se souvient pas plutôt de l'offense que du bienfait. Il s'arrête autant qu'il lui est possible aux premières et meilleures impressions qu'il trouve dans sa mémoire , et ne change point de volonté pour les personnes qui l'ont obligé, si elles ne l'ont desservi beaucoup davantage, et qu'il n'y ait un péril évident de le vouloir dissi- muler. Alors encore, il se montre tel qu'il était avant l'obligation effacée par une plus grande in- jure : car, quand l'offense ne surpa.sse point le bienfait, il lui reste encore de l'amitié. Comme le criminel est absous quand le nombre des voii est égal, et que dans les choses douteuses l'humanité veut que l'on penche toujours du côté le plus doux ; ainsi le sage, quand l'injure se trouve pa- reille au plaisir, voit bien qu'il est quitte, mais il voudrait ne le pas être, et ressemble à ceux qui veu- lent payer leurs dettes nonobstant une décharge. Or, l'on ne peut être véritablement reconnais- sant, il moins que de mépriser ces sortes de biens qui font la folie la plus ordinaire des hommes. Qucl|ucfi)is, pour rendre un bienfait, vous serez obligé d'aller en exil, de verser vutre sang, de perdre votre fortune, de souffrir quelque déchet en voire honneur, et de voir votre réputation exposée a de faux bruits ; tant il est vrai que la Çralitude est une chose qui coûte cher. Il n'y a nec ohliviscilur per ne|;ligentiani , sed volens. Non ver- Itt omoia in pejus , nec quirrit cui imputel casuni , et pcccnia homiaum ad fortUDdin polius refert. Non ca- hunnialur verba, nec vullus; quidquid accidit, bénigne jnterpretando levai ; non oITensfe polius , quam Ijenodcii ineniinil. Qnan:nni polest, in priorcacmclioresenipmo- rfa (letinet; nec mutât animum ad?ersu$ bene inerilos, nU multum maie facta prxcedunt , et maniteslum eliani CODniienti discrimen est : tune quoque in lioc duntaxat, nt lalis sit post iiiajorein injuriam , qualis ante bcneGcium. Itain quuni l>cneflcio par est injuria , aliquid in animo b«neTolenlia? remanet. Qaemadmodum reus senlentiis parilms absolvitur, et scmper, quidquid dubium est, bnmanitas inclinât in mclius; sic animus sapientis , ubi paria inaleficiis mérita snut , desinet quidem debere , sed pon desinet Telle debere; et hoc facit, quod qui post ta- bulas novas solvant. Nemo autem gratu» esse potest, nisi contempserit ista, propter quae vnigus insanit. Si referre vis graliara , et in •uilium eundum est , et elTuodendus sanguis , et susci- jrfenda egestas , et ipsa innocentia «œpe maculauda, in- dignisque objicienda rumoribus. Non parvo sibi constat domo gnitiu. Nihil carius aestimamus , quam bcneflcium rien que nous estimions davantage qu'un bienfait tandis que nous le sollicitons , ni que nous esti- mions moins après que nous lavons reçu. Voulez- vous savoir ce qui nous fait oublier un plaisir? C'est l'envie d'en recevoir un autre ; nous ne son- geons plus à ce que nous avons obtenu, mais à ce que nous voulons obtenir. En vérité , les ri- chesses, les honneurs, l'autorité, et toutes les choses qui n'ont autre valeur que celle que nous leur donnons, nous détournent du chemin de la vertu. Nous ne les savons pas estimer, parce que nous écoutons plutôt le bruit commun que la voix de la nature. Elles n'ont rien qui nous attire que la coutume que nous avons de les admirer. On ne les estime pas à cause qu'elles sont désirables; mais on les désire à cause qu'elles sont estimées. Et comme l'erreur des particuliers a fait autrefois l'erreur générale, aujourd'hui Terreur générale f.iit celle des particuliers. Mais puisqu'en cela nous suivons l'opinion commune , suivons-la de même en ce point-ci , qu'il n'y a rien de plus honnête que la reconnaissance; c'est ce que toutes les villes et les nations les plus barbares publient à haute voix ; c'est de quoi les bons et les méchants de- meurent d'accord ensemble. Vous en trouverex qui aimeront les plaisirs, d'autres qui préféreront le travail ; l'un dira que la douleur est un grand mal, l'autre tiendra que ce n'est pas même une incommodité; celni-ci dira que l'on ne peut être heureux .sans être riche; celui-là vous assurera que les richesses sont cause de la perle du genre humain, et qu'il n'est point d'homme plus riche que celui 'a qui la fortune ne saurait rien donner. Parmi tant de divers sentiments, tout le monde, quamdiu petimus ; nihil vilius , quum accepiinus. Quaeris quid sit, qund oblivionem acceptorum nnbis faciat? Cu- pidiias accipiendorum. Cogitamus , non quid inipetratum , sed quid iinpelnuiduni sit. Absiratmnt a recto divitiae , bonoiTs , polcntia , et caitcra , qua; opiuioue nosira cara sunt, pretio suo vilia. Nesciinus astimare res de quibus non cuni fama , sed cuin reruin natura deliberaniluni est. Nihil bal>ent ista niagoilicuni, quo mentes in se nostra» Irahanl, praïler bue, quod niirari illa consuevinius. Non enim, quia concupiscenda sunt, laudantur; sed concu- piscunlur, quia jaudala sunt : et, quum singulorum error publicum fecerit, siugulorum errorem facit publi- cus. Sed quemadmudum illa credimus , sic et hoc fidei po- puli credauius, uihil esse grato animo boncstius. Omnes hoc urbes, omnes cliam ex barbaris regionibus génies conclamabuut; in hoc bonis malisque conveniet. Erunt qui voluplales laudent; crunt qui laborcs malint; eruat qui dolorem maximum malum dicant ; erunt qui ne ma- ium quidem appelleift. DIvitias aliquis ad summum bo- uum admiltet ; alius illas dicet malo bumanae vita; reper- tas; nihil esse eo locupletius, cui, quod donet, fortuna non iareuit. In tanta judiciorum diversitate, referendaia bene inereotibus gratiam , omnes iiuo tibi , quod aiunt ^ 700 SÉNÈQUK d'une commune voix, vous dira qu'il faut rendre le plaisir. Les plus discordants s'accordent en ce point , et cependant nous ne laissons pas de rendre le mal pour le bien. Ce qui arrive principalement quand l'obligation est si grande qu'on ne saurait s'en acquitler. D'où vient qu'il est dangereux d'o- bliger beaucoup une personne; car ayant honte de ne rendre point, elle voudrait, pour être quitte, que celui qui l'a obligée ne fût plus au monde. Gardez, je vous prie, ce que je vous ai donné; je ne le demande pas, je ne vous parle point de me le rendre. Que je sois au moins en sûreté après vous avoir fait du bien. Certainement il n'y a point de si forle haine que celle d'un homme qui est honteux d'avoir outragé celui qui l'avait obligé. EPITRE LXXXII. Que l'on ne peut conserver le repos sans le secours de la philosophie. — Qub la \ertu reud glorieuses les choses qui sont iodifférenles. — Que les arguments des so- phistes sont propres pour surprendre et non pour per- suader. Je commence ii n'être plus en peine de vous ; mais vous me dites : Qui vous en a répondu? C'est une caution qui n'a jamais trompé personne; j'entends voire esprit qui est devenu passionné de la vertu. La meilleure partie de vous-même est en sûreté. Je sais bien que la fortune peut encore vous faire injure; mais l'importance est que vous ne sauriez plus vous en faire. Suivez votre che- min et continuez cette vie douce que vous avez commencée, pourvu qu'il n'y ait point de mol- lesse; car j'aimerais mieux ôlrc mal; prenez ce mot de mal au sens que le peuple a accoulnmé de lui donner, c'est-à-dire vivre avec incommodité et avec peine. Quand on parle de la vie des person- nes que l'on n'aime pas, on dit d'ordinaire : Il vit mollement, pour dire il ne vaut rien ; car l'esprit s'affaiblit insensiblement dans le repos et se relâ- che dans l'oisiveté. Ne serait-il pas plus honnête 'a un homme de cœur de s'endurcir à la fatigue? Outre que les délicats appréhendent toujours la mort, quoique leur vie en ait toute la ressemblance; mais il y a grande différence de se reposer ou de s'ensevelir. Vous me direz : — Ne vaut-il pas mieux se reposer de quelque manière que ce soit, que d'être continuellement agité par le tracas des af- faires?— Il est également dangereux que les nerfs se retirent ou qu'ils se relâchent ; et l'on est aussi bien mort quand on est étouffé par les parfums que quand on est traîné dans la fange. Le repos sans l'étude est une espèce de mort qui met un homme tout vivant au tombeau. Car enDnde quoi sert-il de se retirer puisque nos in- quiétudes passent les mers avec nous? Quel antre y a-t-il de si reculé où la crainte de la mort ne trouve entrée? Quelle vie si sûre et si tranquille qui ne soit troublée par la douleur? En quelque lieu que tu te caches, les maux de la vie humaine viendront te donner l'alarme: car il y a bien des choses autour de nous qui nous séduisent ou qui nous traversent. Il y en a bien au-dedans qui se soulèvent au milieu même de la solitude. Il nous faut munir de philosophie : c'est un rempart que la fortune avec toutes ses machines ne saurait abattre. Un homme en quittant les affaires se met hors de toute sorte d'atteinte : son élévation le ore affirmabunt ; in hoc tam discors lurba conscntiet, (jnuin intérim injurias pro benelîciis reddiraus. Et prima causa est, cur quis ingratus sit, si satis gralus esse non p ilnit. Eo perductus est furor, ut periculosissima res sit henelicia in aliqnem magna conferre ; nam, quia putat turpc non redderre, non Tult esse, oui reddat.Tibi habe, c|U()d accepisti ; non repeto , non eîigo : profuisse tutum sit. Nullum est odium perniciosius, quam ex beneficii vio- lati pudore. Vale. EPISTOLA LXXXII. CONTBi MOIXITIEM ; DE1NDE COiyTBi DliLECTICOlIUM ABGUTIAS. Dcsii jam de te esse sollidlus. — Quem , incinis , Deo- rum sponsorem accepisti ? — Eura scilicet , qui nemincm fiillit, animum recti ac boni amatorem. In tuto pars tui melior est. Potest forluna tibi injuijjam faccre : quod ad rem magis perlinet, non limeo ne tu facias tibi. I qua eœpisti ; et in isto le vitae habllu compoue , placide , non moUiler. Maie mihi esse malo, quam molliter. Maie nunc sic accipe, quemadmodum a populo solet dici, dure, aspcie , laboi iose .\udire solcnnis sic qiiorunidani vitam laudari , quibus invidetur : Molliter vivit ! hoc di- cunt, malus est! Paulatim enim effeminatur animiis , at- que in similitudinem otii sui et pigritiae, in qua jacet,. solvilur. Quid ergo? viro nou vei obrigescere satins est? Deinde delic;iti liment mortem , oui vitam suam (ecere similem. Multuni inlerest inter otium , et conditivum. — Quid crgo? inquis : non satins est vel sic jacere , quam istis officiorum vorticibus volutari ? — Utraqueres letalis est, et conlractio , et torpor. Puto, aeque , qui in odori- bus jacet, mortuus est, quam qui rapilur unco. Otium sine litleris mors est , et bomiuis vivi sepultura. Quid de- uique prodesl secessissc? tauquam non Irans maria nos sollicitudinum causie prosequantur. Quae latebra est, in quam non intret nietus morlis? quaa tam munita, et in altum subducta vitae quies , quam non dolor territett Quocumque te abdideris, mala humana circumstrepcnt. Multa extra sunt, qua: circumeunt nos, quo aul fallant» aut urgeant; multa intus, quae in média solitudine exxfr tuant. Philosophia circumdanda est , ineipugnabilis muras . quem forlnna mullis niachinis lacessitum non transit. In- supcrabili loco stat animus, qui eiterna deseruit, et arc» EPITRES A LUCILIUS. 7(M garantit, et ii voit tomber sous ses pieds les traits qu'on lui décoehe. La fortune n'a pas les mains si longues que nous pensons ; elle n'attrape que ceux qui s'approchent trop près d'elle. Retirons-nous- en donc le plus loin que nous pourrons; mais nous avons besoin pour cela de la connaissance de nous- mêmes et de celle de la nature. Il faut savoir où nous devons aller, d'où nous sommes sortis, ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce que l'on doit rechercher, ce que l'on doitéviler; quelle est cette raison qui fait le discernement dos choses qui sont 'a désirer ou 'a fuir, qui fait adoucir la crainte et modérer la cupidité. Il y en a qui se vantent de venir 'a bout de tout cela, sans le secours de la philosophie ; mais quand ils sont mis 'a l'épreuve par quelque disgrâce, ils sont contraints d'avouer leur faiblesse, mais trop lard. Quand le bourreau leur prend la main , quand la mort se présente "a eux , il n'y a plus de constance ni de fermeté. On leur pourrait dire : Il vous était bien aisé de déûcr le mal tandis qu'il était loin de vous. Voici celle douleur que vous disiez qui clait si facile a su|iporler; voici cette mort contre laquelle vous parliez avec tant de courage; on enieud claquer les fouets, on voit re- luire le coutelas : C'est h ce coup qu'il fnut olre sans peur. Et Taire loir de la force et du cœur. Ce sera par une continuelle niédilalion que vous acquerrez cette fefnielii; ce sera par l'exer- cice de l'esprit et non point par le choix des paro- les ; ce sera enliu par une préparation sérieuse 'a la mort. Ne vous imaginez pas que ces vaines futi- lités, par lesquelles ou prouve que la mort n'est point un mal, vous puissent rendre plus résolu. Je ne saurais, mon cher Lucile, m' empêcher en cet cudroit de rire des sottises des Grecs, que je n'ai pas encore oubliées quoique je les improiive extrêmement. Voici Targuinent que fit Zenon : « Il n'y a point de mal qui soit glorieux ; or, est-il quiil- lurn maluni gloriosum e>t ; mors autem gloriosa est ; mors ergo non est maluiu. • Profccistil liberalus sum metu; posl ha-c non dubitabo porrigere cervicem ! IS'oa vis severius loqul , nec morituro risum movere ? Non nsc- hercule facile tibi dlxerini, utrum iue|)tior fuerit, qui su bac iutcirogalione judicaïil mortis metuni eitinguere, an qui boc, tanquain ad reni pcrtinerel , conalus est s(i|: verc. Nam et ipseinlerrogationcm conirariain opposuil , ex co nalam, quod mortem iuter indiflerenlia piininins , qiia; dd augendam ejus infamiam ; descriptus est car- eer inférons , el perpétua noctc oppres-sa regio . in qua iagens jaoitor Orci, Osta super reciiluns antro semeu cruento , jEtemam Utrans exsangues territat umbras. Sed , etiani qnuni pcrsuascris istas fabulas esse , née quidquam defuuctis superesse quod tinieant , subit alius ipetns : xque rnim timent , ne apn illis , tolvere malini et expamlere , ut persuadeam , non ut imponam In aciem eilnclurus exercilum, pro conju- gibus ac liberis moricni obitnrum , quomndo exliortabi- tnr? Do libi Fabios , lo!nm rcipublicae bcllum in unam tinnsfoe.'ilcs domum. Laconas tibi ostendo, in ipgis 704 SEKE vaincre ni de pouvoir ccliappcr; il était assuré qu'ils y mourraient. Que leur eussiez-vous dit pour les animera recevoir sur leurs bras les ruines qui devaient accabler toute leur nation, et aban- donner plutôt leur vie que leur poste? Vous leur eussiez dit peut-être qu'une chose mauvaise n'est point glorieuse, que la mort est glorieuse, et partant que la mort n'est point mauvaise. 0 la belle harangue! Apres cela y a-t-il personne qui craigne de passer au travers des ennemis et qui ne veuille mourir en combattant? Mais Lconidas leur parla bien avec une autre force. « Dînez, dit- il , mes compagnons , comme si vous deviez sou- per en l'autre monde. » Ils n'en mangèrent pas moins vite, la viande ne leur tomba point des mains, et ne leur demeura point entre les dents; ils allèrent gaîment 'a ce dîner et h ce souper. Que dites-vous de ce capitaine romain, leijuel envoyant des soldats au travers de larmee ennemie pour se saisir d'un poste avantageux, leur parla de la sorte : « Il faut aller Va, mes compagnons : il n'est pas si nécessaire d'en revenir. » Vous voyez comme les paroles de la vertu sont simples et absolues. Où est l'homme que nos sub- tilités aient rendu plus ferme et pins courageux ? Elles amollissent le cœur, elles le resserrent, et le ravalent à des bagatelles épineuses, lorsqu'il faut lui donner le large et le porter à quelque chose de grand. Ce n'est point h trois cents soldais; mais c'est à tout le monde qu'il faut ôier la crainte de la mort. Comment vous y preudrez-vous? Comment ferez-vous voir que la mort n'est pas un mal? Renverserez-vous une opinion qui a des siècles pour garants, et qui s'insinue dès l'eu- QL'E. fancc? Quel remède y Irouvcrez-vous? Que dirci- vous "a la- faiblesse des hommes? Par quels raison- nements pourrez-vous les échauffer en sorte qu'ils se jettent au milieu des périls? Par quelle élo- quence détruirez-vous cette crainte qui est si uni- verselle? Par quelle force d'esprit pourrez-vous convertir tous les peuples de la terre, qui sont persuadés du contraire de ce que vous dites? Vous ajustez des paroles ambiguës, et vous me voulez attraper par la conséquence de plusieurs petites demandes. Songez qu'il faut de fortes armes pour abattre de grands monstres. Ce fut en vain que l'on attaqua à coups de dards et de frondes ce cruel serpent qui infectait toute l'Afrique , et que les légions romaines appréhendaient plus que les ennemis mêmes. Le serpent Python était invulné- rable ; et parce que la dureté de sa peau , qui ré- pondaii a l'énorme grandeur de son corps, re- poussait le fer , et tout ce qu'on lui jetait , il fal- lut des meules pour l'assommer. Et vous dardez des fœtus contre la mort! Vous attendez un lion avec une alêne. Ce que vous dites a de la pointe véritablement, mais un épi en a davantage. Enfin, il y a des choses si déliées qu'elles n'ont point de force et qu"on ne peut s'en servir. EPITRE LXXXIII. Que Dieu coanait toutes choses, et qu'il est préseat dans notre àme. — Description de l'ivrognerie et de ses dé- fauts. Vous voulez que je vous rende compte de ce que je fais tous les jours et toute la journée. Vous avez bonne opinion de moi, si vous croyez que je Tliermopylarura angusliis posilos : nec Tictoriam spe- rant, ucc reditum; ille locus illis sepulcrum futurus esL Qucinadraoduni exhortaris, ut totiu.s gentis ruinani objectis corporibus excipiant , et vita poilus, qiiaiii loco, cédant? Dices? « Quod nialuni est, gloriosiim non est; mors gloriosa est ; mors ergo non malum. » O cfficiicem ' concioncml Quis post liane dubilct se infestis ingerei-e mucronibus, et stans mori? At ille Lcojiidas ijuam for- titer illos alloculus est! «Sic, inqnil, cnmniilittines, prandete , tanquam apud inleros cœnaluri I « Non in ore crcvil cilnis, non harsit in faucibiis, non clapsus est nia- nibus ; alacrf s illi et ad pp andinm promiserunt , et ad cœnam. Qind?Dux ille lU manus, qui ad occupandum loeura milites misses , quum per iugenlem liostinin oxer- ciluni iluri essent, sic alloculus est: » Ire , comniilito- ncs , ilio necesse est , uude redire non necesse. » Vides quam simples et imperiosa virtus sit. Quem morlalium circunisi liptiones vesti œ forliorem facerc , queni crec- tiorem possunt? Frangunt animum , qui nunquiim mi- nus coiitrahendus est , et in minuta ac spinosa cogendus, quam quum aliquid grande toraponilur. Non trecentis, sed omnibus mortalibns mortis timor detrahi debel. Quo- modo illos doccs, malum non esse ? qnon:odo opinioncs totiusa'fi, quibus protinus infantia imbuitnr, évinces f Quod auxilium invenies? Quid dices imbecillitati liu- raana;? Quid dices, quo inllammali in média pericula irruant? Qua oratinoe hune timendi cr.nsensum , quibiu iugcnii vnibus, obnixam contra te persuasionem humani geueris averles ? Verba mihi captiosa componis, et inler- rogaliunculas nectis ? Maguis lelis niagua portenla feriua- tm-. Serpenlem illani in Afiica sœvam, el romanis legio- nihus bello ipsb lerribiliorem, fruslra sagittisfundisque petierunt ; ne pilo quidem vulnerabilis erat , quum in- gcns magniludo, pro vastitate corporis solida , ferrnm, ei quidquid bumana? lorscrant manus, rejiceret: mola- rilnis demum fracta saxis est. Etadversus raortem tutam minuta jacularis ? subula leonem escipis ? .\cuta sunt ista quae dicis : nibil est acutius arista. Quaedam inutilia et iueflicacia ipsa sublililas reddit. Tatc. EPISTOLA LXXXIII. UEUH ISSPICERE DOMINUM ÂMMOS. — REVEKTITCB iD STOI' CORUM iBGIITlAS, PB.tSERTIM DE EUBIETÀTE. Singulos dics tibi meos , et quidem totos , indicari ju- bés. Bene de me judicas, si nibil esse in illis putas , quod ÉPURES A LUCILII'S. 70S ne fais rien qae je voulusse vous cacher. Il est vrai qu'il faut régler notre vie comme si tout le inonde la regardait, et nos pensées comme si l'on pouvait pénétrer au fond de noire cœur ; et on le peut aussi. Car, que sert-il de se dérober à la connaissance des hommes, puisque Dieu connaît toutes choses, qu'il est présent dans notre âme, et qu'il se trouve au milieu de nos pensées? Je dis qu'il s'y trouve, parce qu'il s'en relire quelquefois. Je satisferai donc 'a ce que vous désirez , et vous écrirai volontiers ce que je fais, de la manière que je le fais. A ce dessein je veux m'observer en toutes mes actions , et , qui plus est , en faire la revue tous les jours. Ce qui nous perd , c'est que personne ne fait réflexion sur sa vie. Nous pensons quelquefois "a ce que nous voulons faire, mais ja- mais 'a ce que nous avons fait. Et , toutefois , le conseil de l'avenir se doit tirer de la considération du passé. Tout ce que je vous puis dire pour le présent, c'est que la journée a été entièrement à moi. On ne m'en a rien dérobé ; je l'ai passée tan- tôt dans le lit, tantôt dans la lecture ; je n'en ai guère employé 'a l'exercice du corps. Cela , grâce 'a ma vieillesse , ne me coûte pas beaucoup , car je suis las des que je me suis un peu remué. Mais quoi ! les plus forts Gnissent ainsi leurs exercices. Voulez-vous savoir qni sont mes compagnons? Je n'en ai qu'un : c'est Earinus, qui est le plus ai- mable enfant du monde, comme vous le savez. Mais il va bientôt changer : j'en cherche déjà quelqu'un qui soit un peu plus jeune. Il dit que nous avons l'un et l'autre une même maladie , car les dents lui tombent , et 'a moi aussi. J'ai peine 'a i'alleindrc quand il.court, et dans peu de jours je ne pourrai plus le suivre. Voyez ce que fait l'exer- cice quand il est continué : deux personnes qui tiennent des chemins opposés se trouvent en peu de temps bien éloignées; il monte en même temps que je descends, et vous savez que l'un le fait bien plus vile que l'autre; je me trompe, car, en l'âge où je suis, ou tombe plutôt qu'on ne descend. Vou-^ lez-vous savoir ce qui est arrivé de notre combat d'aujourd'hui? C'est ce qui n'arrive guère à deux coureurs. Nous nous sommes trouvés en môme temps au bout de la carrière. Après m'ôtre ainsi exercé, ou pour mieux dire lassé, je me suis mis dans l'eau froide; car je l'appelle ainsi quand elle n'est guère chaude. Moi , qui étais aulrelois un si grand baigneur ; qui , le premier jour de janvier, me jetais dans des canaux pleins d'eau , et qui commençais l'année par me plonger dans la fon- taine nommée la Vierge , aussi bien que par lire, écrire, et dire quelque chose de nouveau, je me suis premièrement réduit "a l'eau du Tibre, et, depuis, à celle de la cuvelle, que je laisse tiédir au soleil , quand je me sens fort et que je ne fais point de façon, ce qui approche assez de la cha- leur du bain. Je mange ensuite du pain sec, et dîne sans table. Après un tel repas, il n'est pas besoin de laver les maius. Je dors Tort peu : vous savez ma coutume ; mon somme est fort court ; je ne fais que reposer, et je me contente d'être quelque temps sans veiller. Quelquefois je connais bien que j'ai dormi , quelquefois il me le semble. Voici les cris du Cirque qui s'élèvent tout d'un coup, et qui viennent frapper mes oreilles. Ils ne me font point perdie ma pensive, ils ne la divertissent pas seulement; je supporte facilement |,e bruit; ces •btcODdam. Sic certe vÎTendum est, tanquam in coo- tpectu viTanius; sic cogitandum , tanquam aliquis in pcc- tu> intimum iaipicere possit. Et potest ! Qiiid enini pro- deit al) homioe aliqnid esse secretiim ? nihil Deo clusum evt : iuterest animis nostris , et cogikiiionibiis nicdiis in- lerTenil. Sic, intervcnit, dico? tanquam al quando disce- dat I Faciam ergo qiiod julies , et , quid agam , et quo ordine . lilM'ntrr libi scribam. Obscrvabo me prolinus ; et, quod estulilissimum, dicm œetim recognoscaiii. Hoc nos pessimos Tacit, quod nenio vit^im suam rcspicit. Quid faciuri simas , cogitamus, et id raro; quid feceiiiuus, non cogitamus : atq'ii consilium futuri ex prn'ti'rilo veuit. Ilodiernus dies solidus est; nemo ex illu quidquam niihi ir ipuit; totus inter stratuiu lectioneuique divisusest ; mi- nimum eiercitationi rorpuris datuni. Et hoc nomme ago gra'.ias senectuti : non magno mibi constat ; quum me inovi, lassus sum : hic autem eicriilalionis , eliaiii for- tissimis , finis est. Progymnasias meos qua ris? uuus mibi hulQcit Earinus, puer , ut scis, anuliilis : sed mutahiiur. Jamaliquem teneriorem qua-ro. liicquidcm ait, nos eam- dem crisim habere, quia utrique dentés cadant; sedjam vil illum asscquor currenlem , et intra paucissimos dict non potero : vide quid eiercitatio quotidiana proQciat. Cito magnum inlervallum fit inter duos ilinere diverso euntes : eudcm tempore ille ascendit, ego descende; nec ignoras, quanto ei his volocius allerum (lot. Mentitus sum : jam enim œlas noslra non descendit, sed cadit. Quomodo tanien hodicrnuni certaincu noliis cesserit , quaeris? quod raro cursorihus cvenii, hieran fccimus. Ab bac faligatione magis, quam eiercitiilione, in frigi- dani descend! : boc apud me vocitur panim calda. Ille tantus Psychrolii;es , qui fcilendis januiiriis Euripimi salutabam , qui auno niivo, >|UL-niapicaliar in Virgineindesilire, primum ad Tilmim Iransluli castra, de nde ad Ik.c so- lium, quod, quum forlissimus sum, et omuia bona lide fiunt, sol tempérât. Non multum mibi ad balneum super- est. Panis dcindc siccus , et sine mensa prandinm, post quod non sunt lavandae manus. Dormio niiiiinmni. Con- suetudinem mcam uosti : brevissinid simno utor , et quasi inlerjungo. Satis est niihi vigilarc desii>se; aliquaudo dormisse me nescio, aliqnnndo suspicor. — Ecce Circeu- I sium obstrepit clamor; subita aliqna et universa Torc fe- I riuntur aures nie.'e , nec cogilalioneni nieam excutiuut, '' nec intenuMipunt ruidem. Frcmituin patientissimefero; i mulla' voces, et In unufli cnnfusie. pro llnrln mibi aunt f06 SENF.QUE. voix confuses ne me touchent non plus que font les vaincs qui s'entrc-chnqucnt, les arbres qui sont battus du vent, ni toute aulre chiise qui fait du bruit sans savoir ce (ju'cUe fait. Mais je vous veux dire a quoi je pensais; je con- tinuais une réflexion que je lis hier. A quoi ont songé ces anciens qui étaient si sages , de nous avoir laissé, dans les sujets les plus importants, des preuves si faibles et si nbseures, qu'encore quelles soient fondées sur la vérité, elles ont, néanmoins, toutes les apparences du mensonge? Zenon , grand persoiniage, et l'anteur de cette sainte et courageuse secte, voulant nous détour- ner de l'ivrognerie , et prouver qu'un homme de bien ne s'enivre point, fait cet argument: Per- sonne ne confie son secret 'a un ivrogne, mais on le confie 'a un homme de bien ; partant un homme (le bien n'est point ivroguc. Voyez comme on peut tourner en ridicule cet argument par un autre semblable, car il suffit d'en produire un entre plu- sieurs : Personne ne dit son secret ii un homme qui dort; on le dit "a un homme de bien ; par con- séquent un homme de bien ne dort point. Posi- donius défend la cause de notre Zenon , et n'allè- gue qu'un seul moyen, lequel , "a mon avis, n'est pas reccvable. Il dit que le mot d'ivrogne se prend en deux façons : l'une, quand un homme est plein de vin, et qu'il a perdu le jugement; l'autre, quand il a coutume de s'enivrer, et qu'il est su- jet "a ce vice ; que Zenon entend parler de ce der- nier qui a coutume de s'enivrer , et non pas de cet autre qui est ivre en effet , car on se garderait bien de lui dire un secret que le vin lui ferait ré- véler. Ce que je maintiens faux , car cette pre- mière proposition ne se peut entendre que de ce- lui qui est ivre, et non de celui qui le doit être; et vous m'avouerez qu'il y a une grande différence entre un homme qui est ivre et un ivrogne. Il se peut faire que celui qui est ivre ne l'a jamais été, et n'est pas sujet 'a cette in]f)erfection , et que l'i- vrogne n'est pas souvent ivre. C'est pourquoi j'en- tends ce mot d'ivre par la chose qu'il signifie d'ordinaire , avec d'autant plus de raison qu'il est employé par un homme très-exact, et qui exa- mine ce que valent les paroles. De plus, si Zénoa l'a entendu de la sorte, et s'il a voulu que nous l'entendissions comme lui , on peut dire qu'il a voulu tromper tout le monde par l'ambiguïté des mois, ce qui ne se doit pas faire quand on recher- che la vérité. Mais je veux qu'il l'ait entendu dans le sens que lui donne Posidonius, la conséquence qu'on eu tire est fausse; savoir, que l'on ne conGe point un secret'a un homme qui a coutume de s'en- ivrer. Songez à combien de soldats , qui n'é- taient pas fort sobres, un général, un maréchal de camp, un capitaine, ont donné des ordres qu'il fallait tenir secrets. Dans la conspiration qui fut faite contre Caïus César, j'entends celui qui se rendit niaitre de la républiqu;' après avoir défait Pompée , on s'en fla autant à Tillius Cimber qu"a C. Cassius. Celui-ci, tonte sa vie, n'avait bu que de l'eau, et Tillius Cimber était fort sujet au vin et grand parleur; de quoi il prit occasion de dire , en se raillant lui- même : «Comment supporterais-je un maître, moi qui ne puis supporter le vin?» Que chacun rappelle'' maintenant en sa mémoire ceux qui sont connus pour avoir su garder le secret, et n'avoir pas sn aut vente silTam verberante , etcccleris sine intclleclu so- nantibus. Quid ergo est, iiunc cui animum adjecerim? Dicani. Superest ex htsterno milii cogilalio , quid sibi voliierint pi'iidentissimi viri , qui rerum niaiiinariini probationes levissimas et pcrplcsas feccrunt; quae ,ut sint verae, men- dacio lamen simile.s sunt. Vult ni)s al) ebrietatedeterrere Zenon, vir in:ixiiiius, luijus seclE fi)rlissima' ac sanrlis- sima; conditor. AudicruDqu'niiidmodum colligat, virum bonuni non futuriun elirium : « VMrio secreluin serrao- ncm neiiio couiniiltit ; viro auteni bono comniitlit; ergo vir bonus ebrius non erit. » Quemadnioilum opposita in- lerroga;ione simili deii.leatur, attende ; satis eniniest, unani ponere es nniltis : Dorniitnli nenio secretuni ser- nioneni comiiiiltit; viro l)ono au:eni coniinittil: ergo vir l)onus uou dormit. Qno uno modo pole.st , Posidonius Ze- Donis iKistii causani agit; sed ne sic quidem.utexislimo, agi potcst. Ait enim, o ebiiuni duobus modis dici : alte- ro, quuui aliquis vino gravis est et impos sui ; altero , si lolel el>rius Furi , et hnic obnnxius vilio est. Hune a Zc- Dine dici , qui soli al fieri ebrius , non <;ui sil; buicaulcm ■eiuineui conuuissurum arcana, qiit passée. Dites qu'elle n'est au- tre chose qu'une fureur volontaire. N'est-il pas vrai que, si l'ivresse duraitplusieurs jours, vous ne douteriez pas que ce ne fût une véritable fu- reur? Rapportez lexemplc d'Alexandre do Macé- doine, qui lui Clilns, son plus cher et plus fidèle serviteur, dans la chaleur de la débauche, et qui se voulait tuer lui-même , après avoir reconnu l'é- normiiéde son crime, comme certainement il le oecurrit milii , referam , ne interêidat : iostruenda est «mm vila eiemplit ill'islribiis ; non «eiiiper confiigiamus •d Tétera. L. Piso, Urbis cusira, ebrius, ci qiio ^cnlel facttu e«t, fuit : niajorem parleiri noctis in coiivivio cii- fCbat; nsqiie in horajn sexlani ftre d<)niii(^bit : hitr efns ewl roatutinum. Officiiini tanicn siium, iiiiotutola Urbis OOntlDebatur , dilifienlissinu' administratit. liuic et ditus ADgasIas dedil «'crela niand. ta , (niiim illum pra-pone- retThraciff , qiiam perdomuit ; el 'ril)eriiis, prollciscens io Campaniain. quuin niulta in Urbe et suipec ta i eliniiue- ret et invisa. Peto , rpiia illi bnp cps.serai Pison s el» ie- tu.poilea Cossuin fccit iirliis pra-fcclnni, liruni gin- fem , moderatum , sed niersuin \in(> rt niiidcnlcni; ideii ut ei senatu aliquando , in qui-m e ctuivivio vcniTa', , oppressus inexcitabili souino. Inllerclur. Unie Vtmon Ti- berius iiiulta sua manu scripsit , qane cummitlenda ne ministris quidpm suis judicabat. Nnllum Cosso aiil priva- I tuni secrptum , aut publicum elapsuin est. Ilaque di'cla- mationes istas de medio remoTeamoi : « Non est aninuis in sua potcstate, ebrietate devinctus : quemadmodum louito dolia ipia rumpuntur , el omne quod in imojaccl. in summain partein vis caloris éjectât; sic vino exa>stnante, quidquid in imo jacet abdiliini , elTertnr. et prodit in médium : nnerali mero quemadmodum non coiuiaculci- l)nm, >ini) redundante, ita ne secreluni quidem; quod suum alicnumqiic est, pariter ofiundniit. » —Sed qu:ini- vis hoc soleat acciderc , ila et illud soict , ut cnni Ins. quos scianius lil)enlius bibiTC, de rébus mces^ariis dplil>ere- mus. Falbuni est cr;;i> lioc , quod palrocinii loco poiiilur, ei (|tii .soieat elirius Heri, non dari taciluiu. Quaiito ".atius est, apcrtc accusaiceiirietiiteni, et vilia cjus cxponi're? qu.'e etiam t'iler.iliilis hoiiio vitiivcril, ne- dum perfeclus ;.c s:ipiens, cui salis est silim oxslinj^uere, qui , etiam si quaodo borlat.) est hilantas, aliéna causa producla lon(,'ius, lanien citra ehiielaleni resistit. Nam de illo lidcbimus.an sapienlis a.iimus nimio vino tiirbe- lur , et f.icial ebiiis solita. Intérim , si lioc colligere vis , • lirimi bonnin non del)crc cbriuni ficri , • cur syMogis- niis agis ? Die, quam tnrpe sit , plus sibi inRercrc (piiim capial, etsIonMcliisuinonno^senieasiiram; i|iiiin multa ebrii faciant, quibns sol)rii ernbcscojit; niliil alind essfl el)rielatem , quam voluntariam ms miaai. Kiilende in plu- 45. 708 «levait faire. Il n'y a point de défaut que l'ivresse ne découvre et qu'elle n'augmeule, parce qu'elle chasse la honie qui s'oppose à tous les mauvais desseins. 1! y en a plus qui s'abstiennent des cho- ses défendues par lion le que par délibération. Quand une fois l;i chaleur du vin s'est emparée de l'esprit, elle pousse dehors tout ce qu'il v avait de mauvais, car l'ivresse ne fait pas le vice, mais elle le découvre. C'est alors que le voluplucux donne à ses sens tout ce qu'ils lui demandent, sans at- tendre la comraodilé du lieu, ni garder aucune bienséance, et que l'impudique publie et vante ses ordures. C'est alors (jue l'indiscret ne saurait contenir ni sa langue, ni ses mains; que l'inso- lent devient plus fier, le cruel plus violent, et l'en- vieux plus malin. Enfin , c'est alors que tous les ■vices éclatent et se manifestent ouvertement. Ajou- lez 'a cela qu'on ne se connaît plus, que l'on ne parle qu'en bégayant , que l'on a les yeux égarés , les pieds chancelants, la tête embarrassée, et que l'on croit voir tourner la chambre, comme si quel- .qne tourbillon faisait nnmvoir la maison. Quand le vin bout et fait gonfler les intestins , il produit des douleurs d'estomac et des coliques , et toule- fois il est plus supportable quand il agit , que lors- qu'il est corronqiu par le dormir; car, enla place do l'ivresse, il demeure des crudités et un dégoût général de toutes choses. Représentez- vous combien de désordres a cau- sés l'ivrognerie, quand e'ie s'est rendue publique. Elle a livré des nations hardies et belii'jueuses entre les mains de leurs ennemis ; elle a ouvert les portes des villes qui s'étaient courageusement défendues durant plusieurs années ; elle a réduit SÉNÊQllE. sous le pouvoir d'autrui des peuples opiniâtres et passionnément jaloux de leur liberté; elle a dompté, sans coup férir, des gens que l'on n'avait pu forcer en donnant des batailles. Alexandre, de qui je parlais tout 'a l'heure , après tant de voya- ges , tant de combats, et tant de fleuves inconnus et de mers passés , malgré les incommodités de plusieurs hivers, revint sain et sauf ; mais l'excès de boire et cette fatale coupe d'Hercule le mirent au tombeau. Quelle gloire y a-t-il d'avoirnn ven- tre qui tient beaucoup? Apres que tu auras em- porté la palme , et que tes compagnons , dormant ou vomissant par terre , ne pounont plus te faire raison ; quand tu seras demeuré seul sur tes pieds, ayant surmonté tous les autres par une générosité magniûque, et que l'on avouera qu'il n'y en avait point qui pût porter tant de vm que toi, ne sera-t- il pas vrai qu'un tonneau en porte encore davan- tage? Quelle autre chose a perdu Marc-Antoine (grand personnage d'ailleurs et bel-esprit), que l'ivrognerie et l'amour de Cléopâtre , qui n'était pas moins dangereux que l'amour du vin ? Il lui 6t prendre les mœurs et les imperfections étrangères, lui mit les armes a la main contre la république , le rendit inférieur à ses ennemis, et si cruel, que, encore qu'on lui apportât sur la table les tètes des principaux de Rome, et que parmi les viandes qu'on lui servait avec une magnificence royale, il reconnût le visage et les mains de ceux qu'il avait proscrits , tout plein de vin qu'il était , il ne lais- sait pas d'être altéré de sang. Quand il aurait commis h jeun une action si barbare , il n'aurait pas laissé d'y apporter tout ce qui la pouvait ren- dre insupportable; à plus forte raison, étant faite res dies illum ebrii liabitnm , numciuid de furore dubila- bis? nunc 'iuo;|UC non est minor, sed bicvior. Refer Atexandri MaceHonisexempluni, quiClilum, caiissimum 8ibi ac fidelissimiim , inter eiiulas Iransfodit ; et iotelleclo facinore, mori voluit, cerle niriiit. Oinne vitiuni ebrie- tas et iuceiidit , et deteg t ; olistanteiii malts cnnatibiis ve- l'eciinriiam l'eiiKivet. Plurcs cnim piidore peccandi , quam l)(Mia vdluntale, pr,ihil)itis alisdnont. Ubi pnssedit ani- iiiiiii) nima vis Tint, qu'dquid niiili latibat, emergit. îvoii fiicit rl)riftHS \Hia, sed prolraliit : tmic libidinnsus lie (•.il)iciiliiin qiiidciii e\sppclat, sed cupidiialilras suis, quaiiliim pi-tieriiit , aiw dilat one pcjniittit ; tiinc impu- diciis iiiorbMin ciinfitetiir ac pubiicat; lune pctulans non linguimi , non munuiii coiitinct. Crcscit insoleiiti siiper- bia, crudelilns sœ?», mali(;iii:a'i liv do; onine vilium laxa- Inr e' prmli:. Aiijice iltam ienorationora sui; dubia et parniii cvplaiiata vei ba ; inccrios oculos; graduin erran- tcni; verligineni capiti.s; tecta ipsa mobilia , velut aliquo turbine circumageiiie totam domum;stoniachitormcnta, quuiii «frei-vfscil mirum, ac viscera ipsa distendit. Tune tamen nt< unique tolerabile est , dum illi vis sua est : quid, qivini slica ebrietas. Hœc acerrimas gentes bellicosasque hostibus tradidit; hîcc multorum annorum pertinaci bello défense mœnia pate- fecit; hœc contumacissimos , et jugum récusantes, in alienum egit arbitrium ; haec iuTictos acie mero domuit. Atejiandrum , cujus modo feci nientionem , tôt iiinera , tôt praslia , tôt hiemes, per quas, vieta temporum loco- rumque difficulla'e, Iransierat, tôt flumina ex ignoto ca- denlia, tôt maria, tutuoi dimiserunl; intemperantia bi< l)endi, et illc Herculaneus ac falatis scyphus c^ndidit. Qire gloria est, caperc niultum ? Qnum [lenes te palma fuerit , et propinaliones tuas strali somno ac Tomitanlej rccusaverint ; quuni superstes loli convivio fucris; quam onines viceris virlule mapnifica , et neuio tara vini capai fueiit; viucerisa dolio. M. Antoniuiu, magnum virum et insenii nobilis , qua> alia res perdidit , et in externos mores ac vilia non roiuana transjecit , quam ebrietas, nec minor viuii Cleopalraï amor ? Hœc illnni res boitem rei- publicae, ha'c hostibus suis imparem reddidit; bapc cni- delcm fecit, quiim capita priucipum civitatis coenauti re- ferreniur; quum inter apparalissimas epulas luxuscjae regales ora ac mauus proscriptorum recognosceret; quum vino gravis, sitiret lanun sauguinem. lutolerabite erat, quod cbrius Ccbat; quanto iniolcrabilius , quod haf« ÉPITRES A LUCiLIUS. 7ca eu ce malheureux état où la crnauté se mêle ordi- naireiucnt, parce que le vin altère et trouble l'es- prit. Comme les longues maladies débilitent les yeux , en sorte qu'ils ne peuvent plus supporter le moindre rayon de soleil ; ainsi l'ivrosnerie aT- faiblit tellement noire raison , que, n'cLint pas h nous le plus souvent, les vices qui se sont enra- cinés durant celte frénésie conservent leur force après que celle du vin, qui les a produits, est dis- sipée. Dites donc ce qu'il faut dire pour montrer que le sage ne doit point s'enivrer ; faites voir la dif- formité et les incommodiics de ce vice par ses ef- fets et non par vos raisonnements, ce qui est iiès- facilc. Prouvez que toutes ces choses, que nous appelons voluptés, sont des supplices quand elles «mt liasse les bornes de la raison. Car, si vous pré- tendez nous faire accroire que le sage peut s'eni- vrer sans se brouiller ni perdre sa contenance or- dinaire, il vous sera permis de dire qu'il peut encore prendre du poison sans mourir, de l'opium sans dormir, de l'ellél) >rc sans dévoiement; mais si ses pieds chancellent, si sa langue s'entre-coupe, que sert-il de soutenir qu'il est ivre en quel(|ui' façon , et qu en quelque façon il ne l'est pas ? EPITRE LXXXIV. Que pour lien étudier il faut lire, puis reviieillir, puis nous foiiiiir uu esprit de tout ctla. — 11 f.iut digérer ce que nous avons lu de nicrne que ce que uuus avons mangé, »i nous voulons qu'il duus prolito. Je crois que ces petits voyages que je fais pour réveiller ma paresse sont propres aussi pour ma santé. et pour mes études. Pour ma santo , vous la voyez, car l'amour des lettres m'ayant fait négli- ger les exercices du corps, je no puis plus eu prendre sans le ministère d'autrui. Pour mes étu- des , je vais vous le dire. J'ai quitté la lecture : je crois pourtant qu'elle m'est nécessaire ; pre^ mièreraent, pour ne pas mo croire entièrement dans mes opinions, cl puis afin qu'ayant vu ce que les autres ont iovenlé j'en puisse juger, et inven- ter quelque chose 'a mon tour; d'ailleurs la lecture nourrit l'esprit, et ijuaiul il est fatigué de l'étude, la lecture le délasse par l'étude rnêrae. Mais il ne faut pas toujours écrire , ni toujours lire ; le pre- mier serait ennuyeux et épuiserait ni s forces, et le dernier les relâcherait. Il faut les prendre al- ternativement, et len)pérer l'un par l'autre, eu sorte que la plume fasse un corps de ce <|U0 la lec- ture a recueilli en divers endroits. Nous devons imiter en cela les abeilles, qui volent de Ions cotés pour sucer sur les fleurs ce qui est propre b faire leur miel , puis le rapportent dans leurs ruches et le rangent par rayons, et, corauie dit notrs Virgile : Kllcs sucent le miel, volant de fleur en Heur, Et mettent par rayons celte douce liqueur. On ne sait pas bien si le suc qu'elles ont tiré des lleurs devient miel incoiiliucnt après, ou si e e.st le mélange et la propriété de leur haleine qui le fait passer en cette nature. Il y eu a qui tien- nent qu'elles n'ont pas l'adresse de faire le u.iel , mais seulement de l'amasser. Ou dit qu'aux Indes il se trouve du miel dans les feuilles des roseaux , soit aliis qiiiesiia co;;nuvero, tuin et de inventis judieein, cl ci>gilcni de iuvenieudis. Alit leclio ingeniuin; et sludiu faligaluni, non sine stu- dio tanieu reficil. îVec siribire lantuni , nec lanliiui lé- gère dcbeiims : altéra res conlristaUl , cl vires exliau- riet; de slilo dico; alteni solvet ac diluet. Inviccni hoc et illo conimeandom e.vt, et alterum allero Icnijnr, iiduni; ut, quidquid leclionc coliictuni est, sliliis rediga' in cor- pus. Apes, ut aiunl, debi-inus imitiiri ; qux vaganlur , et llores ad nicl racienduni idonios rarpunt; deinde, quid- qnid atlulcre, disponunt ac per favos digerunt; et, ut Virgilius noster ait , Liquenlia mella SUpant, et diilci di>lciid>int nectare cellas. De illis non salis constat , uirum succum ex floribus du- cant, qui protinus niel sil ; an , qiix" collcgcrunt, in himo saporem miitura quadain et proprietîile !piriUi.<8ni nin- teot. Quibusdam eniin placet, non faciendi mellls scieii- 710 SENÈQUE. douce el j^iassc qui nourrit celle piaule; que nous avons des herbes qui ont la même vertu, mais qui est plus resserrée, laquelle ce petit animal sait altérer par l'instinct et par la propriété de sa na- ture. D'autres sont d'avis qu'elles confisent les parties les plus d'olicates qu'elles on.t tirées des feuilles et des fleurs, et les changent en miel par une disposition qui leur est naturelle, et qui, comme un levain , unit el lie ensemble des choses toutes différentes. Mais, pour ne point nous écar- ter de noire sujet, nous devons , dis-jc, imiter les abeilles, et mettre séparément ce que nous avons recueilli de diverses lectures (car il se con- servera mieux étant ainsi séparé ) ; puis confondre ces sucs différents , el leur donner , par notre in- duslric, un goût composé de tout cela, en sorte (jiie, bien qu'on s'aperçoive de ce qui a été pris ailleurs, on voit bien toutefois que ce n'est pas la même chose. C'est ce que fait lous les jours la nature dans notre corps : les alimenls que nous avons pris ne sont qu'une charge incommode lanl qu'ils demeurent entiers et conservent leurs qua- lités dans notre estomac ; mais, sitôt qu'ils sont altérés cl changés par la chaleur naturelle, ils deviennent noire sang et nous donnent de la vi- gueur. Faisons la môme chose de ce qui sert a la nourriture de notre esprit. Ne permettons pas qu'il demeure en son entier, parce qu'il ne serait pas à nous ; mais ayons soin de le mâcher el de le di- gérer. Autrement, il ne passera point dans notre âme, cl demeurera seulement dans notre mémoire. Embrassons ces beaux sentimeats, formons-en les nôtres, afin que de plusieurs choses il ne s'en fasse qu'une seule, comme de plusieurs nombres il ne s'en fait qu'un lorsque diverses petites sommes sont jointes ensemble. Mais cachons avec industrie ce que nous avons emprunté , et ne faisons paraî- tre que ce qui est 'a nous. Si l'on reconnaît dans vos ouvrages quelques traits d'un auteur que vous estimiez particulièrement, que ce soit une res- semblance de Dis , et non pas le portrait ; car un portrait est une chose morte. Quoi donc ! ne connaîtra-t-on pas de qui j'imit« le style, de qui je prends les pensées et la façon d'argumenter? Je crois même que l'on ne s'aper- cevra pas si c'est d'un habile homme, car il n'a pas imprimé sa marque à toutes ces choses qu'il a tiices des uns el des autres, en sorte qu'elles soient toujours conformes. Vous savez combien :l y a de voix en un chœur de musique, et toutefois elles ne forment toutes ensemble qu'un son : l'une est haute, l'autre basse, et l'autre moyenne; il y a des hommes et des femmes ; on y mêle des fliites , on peut bien entendre toutes ces voix ensemble , mais on ne les saurait distinguer. Je parle de ces chœurs de musique qui étaient connus 'a nos an- ciens philosophes ; car il y a aujourd'hui plus de chantres dans nos banquets qu'il n'y avait autre- fois de spectateurs dans les théâtres. Quand tou- tes les avenues sont bordées de chanteurs , que le bas du thcâlre est environné de trompettes, el que les galeries retentissent de flûles , de hautbois , el de toutes sortes d'instruments, il se fait une agréa- ble symphonie de tous ces tons différents. Je veux liiim esse illis, scd colligendi. Aiunt inveniri apud ludos iriel in arundinum foliis, quod aut ros illius cœli, aul ip- siiis arundinis tiumor diilcis et pinguior gignat ; in nos- tris (jiioque tierbis \ini camdeni, sed minus manifeslam et nolabilem poiii . quani proscqualur et conirahat ani- ma! tiuic rei gcniluui. Quidam csistimant, couditura et dispositione in liane qualitaleni verti, quœ ex tenerrimis virenlium florentiumque decerpserint : non sine quodani, ut ita dicain , fermcnto , quo iu unum diversa coalescant. Sed, ne ad aliud, quam de quo agilur', abducar, nos quoqae apesdebemus imitari ; et, qufecumqueei diversa lectione congessimus, separare : melius enim distincla tci'vanlur : deinde, adliibila ingenii nostri cura et facul- tal» , in unum saporein varia illa libamenta confundere; ut , eti;im si apparuerit, uude sumptum sit , aliud tamen esse , quam unde sumptum est, appareat : quod in cor- pore nostro videmus sine uUa opéra nnstra facere nalu- ram. Alimenta, quae accepimus, quamdiu in sua qualitate perdurant et solida innatant stomacho, onera sunt; at quuin ex eo, quod erant, rautata snnt , tune démuni in vires et in sanguinem transeunt. Idem in his, quihus alunlur ingénia , praestemus ; nt , qua?eumque liausimus, non paliamurinlegra esse , nec aliéna. Coucoquamus illa : alioqui in inemoiiam ibunt , non in ingenium. Assentia- Bius Ulls fideliter, et noslia facianius, ut uniiiii quiddam fiât et multis; sicut unus numerus fit ex singulis, quam minores summas et dissidentes couiputalio una compre- hendit. Hoc facial aniinus uoster : omnia , quibus est ad- jutus, abscondat; iptuni tantum osteudat, quod efTedt. Etiam si cujus in te comparebit similitudu, quem admi- ratio tibi altius ri.terit ; siniiiem esse te volo quomodo (ilium , non quomodo imaginem : imago res mortaa est. Quid ergo? non inlelligelur, cujus imiteris orationem? cujus argumentationem ? cujus sententias ? Puto aliquaodo ne intelligi quidem posse; si magui viri ingenium omni- bus , qua; ex quo Toluit esemplari adstruxit , formam suam impressit, ut in unilaleni illa competanl. Non vi- des , quam multorura vocilius cliorus constet? unus ta- men ex omnibus souus redditur ; aliqua illic acutaest, aliqua gravis, aliqiia média; accedunt viris feminae, in- terponuntur tibiée; singulorum illic latent voces, omnium apparent. De cboro dico, quem veteres pbilosopbi nove- rant. In comniissionibus nostris plus cantorum est, quam in tbeatris olim spectatorum fuit : qnum omnes vias ordo canentium implevit , et cavea aeneatoribus cincta est, et ex pulpito omne tibiarum genus organorumque oonso- nuit , fit concenlus ex dissonis. Talem animum esse no»- tium volo, ut niullae in illo artes , mulla praecepla sint ^ mnllarum aetatum exempta, sed in unum conspirala. Quomodo, iuquis, hoc effici poterit? — Assidua inte»' ÉPITRLS A LUCILIUS. que nous menions noire âme dans une semblable disposition, qu'elle ait beaucoup de connaissan- ces , de préceptes et d'exemples des siècles passés , et que tout cela conspire à une nième On. Mais comment cela se pourra-t-il faire? me direz-vous. — I:n veillant continuellement sur noire conduite ! et ne faisant rien que par le conseil de la raison. Elle vous dira : i Laissez ces choses après quoi tout le inonde courl; laissez ces richesses avec le rianger qu'il y a de les perdre, et la peine qui se trouve a les conserver; laissez les voluptés du corps et de l'esprit, elles ne font qu'amollir et énerver; lais- sez i'ambiiion , ce n'est qu'enflure , que vanité et (|iic furace. Elle n'a [wint de bornes; ceux qui la dcvanci'nt lui sont une occasion de chagrin , et ceux qui la suivent, d'ombrage. Elle est tourmen- tée de deux envies , car vous savez quelle misère c'est d'être envieux et d'être envié. Voyez- vous les maisons des grands, et leurs portes, oii l'on se bat pour être des premiers à leur lever? Il faut souffrir beaucoup d'indignités pour y entrer, et plus encore quand on y est entré. Kuyez ces gnnds escaliers et ces vestibules élevés et suspendus; vous ne sauriez marcher eu assu- rance en des lieux si hauts et si glissants. Uetirez- vous plutôt vers la sagesse pour obtenir des biens qui sont aussi amples que iranquilles. Ceux qui éclatent aux yeux des hommes, et qui ne sont grands que par la comparaison des cliosis les plus basses, ne s'acquièrent qu'avec peiue et difficulté, car le chemin qui conduit aux honneurs est âpre et ralK)teux; mais, si vous voulez monter sur cette émiuence, dont la forluue ne saurait approcher, vous verrez sous vos pieds des choses que l'on es- time infiniment élevées, et, outre cela , vousar riverez au fait par un chemin court et aise. EPIÏRE LXXXV. Il prouve que la vertu seule peut rendre la vie heuieuse. — Que le sage doit c:r Quelques péripatéticicns, piuir répoudre à cet argument, disent que ces mois de constant, sans trouble et sans Irislesse, se doivent entendre quand on se trouble rarement et pou , et non pa.' jamais, comme pareillement quand on n'est point sujet il la tristesse , et qu'on ncs'y abandonne pas tiooe; si Dilill egerimut , nisi rotioae suiidenle. Haoc si audire volueris , dicet tibi : c Kclinque ista jamdudum , ail qus discarritur ! relinquedivitias, autpericuluni pos- sidentinm, aul odus! rel>nqae corporis atque aninii vo- luptaleil molliunt et eoirvant : relinijue aiiitiituml tu- iiiida re< est , vaiM , ventosa ; nulluni lial)et terniinutn ; l.ini sollicita est ne queiii antc se vident, i|iiain dp post se ulliim ; laliorat invidia , el quideni dupiici : vidts auteni , (|uani niiser ait , si is , cui invidetur , irividet. Intueris il- l.is polcntium donios, illa tuniultuosa rits ^alutaiitiuin limliia '! niulium lialieot cnntumeliaruni , ut intres ; plus , < uuni iniraveris. Pra-teri istos gradus divilum et uiagno axKcitu siispensa vestibula : non in pra>rupto tantuui is- tic slabis, aed in luhrico. lluc polius te, ad sapienliam , dirige; tranqaillissimasque re< pjus, et siniul anipiissi- nm, petcl Quscumque videotur eminerc in rébus hu- nianii , qnamvia pusilla sint, etcnmparatione hutnillimo. mm exstent, per dimcilea tamen et arduos tramites adeun- tur. Confragcisa in fasligium riipnitalis via est. Ai si con- •cendere hune verticcm libet, cui se tortuna sulimisit, ouinia qaidem snb te, qua; pro eicelsissimis habenlur , ■fpides, sed tamen veniei ad somma per planum.» Vale. EPISTOLA LXXXV. ,\E II0DCB4T0S QUinE» IFFECTUS 1)1 SIPIENTC TOLEBlROOi. Pepercoram tibi . et (|uidquid nodosi adbuc .«upererat, praelerieram , contentus quasi pnstum tibi d.ireeorum, qu« a nostris dicuntur , ut probetur • Virtns ad eiplen- dani licatam vitani so'.a salis crflcai. • Jubrs me, quid- quid est intcrrogaliouum aut nostrarum, aut ad Iraduc- tionem nostraui escopitalarum , comprendere : quod ti facerc \olurro, non crit epi.s!ol,i , sed liher. lllud loties tester, hoc me arfiuiiientoriim génère non deleciari. Pu- det in acioni descondere , pro Dits hominibusque suscep- tam, subula armatum. • Qui prudens est, et temperans est ; qui temperans est , et conslaos; qui constans at , ci imperturl)atii8 esi ; qui im|)erturbalus est , sine Irislitia est; qui sine trislitia est, beatus est : ergo prudens Ixalus est, et pnidentia ad beatam vitara salis est. • Unie collecUoni hoc modo Peripateticoruni quidam respondent, ut inaperturbalum, ctconslantem, et sine tristitia , sic iriterpretentnr, tan- quam imperturl)atus diralur , qui rare perturbalur e! niodice, non qui nunquam : item sine trittilla eum dl.-l trop fort; c.r ce serait ne pas être homme que d'élre exempt de tristesse ; que le sag3 n'est point abattu par la tristesse, mais qu'il en est touché. Ils allèguent encore d'autres raisons conformes à l'opinion de leur secle, qui n'ôle point ces passions, mais qui les modère. Diles- moi quel avanlage au- rait le sage d'être un peu plus fort que ceux qui sont les plus imbéciles, plus gai que les plus tristes , plus modéré que les plus dissolus , et plus élevé que les plus abjects; comme si un bon cou- reur admirait sa vitesse en se comparant aux in- firmes et aux boiteux, non 'a cette amazone qui, au rapport de Virgile, Eût couru sur les cauî, couru sur les moissoDS, Sans plier les épis, ni mouiller les talons. La vitesse doit êire considérée en elle-même et non par rapporta ceux qui sont lents. Direz-vous qu'un homme se porte bien quand il n'a que peu de lièvre? Pour n'être pas fort malade on ne peut pas dire qu'on soit en santé. Le sage, disent-ils, est sans trouble, comme nous disons de certains fruits qu'ils sont sans noyau, quoiqu'ils en aient en effet, mais "a cause qu'ils l'ont plus petit que les autres. Ce qui est faux, car je ne prétends pas que ce soit un retranchement de quelques défauts qui arrive à riiomine de bien , mais une exemp- tion de tous les vices ; il n'en faut ni petits ni grands : car, s'il y en a de petits , ils croîtront , et cependant ils incommoderont; une grande cata- racte perd entièrement la vue, une petite ne laisse pas de la troubler. Si vous admettez quelques pas- SÉNÈQUE. sions dans le sage, la raison , se trouvant trop fai- ble, sera sans doute entraînée par leur violence, vu que vous lui donnez à combattre non pas une seule passion , mais une troupe de passions jointes enseadde. Un nombre de gens, quoique faibles, vient 'a bout de l'homme le plus fort. Il aime l'ar- gent, mais sans empressement; il a de l'ambition, mais elle n'est pas violente; il se met en colère, mais il s'apaise bientôt; il est inconstant et varia- ble, mais il ne change pas de volonté 'a tous mo- ments; il aime les femmes, mais il n'en perd pas la raison. En vérité, il vaut mieux avoir un vice tout entier que d'avoir un peu tous les vices. D'ailleurs, il ne faut pas considérer si la pas- sion est forte; car, en quelque degré qu'elle soit , elle ne se laisse point conduire, elle ne reçoit point de conseil, non plus que les animaux , soit sau- vages ou domestiques, qui , de leur nature, sont incapables d'écouter la raison. Les tigres et les lions ne perdent jamais leur férocité naturelle; ils la quittent quelquefois pour la reprendre lors- que vous y penserez le moins. Jamais les vices ne s'apprivoisent de bonne foi ; car enfin , si la raison l'emporte , ils ne prendront point racine ; mais s'ils l'ont prise malgré elle, il est certain qu'ils la conserveront de même. H est plus aisé de les em- pêcher de naître que de les empêcher de croître. Cette médiocrité dans les passions est donc fausse, inutile, et aussi ridicule que si nous disions qu'il ne faut être que médiocrement fou ou médiocre- ment malade. Ce tempérament n'appartient qu'à- la vertu ; le vice en est incapable : on fera donc aiunt , qui non est ol)noxius trisliti;c , nec frequens ni- miusve iu hoc \itio : illud enim liuinanam naturam ne- gare, alicujus animum imnninem esse tristitia; sapien- tem non vinci niœroie , ca;teriini tangi : — et ca'tera in Iiunc niodum . secla' sii;i> respondentia. Non lii lollunt af- fectus . scd tempérant. Quantulum antem sapienti da- mus, si iniliocillissirnis fortior est, et mneslissiniis la-tior, et eflii-eiiotiss'iniis moderatior, et tiiimilliniis major ? Quid ? simiretur velocitalem suaui laudans, adclaudos debiles- que respiciens ? Illa vel iiilnctae segetis per summa vularet Grainina, iipc cursu teneras laisisset aristas ; Vel mari' ppr mpiliuin. fltictu siisppnsa tnmcnti, Ferret itcr. celcres uec tinscrct œiiuore plantas. Uœc est pcrnicitas per se asstimata ; non qnie tardissinio- rumcollalione laudatur. Quid, si sanuui voces leviter fc- bricitantem? non est hona valetiido medincritas niorlil. Sic, inquit, sapiens imp(ilurl)atus dicilur, quomodo apyrina dicuntur, non quilius nulla inest duritia grano- rnm , sed quibus minor. — Falsum est. Non enim denii- nulioneni malorum in bono viro intelligo, sed vacatio- ncra : nnlla debent esse; non parva : nam si ulla sunt, (rescent, et intérim Inipedient. Qiioniodi) oculos major et perfec!a sulfusio esca-cat , sic modica turbal. Si das oUquos affeclus sapienti, impar illis erit ratio, et velut tOFrente quodam aurerelur; prapsertim qmim illi non uiium affectum , sed universum affecluum cœtum relin- quis , cum quo collnctctur. Sed omnis plus potest quam- vis mediocriuni lurba , quam posset unius magni violen- tia. Habet pecuniae cupiditatem, sed modicam; haliet ambilionem , sed non concitatam ; babet iracundiani , sed. placabilem ; habet inconstantiam , sed minus vagam ac mobilem; babet libidinem , sed non insanam.Meliuscain illo agerelur, qui ununi ïitium intcgrum haberet.quam cum eo, qui leviora quidem , sed omnia. Deinde nihilio- terest , quam magmis sit affeclus; quantuscnnique est, parère nescit,consiluim non accipil. Quemadraodum ra- tioni nullum animal obtempérât, non ferum, non domes- ticum et mite (natura enim illorum est surda suadenli) ;: sic non sequuntur , non audiunt affectus , quantullcum- que sint. Tigres, leonesqne nunquam ferilatem eiuuot, aliqnando submitlunt ; et , qiuim minime eispectaveris , exasperatur torvitns mitigata : nunquam boaa fide Tilia. niansuescunt. Deinde, si ratio proficit, neincipient qui- dem affeclus : si invita ratione cœperint, invita perseve- rabunt. Facilius est enim initia itlorum probibere , quam irapelum regere. Falsa est itaque ista raediocritas etinntilis, eodemioco babenda , quo , si quis diceret , niodice iusanienduro , modice aegrotandum. Scia Virtus habet, non recipinni ÉPITRLS A LUGILIUS. 715 mieux de l'arracher que de le vouloir régler. Croyez-vous que dans ces vices invétérés, que nous appelons les maladies de l'âme, comme l'a- varice, la cruauté, la fureur et l'impiété, il y ail quelque modération? Il n'y en a pas davan- tage dans les passions, puisque de celles-ci on passe jusqu'aux autres. De plus, si vous donnez entrée h la tristesse , 'a la crainte, 'a la convoitise, et aux autres dérof;leincnts, vous n'aurez plus de pouvoir sur eux. Pourquoi? parce que les objets qui les excitent sont liors de vous, et les font croître a proportion de leur grandeur. Ainsi la crainte sera plus grande si on en regarde le sujet plus atten- tivement ou de plus près; le désir plus ardent, plus la chose prétendue paraîtra grande et magni- lique. Si nous ne pouvons empêcher qu'il y ait des passions au dedans de nous, nous ne pourrons pas aussi empOclier qu'elles ne s'y FortiGent; leur ayant permis d'y prendre naissance, il faudra souffrir qu'elles y reçoivent de l'accroissement, selon la grandeur des causes qui les auront pro- duites. Joint qu'cucore qu'elles soient petites an commencement , elles ne manqueront point de s'é- tendre avec le temps ; le naturel des choses mau- vaises étant de ne point garder de mesure. Les maladies, pour petites qu'elles soient en leur com- mencement, ne laissent pas de devenir grandes dans la suite : quelquefois même il ne faut qu'un léger accès de fièvre pour abattre un corps mal disposé. I^Iais quelle fantaisie de s'imaginer que Dous puissions donner des bornes 'a des choses d(mt le commencement est hors de notre pouvoir? Au- rais-jeplusde force pour procurer leur fin, que je n'en ai eu pour empêcher leur naissance, s'il est vrai qu'il est plus aisé d'exclure une personne qui veut entrer que de la faire sortir quand elle est une fois entrée? Il y en a qui se servent de cette distinction : un homme peut être tempérant et prudent par la dis^ position de son âme , qui ne le sera pas toutefois par l'événement; car il ne sentira point d'émotion, de tristesse ni de cniinleau dedans, mal.*: il y sur- viendra au dehors des sujets qui lui causeront du trouble et du chagrin. C'est ce qu'on appelle n'ê- tre pas emporté, mais s'emporter quelquefois; ou plutôt n'avoir pas le vice de la timidité, mais en avoir la passion. Si vous admettez cette passion, la peur fréquente dégénère en timidité; et la co- lère, trouvant entrée dans votre âme , renversera bientôt l'inclination que vous aviez 'a la paix et à la douceur. Et puissil'on n'est point exempt de la peur, et que l'on considère encore ce qui vient du dehors, quand il sera question de passer au travers des feux et des dards pour la défense de la patrie, des lois et de la liberté, le corps s'avancera lente- ment, mais l'esprit songera 'a la retraite, qui est une sorte de dissension où le sage ne tombe jamais. Il faut encore prendre garde de confondre deux choses que l'on doit prouver séparément: la pre- mière, qu'il n'y a point d'autre bien que ce qui est honnête; la seconde, que la vertu seule peut rendre la vie heureuse. S'il est vrai qu'il n'y a point d'autre bien que ce qui est honnête , tout le monde demeure d'accord que la vertu suffit d'elle- même pour vivre heureusement. Mais, quoique la seule vertu puisse rendrel'homme heureux, il ne •nimi mala , tcmperamentum : facilius siistuleris illa , qoam reieris. Piumquid dubium est, quin vitia iiieutis bomaaae inveterata et dura , qiiag iLoibos Tocamus, ini- ■noderata sint; ut avaritia , ut cmrielltas , ut impoteotia , impietas? Ergo inimoderati suot et afTcctus; .-it> bis eiiim •d illa transitur. Deiade , si das allquid jiiiia trittilix, tfmori, cupiditati.csterisque oiotibus pravis , aon eruot in nostra potestate. Quare? quia extra nos sunt , quibus irritantur. Ilaque crescent, prout magnas babuerint nii- ■oresTe causas , quibus concilentur. Major erit tinior, si plu», quo eiterreatuf , aut proplus aspexerit; acrior cu- piditas, quo illam amplioris rei spcs evocaveril. Si in DOitra potestatQ non est an sint affeclus, ne lllud quideni est , quanti sint : si ipsis permisisti incipere , cum caiisis mis crescent , (antique erunt, quanti fient. Adjice nunc , qnod isia , quanifis exigua sint , ia majus escedunt : nun- quam perniciosa servant modum. Quamvis Icvia initia morlMrnm serpunt, et sgra corpora minima interdum ■nergitaccessio. lllud Tero cujus dementia- est, credcre, qnaruni rerum extra nostrum arl>itrium posita priocipla font, carum nostri esscarbitrii tern]inos?Quomodo ad id flniendum satis taleo, ad quod prohil>endutn parum valui , qjium facilius sit eicludcre.quamadmissa comprimere ? Quidam ila distinierunt, ut diccrent : • Teniperans ac prudens positione quidem mentis et habitu tranquillus est, eventu non est. Kiim, quanlum ad liabitum mentis suae , non perturbatur, nec contristatur , nec timet ; std multa; eitriusccus causce incidunt, quae illi perturl)atio- nem afTeranl. • Tiile est <|U»d voluiit diccre; iracunduni quideni illum non esse, irasci Linien allquando ; et timi- dum quideiu non esse , timere tanien ali(|uando; id est, Titio timoris carerc, affectu non carere. Quod si recipi- tur, usu frequenti timor lransil>itiu vitium;etira Inani- mum admissa baliitum illum ira carentis aninii rctexct. Praetcrea , si non coutemnit venienles extrinsecns causas, et allquid limct; quum Torliter eundum erit advcrsus tcla, ignés , pro patrla , legibus, libertate; cunctaiiter cxiliil, et auinio recedenie. Non cadlt autem iu sapieotem bxc diversitas mentis, lllud praeterca judico observandum , ne duo , quae se- paratim probanda sunt , misceamus. Per se enliu colligi- tur , unum bonum esse , quod honcstuni ; per se rursus , advitam beatam satls essevirtutcm. Si unum bonum est, quod bonestum, omnes conccdunt ad Iwatc vivendum sulDcere vlrlulem : e conlrario non remittetur, si bea- tum sola Tirtus Tacit, uaum bonum esse quod honestum 71 1 s'ensuit pas qu'il n'y ait point d'autre bien que ce qui est honnête. Xénocrate et Speusippc tien- nent qu'il n'y a que la vertu qui puisse produire la félicité ; mais iisne demeurent pas d'accord qu'il n'y ait point d'autre bien que ce qui est lioaoête. Épicure dit aussi que celui qui possède la vertu est heureux; mais que cela seul ne suffit pas pour vivre heureusement; car il y faut joindre la vo- lupté qui procède de la vertu, et qui n'est pas la vertu même, distinction bien inepte, à mon avis; carie même auteur dit ailleurs qu'il n'y a point de vertu quincsoitaccompagnée de quelque plaisir. Ainsi la vertu sufQt d'olle-mêrae , puisqu'elle est toujours jointe au plaisir, et qu'elle n'est point sanslui, quand même elle est toute seule. Or, c'est une absurdité de dire que l'on sera heureux en possédant seulement la vertu ; mais qu'on ne le sera pas entièrement. Je ne vois pas comme cela se peut faire; car la félicité est un bien parfait, "a qui l'on ne peut rien ajouter. Cela étant, la féli- cité doit aussi être parfaite et accomplie. S'il est vrai qu'il n'y a rien de plus grand ni de meilleur que la vie des dieux , la vie heureuse étant toute divine, il s'ensuit qu'elle est au point le plus éminent où elle puisse monler. D'ailleurs , si la vie heureuse n'a besoin de rien, et que toute vie qui est heureuse soit parfaite , elle sera en même temps heureuse , et parfaitement heureuse. Pouvez-vous douter que la vie heureuse ne soit le souverain bien? Elle est donc souverainement heureuse, puisqu'elle est lesouverain bien. Comme on ne peut rien ajouter au comble d'une mesure, car il n'y a rien au-del'a ; on ne peut aussi rien ajouter 'a la vie heureuse qui est au comble de tous SÊNÈQUE. les biens. Que si vous faites l'an plus heureux que l'autre , vous mettrez une infinité de degrés dans le souverain bien, quoiqu'il n-'y ait rien qui soit au-dessus lui. El si l'un est moins heureux que l'autre, il s'ensuit que le premier souhaitera de passer dans un état plus heureux que le sien ; et cependant un homme heureux ne trouve rien de préférable 'a sa condition. Prenez quel parti vous voudrez; il est également incroyable qu'il y ait rien dans le mimde qu'un homme heureux ai- mât mieux être que ce qu'il est , ou qu'il ne dé- sire pas ce qui est meilleur que ce qu'il possède ; car, d'autant plus qu'il a de connaissances, il se portera avec plus d'ardeur 'a la conquête d'un bien qu'il estimera plus grand que tous les autres. Mais comment peut être heureux celui qui fait encore des souhaits, même qui en doit faire? Je vous veux dire d'où vient cette erreur. On ne sait pas qu'il n'y a qu'une vie heureuse, et que c'est sa qualité, non passa grandeur, qui la met dans un état le plus avantageux qu'il y ait. De Ta vient qu'il est indifférent qu'elle soit longue ou courte, large ou étroite, répandue eu plusieurs endroits, ou resserrée dans un petit coin de terre. Quand on l'estime par le nombre, la mesure et les parties , on lui ôte ce qu'elle a de plus excellent , qui consiste en sa plénitude. La fin , par exemple, de manger et de boire est le rassasiement. Mais celui-ci mange plus que l'autre? Qu'importe, puis- qu'ils sont tous deux rassasiés? L'un boit plus, l'autre moins? Qu'importe, puisqu'ils n'ont plus de soif ni l'un ni l'autre? Celui-ci a plus vécu que celui-l'a? Il n'importe pas, puisque la différence de leurs années n'a pas empêché que l'un ne se est. Xenocrates et Speusippus pulant « beatum Tel sola virtule fieriposse; non tamen unum boiium esse, quod lionestimi est. > Epicurus quoque judicat, i quuni vir- tuleni liabeat, beatum esse; sed ipsaiii virtutem non salis esse ad beataiu vitam, quia beatum erflciat Toluptas , quae ex viilute est, non ipsa virlus. » — Inepta distinctiol Idem enim negat, « unquam virtutem esse sine Totup- tate. > Ita , si ei juncta semper est atque inseparabitis , et sola satis est : habet enim secum voluptatem, sine qua non est, eiiam quuui sola est. Illud autem absurdum est, quod dicitur, bcaluin quidem futurum vet sola Tirtute, non futurum uutcm |)erfecte beatum : quod quemadmo- dum fieri pussit , non reperio. Beata eniui vita bouum in se peifeclum habet , inexsuperabile : quod si est , perfecte beata est. Si Deorum vita nibil habet niajus aut metius ; beata autem vita diviuaest; nihil habet, iiiquod amplius possit atlolli. Praeterea, si beata vita nullius est indigens, oranis be^ita vila perfecta est, cademque est et beata, et beatissima. Nuiiiquid dubitas , quiu beata vila summum boaum sit? ergo, si summum bomim habet, summe beata est. Qnemadmodum summum bonum adjectionem non recipit; (quid enim supra summum erit?) ita ne beata quidem vita , quce sine suramo bouc non est. Quod si ali- quem magis I)eatum induieris, induces et multo magis innumerabilia discrimina summi boni ; qunm summum bonum intelligam , quod supra se gradiim non babet. Si est aliquis minus beatus, quam alius , sequitur, ut bic al- terius vitam beatioris magis concupiscat, quam suam. Beatus autem nitiil su-t praeferl. Utrumiibet ei liis in- credibile est : aut aliquid beato restare, quod esse, quam quod est, malit; aut id illum non malle, quod illo me- lius est. Utique enim, quo prudentior est, hoc magis se adid, quod est optimum, eiteodet, et id omni modo consequi cupiet. Quomodo autem l>eatus est, qui cupere etiamounc polest, imo qui débet? Dicam quid sit, ex quo veniat hic errer. >iesciunt, beatam vitam unam esse. In optimo iltam statu poait qualitas sua , non magniludo. Itaque in cequo est longa, et brevis ; diftiisa , et aiiguslior; in multa loca , nmltasqae partes distributa , et in unum coacta. Qui illam numéro aestimat, et mensura , et partibus; id illi quod habet eii- mium , eripit. Quid autem est in beata vita eximium f quod plena est. Finis, ut puto, edendi biliendique satie- tas est. Hic plus edit, ille minus; quid refert 7 uterque jam satur est : hic plus bibit, ille minus; quid refert? ulerque non silit : hic pinribus annis viiit, bic paaciori- ÉPITUES A LUCILIUS. 715 soit rendu heureux aussi bien que l'autre. Celui que tu appelles moins heureux n'est pas heureux en effet; car cet étal ne souffre point de diminu- tion, comme il ne reçoit point d'accroissement. Qui est constant est sans crainte, qui est sans crainte est sans tristesse, qui est sans tristesse est heureux. C'est l'argument ordinaire de nos Stoï- ciens. Voici comme on tâche d'y répondre. On (lit que nous faisons passer pour maxime indubitable une proposition qui est fausse, ou du moins coniroversce, savoir, que l'homme con- stant est sans cfaiiile. — Quoi donc! disent-ils, l'honmie constant ne craindra point les maux qui vont lond)or sur sa Icte? — Cela n'appartient qu'à un fou et un insensé. Il pourra bien modérer sa crainte, mais non pas s'en exempter. — Ceux qui raisonnent de la sorte retombent toujours dans le même abus, et prennent les défauts, quand ils sont peliis, ou moindresque d'autres, pour des vertus; car celui qui craint plus rarement et moins que les autres, n'est pas sans défaut, mais il en souffre moins de peine. — Oui ; mais j'estime fort celui qui ue craint point le mal qui le menace de prés. — Vous avez raison, si c'est un mal en effet ; mais s'il sait (|ue ce n'est point un mal, et qu'on ne doit nommer ainsi que ce qui est déshonnèie , il doit regarder le péril avec assurance, et mépriser tout ce que les autres craignent. Au contraire, s'il n'appartient qu'à un fou de ne point craindre le mal , il est vrai de dire qu'on en aura d'autant plus de crainte qu'on aura plusde jugement. — Mais, selon votre opinion, dira quelqu'un, l'homme constant se doit exposer aux périls. — Nullement; il les évitera, mais il ne les appréhendera point ; la précaution lui est permise et non pas la peur. — Quoi ! ne craindra-t-il pas la mort, les chaînes, les feux et toutes les insultes de la lortune? — Point du tout, car il sait bien que toutes ces choses ne sont point des maux en effet, mais seulement en apparence. Il les regarde comme de vaines frayeurs de l'esprit humain. Représentez-lui la captivité, les fouets, les liens, la pauvreté, la contorsion des membres, soit par supplice ou pur maladie, et tout ce que vous sauriez ligurer de plus affreux ; il mettra tout cela au nombre des terreurs paniques, qui ne font peur qu'aux esprits faibles et timides. Après tout, pouvez-vous réputer mal ce que nous embrassons quelquefois volontairement? Voulez- vous savoir ce que c'est que le mal'^ C'est de céder aux accidents qui portent le nom de maux , et leur soumettre sa liberté pour laquelle on doit tout souf- frir. Mais il ne faut plus parler de liberté, si nous ne méprisons toutes ces choses qui nous rendent esclaves. On ne serait pas si fort en doute des de- voirs d'un homme courageux , si l'on savait ce que c'est que magnanimité. Ce n'est pas une témérité inconsidérée, un fol amour des périls, et un dé- sir des choses que tout le monde craint ; mais c'est un juste discernement de ce qui est mal et de ce qui ne l'est pas. La magnanimité a grand soin de sa conservation, et ne laisse pas de souffrir dou- cement les choses (|ui ne sont mauvaises qu'en ap- parence. — Quoi ! si l'on présente le couteau à la gorge d'un homme courageux, si on le taille tan- tôt en nn endroit, tantôt dans un autre, s'il sent les boyaux 'a nu dans son ventre tout ouvert ; si, pour lui rendre le> tourments plus sensibles, on les redouble par intervalle, si l'on fait couler le :kw; nihil interesl, ai tam iilum multi anni beatum fece- ^fant, quant htioc pauci. llle , quem tu minus beatum to- tu, non est li«alus : non potest nomen imminui. • Qui fortis est, sine timoré est; qui sine timoré est, line Iristitia est; qui .sine tristitia est, beatus est. • Nos- Irorum hœc intcrrugatio est. Adversus banc sic respon- dere conantur : Falsam nos rem et eontruTersiosam pro confessa vindicare; eum , qui furtis est, sine timoré esse. Qaid ergn? inqnit, fortis imminentia mala non timebit? Iitud démentis alienaliqne, non fortis, est. Itle vero, iu- ^it, moderatissime timet; sed in totum extra uietum non est — Qui bœc dicunt , mrsus in idem rerotvuntur , nt ill's Tirtulum loco sint minora \ilia. >'am qui timet ^idem , sed rarius et minus , non caret malitia , sed le- Tiore Texatur. — At enini dementem puto, qui mala im- ninentia non extimescit. — Verum est, quod dicis, si nala sunt; sed si scit, mala illa non esse, et unam tan- tnm turpitudmem malum judicat ; debebit secure peri- eola aspicere , et aliis timenda contemnere : aut, si slaiti et amentis est , mala non timere , quo quis prudeotior est , boc timebit magis.— Ut Tobis , ioquit , videtur, prx- t>ebit se periculis fortis. — Mmimc ! non timebit illa , sed vitabit : cautio illum decet , timor non decet. — Quid er- go?iaquit : mortem, vincula, ignés, alla tela fortunx, non timebit? — TV'nn I scit euim , illa non esse mala, sed videri; omnia ista humanx TitiC formidines pulai. De- scribecaptititaleni, vcrbera, catenas.egeslatem, et meiii- brorum laceialiones , \el per moibum, vel perinjur.am, et quidquid aliud attuleris; intor l;mpbaticos metus nu- méral. Isia limldis tiuicnda suiil. An id axistimas malum, ad quod aliquandu nobis nostra sponte veniendum est? Qua?ris , quid sit malum ? — Cedere bis, qua' mala vo- cautur, et illis libertateni suam dedere, pro qua cuncta patlenda sunt. Périt liberlas, nisi illa conteu>ninius, qu» nobis jugum impoount. Piou dubitarent , quid couTcniict forti ïiro, si scirent, quid esset forliludo. Non est entra inconsulta temeiitas, nec pcriculorum anior, nec formi- dabilium appclitio; scientia est disliiiguendi, quid sit ma- lum , et quid non sit. Diligentissima in lulcla .sui forlltud» est,eteadem patientissima corum , quibus falsa specit» malorum est. —Quid ergo? si fcrrum intentalur cerTict bus ïiri fortis ; si pars subimle alla atque alla suffodilur;. si viscera sua in kinu sua vidit ; si ex intervatlo, quo ma gis loiinenta scnliat, rcpelitur, et per assiccata viieer». 716 SÉNEQUK. sang tout chaud sur les plaies quand elles sont des- séchées, direz-vous que cet homme-la est sans crainte et sans douleur? — J'avance qu'il n'est pas sans douleur, parce que la vertu n'ôte point le sentiment; mais elle est sans crainte et regarde froidement et de haut en bas les plaies qu'on lui a faites. Savez- vous en quel clat est son esprit ? en celui où il était lorsqu'il exhortait l'un de ses amis à prendre patience dans sa maladie. Eiifln, ce qui est mal est nuisible, ce qui est nuisible nous rend plus mauvais; la douleur ei la pauvreté ne nous rendent pas plus mauvais; par conséquent ce ne sont point des maux. On répond que la première proposition est fausse ; car ce qui est nuisible à une chose ne la rend pas ionjouis plus mauvaise. Par exemple, la tempête et l'orage sont nuisibles à un pilote, et toutefois ne le rendent pas plus mau- vais. Quelques Stoïciens répliquent que la tempête et l'orage rendent le pilote plus mauvais, en ce qu'ils rompent ses desseins et l'empêchent de tenir la route qu'il s'était proposée. 11 n'est pas pour cela plus mauvais pilote, mais seulement plus malheureux ouvrier; à quoi le philosophe péripatéticien fait cette repartie: la pauvreté, la douleur, et les autres choses semblables, rendront le sage plus mauvais; car, sans lui ôter la vertu, elles se contenterout d'en empêcher les opérations. Cela serait bon si les conditions du pilote et du sage n'étaient pas différentes. Car celui-ci, dans la conduite de sa vie, se propose de faire bien tout ce qu'il doit faire , et non pas de venir "a bout de tout ce qu'il voudra faire; mais le pilote a résolu d'amener son navire au port. Les arts sont des ministres qui doivent faire ce qu'ils promettent; la sagesse est leur maîtresse et leur souveraine; les arts servent h la vie, la sagesse les gouverne. Pour moi , je voudrais répondre autrement, et dire que la tempête ne diminue rien de l'art du pilote, ni de l'exercice qujl en fait; qu'il ne s'est pas engagé "a rendre votre voyage heureux , mais a vous bien servir et 'a gouverner le vaisseau selon les règles de son art, en quoi son adresse paraît davantage lorsqu'il trouve plus d'obstacles et d'ac- cidents fâcheux. Un pilotequi peut dire : Neptune, tu ne feras jamais périr ce vaisseau que tout droit, sait bien son métier; la tempête n'empêche pas qu'il ne fasse son devoir , mais elle en arrête le succès. — Quoi ! direz-vous, ce qui éloigne le pilote du port , qui ren 1 ses efforts inutiles , qui le ren- voie d'où il est venu, qui le retarde et qui démâle son vaisseau, ne lui est-il point nuisible? — Oui bien, en qualité de voyageur, mais non pas en qualité de pilote; et bien loin d'être nuisible "a son art, cela le relève et lui donne de l'éclat ; car tout le monde est pilote quand la mer est bonne, dit le proverbe; ce sont des incommodités qui regar- dent la navigation et non celui qui en est le chef. En tant que chef, un pilote a deux qualités , l'une de passager, qui lui est commune avec tous ceux qui sont embarqués dans le môme vaisseau, l'autre de pilote , qui lui est particulière. La tempête l'in- commode en qualité de passager et non pas de pi- lote. De plus , le métier de pilote est le bien de tous ceux qu'il conduit, comme la science du mé- decin est le bien de tous ceux qu'il traite. La sa- gesse est un bien commun , elle ne l'est pas moins à ceux qui l'écoutent qu "a celui qui la possède. Je veux qu'on puisse dire que la tempête nuit au pi- recens dimillltur sanguis ; non timcre isluni tu diccs , non doleie ? — Is(e tero dolet ; sensuni raim lioniinis nulla cxuit ^irlus : sed non timet : invitus ex alto dolores sues spécial. Qua;ris, quis tune auinius illi sit? Qui ajgruni amicuni adliortantibns. Quod inalum est, nocet; quod nocet, deteiiorem fa- cit; dolor et paupenas deterioreni non faciunt : ergo inala non sunt. — • Faisum est, iuquit, quod proponltis : noncnim, si qiiid nocet, etiam deterioiein facit. Tein- pestas et procclla iiocet guliernatori , non tamen illum deteriorem facit. » — Quidam Sloici ita adversus hoc respondent : Deteriorem licii gul)ernalorem teiiipcstale ac procella , quia non possit id , quod proposuit , efficere , nec teneic cursum suum : deterioreni illum in arte sua non fieri, in opère fieri. Quibus Peripatcticus : Ergo, inquit, et sapientem deteriorem faciet pauperlas, dolor, et quidquid aiiud taie fuerit : virtuteui eniin illi non eri- piet, sed opéra ejus irapcdiet. Hoc recte diccretur, nisi dissimilis isset gubernaloris conditio, et sapientis. Huic enim pro|)ositum est, in vita agenda non ulique, quod tent;it, efficere, sed oumia rcclc fi:cere; gubcrnalori proposilum est ulique uavem in porlum perducerc. Arles minisfra; sunt; praestare debent quod promillunt : sa- pientia domina rectrixqueest. Arles serviuntTitîp, sapien- tia imperat. Ego aliter respoudendum judico : nec artem gubernaloris deteriorem ulla tempestate fieri , nec ipsam adminislrationera arlis. Gubernator tibi non felicilatem promisii, sed utilem operam, et navis regenJae scienliam : bxc eo magis apparet , que illi magis aliqua fortuita vit obstitit. Qui hoc potuit dicere : « Neptune, nunquam hanc uavem , nisi reclam ! » arti satisfecit : tempeslas uon opus guberuatoris impedit , sed successum.— Quid ergo? inquit , non uoctt gubernatori ea res , quas illum lencre portuin vetal ? quœ conalus ejus irritos etGcil?qua;autre- fcrt illum, aul delinet et exarmat? — Non tanquam gul>er- natori, sed tanquam naviganti nocet. Alioqui gul)ern>tori5 arleni adeo non impedit , ut oslendal ; trauquillo enim , ut aiunt, quilibet guberualor est. Navigio ila obsunt; non rectori ejus , qua rector est. Duas personas habet gu- bernator : alteram communem cum omnibus , qui eam- deni conscenderunt navem , in qua ipse quoque veclor esl ; alteram propriam , qua gubernator est. Tempestas tanquam veclori nocet , non tanquam gubernatori. Deinda gubernaloris ars alicnum bonum esl ; ad eos , quos vehit. EPITRES A LUCILIUS ri7 lole, parce qu'elle rcmpûche de rendre le service qu'il a promis. Mais la pauvreté, la douleur et les autres bourrasques de la vie, ne nuisent point au sage, parce qu'elles ne l'empêchent point d'agir, sinon au regard d'aulrui. Il est toujours occupé en lni-nu''rae, et principalement quand la fortune le vient choquer. C'est le propre oftice de la sagesse qu'il exerce alnrs comme un bien qui lui est com- mun avec le reste des hommes. Il ne laisse pas d'îlre utile aux autres, quoiqu'il soit nécessiteux ; car si , dans cet état, il n'enseigne pas comme il fautgiiuvernerunerépubli(|ue,ilmontreau moins, par son exemple, comme il faut se gouverner dans la pauvreté ; son emploi s'étend 'a tous les sujets de la vie. Il n'y a rien dans le monde qui ne soit de sa juridiction, car il agit sur cela munie qui l'empêche d'agir ailleurs. Il est propre à tous évé- nements, et sait ménager les bons et surmonter les mauvais; et, comme il n'a que la vertu pour objet, il ne considère point la matière qui lui ddit servir d'exercice, soit prospérité, soit adversité. De l'a vient que la pauvreté, la douleur, et tout ce qui jette ordinairement les ignorants dans la con- sternation, n'inlerdil point ses fondions. Pensez- vous que les maux l'incommoîlenl? Nullement , il sait les mettre en œuvre. Phidias <^avait faire des statues de bronze aussi bien que d'ivoire. Si vous lui eussiez présenté du marbre ou quel(fue autre matière plus commune, il en eût fait (ont ce qui s'en pouvait faire de meilleur. Le sage loiit de même fera connaître sa vertu en quelque condition qu'il se trouve, dans les richesses ou dans la pau- vreté, dans son pays ou en exil , capitaine ou sol- dat, sain ou malade; en un mot, il fera quelque chose de bon de telle fortune que vous lui donne- rez. Il y a des gens qui savent si bien dompter les animaux les plus terribles et les plus cruels, qu'a- près leur avoir fait perdre leur férocité naturelle, ils se les rendent encore familiers et les font loger avec eux. Vous verrez le maître d'un lion lui met- tre la main dans la gueule, le gouverneur d'un tigre le baiser diverses fois, un bateleur éthiopien commander 'a un éléphant de se mettre h genoux et de marcher sur la corde. Le sage sait de même apprivoiser les maux ; car, aussitôt que la dou- leur, la pauvreté, l'ignominie, la prison, l'exil, et toutes les autres choses qui nous font horreur, sont tombées entre ses mains, elles deviennent lé- gères et supportables. EPITRE LXXXVI. Louange (te Scipion , avec la description de sa maison de GnDpagnc — Il compare tes bains des anciens avec ceni de snn temps. — La manière de transptanter les arbres et la vigne. Je vous écris de la maison de Scipion l'Africain, après avoir adoré son ombre au pied de l'autel sous lequel je crois que ce grand personnage est enterré. Pour son âme, je suis persuadé qu'elle est relouniée au ciel , d'où elle était venue , non point pour avoir commandé de grandes armées (car Canibyse le furieux , de qui la témérité fut si heureuse , a fait la même chose) , mais pour son perlinet; quomodo medici ars ad eos, quos curât. Sa- picatia commune l)onum est , et eorum , cum quibiis yi- vit, et proprium ipsius. Itaque gubernatori fortassc no- cealur; cujus ministcrium , aliis promissum, tempestale impedilur : Sapienti rfon nocelur a paiipertalc , non a «lolore, non ab atiis tem|)estatibus vitée. Non eniin prolii- beotur opéra ejns omnia.sed lantuniadatios peitinentia : ipsescmper inaclu este: in cffcclu; tuncmaiimus, qunm iDi foi'tuna se opposuit : tune ipsius s.npientio; necolium •git, quani diximus et aiienuni lionum esse, etsuum. Prseterea , ne aliis quidem tune prodessc pru!ii!>etur, qnum illum aliqua; nécessitâtes preniunt. Propler pau- pertatcm prohitielur docerc, quemadmoduni tractanda respublica sit; at itiud docet , queuiadmodum tractanda fit panpertas; per totam vitam opus ejus estenditur. Ita nolta fortuna, nullares, actus sapienlis eicludit : idenim ipsum agit , qao alla agere prohilietnr. Ad ulrosque ca- (Ot aptus est, Iranorum rector, et malorum victor. Sic, inipiam.se eiercnit, ut virtulem tam in secundis, quam io adTersis, exhilwret; necmaleriam ejus.sed ipsam in- tuerelur. Ilaque nec pauperlas illum, nec dolor, ncc qiiidi|uem aliud, qiiod imperito» a?crlil et pr.Tcipiles •git, proliibct. Tci illum premi pu'as malis? IJtitnr. Non es ebore tantum Pbidias sciebat faccrc siniularra; facie- bat ex aère : si marmor illi , si adhuc viliorem materiam obtulisses,fecissel,qua1e ex illa (îeri optimum posset. Sic sapiens virtutcm , si liceb;t, indivitiisexplicabit; si minus, in paupertate; si polerit, in patria; si minus, in eisilio ; sipolerit, imperator; si niinu-i, miles; si poteril, inleger; si minus , debilis. Quiimcumque Tortunam acceperit , ali- quid et illa memnrabile efficiet. Certi sunt domilores fe- rarum, qui saevissima aninialia, et ad occursum eipa- vefacientia homiueui, cngniit patijugum; nec asperita- tem cuu sisse conten:i. usque in contubcrnium niiti- pant. LeiiniliMs ina[;i>ler manum insertjt; osculatur ligrin suus cusios; elepliantem minimus ^ttiiops jul)€t sut).sidere in genua , et ambulare per funem. Sic sapiens artifci est doniandi mata. Dolor, egestas, ipnnminia , carrer, eisilium, ubique liorrcnda, quuui ad hune per- venere, mansueta sunt. Vale. EPISTOLA LXXXVL DE VILI i ÀFRIClni UL'SQIIE SILMEO : DE OLEIS SEBEMIIS. In ipsa Scipioni» Africani Tilla jacens hapc lit)i scrilm, adiTais manibus ejus et ara , quam sepulcruni esse lanti vil i suspicor. Animum quidem ejus in ciRlum , ex quo eral , redisse pcrsuadeo niilii ; non quia niagnos t\i rritus duvit (bos cuim et Caniliyses furiosus, ac furore féliciter 718 insigne modération , et pour sa piété qui éclata davantage quand il se relira de sa patrie, que lorsqu'il la défendit. « Puisqu'il faut qiieScipion sorte de Rome , afin que la liberté y demeure sans ombrage, je veux, dit-il, obéir aux lois; je ne prétends |)oint de privilège contre mes conci- toyens; je suis bien aise que ma patrie jouisse du bien que je lui ai procnré. J'ai été la cause de sa liberté, j'en serai encore l'exemple. Je m'en vais, puisque ma présence cl ma grandeur lui soni sus- pectes.» Qui n'admirerait une âme si élevée? Il se bannit volontairement, et par ce moyen décbar- gea la ville d'un fardeau qui l'incommodait. Car les choses en élaient venues "a ce point, qu'il fal- lait que la libei lé l'emportât sur Scipion , ou Sci- piOQ sur la liberté : ni l'un ni l'autre n'était juste; c'est pourquoi il se soumit aux lois, et se re- tira a Literne, afin défaire voir que la république chassait celui-là inOme qui avait chassé Annibal. J'ai vu cetle maison, qui est bâtie de pierres de taille, flanquée de deux tours, et accompagnée d'un bois fermé de murs. 11 y a une citerne sous les bâtiments et sous les jardins, qui pourrait fournir une armée, une étuve fort élroile et mal éclairée, comme on les faisait au temps passé; car nos anciens ne croyaient pas qu'elles pussent être chaudes si elles n'étaient obscures. Je prends plai- sir à considérer la manière de vivre de Scipion , par rapport h la notre d'aujourd'hui. Je dis : C'est en ce coin-la que ce grand capitaine, qui fut au- trefois la terreur de Csrthage, h qui Rome est obligée de n'avoir été prise qu'une fois , se venait laver au retour de la charrue ; car il labourait la SÉINÈQUE. terre comme on faisait en ce temps-là. Il demeu- rait sous cette chétive couverture, il marchait sur ce pavé si mal propre. Qui se contenterait maintenant de telles éluves? On se croit misérable et mal ajusté, si dans les parois des lieux où l'on se baigne l'on ne voit éclater des pièces de marbre d'Alexandrie , marquetées d'une pierre de Numi- die, et (aillées en rond ; si l'on ne voit régner à l'entour une ceinture d'autres pierres de diverses couleurs, artistement travaillées, (jui font une es- pèce de peinture ; si la voûte n'est cachée sous le verre; si des cuvettes , oti l'on entre après avoir bien sué, n'ont le bord de pierre tliasienne, que l'on ne voyait autrefois que dans les temples; et si les robinets qui versent l'eau ne sont d'argent. Je ne parle encore que des étuvos du peuple ; que sera-ce quand je viendrai à celles des affranchis, que je dirai combien il y a de statues, combien de colonnes qui ne portent rien , et qui sont po^ées seulement pour l'ornement et pour la maguiG- cence? Quelle quantité d'eau tombe d'un degré sur l'autre , en guise de cascades , avec un bruit surprenant? Nous sommes venus à ce point de délicatesse, que nous ne voulons plus marcher que sur des pierres précieuses. Dans ces iiains de Sci- pion , au lieu de fenêtres, il n'y a que des fentes taillées dans le mur pour recevoir le jour sans af- faiblir le bâtiment. Mais à présent, si les étuves ne sont ouvertes, et disposées de manière qu'elles aient le soleil toute la journée, si l'on ne se hâle en se lavant, et si de la cuvette on ne voit à décou- vert la campagne et la mer, l'on dit que ce sont des tanières ou des grottes. Ainsi, des choses qui ont usus, habuit), sed ob egreglam moderalionem pietatem- que , magis in illo admirabilem , quum reliqiiit patriam , quani quum défendit. Aut Scipio Romae déesse debebat:, aut lioma liberlati. « Nihil , inquit, volo derogare Icgi- bus.nihit instilutis ; sequiini inter oniiies civosjussit; iitere sine me bénéficie nieo , patria 1 causa tilii liliertatis fui, eroetargumcntum.Eïeo, si plus,quam tibiexpedit, «revi. » — Quidni ego admirer banc magniludinem animi, qua in eïsilium volunlarinni secessit, et civilalem exone- I ravit? Eo perducta res erat, ut ant libertasScipioni , aut Scipio libertaii faceret injuriam. Neutvum fas erat; ita- que dédit locum legibus.clse Lileriium recepit, tam suiim exsilium rcipublica- inipiila unis , quam Hannibal. Vidi villam structam lapide qnadralo; nmrum cir- cumdaltim silva;; tunes quoquein propugnaculuni \illa! utrimque sul)reclas; cisternam a'diliciis : cviridihus sub dilam, quae sufficerc in usum vel exercitus pnssct; bal- neolum aiigustum, lenebricosum , oscon>uetudiiie anti- qua : non videbalur niajoribus noslrls caldum , nisi obscnrum. Magna ergo me voluptas subiit, contemplan- teni mores Scipionis ac nostros. In hoc ar giiloille Carlha- ginis horror, cuiRoma débet, quod lautuni .scnicl capta est , ablucbat corpus lal)oribus i uslicis fessum ; excrcel^it fnim opère se, tel nimque (ni mos fuit prisci.e) ipsc-nb- igebat. Sub hoc ille tccto tam sordido stetit ; hoc illam pavimenlum tam vile sustinuit I At nunc quis est, qui sic lavari susiineat? Pauper sibi videtur acsordidus, nisi I)arietes magnis et pretiosis orbibus refulsemnt; nisi Alexandrina mannora ? fcnestiae, muro lapideo exsccla;, ut sine injuria muni- menli lumen admittei ent : at nunc blattaria vocanl bal- nea , si qiia non ita apta!a sunt, ut totius diei solein feiicstris amplissimii recipiant; nisi et lavaulur simul et colorantnr , nisi ex solio agros et maria prospiciunt. Ila- que, quae concursnm et artmiratiouem babuerant quam dcdicarentur, in anliqnorum uumei-uni rejiciuntur, quuM EPITRES A LUCILII S. 719 altirc les yeux et l'admiration de tout le monde, au temps qu'elles ont ct-é faites , ne passent plus que pour des antiquailles, quand il plaît au luxe d'inventer quelque nouveauté et d'abolir ce qu'il avait introduit. Autrefois il y avait peu de bains, et l'on n'y voyait aucun ornement; car à. quoi bon enrichir une chose qui ne doit coûter qu'un liard, qui a été inventée pour la santé et non pour le plaisir ? On n'y versait pas de l'eau nouvelle, et celle qui était chaude n'y sourdait pas d'une fon- taine. On ne se souciait pas aussi qu'elle fût si claire parce qu'elle ne servait que pour décrasser. Mais, ô dieux ! qu'il y avait de plaisir d'entrer dans ces bains obscurs, qui n'étaient enduits que de plâtre, sachant que Caton, Fabius- Maximus, ou quel- qu'un des Cornéliens y avait trempé la main pour en régler la chaleur I Car alors ces édiles, de quel- que maison qu'ils fussent, avaient charge d'entrer dans ces lieux publics, a(in de les faire tenir net- tement, et de donner à l'eau 'une température commode et salubre , non pas comme celle d'au- jourd'hui, qui est tellenicut chaude que, pour pu- nir un esclave qui aurait fait (pielque mauvaise action , ce serait assez de le jeter dedans. Pour moi , je ne saurais plus distinguer si le bain est cbaud ou s'il brûle. Cependant nos délicats se raillent de la simplicité grossière de Scipion , qui ne savait pas éclairer ses étuves par de srands ch.issis de verre, se rôtir au grand jour et faire la digestion dans le bain. 0 le pauvre homme I di- st-nt-ils, il ne savait pas vivre. Il est vrai qu'il se lavait quelquefois dans de l'eau trouble, qui n'é- tait que de la bouc, quand il avait [>lu on peu fort; il n'attendait pas qu'elle fût reposée, cela lui était presque indifférent; car il y venait pour ôler la crasse de la sueur, et non pas celle des parfums. Ne croyez-vous pas que ces messieurs diront encore: Pour moi, je ne porte point d'envie à Scipion; c'était en effet une vie de banni, que de prendre le bain de la sorte; encore, aûn que vous le sachiez, il ne le prenait pas tous les jours; cai' au rapport de ceux qui ont écrit des mœurs et coutumes de nos anciens, ils lavaient tous les jours leurs bras et leurs jambes pour les nettoyer de l'ordure qu'ils avaient contractée dans le travail. Mais, pour le reste du corps, ils ne le lavaient qu'une fois la semaine. Quelqu'un pourra dire en cet endroit : «Ils étaient donc bien sales? Que pen- sez-vous qu'ils sentissent? Ils sentaient l'homme, la poussière et le fer. » Depuis que les bains sont si propres, les liommessont devenus plus sales. Aussi, quand Horace veut représenter un infànje qui se plonge en toutes sortes de délices, que dit-il? Uu- tille sent le musc. Si Rufille vivait aujourd'hui, et qu il n'eût point d'autre parfum, il vaudrait au- tant qu'il sentît le bouc, et on le confondrait as- surément avec ce vilain Gorgonius, que le même Horace lui oppose. Ce n'est plus rien de prendre du parfum , si on ne le renouvelle deux ou trois fois par jour, de peur qu'il ne se dissipe a l'air. Que direz-vous qu'ils s'en glorifient comme s'ils étaient nés tout parfumés ? Si cet entretien vous semble trop mélancolique, prenez- vous-en au village où je suis. J'y appris d'^.gialns, qui est maintenant le maître de celle maison et fort intelligent dans le ménage, qu'un arbre, si vieux (|u'il soit, se peut transplanter. C'est un secret <|u'il est nécossaiie de savoir pour aliqiiid novi luiurla commenta est, quo ipsa seobrneret. At olim et pauca erant l>iilnca , ncc ullo cutlu eiornata : ciir entra ornarctiir res ([iiadranliiria , et in usum , non oblectameotuni , reperla ? Non suff nndebalur aqna , ncc recens temper veluteicalido fonte curreb:il ; necreferrc rrcdebant, in quani pertuclda sordes deponcrent. Sed, Dii boni, qiiam juvat itta l>alnea inlrarc obscura, et gregali tectorio indiirta , qux scires Catonem tibi xdi- leni, ant Fabium Maximum, aut ex Cornetiis aliqurm, oiaDasuateniperaMc'!' Nam liocqunquenobilissimia-dilcs fun(>..l)antur officio, intrandi ea loca, qniE populum re- reptabant, exigendique mnnditias, et utilcm ac salutarem ttraperaturam ; non liane qua.- nuper inventa est , similis inceodio; adeo quidcm, ot conTictum in atiquo scetere tervam tivum lavari oporteal. ISihit mihi videtur jam lulci'usse , ai'de.it balneum, an caleat. Quanta; nunc ali- qui rusiicilalis damnant Scipionem , quod non in calda- rium suum latis specularibus dicm admiseral I qui>d non in malta lucc dixoquebatur, et esspectabal ut in batneo co jueretur I O liominem catamitosum I nesciit viTcre I Tton saccata aqua lavabslur. sed saepe tnrbida, et, quum pluerrl Teliemenlius , po-ne Inlulenla I Ncc multum cjus inlercrat, an sic lavarctnr; vcniebat enim, ut sudorem fllic alihierct ; non ut unguenlum. Quas nunc quorum- dam futuras Toces crcdis? « Pion invideo Scipioni : vers in exsilio vixit, qui sic lavabatui'. » Imo, si siias, non quntidio lavabatur ! ÎSam , ut aiunt qui piiscos mores Urbis Iradidcrunt , biachia cl crura quotidic abluebant, quse scilircl sordcs operc collcgeranl: cœlerum loti nun- dinis laTabanlui-. Hoc loco diccl aliquis : ■ Liquct ira- mundissimos fuisse. Quid putas illos olulsse? » Mililiam, laborem, »irum! l'oslquam munda balnea inventa sunt, spurciores sunt. Descripturus iufamcm et nimis notabi- Icm deliciis Horatius Ftaccus, quid ait? Pastillos RuHUua olet ! . Dares nunc Rufillum; perinde csset , ac si hircum ole- ret et Gorgonii loco csset , queni idem Horatius Rulillo opposuiU Parum est, suraere ungucntnm, ni bis die ter- que renovetur, ne eviincscat in corporc. Quid , quod ii- dem hoc odore, tanquam suo glorianlur ? Uaec si tibi nimium tristia videbunlur, villa; imputabis; io qua didici ab /Egialo, diligentissimo patrcfamiliae (is enim hujns agri nunc posscssor est ), quamvis vetu« 790 SÉNÉ nous autres vieillards qui ne planions jamais d'oli- viers que pour l'utiiilé d'aulnii. Je puis dire que j'ai vu des vergers d'arbres fruitiers de trois ou quatre ans, ainsi transplantés, rapporter des fruits l'aulomue suivant ; vous trouverez aussi du couvert sous cet arbre, Dont l'ombre est réservée aux arriére-neveux , comme parle Virgile , qui a dit bien des choses avec plus de grâce que de vérité, et a eu plus de soin de divertir le lecteur que d'instruire le la- boureur. J'en passerai plusieurs exemples pour ra'arrûler "a celui que j'ai été obligé de condamner aujourd'hui ; Il faut semer en mars la fève et le sainfoin ; Si vous voulez du mil, prenez le même soin. Voyez s'il a raison de dire qu'il faut semer en même temps les fèves et ie mil, et en la saison du printemps. Nous sommes sur la On du mois de juin, et cependant j'ai vu eu même jour cueillir des fèves et semer du mil. Je reviens "a nos oliviers que j'ai vu transplan- ter en deux façons. Ou prend la lige des arbres déj'a grands , on leur coupe les branches "a un pied près du tronc avec les racines dont ou ne laisse que la crosse , laquelle on trempe dans du fumier bien pourri , puis on la met dans la fosse. Après cela on jette de la (erre par-dessus , on la presse, on la foule en marchant "a l'entour; car il n'y a rien de meilleur, a ce qu'ils disent, pour empêcher que le froid et le vent n'y entrent, et que l'arbre ne soit ébranlé. Par ce moyen , les racines venant à naître, prennent terre 'a leur aise; autrement, QUE. la moindre agitation serait capable de les arra» cber, étant encore toutes tendres, et ne se pouvant maintenir d'elles-mêmes. Mais on racle un peu de la crosse avant que de la recouvrir, parce que de ces endroits, qui ont été ainsi écorchés, il en sort de nouvelles racines. Au reste, il ne faut pas que la tige sorte plus de trois ou quatre pieds hors de terre, afin que l'arbre pousse d'en bas, et qu'il ne demeure point sec et flétri, comme sont les vieux oliviers. L'autre manière de transplanter, c'est de prendre des scions un peu loris , qui n'aient pas l'écorce dure comme sont ceux des jeunes ar- bres, et de les planter ainsi que je viens de dire. Ils ne viennent pas si vile; mais le bois n'en est jamais ridé ni galeux, parce ijii'il procède d'un plan tout nouveau. J'ai vu encore transplanter une vieille vigne. Il faut, s'il est possible, conserver jusqu'aux moin- dres cheveux de ses racines, quand on les arrache, puis la coucher et l'étendre au large, ahn que le corps même jette des racines. J'en vois qui ont été plantées en février, et même après la fin de mars , qui sont si bien reprises qu'elles se sont déjà liées au-del'a de leur ormeau. Mais on dit que tous ces arbres "a baule tige veulent être arrosés d'eau de citerne. Si cela est bon , nous avons la pluie 'a commandement. Je ne vous en veux pas apprendre davantage, de peur que, comme jEgia- lus m'a donné occasion de le contredire, je ne vous donne aussi matière de disputer contre moi. arbustum posse transferri. IIoc nobis senibus discere necessarium est , quorum nemo non olivetura alleri po- nit; quod vidi illuin arhorum trinium aut quadrimum fastidiendi fructus autumno deponere. Te quoque pro- tegct illa , qua; Tarda venit, seris factura nopjtibus unibram , ut ait Virgilius noster , qui non, quid verissime, sed quid decentissiuie dicoretur, aspexit ; nec agricolas docere voluit, sed legcntes delectare. Nam (ut oniuia aba trans- eam ) hoc, quod mihi hodie necesse fuit dcprehcndei c, ïdscribam : Vere fabis satio est : tune te quoque , medica, putres. Accîpiuiit siilci , l't niiUo venit anuua cura. An une tempore ista ponenda siat, et an utriusque verna sit satio, bine a'stimes licet. Juuius nieosis est, quo tibi scribo, jam proclivus iu Julium : eodem die vidi fabara nictentes, milium sorentes. Ad olivctum revertor, quod vidi duobus modis dcpo- situm. Magnarum arlwruui truncos, circumcisis raniis et ad unum rcdactis pedem, cuni rapo suo transtulit, amputalis radicibus, relicto iantuiu capite ipso, ex quo illa; pependeraut. Hoc fimo tiuctum in scrobeni deniisiî: deinde tcrram nonaggessitlanlum, sed calcavitetpressit. Negat quidquam esse bac, ut ait, spissatione efllcacius; videlicct frigus eicludit et ventum : minus praeterea mo- Tctur; et fib hoc nascentcs radiées prodire patitnr, ac solum apprehendere , quas necesse est cereas adbuc, et precario hsrentes, levis quoque revellat agitatio. Pa- rnm auteni arl)oris, antequam o')ruat, radjt. Ex omni enim materia quae nudata est, ut ait, exeunt radiées no- vae. Non plnres autem super terram eminere débet trun- cus , quam très ant quatuor pedes; slatim enim ab imo vestietur, nec magna pars, quemadœodum in olivetis veleril)us, arida et retorrida erit. Aller poneudi niodns hic fuit : rames fortes, nec corticis duri , qualos esse novellarum arborum soient , eodem génère dcposuit. Hi pauli) tardius surgunt ; sed, quum tauquam a planta pn>- cesscrint , nibil babcnt in se aut horridum aut triste, lllud etiam nunc vidi , vitcm ex arbusto sa:> annosam Iransforri : hujus capillamenta quoque, si Oeri potest , colligenda sont; deinde liberalius sternenda vitis, ut ctiam ex corpore radicescat. Et vidi non taiitum mense Februario positas; sed jam Martio eiacto lenenl et com- plexée suut non suas uluios. Omnes autcm istas arbores, quae, ut ila dicani, grand scopiae sunt, ait aqua adjuvanda cistcrnina : qua; si prodest , babenms pluviam iu nostra potestale. Plura te docere non cogito; ne, quemadmo- dum ^gialus noster me sibi adversarium paravit, sic ego parem te mibi. Vale. KPITKES A LUCILIUS. 721 ÉPITRE LWXVII. Que l'on doit estimer nn bomme poar ton mérite et noD poar aa fortune. — Il prouve encore , par de nouvelles raisons , que le reste suftit pour rendre la vie heureuse. J'ai fait naufrage avant que d'être embarqué. Je ne vous dirai point comment cela est arrivé, de peur que vous ne le mettiez au rang des paradoxes sloTijiies. Ce n'est pas qu'il y en ait un seul qui soit faux, ni si étrangequ'il parait d'abord, comme je vous le ferai voir quand il vous plaira, et peut- être quand il ne vous plaira pas. Cependant sachez que j'ai appris, en mon voyage, que nous avons beaucoup de eboscs superflues, et que nous pour- rions facilement mépriser par la raison , puisque nous les perdons quelquefois sans nous en aperce- voir. Il y a déj'a deux jour? que nous demeurons ensemble, Maxime et moi, avec toutes les satisfac- tions possibles, n'ayant de serviteurs que ce qu'un coche en a pu emmener, ni d'équipase que ce que nous avons apporté sur nous. Mon matelas est 'a terre, et moi sur mon matelas. De deux man- teaux , l'un sert de couverture et l'autre de courte- pointe. Il n'y a rien "a retrancher de notre dîner, il est prêt en moins d'une heure. Mais, comme je ne suis jamais sans figues, non plus que sans ta- bietles, elles me servent de viande quand j'ai du pain, et de pain quand je n'ai point de viande Elles me ramènent chaque jour l'an nouveau , le- quel je tâche de me rendre heureux et favorable par de bonnes pensées, et par l'élude de cette fer- meté qui n'est jamais plus grande que lorsqu'elle s'est dépouillée des choses étrangères; qu'elle s'est rendue tranquille en bannissant la crainte, et ri- che en étoulfanl la convoitise. Je suis venu dans un carrosse de village : les mules ne vivent que de ce qu'elles trouvent par les chemins; lemuletier est nu-pieds, etpourlant ce n'est pas 'a cause de l'été. J'ai peine "a me ré- soudre d'avouer (|ue ce soit mon carrosse; j'ai encore de la houle de bien faire; car je rougis malgré moi quand je rencontre quelque train plus propre que le mien. C'est un témoignage certain que je ne suis pas encore bien affermi dans les sentiments ,que j'approuve et que je révère. Qui est honteux d'avoir un méchant carrosse, serait glorieux s'il en avait un bon. Je ne suis pas en- core bien avant, puisque je n'ose pas faire voir ma frugalité, et que je me mets en peine de ce que diront les passants. Bien loin de crier à tous les hommes : « Vous êtes des fous, vous vous trom- pez , vous admirez des choses superOucs, vous n'estimez personne pour son propre mérite. Vous savez bien compter ce qu'un homme a vaillant. .Si vous voulez prêter de l'argent ou faire plaisir à quelqu'un ( car on ne le fait pas sans y avoir bien pensé), vous diles : — Il a beaucoup de biens, mais il doit beaucoup; il a une belle maison, mais il l'a aehelée de l'argent d'autrui ; il n'y a personne qui ail un train plus leste, mais il n'acquitte point ses dettes; il ne lui resterait rien s'il avait payé ses créanciers. — Vous devriez en user ainsi de tout le reste et considérer ce que chacun a de bien qui lui soit propre ». Vous croyez que cet homme est riche parce qu'il a de la vaisselle d'or qui le suit quand il va en campagne , parce qu'il lait labou- EPISTOLA LXXXVII. Dï FBCCiLITlTE ET LOXC : IS DIVITIf BOKUa SIFIT? Naufragium, antequain naveni ascenderem , feci : quo- modo acciderit, non adjicio, ne et hoc putes inter Stoica paradota ponendum ; quorum nullnm esse falsum , nec iam niirabile , quam prima facie vidctur, quiini volueris approbalM, imo etiani si nolucris. Intérim hoc me ilcr docuit , quam mulla haberemus supe^^acua , et quarii fa- cili jiidicio possemus deponere, qua; . si quando ncccssi- taiabstulit, non sentimus ablata. Cum paiicissinns ser- vi», quos uniim capere Tebiculum pDtuit, sine ullis rébus, nisi qua; corpore nostro contincbarituj, ego et Maiinius meus bidnum jam beatissiniuin agimus. Cul- cita in terra jacet, ego in culcita. En dualms pcnulis, altéra stracnlum, altéra opertorium facta est. De pran- dio nihil detrahi potuit : paraliim fuit non m;igna hora , atuquaro sine caricis , nus(|uam sine pugillaribus. Illœ, •i panem babeo, pro pulmentariosunt; si non,pro pane; qootidie mihi annum novum fariunt , quem ego faustum H felicem rcddo bonis cogitaticinibns , et animi magni- ^adUie; qui nunquam major est, quam ubi aliéna sepo- ■rit , et fecit sibi pacem , nibil timendo ; ftcit sibi divi- tias , nibil coociipiscendo. Vchiculum , in qiio positui sum, rusticuni est. Mulx, vivere se, aml)uland(i testan- tur; muiio eicalccatiis, non propter sestatcm. Vii a me obtineo , ut boc vcliiculum velim videri mcuni : durât adhuc pervcrsa recti verceundia. Quoties iii aliquem romitatum lauti^ireiii incidiiiitis , invitus erubesco; quod argunieutum est , ista , qux probo , qua.- laudo , nondum haliere certani Tidcin et immobiicm.Quisdrdidovehiculo erubescil, pretioso glurialùtur. Paruin adhuc profcci; n' nduni audeo frugalitatem palani (erre; etiaui nunc euro opiniones viatorum. Con:ra tutius gcneris hummi opiniones miltenda vox eral : ■ Insanitis. erratis, stupelis ad supervacua, nemi- nem xstimatis suoi Quuni ad patrin:onium ventiim est, diligeotissimi coniputatores , sic ralionini poniiis smgulo- runi, quibus aut pecuniam crcdituri esLis, aut lienelicia ( nam ha'c quoque J.im eipensa ferlis ) : • Late possidet , sed multum débet; habet domum foriiiosaiii, sed alienis nummis paralam ; familiani uenio cito speciosiorem pro- ducet, sed nomioibus non respoiidet; si cicditoribus sol- verit , nihil illi supererit. » Idem in reliquis quoque facere del>ebali8 , eiculcre quantum pioprii quisque ha- lieatl • Divilem illum putas, quia aurea supellei eliain lu via enm tequitur; quia in omnibus provinciis arat; qiiis 46 722 SÉIS rer en toutes les provinces, parce qu'il a un gros regislre de rentes , et qu'il possèle plus de terres auprès de Rome qu'il n'en laudrail pour attirer l'envie d;uis li-s désnls de la Poiiille. Après que vousaurez inul dit, il osi pauvre.— El poui (juoi? — Pareil qu'il doii. — Conibicu?(leM)aiiderez-vous. — Toul ce qu'il a. Si ce u'csi que vous prétendiez qu'il y ait dillcrencc de devoir 'a un homme ou a la l'iirti.ne. Que lui servent ses mules si grasses et louies|)ar(ille5? Que lui servent ses carrosses dorés? I,es f h 'vaiix sont c uveris de liousses d"écarlate, Où l'or sen é de lleurs et de i ei'l s étiale; Ils Diit des ciillitis d'iir sous Ij gorge peuilanls, El des luurs d'or massif qui souneut sous leurs dcuts. Tout cela ne rend point le maîlre ni les chevaux meilleurs. Caton le censeur (de qui la naissance ne fut pas moins avantageuse au peuple romain, que ci'llo de Scipiou ; l'un ayant comhatiu contre ses vices, et l'autre contre ses ennemis) montait oïdiu.iirenieiit sur un hongre, et y aliachait un sac où étaient ses besognes. Qu'il y aurait eu de plai- sir à le voir rcncoulrer quelqu'un de nos fanfa- rons (pu marchent "a grand iquipage, avec des cou- reurs et des liarbes qui font voler la poussière de tous côtés! Il est sans doute qu'on aurait trouvé celui-ci p!us propre et mieux acronipagné que Ga- lon; mais, avec tout ce bel appareil, vous auriez peut-être vu un homme eudettr de telle sorte, qu'il aurait songe à prendre (larli parmi les gladia'eurs. Il était bien glorieux 'a ce siècle-là qu'un général, qui avait eu les honneurs du triomphe et la di- gnité de censeur, et, ce qui est plus (pie tout cela, qu'un Calou se contentât de moitié d'un ÊQUE. cheval ; car sa valise , qui était derrière sa selle , occupait l'autre moitié. Sans mentir, ne préfé- reriez-vous pas ce cheval-l'a, que Caton pansait lui-même, à tous ces guilledins , ces barbes et ces haquenées? Je sais bien que ce sujet m'emporterait trop loin, si je ne m'arrêtais moi-même, après vous avoir dit que celui qui a inventé ce nom de train s'est bien douté qu'il deviendrait un jour si embarrassant , qu'il le faudrait traîner comme l'on fait aujourd'hui. Je veux maintenant vous apporter encore quel- ques arguments , par lesquels nous prouvons que la vertu suflit pour rendre la vie heureuse. Ce qui est bon fait les hommes bons ; car ce qu'il y a de bon dans la musique fait les bons musiciens; les choses fortuites ne font point l'homme bon. Par conséquent , elles ne sont pas bonnes. Les l'éripatéticiens répondent que la première proposi- tion est fausse ; car ce qui est bon ne fait pas tou- jours les hommes bons. Il peut y avoir daus la mo- siqiic quelque chose de bon , comme la corde , la flûte, ou quelque autre instrument propre à l'har- monie; mais rien de tout cela ne fait le musicien. Noms leur répliquons qu'ils n'entendent pas ces mois : Rendre bon le musicien: car ce n'est pas l'iiislrument qui opère cet effet, mais c'est l'art même, auquel s'il se rencontre quelque chose de lion , il fera sans doute le bon musicien. Je m'en vais vous l'éclaircir encore davantage. Ce qui est bon en l'art delà musique se dit en deux façons: l'une, quand il sert a l'action du musicien ; l'autre, quand il sert à son art. I.a corde, la fliîle et les autres instruments regardent l'action et non point magnus kalendarii lil:er Tolvitur ; qiiin lantum .isi fnile judicts interesse, uliuni aliquis ab tioniiiie, ^in a for oiia uiutuuinsumpserit.Quiiiaii renipir.inenlnmlu: sagiuata;, unius omues coloris i? quid is:a velii ula cu-luia? . . . Instrafi ostr — Hic respondebimus : ?ton intelligiti* quomodo posuerimus , • quod bonum est in musica. • Non enim id dicimus , quod instruit musicum , sed quod facit : tu ad supellcctilem artis, non ad artem venii. Si quid autem in ipsa arte musica Iwnum est, id utique mu- sicum faciet. Etiamnunc facere id planiui volo. BoaumiB ÉPURES A LUCILIUS. 723 l'art ; car, sans cela , le musicien ue laisse pas de savoir la musique; mais peut-être qu'il ne s'en pourrait pas servir. Il n'en va pas de même dans l'borame; car tout ce qui lui est hon le doit être pareillement a sa vie. Ce qui peut arriver au der- nier de tous les hommes ne peut être estime bien. I.cs richesses peuvent arriver a un homme qui fait un traOc infâme, et à un bourreau ; elles ne sont donc pas des biens. Cela est encore faux , ré- pondent-ils. Car, dans l'art de grammairien , de médecin et de pilote , nous voyons que les biens tombent entre les mains de gens du plus bas étage. , Je l'avoue; mais ces arts ne font point profession de magnanimité; ils ne relèvent pas t' esprit, et ne lui inspirent pas le mopris de tout ce qui est for- tuit et qui dépend du hasard. La vertu , au con- traire , rehausse l'éclat de l'homme , et le met au- dessus de ce que tout le monde adore; il n'a point de désir ni de crainte pour toutes ces choses à qui l'opinion a donné le nom de biens ou de maux. Chéiidon, un des mignons de Cléopâtre, pos- sédait de grands biens. En ces derniers temps , Natalis , de qui la langue o'était pas moins sale que dangereuse , eut beaucoup de successions du- rantsa vie , et beaucoup d'héritiers après sa mort. Quoi donc! fut-ce lui qui déshonora les richesses, ou les richesses qui le déshonorèrent? Il est vrai qu'elles tombent quelquefois entre les mains de certaines personnes, comme un écu dans la boue. La vertu est d'un ordre supérieur, son estime est fondée sur sa propre valeur. Elle ne prendra ja- mais pour des biens les richesses , de quelque ma- nière qu'elles lui arrivent. Or, la profession d« médecin ou de pilote ne défend pas l'estime et l'ad- miration des richesses; aussi peut-on, sans être hommedebicn, embrasser ces conditions, comme on prendrait celle de cuisinier. Mais vous ne direz pas que ce soit un homme du commun qui possède une chose qui n'est pas commune. Nous sommes d'ordinaire tels que ce que nous possédons. Le panier ne vaut que ce qu'il con- tient , on se donne même par-dessus. Le prix d'un sac n'est pas le sac , mais le compte de l'ar- gent qui est dedans. Il en est de même de ceux quifontl<'Sopulenls:iIsne sont que des accessoire» (le leurs richesses. D'où vient, pensez-vous, la grandeur du sage? De la {;randeur de son Ame. Il est donc vrai que ce qui peut arriver aux person- nes les plus viles ne doit pas être appelé bien. Aussi ne dirai-je jamais que l'insolence soit un bien, puisqu'elle se rencontre dans la puce et dans la cigale. Je ne dirai pas encore que ce soit un bien que d'être toujours en repos, et de n'avoir rien qui nous fâche. Y a-t-il rien au monde qui soil plus en repos qu'un ver? Voulez-vous savoir ce qui fait un homme sage? C'est ce qui le fait un dieu. Car il faut demeurer d'accord que c'est quel- que chose de divin, de céleste et de magnifique. Le véritable bien ne se rend pas si commun ; tou- tes sortes de personnes n'en sont pas susceptibles. CoDsidérez du sol la aatiire secrèle. Ce qu'une terre veut, ce que l'aulrc rejette. Ce fonds est propre au blé ; cette côte au raisin ; L'bert>e proCle ici ; là , le mil et le lio ; arte mnsica duobns modis dicitur : altère , que eftectus musici adjuTatur; altère, quo ars. Ad effectum pertinent iiulramenta , tibix, et or|;aaa, et chordx ; ad artem ip- sam oea pertinent. Est eniin artifei ietiam sine isljs; uti forsitan non polest arte. Hoc non est xque duplex in bemine : idem enim bonuni et hominis , et vitae. • Quod cnntemptissime cuique contingere ac turpissi- ino potest, booum non est : opes autem et lenoni , et la- nislse cnntinguot : ergo non sunt lK>na. > — Faisuui est, inquiunt, quod proponilis.Nam rt in cramnialica, et in arte medendi , aut gubernandi , videmus Imniilliniis qui busqué bona contingere. — S 'd isla; arles non sunt niagniiudinem animi professip, non consnrgunt in al- tiim, nec fortuits fastidiuni. Virtus eitollit homincm , et supra cara niortaiiinis collocat: nec ea , qua» bima, nec ea, que mala vecantur, autcupit niinis, aut czpavescil. Cbelidun, unos ex Cleopalrae mollibus , patrimeniuin grande possedit. Nnper Natalis, tam improlia; linguae, quam impur», in cujus ère femius purg.ibantur, et niullornm hères fuit, et mullos babuit beredes. Qnid er\io:' ulrum illum pecunia impurum effecit, an ipse pe- cuniam inspurcavil ? quae sic in quosdam bomines , quemodi deuarius in cloacam cadit. Virtus super ista cou^i8lil; sue cre eenietor; nibil ex istis quomodoli- bet iocurrentibus bonum jndicat. Medicioa, et guber- nalie, non iulcrcidit sibi ac suis admirationem talium rerum. Qui non est vir bonus, potest nihiloniiuus niedi- cus esse; potest gubernator, polest gramiiiaticus, tam meherculcs , quam coquus. Cui coutingit habere non quif- libet, hune non quenilibct diieris. Qualia quisque babet, tatis est. Fiscus lanli est, quantum bal)et; imo in acces- sionem ejus venit quod babet. Qiiis pleiio sacculo ullum prelium ponit, nisi quod pecunia- in e» conditte numerus effecit? Idem eirenitmagnnrum dominis palrimeniorum ; accessiones illornm et appendices sunt. Quare ergo sa- piens magnus est? quia ni gnum animum hahet. \ crnm est ergo, « quod ainlemplissimo cuique coutingit, bo- num non esse. « Itaque indolenliani nunquani l>onum di- cam : babet illam cicada, babet imlex. Ne quiclem qui- dem , et melestia vacare benum dicam : quid est otiesius verme? QuEeris , quœ re> sapientem faciat ? — Quae Deum. De» oportetilli divinum aliquid, cœleste, magnificum. Non in omnes bonum cadit, nec quemlibet possessorem patl- tnr. Vide. Et quid quaeqne ferat regio, et quid quaeque recnsel. Hic teffttn, illic veniunl felicius uvat ArlMirci fiFlii» alibi, atque injnssa virescnnl 734 SÉNÈQUE. Le» arbres et les fruils croissent ailleurs sans peine. En CCS lieux le safran du mont Tmole s'amène; On doit l'ivcirc à l'Inûc, aux Sahétns l'encens, Anx Cabyles le fer. Toutes ces choses ont cUi disli ibuées par climats, afin que ks besoins niciproqurs des hommes rendissent le commerce nécessaire entre eux. I.e souverain bien a aussi un fond qui lui est pro- pre; ce n'est pas celui qui produit l'ivoire et le fer. Mais, si vous le voulez savoir, c'est l'âme pure et sainte, laquelle, autrement, ne serait pas capable de concevoir un Dieu. Le bien n'est point un effet du mal; les richesses sont un effet de l'avarice; par conséquent les richesses ne sont point de véritables biens. Il n'est pas vrai , disent- ils, que le bien ne puisse être un effet du mal; car, du larcin et du sacrilège il en vient quelquefois de l'argent, et la raison pourquoi le sacrilège est estimé mauvais, c'est qu'il produit plus de mal que de bien , le profit qu'il apporte étant ordinai- rement plein d'appréhension, d'inquiétude et de travail d'esprit et de corps. Quiconque dit cela est obligé d'avouer que , comme le sacrilège est mau- vais 'a canse qu'il produit beaucoup de maux, de môme il est aucunement bon, parce qu'il produit quelque sorte de bien. Mais ^ a-t-d rien de plus horrible que de mettre le sacrilège, le vol et l'a- dultère an nombre des biens? ILf cependant nous nous laissons persuader celte opinion. Coa.bien en voyons nous (|ui n'ont point de honte de leurs vo- leries , qui font vanité de leurs adultères? Car on raet en justice les petits sacrilèges, on porte les grands en triomphe. De pins, si le sacrilège est aucunement bon, il sera pareillement hcmnête, et l'on pourra dire que nous aurons fait une bonne action ; ce qui ne peut entrer en ia pensée des plus scélérats. Par conséquent, le bien ne peut être un effet du mal. Car si, comme ils disent, le sa- crilège n'est mauvais qu'à cause qu'il apporte beaucoup de mal, remettez-lui la peine, promet- If z-lui l'impunité , rien ne l'empêchera plus d'être entièrement bon; et cependant le plusgrand sup- plice d'un crime se trouve en lui-même. Vous vous trompez si vous croyez qu'un méchant homme ne soit puni que lorsqu'il est dans les fers ou entre les mains du bourreau; il l'estaussilôt que le crime est commis, et souvent même en le commettant. Vous voyez donc que le bien ne saurait procé- d( r du mal, non plus qu'une figue, d'un olivier. La plante répond à la semence; ce qui est bon no peut dégénérer. Comme ce qui est honnête ne vient point de ce qui est infâme, ce qui est bon ne vient point aussi de ce qui est mauvais; car le bon ei l'honnête sont une même chose. Quelques-uns de notre secte répondent de la sorte. Supposons que l'argent soit bon, de quelque part qu'il vienne; néanmoins l'argent qui procède d'un sacrilège ne tient rien du sacrilège. Ceci vous le fera mieux entendre. Il y a de l'or et une vipère dans le même pot : si vous en ôlez l'or, parce qu'il y a une vi- père dedans, le pot ne vous donne pas l'or à causi! qu'il a une vipère, mais il vous donne l'or ayant aussi une vipère. C'est ainsi que l'on reçoit du proli t (I n sacrilège , non pas a cause que le sacrilège, do soi, est infâme et criminel , mais parce qu'il contient en soi du profit : comme dans ce pot, et' qu'il y avait de mauvais, c'est la vipère, et non pas l'or ; aussi, dans le sacrilège, c'est le crime et non pas le profit. A quoi l'on réplique que ers deux choses n'ont rien de semblable- car je puis Gramiiia. Nonne vdes, croc'os ut Tm >Iiis odores, Ind'a miUi' ebur, molles sud Uiura Sabeei ? At Clialybes midi ferriiin Ista in reRi'>nes descrip'a sunt, ut necessariuni morlali- bus esset intcp ipsos cmuneniimi, si inviceui alius ali- quid ab alio petcrei. Summum il iid honiim halict et Ip- sum .suam sodem ; non nasci ur ubi ebur, ucc ulii feiruni. Quis sit Kunmii boni Idcus , qui-ris? Auiumsl llic, nii punis a ■ sanctiis est, Ueiim non enpil. t Bonuni ex malo non fît : di>ilia' autcm fiunt ox ava- ritia : divitia; ergo non sunt bonuni. » — Non est , inquit, verum, lionum ex malo non nasci , ex s; crilegio euiin et furto pecunia n scitur. Ilaque malum quidem est sacrile- gium et furtum; sed ideo, quia plura mata facit, quani liona : dat enim lucrum, sed cuui metu , sollidludine , tormenlis et animi et corporis. — Quisquis boc dicil , ne- cesse est recipiat, sacrilegium sicut nialuni sit, quia niulla niôla (acit, ita bonuui quo(|ue ex aliqua parte esse, quia atiquid boni facit: quo quid (ieri portentosius polest? Onsn-;>inm. sacrilegium, forlnni et a^lultpriuni inter Ikir.a iKibeii. prorsus persuasimus. Qusm uiulli furto non erubescunt, qnam molli adulierio gloriantnr? Nam sa crilegia minuta puniuntur, magna in triumphis feruntur. Adjicenunc, qnod sacrilegium, siomnino es aliqua parle bonuni est, ctiam bonestum erit, et rec:e factura vocabi- tur; nostra enim aclio est : qnod nuliius morlalium cogi- talio recipii. Ergo bona nasci e\ malo non possunt. Naui si , ut dicitis, oh hoc unum sacrilegium malum est, quia iiHiltuin mali affert ; si remiseiilis illi supplicia , si secu- ritatem spoponderiiis, ex t>to bonniu erit. Atqui maxi- mum scelerum supplicium in ip-isest. Erras, luqnam, si illa ad cainificem aut ad carcerem differs : statim pu- niuntur quum facta sunt , inio dum fiunt. Non nascitur itaque ex malo bonmii , non niagis quam ficus ex olea. Ad semen nala respondenl : bona deyenerare non pos- sunt. Queniadmodmn ex turpi honestuin non uascitnr, ita ne ex malo quidem bonum : nam idem est bonestum et bonuni.— Quidam exnostris advcrsushoc sic respondenl : «Putcmuspecuniam bonuni esse, undecuinquesuinptam; non tainen ideo ex .«acnlegio pecunia est, eliam si ex sacri- Icgio sninitur. • Hoc sic intellige. In eadem urna et an- rum est, et vipcra : si auriiro ei urna susluleris quii ÉPITRES A LUCILIUS. 7» prendre l'or sans la vipère ; mais je ne saurais faire ".el autre profil sans commettre un sacrilège, parce que l'un est inséparable de l'autre. Ce que nous ne pouvons acquérir sans beaucoup de mal n'est pas bon ; nous souffrons beaucoup de mal pour acquérir des richesses : partant les richesses ne sont pas bonnes. On répond que cette propo- sition se peut entendre en deux manières : la pre- mière, que nous souffrons beaucoup de mal pour acquérir des richesses, ce qui arrive aussi lorsque nous voulons acquérir la vertu ; car un homme qui va étudier en pays étranger peut faire quel- quefois naufrage , et tomber entre les mains des corsaires. La seconde manière, que ce qui ne se peut acquérir sans beaucoup de mal n'est pas bon, est une proposition d'où il ne s'ensuit pas que les richesses ou les voluptés causent absolument le mal; ou bien, si les richesses nous y font tomber, bien loin d'£lre bonnes, elles sont absolument mau- vaises ; et toutefois vous vous contentez de dire seulement qu'elles ne sont pas bonnes. Vous avouez encore qu'elles sont de quelque usage, et vous les mettez entre les comnioilités de la vie; mais, par la même raison , elles ne sont plus comiiioiles, puisque, par leur moyen, nous souffrons tant d'incommodités. D'autres font encore cette ré- ponse . C'est un abus d'imputer aux richesses les i ncominodités que nous souffrons, tlles ne font de mal a personne. S'il nous arrive du mal , c'est par outre imprudence ou par la ii:aliee d'autrui. L'épée lie soi ne lue personne; mais elle est seulement l'instrument de celui qui en vi^ut tuer uu autre. Aussi , les I ithossos ne vous font point de mal , quoique l'on vous en fasse 'a cause de vos richesses. Posidonius, "a mon avis, a mieux rencontré quand il a dit que les richesses causent le mal , non parce qu'elles le font, mais parce qu'elles donnent occasion de le faire. Car il y a une cause efflciente ou prochaine du mal , et une autre anté- cédente et plus éloignée, qui est celle que nous attribuons aux richesses. Elles enflent le courage, elles engendrent l'orgueil, elles attirent l'envie, et nous rendent si déraisoiuiahUs que nous affec- tons quelquefois la réputation d'avuir de l'argent, quoiqu'elle soit dauiiercusc. Or, le véritable bien doit être sans défaut : il est pur, il ne corrompt point l'esprit, il le relève et l'étend; mais il ne l'enfle pas. Le véritable bien donne de l'assurance, les richesses donnent de l'audace ; le véritable bien inspire delà générosité, les richesses inspirent de l'insolence, qui n"csti|u"unc fausse générosité. Vous me direz : — De la façon que vous pailez des ri- chesses, bien loin dïlie bonnes, il se liouvera qu'elles sont mauvaises. —Elles le seraient en effet, si, comme j'ai dit, elles produisaient le mal par elles-mêmes ; si elles avaient en elles une cause eflicienle du mal , au lieu qu'elles n'en ont qu'une cause précédente, qui ne laisse pas d'émouvoir et d'altérer la convoitise. Les richesses ont une ap- parence qui ressemble si fcirt au bleu, que la plu- part s'y laissent tromper; tout ainsi que la vertu même semble enfermer la cause antécédente de illic et ripera est , non ideo ( inquam ) nilhi nrna aurum dat, quia tipcram habet; sed aurum dat, quum et vi- peram hat)eat. Eodcin modo loi sacnle^io lucrum fit; non quia turpe et sceleratum est sacriiegium, sed quia et Incrum haliet. Quetuadmoduni in illa urna vipera iiia- him est, non aurum, quod cum ripera )acct; sic in sacri legio malum estscelus , non liicruni. A qiiibus disscnlio : diisiniillima ulriusqiie rei conditio est. Illic aurum pos- nim sine v-ipcra toile re; hic lucrum sine s.icnlegio fa- cere non possum. Lncrum istud non est appositum «cé- leri , sed immiitum. « Qiiod dum consequi volumns, in multa jiiala incidi- njus, id lionum non est : dum divitias aulem consequi Tolumas , iu multa mnla incidimus : ergo diviti.T lionmn non sunl. • — Dues, inqiiit , ligniflcationes habet prop»- (itio vestra : unam, • dum divilias consequi rolumus, io nnilLi nos mala incidere; • in multa aulem mala inci- dimus et dum Tirtutem consequi Tolumus. Aliqnis , dum nati^at sludii causa , naufraginm fecit; aliquis captus est. Altéra signilicalio talis es.! : • Pcr quod in mala incidi- niii» , Imnum non est. » Huic proposition! non ent con- leipipns, per divitias nos, aut per voluptates, in mala incidere : aut , si per divitias in multa mala incidimus , Don taninm bonum dlTltia; non sunt, sed malum sunt. Vos .lulcm lanluni illas dicitis bimum non esse. Pra'terea, Hiiliiit , coDCeditis divitias halierc ali<|iii(l usus : inler coramoda illis nnmcralis. A!<|ui eadeni ralione iir coni- moduui quidcm crimt ; per illas enini niulla nubis incom- moda eveniiinl. — His quidam hoc respondent . Krrali», qui incommn.ia divitiis impulalis. Ill.e nemincm Ixdunl: ant noci't sua cui(|ue sluliiliii , aut aliéna ncquilia: sic, queniadmoduin gladius , qui nemiuem iiccidit, occidon- tis tclum est. ISiin ideo divilicc tihi uoceol , si propter di- vitias t'bi nocotur. Posidonius ( ut ego esisiimo) melius , qui ait, « di\itias esse cansam maloium, non quia ipsfe faciant aliquid, sed (|uia facturos irritant. » Alia est euim causa efficiens , quie prolinus ncccsse est noccalj alia praîccdens : hani: priccedeutoin caus ;ui di\it!U.> habcnt. InUantanimns, superblam pariunt, invidiam conlrabunt, et usque eo uientcin aliénant, ut fania pecuuix' nus, etiam nocitura , delettot. Boua autcni oujni ciui re culpa decet : pura sunt, non corrumpunt auimos, non sollici- tant; exlolliuitquidein et dilatant, s d sine lunirire. QuîP bonasunt,flduciam r.iciniit; di>iiia> audaciam : qux boua sunt, magiiiludinein animi daut; divitio? insolenliam. Nihil autem aliud est insolcnlia, qiiani specie» magnilu- diuis falsa. — Isto modo, inquit , cliani malum sunt divi- tiae , non tantum bonuui non suui. — L.'>^eu: jnalum.si per se nocerent; m , ul divi, haberenl cfficicuteni cau- sam : nunc prœccdcnuni habent,i't qnideni non irritan- te™ tantuni animos, scdallralientciii. Speciimrnim t)ODi oslendunt verisimileni, ac pleriscpip crrdibilcui. HxDut 726 l'envie qui ne manque jamais de s'attacher aux sages et aux gens de bien. Mais elle n'a rien en soi qui donne lieu à cette cause ; au contraire, l'éclat qu'elle jette aux yeux des hommes est capable de les porter'a l'amour ct"a l'adrairatiou de sa beauté. Posidonius dit qu'il faut argumenter de la sorte : Ce qui ne donne à l'âme aucune grandeur, assu- rance , ni fermeté, n'est pas un bien ; mais les ri- chesses, la sanlé et les choses semblables ne don- nent rien de tout cela ; elles ne sont donc pas des biens. Il presse encore davantage cet argument: Ce ijni ne donne "a l'âme aucune grandeur, assu- rance, ni fermelé, et qui, au contraire, lui ap- porte l'insolence, la vanité et l'orgueil, Cit mau- vais ; les choses fortuites font tout cela : elles sont donc mauvaises; et cette raison, dit-il, fait voir que ce ne sont pas même des commodités. La na- ture des commodités est différente de celle des biens. Une chose peutctre appelée commode quand elle est plus uliie que fâcheuse; mais, pour être bonne, elle doit être loule pure, et n'avoir rien en soi de nuisible; car ce qui est plus utile que nuisible n'est pas bien; mais ce qui est simplement utile. Ainsi les commodités sont pour toutes sortes de personnes, quoitiue imparfaites et ignorantes, même pour les animaux. Ce n'est pas qu'il ne s'y puisse rencontrer de l'incommodité mêlée; mais nous appelons une chose commode quand elle est telle en sa plus grande partie; le véritable bien est réservé pour le sage, et n'y doit point avoir de mélange. Prenons conrage, il n'y a plus qu'un nœud h délier; mais c'est un nœud gordien. De ce qui est SÉiNÈQlIE. mauvais on n'en saurait rien faire de bon; plu- sieurs pauvretés peuvent faire une richesse : par- tant les richesses ne sont pas bonnes. Cet arga- raent n'est pas avoué de notre secte. Il est de la fabrique des Péripatéticiens qui le proposent et y répondent en même temps. Posidonius dit que ce sophisme, qui a tant fait de bruit dans les écoles de dialectique, est ainsi réfute par Antipater. Ce mot de pauvreté ne dit rien de positif; mais plu- tôt quelque chose de négatif que les Grecs appel- lent i^T^/sijuivj ainsi ce nom lui est donné non pour avoir, mais pour n'avoir pas. C'est pourquoi, comme de plusieurs vides on ne saurait rien rem- plir, vous ne sauriez aussi faire un homme riche de plusieurs pauvretés; il faut quelque chese de plus réel et de plus solide. Vous prenez, dit-il, la pauvreté autrement qu'il ne faut. La pauvreté ne consiste point "a avoir peu de chose, mais à n'avoir pas beaucoup de choses ; on n'est pas pauvre de ce que l'on a , mais de ce que l'on n'a pas. Je me fe- rais mieux entendre si K/i/nâ^fia était un mot latin. C'est ainsi que l'appelle Antipater. Pour moi, je voudrais dire qu'être pauvre, c'est posséder peu de chose. Nous examinerons , quelque jour que nous serons bien de loisir,.quelle est la substance des richesses et de la pauvreté. Nous verrons alors s'il ne vaudrait pas mieux adoucir la rigueur de la pauvreté et abattre l'orgueil des richesses , que de disputer du nom comme si la citose était déjà jugée. Posons le cas que nous soyons appelés à une assemblée où l'on propose une loi pour extermi- ner les richesses; oserons-nous produire de lelsar- Tirfus quo(|ue praecedentem cansani ad invidlam ; mnllis euim propter sapieiitiam, multis pnipter jusliliam invi- detur : sed npc ex se liane causam hal>et, nccveiisimileni. Contra enini verisimilior ilia spccies lioniiniim an;niis ol)jicilur a vii-lute, quae itlos inamorcni et adniiralioneni Toccl. Po-idoniiis sic inlerio;.'anduin ait : « Qna; ncque magnitudiiicm aniiiio dant, ncc fidnciiim , nec securita- tem, non snnt bona : divitia' antem, et bona vaictudo, el siniilialiis, iiiliil boi'uni faciniit ; ergonon sunt l)On:i. » liane internigalidncm magisclianinunc hoc modo iuten- dil : « Quœ neque niagniludinem aninjo dant, nec lidu- ciam, nec secnritalcni, conlra auteni insolentiani, tu- niorein , anoRanti.'im creanl, mata .sunt : a forinitis au- teni in haîc inipellimur : ngo non sunt liona. » — Hac , inquit, ratlone ne (onimoda quideni isla cnint. — Alla est coniinodonim condilio, alla bouornm. Coninioduni est, qu )d pins usus habet quain niolestia»; bonnm since- rnm esse débet, et al) omni parte innoxium. Non est id Ijonnrn , quod plus prodest , sed qnod tantum prodest. Pra-lena coninioduin et ad animalia pertinet, et ad ini- perfectos honjines, et ad stultos. llaque potestei essein- cminiodum niixtum; sed commoduin dicilur, a majore «aa parte œstinialuin. Bonum ad unum sapientein pcrli- net ; ioTiolatum esse oportet. Bonani animuiii babe I Unus tibi Dodus , sed Flercula- neus , restai. • Ex malis bonum noo fit : ei multis pau- pertatibus divilia; fiunt; ergo divitia? bonum non sunt. • — liane interrogationem nosiri non agnoscunt : Peripa- tetici et fingunt illani , et solvunt. Ait auteni Posidonius , hocsophisma, peronines dialeclicorumscholasjactatuui, sic ab Antipatro refelli. a Paupertas non per possessio- neni dicitur ; sed per detractionem , vel, ut antiqui dixeruiit, per orbationeni (G.aeci «■«rà irripr.sn dicunt) : non , quod habeal , dicia , sed (|Uod non babt at. Itaque ex ninliis inanibusniliilimpleri potest; divitias muliîe le» faciunl, non niultœ inopias. Aliter, inquit, quani debes . paupertateni intelligis. Paupertas est, non quae pauca possidet, sed quœ mulla uon pussidet. lia non ab co di- citur, quod liabel; sed abeo, quod ei deest. • Facilius, quod volo. esprinierem , si latinum vcrbuni esset, quod *vui»;>5ia significatur. Hanc pauperlati Antipater as- signat. — Ego non video , quid aliud sit paupertas , quam parvi possessio. De isîo videbimus , si quando valde va- cbit, quae sit divitiarum, quas paupertatis substantia : sed tune quoque considerabimus , numquidsatiuttitpan- pei'talem perniulcere , diTiliis demere supercilinm , quam litigare de vcrbis , quasi jam de rébus judicatum »it. Pn- temus nos ad concioneni tocatos. Lei de abolendis diîi» EPITRES A LUCILIUS. 727 gumeuls, soit pour l'affirmative soil pour la néga- tive? Ou plutôt ne forcerons-nous point, par ces belles raisons-ci , le peuple romain d'honorer ol d'embrasser la pauvreté, comme ayant été le fon- dement et la cause principale de son empire? de se défier des richesses, et de se souvenir qu'il les a trouvées chez les peuples qu'il a vaincus; qu'elles ont introduit les brigues, les corruptions et les séditions dans cette ville auparavant si sainte et si retenue; que le luxe déploie avec trop de faste le butin qu'on a fait sur les nations étrangères; que si un peuple seul a pu dépouiller toutes ces na- tions, il sera plus aisé 'a toutes les nations de dé- pouiller un seul peuple? C'est ainsi qu'il faut per- suader les esprits : c'est par de bonnes raisons qu'il faut combattre le vice, et non par des argu- ments captieux. Si nous ne pouvons parler géné- reusement, au moins parlons clairement. ÉPITRE LXXXVm. Que les arts lil^éraDx ne peuvent faire un liomme de bien , et que sans eux on peut acquérir la sagesse. Vous désirez savoir ce qui me semble des arts libéraux. Je ne puis estimer ni mettre au rang des bonnes choses une profession qui n'a pour objet que le gain et l'argent. C'est un métier de gensqui se donnent 'a louage , et qui peut servir 'a préparer l'esprit, |>ourvu qu'il ne l'arrête pas : car il ne s'y faut appliquer qu'autant de temps qu'on n'est point capable de plus grandes choses. Ce sont des essais, non point des ouvrages. Vous Toyez bien qu'on les a nommés arts libéraux parce qu'ils conviennent à un homme libre; mais il n'y a qu'un art qu'on doive appeler libéral, et qui fasse l'homme libre : c'est l'étude de la sagesse, laquelle étude est si relevée et si généreuse, que tnules lesauires otciipalioiis sont basses et pué- riles en C'imparaisoii. En effet, pn;ivpz-vous crnirc qu'il y ait ([iirlque chose de bon dans ces exercices dont vous savez que les maîtres sont des^ infâmes et desscélérals? Nous ne devrions point les apprendre, mais il serait 'a souhaiter de les avoir appris. On demande quelquefois si les arts libéraux peuvent faire un homme de bien. Loin de le faire, ils ne le prétendent pas seulement, et c'est une chose dont ils ne se mettent point en peine. La grammaire s'attache "a la diction : quand elle se veut égayer, elle passe 'a l'histoire; elle élend ses bornes au plus loin quand elle va jus- qu'il la poésie. Qu'y a-l-il en toutcela qui enseigne le chemin de la vertu? Le compte des syllabes, le choix des mots, la tradition des fables, et la me- sure des vers, sont-ce des remèdes contre la crainte, l'avarice et l'inipudicité? Venons mainte- nant à la géoméirii^ et 'a la musique; tous n'f trouverez point de règles pour vous empôihcr de désirer ou de craindre. Et cependant qui ne sait cola ne sait rien. Il faut voir si l«ur s professeurs enseignent la vertu ou non. S'ils ne l'enseijinent pas, ils n'ont garde de la donner; s'ils l'enseignent, ce sont des philosophes. Si vous vouiez .savoir que ce n'est pas pour la vertu qu'ils tiennent éi:ole, remarquez coujbicn leurs leçons sont différentes entre elles; ce qui n'arriverait pass'ils enseignaient unemême chose. Ils lâcheront, possible, de vous persuader que leur Ilomcre était philosophe ; mais avec des raisons tiit fertur : bis interrogalionihus suasnri aut dissuasuri lumus? Iiis ef ecturi, ut populus ruinanus luiupcrlatem , fUndamentuni f t causam imperii sui , requirat ac laudel; divitias autem suas timeat? ut rogilet, has se npudvictos reperisse; hinc ambitum, et largllionci, et luiiiultus, in nrliem snnctissiniPm temperantlssiinamqucirrupisse; ni- mis luxuriose ostenlari genlium spolia ; giiod nnus pnpu- lus eripuerit omnibus, facillusab omnibus uaieripi posse. — Ha?c satins est suadere; et cxpugnare affectus, non circumscriliere. Si postumus , furlius loquamur : si mi- uus, apertius. Vale. EPISTOLA LXXXVIIL IBTES LIBEB1LE8 I!l BO^IS NOIt ESSE, NIHIL LD TIBTtTE» COKPEBBE. De liberalibus stndiis quid sentiam , scire desideras. — Piullum suspicio, nullum in l>onis numéro , quod ad ss exil. Meritoria artlflcia suni ; hactenus ulilia , si prépa- rent ingenium, non detineant. Tamdiu enim istis immo- nodnm e|f , qnamdiu nihil animus agere majus potest; rodimrnta sunt nostra , non opéra. Quare liberalia sludia dicta sini, vides : quia homine libero digna sunt. Cxteruro unu;ii studium vere liluTale est, (|Uod liberum facil; hoc sapientia-, sublime, forte, magnanimum; caetera pusilla et puerilia suiil. An lu (|uid(|uani in istis esse • redis boni, quorum professons tiir|ii>snat? Ad geumetriam transeamui, et ad musicam : nihil apud il- las inventes, quod vetct (iiiiere, vetct cupere. Quiiqait baec ignorât, alla frnslra scit. Videndum utnim docennt isti virtniem , an non : si non docent, ne Iradunt quidem ; si docent, phiiosophi sunt. Vis scire, quam non ad docendam virlutem cuusedeiiul? Aspice quam ditrmilia iuler se omnium itudia tuii ; il' 728 SÊNÈQUE. qui vous feront comiaîlro qu'il ne l'était pns. Car tantôt ils le font Stoïcien, méprisant les voluptés, n'estimant que la vertu, et la préférant a l'im- mortalité; tantôt Épicurien , louant le bonheur d'un peuple, qui, jouissant de la paix, passe sa vie parmi les chansons et les festins; tantôt Péri paté- ticien, établissant trois sortes de biens; tantôt Académique, croyant qu'il n'y a rien de certain. On voit par là qu'il n'eiait d'aucune secte , puis- qu'il tenait les opinions de toutes les sectes qui sont entièrement contraires. Accordons-leur, puis- qu'ils le veulent, qu'Homère ait été philosophe; mais il était sage avant qu'il se nièiâtde faire des vers. II faut donc apprendre les choses qui l'ont rendu sage. H importe aussi peu de savoir qui était le plus vieux d'Homère ou d'Hésiode , que si Hécube était plus jeune qu'Hélène, et pourquoi son visage se passa si vite. A quoi sert, je vous prie, de re- chercher l'âge de Patrocle et d'Achille? Vous avez plus de soin de savoir où Ulysse fut si longtemps égaré, que de mettre fin à vos égarements. Je n'ai pas le loisir d'entendre si ce fut entre l'Italie et la Sicile, ou si la tempête le jeta en des pays incon- nus ; car il n'y a pas d'apparence qu'il fût si long- temps vagabond dans un si petit espace. La tem- pête de nos passions nous tourraenie tous les jours, notre malice nous engage dans toutes les disgrâces d'Ulysse. Nous n'avons point faute de beautés qui sollicitent nos yeux; nous n'avons que trop d'ennemis. D'un côté nous voyons des mons- tresaffreux et affamés du sang humain. De l'autre, nous entendons des douceurs qui charment nos oreilles. Plus loin, nous voyons des naufrages et des malheurs différents. Enseignez-moi comme je dois aimer ma patrie, ma femme et mon père, et m' exposer "a tous les périls pour m'acquitler d'un devoir si honnête. A quoi bon nous enquérir si Pénélope fut impudique? si elle trompa les hom- mes de son temps? si elle se doutait bien qu'Ulysse n'était pas loin avant qu'elle le reconnût. Ensei- gnez-moi ce que c'est que la pudicilé, les avanta- ges qu'elle apporte, si elle consiste dans le corps ou dans l'esprit. Je passe à la musique. Vous m'apprenez comme des voix hautes et des voix basses s'accordent en- semble, comme des cordes qui ont des sons tous différents font une belle harmonie; faites plutôt que je sache accorder mes passions, et réduire la bizarrerie de mes volontés. Vous me montrez quels sont les tons lugubres; apprenez-moi plutôt 'a ne pas jeter un soup'ir dans les plus grandesadversités. La géométrie enseigne h mesurer de grands fonds de terre; qu'elle m'apprenne seulement à mesurer ce qu'il m'en faut pour vivre. L'arith- métique m'apprend à compter et h prêter la main à l'avarice ; qu'elle m'apprenne plutôt que tous ces comptes ne servent a rien ; que pour avoir des biens qui lassent ceux qui tiennent registre , ou n'en est pas plus heureux ; que nous avons l)eau- coup de superflu, et que nous serions malheureux si nous étions obligés de compter nous-mêmes tout le bien que nous avons. Que me sert de sa- voir diviser un champ en petites parties, si je ne sais pas le partager avec mou frère? Que me sert qui similitudo esset idem ddcentiuni. Nisi forte tibi Ho- iiierum philosoplium fuisse persuadent ; quuni his ipsis , quibus rolligmit, nrgent. Nam modo Stoicum illum fa- ciunt \irtulem solam probanleni , et Yoliiptates refugien- tem , etab honeslo ne imniortalitalis quideni pretio rece- dentem ; modo Epiiureuni , laudantem stalum quietae ci- vitatis, el interconvivia caiilusqnevitam Cïigentis; modo Peripatelicuni , bonoruni tria gênera inducenleni ; modo Academicum , incerta omn a diccutem. Apparet nihil ho- rumesse in illo, quia omnin sunt : islaenim inter se dis- sident. Demusillis Ilomerunipliilosopbum fuisse. Nempe sapiens faclus est, anteqnam carmina ulla cognosceret : crgoilla dicannis, qnas Homerum fecere sapienteni. Hoc quideni me quœreip, utrum major œtate fuerit Homerus, an Ilesiodus, non magis ad rem pertinet, quani scire, an minor Hecuba fuerit , quam Ilelena , et quare tani maie tulerit ajtateni. Quid , inquam , annos Patrocli et Acbillis inqnirere ad rem existimas perlinereî Quasris , Ulysses ubi erraverit , potins, quam efDcias, ne nos sem- per erremus ? Non vacat audire utrum inter Ilaliara et Siciliam jactatus sit, an extra notnm nobis orbem : neque cnim potuit in tam angnsto eiror esse tani longus. Teni- pestates nos animi quotidie jactant , et uequitia in omnia Tjlyssis mala impellit. Non deest forma, quae sollicitel oculos, non hortis; bine monstra effera et huniano cruoi e gaudentia ; liiac insidiosa blandimenta auriuro ; bine nau- fragia, et tôt varietales raaiorum. Iloc me doce, quo- modo patriam amem, quomodo uiorem, quomodo pa- trem, quomodo ad haec tani bouesta vel naufragus navi- geni I Quid inquiris, an Pénélope impudica fuerit, ao verba sajculo suc dederit ? an Ulyssem illum esse , quea Tidebat, autequam sciret, suspicata sit? Doce me, quid sit pudicitia, etquaulum in ea bonum; in corporc, an in animo posita sit? Ad nmsicaiii transeo. Doces me, quomodo intense acutae ac graves voces consonent, quomodo nervorum dispareiii reddenlium sonum liât concordia : fac potius, quomodo animus secuiii meus cunsonet , nec consilia mea discrepeut ! Moustras niibi , qui sint modi flebiles : mon- stra potius, quomodo inter adversa non emittam Qebilem vocein ! îleliri me geomelria docet Jatilundia : potius doceat quomodo metiar qnaotum homini sit satis I Numerare docet me arithraetica , et avaritiae commodare digitos : potins doceat, nibil ad rem pertinere istas computationesj non esse feliciorem , cujus patrimonimn labnlarios las- sât; imo, quam supervacua possideat qui intelicissimus futurus est, si, quantum balieat , per se computare co- gatur. Quid niihi prodest, scire agellnm iu narles divi- dorc , si ncscio cum fialic dividerc? Quid pi-odest , coUi- ê ÉPITRES A LL'CILIUS. 7^9 de savoir réduire promplcment tous les pieds d'un morceau de terre, et d'y comprendre les fractions et le redondant de la toise, si je m'attriste pour peu qu'un voisin puissant empiète sur mou héri- tage? Vous m'enseignez comme j'éviterai de i)er- dre un seul pied de terre , et moi je veux appren- dre à perdre la pièce entière sans me fâcher. — On me prend , direz-vous, un héritage qui vient de mon père et de mon grand-père. — Savez-vousqui le possédait avant votre père et votre grand-père? Pouvcz-vous dire, non pas h quel homme, mais à quel peuple il appartenait? Vous y êtes venu comme fermier et non comme seigneur; vous direz .-De qui, fermier? — C'est de votre héritier, si vous êtes assez heureux pour le lui laisser. Les jurisconsul- tes disent que l'on ne peut prescrire pour une lon- gue jouissance ce qui est public ; ce que vous pos- sédez est public; il est commun 'a tout le genre humain. 0 la belle science I Vous savez mesurer les choses rondes et réduire au carré toutes sortes de figures. Vous connaissez la distance qui est en- tre les étoiles; il n'y a rien dont vous ne puissiez prendre la mesure ; si vous êtes si bon géomètre, mesurez uu peu l'esprit de l'homme; dites-nous combien il est grand, ou combien il est petit. Vous savez quelle est la ligne droite; à quoi bon cela si vous ne connaissez la droiture des actions de la vie? Il est temps que je m'adresse à ceux qui se vantent de connaître tous les mouvements du ciel : Où Saturae commence et Gnit sa carrière. Quels tours Mercure fait dans sa cuorse légère. Que me servira de savoir cela? pour me donner de l'inquiétude quand Saturne et Mars se trouve- ront opposés, ou quand Mercure en sou couchant sera regardé de Saturne? J'aime mieux appren- dre qu'eu quelque endroit qu'ils soient, ils sont toujours favorables et ne changent point de na- ture; que le destin les fait reculer incessamment, et les fait retourner en de certaines saisons par un ordre qui est immuable et éternel ; qu'ils font agir les causes naturelles, ou qu'ils fontconnaitre leurs effets. Mais soit qu'ils produisent tout ce qui ar- rive dans le monde, de quoi me servira la con- naissance d'une chose qu'il m'est impossible de changer; soit qu'ils l'annoncent seulement, que gagnerai-je de prévenir ce que je ne puis éviter? Que TOUS le sachiez ou que vous ne le sachiez pas, il faut qu'il arrive. Observe le couclier pour n'être point séduit Par la sérénité d'une trompeuse nuit. Voilà une excellente précaution pour n'être pas surpris. Mais ce lendemain ne pourra-t-il pas vous tromper, puisque nous sommes trompés quand il nous arrive quelque chose que nous n'attendions pas? Pour moi, je ne sais point ce qui arrivera; mais je sais bien ce qui peut arriver. Je ne me flatte de rien, j'attends tout. Si la fortune m'en quitte quelque chose , je le prends en gré. Quand j'ai une heure de trêve je suis trompé, encore ne le suis-je pas; car, comme je sais que tout peut arriver, je sais aussi que lout peut n'arriver pas. J'espère le bien , étant près de recevoir le mal. Au reste, il faut que vous m'excusiez si j'aban- donne l'opinion commune , ne pouvant mettre au nombre des arts libéraux , les peintres, les sculp- teurs , les tailleurs de marbres , ni les autres mi- gere subtiliter pedes jtigeri , et comprefaeodere etiam si quid decem|X'dam effugit, si Iristem me facit vicinus po- tenset aliquid ex meo at)radens?.Docet me.quomodo Dihil perdant ei Hnibus raeis : at ego doceri toIo, quo- modo totos liilaris amittam. — Pateruo agro, inquit, et avito expellor. — Quid ? aute avum tuum quis i&tum a},'rum tenait? Cujus, non dico hominis, scd populi fueril, ex- pcdire poies? Non dominns islo, sed cdIomus inlrasti. Cujus colonus es? si bene tecura agitur, hcredis. Ne- gant juriscousultiquidquam puhiicuni usucapi : publicum est hoc quod tenes; quod luum dicis, publicuui est, et quidem generis bumani. O egregiam arlcui ! scis ro- tunda metiri ; in quadratam redigis quamcumque aicc- peris formam ; intervalla sidernm dicjs ; nibil est quod in mensuram tuam non cadat. Si artifei es, metire liominis animuml die quant magnus tit, dic quum pusillus sit. Scis , quœ recta sit linca : quid til>i prodest, si, qnid in vita rectum sit, ignoras? Venio nnnc ad illnm , qui cœlestium notitia gloriatur : Frigida Saturai lese qiio atella receptet , Qhos ignis cœli Cyllenius erret ia orl>e9, Uoc scirc quid proderit? ut sollicitus sini , quiim Satur- nus et Mars ei contrario stabunt, autquum Mercnrius Tespertiuuin faciel occasum vidente Salurno ? Potius boc j discani , uiiicumque sunt ista , propitia esse , non posse • mutriri. Agit illa conlinuus ordo fatorura et inevitabilis ' cursus; per statutas vices reiiieant. — Effectus rerum om- ' nium aut movent, aut notant ! — Sed sive , quidquiil eve- ; nit.faciunt; quid inimutaliilis rei notitia proQciet? sive j signilicant; quid refert providere, quod effugere non I possis? Scias ista, ncscins, fient. I si verosolem ad rapidum stcUisque sequentcs Ordine respicies, nuuquam te crastina fallet Ilora, uec insidiis noctis capiere serena;. Satis abundcquc provisiini est, ut ab insidiis liitus esscm. ISumquid me crastina non fallit boraî fallit eniin , quod nescienti evcnit. Ego, quid futuruin sit , nesciojquid fleri possit, scio. Ex hoc nibil desperalK); tiitum exspecio : si quid rcmittitur, boni consulo. Fallit me bora, si pareil; sed ne sic quidem fallit. Naui qucinadmodum scio omnia accidere posse , sic scio et nou utique casura. Ilaqueie- cunda exspecio; malis paratus sum. In illo feras me necesso est non per prœscriptum eui^ tcra. Non euim adducor, ut in nimieriim liberalium ap- 730 sénèqup:. nistres du Inxe et de la profusion. J'en exclus aussi les lutteurs et tous les exercices qui sentent l'huile cl la poussière; autrement, il y faudrait encore admettre les parfumeurs, les cuisiniers, et tous CCS gens de qui l'industrie n'est occupée que pour nos plaisirs. Car, diies-moi, je vous prie, qu'y a-t-il de libéral ( pour user de ce mot) dans ce qui peut servir à ces gourmands qui se font vomir à jeun , xie qui le corps est aussi gras et poli que l'esprit est maigre et enrouillé? Croyons-nous que ce soient là des occupations lionnètes pour la jeunesse d'au- jourd'hui? Vu que nos ancêtres ne faisaient rien enseigner 'a leurs enfants, qu'il ne fallût apprendre debout, comme de lancer le javelot, monler 'a che- val , escrimer du bâton , tirer des armes ; mais aucune de ces choses n'est capable d'enseigner et d'entretenir la vertu. Car, à quoi sert-il de bien manier un cheval, d'en savoir régler les allures, si on se laisse emporter à des passions effrénées? A quoi sert-il de vaincre tous ses compagnons à la lutte ou a coups de main, si on se laisse surmon- ter par la colère ? Quoi donc I est-ce que les arts li- béraux ne nous profilent de rien ? — Ils sont bons à d'autres choses; mais ils ne contribuent en rien à la vertu. Ces métiers même , qui consistent en travail manuel , sont inutiles à son égard , quoi- qu'ils apportent beaucoup de commodités à la vie. Pourquoi donc faisons-nous apprendre les arts li- béraux à nos enfants? Ce n'est pas que ces mômes arts puissent donner la vertu ; mais ils préparent J'âme à la recevoir. Comme la première connais- sance qu'on leur donne de l'alphabet ne leur en- seigne pas les arts libéraux , mais les dispose à les pouvoir apprendre; ainsi les arts libéraux n en- seignent pas la vertu , mais ils rendent l'esprit ca- pable de l'acquérir. Il y a des arts de quatre sortes, dit Posidonias; les uns sont mécaniques et vulgaires, les autres pour le plaisir; il y en a pour l'instruclion de la jeunesse, et enfin de libéraux : les mécaniques appartiennent aux artisans qui travaillent pour les besoins et les commodités de la vie, et où l'on ne recherche ni l'honneur ni l'éclat. Les arts destinés pour le plaisir n'ont pour objet que la satisfaction des yeux et des oreilles. Vous pouvez mettre en ce rang ces ingénieurs qui font sortir et marcher des corps artificiels , qui élèvent doucement des sièges eu l'air , et qui vous donnent d'autres plai- sirs surprenants , en vous faisant voir tantôt des choses jointes ensemble, qui se séparent; d'autres qui étaient séparées , qui s'approchent et se joi- gnent, et d'autres encore qui, étant plus élevées, baissentpetita petit, et se retirent en elles-mêmes. Cela frappe les yeux du peuple, qui admire tout ce qu'il voit de nouveau , parce qu'il n'en connaît pas la cause. Les arts qui regardent l'instruction de la ieunesse ont quelque chose d'honnête , et sont ceux que les Grecsappellent iyxiaiiou,- , et nous autres, libéraux. Mais, a vrai dire, il n'y a de sciences libérales, ou plutôt libres, que celles qui sont occupées à la vertu. Comme il y a, dit-il , une partie de la philosophie qui est naturelle, l'autre morale , et l'autre logique ou rationnelle , aussi tous les arts libéraux prétendent y trouver chacun leur place. Quand on vient aux questions naturel- les , on s'arrête aux décisions de la géométrie : tinni pictorcs recipiam, non magis qoam staluarios, ant marmorarios , aut caeteros luïuriaD ministres, ^que luc- tatores , et totam oleo ac luto constaatem scientiam , expello ex bis studiis liberallbus; aut et unguentarius recipiam , et coquos, et cateros voluptatibus nostris in- génia accommodantes sua. Quid enim, oro te, libérale tiabint isti jejuni vomitores, quorum corpora in sagin.i, animi in macie et veternosunt? An libérale stiidiumistud esse juvealuti nostrœ credimus, quam majores noslii rectam exercuerunt hastilia jacere , sudeni torquere , equtira agitare, arma Iractareî Nihil libères suos doce- bimt , quod discendum esset jacentibus. Sed nec bœ ar- tes, nec illae, docent aluntve virtutem. Quid enim prod- l'st equum regere, et cursura ejus fréeno temperarc, af- fectibus effracnatissimis abstrahi ? Quid prndest mullos Tincere luclalione Tel caestu, abiracundia vinci? Quid ergo? nihil liberalia nobis conferunt studia? — Ad alia multum , ad virtutem nihil I Nam cl hae viles ci professe artes, quae manu constant ad instrumenta Tilae plurimum conferunt , tamen ad virtutem non pertinent. Quare ergo liberalibus studiis filios erudimus? Non quia virtutem dare possunt, sed quia animum ad accipiendam 'irtulem prœparant. Quemmadmodum prima illa, ulan- tiqui vocabant, lilteratura, per qnam pneris element.i traduntur, non docel libérales artes, sed moi praeci- piendis locum pnrat ; sic libérales artes non perducunt animum ad virlutem , sed expédiant. • Quatuor ait esse Posidonius arlium gênera : sunl vulgares et sordidas, sunt hidicra;, sunt puériles, sunl libérales. • Vulgares opificum , quae manu constant , et ad instruendam vitam occupata; sunt; in quibus nuUa decoris , nulla honesli si- mulatio est. Ludicrap sunt, quœ ad voluplalem oculorum atque aurium tendunt. His annunieres licet macbinato- rcs ; qui pegmata per se surge nlia excogitanl , et tabu- lata tacite in sublime crescentia, et alias ex inopinato varietates, aut debiscentibus, quae coharebant; aut his, quae distabanl, fua sponte coeunlibus; ant his, quœ emi- net)ant, paulalim in se residenlibus ; his iroperitoruni feriuDtur oculi , nmnia subita ( quia causas non novere) mirantium. Puériles sunt, et aliquid habentes lil)crali- bus simile , hae artes quas iyjfjxUim; Graeci , noslri lit)€ra- les vocant. SoIcE autem libérales sunt , imo, utdicamve rius , libéra; , quibus curae virtus est. Quemadmodum, inquil, est aliqua pars philosophita naturalis , est aliqua moralis , est aliqua rationalis ; sic et ha>c quoque liberalium arlium turba locum sibi io pU- ÊPITRES A LUCILIUS. 731 elle est donc une de ses parties, puisqu'elle lui aide. Mais on répond qu'il y a bien des choses qui nous aident, qui pourtant ne sont point parties de nous: et qui, si elles l'étaient, ne pourraient pas nous aider. La viande aide au corps de l'tiomme, et toutefois elle n'en fait pas une partie. Nous de- meurons d'accord que lagéométrie nous rend quel- que service , et qu'elle est nécessaire à la philoso- phie, comme l'est "a son égard l'ouvrier qui lui fournit les instruments; mais, comme il n'est point membre de la géométrie , elle ne l'est pas aussi de la philosophie. D'ailleurs , elles ont cha- cune leur lin et leurs objets particuliers. Le phi- losophe recherche et connaît les principes des cho- ses naturelles. Le géomètre se contente d'en sup- puter le nombre et d'en prendre la mesure. Le philosophe sait de quoi les corps célestes sont com- posés , leur nature et leurs influences. Le mathé- maticien connaît , par ses observations, les tours et les retours qu'ils font, leurs élévations, leurs déclinaisons, et pourquoi il semble quelquefois qu'ils s'arrêtent, quoique les choses célestes oe s'arrêtent jamais. Le philosophe sait encore ce qui produit la représentation d'un objet dans le mi- roir. Le géomètre vous dira la dislance qu'il doit y avoir entre l'objet et la représentation, et de quelle manière chaque forme de miroir représen- tera son objet. Le philosophe vous prouvera que le soleil est grand. Le mathématicien vous fera connaître quelle est sa grandeur. Mais, comme il procède par usage et par routine , il aura besoin que vous lui accordiez quelques principes. Mais une science n'est pas souveraine et absolue, qui n'a point de fondement que par soufrrance. La philosophie ne demande rien à autrui. Tout son ouvrage est de sa façon. Les mathématiques sont superficielles; elles bâtissent sur le fond d'autrui; elles empruntentdes principes pour aller en avant. Si d'elles-mêmes elles pouvaient parvenir 'a la vé- rité, et comprendre la nature de l'univers, je di- rais qu'elles seraient de grande utilité pour exa- miner les choses célestes, et par Ta donner à notre esprit des ouvertures à d'autres connaissances. Mais il n'y a que la science du bien et du mal, qui puisse mettre l'âme dans un état de perfection , et celle science ne se rencontre que dans la philoso- phie, car il n'y a qu'elle qui traite du bien et du mal. Voulez-vous parcourirtoutesles vertus endétail? La générosité, qui méprise les dangers, et qui af- fronte ces choses terribles qui abattent l'esprit des hommes, se Irouve-t-elle fortifiée par les arts libé- raux? La foi, sans doute, est l'hôtesse la plus sainte qui puisse loger dans le cœur humain; car il n'y a point de nécessité ni de profit assez grand pour la corrompre et l'induire 'a tromper. Brûlez , dit-elle , frappez, tuez, si vous voulez, je ne révé- lerai rien , et plus fortement vous me tourmente- rez pour arracher mon secret, plus soigneusement je le garderai. Les arts libéraux peuvent-ils four- nir de telles résolutions? La tempérance commande sur les voluptés; elle bannit les unes, elle admet les autres , en les réduisant aux termes de la rai- son. Elle ne s'en approche jamais pour l'amour d'elles-mêmes, mais pour une fin plus relevée. Elle sait quela meilleure règle qu'il y ait dans l'u- sage des choses qui nous plaisent, est d'en prendre autant que permet la raison , et non pas selon losopbia vindicat. Quiim veotom est ad natarales qua;- stiones, geometris testimouio statur. Ergo, quaoi adjn- vat, pars ejus est. — Mul.a adjuvant nos, nec ideo partes nosirs sunt ; imo, si partes essent , non adjuvarent. Cibus adjutorium corporis est , non tamen pars csl. Aliquid no- bis pracstut geometria; ininislerium. Sic pbilosopbia; ne- ccssaria est, qucmodo ipsi faber : sed ncc hic geoinetriae pars est, nec illa philosopbiae. Prxterea utraque flnes suns babet. Sapiens enlm causas naturalium et quaeril, et noTit, quorum nameros mensurasque geoDieter perse- quitur et supputât. Qua ratione constent CŒlestia, qus illis sit Tis , quacTe natura , sapiens scit : cursus et recur- S1IS , et quasdam observationes , pcr quas descendunt et allevantur.acspcciem interdum stantiuin prsbent, quum «(ïlestibus stare non liceat, colligit mathematicus. Quae causa in speculo imagines exprimât , scict sapiens : illud tibi geometer potest dicere , quantum abesse del)eat corpus ab imagine , et qualis forma speculi , quales ima- gines reddat. Magnum esse solem philosophus probabit; qnantus sit, mathematicus; qui usu quodam et eierci- tatione procedit : sed, ut procédât , impetranda illi qus- i»m principia raot. Non est autcm ars sui juris, cui pre- carium fundamentum est. Philosophia nil ab alio petit, totum opus a solo excitât. Matliematica , ut ita dicam , superliciaria est , in alieno sdiflcat; accipit prima, quo- rum beneficio ad ulteriora perTeniat : si per se iret ad Ternm, si tôt us mundi naturam possct'comprehendere , dicerem multnm collaturam mentibus nostris , quie trac- talu cœlestium crcscunt trabuntque aliquid ex alto. L'na re consunimatur animus, scientia honorum ac nialorum imniiitabili , qiis soli philnsophin; compclit . Dulla autem ars alla de t>oui$ ret dolor, hoc illa altius condam 1 Numquid liberalia stu- dia bos animos facere possunt? Temperanlia voluptati- bus imperat ; alias odit alque abigit , alias dispensât , et ad sanum modum redigit , nec unquam ad illas proptnr ipsas venit. Scit optimum e3se modum cupitorum , nou. 732 sénequp: noire enyie. L'humanité, en nous défendant l'ava- rice (^t le mépris de nos égaux, nous rend affables et faciles à tout le monde, soit en nos paroles, soit en nos actions; elle prend part dans le mal d'au- trui , et de tous les biens qu'elle possède, elle es- time principalement celui dont elle peut obliger qnelipi'un. Toutes ces belles qualités viennont-elles osus, iiitenipestivos , sibi placentea facit, et idée non discentes necessaria , qnia su- pervacua didicerunt. Quaiuor niillia libruruni Diduuus gramnuiticus scripsit; miser, si tam luulla supervaciia Ic- gisset ! In bi.s libris de patria ilonieri qua'ritur, in liis de JEaex niatre nera; in tiis, lihidinosior Anacréon, an ehriosior ïijerit? in bis, an Sapho pulilica fueril ? et cani , conipu- Ubo; et Arislarcbi ineptias, qiiibus aliéna carmina corn- pinnil , recognoscam ; et cPlatom in syllabis conterara ? Itane in geomelriaî piilveie ha?rcl)o? Adeo niihi pra;cep- tuni illud salulare cxcidit, teinpori paicel Ha'csciamif et quid ignorem? Appion (.'ramnialicus , <\a\ sub C. Cfcsare tota circulatus est (Ira-cia, et in nomen Honieri ab omni- bus civilatilms adoptatus , aicl)at , ■ Hi)nieruni , utnique niateria consunimala , et Odyssea , et Iliade, principium adjecisseoperi.suo, qnubtlIuniTrojanunicomplexuscsl:» buju.s rti argunuiituni afferebat, • quod duas litleras in primo versu posuisset ex industria , libroruni suoruni numerum continentes. i> --Talia sciât oportet, qui muita Tult scire. Non vis cogitai c , quantum temporis tibi auferat msia valetudo, quantum occupalii> publica, qiianluni occupii- tio priïala , quantum occupalio quolidianii, qu.intum somnus? Mettre ictaleni tuani I tam niulla non capit. De lit>eralil)us sludiis l»iuor; |jbilosoplii quantum liabenl supervacui? quantum ab usu lecedtntis? Ipsi quoquc ad syllibarum distinttiones , et conjunctionum ac prœposi- tiouum proprietales dcscendcrunt , et invidere grammii- ticis, invidere geonictris. Quidquid in illorum arlibus supcrTacuumerat.Irnnsluleie in suam. Siceffectum est, ut diligcntins scireut Icxiui, quam vivere. Audi, quantum 734 elle est contraire k la vérité. Protagoras disait que l'on peut disputer de toutes choses également de part et d'autre, et de cela même, si l'on peut dis- puter de toutes choses ; Nausiphanes , que de ce qui semble être, il n'y a rien dont l'être soit plus certain que le non-être; Paimenides , qu'il n'est rien généralement de tout ce que nous voyons. Zenon Éléates vide toutes ces difficultés en disant qu'il n'y a rien. Ce sont à peu près les opinions des Pyrrhonicns, des Mégariqnes, des Erétriques et des Académiques, qui ont introduit une nou- velle science de ne rien savoir. Il faut mettre, à mon avis , tout ce fatras au rang d'une infinité de choses inutiles qu'enseignent les arts libéraux. Ceux-ci me donnent une science qui ne me peut de rien servir. Ceux-là m'ôtent l'espérance de sa- voir jamais rien. Encore vaut-il mieux savoir les choses inutiles que de ne rien savoir. Les uns ne neus éclairent pas pour chercher la vérité ; mais les autres nous crèvent les yeux. Si j'en crois Pro- tagoras, il n'y a rien dans le monde, que le doute; si Nausiphanes, ce qu'il y a de certain, c'est q«'il n'y a rien de certain; si Parmenidcs, il a'y a qu'une chose,; si Zenon, il n'y a rien du tout. Qu'est-ce donc que nous sommes? Que sont toutes ces choses qui nous environnent, qui nous nour- rissent et qoii nous soutiennent? Tout ce qui est dans la nature demeurerait-il une ombre vaine et trompeuse? J'aurais assez de peine h vous dire à ■qui je veux plus de mal, ou 'a ceux qui veulent ■que nous ne sachions rien, ou 'a ces autres qui ne nous laissent pas cette commodité de ne rien sa- voir. SENEQUE. EPITRE LXXXIX. Quelle différence il y a entre la sagesse et la philoiopMe — Plusieurs dénnitions de la sagesse. — Plusieursdiri- sions et subdivisions de la philosophie. Vous me demandez une chose qui est utile, même nécessaire 'a celui qui prétend à la sagesse, que je divise la philosophie , et que je la distribue en plusieurs membres; car on connaît plus facile- ment le tout par ses parties. Je voudrais que, comme la face de l'univers se présente tout d'un coup à nos yeux, il nous fût aussi facile d'envisa- ger d'un seul regard toute la philosophie. Ce spec- tacle, qui a bien du rapport à celui de Punivers, ravirait tous les hommes en admiration, et leur ferait abandonner ce qui leur semble grand, parce qu'ils ne connaissent pas ce qui l'est en effet. Mais, puisque cela ne se peut faire, il nous la faut con- sidérer de la même façon que nous contemplons les secrets du monde. Il est certain que l'esprit du sage en compread toute retendue , et qu'il la pénètre avec autant de promptitude qiw dos yeux découvrent le ciel. Mais pour hous, 'a qui il faut débrouiller les matières , et de qui la vue ne porte pas loin, il est bon de nous montrer chaque chose en détail , n'étant pas capables de les com- prendre toutes en gros. Je ferai donc ce que vous désirez de moi. Et je diviserai la philosophie en parties, non poiat en morceaux, étant plus utile de la partager en membres , que de la couper en des portions si menues ; car ce qui est trop petit est aussi difficile à comprendre que ce qui est trop grand. On divise un peuple par tribus , et une ar- mali faciat uiniia subtililas, et quam itïfesta veritali siti Protagoras ait , « de omni re ia utraraque parlera dlspu- taii posse ex «quo, et de hac ipsa, an omnis res in utramqiie parleni disputabitis sit. » Nausiphanes, ait, « ex his, qua; videnlur ess^', nihil raagis esse, quam non ■esse. » l'ainieiiides ait, « ex his, quae videntur, nihil esse ab uno diveisum- « Zenon Eleates oninia negotia de negolio dejecit : ait, niliil esse. Ciica cadem fere Pjr- rhouii versantur, et Jlegarici , et Erctrici, et Académie!, qui novam induxeiunt scienliain , nihil scire. Ha?c omoia in iltuni supervacuuni sludiorum liberalium gregem con- jice. Illi mihi non piofutuiani scientiam tradunt; hi speui omnis scienlia; eii|)iunt : satius est superyacua sciiv, quam nihil. Ilti non pi œferuut lumen, per quod acies diiigatur ad verum ; hi oculos nrihi cffodiunt. Si Protagora; credo, nihil in rerum nalura est, nisi du- bium ; si Nausiphani , hoc unum certum est uihil esse cerli ; si Parmcnidi , nihil est prater unum; si Zenoui, ne uiMm quidem. Quid ergo nos sumus? quid ista , quœ nos circumsUnt, alunt, sustinent? Tota rerum natura umbraest, aut inanis, aut fallax. Non facile diierim, Htrum magis irascar illis, qui nos nihil scire volnerunt; •D ilhs , oui ne hoc quidem nobis reiiquerunl, nihil scire. EPISTOLA LXXXnC PBII.OSOPBIX DITISIO : DE LDID ET ÀVlBITIi SVM «TÀTIS. Rem utilem desideras, et ad sapientiam properaoti utique necessariam , diïidi philosopbiam , et ingens cor- pus ejusin membra disponi. Facilius enim per partes in cognitionem totius adducimur. Utinam quidem, qnem- adniodum nniversa mundi faciès in conspectnm venit, ita philosopbia tota noI>is posset occurrere ; simillimain mundo speclaculum ! Profecto enim omnes mortales in admir.itionem sui raperet, relictis his , quae nunc magna , niagnorum ignorantia , credimus. Sed , quia contingere hoc non polest, sic erit a nobis aspicienda, quemadmo- dum mundi sécréta ccrnuntur. Sapientis quidem animus toiam molem ejus amplectitur, nec minus illam Telociler obit, quam cœlum acies nostra: nobis autem, quibus perrumpenda ciligo est, et quoimm visus in proiimo dé- ficit, singula quaque ostendi facilius pussunt, nniversi nondum c^pacihus. Faciam ergo quod exigis, et pbiloso- phiam io partes, non in frusta, dividam : dividi enim illam , non concidi , utile est; nam comprebendere , quem- admodum maxima, ita rainima, difficile est. Describitar in tribus populut , in centurias eiercilus. Quidquid ia ÉPITRES A LUCILIIIS. 73S mée par compagnies. Quand une cliose est venue À quelque ejcès de ^crandcur, on la conDait mieux étant mise en parties , pourvu (comme j'ai dit ) qu'elles ne soient point iuliuics ni trop petites. Il y a pareil inconvénient à trop diviser qu''a ne point diviser, et c'est une espèce de confusion que Je réduire une chose en poussière. Je dirai donc premièrement , puisque vous le souhaitez, en quoi la sagesse diffère de la philoso- phie. La sagesse est le bien le plus parfait de l'es- prit humain. La philosophie est l'amour et la re- cherche de la sagesse. Celle-ci montre le chemin pour arriver 'a l'autre; ce nom de philosophie montre assez ce que c'est. Quelques-uns, pour dé- Tmir la sagesse , ont dit que c'est la science des choses divines et humaines ; d'autres, que c'est la science des choses divines et humaines et de leurs causes. Cette addition me semble superflue, parce que les causes sont parties de ces choses. Ou lui a donné plusieurs autres déliuiiions, en l'appelant tantôt une étude de la vertu, tantôt une étude pour la réformation de l'âme, et queliuefois une re- cherche amoureuse de la droite raison. Mais quoi qu'il en soit, on demeure comme d'accord qu'il y a différence entre la philosophie et la sagesse, étant impossible que ce qui désire soit ce qui est dé- siré. Comme uous faisons disiiiiction de l'avarice et de l'argent, l'une convoitant, l'autre étant convoité, nous en faisons aussi de la philosophie et de la sagesse , parce que celle-ci est l'effet et la récompense del'auire; l'une va, l'autre l'attend. La sagesse est ce que les Grecs appellent ncfixv. Ce nom était autrefois en usage chez les Romains, comme l'est aujourd'hui celui de philosophie. Cela se voit dans nos anciennes comédies , et sur le tombeau de Dossennus, qui porte celte inscrip- tion : Passant , arrête-toi , et lis la Sophie de Dossennus. Quelques Stoïciens ont cru qu'encore ^ que la philosophie soit une étude de la vertu , où l'une recherche, et l'autre est recherchée, toute- fois on ne les pouvait séparer; car il ne peut y avoir de philosophie sans vertu , ni de vertu sans philosophie. Si la philosophie est une élude de la vertu , c'est par le moyen de la verlu : que si la vertu ne peut être sans l'amour de soi-même, l'amour de la vertu ne peut être aussi sans la ver- tu môme. Ce n'est pas comme ceux qui tirent au lilaric, l'archer est en un endroit, et le but en un autre; ni comme les chemins qui conduisent aux villes et qui en sont en dehors. On arrive à la vertu par la vertu même ; il est donc vrai que la vertu et la philosophie sont liées ensemble. La plupart des meilleurs auteurs ont divisé la philuiiophie en lri)is parties : morale, naturelle, logique ou rationnelle. I.a première règle la vo- lonté; la seconde recherche les secrets de la na- ture; et la troisième examine la propriété et la liaison des paroles avec la forme des arguments pour empôclier que le faux ne passe pour vrai. Ce n'est pas qu'il ne s'en sait trouvé qui lui ont donne plus ou moins de parties. Quelques Péripatéticiens en ont ajouté une quatrième, qui est la politique, parte qu'elle demande un exercice particulier, et qu'elle travaille sur une autre matière. D'autres majiii creTÏt, faciliiis agooscitur, si discrssit in parles; qua9,uIditi,iDDuiueral>ilese.sse et parviilas ni)ii upurtel. Idem eaiiii vitii batiet nimia, quo.l imlla difisio; simile coarnso est , qu dquid u^qae in pulTerem secluni est. Priinuin ita(|ue, sicut videlur, titi dicain, inier sa- pienliaiii et philosoptiiam qu d inlersit. Sapieiitia perfec- tnm iKinuni e>t nicnlis liumanx, plillosnpliia sapieiitix •mor est et arrcc'atio. Ila'c ostendil, (|U0 illa pcrvcnit. Ptiilnsophia iindc dicta kit, npparel; ipso eaiiii nomiae fatetur. Quidam sapieatiani ita fiaierunt, lit dicercot eam • divioorum et liumanonini scientiain. • Quidam ita : • Sapieutia est, DOEse di«ina et hiimaiia, et borum cau- tai. ■ Supci'Tacua mihi vidotur liiec adjectio , quia causx difiDoniiii liumanorumque partes sunt. Pbiloiopliiam qiio>|U(< fueruntqui aliter atque aliter finirent : alii stii- dium illam Tirlutis eisediierunt; alii »tuditmi corrigendic mentis; a quibusdam dicta est appptitio rec:<'C rationis. Illud quasi coDStltit, aliqui I ioter piblo-ophiamet sapien- liam interesse : neque eoim fieri putrsl , ut Idem sit quod affeclatur, et qnod affectât. Quomodo niulliim inter aia- ritiim et pecuninm interest , qiium illa rupiat , haec cim- copiscatur; sic iiiter pbilosopbiam et sapientlam. IIxc enim illiiis effcctus et prxmium est ; illa venit , ad banc itur. Sapientia e«t, quam Grseci ctfttr, vocant. Hoc verbo Romani quoque utebaotur, sirul pbiliuopbia niinc quo- que uluntur. Quod et togala; tibi antiquœ probabuat, et inscriplus Dosseuni nionumealo titulus : Hospes résiste, et sophiam Dosenni leges. Quidam ex nnstris, quamvis philosnpbia studium virto- tis essel, el ha'c peleretiir, illa peleret, tamen non puta- Terunt illas distralii pusse : nain nec philosophia sine vir- tute est , nec sine pbilosophia virlus e>t. Pbilosophia stu- dium virtutisest, scd per ipsam virlulcm; nec virlu» autem esse sine studio sui potest, nec Tirtutls studium sine ipsa. Non enim, queniailmodum in bis, qui aliquid ex distant! loco ferire conantur, alibi est qui petit, alibi qundpetitur; nec, quemadinodura ilinera , quae ad urbe» perducuDt, extra ipsas sunt. Ad virlutem «enitur per ip- sam. Cohaerent ergo inter se philosophia virlusque. Philosopbix treï partes esse diierunt et maiiini et plu- rirai auclorcs : moralem, naturalem et rationalein. Pri- ma componit animum ; secunda rerum naturam scrutalur; tcrtia proprietates verborum eiigit, et slrucliiram, et argumentationes, ne pro vero falsa snbrepant. Cîeteruiii inventisunt, et qui in pauciora pbilosopbiam, et qui i a plura diducernnt. Quidam ei Peripateticis quartam par- tem adjecerunl , ciTilem; quia propriam quamdam eier- citationem desideret, et circa aliam materiani occupata sit. Qdidam adjecerunt his partem, quam Grasci oImi» 736 SÉISÈQUE. ont encore ajouté celte partie que les Grecs ap- pellent économique, qui consiste en la science de bien gouverner une famille. D'autres, enfin, ont voulu mettre a part l'endroit qui traite des divers genres de vie. Mais tout cela se trouve com- pris dans la morale. Les Épicuriens n'ont admis que deux parties dans la philosophie, la naturelle et la morale, rejetant par ce moyen la logique. Mais comme ils se sont vus obligés de distinguer ce qui était ambigu, et de découvrir le faux caché sous l'apparence du vrai, ils ont introduit une troisième partie qu'ils appellent du jugement et de la règle qui tient lieu de rationnelle, lis disent, toutefois, que ce n'est qu'un surcroît de la natu- relle. Les Cyrénaïques ont retranché la naturelle et la rationnelle, et se sont contentes de la morale. Mais , à l'exemple des autres, ils rctabli^sent ce qu'ils ont supprimé; car en divisant le monde en cinq parties, il s'en trouve une qui traite de ce qu'il faut fuir ou désirer, une autre des passions, une troisième des actions, une quatrième des cau- ses, et une cinquième des arguments. Les causes appartiennent à la naturelle, les arguments 'a la logique ou rationnelle, et les actions "a la morale. Ariston, natif de Chio , est d'avis que la naturelle et la rationnelle sont superflues , même contrai- res. Il n'a laissé que la morale. Encore l'a-t-il es- tropiée parle retranchement qu'il a fait du traité (les avertissements, disant que c'était le fait d'un pédagogue et uon d'un philosophe, comme si le philosophe n'était autre chose qu'un pédagogue du genre humain. Puis donc que la philosophie est divisée en trois. parlons premièrement de la morale, laquelle on a encore subdivisée en trois. La première, qui con- sidère le mérite de chaque chose et qui lui donne ce qui lui appartient, est d'une grande utilité. Car qu'y a-l-il de si nécessaire que de mettre le prix il toutes choses? La seconde traite des passions; la troisième, des actions. Car il faut, première- ment, savoir ce qu'une chose vaut; secondement, la désirer avec ordre et modération; en troisième lieu , accorder son désir avec son action de telle sorte que vous ne soyez jamais contraire 'a vous- même. Si l'un des trois vient à manquer, tout est en désordre. Car a quoi sert de bien savoir la va- leur de toutes choses, si vous les désirez trop ar- demment? Que sert encore d'avoir réglé ses désirs et de s'être lendu maître de ses passions si, ve- nant à l'action, on prend mal ses mesures soit pour le temps, le lieu et la manière? Car ce sont qualités bien différentes, de connaître le mérite des chose.?, de bien prendre l'occasion , et de mo- dérer son ardeur afin de se porter et de ne se pas précipiter dans une entreprise. Tout est bien d'ac- cord quand l'action suit l'affection , laquelle est plus lente ou plus vive selon le mérite de l'objet qu'on prétend. La philosophie naturelle se divise en choses corporelles et incorporelles dont il y a encore d'autres degrés ; premièrement des choses qui engendrent, et puis de celles qui sont engen- drées. Or les éléments sont engendrés, et le traité qui en parle est simple suivant l'opinion de quel- ques-uns; les autres se divisent en la matière, en la cause qui meut toutes choses, et en éléments. 11 reste à vous faire la division de la philosophie /iixjiv TOcant, adminislrandse reifamiliarisscientiain. Qui- dam et de generibus vilae locum separaverunt. Nihit au- le m horuin non in illa pinli' niorali reperietur. Epicurei duas partes philosopliiae puiaveriint esse, nalnralem at- que moraleni ; ration;ilem rcnioverunt. Dcinde , quiim ipsis relms cogerentur ainl)igu:i seiernere, falsa sub specie veri lateiitia coargiieie , ipsi quoque locum , quem de Judicio et Régula appeliant, alio nomino rationalem induxerunt; sed cum acces^ioneni esse natuialis partis existiiiiant. Cyrciiaici u;ituralia cum rationalibus su&tule- runt, et contenli fiierunt moralibus : sed hi quoque, qua; remoTent, aliler iuducunt. In quinque enim parles mo- ralia diïidunt, ut una sit de fiigiendis et expetendis, al- téra de affectibus , terlia de aclionilius , quarla de causis , quiuta de argumenlis. Causa" reruni ex naturoli parte sunt; argumenta ex rationali; actiones ex uiorali. Ariston Chius, « non tanlura superîacuas esse, dixit, naturalcm et rationalem, sed cliaui contrarias : « morulem qnoque, quam solam reliquerat, circnmcidit. Nam eum locum, qui moniliones conlinet, suslulit, et paedagogi esse dixit, non pliilosophi ; tanquam quidquam aliud sit sapiens, quam humani generis pcal)uli, quihus diciinlui'. Ingcns deinde seqmtur iitriu^que divisio. Ilaquc hoc loco noeiii iM^in, Etsumma sequar fastigia rcruni: aHoani, si volucro facere partium parles , qusslioiiinii liber net. Hsc, Lucili, virniuni optime, quominns legas non detprrro; dammr.dn, quidqui I legeris, »d ninre^ sialirn refi-ras. Illos cimprsre, niarcentia in le cxciln, soluta eonslringe, contumac a doiua, cnpidilates tuas pnblicas- qae, quanlum potes, veia; et istis dicentikus : Quoii.s- qne eadeni? rosponde : « Ego dehebani diccrc : Qu<)u.s- qna eadem peccahitis? Remédia anteTultii, quain vilia i!q»c piospeclum , aliculii ex piano in altitudineni nionlium cducta ; qncHii multa apd ficaviTitis, qunm ingeiilia, la- men et singiila corporae-ts, et parvula. Quid prosunt mnlta cubicula? in uno lacetis. Noneslvestium, ubicum- que non eslis. Ad vos deinde transeo, quorum profunda et insiitiabilis jjula bine maria scrutatur, bine terras. Alia bamis.aiia laqucis, aliareïium variisgencribus cuni niagno Ubore perscquitur; nuUis animaUbus, nisi ex liistidio, pii\ est. Qiian:ulum enim ex istis cpulis, quae per tui conipanilis nianiis , fisso votuplalibus ore libatis? Quanluluin ei ista fera , periculose capta, domiuus cru- dus i'C naiiseans gu-lat? Quanlulumes tôt conchyliis, tam longe adMclis, per isUini sioniachum inejptebilcm labi- tur? Inftlices ctiam, qu.d non intcUicilis, niajorcm vos frfmem babere , qiiani vcnirem ! » — Hase aliis die, ut, dum Uicis, audias ipse; scribe, ut, duni scribis, legas; onnia ad mores, el ad sedandam rabiem affecluuni re- lerciis. Sludc, ut non plus aliquid scias, sed utmelius. Vale. EPISTOLA XC. LIL'S PHILOSOPUljE : AD ILLiM SOLIUS liMII CCBiB PEBTIXEBl. Qnis dubitare, mi Lucili, potest, quin Dcomm im- mortalium muuus sit, qnod vivinins? philosopbia;, quod l)cne virimus? itaque lanto plus buic nos debere, quaiu Diis, quanto majus beneCcium est boua vita, quam vita? Pro cerio deberetur, nisi ipsam Dit pbilosopbiam tri- buissent; cujus scieutiam nulli dederunt, facultalem om- nibus. Nara si banc quoqnc bonum vulgare fecissent, et prudentes naicercmur; sapientia, quod in se optimam babet , perdidisset ; inter fortuita essot. ÎSunc enim hoc in illa pretiosum atque magnificum est , quod nou obTenit. quod itiam sibi quisque débet , quod non ab alio petitor. Quid baberes quod in philosopbia suspiceres , si Iwnefl- ciaiia res esset? Hujus opus unum est, de divinis ha- nianisque verum iuvenire; ab bac nunquam reeedit jai-' titia, pietas, riligio, et omnis alius comitatus Tirtulnm conserlarum , et inter se cobaerentium. UcPC docuilcolef» divina , buniana diligere , et pênes Deos imperium ( inter bomines consortium, quod aliqnandiu inviolatoli mansit, antcqnara societatem avaritia distrsiit , et | ÉPlTIîES A LIICILIUS. 739 vres ceux-là mêmes qu'elle avait le plus enrichis ; car ils perdirent la possession des choses dont ils avaienl affecté la propriété. Les premiers hommes, et ceux qui leur succédèrent, n'étant point encore corrompus, suivaient simplement la nature; elle leur servait de conduite et de loi ; ils se laissaient gouverner par celui qu'ils jugeaient le pins homme de bien ; car il est naturel que le conimandcraent passe entre les mains de celui qui vaut le mieux. Les animaux prennent pourconducteur celui d'en- tre eux qui est le plus grand ou le plus fort. Vous ne verrez point un taureau faible et jtetit marcher à la tête du troupeau , mais bien celui qui a le plus grand corps et la plus large cncDiure. Entre les éléphants, le plus grand conduit les autres; entre les hommes, le meilleur est estimé le plus grand. Ils faisaient choix d'un gouverneur par les bonnes qualités de son âme, et ces peuples vivaient heu- reux et contents, parce que, pour être le plus puissant, il fallait être le meilleur. Celui-là peut tout ce qu'il veut, qui pense qu'il DC j)eut que ce qu'il doit. C'est pourquoi Posido- nius estime que les sages étaient les rois de ce temps-l'a, qu'on appelait le siècle d'or. Ils empê- chaient les violences et défendaient les plus faibles de Topprcssion des plus forts. l!s persuadaient ou dissuadaient suivant les occasions, et faisaient connaître ce qui était utile ou préjudiciable; ils jîourvoyaient , par leur prudence , aux besoins de ceux qui leur étaient soumis ; ils les garantissaient des périls par leur valeur, et, par leur libéralité, ils les comblaient de biens. Ce n'était pas régner alors que de commander; c'était exercer une charge. Ils ne tournaient jamais leur force contre ceux de qui ils l'avaient reçue. Personne n'avait inten- tion ni sujet tie malfaire; car, si l'on savait bien commander, l'on savait aussi bien obéir; et la plus forte menace que le prince faisait "a ceux qui n'c- laient pas assez soumis, c'était de quitter le c'om- rnandeiiient. Mais après que le vice , s'élant mis en crédit, eut changé les royaumes en lyraniiies, on eut besoin de lois, qui furent données par les sages au commencement. Solou en donna aux Athéniens, et fut mis parmi les sages de ce temps- là, lesquels , au nombre de sept , se faisaient dis- tinguer entre les autres. Si Lycnrgtie fût venu au même siècle, il aurait été le huitième. Les lois de Zaleucuset de Cluroiidas sont en grande réputa- tion. Ce ue fut pas dans le barreau ni dans les con- sultations , mais dans l'école silencieuse de Pylha- gore, (ju'ils apprirent le dmit, pour s'en servir après au règlement de ia Sicile, qui était alors (lorissaute, et des villes que les Grecs teuaient en Italie. Jusqu'ici je suis de l'avis de Posidonius; mais je ne lui saurais accorder (]ue la philosophie ait inventé tous ces métiers qui sont nécessaires aux commodités de la vie. C'est faire trop d'honneur aux arts mécaniques. « Comme elle vit, dit-il, les premiers hommes épars de tous côtés, les uns re- tirés en des cabanes, les autres dans les creux de quelques arbres , de quelques rochers, elle leur apprit a bâtir des maisons. » Pour moi, j'estime que ces bâtiments qui ont tant d'étages, qu'une ville en est offusquée, sont aussi peu de l'invention de la philosophie que les viviers et les réservoirs où perlatis causa etiam liis, quos fecit locuplelissimos, fuit. DesicruDt enini otnnia possidere, diim voluat propria. Sed primi mortaliuni , quique ei his penili naturani in- corrupti sequebanlur, eamdein hal>ebant et ducem , et legeiD, comniissi metioris arbitrio. Nalume est enim, potioribus détériora submitlere. Mutis quideni crepibus lut maxinia corpora prœsant, aut vehementissima. Non prJBcedit armenta degener taurus , sed qui magnitudine ■c loris caeteios mares nicit; eleplianlorum gregein ei- eelteutissimus dncitj inter homioes pro niaiimo est opti- mum. Aoimo itjque rector eligcbatur; idcoque sunima félicitas erat geotium , in quibus non poterat polentior esse.uisi melior. Tantum enim , quantum Tult, polest, qui se , nisi quod débet, non piUal posse. IIlo crgo saeculo, quod aureum perliil)cnt, pênes sa- pientes fuisse regnum Posidonius judicat. Hi cnnline- baut manus, et infirm'ores a talidioribus tuebantur; suadetiant , dissuadebantque , et utilia atqne inutili.i nion- strabant. Horum prudenlia, ne quid deesset suis, provi- debat; fortitudo arcebat pericuta; beneficentia augebat ornabatqne subjectos. Offlcium erat imperare, non re- gnum. TSemo, quantum possetadversuseos, ciperiebalur, per quos rœperat posse; ncc erat cuiquani aut aninius in injnriam, aut causa; quum benc imperanti bene parc- retur, nihilquc rei majus minari maie parenlibus possct, quani ul abiret e regno. Sed postqiiam, subrepentibus viliis, in lyrannidem régna conversa sunt, opus esse cœ- pit legibus , quas et ipsas inter initia tulcre sapientes. Solon, qui .^Ihcoas ieqnojure fundavit, inter scptem œvi sapieutia notus : I^ycurgum si eadeni a?tas tulisset, sacro itti numéro arcessisset octavum : Zaleuci leges Charou- dsque laudantur. Ili non in foru, nec in consultorum atrio, sed in PjUiagorac tacito ilto sanctoque secessu didi- ceruut jura , qux llorcnti tune Sicilise et per Italiam Gr»cia' ponorent. Ilactenus Posidonio assentio : artes quidem a pliiloso- phia inventas, quibus in quutidiano nsu vila utitur, non concesserini ; ncc illi fabrica; osseiam gloriam. « Illa , inquit, .".parsos, et autcavis tectos, aut atiqua rupe suf- fossa, aut exesa; arbiiris trunco, liocuit tocta moliri. • Ego vero philosopliiam judico non niagis ejcagitasse bas mactiiDalioDes tectorum supra lecta surgentium , et ur- bium urt)es premcnliuui, quani vivaria pisciuni in boc clusa , ut tempestalum pericula non adiret gula , et , quaniïis acerrime pclago saivicnle , baberet luxuria por- tussuos, in quibus distinclos piscium grcgcs saginaret. 47. SÉ.NÉQUE. lc cum lanto habitanlium pericutoinuninenlia tectii suspendit? Parum enim erat forluitis tegi, et sine arte et diflicultatc naturalesibi invenire aliquod rccepla- cutiun ! Milii crede, felis illud sœculuin aute àpynixrmxi fuit. IstJ nata sunt jam nascente luxnria , ia quadratum tigna (leciderc, et , serra per designata curren^e, certa rnanu tiabein scindere. Nam primi cuneis scindebant fissile lignura. Non enim tecta coenationi, epuluin recepturae , para- bantur; nec in bunc usuni pinus aut aines deferel)alur longo vcbicu'.orum ordine , vicis intrementilms, ulex illa lacuuaria auro graiia penderent. Furcaî utrimque sus- pensa; fulciebant casani ; spissatis ramalibus, ac fronde cougesta et in proclive disposita, decursus imbribus , quannis niagnis, erat. Sut) liis teclis habitavere securi. Culnuis til)eros texit; sut) niarmore alque anro servitus habitai. In illo quoipie dissentio a Posidonio, quod .fcrramena fatirilia excogitata a sapionlibus virisjudi tat. > I.slo enim modo dicat ticet sapienlcs, per quos Tiinc laijiit'is c.iptare fera», et fatlcrc visco loTenl\:in, et raigaoscanilius ciicunidjrc saltus. O.-iinii onini isla s.ig.icitaô himinum, non sapicnlia in- venil. lu hoc quoque dissent»), « sapientes fuisse, qui ferri nielalla et œris invcuerinl , qiumi inccndio siltaruni adusia tellus insiimuio vcnas jacentes tiquefaitasfudisset.» Ista taies inveniunl , ijuales culunl. ÎSe illa quidem tam suhtitis quœstio iina\ viile;iir, quant Poïidonio : • Utru u nialleus in usu cs.'-e prius, an (orcipes cœperint. • Ltra- qne inveuitaliquiscxercitaii ingenii, acuti.non magni, nec elaii; et quidqu d alind cori)ore incur\ato, et «iiimo humuni f pectante , quaerendum csl. Sapiens facili» viclu fuit. Quidui?quum hoc quoque sffculo esse quam expc- ditissi.Tius cupiat. Quomodo, oro te, conven-t, nt et Diogenem mireris, et l)aedalum?Uter es liis sapiens tibi videtur? quiserram commentus csl ? an ille , qui , quum vidissct puerum cava manu bibentem aquan), fregit protinus exemptum e pe- rula calicem, bac objurgaiione sui : « Quanidiu hoaio slultus supervacuas sarcinulas bal)ui ? » qui se coniplicait in dolio, et in eo cubilavil? Hodie utrum tandem sapien- tiorem pulas, qui invenit qnemadmcdum in imniensam altitudinem crocum latentibus fistulis exprimat; qui Eu- ripos subito aquaruui inipetu iuiplet aut siccat, et versa- lilia cœnalionuiM laquearia ita coagineutat , ut .'ubinde alia faciès atqnc alla succédât, et toties tecta, quolies fercul» nmtentur ? an cum , qni et aliis et sibi hoc nionslrat qu«m nibil nobis nalura dui uni ac difticile iniperaTerit? possc nos ÉPITRES A LUCILIUS. 7<4 goi-méme que la naturelle nous a rien ordonné de , du* ni de difficile , que nous pouvons être logés sans avoir des tailleurs de marbre; t5lre vêtus sans avoir commerce aux pays d'où viennent les soies ; être fournis de tout ce qui nous est nécessaire, si nous nous contenions de ce que la terre a mis il découvert, et que par ce movr n nous aurons aussi peu affaire d'un cuisinier que d'un soldat? Certai- nement ces hommes-là étaient sages, ou fort appro- chant des sages qui s'emliarrassaient si peu des nécessités du corps. Il faut peu de soin pour le nécessaire, mais beau- coup de peine pour le délicieux et le superflu. On n'a pas besoin d'artisans lorsqu'on suit la nature. Elle n'a pas voulu que nous fussions occupes pour les choses qu'elle a rendues nécessaires. Elle nous on a pourvus. Oui; mais quel moyen de supporter le froid quand on est tout nu ? Quoi ! les peaux de tant de bêles ne sont-elles pas suffisnnies pour vous en mettre à couvert? N'y a-t-il pas des peu- ples qui se couvrent d'écorccs d'arbres, et d'autres qui se font des habits (\o plumes d'oiseaux? La plupart des Scythes d'aujoiud'hui ne sonl-ils pas vêtus de fourrures de renards el de martres qui sont douces sous la main, et que le vont ne sau- rait percer? Vous v.\c réponilrcz :— Nous avons be- soin irombrages épais pour nous défendre dos ar- deurs du soleil. — Quoi ! ces bonnes Kens ne fai- saient-ils pas des trous on de certains lieux, que l'injure du lenips ou quelque aulre accident a de- puis caves et r dnils en grottes? Quoi ! ne faisaient- ils pas des claies d'osier, qu'ils enduisaient de terre détrempée et couvraient de chaume et de fougère, où ils pas,saient l'hiver 'a leur aise, i.^ pluie s'écoulant par les endroits qui avaient leplus de pente? Quoi ! ces Africains qui sont proche des Syrtes ne demeurent-ils pas sous terre? Il n'y a point d'autre abri capable de les garantir de la chaleur, qui est extrême, que la tei rc même , et encore toute brûlante. La natnie ne nous a pas été si ennemie, qu'ayant rendu la vie aisée "a tons les animaux, elle ail voulu (pic l'homu.e seul na pût vivre sans tant de métiers et tant d'artifices ; elle ne nous a point obligés a tout cela , ni même à recliercher avec peine de quoi entretenir notre vie. Nous avons trouvé toutes choses prêtes quand nous sommes venus au monde; mais le dégoût de la facilité nous les a rendues toutes difficiles. Les maisons, les vêtements, les viandes et les antres nécessités du corps, dont nous faisons maintenant notre principale affaire, se rencontraient partout dans ces premiers siècles; toutes ces choses ne coû- taient rien, et se pouvaient recouvrer sans beau- coup de peine , car personne n'en prenait que selon sa nécessité. Nous y avons mis le prit rt la cherté qui en rendent l'acquisition diflicile. La nature nous fournit elle-même tout ce qu'elle nous demande : le luxe, s'en éîani éloigné, l'evcile cou- Ire elle tous les jours, et froissant de siècle en siècle, il prête son industrie pour entretenir le» autres vices. Il a commencé 'a désirer des choses superflues, puis des choses contraires ; à la (in , il a soumis l'âme aux volontés du corps. Tous ces métiers qui font tant de bruit dans les villes, et qui nous éveillent si matin, ne trav:iillcut que pour le service du corps. Ce qu'on ne lui donnait hablliirc sine mnrmnrario ac fal)ro; posse nns vestitos este sine commcrcio Seriiin ; p isse ni>s habcre usibus DOstris neceisaria , si contenti fiieririms liis, qua; terra posait in sumnio. Queni .si aadirp hiiniannm geniis ïo- lueril, lam supcrTncuiini sciet sibi coqimm esse, quam mililem. Illi sapienles fuerunt, aut cer'c snpienlibus si- iniles, quibus eipodita crat liitela corporis. Simplici cura constant necessaria; in dcllcias labornliir. ISon desidera- bis artifices, si sequeris naluram : illa nnluit esse dis- trictos; ad qocBCumque nos C"KPl)at, inslruxit. Frigns iniolerabile est corpori nndo. Qiiid crgo ? non pelles fe- rsrum et alioriim aninialium a frigore salis abundeque defenderc qiieunl? non corlicibns arborum pleracqne génies teniint corpora? non avium plunioe in usam veslis eonserunUir? non hodieque magna Scylbanim pars tcrgis nilpinm iiidiiitur ac ninrium, quae laclu mollia et impe- netrabtlia vcntis sont? — Opus est tamrn calorcm solis a-stiïl uiiibra crassiore propcllere. — Quid ergo? non ve- tiutss mnlia abdidit loca , quae vel injuria temporis , vel nlio quolibet casu excavata in specum rccessernnt? Quid ergo? non quamlibet virceam cralem tcxucrunt manu, ei ?ilioblinlernnt luto, deinde stipula alitsquc silvestri- bu» openierc fasligiuin, et,pluviis per dcvcxa laticnli- bu» , hiemem transierc securi ? Quid erpn? non in defos?o lalent Syrticœ gcntes? qiiibus propter niniios solis ardo- res nullum tegumentuin satis repellcndis catoribus soli- dum esl, nisi ipsa arens humus. Non fuit tam inimica natura, ut, quuni omnibus niils animalibus facilcm acluni Tita-daret, lioiiio sdlus non posset sine tôt arlibus Tivere. Nihil horum al) ilia nobi» imperatum est , nihil sgre quarendun) , ut possil vili produci. Ad parata nali sumus : nos omnia nobis rii(ficl!i.i facilium Tastidio fecimus. Tecla tcpunient^iqne , et fomenta corporum , et cibi, et qua; nunc iopens nepotiinn faoli sunt, obvia erant.et gratuits, et opéra Icvi (larabilia; modus enim omnium , prout postulabal nPd'ssitas , oral : nosista pretiosa, nos mira, nosmagnismullisquc conqui- renda artibus fecimus. Siiflicit ad id natina . qtiod poscit. A nainra luxuria desciïit, qnac quotiilie se i|)sn iiieitat , et tôt saeculis crescil, et ingcnio adjuvat vilia. Primo supcr- vacua cœpitconcupisccre, indeconlraiia , novissime ani- nium corpori addixit, et illius descrvire libidini jeissit. Omnes ista; artcs , quibus aut eiciMtur civilas aut strepit, corporis neROlium gerunt ; oui omnia olini tanquam serro prxstabanuir , nunc lanquam domino paianuir. Ila(|ii6 bine textorum, bine fabrurunioflicinasuiU, liiiir odnrii* WJ fluticl'ois que couiiiie a un esclave, on le lui ap- protc aujourd'hui comme a un seigneur. C'est ce qui a érigé toutes ces boutiques de bi odeurs, de parfumeurs , d'orfèvres , et ces écoles de danse et de musique. Ce n'est plus la mode do borner ses désirs parla nécessité. C'est être grossier et misé- rable de se contenter de ce qui suffit. On ne sau- rait croire, mon cher Lucile , combien la douceur des paroles a de force pour éloigner les plus grands hommes de la connaissance de la vérité. Posido- nius, l'un de ceux qui, "a mon avis, ont le plus mé- rite de la philosophie, après avoir décrit comme on lire le fil , comme on le retord, comme la toile se tient en état par le moyen des poids qu'on y at- tache, comme le peigne serre la trame qui a passé avec la navette, dit que les sages ont inventé le métier de tisserand , ne se souvenant pas que l'on a trouvé depuis une méthode plus subtile. Kntr.^ deux rangs de fils sur le métier tendus, La navette en courant entrelace la trame. Puis le peigne aussitôt en serre les tissus. S'il eût vu les toiles de ce temps-ci, dont on fait des voiles si clairs qu'ils ne sauraient couvrir le corps, ni même cacher les nudités, il aurait élé bien surpris, il j)arle ensuite du labourage, et fait une description élégante des deux premières façons que loti donne "a la terre pour la rendre meuble , afin que le grain y prenne plus facilement racine , atha cciire cogatur et jungi ; textrini quoqiie artem a sapionlibus diiit inventam, oblilus, poslca re- perlum ho; subliiius gcnus, in quo Tcla jiigo jiincta est, stamen secernit arundo ; Iiiseritur médium radiis subtemcn acutis , Quod lato feriunt insecli pectine dentés. Quid si contigisset illi adderc bas nostri temporis telas, «juibus vestis nihil celatura conficitur, in qua ncm dico nullumcorpori auxilium, sed nullum pudori est? Transit deinde ad agricolas , ncc minus facunde describit proscis- sum aratro solum , et iteratum qno solutior terra facilius pateat radicibus , lune sparsa semina , et collectas luanu herbas, ne quid fortuilam et agreste succrcscat, quod necct segetem. Hoc quoque opns ait esse sapientiiim ; lan- quam non nunc quoque plurima cultures agrorum nota inTcniaut, per quae fertilitas augealur. Deinde non est- conlenlus bis arlibus, sed in pistrinum sapientem sub- miltit. Narrât enim, quemadmodum, rerum naluram imilatus, panem coeperit facere : « Receplas, inquit,in os fruges concurrens inter se duritia dentium frangit, et, quidquid excidit, ad eosdem dentés lingua refertur; tune vcro miscelur, ut facilius per fauces lubricas transeat : quum pervenil in venirem , aqnaliculi fervore concoqui- tur; tune doinum corpori accedit. Hoc aliquis secutus exemplar, lapidem asperum aspero imposait , ad siniilitu- diriem dentium , quorum pars immobilis motum alteriuï exspcctat; deinde utriasque attritu grana frangnntur, et saepius regeruntur, donec ad tninutiam fréquenter trit» redigantur. Tune farinam aqua sparsit, et assidua trao- tatioue pcrdomuit, Cnxitque panem, quem primo cinis calidus et fcrvens testa percoxit : deinde furni paulatim reperti , et alia gênera , quorum fervor serviret arbitrio. • — JNon multum abfuil , quin sutrinum qnoque invenlum a sapienlibus diceret. Omuia ista ralio quideni,sed non recta ratio, com- menta est. Hominis enim, non sapientis, inienta sont; tam mebercules, quam navigia, quibns amnes , quibitf- quc maria tran.sixiinus, aplatis ad eicipiendum Tentortan EPURES A LUCILIUS. vent , et du gouvernail qui est atlaché derrière , M"i en règle le cours. L'exempic en est venu des poissons qui se conduisent par la queue, dont le mouvement les porte promptenient de cô'é et (l'au- tre. Le sage, dit l'osidonius, est auteur de loiiies ces inveutions; mais, parce qu'elles étaieni au- «lessous de lui , il en a laissé l'exercice à d 's g^'iis de moindre considération. Pour moi , je tiens que tous ces métiers n'ont point d'autres inventeurs que ceux-là mêmes qui les ont pratiqués jusqu"a présent. N'a-t-on pas trouvé de nos jours quelque chose de nouveau, comme l'usage des vitres qui transmettent la lumière par un corps trans|)arent ; les ctuves suspendues, et les tuyaux enchâssés dansles parois pour échauffer également une cham- bre par haut et par bas? Que dirai-je des marhres que l'on voit éclater dans les temples et dans les maisons, de ces masses de pierres rondes et polies qui forment des portiques capables de mettre 'a 1 couvert un peuple entier? de ces notes qui recuei- ' lent une harangue quelque vite qu'on la puisse i prononcer, en sorte que la diligence de la main ' égale la promptitude de la langue? Ce sont toutes inventions de nos plus malheureux esclaves. La sagesse se porte bien plus haut. C'est ellequi dresse lésâmes , et non pas les mains. Voulez-vous savoir de quoi elle se mêle, et ce qu'elle a mis au jour? Ce n'est point la danse ni le son de la flûte , onde la trompette, non plus que la science des ar- mes et de la guerre. Elle n'entreprend rien qui ne soit utile ; elle porte tout le monde "a la paix et 'a la concorde. Elle ne forge poiut, dis-je, des ou- tils pour l'usage des artisans. Ce serait la ravaler bien bas. Vous voyez que c'est elle qui gouverne la vie , et qu'ainsi les métiers qui servent "a la vie relèvent de son ijoinaine. Au reste , elle se propose la léliriié pour olijpt: elle mus y conduit, elle nciiis en ouvre le cliciniii. elle fait coniiailre ce qui est n;al <>n efiet et ce qui ne lest (lue par opi- nion. ICIIc chasse la v;iniié et met en sa plice une grandeiM- solide. Elle montie la différence qu'il y a entre l'illuslrc et rori.;ueilleux, et fait voir ce que c'est du monde et ce qu'elle est elle-mênio. Elle enseigne ce qui est des dieux , des enfers, dos lares et des génies ; quelle est la nature des àmci immortelles qui tiennent le second rang a[)rcs les dieux; leur séjour, leurs occupations, lei:;s désir» et leur puissance. Voil'a comme l'on est initiii pour avoir entrée, non dans un mystère particu- lier, mais dans le temple des um nnvigii torqueant : eieniptum a pisci- bns tractum est, qiiicaiida repmitur.ctleîi pjtisinulrum- que iiiomenlovclon'talein suani lleclunt. . Oiimia , intuiil, ha-c sapiens quidem inrenit, scd minora , quarii u i|)se tractaret, «ordidioibus minisiris dclit. .Inii non al> aliii eicoKitata isla mnl, quam a quibus hodie(;ui" cn- rantnr. Qniedam nostni demura proiiissf incmoniscl- IDUS : ut sppcularioniin usuin, peiliicenle lesla clariiin transmiltentiuDi lumen; nt suspensuras lialiienrniii , et impressos parietil)us lulios, por quos oircunifundereiur calor, qui ima «imul ac sunima foveret irqn liler. Qui.l loquar marmora, quibus tempîa , quibus donius ful({iril? Quid lapideas moles in roluiiduni ac levé format s. qui- bus porlicus ctcapacia populorujii leclasuscipimu? Quid verborum notas , quibus quamvis citala eicipilur oraiio, etceleritatcmlinj;ua; manussequilur? Vilissimoruminan- cipiorum ista commenta sunl : sapicnlia altius sedet , nec mauus edocet, animorum magistra est. Vis scirc.qiiid itla erueril, quid effcceritî Non dedecoros corporis mo- Jns, nec varios per tubam ac tibiam cantus, quibus ei- ceplus ipiritus, aut in eiilu, aut in transita, formalurin vocem; non arma, nec muros, nec bella : ulilia molitur, pact farci , et genus hnmanum ad concordiam Tocat. Non est, inqiiam, inslrumentorumai usiis ncccssarios optfei. Quid illi l.im paivula assEnas? .\rtincem >ides ^ita?. Alias (|uldi'm artes sut) doiiiiuio haliel ; nain cui vlta , iili vitae quoqiic ornanieiila sertiunt : ceteriim ad beatuiii slaïuni tendit; illo dncit, illo vias apciit Qua; sint iiial:i , qiix udeanlur, oslendil; vanlt tm eiuit uienilius, dat niagni udin '111 so'idam; inllatim Tero, el ex iiiaul spo- ciosnm lepiiinit; nec ignoniri sinit , inler m giia (juid in- iTsil et uimida : tolius natura; iiolitiam, ac sna", trndit. Qniil sint I)ii, qu;ilesqcie, declaiiil; qniil infiii, ijnld lares et g< nii; qniil in secundam nuniinuin fuiniain aui- ma? perpeltae, util consistant, quid ag.nt, quid possint, quid leliu!. Ilaec ejiis in lianienla sunt, per quae non mhi- uicii)alc sacrum, scd ingens Dcninm omninni leniplum, muudus ipfe, rcseratiir; cujus vera simiilacra, verasqu» faciès cernendas nieii'.ibus prolulit : nain ad speclocula tam magni hebes \isus est. Ad initia deindererum redit, a^tcrnaniqne ralionem toti indilaui , 1 1 vim omnium so- minum singula proprie figurantem. Tuni deaniinocirpit inquirerc, iinde essct, ubi, qnanidiu, in quot incnilira divisus. Deindc a co: poribus se ad ineorporalia transtnli!, Tcritalcmque et argumenta ejus excussit : post luec, quemadraodum disccrnerentur Tila;ac neds aml)i|nM; ID atraque enim falca vcris immiita sunt. 744 Le sage , dis-je , u'u fioiiil abaiidoiiné ni délaissé tous les arts et les métieis, cotarae le croit Posi- donius; il ne s'y est pas uiôme arrêté ; car aurait-il estimé digne de son inveiilion ce qu'il n'estimait pas digne d'un perpétuel usage? Il n'aurait pas pris une chose pour la quitter. Il dit qu'Anacharsis inventa la roue du potier , sur le torir de laquelle se forme la vaisselle de terre. Et parce que , dans Homère , il est parlé d'une roue de potier , il veut que le vers soit faux pour sauver sa fable. Je ne veux pas contester qu'Anacharsis n'en fût l'auteur ; mais si ce fut lui, j'avoue qu'un sage lut l'inventeur de cette roue , mais non comme sage ; car il y a bien des choses que les sages font en qualité d'hom- mes et non en quiililé de sages. Supposons qu'un sage soit bon coureur ; il passera tout le monde à la course, parce qu'il est bon coureur, non parce qu'il est sage. Je voudrais montrer a Posidonius quelque faiseur de verres, qui, de son souffle seul, donne à un verre des tours et des façons que la plus adroite main aurait peine d'imiter; et cepen- dant cela s'est trouvé depuis qu'il ne se trouve pi us de sages. 11 dit encore que l'on croit que Démo- crite est l'inventeur des arcades, où plusieurs pierres courbées et penchant en bas se lient en- semble par la clef que l'on met au milieu. Je puis assurer que cela est faux ; car il y avait ceriaine- ment avant Démocrite des pools et des portes dont le dessus est ordinairement courbé ; mais on a ou- blié de dire que Démocrite a trouvé la manière de polir l'ivoire, de convertir des cailloux recuits en émeraudes, et que, par cette méihode, on donne encore aujourd'hui telle couleur que l'on veut aux pierres qui sont propres 'a cuire. Je veux SÉJN'ÈQUE. que le sage ait inventé cela ; il ne l'a pas fait eu qualité de sage , étant certain qu'il fait beaucoup d'ouvrages que des gens sans esprit font aussi bien que lui, et quelquefois avec plus d'adresse et d'expérience. Voulez -vous savoir ce que les sages ont recher- ché, et ce qu'ils ont mis eu lumière? Première- ment, la connaissance de la nature, telle qu'elle e:t dans la vérité, ne l'ayant point considérée, comme les autres animaux , avec des yeux qui ne sauraient pénétrer dans les choses divines. En se- cond lieu, ils ont donné des lois à la vie humaine, qu'ils ont étendues généralement "a toutes choses. Ils nous ont amenés a la connaissance des dieux et à l'obéissance que nous leur devons ; ils nous ont appris qu'il faut recevoir tout ce qui arrive comme s'il nous était ordonné. Ils nous ont défendu de déférer aux fausses opinions , nous ont découvert la juste valeur de chaque chose , ont condamné les voluptés sujettes au repentir , et mis en honneur les biens qui n'apportent jamais de dégoût, mon- trant à tout le monde que c'est une grande pros- périté que de n'avoir pas besoin de plaisirs, et une haute puissance que de régner sur soi-même. Je ne parle pas de cette philosophie qui a chassé les dieux hors du monde, les citoyens hors de leur ville, et qui a attaché la vertu au plaisir; mais de celle qui ne connaît point d'autre bien que ce qui est honnête , qui ne peut être corrompue par les faveurs des hommes, non plus que par les présen ts de la fortune, et de qui le prix et la grandeur consistent à ne pouvoir être surprise de ces choses que l'on appelle précieuses et grandes. Pour moi, je ne saurais croire que la philosophie fût en ce Non abiiuiit , inquam , se, ut Posijonio videtur, ab istis artibiis sapiens, sed ad illas omnino non venir. Mbil enim dignuin invenlu judicasset, quod non erat dignum perpeluo usujudicalurus ; ponenda nocsumeret. — « Ani- ebarsis, inquil, invenil rotam figuli, ciijus circuitu vasa formantur. « Deinde, quia apud Ilomernm invenitur figuli rota, mavuU videri versus falsos esse, quam fabii- lani. Ego nec Anacharsin auctorem hujus rei fuisse con- tendo; et, si fuit, sapiens quidera hoc irivenit, sed non lanquam sapiens; sicut mulla sapienles faciunt, qua ho- niinessunt, non qua sapientcs. Puta velocissimum esse sapientem : cursu oninesanteibit , qua vélos est , non qua sapiens. Cuperem Posidouio aliquem vitriariuin osten- dere, qui spiritu Titrnm in habitus plurimos format , qui ■vixdiligentimanu effingerentur. Ha>c inventa suut, post- quain sapientem invenire desivimus. — « Democritus , in- quit, invenisse dicitur fornicem, ut lapiduni curvatura paulatini inclinatorum medio saxo alligaretur. » — Hoc dicam falsum esse. Necesse est enim , anie Dcmocrilum et pontes et portas fuisse , quarum fere suumia curvnntnr. Excidit porro vobis, euradem Democritnm invenisse, lueaiadmodura ebur mollirctur, quemadmodnm decoctus calculus in smaragdum convertcretur, qua hodieque coc- tnra invenli lapides in hoc utiles colorantur. Ista sapiens licet invenerit, non , qua sapiens erat, invenit : multa enim facit, quae ab imprudenlissimis aut apque Heri vidi- mus , aut perilius , autexercilatins. Quid sapiens investigaverit.qmdin hicem protraxerit, quœris? Primum rerum natiirani ; quam non , ut captera animalia, oculissecntusest, tardis addivina. Deinde vita; legem ; quam ad universa direxit : nec nosse tantum , sed sequi Deosdocuit, et accidentia non aliter excipere, quam imperata. Vetuit parère opinionibas falsis, et, quanti quidque esset, vcra a>slima'.ione perpendit : daninavit miitas pœnitentiae vobiptates , et bona semper placi- tura laudavit; et palam fecit, felicissimum esse, oui feli- citate non opus est; potentissimum esse, qui se habetin potestate. ÎSon de ea philosophia loquor, quas civem extra patriam posuit, extra mundum Dcos, qua; virtutem do- navit Toluptati; sed de illa , quœ nullum iKinum putat, nisi quod honeslum est ; quse nec honiinis , nec forlnna; muneribus deleuiri polest ; cn.ius hoc pretium est , non posse pretio capi. Hanc philosopliiam fuisse illo rudi sseculo , qjio adliuf ÉPITRES A LIGILILS. 743 siècle grossier où les métiers étaient encore cachés, et où l'on ne s'apercevait de l'ulijité des choses ijuc par l'usage qu'on en faisait ; ni qu'en cet âge fortuné où les présents de la nature étaient exposés ù tout le monde , avant que Favarice et le luxe eussent rompu la société des honmics pour les faire courir au pillage, il se rencontrât des hommes sages, quoiqu'ils fissent ce que font les sages. On ne saurait mettre la condition des hommes dans un ctat plus avantageux qu'elle n'était alors. Kt, <|uand Dieu nous perincttrait de réformer le monde cl de donner des lois "a toutes les nations, nous n'en donnerions point d'autres que celles qui s'obser- vaient en ce temps-Pa, où l'on n'avait pas encore labouré la terre. Un homme était tenu pour injuste et méchant, SU plantait une borne ou ditisaitun champ. Les biens étaient communs, et la terre féconde Donnait tout à foison dans l'enfance da monde. Ktait-il rien de plus heureux que ces honimes- la? Ils jouissaient en commun des biens de la na- ture, qui leur servait de mère, et dont la protection suffisait pour assurer la possession des richesses publiques. Ne puis-je pas dire qu'ils étaient p;ir- faitement riches, puisqu'il ne s'y trouvait pas un seul pauvre? Mais l'avarice vint troubler ce bel ordre, et voulant séquestrer et s'approprier quel- que chose, elle mit tout en la puissance d'aulrui; M bien que, d'une vaste étendue étant réduite à un petit coin de terre, et avant tout perdu pour en avoir désiré beaucoup, elle introduisit la pau- vreté dans le monde, où elle était inconnue au- paravant. Quoi que nous fassions aujourd'hui pour réparer cette perle; que nous joignions une pièce de terre a une autre, soit par achat ou par usur- pation sur notre voisin ; que nous donnions "a no- tre domaine l'étendue d'une province entière, et que nous appelions une métairie le chemin de plu- sieurs journées que nous faisons sur nos terres , , nous ne reviendrons jamaisenlétatoù nous étions. Nous avims beaucoup, au lieu que nous avions tout. La terre même était plus fertile quand elle n'était point labourée, et se montrait libérale en- vers les peuples qui ne lui ravissaient jamais rien par injustice. Sila nature produisait quel(|ue chose en sec'iet, on était aussi aise de le montrer (juc de l'avoir trouvé. Jamais l'un n'avait trop, ni l'autre trop peu , parce que tout se partageait comme en- tre frères. Le plus fort n'avait point encore mis la main sur le plus faible ; l'avare n'avait point caché ce qui pouvait servir aux nécessiteux. On avait au- tant de soin d'auti ni que scondenduquo(l sibi jacerel, alium nrcessariis quo(|ue eicluserat : par erat allerius , ac sui , cura. Arma ccssabant , iucrucnla^que buniano sanguine manusodium omne in feras verteranl. Illi , quos aliquod nenius densum a sole proteierat, <|ui adieisussœvitiam hiriuis aut imbris vili receptaculo tuli su!) fronde vive- bant, placidas transigebant sine suspirio uocles. Sollici- liido nos in nostra purpura versât et acerrimis eicilat sli- mulis : at quam mulieni sorauum illis diua tellus d;ibat J Non impcndebant cœlata laquearia , sed in aperto jacenlos sidéra superlabebauliu' et insigne spcctaculutn noctium j 746 avaient en vue , a toute heure , ces grands palais , et prenaient plaisir à voir des astres tomber sous l'iiorizon , et d'autres y remonter et se lever de dessus la terre. N'était-il pas plus avantageux de contempler toutes ces merveilles en pleine campa- gne que d'clre renfermé comme nous sommes dans nos malsons peintes et dorées où nous trem- blons et sommes prêts a nous enfuir au moindre bruit que fait le plancher ou le bois de quelque ta- bleau? Ils n'avaient pas de maisons spacieuses comme des villes , mais l'air y passait librement. Ils prenaient l'ombre sous les arbres et sous les ro- chers, et se bâtissaient, de leurs propres mains, des cabanes auprès des fontaines qui coulaient sans artifice au milieu des prés toujours beaux et verts. Celaient là des logis tels que la nature les de- mande, où ils pouvaient demeurer sans crainte, exempts des inquiétudes que nos maisons nous donnent aujourd'hui. Mais, bien que leur vie fût innocente, on ne peut pas dire qu'ils fussent sages, parce que ce nom est affecté au plus grand de tous lesemplois qui soient dans le monde. Ce n'est pas que je ne croie que c'étaient de grandes âmes, car elles sortaient fraîchement de la main des dieux ; étant certain que le monde, en sa jeunesse, produisait les choses meilleures qu'elles n'ont été depuis. Mais , quoi- qu'ils eussent la nature la plus forte et la mieux disposée au travail, leurs esprits pourtant n'étaient pas encore affinés comme ils le sont aujourd'hui ; car, a proprement parler, la veitu n'est point en- tièrement un don de nature : il faut de l'art pour salaire homme de bien. Ces bonnes gens n'allaient SÉNÈQUE. point chercher l'or et l'argent, ni les pierres pré- cieuses au fond de la terre, et, bien loin de faire mourir un homme de sang-froid pour le seul plai- sir de la vue, ils pardonnaient même aux ani- maux. Leurs habits n'étaient point bigarrés de diverses couleurs, et l'or n'entrait point dans les ouvrages , car il n'était pas encore sorti des mines. , Qu'étaient-ils donc? Us étaient innocents par l'i- gnorance du mal. Or, ce sont choses bien diffé- rentes de ne vouloir point ou de ne savoir point mal faire; ils n'avaient pas le fonds de la justice, de la prudence , de la tempérance et de la force ; mais leur vie austère et grossière avait quelque chose en l'extérieurqni ressemblait'aces vertus-là. Il ne faut pas s'imaginer que la vertu loge dans une âme si elle n'est instruite, et disposée à la perfection par un exercice continuel. Nous sommes nés sans elle, et cependant nous sommes venus pour elle, et le meilleur naturel du monde n'a point de vertu s'il ne la reçoit par l'instruction d'autrui. EPITRE XCI. Il déplore rincer.die de la ville de Lyon. — soumettre à la loi du monde. Qu'il faut se Libéralis, notre bon ami, est fort triste de la nouvelle qu'il a reçue de l'incendie de la ville de Lyon. Cet accident est capable de toucher une personne qui serait indifférente , a plus forte rai- son un homme qui aime bien son pays. Cela l'o- blige d'avoir recours à la constance dont il s'était muni contre les disgrâces qu'il avait jugé lui pou- niundus in prajceps agebatur, silentio tantum opus du- c«is. Tiim interdiu illis, quam noctti , patcbant prospec- tus Imjus pulcherrimae dotnus; libebat intiieii signa, ci média cœli parte vergcnlia , rursus ex occulte alia sur- getitia. Quidiiijuvarel vagari inler tam laie sparsa iiiira- cula ? Al vos ad omncm tcctorum pavetis sonuni , et , in- trr pirtiirasveslras si quid increpuit , fugitis attnnili. ÎSon li;il>ehanl. doiiids instar urliiuni. Spiritus, ac lit)er inter apcrta pcrflatus , et levis unibra rupis aut arboris, et per- luridi fontes, riïique non opère, ncc fistula , nec uljo coaclo iiinerc obsolefacli , scd sponte cnrrentes , et prata sine arle forniosa ; inter bii'C agreste domiciliiim rustica positnin manu. Ila'c erat secundum naturam domus; in qna libebat babitare, nec ipsam, nec pro ipsa, tinien- teni : nuuc magna pars nosiri melus tccla sunt. Sed , quamvis egregia illis Yita fuerit et carens fraude, mm fucre sapientes, quando hoc jam Iêi opère maiinio uonien est. Non tamen negaverim fuisse alii spiritus vi- res, et, ut ita dicam, a diis récentes : neque enim du- bium est (juin meliora mundus nonduni efla'tus ediderit. Quemadmodum autem omnibus indoles fortior fuit, et ad labores paratior, ita non erant ingénia omnibus cou- sumraaia. Non enim dat natura virtutem ; ars est bo- num Geri. Illi quidem non aurum , nec argentum , née perlucidos lapides inima terrarum faccequaerebant, par- cebantque adtiuceliam rautis animalibus : tantum aberat, ut bomo bomineni,non iratus , non timens , tantum spec- taturus, occideret. ISondum vestis illis erat picta, non- dum teiebatur aurum ; adhuc ncc eruebatur. Quid ergo? ignoranlia rerum innocentes erant : multum autem inte- rest, utruni peccare aliquis nolit, an nesciat. Deerat illis justitia, deerat prudenlia, deerat temperantia ac forli- tudo. Omnibus bis virtulibus habebat similia quapdam rudis ^ita : virtus non contingit anime, nisi institutoar edocto, et ad summum assidua exercitatione perducta Ad hoc quidem , sed sine hoc , nascimur : et in optimis quoque, antequam crudias , virtutismateria, non virtiu est. Vale. EPISTOLA XCI. DE INCEMDIO LIJGDl'M : INDE, DE HOETE COCFTITIOIIES. Libéralis noster nunc tristis est , nuntiato incendie , quo Lugduncnsis colonia exusta est. Movere hic caso» quendibet posset, nedum bominem palria; sua? ainantis- simum. Quas res effecit ut Ormitatcm animi sui qua?rali; quam vidcUcet ad ea, qunr timeri posse pufabat , eiter- ÉPITRES A LUCILIUS, 747 voir arriver. Mais je ne m'étonne pas qu'il n'ait point prévu un malheur si inopiné, puisqu'il est sans exemple. Car on a bien vu des villes gâtées par le feu, mais non pas entièrement détruites et perdues. Dans celles même que l'ennemi veut brûler, le feu n'est jamais si bien allumé qu'il ne s'éteigne en quelques endroits, et supposé qu'on le rallume, il ne fait point un dégât si universel qu'il ne laisse rien au fer à détruire. Les tremble- ments de terre ne sont pas pour l'ordinaire si vio- lents, qu'ils renversent une ville tout entière; et l'on n'a jamais vu de si grand incendie qu'il ne laissât de la matière pour un autre. Une seule nuit a mis par terre une infmité de palais capables d'embellir autant de villes ; et au milieu de la paix on a vu arriver ce qu'on n'aurait pas ap- préiiendé dans les plus grands désordres de la guerre. Le croira-l-oi)? Pendant la paix, et la Iranquillilc régnant par loule la terre, cm de- mande qu'est devenue Lyon , celle ville que l'on montrait comme l'honneur des Gaules. Dans les malheurs publics, la rortunc donne ordinairement le loisir de craindre ce qui doit arriver; et les grandes choses ne périssent guère qu'avec quel- que espace de temps; mais cet embrasement a fait voir que ce qui était le soir une grande ville , le lendemain n'était plus rien ; car elle s'est perdue en moins de temps que je n'en mets à vous le conter. Tout cela abat le courage de notre Liberalis , qui, d'ailleurs, est assez ferme et résolu ; mais il le faut excuser. Ce qu'on n'attendait point est plus difOcile à supporter; car la surprise rend les af- flictions plus pesantes, et l'on peut dire que le sentiment de la plupart des hommes se mesure à leur étonnemenl ; c'est pourquoi nous devons tous prévoir et considérer, non tout ce qui arrive d'or- dinaire , mais généralement tout ce qui jjcut ar- river. Qu'y a-t-il que la fortune ne puisse ôterau plus puissant, quand il lui plail? Y a-l-il rien de' si éclatant qu'elle ne puisse elfacer? Quelle chose lui est impossible? Elle ne vient pas toujours par un même chemin : tantôt elle nous combat par nos propres mains; tantôt, se contentant de ses forces, clic nous suscite des disgrâces dont nous ne voyons point l'auleur; elle se sert de toutes les occasions et fait naître nos douleurs de nos plaisirs mêmes. La guerre nous vient trouver au milieu de la paix, et le secours que nous avions appelé pour noire sûreté devient le sujet de notre déflance. Ainsi d'un ami on se fait un ennemi, d'un com- pagnon un adversaire. Les beaux jours de l'clé nous produisent des orages qui sont plus à craindre que tous les frimas de l'hiver. Xos biens nous sont enlevés sans qu'aucune personne y touche, et quand il n'y aurait point d'autre sujet, l'excès de notre félicilé devicut la cause de notre ruine. Lo plus sobre lombe malade, le plus robuste devient étique. Lo plus innocent est condanmé, et le plus solitaire emporté par nue sédition. La fortune choisit quelquefois des moyens tout nouveaux pour faire sentir son pouvoir h ceux qui l'avaient ou- blié. Elle jette par terre en un seul jour des ou- vrages que le travail des hommes, joint a la faveur du ciel , n'avaient pu élever que par la succession de plusieurs années. Les malheurs viennent en mil. Hoc Tero tam inopinatnm ma'atn , ol pa-ne ioaudi- liiiii, non miror si sine inetu fuit, quum essetsine cxem- |)lo : multas enim civiiatcs incendium vciavit, nullam ab.stulit. Nam eliani ulii hosliii manu in lecla ipnis im- niissus est, mullis locis dcfecit; cl, quamvis siibinJe ex- citetur, rarolamen sic ciincta depascitur, ut iiihil ferro relinquat. Terrarum quoque vii unqiiam lam gravis et peniiciosns fuit moins , ut Iota oppida c»crteret. Nun- qnam deniquc lam infestum ulli exarsit incendium , ut niliil alteri superesset iocendio. Tôt pulclierrima opéra, quae singula illustrare nrbes singulas possent, una nox «lravlt;et in tanta pace, quantum ne bello quidcm li- meri potest , accidit. Quis hos credat? uliique armis quiescenlibus, quum tolo orbe lerrarum diffusa securi- tas sit, Lugdunum, quod ostendebatur in Gallia , qua-ri- »ur ! Omnibus fortuna, qnos publiée afdixil, quod passuri erant timere pcrmisit; nulla res magna non aliquod lia- buit rninae tua: spatium : in bac, una nox iiilerfuit in- ter urbem maximam et nullam. Deniquc diulius illani tibi périsse, quam periit, narro. Haec omnia Liberalis iiostri alfectum inclinant , dum adversug sua firninm et «rectum. Necsin* causa concussusest : incxspcclata plus aggravant; novitas adjicit calamitatibus pondus : iior qaisquam mortalium non magis, quod etiammiratus est, doluiL Idco nihil nobis improvisimi esse débet. In omnia pra;- tnittendus est aniinus , cogitandumque , non quidquid so- Icl, scd quidquid potest fieri. Quid enim est, quod non fortuna, quurn Toluit, ex florentissiino detrahal? Quod non eo magis aggrediatur et qualiul, que spcciosius fui- gel? Qnid illi arduum, quidve diflicile est? Non una via scmpcr, ne tola quidein , incurrit. Modo noslias in nos manus advocat; modo, suis contenta virihus, invenit pericula sine auctorc. ÎNullum tempus cxccptum est, iu ipsis Toluptatibus causas doloris oriunlur. Bcllum in mé- dia pace consurgit , et auxilia securitatis iu nictum lran.s- eunt; ex amico inimicus, hoslis ex socio. In suliilas tempcsiates, hibeini.sqae majores, agilur œsliva trau- quillitas. Sine bosie paliniur hnstilia; et cbidis causas , si alla deficlunt, nimia sibi félicitas invenit. Invndit lem- perautissimos morbus, validi.vsimos plitbisis, iunoccnlissi- mos pœna, secrctissimos tumultus. Kllgit aliquid novi casus, per quod velut oblitis vires suas ingérai. Quidquid longa séries multis laborlbus, mulla Deum iudulgentia stnuit, id unus dics sp.irgit ac dissipât. Longam moram dédit malis properanlibus, qui dieni dixil ; honi, momen- "48 sÉNf: poste, et celui qui a dit qu'il ne faut qu'un jour, une heure ou un moment pour renverser le plus grand empire du monde , a donné encore trop de temps. Ce serait quelque consolation pour notre faiblesse, si les choses pouvaient être aussi promp- tement rétablies qu'elles sont détruites. Mais au contraire leur accroissement est lent, et leur ruine est précipitée. Il n'est rien de public ni même de particulier qui demeure toujours en état; les villes ont leur destinée aussi bien que les hommes. La frayeur nous vient saisir au milieu de la tranquil- lité, et le mal, sans nous avoir menacés, nous sur- prend quelquefois du côté que nous craignons le moins. On voit des royaumes, que les guerres intes- tines et étrangères n'avaient pu ruiner, se perdre d'eux-mêmes. Combien compterez-vous d0|Villes qui aient été longtemps heureuses? Il faut donc penser que tout peut arriver, et se résoudre 'a tout souffrir : exils, supplices, maladies, naufrages. Re- présentez-vous qu'un malheur peut vous ôter vo- tre pa:rie, ou vous ôler h voire patrie, peut vous reléguer en quelque pays déscrl, et faire une soli- tude du lieu même où l'on était étouffé par la presse. Mettez-vous devant les yeux la condition des hommes, et considérez , non les événements ordinaires, mais ceux qui sont les plus fâcheux , afin do ne les pas trouver étranges quand ils se présenteront , et de n'en être pas surpris ni acca- l)lé. Il faut envisager la fortune revêtue de toute sa puissance. Combien de f(}is a-t-ou vu des vilics, dans l'Asie et dans l'Acliaïe , renvcriées par un seul tremblement de terre? Combien en Syrie, eu Macédoine et en Chypre? Enfin, combien de fois QUE l'île de Paplios s'est-elle abîmée dans elle-même? Il nous vient des avis de villes entièrement per- dues, et nous qui les recevons, quelle partie pen- sons-nous faire de tout l'univers? Tenons donc ferme contre ces accidents, car souvent il arrive que le bruit est plus grand que le mal. Voila celle ville brûlée, qui était si riche, et qui était l'ornement de toute la province, quoiqu'elle n'occupât qu'une médiocre montagne. Le temps effacera aussi toutes celles qui sont aujourd'hui si fameuses et si magniGques. Ne voyez vous pas que les fondements des pi us grandes cités d'Achaîe sont entièrement ruinés et qu'il n'est pas resté le moin- dre vesfige qui marque qu'elles aient autrefois été? Ce n'est pas seulement aux ouvrages des hom- mes que le temps en veut; il abaisse même le som- met des montagnes, et abîme sous terre des ré- gions tout entières. Il y a des lieux couverts d'eau qui étaient autrefois bien éloignés de la mer. Le feu a détruit des coteaux sur lesquels on le voyait reluire; il a abaissé jusqu'au sable du rivage des hauteurs et des élévations qui réjouissaient les passagers. Puisque les ouvrages de la nature sont ainsi maltraités, nous ne devons pas nous plaindre de la ruine des villes. Rien n'est debout que pour tomber un jour. Toutes choses doivent prendre On , soit que des veuts souterrains viennent à faire crever les lieux qui les tenaient enfermes, soit que des torrenis impétueux cntiaîneut tout ce qui s'opposait "a leur cours ; soit que la violence dos flammes s'ouvre un passage en rompant les liai- sous de la terre ; soit que le temps , à qui rien ne résiste, les mine insensiblement , ou que l'iutem- Inmque tempoiis, cvertendis iniperiis sufrcceie. Esset sliquod iiiibecillitatis nostras solatiuni rcrimique nostra- rimi, si liim tarde périrent cuncta, quaiii liuiit; nunc in- creiiiinla lente cxeunt, f'cslinatur lu dauinuni. Mliil pii- vatiin , niliil pul)!ice stabile est ; tara lioniinum , quam url):u;n , fata volvuiitur. Inlcr placidissima terrer cxsi- blit; niliilqiic extra tunmlluanlibus causis, mala , undc minime cxspeclaljantur, ciunipunt. Qna' doincsticis bcl- ris steterant rogna , qua; externis , inipellcute nulle ruunt. VuotaquiwiLie felicilatcni civitas pcrlulil? Ciigilanda , naufragia nicdilarcl Potest te patria', potesl patriam lilii casus eiipcrc; polcst le in solitudi- neni abjieeie, polest lioc ipsum, in (pio lurba suffocatur, licii solilndo. Tota anle oculos .sorlis bninan;e condiiio pnnaliw; ner, quaninni fréquenter evenit, sed quiutum plu! iinuin polest eveniic , prasuniannis anime , si nolu- uins opprimi , nec ullis inusitalis vclut novis obstupefieri. In pleniini cogilanda forUina est. Qnolies Asiie , quoties Acliaiœ nil)es uno tieniore eeciderunt? Quot (ippida in Sjria? (|not in Macedonia dcvorala sunt y Cypium quo- ties ya>ta\it bWQ clades? quoties in se l'aplius torruil? Fréquenter nobis nuntiati sunt totarum urbiuui interitus, et nos, inter quos fréquenter ista nuntiantur, quoia pars omnium sumus ? Consurgamus itaque adversus fortuila : et, quidquid incident, sciaraus non esse tam magnum, quam runiore jacletur. Civitas arsit opuleuta, ornameo- tunique provinciarum , quibus et inserla erat, et excepta; nui timtura iuiposita, et huic non altissinio, luonti. Om- nium istarum civitatuni , quas nunc niagniticasac nobiles audis, vestigia quoque tenipns eradel. Non vides quera- adniudum in Acliai.i clarissiniarum urbliun jani fun- daiuenta consumpta sint , nec quidquam , exslet ei quu appareatillas saltcm fuisse? ISon tantuiu manu facta la- buiitur : non tantum huiuana arle atque industria posita vci-lit dies : juga niontium diflluunt ; tola> desedere re- giones. operta sunt llnclibus, quae procul a conspectu maris stabant; vastaiit ignis coiles per quos reluctbat , erosit et quondam allissimos vertices . solat'a uavigan- tium ; ac spéculas ad humile dcduxit. Ipsius naturx opéra vesantur; et ideo a-quo animo ferre dehcmus ur- biuni cicidia. Casura cxsiant; omnes hic i ïitus manct : sive interna vis, flatusque pra'clusi violenlia , pondus, snb quo tcnenlur, excusserint ; sive torrentium in al)di(i> vaslior obslantia effregcril ; sive flaiimarum \iolcn'i3. EPITRES A I.UCILUS. 749 pcrie de l'air coulraigiie des peuples à quiller leurs demeures qui se coDSumeut ensuite et pé- rissent par la pourriture. Je n)e rendrais en- nuyeux , si je voulais raconter toutes les routes que tiennent les destinées. Une cLose, sais je bien, c'est que les ouvrages des mortels ne sont point immortels et que tout ce que nous voyons doit pé- rir un jour. Voilà de quoi je console notre ami Liberalis , qui, sans mentir, est merveilleusement entêté de Tamourde sa patrie. Possible est-elle tombée pour se relever quelque jour plus belle que jamais. Une disgrâce assez souvent est la cause d'une grande fortune. Nous avons vu périr des clioses qu'on a depuis rélablies avec avanlage. 'l'jma;;ène, cet ennemi de la prospérilé de Rome, disait qu'il élsiit facile des incendies qui y arrivaient, parce qu'il savait bien que l'on construirait quelque jour do plus beaux cdiCces que ceux qui avaient été brûlré. Je m'assure aussi qu'en cette ville-Ta clia- cun s'ciforcera de rebâtir des maisons plus spa- cieuses et plus solides que celles perdues. Dieu . veuille que ce .«oit pour longtemps et sons une destinée plus favoral)le; car il n'y a sance do notre condition , et disposons- nous'a la patience, sachant qu il n'y a rien que la fortune n'ose entreprendre. Elle n'a pas moins de pouvoir sur les empires que sur les empereur^. ni sur les villes que sur les liabilanls. 11 ne s'en faut point tourmenter, ce sont les lois de ce inonde dans lequel nous avons "a vivre. Vous plaît-il? de- meurez-y. Ne vous ]ilait-il pas? sortez-en par oii vous voudrez.Vouspourriez-vousfâcbers'il yavait quelque ordonnance particulière contre vous. Mais^ si c'est une nécessité générale qui oblige tous les grands et les petits, ré.ilé de souffrir n'admet point de privilège; l'un n'y est |>as jibis sujet que l'autre , ni plus as- suré deceipi'il deviendra le lendemain. Le pauvre Alexandre de .Macédoine commençait h ap|irendre la gi'oniéu ic ()ui devait lui (aire connaître com- bien la lerre était |)etiie, lionl pourtant il n'avait occupé qu'une peiile portion. Je l'appelle pauvre parce qu'il sut bientôt aprrs que c'était h faux qu'on lui avait donné le surnom de Grand. Car qui le peut êirc dans un si petit espace? Ce qu'on lui montrait était subtil et demandait plus d'ap- plication que l'on n'en pouvait attendre d'un fu- rieux qui envoyait toutes ses pensées au-del'a des mers. Il dit "a son maître : « l'nseignez-nioi des compagiiiom soli ruporit; ^ive veliistas, aqiianiliit liilmn est, cxpiiunaverit ininulatim ; sive gravila.s arli cjicdit populos, et sitiis ct.scrta Ciiniiperil. Eniiniiraie omnos (alnriini ^in.s, lon(;um est. Hoc unum siio : oniiiia iiior- taliuni opcra nmrtalitate daniiiata f-uiit; intcr [iciitura Tiviinus. IItc erpo ntque ejnstrodi «nlalia "i.tinovro f.il'.erali nns- Iro, incrcdiliti ((iiodain jatiiie sii.i'.ninorpllagrauti; qua; rortnsse consiimpla est, ut in meliiis exti iirclur. Su'pe 0iajml fortuiia- locniii fccit injiir a : limita ceciilcruiit , iit altius sur:;i rciit , et in niajiis. Tiiiiagenes , friititaj L'r- bis liiiniinis , nielial , Roni.T sil)i iniciiHia ob tioc unum diilori rssc , c;u()iliil lioruiii indiciianiitini c4 : in onni iidravinms niniidum, in quo liis tcgil)us vi\:tiir. riiicclV paroi non plact't? (|niu'uniqnc vis, ovi ! Indigiiaic, si quid in le iniqni propric constilutnin (.>t; si'l t\ lin-c suninios iinos- que nécessitas .illigat , i.i R ati in cuin fato reveitere , a quo oninia resolviinlnr. IS'im est qnod nos tnmnlis me- tiaris, et liis nionunicntis, (\u,v viani disparia prœtexunt : a"quat omnes rinis : iinpnrcs nnscmiir, pares iiiorimnr. Idem do nrl):l)us , qnod de urbinm incolis dico : tani .Ar- doa capla. quam Itonia est. Condilor illo juris hnmani non nalalibus nos, nocnoniinnni ciarilatc, iiistinxit, nisi duin snnius. Tjhi y< ro ad fincin mortaliuin vcnlnni est : • Disccdo, inipiit, ambilio! onininni qna; terram pro- nnint, sirinips lox cslo. • Adoiinia paliind.T paros sn- mns : m ino altoro fragilior est , nonio in craslinnm su! ccrlior. A!c\ander Macedonnni rox disrere Bionielriani cœporat; infelix! scitnrns qnain pnsilla terra cssit , o\ qua minimum occnpavcral : ita dico, infclis , ob lioe, quoi intolljgere dcl)obat falsnin se gcrere cofinonicn . qnis cnim esse magnes in pnsillo polest? Erant illa qn.x- tradelianlur, snbtilia , et diliponli intonlione discenda ; non qua; pcrcipcro posset vosanus lionio, et li'aiis ocea- nimi cogitationcs suas n:illcns. Toi) choses qui soient plus aisées. » A quoi l'autre ré- pondit : « Je ne les saurais rendre plus aisées pour vous que pour un autre. » Imaginez-vous que la nature vous dit: «Les choses dont vous vous plai- gnez sont égales pour tout le monde, je ne saurais les rendre plus faciles, mais vous pouvez les adou- cir si vous voulez. » Comment? Par la patience. Il faut que vous souffriez la douleur, la faim , la soif, la vieillesse; et, si vous restez plus long- temps sur terre, vous ne pouvez éviter d'être ma- lade, de perdre beaucoup de choses, et de perdre enfin la vie. Mais vous ne devez pas écouter ce qu'on viendra souffler a vos oreilles ; car, dans tous les maux que je viens de dire, il n'y a rien qui soit mauvais, dur ou insupportable, et l'on ne craint que parce qu'on s'accorde au sentiment des autres. Vous appréhendez de mourir, de la ma- nière que vous appréhendez qu'on ne parle mal de vous. Mais n'est-ce pas être fou que d'appré- hender des paroles. Démctrius disait , à ce propos, qu'il faisait aussi peu d'état de ce qui .sortait de la bouche des ignorants que de ce qui sortait de leur ventre. « Que m'importe, disait il, qu'ils fassent du bruit par une partie ou par une autre? Quelle folie de craindre d'êlre diffamé par des infâmes ! » Comme vous n'avez pas raison de crain- dre des paroles, vous n'en avez pas aussi de crain- dre d'autres choses que vous ne craindriez pas si Toplnion commune ne vous y engageait. Si un (aux bruit ne peut faire préjudice à un honnête homme, il ne doit pas aussi mettre la mort en mauvaise estime auprès de vous. Il y a longtemps qu'on lui veut du mal; mais pas un de tous ceux qui l'ac- cusent ne l'a encore éprouvée; et l'on peut dire SÈNÈQUE. que c'est témérité de condamner ce qu'on ne con- naît pas. Cependant, vous savez qu'elle est utile a bien des gens , qu'elle lire les uns des douleurs et de la disette, et qu'elle exempte les autres des soucis et des supplices. Car nous ne sommes sous le pouvoir de personne, tandis que la mortesl en notre pouvoir. EPITRE XCII. Que la félicité de l'Iionime consiste dans la ra'son, quand celle-ci est parfaite. — Que le souverain bonheur est in- capable d'accroissement et de déchet. Je crois qu'il demeure pour constant, entre nous , que l'on ne recherche les biens extérieurs (juc pour la commodité du corps, et que l'on ne prend soin du corps que pour la considération de l'âme; que l'âme a des parties inférieures qui ser- vent au mouvement et à la nourriture, et qu'elle coulitnt en soi le raisonnable et l'irraisonoable; celui-ci dépendant de l'autre , auquel tout se rap- porte comme à son principe qui ne relève point (railleurs. La raison divinect éternelleest au-des- sus de toutes choses , et n'est sujette à quoi que ce soit. La nôtre doit avoir le même avantage, puis- qu'elle eu lire son origine. Si nous sommes d'ac- cord de cela, il faut que nous convenions aussi que notre félicité consiste en ce point de posséder une raison qui soit parfaite. C'est elle seule qui soutient le courage, qui tient bon contre la for- tune, et qui maintient celui qui la conserve, eu quelque état que se trouvent ses affaires. Il n'est point do bien que celui qui ne peut diminuer, ni d'homme heureux que celui qui ne descend ja- mais et qui se tient debout sur la tête des autres , « Facilia , inquit , me doce ! » — Cul pra?ceptor : « Ista , inquit, oninibus eadem sunt, aque dilficilia. » — Hoc puta rtrum naturani dicere : « Ista , de quiiius quereris, omnibus eadem sunt; nuUi daii faciliora pos- sunt ; seci, quisquis volet, sibi ipsi illa reddet faciliora. » Quomodo? *quanimitate. Et doleas oportet, et sitias, et esurias , et senescas , si tibi longior contigerit intcr ho- mines niora, ctœgrotes, et perdas aliquid, et pereas. Non est tameu quod istis, qui tecircumstrepunt, credas; nihil boruru nralum est, niliil intolerabilc, autdurum. Ex consens!! istis mctus est : sic mortem times, qnoniodo famam. Quid autcm stullius honiine verba mituiute? Eleganter Demetiius noster solet dicere, « eodeni loco sibi esse voccs iniperitorum , quo ventre relditos crepi- tus. Quid enim, inquit, nica rcfert, sursuin isti andcor- £um sonent? » — Quanta denientia est, vereri ne infa- mcris al> infaniibiis? Queniadnioduni faniam extirauislis sine causa, sic et illa, qua; nunquani limeretis, nisi fania jussissct. Num quid delrimenti faceret vir bonus iniquIsriMiioribussparsus? Ne morti quidem hoc apud nos noceat : et hase malam auditionem liabet. jN'emo eo- rura, qui illam accusant, evpertus est .intérim lemeritas est, damnarc quod nescias. At illud scis, qoam niultts utiiis sit, quam multos liberet tormentis, egestate, que- relis, suppliciis, tasdio. Non sumus in allias potestate, quum mors in nostra potcstate sit. Vale. EPISTOLA XCII. IN EPICllRi:OS I^VEBITCB : SIBIL VOLCPTATEM iD BElTITCDI.1Ea CONFLBRE. Pnto , ictf r me tcque conveniet , eiterna corpori ac- quiri, corpus in bouorem anini coii; in animo e$se par- tis minislras, per quas moveniur aliinurque, propter ipsuni principale nobis datas, lu lioc priucipali est aliquid irrationalc, est et rationalr. illud huic servit ; hoc unum est, quod alio non reft'rtur, std o.T.nia ad se pcrfert. Nam illa quoque uivina ratio omnibus prœpcsita est, ipsa sub uullo est; et lia-c autein nostra eadem est, quas ex illa est. Si de hoc inter nos convenit, sequitur ut de illo quoque conveniat, in hoc uno positam esse beatam vitam, ut in nobis ratio perfecta sit. Ha>c enim scia noo subniitlit aiiimuni; stat coulra fortunam; in quoIil>et rerum habitu securos serval. Id autem unum bonaro est, quod nunquam dcfringitnr. Is est, inqnam. l)rata^ ÉPITRES A LUCILIUS. 7M sans aude appui que ses forces; car, lorsqu'on est soutenu par autrui, on peut facilemeut tomber. Si nous avons d'autres pensées , nous commence- rons h donner notre eslirae à toutes les choses qui sont élrangères; mais qui voudrait s'assurer sur la fortune, et se priser de ce qui n'est pas soi? Qu'est-ce que la vie heureuse? C'est une as^ette assurée el une tranquillité perpétuelle. Nous l'ob- tiendrons par la magnanimité cl par la constance qui n'abandonne point les sentiniens qu'elle a pris une fuis. Mais comment ac.iuérir ces vertus? En connaissant nettement la vérité, en gardant l'or- dre et la bienséance en toutes sortes d'actions que l'on fera avec un esprit de douceur et d'équilé qui ne considérera que la raison , et qui fera naître partout l'amour aussi bien que l'admiration. Et, pour vous le dire en peu de paroles, l'âme du sage doit être telle que celle qui conviendrait à un dieu. Que peut souhaiter un homme qui possède tout ce qui est honnête; car si ce qui n'est point honnête peut contribuer pour quelque chose 'a sa félicité, il est vrai de dire qu'il fait particde la fé- licité même, puis(iu'cllc ne serait pas sans lui. Or y a-t-il rien de plus houleux que de faire consister le bonheur de l'àme raisonnable en des choses qui n'ont point de raison? Il y en a pourtant qui tien- nent que le souverain bien peut croître comme n'étant pas entier et accompli lorsque la fortune lui est contraire. Autipater, l'un des principaux auteurs de cette opinion , dit que les biens extérieurs doivent être de quelque considération , mais fort légère. Voyez si un homme serait raisonnable de faire allumer la chandelle, n'étant pas content de la lumière du soleil. Et de quoi peut servir une étincelle auprès d'une grande clarté ? Si vous n'êtes pas content de ce qui est honnête, vous voudrez infailliblement y joindre la tranquillité que les Grecs appellent «.■>yir,z\a:' OU la volupté. La première de ces deux ^ choses s'y rencontre en quelque façon; car l'esprit, étant exempt de chagrin, regarde librement l'uni- vers, et rien ne le peut délourner de la contem- plation de la nature. Pour l'autre, c'est u» bien infâme et brutal , et ce serait joindre l'irraisonna- ble au raisonnable , et le déshonneur à l'honnô- leté. Est-ce que le chatouillement du corps peut hausser le mérite de !a vie? Direz-vous que l'es- prit est content , pourvu que l'appétit le soit? Meltrez-vous au rang , je ne dis pas des grands personnages, mais seulement des hommes ordi- naires, des gens qui établissent leur félicité dans les ra^'oûts, dans la musique et dans les parfnms? Il faut les effacer du nombre de ces illustres ani- maux , qui tiennent le second rang après les dieux, et mettre parmi les brutes ces bêtes qui ne sont nées que pour la pâture. La partie irraisonnnblc de l'âme se divise en deux autres. La première est courageuse . ambi- tieuse , violente et pleine de passions héroïques ; l'autre est basse , languissante et attachée aux vo- luptés. On a délaissé celte emportée, qui toutefois est meilleure el plus digne d'un homme do cœur, et l'on a cru que l'autie, toute lâche et ram- pante qu'elle est, était pius nécessaire à la vie heureuse. On lui a même assujelli la raison, et par ce moyen on a rendu la félicité du plus noble qacm nulla res minorem facit; tonct samnia, et ne ulli quidem, nisi sibi, est ianiius : nani qui aliquo auiiiio sustiaetur, potest cadere. bi aliter est, incipient iiiultum in noliis ?alcre non nostra. Quis autem ïultconstarefoi- tuna,autquis se prudens ob aliéna miratur? Quid est twata Tila? securitas et perpétua tranquillilas. Ilanc da- bit animi magnitude; dabit constantia bene judicati te- na\. Ad ha-c quoiitodo pervenitur? si vciilas tota per- spccta (st; si servatns est ia rébus agcndis ordo, modus, dccor, innoiia Toluntas ac beni|;na , intenta ralioni, nec anquam ab illa reccdens, aiiiabilis siinul , mirabilisque. Deuique, ut brefitertibi foroiulam scribam , talis anioius esse sapicntis viri (lct)et, qualis Deum deceat. Quid po- lestdesiderareis, cni oninia honesta contingunt? Nam si possuDt aliquid non honesta conferre ad optimum sla- tuiii , in bis erit beata vita sine qaibus non est. Kt quid stultius, turpiusTC quain bonum rationalis animi ex irra- tionalihus ncctere ! Quidam tamen augeri .summum iMnum judlcant. quia parum plénum sit, fortuitis repugnanlibus. Antipater qunqne , intrr magnos secta* hujus auctores , a aliquid se trihucre diiit eiternls, sed eiiguum ndniodum. > Vides autcia quale sit, die non esse cootentum , nlsl aliqnis igniculus alluierit? Qiiod polcst in hac claritate soliï habere scintilla niomentuni ? Si non es sola lionestate contentus, necesse est aut quleteni adjici vclis, quara ioxJnTiotv vocant (Ira-ci, aut volnptatem. Ilorum alte- rum utcumquc recipi potcst ; ^acat enini aniiiius mo- Icstia , lilx r ad in>pectuui universi , nihilquc illum avocat acontemplalione nalura; : ailuium illud, voluplas, bo- nuni pccoris est. Adjiciniiis ratinuali iriatlonale , lionesto inhonetuni. Maïuani voliiplalcru facit litlllaliocorioris: quid crgo dubllatis iliccrc , lienc esse honiini , si palalo bene est? Et bunc tu, non dico inter vires nunicras, sed inter bomincs, cujns siniiiiuni honuni sapor ihis , et coloribns, et sonis constat? Exoeilat ex hoc animalium numéro pulchorrimn , ac Uiis secundo; nuilis afjgrege- tiir, animal palinio Ixtum ! Irratioualis pars iinlrni duas haliet partes : alteraui animosaiii, aiiibltiosam, iinpoten- tem, positam in affeclioniljus ; altcrain buniikin, langui- dam, vo'uptatibus dcdilam. li;aui clfrcnalani, meliorem tamcn , certc fortiorcm ac dignioreni viro, rcliqiierunt; banc Doccssariam beata; vila" pulaverunt, innervem et abjcctam. Huic rationcm scrvirc jusserunt, et fecernnt animalis generosissinii bonum, demissum et ignobile; praeterea mixtuni, portentosumqae, et exdiversisacmalo 752 SENE des animaux vile et déshonuéte. On en a fait en- suite un corps monstrueux, a qui l'on a donné les membres de divers animaux , et comme dit notre Virgile, parlant de Scylle : Son \isage est de femme , et jusqu'à la ceinture Elle en a la beauté et toute ia ligure. Le reste, plein d'écaillé, est d'un monstre marin : Elle a ventre de loup et finit en dauphin. "Vous voyez que l'on a joint à cette Scylle des animaux sauvages , horribles , prompts et légers ; mais de quels monstres n'a-t-on point composé le sage? La principale partie de riionnne est la vertu, à qui l'on a joint une chair inutile et fragile, qui ne sert , comme dit Posidonins , qu'à recevoir les viandes. Celle vertu toute divine se termine en lubricité; car on a attaché un animal lâche et paresseux îi ses parties supérieures qui sont véné- rables et célestes. Ce repos, a la vérité, dont l'âme jouissait auparavant, ne lui apportait rieu ; mais il éloignait tous les empêchements qui lapouvaient embarrasser. La volupté, au contraire, amollit d'elle-même, et abat toutes les forces. Où peut- on trouver lin assemblage de corps si différents'? On joint le lâche au généreux , le ridicule au sé- rieux, et le dissolu a ce qu'il y a de plus saint. Quoi! direz-vous , si la sanlé , le repos et l'indo- lence ne peuvent pas nuire a la vertu-, ne les dé- sirez-vous pas? — Pourquoi non ? Je les désirerai non comme des biens, mais comme des choses qui sont selon la nature , et que je prends pour ce qu'elles valent. Quel bien d.)nc se irouvcra-t-il en tout cela? Celui d'avoir choisi à propos; car quand QUE. je prends un habit selon ma condition , quand je marche et quand je mange comme je le dois, l'ha- bit, le marcher et le manger ne sont pas des biens, mais l'intention que j'ai de garder la bienséance en toute occasion est un véritable bien. Je disdavanta- ge : on doit désirer un habit honnête, car l'homme de sa nature est un animal net et poli. Ainsi le bien ne consiste pas dans l'habit, mais dans lechois de l'habit, parce que c'est l'action qui est honnftc, et non la matière. Ce que j'ai dit de l'habit, croyez que je le dis du corps, dont la nature a envclo[)pé l'âme comme dune robe : e bien qui en résullera viendra de mon choix, et non des choses que j'aurai choisies. Ils avouent que le sage est heureux; mais ils prétendent qu'il ne peut parvenir au souverain bien s'il n'est assisté des commodités naturelles. Ainsi l'honime vertueux ne peut être misérable; mais il ne peut être parfaitement heureux , s'il est destitué des biens de la nature, comme de la santé et de la force du corps. Vous accordez ce qui pa- raît le moins croyable , qu'un homme ne soit pas malheureux , et même qu'il soit heureux dans les grandes et continuelles douleurs , et vous niez ce qui a plus d'apparence, qu'il soit parfaitement heureux. Car si la vertu a le pouvoir d'empêcher qu'un homme ne soit misérable, elle aura bien celui de le rendre parfaiiomeut heureux, puisqu'il congrucntibus membris. Nani, ut ait Virgilius nostcr, in Scjila, Prima liominis faciès ; et pulcliro pectore virgo Pnlje t'inis; postrenia imm:uii corpore pistrix, Delpliiiiuni candas utoro c.inniissa luporuin. Iluic tanicn Scyllae fera animalia jinicta sunt, liorrcnda, lelocia: at isti sapientiam ex qiiibiisuain toniposucre portL-ntis? « Prima lioniiuis pars est ipsa virtus : huic comniittitur inutilis caio, et tluiua , et receptandis tan- tum cilùs habilis , » ut ait Posiilouius. Virtus ilia diiina in lubricum dcsinit, it supcrioribcis pariibus \cnerandis atque cœlcstibus animal iuers ac niarcidum attesitur. llla, utciiuiqu,' alta.quies nihil qnidem ipsa prœ.stabat •animo, sed impedimenta reniovcbat; \o!uptas uUro dis- sol» it, et onme rnbureiiioilit. Qiue invenirtur tam dis- cors inter se jimclnra cflriiorum ? Fortissima; rei iuertis- .sima adstruitur; seicrissiuia; parum séria; sanctissima; intemperaus nsque ad incesla. Quid ergo, inquit, si virtutem nihil impeditura sit bona valetudo, et quies, et dolorum vacatio; non petes illas? — Quidni pclam ! non quia bona suht, sed quia secundum naluram sunt, et quia bono a mejudiciosu- mcntur. Qiio i ciit tune in illis bonum'? boc unum , bene eligi. ÎS'am qimm vesteai , qualem decct, sumo, quum ambulo ut oportct , quuni co"no qucmadmodujn deheo , non cœna , aut ambnlatio, ant veslis l)oaa sunt; sed ineuni iu bis propositum , scrvantis in quaque re rati.ini convcnieutem moduni. Etiani nunc adjiciam : launila; vestis electio appetcnda est bomini ; natira onim homo munduni et elegans animal est. Il.".q;!e uoaestl;ouum per se niunJa vestis, sed niunda; vestis tlectio; quia non in re Imiium est , sod in cleciioue , qua actiones nostrie honestas SLint, non ipsa quseaguntur. Quod de veste diïi, idem me dicere de corpoi e eiistijna. Nani hoc quoque natura, ut quamdam vcsteni, aninio circumdcdit; vela- menlum ejus «st. Q;iis auteni unquam icsîimenta aesli- maiit arcula? ISccbonjra, nec nialimi va.sii/a gladium lecit. Ergo de corpore quoque idesn tibi respondco ; suni- pturum quideni nie, si detur eîcctio, et sanitatem et vi- res ; bonum autein luturiim judicium de illis nieum , non ipsa. » Est quidem, iuqiiit, sapiens beatus: summum tanieo illud bonum non consequitur, nisi illi et naturalia in- strumenta respondeaut. Ita miser quidem esse , quiiir- tutem balK't, non potest : beatissinms a:itera non isf, qui naturalibus bonis destituitur, ut valetui.'ine, ut niembro- rumintegritatc. » — Quoi iucredibiiius vidctisr, id con- cedis, aliquem in masimis et continuis doloribus non esse miseruH!, esse etiani btatum : quod levius est, ncpas, bpatissimum esse. Atqui, si potest virtus citiceie. ne mi- ÉPITKES A LUCILIIS. y a moins d'inlervalle entre l'heureux et le très- heureux , qu'entre le misérable et l'heureux. Quoi? ce qui aura tiré un homme de la misère pour le mettre au nombre des heureux, ne |iourra- t-il pas ajouter ce qui lui manque pour être trcs-heureux? Perdra-l-il sa force ioisqu'il n'aura plus qu'un pas a faire? 11 y a dans la vie des cora- moilili's et des incommodités ; elles sont les unes et les autres hors de nous, puisqu'un homme de bien n'est piiint misérable, quoiqu'il soit accablé de toutes sortes d'incoramiidilés; pourquoi donc ne «era-t-il pas très-heureux, encore qu'il soit privé de quel(|ues commodités? Comme le poids des incoiiimodités ne le réduit point à la condition des misérables, de même le manque de quebiues coinniDiliti's ne le fera fioint déclieoir d'un bon- heur entier et parfait : il se trouvera aussi parfai- tement heureux, sans aucunes commodités, qu'il ne sera point misérable au milieu de toutes ces in- coraïuoiijtés. Son bien ne pourrail-il pas lui être ôté, s'il pouvait être diminué? Je disais aupara- vant qu'une chandelle ne pouvait augmenter la clarté du soleil; car sa splendeur offusque toute autre lumière. Mais ils répondent : Il y a des choses qui font obstacle au soleil. Sa force et sa lumière demeu- rent pourtant tout entières ; et quoiqu'il y ait un corps interposé qui nous empêche de le voir, il ne laisse pas de travailler et de continuer sa course. Quand il luit au travers d'un nua^e , il n'a pas moins de lumière ni de vitesse qu'au temps le plus serein ; car ce sont choses bien différentes de s'opposer, et d'empêcher en effet. C'est de la sorte que ce qui s'oppose à la vertu ne lui fait point de préjudice. \'.\\e n'en est pas moins claire, encore <|u'elle brille moins. Nnus ne la voyons pas peut- être dans toute son étendue, ni dans son éclat or- dinaire; toutefois elle demeure la n'.ême en soi, et comme un soleil obscurci, elle exerce en secret l'activité de sa puissance. Nous connaissons par la que les afflictions, les perles et les disgrâces ne font pas plus d'impression sur la vertu , que les nuages n'en font sur le soleil. Si quelqu'un dit que le sage, dont le corps n'est [)as bien sain, n'est heureux ni misérable , il se trompe , en mettant au même rang les vertus et les choses fortuites, et donnant pareil avantage "a ce qui est honnête et 'a ce qui ne l'est pas. Y a-t-il rien de plus indigne et do plus honteux que de mettre en comparaison les choses qui méritent de la vénération avec celles dont on ne fuit point d'éiat? La foi , la justice , la piété , la (orce et la priiiletice sont des vei tus que l'on doit révérer. Au contraire, la force du corps et des br.is , la bonté des dents sont des avantages fort pou considérables , et qui se rencontrent plus complets d:ins les personnes de moindre condition. Ue plus, si le sage, de qui le corps est malsain, n'est ni heureux ni misérable , et qu'on le laisse dans un état mitoyen , on ne doit ni fuir m dési- rer la vie dont il jouit. Mais quelle absurdité de dire que la vie du sage ne soit point à désirei ? Et qui pourra ci — At solis vis et lux intégra est, ctiimi inler op- Oltta; et, quanitis aliquid interjacet, quoJ i.os pro il)cat jot atpectu, in opère est, cursn siio f^rtiir. Qiioties in- TBubita liiiit, non est screno niinor, ne tar, ior qui- ejl; quoniaiD nmltuin inlerest, utrum aliqtiid obst- 1 lafinn, an impedial. Eodcm modo virtuti oppo&ita niliil dctrahunt. Non est minor, sed niinus fulRCt : noliis for- sitan non a?qiie appant ac nittt; sili e;idi m est, et, more solis obscuri, in occulto >ini sii:wn exi rcpt. Hoc ilaque ailtersiis >irtntem possiint ciilaniitutes , et damna, et in- juriie, quo I adversiis soleni (:(ite>t nebula. Invinitnr qni dicat, sapientern coipore parnni pro- spère usiini, ncc niisenini esse , née l)ealurii. Hic qiio ;ue fallitur : exa'quat enim foitiita \irliilibu$, et tantiini- dem tribuit honestis, quantum bonestate careiitibus. Quid auttai Trcdius, quid indignii^s, quam coniparare Teneranda contemplis? Vcncrau la enim sunt, justifia, pietas, li-es, torlitudo, prudentia : e contraiio ïilia sunt, qua; sape coutinauut pl;niora \ilissiiijis, crus so- liduin , et lacertus , et dentés , et tiorum sanitus (irniilas- que. Deinde si sapicus, oui corpus motestum est, nec miser liabel)itur, nie lieatus, .^cd niedio relinqnctur; ^ita quoque ejus née appetenda eiit, ncc fugienda. Quid auteui taui absurdum, q'iam .«apicntis vitani appeteudam nou esse? aut quid tani extra li'Icm, quam esse aliquam vita:n nec appeti'udani, ncc lupicndani? Deinde, si d.imna corporis miseruni non faciunt, 1) atiim esse patiunlur. »Nani quibiis polcntia non est iu iiejoiem tiausPeicndi 48 754 SÉNÈQIE. répondent : Nous savons qu'il y a dn chaud et du froid, et que le licde est eiilro deux : de niûiiie l'un est heureux, Taulre misérable, et un autre ne sera ni heureux ni misérable. Je veux ruiner cette comparaison (ju'on nous objecte. Si , dans ce qui est tiède , je viens a mettre pli^s de froid, il deviendra froid; si je veux y verser plus de chaud, enfin il deviendra chaud. Mais à l'égard de cet homme qui n'est ni heureux ni misérable, on a beau ajouter des misères, il ne sera pas misérable, comme vous en demeurez d'accord : parlant, celle comparaison ne vaut rien . Enfin , je vous présente un homme qui n'est ni heureux ni malheureux : je veux qu'il devienne aveugle, il n'est point mi- sérable; qu'il devienne malade, il n'est point misérable ; qu'il soit tourmenté de douleurs fortes et continuelles, il n'est point misérable. Puisque tant de maux n'ont pu donc le jeter dans la mi- sère, ils ne pourront pas le (irer hors de la féli- cité. Si le sage, étant heureux, ne peut devenir misérable , comme vous l'avouez , il ne peut pas u'êlre point heureux. Pourquoi voulez vous qu'un homme qui a commencé h choir s'arrête en quel- que endroit? Ce qui l'cmpêclio de rouler en bas , le retient en haut. Quoi? le cours d'une vie heu- reuse ne peut-il pas être interrompu? Il ne peut pas même être retenu ni altéié; ce qui fait que la vertu suffit d'ellomême pour rendre la vie com- plète. Quoi? dira-t-on, le sage qui a vécu long- temps sans être persécuté par les douleurs n'est- il pas plus heureux qu'un autre qui s'est vu sou- ventes fois aux prises avec la mauvaise fortune? Répondez-moi, en csl-il de meilleur et de plus slatuin , ne interpcilandi quidera optimum. — « Frigi- duni, inqiiit, aliquid, et calidiim noviniiis; inter iitrum- qiie tcpidiini est : sic aliqtiis beatiis est, a'kjuis miser; aliquis ncc miser, ucc lieatiis.» — Volo li;inc contra nos IK)silani imapiiiein escntcre. Si tepido illi plus fri^idi ing''sscro, fict frigidiim; si plus caliii alTudcro, liet no- Aissiiiie caliJum At huic, nec misero ncc beato, qunn- tunicamquc ad mi crias adjccero, miser non erit, qn, ra- admodum dicilis; eipo iningo ista dissimilis est. Deindc trado liliihoniincm nec niiserum ncc lieatum : tuùc ad- jicio ca;cilatem, non fit miser; adjicio dtbilitit- m, non fit miser; adjicio dolores continuos et graves, miser non fit. Qucni tam midta mala in mijcram vilam non trans- fcrunt, ne ex bcata quidem cducmit. Si non polest, nt dicitis , sapiens es bcalo in miscrum drcidcre, non po- test in non hcatum. Quare enim, qui illa cœpit, alicubi subsistât? QiK-cri s illum non patitur ad imuni deiolvi, retinet in sumnio. Qui lui non possit beata vila rcsciudi? Ne re ; iiti qui lem potcst : et ideo \iitus ad illaiii per se ipsa salis est. — « Quid er^co? iuquit, sapi ns non est Iwalior, qui riiuUns vixit, quem nulhis avocavit doior, qnam ille, qui cum niala fortuna st-mpcr luclalus est? « ~ Kesponde inihi : Kumquid et mclior est, ethonestior? vertueux? S'il ne l'est pas, il n'est pas aussi plus heureux. Il faudrait que sa vie fût plus sainte pour être plus heureuse; mais si elle ne peut être plus sainte, elle ne saurait aussi être plus heureuse. La vertu r.e reçoit point d'accroissement, ni par conséquent la vie heureuse qui procède de la ver- tu. Celte vertu est un si grand bien, qu'elle ne considère point ces petits accidents de la brièveté de la vie, de la douleur et des incommodités du corps; car, pour la volupté, elle ne m cri le pas seulement (jii'elle la regarde. Quel est le principal avantage de la verlu ? C'est de n'avoir pas le soin de l'avenir, et de ne pas compter ses jours. L'usage de ces biens élernels qui l'accompagnent se trouve complet en quelque espace de temps que ce soit. Cela semble incroyable et au-dessus de la nature, parce que nous mesurons sa puissance a notre faiblesse, et que nous donnons a nos défauts le nom des vertus. N'est-il pas aussi peu croyable qu'un homme s'écrie , dans le plus fort des tourments : Je suis heureux ! Cette parole pourtant s'est fait entendre dans l'école même de la >olupté. Voici le dernier et le plus heureux jour de ma vie, disait Epicure , tourmenté qu'il était d'une rétention d'urine, et d'un ulcère incurable qu'il avait dans les intes- tins. Pourquoi les amateurs de la vertu ne croi- ront-ils pas des choses dont les sectateurs de la volupté fournissent des exemples? Ces gens , quoi- que délicats et sans cœur, tiennent que le sage, au milieu des afflictions et des douleurs, n'est ni misérable ni heureux, ce qui est incroyable et a moins de vraisemblance. Car si la vertu est une Si hîpc non sunt, ne l)eatior quidem est. Rectius ^irat oportet, ut healius vivat : si rcclius non potesl, ne lieatias quidem. Non iutenditur virtus; crgo ne beata quidem vita, qua; ex virtute est. Virtus cniiii tantum l)onum est, ut islas acccssioues nd:mtas non seniial, brevitatem œvi, et dolorem, et eorpoiis varias offeusiones. Nam voluptas non est digna, ad quam respiciat. Quid est in virtute pra'cipuum ? fnturo non indigerc , nec dies sucs compu- tare : in qnautulo libel temporc bona atcrna consummat. Incredibilia nobis bœc vidcutur, et supra humanam naturam i xcurr. ntia : niajestatcm cuini ejus ex nostra imbccilli ate meliniur, et vitiis uostris nomen virtutis imponimus. Quid porni, non œq^ic incredibile Tidetur, aliqucm in summis cruciatibus positum , dicere : Beatns sum? Atqui lixc vox in ipsa officina voluptatis audita est. Beatissinmm, iqnit, liunc et ultimum diem ago, Epicurus, quuin illiim hinc urinae dificultas torqueret, tiinc insauabilis csulcirati dolor vcntris. Quare ergo io- crediliilia i>ta sint apud eos, qui virtutem CAlunt ; quotn apud eos qiioquc reperiantur, apud qiios volnptas impe- ravit? Hi q'Oqr.e dégénères, et humitlimœ mentis, aiunt in summis doloribus, in summis calamitatibus, sapientem nec miserum futurum, nec l>eatum. Atqai hoc quoqus ÉPITRES A LUCILIUS. 75.1 fois jetée hors de son Irôiie, pourquoi ne lombe- ra-t-elle pas jusqu'à terre? Elle doit rendre un homme heureux , ou si elle est frustrée de son in- teutioD, elle n'empêchera point qu'il ne devienne misérable. Tant ([u'ellc garde st: l:a'c in illis consi:mni.-ila ist, in nobis constimnialiilis. Sed ad desperalionCMi nos\itia no- stra perducunt. Nam itic aller seciindiis est ut aliquis parum constans ad castodienda oplima, cuius jcidiciiirn labat ctiamnunc, et incertum est. Desideiat «iculoriini at- que aiirium seusuni, bonam Taletudineni, et non fœdiini a.spectuni corporls, et bal)ilu manentem ,suo, ictatis pia;- terea longius spatium; per banc potest non pœnitenda a^itare? Imperfeclo Tiro huic malitia; vis qua-dani inest : quia animum babet mobilem, ad prava iilum apil ha>rcns malitia, et ea agitata abest de bono. Non est adhuc t>o- nus, sed in bonum flngitnr; cuicunique autcm deestali- quid ad twnani, malus est : Seil , si oui virtu» anininsque in corpore prxsens , bic Deos a-quat ; illo tendit, originis «ua; memor. Nemo iniprobe co conatnr ascendere , unde descenderat. Quid est auteni, cnr non esistimes in co divini aliquid exi- stere, qui Dei pars est? Totiini hoc, quocxmliueinnr, et ununi est, et Deus ; etsocii snnnis ejiis, et menibra. Ca- p;ix est nosti-r aninius; perforlur ilto, si vitia non dé- primant. Quciiiadniodnni curporuni nostrorum liabitus erigitnr, et specl:it in ca'liitn : iia aninms, cui, in quan- tum vult, lice! porrigi, in boc a nîi.ura rcruni forniatus est, ut paria IJiis velit , et sic uUilur suis viribus, ac se in spatium suum extendjt. Non aliéna \ij ad sunima ni- tilur; ni;:(»nns erat talmr. ire in cœlura : redit! in boc iler natns est. Vadit i udncter , contcniptor onuiium ; ncc ad pcconiani rcspicit : aurnm argi iiiuniquo , iliis, in qui- bus jacuere, tcncbris difinissinia . non ab bnc œsliinat splendore, quo impiriKirumverlK innt oculos, sed a ve- terecœno, ex quo itlasicrcTit cnniditasnoslra et effodit. Scit, inquam, aliubi posiias essedivitias, quani qiiocon- I geruntur; anirnuni imploii dibere, non arcani. Ilunc imponere doniiniu rci uni omnium 1 cet, hnnc in posses- siouem rcrura natura; inducerc, nt sua orienlis occiden tisqne terniinis (inial, Dcoruinqne ritu cuncla posside.it; qnuni opibus suis divitcs supernc dcspicial , quorum nenio, tam suo la-tus est , qnani Iristis alieno. Qnuni se iu banc 4b. 7o6 SÉNÉ lousie pour ceuï qu'ils voient entre les maiusd'au- trui. Quand elle est dans un état si élevé, elle con- : sidère son corps comme une charge nécessaire, et | lui donne des soins, non par son amour, n'a\ant : garde de se soumettre "a celui qu'elle doit gouverner, i Quiestsujetàson corps n'est jamais libre; car, sans | parler des autres maîtres que l'on s'altire en le servant, son empire de soi est bizarre et impor- | tun. Tantôt elle le quitte librement, tantôt elle en ! sort avec courage , ne se mettant guère en peine de ce qu'il deviendra après. Comme nous ne fai- : sons point de compte des poils qu'on nous a cou- pés, ainsi, cette âme toute divine, voulant sortir du corps , ne se soucie pas où on le mette , qu'il soit couvert de terre , qu'il soit consumé par le feu , qu'il soit jeté k la voirie, que les bêtes le dé- vorent, ou que les oiseaux le déchirent, Ou qu'on donne ce corps en proie aux cbiens de mer. Elle ne s'en soucie pas davantage, que fait un enfant des peaux qu'il apporte en venant au inonde. Est-il "a croire que n'ayant point appré- hendé la violence durant la vie , elle la puisse ap- préhender après la mort? Elle dit : Je ne crains point les dents des crochets, ni que mon corps soit ignominieusement traîné et déchiré; tout cela ne paraîtra horrible qu'à ceux qui le ver- ront. Pour moi , je u'exige de personne les der- niers devoirs , ni que l'on prenne soin de mes fu- nérailles. La nature a pourvu que personne ne demeurât sans sépulture. Le temps ensevelit ceux que la cruauté jette au milieu des champs. Mécé- nas dit élégamment : QUI.. Sans &uuci du lonibtau Je sais que la nature Aui corps abandonnés donne la sépulture. Imaginez-vous que c'est un soldat qui a dit ce beau mol; car il avait l'âme grande et vigoureuse, s'il ne l'eût amollie par les délices de la cour. EPITRE XCIII. Qu'on a toujours assez vécu quand on a acquis la sagesse. Je n'ai pas trouvé assez de justice dans la lettre que vous m'avez écrite , touchant la mort de Mé- trouacte le philosophe , où vous vous plaignez de ce qu'il n'a pas vécu le temps qu'il pouvait et qu'il devait vivre. Vous en avez de reste dans toutes les actions et les affaires que vous faites , et vous en manquez comme les autres en cette occasion. On en trouve assez qui sont équitables envers les hommes, mais peu qui le soient envers les dieux. Nous déclamons tous les jours contre le des- tin. Pourquoi celui-ci a-t-il été moissonné dans sa fleur ? Pourquoi celui-l'a ne meurt- il pas? Pourquoi la vieillesse, qui lui est 'a charge, et 'a tous ceux qui le voient, dure-t-ellcbi louglemps? Dites-moi , je vous prie , lequel estimez-vous plus raisonnable, ou que vous obéiv^iez à la nature, ou que la nature vous obéisse. Que vous importe de partir un peu plus tôt d'un lieu oii vous devez partir un jour. Le soin que nous devons avoir n'est pas de vivre longuement , mais de vivre assez ; car, l'un dépend du destin, et l'autre de notre conduite. La vie est toujours longue quand elle est complète. Or, elle est complète quand l'ànie sublimitatem tulit, corporis quoque , velut oneris neces- sarii , non aniator, scd procuralor est; nec se illi , cui inipositus est, sul)jicit. ISenio liber est, qui corpori ser- vil. Nam , ut alios dominos , quos niniia pro illo sollici- tudo iuvenit , tiauseas , ipsius morosum imperiuiii delicn- tumque est. Ab hoc, modo a;(iuo animo exit , modo magno prosibl ; nec, quis deindeieliquiis ejus futurus sit exilus, quœrit. Sd, ut ex barba capillos detonsos negliginius, ita ille dlvinus aninius egrcssurus homiueni , quo rccep- taculnni suum eonferatur, ignis lllud cxurat, an terra con'egat, an fera; distrabant, non magis ad se judlcat peitiuere, quam secundas ad edituni iorautem. Utruni projectum avcs différant, an tonsumatur . canibus data prxda inarinis , quid ad illum ? Qui tnnc qiioque , qmmi intcr bomines est, niillas minas tiniel; ullasne tiniiliit post mortem minas «orum , quihus usque ad morlem tiiiieri parnm isl? Non cnuleiret, inqnit, me nec uncus, nec projccti ad coiitu- ineîiiio) cadavciis laccralio, fœda visuris. Keniimm de supreni) offuio rogo; nulli reliquias mcas comnieudo : ne qui» insepnlliis cfsct, rcrum nalnra prospexit. Qucni iœntia projetcrit, dies con;ict. Diserte Macciias ail : Nec tumulum euro : sepelit natiira relictos 1 Alte cincUim putes dixisse : baliuit enim ingenium et grande et virile, ni,vi illud secum discinxissel. Vale. EPiSTOLA xcni. VlTiM BON EX SPiTIO, SED EX ACTE BETIENDÂM. In epistola , qua de morte iletronactis philosophi qne- rebaris , lanquam et potuisset diutius vivere , et debuis- set , aequitalein tuam dcsideravi ; qua; tibi tu omni per- «ona , in omni neeotio suuerest . in una re deest, in qoa oiiiiiilHis. iMiillo» iiiveni aequos .-pdversus honiincs ; aiiver- sus Ueos ncniinem. Objiirganms quotidie faiium : Quare ilie lu meilio cursu raplus est? Qiiaie ille non rapilur? Qiiare seiieitiitem et sibi et aliis gravem exiendil ?Utrum, obsecio le, a-qnins jiidiras, te nalurae, an tibi parère na- in:,un? Qc'.ii! aiileni iiiloH'st, qiiam ciloexeas, unde uti- que exemidum csl ? Non ut diu vivamus , curandum esl, scd ut salis. Nam , ut diu vivas, fato opus es! ; ut silis, animo. Longa est \iU, si plena est : iniplelur cutem, quuni aninius sibi bonum suum reddidit, et ad se \wtei- tatem sui trcustu'.it. Quid illum ocloginta anni juvaat per ÉPITRES A LUCILIUS. 757 t'eil acquis le bien auquel elle était destinée , et s'est rendue maîtresse de sa conduite. De quoi ser- vent a cet homme les quatre-vingts ans qu'il a passes dans la fainéantise? Il n'a pas vécu cctcmps- Ih , il est demeuré seulement en vie ; il n'est pas raort tard, il est mort seulement longuement. Il a vécu quatre-vingis ans; mais il faut voir de quel jour vous comptez le temps de sa mort. Au con- traire, celui-ci est mort tout jeune; mais il a rempli tous les devoirs de hon citoyen, de bon lilsetde bon ami ; Il s'est acquittéde toutes obligations. Quoique son âge ne soit pas avancé , sa vie est achevée. Le premier a vécu qualre-viugts ans; dites plutôt, il a duré quatre-vingts ans ; si ce n'est que vous di- siezqu'il a vécu comme on dit que les arbres vivent. Faisons en sorte, mon cherLucile, que notre vie soit comme les choses précieuses, qui ont plus de poids que d'étendue; mesurons-la par nos ac- tions, et non par le temps. Voulez-vous savoir en quoi diffère cet homme vigoureux qui est monté au souverain bien , après avoir éprouvé toutes les disgrâces de la condition humaine; de cet autre, qui s'est chargé de quantité d'années? L'un vit après sa mort , et l'autre est mort avant qu'il >' mourût. Uonorons donc et croyons heureux celui qui a bien employé le peu de teuq>s qui lui a été donné; car il a recoimu et suivi la lumière de la vérité. Il s'est distingué de la populace, il a té- moigné sa force et sa vigueur durant sa vie. Quel- quefois il a eu de beaux jours; quelquefois aussi il a vu éclater parmi le trouble les inq)rtSaions d'une mauvaise étoile. Pourquoi voulez-vous sa- voir combien il a vécu ? Il a assez vécu pour pas- ser justju'a la postérité, et pour rendre sa mé- moire considérable. Ce n'est pas que je voulusse refuser une longue vie , quoique je tienne qu'elle ne serait pas moins heureuse quand elle serait plus courte. Car je ne compte pas sur le dernier jour que l'amour de la vie me peut promettre , sa- chant qu'il n'y en a pas un qui ne puisse être lo dernier. Pourquoi me demandez-vous si je suis encore jeune, et combien d'années je [)uis avoir? Il n'importe pas, j'ai les miennes. Comme un homme peut être bien fait dans une taille médio- cre , la vie se peut aussi trouver pleine et enlièru dans une médiocre durée. L'âge doit être mis ai} rang des choses étrangères. 11 ne dépend pas de moi de vivre longtemps, mais il est en mon pou- voir d'ôlre homme de bien autant de temps que je vivrai. Deuiandcz-niiii seulementqueje !iepa>s€ pas mes jours dans l'obscurité, et que j'occupe ma vie sans la laisser écouler iimtilemeiit. Voulez-vous savoir quelle est la plus longue étendue de la vie? C'est de vivre jus(|uà ce qu'on ait acquis la sagesse. Qui a fait cette conquête peut dire qu'il a bien fourni sa carrière, quoi|u'elle n'ait pas été des pins longues. Qu'il se glorilie har- diment. Qu'il remercie les dieux , et qu'il se sache gré , aussi bien qu'à la nature , d'avoir été dans le monde; il le peut avec raison; car il a rendu sa vie meilleure qu'il ne l'avait reçue, il a donné la modèle d'un homme de bien, il en a fait voir la digiiiié et la grandeur. Si on eût prolongé le terme de sa vie, elle aurait été, sans doute, uniforme et semblable à la ])récédenle. Combien peu de temps vivons-nous? et cependant nous voulons avoir la connaissance de toutes choses. Nous sa- vons quels sont les cominencemenls dont la nature iaerti.im eiacti ? Non viiil iste . sed in »ita moratus est ; necsero mortumest, seddiu. Octogiula aniiis viiit! la- lerest, mortcni cjus ex qui) die numeres. -r- At illc obiit ïiridis: — Sed ofiicia boni civis, boni am:ci , boni filii , cxsecutus est; in uulla parle ccssavlt. Licel ejus a'tas im- pcrfecta sit, ïila pcrfecia osl. Octogintu annis viiltl Inio ocUig'Dia annis fuit ! nsi forle sic \iiisse tuni dicis, quo- uiodo dicDDtur arljores vivcre. Ob>ecro te, Lucili, li.ic iigamus, ut , queniadnioduni pretiosa rcruni, sic vila nos- tra n^iD palcat niultuin , sed mnltuni pendat. Actu illam nietiamur, non lempnre. Vis scire, quid iulor linnc in- tersit vegctiim cunteniptoreniquc lorliina' , funcluin om- nibus viiœ luimana' stipendiis, atquc in summum l)onura cjus eTcctuin ; et illum, oui multi anui transniissi sunt? Aller post mortem quoqueest; aller anle mortcm periit. L.audi'mus itaque, et in numéro Telicium rciwinamus eum, cui , quanmlumcunique teni[)ori» coatigit , bene colloca- tum est. Vidit enim Teram lucem, non fuit unus e mul- tis : et ïiiit, et viguit; aliquindo sereno usus est ; ali- quaodo, ut «ulct, ïalidi siderisfulgorper nubila cmicuit. Quid quxris quamdiu viieril? Viiit : ad posteros usque ÏUMilivit et w in merooriam dedil. ficc ideo milii plures annos accedere reciisaverim ; nl- liil lamen mihi iid bcnlam vitani defuissc dicam, si spa- tium ejus inciditur. ^nn rnini ad eum dieni me aplavi , queni uilimum mihi sprs avida prornserat; sed uullum nou iauquam ultimuni aspeii. Quid me in!errogas quando natus sim ? Au i ntiT jtmiores :idhuc censeai? Habeo meum. Quemiidnidduni ia minore corporis hal>itu polcst liumu esse perfcctus; sic et iu minore lemporis modo poicst vita esse pcrffcta. ^ asinterexterna est. Quamdiu sim, alic- uum est ; quamdiu vero suni, vir liiuius ut sim, mcuiii est. Hoc a nie exige, ne Yelut per Icoeliras cevuni iguo- bile cmetiar; iit agaiii vitani, non ut piutervehar. Qua-ris.quod sit amplissimura vita; spatium ? Usque ad sapientiam vivere ! Qui ad illam pcrvenit , attigit non longissiinum lînem , sed maximum. lUe veio glorielur au- dacler, et Diis agal gnitias; iulerque eus sihi et rerum naturas imputet, quod fuit. Merito enim imputabit : me- liorem illi viliun reddidit, quam accepit. Exemplar boni Tiri posuit; qualis quantusi|ue esscl, ostendit : si quid adjecisset , fuisset siniile prieierilo. Et tameu , quousquo viïimus'i' Omnium reruni cognilione fruili sumus. Sci- mus a quibus priocipalis natora se attollat ; quemadmo» r>8 SÉiNEQUE. s'élève si haut, comme elle règle le monJe, comme elle rappelle les saisons et les années, comme elle a ramasse tout te qui était épars, et s'est donnée elle même pour l'objet de sa fin. Nous savons que les astres roulent par l'impétuosité qui leur est naturelle, et que, la terre exceptée, toutes choses sont emporlécs par la rapidité d'un mouvement conlinucl. Nous savons connno la lune devance le soleil, et pourquoi, étant piusieiite, elle le laisse derrière elle, quoiqu'il soit beaucoup plus vite; comme elle reçoit et perd ensuite sa lumière, ce qui fait la nuit et ce qui ramène le jour. Mais il faut monter aux cieux, d'où Ion verra tout cela de plus près. Cette espérance, dit le sage, et la pensée que j'ai que le chemin m'est ouvert pour retourner en la compagnie des dieux, ne me fera point partir avec plus do résolution; j'ai mérité l'honneur d'y être admis; je me suis dc\j"a trouvé dans leur conversation, leur ayant souvent adresse mes pensées, et reçu celles qu'ils m'ont envoyées. Mais, quand je serais emporté de ce monde sans qu'il restât rien de moi ; quand il ne resterait rien de l'iiommc après sa mort, je n'en sortirai pas de celui-ci avec moins de résolution , quoique je ne dusse passer en aucun autre. Oui ; mais il n'a pas vécu autant d'années qu'il pouvait vivre. Ne sa- vez-voiis pas qu'il y a de petits livres qui sont néanmoins utiles et fort estimés. Vous savez que l'on ne fait point de cas des annales de Tanusius, et comnient on les appelle. Il y a des gens dont la vie est longue a peu près comme ces annales. Croyiz-vous qu'un gladiateur soit plus heureux d'êlre tué .sur la fin qu'au milieu du spectacle, et qu'il s'en puisse trouver quelqu'un si passionné de la vie, qu'il aimât mieux être égorge au liea où l'on enterre les morts, que de mourir dans le champ du combat? Nous passons les uns devant les autres avec fort peu d'intervalle. La mort n'é- pargne personne ; celui qui tue suit de bien près celui qu'il a tué. Ce n'est qu'un moment qui nous met si fort en peine. Qu'importe combien de temps nous évitions ce que nous ne pouvons absolument éviter? EPITRE XCIV. Si l>>s instructioDS générales de la pliilosopbie valent mieux que des préceptes particuliers pour la conduite de la vie. — De la force des sentences et de la Décès- site des lois. Il y en a qui, de toute la philosophie, n'esti- ment que cette partie qui traite des devoirs de chacun en particulier, sans instruire l'homme en général; qui prescrit au mari comment il doit se comporter envers sa femme ; au père, comment il doit élever ses enfants; au maître, comment il doit traiter ses serviteurs. Ils négligent les autres parties, les croyant fort inutiles; comme si l'ott pouvait régler la vie en détail sans l'avoir aupara- vant connue en gros. Arislon , le stoïcien , est d'un autre avis; car il dit que cette partie-là est légère et superflcielle, parce qu'elle ne va point jusqu'au cœur; mais que celle qui n'est point chargée de préceptes est de grande utilité; les maximes de la philosophie étant les règles infaillibles du sou.ve- rain bien, lesquelles il suffit de savoir pour se prescrire ce que l'on doit faire en toute rencontre, coiniue celui qui apprend à tirer de l'arc vise dum ordiut't niun;!um ; per quiis vices aiinuin revocel ; qiiemadinoduiii omna, i\ux uscpiaiu ciTiit, clau.serit, et 5ti|)saiii tiiicni sui fecirit. Scinius, sidéra inipetu sue va- dere; pra'ler Icriain iiiliil starc, cii'tera coutinua Tcloci- tale decurrcre. Sciiims , (lueiiiadiiiodum solem luna pra;- tcrcat; (juare tardior velocioreni post se rtlinquai; qiio- modo lunicu accip'at , aut perdat; quœ causa inducat nocteni, qiia' rtducat diciii. Illuc cunduin esl, ubi ista propius aspicias. — ISec liac spe , inquit sapiens , illo for- tiuscxco, qund palere niilii ad doos mecs iter judico. Weriii quidcm admilii, cl jani inter illos fui; animum- quc illo nicuni misi, et ad me illi suuni miseiant. Sed tolli nie de medio puta, et post morteni niliil cî lioniine rebtare; a'que inagnuni aniniuni habco, etiain si uus- quam transituri.s excedo. — ÎNon (am nuiUis viiit annis , quani potuit! — Et paucorum vcrsuum liber est, et qui- deni laudandus, a'.que uliiis. Annales Tauusii sois quam ponderosi sint, et quid Tocentur. Hoc est vita quorum- dam longa , quod Tanusii sequitur Annales. Numquid fe- licioreui jidicas eum, qui suramo die rauneris, quara eum, qui medin occidiîur? îsumquid aliquem tam stulle C'.£':diun esse vitae putas, ut jugulari io spoliario. quam in arena malil ? Non majore spatio aller alterum pra»ce- dimiis. 5Iors per onuies il : qui occidil , consequitur occi- suiii. Minimum est, de quo sollicitissinieagilur. Quidau- leiii ad rem pertinel, quamdiu viles quod evitare non possis 'f Vale. EPISTOLA XCIV. AM LTILli SIXT SPECIALIi DE OFFICMS PB.ÏCWT» ? Eam parlem philosophia; , qua?dat propria cuique per- soua; pra?cepla , nec in universum componil bominem; sed niariio suadel , quoniodo .se gerat adversus uiorem) patri , quoniodo educet liberos ; domino, quomodo serve» regat, quidam solam recepirunl, caeleras quasi extra uti- litalem nostram vagantcs rcliquerunt ; lanquam quispos- sit de parte suadeie, uisi qui summam prius totius vilae complexus est. Sed Arislo Stoicus e contrario hanc par- lem levem eiistimal , et quae non descendat in pectus us- que. Ad illam habenlera prajcepta plurimum ail proficere ipsa décréta pbilosoptiiae constitulionemque summi lx)Di ; quam qui benc inlellexit ac didicit, quid in quaque re fa- ciendum sit, sibi ipse praecepit. Quemadmodam, quijar I EPITKES A LUCILILS. 7;^9 droit au Keu qu'il se propose , et forme sa main à bien décocher le trait; quand il a acquis cette adresse par la discipline et par l'exercice , il s'en sert après en tout autre endroit qu'il lui plaît. De même, quand on est instruit de tous les genres de \ie , 011 n'a pas besoin de préceptes particuliers pour vivre comme l'on doit avec s;i femme et avec ses enfants. Cléanthe avoue que cette parlie-Pa est ulile;mais il dit qu'elle est sans force , si elle n'en lire de sa source et si elle n'a connaissance des axiomes etdes principales vérités de la philosophie. De Ta naissent deux questions, savoir, si cette par- tie-là est utile ou inutile, et si elle sufBt, seule, pour faire un homme de bien ; c'est-"a-dire si elle est superflue ou si elle rend toutes les autres su- perflues. Ceux qui tiennent que cette partie est superflue raisonnent de cette sorte. Quand il y a quelque incommodité qui empêche la vue, il la faut ôter, autrement ce serait perdre son temps que de dire : Vous marcherez ainsi, étendant la main de ce coté-là. De mémo, quand il y a quelques ténèbres dans l'esprit, qui l'empê- chent de connaître précisément son devoir et son application , ce n'est rien faire que de dire : Vous vivrez de la sorte avec voire père et avec votre femme; car les préceptes ne serviront de rien tant que l'esprit sera offusqué de l'erreur; mais, si 6u la dissipe, alors nous verrons clairement ce que nous devous à chacun. De procéder autrement, c'est enseigner à un malade ce qu'il doit faire quand il sera guéri, et ne le pas guérir ; a un pau- vre, de faire les actions d'un riche. Et comment le pourra-t-il s'il demeure toujours pauvre? Et à un affamé, ce qu'il doit faire quand il sera rassasié. Otez-lui plutôt la faim qui le ronge jusque dans les os. Je vous dirai la même chose de tous les vi- ces , lesquels il faut exterminer avant que de don- ner des préceptes dont leur présence rend l'exé- cution toujours impossible, si vous ne chassez les fausses opinions d(mt nous sommes prévenus. L'a- vare ne comprendra jamais comment il faut user de l'argent, ni le poltron comme il faut mépriser lesdangcrs. llestpréalablede faire voirquel'argcnt n'est ni bon, ni mauvais, et que tous les riches sont misérables; que les choses que tout le monde- craint ne sont pas si fort 'a ai)préhender qu'on le dit, non plus que la douleur ni la mort; que dans la mort, qui de soi est inévitable , il y a cette con- solation qu'elle ne revient jamais; que dans la douleur on peut avoir la fermeté de l'esprit, qui sait adoucir, par la raison , ce qu'il souffre avec résolution ; que la douleur a cela de bon que, si elle est grande, elle ne dure pas, et si elle dure, elle n'est pas grande; qu'il faut supporter avec courage tout ce que la nécessité nous ordonne. Quand , |)ar ces maximes, vous avez fait connaître à un homme quelle est sa coiuiilion, et que la fé- licité consiste a vivre selon la nature et non selon la volupté; quand vous lui aurez insinué l'amour de la vertu comme le bien unique qu'il doit re- chcrclier, et la haine du vice connue le seul mal qu'il doit éviter; tout le reste, conmie richesses, honneurs , santé, force, puissance, étant choses indifférentes qu'il ne faut compter parmi les culari discit, destinatam locum captât, elmanum format ad dirigenda qua; mitlit; quum hanc vim ex disciplina et ciercitatione percepil , quocuni<]ue vull , illa utiliir ( didi- cit enim non hoc aul illud fiTlre , scd qiiodcumque voliie- rit) ; sic, qui se ad totani \it.im inslru\it , non desidcrat particulaiiin admoneri, doctus in toluni; non cnini quo- inodo cuni uiore aut cuni filio viveret, sed qu nio io bene viïeret : in lioc est et quoiiiudo cura uxore ac liberis vi- vat. Clcanlties uiilcm quideni judicat et liane parteni , «ffd iiubecill.:m, nisi ab umvcrso (luit, nisi décréta ipsa philosophia» et capila cognovit. Io duas crgo quxsliones locus isie diiiditiir : Utrum iitilis, sn inutilis fil; cl an solus virum bonuni possil cf- ficf rc ; idest, nirum supervaciius sil, an omncs facial supervacuos. Qui lisnc partem videri volunl suporva- cnam , hoc aiuot : Si quid oculis oppobilum nioralur Jciem , removendum esl : illo quideni objecte operam perdidit, qui praîcepit : ^ Sic ambulaliis, illo manuin porriges! • Eodem modo, ubialiquaresobcacataiiiinuoi, et ad officiorum dispiciendum ordinem imi^dil, nihil agit, qui prœcepit : • Sic vives ciim pâtre, sic cujn uxo- re. • Nihil enim proOcient prœcepta, quamdiu mculi er- rer offu.'ins est : si ille discutilur, apparebit quid cuique debealur officio. Alioquin doces illuoi , quid sano facien- dum sil , non cfTicis sanuni. Pauperi , ut agat divilem , monsiras; hoc quomodo manentc pauperlate fieri po- test ? Ostendis esurienti , quid tanqnani salur facial ; lixsni [K)tius niedultis f.inieui delnihe. Idem libi de omniI)us viliis dico : ipsa rcmovenda sunl; non pra'cipicuduin , quod fieri illis nianenlibus non polesl. ÎSisi opinioncs fal- sas, quibus laborariius, expuleris, nec avarus, quomodo pecunia ulendum sil, exandicl; nec liniidus , <|uoniodo pcriculosa conlenmat. liriici:is oportel, ut u$ nialitia contracta; aut, etiamsi non est falsis occupatus , ad fatsa proclivis est , et cito , specie quo non oportel trahcnte , corrumpitur. Itnque debeinos aut periurare racnteni a?gram, etviliis tiberare; autva- cantem quidera , sed ad pejora pronam, praoccupare. Uirumquo décréta philosophia; faciunt : ergo taie praeci- piendi gcuus nil agit. Prœterea, si prœcepla singulis damus, incomprehen- sibile opus est. Alia enim dare detiemns fœneranfi, alia colenti aprnni, alia negotianti; alia reguni amicitias se- quenli; alia parcs, alia inferiores amaturo. In matrimo- n'o praecipii's, quoniodo viiat cum uxore aliquis, qnam virgiaem duiit, qnumudocuin ea, quœ alicujas aote ma- trjmonium esperta est, quemadinodum cum locuplete; ÉPITRES A LUCILIUS. 761 femme qui lui aura apporté Je grands biens ; com- ment avec une autre qni ne lui aura rien apporte. Ne mettez-vous donc point de différence entre une feniiiiesiérilectune féconde, entre une vieille et une jeune, entre une mère et une marâtre? Il est impossible de rapporter toutes les espèces qui se peuvent présenter; et, toutefois, elles demau- -ent chacune leur conduite particulière. Or, les règles de la pbilosopbie sontcourtes, et compren- nent toutes cboses en général ; joint encore que les préceptes de la sagesse doivent être certains et limités; ceux qui sont vagues et indélinis ne lui appartiennent point, parce qu'elle connaît l'éten- due et les bornes de toutes cboses. Il faut donc supprimer cette partie, qui consiste en préceptes, puisqu'elle ne peut donner "a tous ce qu'elle ne pro- met qu'à peu de personnes ; mais la sagesse s'étend à tout le monde. Entre la folie du peuple et celle que traitent des médecins, il n'y point d'autre différence, sinon que l'une vient de fausses opi- nions, et l'autre d'bomraes corrompus. La pre- mière est une maladie de l'âme, et la dernière une maladie du corps. Si quelqu'un voulait ensei- gner 'a un furieux comme il doit parler, comme il doit marcher, comme il doit se comporter en pu- , blic et en particulier, il serait plus fou que celui | auquel il ferait des leçons. 11 faut premièrement ; corriger l'humeur atrabilaire, et chasser la cause ! de la fureur. On doit faire la même chose pour la fureur de l'âme, il la faut amortir ; autrement tous | les bons avis ne seront que des paroles eu l'air, t Voil'a tout ce que dit Aristou. A quoi nous répon- j dons par articles. | Premièrement , quand il allègue que s'il y a I quelque chose qui incommode l'œil et qui l'em- pêche de voir, il le faut ôter, je demeure d'accord que l'œil n'a pas besoin de préceptes pour voir, mais bien de remèdes pour nettoyer la vue et lever l'obslacle qui relarde ses fondions; par ce moyen on rétablit aisément la facullé de voir, qui procède de la nature. Mais la nature n'enst'}gne pas ce que chacun doit faire dans sa condition. De plus, celui à qui on a ôlc la cataracte ne peut aussitôt rendre a un autre la vue qu'il arecouvrée; mais celui qu'on a relire du vice peut en même temps en retirer les autres. L'œil n'a pas besoin d'exhortation ni de conseil pour connaître les cou- leurs; il dislingue le blanc du noir, sans que per- sonne ne l'en avertisse. L'âme, au contraire, ne peut, sans beaucoup de préceptes, savoir ce qu'elle doit faire dans la vie : outre que le médecin, après avoir guéri les yeux, donne eucore des avis et des précautions : vous ne devez pas , dit-il, tout d'un coup vous exposer au grand jour, il faut commencer par les lieux sombres, puis passer en d'autres plus éclairés, et s'accouiumer petit à petit a supporter une clarté tout entière. 11 ne faut point étudier après le repas, ni se servir de ses yeux (juand ils sont humides et enflés ; il faut évi- ter que le vent et le froid ne donnent sur le vi- sage, et quantité d'autres choses qui ne sont pas moins nécessaires que les médicaments ; car la mé- decine joint le conseil aux remèdes. 11 dit, en second lieu, que l'erreur est la cause de tous les vices; les précepteurs ne l'ôtent pas, puisqu'ils ne combattent point les fausses opinions que nous avions louchant les biens et les maux. Je demeure d'accord que les préceptes, d'eux- quemadmodiim cum indotata. An non putas aliquid esse discriininis inter stcrilern et fœcundaoi , inter proïtctio- rcm et pucllam , inter niatrein et noverKiin? Oiiincs spe- cles cninpiecti non possunius : aiqui s ngulae propiia exi- Kunt. Leges auleiii philiisopbia,' brèves suut , et oninia alligant. Adjice nunc, quod sapicntia; pra-cepta finlta esse délient, et cerla : si qua finiri non possunt, extra sapien- tiam suut ; sapienlia n'i'iiin teniiiuiis novil. Krgo ista pra:- cepli?a pars submoveiida est; quia, quodpaucis proniittit, pra'stare omnibus non poltst : sapieniia aulem omnes tcnet. Inter insauiam publicam, et hanc, qua; niedicis traditnr, nibil intcrest ; nisiquod liac morbo taborat, illa opinlonibus falsis. Altéra causas furoris traxil ci valelu- dine; allcra, animi niala valeUido est. Si quis furloso praecepta det, qnoinodo loqui debcat, quoniodo proce- dere.quomodoin pub'icosc gercre, quiiniddo in privato, erilipso, quem monebit, insanior : scilicet bilis nigra curanda est, et ipsa funiris causa removenda. Idem in hoc alio animi furore f.;cienduni est : ipse discuti débet; aboquin abibunt in vanum nioneiitium verba. Ha;c ab Arislone dicunlur. — Cui respondebimus ad iiogula. rrimum adversus illud , quod ait, « si quid ob- stat oculo etimpedit visum, debere removeri. » Fateor, huic non esse opus pracccplis ad videudum, sed remedio quo purgetur acies, etofficicntem sibi nioram effugiat. Natura enim videmus; cui usum sui reddit , qui reniovit obstantia.Quid autem cuique debeatur oiBcio, nalura non docet. Deinde cujus cunita suffusio est, is non pro- tinns , quum v-isum recepit , aliis quoque polest reddere : maliiia liberatus et libéral. Non opus est exhorlatione, ne consilio quidem , ut lolorum proprictales oculus in- telligat; a nigro album, eliamnullonionenle, dislinguet : multis contra pracceptis eget aninius, ut videat, quid agendum sit in vita. Quanquam oculis quoc|ue a'gros me- dicus non tantum curât, sed eliam niouel. Nnn est, in- quit, quodprotinusimbecillamaciemcommitlas improbo lum ui; a tenebris primuin ad umbrosa procède, deinde plus aude, et paulalim claram lucem pati assuesce : non est quod post cibuni studeas; non est quod plenis oculis ac tumentibus imperes; afilalum et vim frigoris in osoc- currenlis évita. Alla ejusmodi , qui- non minus quani mc- dicamenta pronciuut, adjicit reraediis meditina consilia. — « Error, inquit, est causa pcccandi; hune nobis prœ- cepta non dcirahunt: nec expugnant opiniones de bonit 762 SÉNÈQUE. mêmes, n'ont pas assez de force pour détruire une Causse persuasion dont l'âme est prévenue; mais il ne s'ensuit pas qu'ils ne puissent servir, étant joints avec d'autres remèdes. Car, premièrement, ils rafraîchissent la mémoire , puisqu'ils vous font considérer, nettement et en dclail, ces cliosesque vous ne voyez que confusément quand vous les regardez en gros. Autrement, l'on pourrait dire que toutes les consolations et les exhortations sont inutiles; mais elles ne le sont pas, ni par consé- quent les préceptes. Il dit ensuite que c'est une sottise d'ordonner "a un malade ce qu'il doit faire, connue s'il se portait bien ; et qu'il faut le guérir auparavant, sans quoi tous les avis ne servent de rien. Quoi! les sains et les malades n'ont-ils pas quelque chose de commun, sur quoi l'on puisse leur donner conseil? par exemple, de ne pas manger trop avidement et de ne se point lasser. 11 y a aussi des préceptes qui sont communs aux pauvres et aux riches. Mais, rép!ique-t-il, gué- rissez l'avarice; par ce moyen vousn'aurez plus d'avis à donner ni au pauvre ni au riche, la con- voitise de l'un et de l'autre étant apaisée. Quoi ! ce ne sont pas choses différentes, de ne point dési- rer do l'argent, etd'en savoir bien user? Les avares le convoitent sans mesure , et ceux qui ne le sont pas peuvent n'en pas connaître le bon usage. Il dit encore : Otez les erreurs et les fausses opi- nions, les préceptes se trouveront inutiles. Cela est faux; car, supposez que l'avarice se soit élar- gie , que le luxe se soit retranché , que la témérité se soit arrêtée, que la paresse se soit éveillée, faut-il apprendre ce que nous avons 'a faire et de quelle manière nous devons agir quand nous som- mes affranchis du vice. Mais, dit-il, les conseils ne feront point d'impression sur les vices endur- cis. Je réponds qu'encore que la médecine ne gué- risse point les maux incurables , on ne laisse pas d'y avoir recours; les uns pour être guéris, les autres pour être soulagés. La philosophie même, avec toutes ses forces, ne pourrait pas déraciner un ulcère invétéré dans le fond de l'âme ; mais, si elle ne peut tout guérir, il ne s'en suit pas qu'elle ne guérisse rien. Il ajoute : Que sert-il de mon- trer ce qui est évident? De beaucoup; car, quel- quefois, nous savons une chose, mais nous n'y fai- sons point de réflexion. En ces cas , les préceptes avertissent et n'enseignent pas. Ils réveillent seu- lement la mémoire et l'empêchent qu'elle n'ou- blie. Nous passons souvent sans considérer des cho- ses qui sont exposées'a nos yeux. Souvent aussi no- Ire esprit ne veut pas s'y arrêter. Il est donc à propos de lui faire voir ce qu'il connaît fort bien, et cet avertissement est une espèce d'exhortation. Je veux , en cet endroit , rapporter ce que Cal- vus dit un jour "a Valinius : Vous savez qu'il s'est fait une forte brigue, et chacun sait que vous le savez. Vous savez qu'il faut être religieux dans l'observation de l'amitié, mais vous ne l'êtes pas. Vous savez que c'est un vice d'exiger de sa femme la chasteté , et de corrompre celle d'autrui ; que comme elle ne doit point avoir de commerce avec un adultère, vous n'eu devez point avoir aussi avec une concubine, et toutefois vous ne le faites pas. C'est pourquoi il faut de temps eu temps vous remettre ces vérités dans la mémoire. Ce n'est pas assez (le les avoir en dépôt, il faut les avoir à la main ; ce qui nous est salutaire doit être souvent ac malis falsas. » Concède, per se cffîcacia prœcepta non esse ad evertendam pravain animi persuasionem ; sed non ideo, ne aliis quidem adjeclaj proHciunt? Primum nie- moriam rénovant; deindo, qnœ in nniversoconfusius vi- debantur, in parles divisa diligentius considerantur. Aut tu isto modo licet et consolationes dicas supervacuas, et exhortationes : atqui non sunt supervacuœ; ergo ne nio- uitiones qiiidein. — « Stiiltum est, inquit, pra?cipere œgro, quid facere tanquam sanusdebeat, quum resti- tuenda sanitas sit , sine qua irrita sunt praecepla. » Quid , quod liabent .Tgri quœdam sanique communia , de qui- bus adinonendi sunt? tanquam ne avide cibos appelant, ut lassitudinem vitent. Habent quaedam préecepta com- munia pauper et dives. — o Sana , inquit, avariliam , et nihil hat)ebisquod admoneasautpauperem, autdivilem, si cupiditas utriusque considet. » Quid quod aliud est , non concupiscere pecuniam; aliud, uli pecunia scire? CHJus avari modura ignorant, etiam non avari usum. — « Toile , inquit , errores ; supervacua praecepta sunt. » Falsum est! puta enim avaritiam relaxafam; puta ad- strictam esse luxuriam, temeritati fraenos injéctos, igna- tiae sul)ditum calcar : etiam remotis vitiis, quid, etquem- admodum debe.nmus facere, discendum est. — «Niliil, inquit, efficient monitiones, admol«gravibus vitiis. • Ne medicina quidem morbos insanabiles vincit; tamen adhi- betur aliis in remedium, aliis in levamenlura. Ne ipsa quidem universa; philosophiœ vis , licet fola in hoc vires suas advocet, duram jametveterem animis extrahet pes- tem;sed non ideo nibil sanat, quia non omnia. — • Quid prodest, iuquit, aperta nionslrare? » Plurimum! inler- dum enim scimus , nec altendiraus. Non docel admoaitio, sed advertit, sed excitât, sed memoriam conlinet, neo patitur elabi. Pleraque ante oculos posita transimus; ad- monere, genus adbortandi est. Saepe animas etiam aperta dissimulât ; ingerenda est itaque ilU notilia rerum notis- simarum. Illa hoc loco in Vatinium Calvi repetenda sen- tentia est : « Factum esse ambitum, scilis; et, hoc vos scire, omnes sciunt. » Scis amicitias sancte colendas esse; sed non facis : scis improbam esse qui ab uiore pudici- tiam exigit, ipse alienarum corruptor uxorum : scis ut illi nil cum adultero, sic tibi nil esse debere cum pellice; et non facis. Itaque subinde reducendus es ad memoriam : non enim reposita illa esse oportet , sed in promptu. Quae cumque salutaria sunt, sappe agitari debent, ssepe ver- ÉPITRES A LUCILIUS. 763 manié et retourné , aCn qu'il nous soit familier et tout prêt; joint que par ce moyen, ce qui élait manifeste devient encore plus évident. Il objecte encore : Si vos préceptes sont dou- teux, vous en devez apporter les preuves. Ainsi, les preuves seront uliles, et non les préceptes. Mais souvent on s'en rapporte "a la seule autorité sans preuve, comme l'on défère aux décisions des ju- risconsultes , quoiqu'ils n'en rendent point de rai- sou. De plus, ces préceptes d'eux-mêmes ont beau- coup de poids, particulièrement s'ils sont mis en vers, ou qu'on en forme des sentences en prose , comme ces doux de Caton : Achète le nécessaire el non pas le superflu. Le superflu est cher, encore qu'il ne coule qu'une maille. Ces oracles de l'an- tiquilc ou autres semblables : Ménage le temps. Connnis-toi toi-même. El quand on vous alléguera ces vers-ci , en demanderez vous la raison ? Aux plus grands maux, l'oubli sert de remède. Soyez hardi, la fortune tous aide. Au paresseux tout fiiit de l'embarras. Ces sentences n'ont pas besoin d'être persua- dées : elles pénètrent dans l'âme et produisent du fruit, par la seule force de la nature; car il y a des semences de verlu répandues dans toutes lésâmes, qui se réveillent par les avertissements. Comme une étincelle s'eullammc par un petit souffle , la verlu se produit au même temps qu'on la touche. D'ailleurs, nous avons dans l'esprit certaines con- naissances qui ne sont pas bien présentes ; mais nous commençons de les avoir "a commaiulemenl aussitôt qu'on nous eu parle. 11 y a aussi des cho- ses éparses en divers endroits, qu'un homme, faute d'exercice, ne pourrait pas joindre et lier ensem- ble. 11 faut donc les assembler, alin qu'elles aient plus de force, et que l'esprit en reçoive plus de soulagement. Ou bien, si les préceptes ne profilent de rien, il ne faut plus parler d'instruction, et l'on doit se contenter de la seule nature. Ceux qui raisonnent de l'autre sorte ne consi- dèrent pas que l'un a l'esprit agissant et sublime, l'autre l'a tardif et slupide ; et que les préceptes entretenant la force de renlendement, lui donnent de nouvelles connaissances , par le moyeu des-^ quelles il corrige ses erreurs. Mais, si quelqu'un, dit Ariston , ne sait point les maximes générales, de quoi lui serviront ces préceptes particuliers , étant engagé dans le vice? Ils lui serviront a s'en dégager; car son bou naturel n'est pas détruit, il n'est (|u'altéré, el encore lâche-t-il de se rétablir en combattant contre le vice. Mais, s'il rencontre quelque ;i|)pui par le secours des préceptes, il se remet en étal , pourvu que la corruption ne l'ait pas entièrement gâté ; car , en ce cas , tous les ef- rortsdclaphili)soplilenele rétabliraient pas. Quelle différence y a-t-il entre les préce|)tes et les axiomes de la philosophie, sinon que ceux-ci sont géné- raux, cl c|iie ceux-là sont particuliers?. Mais ils don- nent tous deux des conseils el des avertissements, les uns en gros, et les autres en détail. Si quelqu'un, dil-il , a de bonnes et d'honnêtes maximes, il n'a pas besoin de préceptes. Je vous le nie , car, (|Uoi- qu'il soit insliuit de ce qu'il doit faire, il ne sait pas cn(ore comme il doit s'y prendre, parce que tari; ut non tantum nota sint nobis, scd eliam parafa. Adjice nunc , que 1 aperta quoquc ai)crtiora (leri soient. — «Si dubia sunt, inquit, qua; pra-cipis , probalioncs adjicerc debebis : ergo illa;, non praxepta, prolicieiit. • — Quid quod , etiam siue probatiimibus , Ipta nioueutis anctoritas prodcst ? sic ijuomodo jurisconsultorum valent respoDsa, eliamsi ratio non redditur. Prajterea ipsa.quce prxcipluntur, per se multuni babcnt pondrris , ulique si aut carmin! inteitasunt.autprosaorationcin scntenliam coarctala; sicut illa Catoniana, • Kmas, non quod opus est, scd quod necesse est. Quod non opus est, assc ca- runicst. • Qualia sunt illa, aut redditaoraculo, aut simi- lia ; • Tempori parce 1 Tenoscc! « >'umquid rationem exiges, quum tibi aliquis hos diierit versus ': Injurianini remediiim est obliviu. Audentes fortuna juvat. piger ipsc tibi obslat. Advocatum ista non quacrunt ; alTectus ipsos tangunt , et Datura vira suam eiercente prnriciuut. Omnium hones- larum rcrnm seminii aninii tierunt , qus adinonitione ei- citantur ; non aliter quam scintilla , Uatu levi adjuta, ignem luum cxplicat. Eri^ilur virlus,quunitacta est et impulsa. Praeterea qusdam sunt quideni in animo , sed parum prompta ; quae incipiunt in eipedito esse , qnum dicta sunt. QuiTdam divcrsis locis jaccnt sparsa , qua; contrahcre incvercUata men.s non p cro praesidium etadjula pracceplis, convalescit; si tamen illaru diutina pcstis non infecit, ncccuccuil; banc eniiu ne disciplina quidem pbilosopbiie , toto impetu suo connisa , resliluet. Quidenimiulerest inter dccrtlapbil"sophia' elpraccpta, nisi quod illa gcneialia pracepla sunt, ha;c specialia 'i' Ulraciue res pracipit : srd altc ra in totuni , particulatira altéra. — « Si quis, inquit , recta habct et bonesta décré- ta, liic ex supervacuo nioiictur. » Minime! nam hic quo- (lue doclus quideni est facere , qua' débet ; sed hœc non satis perspicit. Non euim tanluni alfectibus impediraur , SÉNÈQUE. ce n'est pas tant la passion qui nous empêche de faire ce bien, que la difficullé de trouver la ma- nière pour bien faire ce que chaque chose demande. Nous avons quel(|uefois l'âuie fort l)ien disposée; mais elle est pari sseuse et n'a pas nsscz d'expé- rience pour savoir le procédé qu'il faut tenir; et c'est ce que les préceptes nous enseignent. Ariston ajoute encore que si vous ôlez les fausses opinions qui se soat introduites, touchant les biens et les maux, et que vous établissiez celles qui sont véri- tables, les préceptes n'auront plus rien ii faire. J'avoue que c'est un moyen de bien régler l'es- prit , mais il ne suflit pas; car , quoique l'on ait prouvé par de bons argmiienls quels sont les biens, et quels sont les maux, les préceptes ne laissent pas d'avoir leur emploi particulier. La prudence et la justice ne consistent qu'eu devoirs , et ces devoirs sont conduits et réglés par les préceptes. De plus, le discernement que nous faisons des biens et des maux se reconnaît par l'exercice des devoirs, à quoi les préceptes nous engagent; ils conspirent tous fioux 'a même fin , et les uns ne peuvent aller devant, que les autres ne les sui- vent. Cet ordre, qu'ils se gardent entre eux, fait bien voir que les maximes vont toujours devant. Mais il y a, dit-il, une iuGnité do préceptes : cela est faux ; car, pour ce qui concerne les choses impor- lantesou nécessaires, ils ne sont pas infinis. Ils ont bien quelques légères différences qui regardent le temps, le lieu et les personnes; encore leur donne- t-on certaines règles générales. On ne peut, dit-il, guérir la folie par préceptes, ni par conséquent le vice. Ce sont choses toutes dissemblables ; car, en chassant la folie, vous guérissez entièrement l'esprit; mais, en bannissant les fausses opinions, vous ne faites pas succe'der en leur place le juste discernement des choses qu'il est bon de faire ; et quand cela serait, les préceptes serviraient encore à fortifier en votre âme les bons sentiments qne vous auriez , touchant le bien et le mal. Il est en- core faux que les préceptes ne servent de rien an- près des insensés ; car , quoique ces préceptes ne produisent aucun fait séparément, il est certain qu'ils contribuentà la guérison des fous ; j'entends de ceux qui ont le sens égaré et non entièrement perdu, puisque les menaces et le châtiment sont capables de les retenir. Les lois ( dit encore Âriston) ne nous font pas faire ce que nous devons. Mais que sont-elles au- tre chose que des préceptes menaçants, qui ne sau- raient persuader à cause qu'ils commandent? Les préceptes, au contraire, ne forcent personne, et cependant ils gagnent la volonté. Les lois vous dé- tour.ient du crime; les préceptes vous exhortent à votre devoir, joint que les lois sont utiles aux bonnes mœurs , quand elles instruisent en même temps qu'elles commandent. Je ne suis pas du sen- timent de Posidonius, et je n'approuve pas les prologues qui sont 'a la tête des lois de Platon ; car la loi doit être courte, afin que le peuple la puisse ^ facilement retenir comme un oracle venu du ciel, .m Qu'elle ordonne, et qu'elle ne conteste point. H n'y a rien de plus sot ni de plus impertinent , à mon avis, qu'une loi qui fait un préambule. Commande ; dis seulement ce que tu veux que je fasse ; il n'est pas question d'apprendre, mais d'obéir. Elles sont utiles, sans doute', puisque vous verrez que les villes qui ont de mauvaises lois ont ordinairement de quo minus probanda faciamus, sed inip?iilia inTeniendi quid quieqiie ras exigat. Hilicnuis iulerduin composUuni animiiri] , sed résidera, et inesercitalum ad intenieudain ofTicioruiii viam , quam adiiioiiillo dcnionstrat. — « Ex- pclle, iiiquit, falsas opiniones de bonis elraalis, in lociim autem caium verasrepone; et niliil habebit admonilio quod agal. » Ordinalur sine duliio ista ratione auimus, sed Htm ista lantum. Nani quamvis argumcntis colleclum sit , qiia; bona , quœ mala sint: nihiloniiniis habent prœ- cepla partes suas : et prudenlia , et juslitia ofQciis con- staul ; oflicia prœceptis disponiuitur. Pr;clerea ipsum de bonis inali.sqiie judicium confirmatur officiorum exsecu- tione, ad quam prœcepta perd iicunt.U traque enim intcr se consentiuut, nec illa possunt prœcedere , ut non hœc sequantur; et lia;c ordinem sequuntiir suum : unde ap- parel illa pra;cederc. — « Inlinita, inquit, prajccpta sunt.» Falsuin est ! ISam de maximis ac necessaiiis rébus non sunt iutinila; tenues autem differeulias habent, quasexi- gunt lempora , ioca, persona;. Sed liis qiioque dantur praccepta generalia. — « Nemo , inquit, praeceptis cunit insaniam; ergone maliliam quidem. • Dissimileest! JN'am si iasaniau] sustulcris , sauitas reddita est : si falsas opi- niones exclusiraus , non statim seqnilur dispectus rerum agendarum : ut sequatur tamen admonitio corrolMrabit reclam de bonis raaiisque sententiara. Illud quoque fal- sum est, nihil apud insanos proGcere prxcepta : nam quenialmodum snla non prosunt , sic curalionem adju- vant; et denuntiatio, et eastigatio insanos coercuit. De illis insanis nuuc loquor, quibus mens mota est, non erepta. « Leges, inquit, ut faciamus quod oporlet non effi- eiunt : et quid aliud sunt , quam minis mixta praecepla?» — Primum omnium, ob hoc illa; non persuadent , quia minanlur; at ha;c non cogunt, sed esorant. Deinde leges a scelcre déterrent ; praecepta in officium adhortantur. His adjice, quod leges quoque proDciunt ad bonos mo- res ; utique si non tantum imperant , sed dorent. In bac re dissentio a Posidonio ; qui : i IHon probo quod Plato- nis legibus adjccta principia sunt : legeiu enim brevem esse oportet, quo facilius ab imperiiis teneatur. Velut emissa diviuitus vox sit , jubeat , non dispute!. Nibil vide- tur mihi frigidius, nibil ineptius, quam lex cum prologo. Mone , die , quid me veiis fecisse ! non disco , sed pareo, • Proficiunt vero : itaque malis moribus uti videbis ciTila- tes usas malis legibus. — • XI non apud omaes proBciuat. l ÉPITRES A LUCILIUS. 763 mauvaises mœurs. Oui; mais elles ne sont pas uti- les a tout le monde. La pliilosopliie ne l'est pas aussi, et toutefois elle n'est pas moins nécessaire pour former l'esprit ; car, qu'est-elle autre chose que la loi de la vie? Mais, quand les lois ne servi- raient de rien , il ne s'en suivrait pas que les pré- ceptes fussent inuiiles; aulrement vous pourriez fr- mettre au même rang les consolations, les exhor- tations, les louanges et les répréhensions, qui tou- tes sont des fspcees de préceptes qui conduisent l'âme à sa perfection. En vérité, il n'y a rien qui iuspire des sentiments d'honneur, ni qui redresse un espritquia de la pente au mal, comme !a conver- sation des gens de bien. C'est une manière de pré- cepte qui descend doucement dans l'âme, que d'en êtresouveutes fois écouté ou regardé. La rencontre même d'un homme sage nous con ten te, et son silence nous peut instruire. Il n'est pas si aisé de dire com- ment cela profite, que deconnaîtrequ'il a profité. Il y a, dit Pliédtm, de petites bêtes qui piquent sans qu'on le sente, tant leur action est délicate et subtile. On ne s'en aperçoit que par l'enflure de la partie, où même il ne paraît aucune piijûre. C'est ce qui arrive en la fréquentation des person- nes sages. Ou ne sait conmjent, ni quand elle pro- file, maison s'aperçoit bien qu'elle a prolité? Vous me direz 'a quoi tend tout cela? A vous faire con- naître que les bons préceptes, quand on les ren- contre souvent, pour ainsi pailer, sont aussi utiles que les bons exemples. Pylhagorc dit que ceux qui entrent dans les temples et qui regardent de prés les images des dieux , ou qui attendent la réponse de quelque oracle, prennent une nouvelle disposi- tion d'esprit. Peut-on douter que lesignorantsniôm« ne soient touchés sensiblement de certains pré- ceptes,commesontcesparolescourtcsetofûcieuses: — Rien de trop. L'avarenegagne jamais assez. Atlends-loi à lu pareille. Cela frappe tellement, que personne n'oserait en douter, ni même de- mander pourquoi; tant la vérité a de force pour se faire recevoir, et même sans la raison. Si le respect peut retenir les esprits et arrêter les vices, pourquoi les préceptes n'auront-ils pas le même- pouvoir? Si la réprimande cause de la honte, pourquoi un avertissement, donné comme un sim- ple précepte, n'aura-t-il pas le même effet? Il de- vrait être plus efficace et mieux reçu , puisque la r.iison le soutient, et qu'il fait voir ce qu'il est bon de faire, avec le profit qui en peut résulter. Si le commandement peut être utile, la remontrance le peut êiie aussi. On divise la vertu en deux par- lies : en la contemplation de la vérité , et en l'ac- tion. L'instruction nous dresse "a la contemplation, la remontrance nous porte "a l'action : une bonne action, en exerçant la vertu, fait connaître en même temps son mérite : si celui qui l'entreprend a besoin d'être persuadé, il aura pareillement be- soin d'être admonesté. Partant , si la bonne action est nécessaire "a la vertu , et que la remontrance soit la cause de la bonne action , la remontrance sera aussi nécessaire il la vertu. Il y a deux choses qui fortifient grandement Ne philosophia qiiidetn , nec iiico inntilis cl formnndis aniniis iiiiffiiax est : quid au'.em pliilosopliia , iiisi vit-e lei est? Scd , pulemiis non proficere leges ; non ideo se- quilur, ut ne inonitiones quidem proficiant : aut sic et consolatiunes ne{;a prolicere , dissuiisionesqiie , et adliur- laliones, etobjurgationes,etlaud:itiones. Omnia i»[a n;o- nilioDiim gênera siint; per isia ad perfectuni aninii sta- tuai perveniiur. Ntilla rcs niagis animU honesia induit , dubiosque et in pravuni incliualiiles revocat ad recluai, qiiani boi oruni virorum conversatio. Paulalinienini des- cendit in pectora, et vim prœcepli obllnei, fréquenter ad.>pici lre(|iienter aiidiri. Occursus nielieri ules ipse sa- pienliurei Juiat; et est iiliquid , quod ex niagno vint vel tacente profirias. Ni'C tibi lacile diserim queinadiiiodiim prosit, sicut iltud intelligo , profuissc. •Minuta qiia'dam, ut ait flicE.io , aniniaiia , quum mordent , non senliiiiitiir; adeo lenuii illis et ftiliens in periculnni vis est : tiimor jndicat morsum, et in ipso tumore nulluni vulnus apparc(.> Idenr tibi iu cuQversutlune virornui sapicn.ium evcnict : non deprehendes quemadmudum , eut qiiando til)i pro- sit; profuisse deprehendes. » — Quorsus, inquis, boc pertinei? — yCque prœcepla bona, si saspetecum siut.profu. tura, qnani Iwoa exempta. Pylhagnras ait,i alium animum fleri intranlibus tenipluui, Deorumque simutacra ex vicino ccrDeDtil>us , et alicnjus oraculi opcrientibus voccm. » Qiiis auleni negnvent , icrin quibnsdam prseceptis ef- ficacitcr ctiam imperilissimos .' velulhis bievissimis voci- bus , sed multum habentibus ponderis : Siliit nimis! Avariis aiiimiis nullo sali itur lucro. Ab alio exs|jectis , alteri quoil fcceris. HîEC cum ictu quodam andimus , ncc ulti licet dubitare , aut interrogare : qnare? Adeo , eliam sine ralione, ipsa verilas ducit. Si reverenlia frœnat animos ac vitia com- pescil , cur non et adniouitio idini possit ? ^i imponit pu- dorem c;istig.ilio , cur adnionitio non faciat, ellam si nu- riis prseceptis iilitur? Illa viio efficiicior e>,t, et altius pé- nétrât, qiiœ adjniat latione quod prœcipil, (luae adjicit quare quidque faciendnm .sit, et (iiiis facicnlim otiedieu- temquepra'ceptisfiuctuscxspectct. Si inipcrio proticilur, et admonitione : atqui pmliduir inipcrio; ergo et iidnio- uitiouc. In duas parles vlrius diù.iilur, in conteniplatio- nem Teri, cl actioneni : conleniplationeiu insiilutio tradlt, aclionem adnioni.io. Virtuleni eiexercet.etosteudit recta actio ; acturo autera si prodest qui suadi t , et, qui monct. proderit. Ergo si recla aetio virluti uecessana est , rectas autem actiones adnionitio demi.nslral; et admouitio ue- cessaria est. Dua; res plurimum roboris animo dant, fidcs veri , et fiducia ; ulranique admonitio facit. Nam et 7G6 notre âme : la foi qu'on ajoute a la vcrité , et la confiance qu'on a en elle; par conséquent, les avertissements produisent l'un et l'autre ; car ils ont crédit sur nous , et par ce moyen, 1 ame con- çoit de beaux sentiments, et se remplit de con- fiance. Les avis ne sont donc pas inutiles. M. Agrip- pa, homme do grand cœur, et qui, de tous ceux qui se rendirent fameux et puissants dans toutes les guerres civiles, fut le seul que le peuple es- tima heureux , avait coutume de dire qu'il était bien obligé à cette sentence : La concorde agran- dil les petUes choses, et la discorde abat les grandes; que cela l'avait fait bon frcro et bon ami. Si ces sortes de sentences, s'élant insinuées fami- lièrement dans une âme, sont capables de l'in- struire et de la former, pounpioi celte partie de la philosophie , qui ne consiste qu'en de pareilles sentences, n'aura-t-elle pas le même pouvoir? Toute la philosophie consiste en discipline ou en actions; car il faut apprendre, puis pratiquer ce qu'on a appris. Cela étant ainsi, il est aisé de voir qu'outre les décrets de la sagesse , les préceptes sont encore utiles, servant comme de lois pour tenir vos passions en bride. La philosophie, dit Ariston, se divise en science et en habilude; car, pour l'avoir apprise, et savoir ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, on n'est pas encore sage , si l'âme ne se transforme en ce qu'elle a ap[>ris. Or, cette troisième manière d'enseigner tient des maximes générales et de l'hahilude; c'est pour- quoi elle est iiintile 'a la vertu , les deux autres étant suffisantes. Ainsi la consolation se trouverait superflue, comme aussi l'exhortalion, la pcrsua- SÉNÈQUE. sion et la dispute, parce qu'elles dépendent el font partie de l'une et de l'autre. Mais, quoique toutes ces clioses proviennent de l'habitude de l'âme, si est-ce que la meilleure habitude de l'âme se forme des maximes et des préceptes. Davantage, ce que vous alléguez n'appartient qu'à un homme parfait qui estdéj'a monté au comble de la félicité , où l'on n'arrive que bien lard. Cependant il est expédient de montrer le chemin à celui qui com- mence 'a profiter et à régler sa conduite. La sa- gesse toute seule le peut bien faire quand elle est venue "a ce point que l'âme ne peut plus être ébranlée, ni portée ailleurs qu "a la vertu; mais, pour les âmes qui sont plus faibles, il est néces- saire que quelqu'un marche devant elles, et qu'il leur dise : Vous ferez ceci, ou vous éviterez cela. De plus , si un homme attend qu'il sache de lui- même ce qu'il pourra faire de meilleur, il demeu- rera cependant dans l'erreur qui l'empêchera d'arriver à ce point de félicité , d'être content de soi-même. 11 faut donc le conduire taudis qu'il commence 'a se pouvoir conduire. Les enfants ap- prennent par règles; on leur tient les doigts et ou les conduit sur les traces des lettres qu'on leur a figurées. On leur donne ensuite un modèle afin de l'imiter et do reformer là-dessus le défaut de leur caractère. C'est ainsi que l'on aide et soulage notre esprit, quand on l'instruit par règles. Voilà les raisons que l'on apporte pour prouver que cette partie de la philosophie qui concerne les précep- tes n'est point superflue. On demande ensuite si elle suffit pour rendre seule un homme sage? C'est une question que uous traiterons quelque jour. rreditur illi ; et , quum credituni est , magnos animus spi- riliis concipit ac liducia iniplelur : crpo admoiiitio non est «apcrvaciia. M. Agrippa , \ir ingciilis aninii , qui so- ins CI liis, quos civilia bella claros potcntesque feccrunt, felix in publicum fuit , dicere solebat , mulluni se liuic do- bcre senîenlia; : c i\'ara concordia parvas res crcscuni, dis- coidia niaximae di'abunlur. « Ilac se, aiebat, et fratreni, et aniicum optimum factum. Si ejusniodi seiitrntia;, fami- liariler in aninmni receplae, foimant euin ; cm- non liasc pars philosophia;, qii:B talbus scnlenliis constat, idem possit? Pars virtulis disciplina constat, parsexeriitalione : et discas oportet , et, quod didicisli, agendo confiinies. Quod si ila est , non tantuni scila sapienlia; prosunt , scd ctiam praecepta ; quœ affectus nostios velut edicto coer- cent, et alligant. «Philosopliia, inquit, dividilur in bœc, scientiani, et haliitum animi. Illam qui didicit, et facienda ao vitanda perccpit, nondura sapiens est, nisi in ea , qu;e didicit, auimns ejus transfiguratus est. Tcrtia ista purs prœii- piendi, ex utroque est, et ex decretis, et ex habitu : ita- que supervacua est ad implendam virtutcm, quiini duo illa sufficiant. » Isto ergo modo et consolatio supervacua est , nam ha;c quoque ex utroque est ; et adliorlotio , et suasio, et ipsa argumentatio; nam et lise ab habita aoi- mi conipositi validique proficiscitur. Sed quamTis ista ex optimo babitu animi veuiaut, optimus animi babitus et facit illa, et ex iliis ipse fit. Deiode istud, quod dicis, jam perfecti viri est, ac suiiimam eonsecuti felicitatis hu- manae. Ad bxc autem tarde pervenitur; intérim etiam iuiperfecto, sed proficieuti, demons'.randa est in rebiis agendis via. liane forsitan ctiam sine admonitione dabit sibi ipsa sapientia; quae jam eo pcrduxit animum, ut moveri nequeat, nisi in rectum ; imbellicioribus quidein ingeniis nece.'sai'ium est aliquem pracire, • Hoc \itabis, boc faciès. » Praeterea , si exsptctat tempus , quo per se sciât, quod optimum factu sit; intérim errabil, et er- rando impedielur, quo mnus ad illud perveniat, quo possit se esse contenlus : régi ergo débet, dum incipit posse .se regere. Pueri ad pra?scriptuui discunt; digili il- lorum teneutur, et aliéna manu per litterarum simulacra ducuntur; deinde iniitari jul)entur proposita, et ad illa reformare chirographum : sic animus noslcr, dura eru- dilur ad pra'scriplum , jnvalur. IIa>c simt per quï probatur, hanc philosophia? parlem supervacuam non esse. Quaritur deinde, an ad facien- dum sapicnlcni ;ola sufficiat. Huic qiueslioni suum diem ÉPITRES A LUCILIUS. 767 Cependant, laissant tous les arguments a part, ne voyez-vous pas que nous avons besoin de quel- qu'un qui nous donne des préceptes contraires aux instructions du peuple. Le peuple ne dit pas un mot qui ne nous porte pn'judice; ses vœux et ses iniprécalions nous sont également nuisibles; car celles-ci nous engendrent de fausses craintes , cl les autres , en formant pour nous de bons sou- haits, nous donnent de mauvaises leçons, puis- qu'ils nous renvoient a des biens incertains et fort éloignes, quoique nous puissions trouver la féli- cité chez nous. 11 ne nous est pas libre , dis-je , d'aller le droit chemin ; nos parents nous entraî- nent dans le mal, nos serviteurs mômes nous y poussent ; les fautes ne sont plus personnelles, on communique ses erreurs, et l'on reçoit celles d'autrui. De l'a vient que les vices de tout un peu- ple se rencontrent dans chaque particulier, parce que le peuple les lui a inspirés. On apprend le mal, puis ou l'enseigne, et en ramassant tout ce que chacun savait de plus mauvais , on en a formé cette grande corruption que nous voyons aujourd'hui. Il est donc expédient d'avoir quel- qu'un qui nous lire quelquefois l'oreille , qui chasse les opinions vulgaires , et qui s'oppose à ce que le peuple approuve. C'est une erreur de croire que les vices soient nés avec nous, ils sont venus depuis; on les a introduits chez nous. Corrigeons donc par de fréquentes remontrances, ces opi- nions qui font tant de bruit "a nos oreilles; et sa- chons que la nature ne nous a donné aucune pente vers le vice ; elle nous a fait naître innocents et libres , et n'a rien exposé à nos yeux qui pût irri- ter noire avarice. Au contraire, elle a mis l'or et l'argent sous nos pieds, afin que nous foulassions ce qui fait souvent le sujet de l'oppression que nous souffrons ; elle a dressé notre visage vers le ciel , a(in que, regardant en haut, nous vissions ce qu'elle avait fait de merveilleux et de magnifi- que : le lever, le coucher des étoiles, In mouve- ment rapide de l'univers , qui nous découvre du- rant le jour les beautés de la terre, et les brillanis du ciel durant la nuit; le cours des asircs , qui semble tardif, si on le compare à celui du globe, et irès-rapiJe, si on considère les grands espaces qu'ils traversent avec une diligence toujours égale; les éclipses de soleil et de lune, quand ils se trou- vent opposés, et tant d'autres choses dignes d'ad- miration , soit qu'elles arrivent par \m ordre réglé, ou par quelque cause fortuite; comme ces longues traînées de feu que l'on voit la nuit; les éclairs qui sortent du ciel enir'ouvert, sans faire de bruit ni de dégât; les colonnes, les poutres et diverses aulies ligures enflammées. La nature a placé tout cela au-dessus de nous; mais elle a ca- ché sous terre l'or et 1 argent, aussi bien que le fer dont nous nous servons contre nous-mêmes, pour la considération de ces deux mélaux. La nature, dis-je, n'a pas jugé qu'ils fussent bien entre nos raains. Mais nous les avons mis an jour pour être la matière de nos différenis et les instruments de toutes nos disgrâces , après avoir tiré de dessus la masse de lerrc qui les couvrait. Nous nous som- mes livrés au piiuvoir de la fortune, et n'avons point do honte de melire parmi nous au plus haut lieu ce qui occupait le plus bas. Voulez-vous sa- voir que ce n'est ((u'un faux éclat qui éblouit vos yeux? Y a-t-il rien de plus sale et de plus brut que dabimus : JDterim , omissis argumentis, nonne apparct opus esse nnbis aliquo adrocato, qui contra popiili pni- cepta praecipiat? Nullaad aures nostras voi inipuae per- feptur: nocenl, qui optant; nocent, qui essecrantur : uam et iiorum iniprecatio faisus nobismetus inserit , et illoruni amor maie docet bene optaodo. Miltit cnim nos ad lon- ginqua bona, et incerta et errantia , quum possiiiius feli- citatcm domo proniere. ISon licct, iuquam, ire rerta via : trabuat in pravum parentes, Irahunt servi; ncino errât uni sibi , sed dementiam spargit ia proiinios, accipilque iaficeiD. Et ideo in singulis vitia populorum suot, quia iUa lopulus dédit. Dum facit quisque pcjoreni, factus est : didicit deleriora, deiode docuil; efrectaque e.st iu- gens illa nequilia , coDgeslo in unum , quud cui(|ue pcs- simum scitur. Sit ergo aliquis custos, et aureni subindc pervellat, abigatque rumores, et reclanict popiiiis lau- dautibus. Erras enim, si eiistimas nobiscum vitia unsci : sopervenerunt, ingesta sunt. I laque mooitiouibus cre- bris convicia , qus nos circumsonant, repellautur. IN'ulli DOS vitio natura conciliât; intègres ac liberos genuit. ?lihil, qoo avaritiam DOstram irrltaret, posuit in aperto; pedibus aurum et argentnm subjecit ; calcandumque ac premenduin dédit quidquid est, propler quod calcamur ac premiinur. Illa vultus nostros erexit ad ccelum, et, quidquid inaguincum niinimque fecerat, videri a suspi- cientibus voluit; ortus occasus(|ue, et properantis niundi volubilem cursuin , interdiu terrena aperienlem , noctu ctrlestia; tardos siclorum inccssus, si compares toti, ci- latisMmns , si cogites quanta spatia nunquani interniissa velocitate circunieant; defcctus solis ac lua», invicem obstantium; alia deinccps digna miratu, sive per ordi- neni sulieunt, sivesubitis causis meta prosiliunt.ut noc- turni ignium traelus, et sine ulio ictu sonituque fulgores cœli faliscentis, columnïque ac tnibes, et varia simula- cra flamniarum. Usée supra nos itura disponit : aurum quidem et argeutum , et propter ista nunquam pacem agcns ferruni , quasi maie nobis comraitlerentur, ahscon- dit. Nos in lucem.propter qua; pugnaremus, extulimus; nos et causas periculorum noslrorum, et instrumenta, disjecto terrarum pondère, cruimus; nos fortuna; mala nostra tradidinms, nec crubescinius summa apud nos haberi , qnae fuerant inia terrarum. Vis scire, quam fat- 7G8 ces métaux tant qu'ils demeurent enfonces dans le limon? Quand on les lire des mines obscures el profondes, et qu"on les sépare de leurs excré- mcnls, il ne se peut rien voir de plus difforme. Enfin, si vous considérez les ouvriers qui purgent celle nature de terre stérile et vilaine , vous ver- rez comme ils sont barbouillés et crasseux ; et toutefois l'ordure s'atlacbe plus à l'esprit qu'au corps, et ceux qui les possèdent sont ordinaire- ment plus vilains que ceux qui les préparent. Il est donc nécessaire d'appeler auprès de nous une personne de bon sens , qui nous instruise , et qui , parmi le tumulte du mensonge, fasse couler dans nos oreilles quelque parole de véiité. Mais quelle sera cette parole? Celle qui pourra être sa- lutaire à un homme étourdi du bruit importun que fait partout l'ambition , et qui vous dira : Vous n'avez pas sujet de porter envie à ces gens que le peuple qualifie du tilre de grands et d'heureux. Il ne faut pas que la faveur du peuple vous mette hors de l'assiette d'une âme l'ernio et bien réglée. Il ne faut pas que ce consul , revêtu de pourpre el précédé de satellites portant les faisceaux, vous donne du dégoût de voire tran- quilliié, ni que vous estimiez plus heureux celui auquel on fait élargir le passage, que celui qu'on en fait retirer. Si vous voulez exercer une auto- rité qui vous soit utile et qui n'incommode per- sonne, faites retirer les vices. Il se trouve assez de gens qui brûlent des villes, qui abattent des forteresses que le temps ne pouvait détruire , et qu'on n'avait pu prendre durant les siècles précé- dents ; qui élèvent des terres 'a la hauteur des tours, et qui renversent les plus hautes murailles r SÉiN'ÈQUE. avec des hélitr» et d'antres machines. Il s'en trouve, dis-je, assez qui mettent en fuite et mè- nent battent des armées entières, et qui, souillé» du sang des peuples qu'ils ont subjugués , pressent jus(iu'aux mers les plus reculées ; mais ils sont es- claves dn l'ambition, avant que d'être maîtres de leurs ennemis. Personne ne leur résiste quand ils se présentent , comme ils n'ont point résisté à l'orgueil et 'a la cruauté , quand ils les ont atta- qués. Ils sont tourmentés dans le temps même qu'on les voit tourmenter les autres. Ce malheureux Alexaii !re était possédé d'une manie enragée de ruiner des peuples, el cette fu- reur le portait en des pa\s étrangers et en des terres inconnues. Croyez-vous que ce prince fût sage, lequel, apiès avoir saccagé la Grèce, où il avait appris le brigandage , ravit "a cha( un ce qu'il avait de meilleur, força Lacédémone de se sou- mettre , et Athènes de se taire. Non content delà ruine de tant de villes, que Thilippe avait prises ou achetées , il en alla détruire d'autres en d'au- tres pays , et porta ses armes par toute 'a terre , sa cruauté ne se pouvant assouviret faisant, comme une bêto farouche, plus de carnage qu'il n'en fal- lait pour contenter sa faim. 11 avait déj'a uni plu- sieurs royaumes ensemble. Les Grecs et les Perses n'avaient qu'un même maître; les sujets de Da- rius, devenus libres par sa mort, s'étaient soumis h son empire, et toutefois il veut forcer la nature et passer au del'a des mers el du soleil levant; fâché de borner ses conquêtes dans les traces que Hercule et que Bacchus avaient laissées de leurs victoires. Il veut courir parce qu'il ne peut s'ar- rêter, non plus qu'une pierre qui , jetée contre le sus oculos fuos deceperit fulgor? nihil cstistis, quanidiu mers;! et involuta cœno suo jacent , fœdius, nihil obscu- riiis. Quidni? quacdo per longissimorum cuniculoruiii terieliras extrahuntur, niliil est illis , duiii fiiiiil et a Uvce sua sepanmiur, informius. Deniqiie ipsos opiliccs iiitnere per quorum iiiiinus stérile lerra; genus et informe pcr- purgatur; videl>is, quanla fuligine ol)linantnr. Alqni isia raagis inquiuant aninios , quani corpora; el in possessore eorum , qiiam in artifice, | lus sordiuni est. IVeoessariiim itaqiie est adnioneri, cl hahcre al'quem advocatnin bona- mentis, et in tanto frciiiitu tiiniuhuque falsoruni uiiani denique audire voceni. Qu.e eril illa \ox 1 Ea scilicet, quœ tibi tamis damoribus anibiliosis exsur- dato, salubria insusurret verl)a; qufe dicat : « ÎSon est, quod invidcas islis , qiios niagnos felieesque populus voeal; non est, qnod tibi composiias mentis habituni et sanita- tem plausus excutiat; non est, quod tibi tranquilblalis tuœ fastidium faciat ille, sub illis fa>cil)us, purpura cul- tus; non est, quod feliciorem eum judices cui subniove- tur, quam te, quem lictor semita dejicit. Si vis exercere tibi utile, nuUi auteni grave impeiiuni, submove vilia. » Multi inveniuntur, qui igneni inférant urbibus, qui in- expugiiabilia sa-culis. et per aliquot aetales tula, proster- n;inl; qui a'qimni arcibns aggerem attollaDt, et luuros in niiram altiludinem educlos arieUbus ac machinis quas- sent; multi suni , qui ante se aganl agmina , et lergis hos- tiuni graves insteui, et ad mare magnum perfusi raede gen inm venicnt : sed hi quoque, ut Tiucerent bustem, cupidilate \icti sunt. Nerao ilbs venieniibus restilil; sed nec ipsi anibitioui cnidelitatique restiterant : tune, quu:n agere visi suni alios , agel)an:ur. ."Vgelial infelieeni Alexai:- drum furor alitua vaslaudi , et ad iguuta niitteb.it. Au iu I utas Siiuiiiu , qui a tiiaecia' primuni cladibusiaqua eru- diius est, incipit? qui , quod cuique oplinium est, cripil; Laceda;moiia servire jubct, Alhenas tac^re; non loii- lentus tôt civilatum stiage, qiias aut \icerat Philippus, ant emeral, alias alio loco projicit, et loto orbe arma circunifert ; nec subsistit usquani lassa crudelitas , inima- nium feraruiu modo , qua; plus , quam exigit famés , mor- dent? Jain in unuiu re^num muba régna cnnjecit, jaiii Graeci Persaque eunidem liment; jara eiiam a Dario li- bers nationes jugum accipiunt : il tameii ultra Oceanum solemque ; indignaîur ab Herculis Lilieriqne vcsligiis vic- toriam fleclere; ipsi natnra! vim parât. Non ille ire vull. ÉPITRES A LUCILIUS. 769 bas ne cesse d'aller jusqu'à ce qu'elle soit au fond. Ce ne fut ni la vertu ni la raison qui fit entrepren- dre b Pompée des guerres étrangères et domesti- ques; mais l'amour d'une fausse grandeur le porta tantôt en Espagne pour combattre Sertorius , tan- tôt sur la mer pour donner la chasse aux pirates. C'étaient l'a les prélexti's qu'il prenait pour se continuer le commandement. Que pensez-vous qui l'attirât en Afrique, au septentrion, contre Mitliri- date , en Arménie et dans tous les coins de l'Asie ? Une vaste ambition de s'élever, ne s' estimant pas assez grand , lorsque tout le monile s'élonnail de sa grandeur. Qu'est-ce qui causa le malheur de C. César, et en même temps celui de la république? La gloire, l'ambition, et un désir effréné d'être au-dessus de tous les autres, il ne put souffrir une seule personne devant lui , quoique Rome en souffrit deux au-dessus d'elle. Que dites-vous de C. Marius, qui ne fut consul ([u'une fois, car il usurpa les autres consulats? Vous iiiiaj;iiierfz-vous que ce fut par des motifs de vertu i|u'il s'engagea en tant de périls, lorsqu'il corabattail contre les Tentons et les Cimbres , on qu'il p mrsuivuii Ju- gurlha dans les déserts de rAfriquc? Marius con- daisait son armée, et l'ambition conduisait i^la- rius. Ces conquérants iroMbfaiciil t mi lemon supra c^itiTOi emincndi modus. Uniim aiite se fcrie ncn polnil, (jumu respiiblica supra se duos ferret. Quid, tu C. Mariuiii se- mel consulein (ununi en m consul ilimi .ircepit, cateros lapuit), qaum Teulonos Cimhrosjue conciileret , (juiirn Jagartbam per Afric^r déserta seqiterclur, Kit pencula putas appelisse Tirlutis instiuclu? Marius eserciluni , Ma- riuiii ambilio ducebat. Isti, quuni oninia conculiTent, concutiebantur, turbinum more, qui rapta couvolvunt, «ed ipsi ante volvuntur, et ob hoc majore impclu incnr- ruDt, quia nulluni illis «ni rcginicn est. Idcoqiic, quuni mtiltii fueruni mato, pesîif.ram illamTiin , qua pirrisqiic uocuerunt, ipsi quoqne senliunt. Non est, quod crcdas, queniquani fieri aliéna infelicilale felicem. Omnia ista exempta , <|Ufc ocnlis ati|ue auribus nosiris ingeruDtur, rele\enda sunt, et plénum nialis sernionibus pectus exliaurienduni. Inducenda in occupalum locuni virlus ; qns mendacia et contra verum placentia eislirpel, qua" nos a populo , (ui nimis credimiis, seporct, acsince- ris opinionibus reddat. Hoc est enini sapienlia, iii naiu- ram converti et eo restilui , unde pulillcus er.ror expn- lirit. M.ipna pars s^initatis est, horlatores insanix riti- quisse , et ei isto cœui in\iciiu noxio procut abiiise. Hoc ut isse vcriini scias, aspire, quanto aliler uiiusquisque populo vival , iiliter .vihi. Non est per se iiiagistra iuuo- centis soliludo, nec frugalitateni docent riira; sed ulii teslis ac speclator jibscesiil, vilia .Mibsidunt, quoniin raonstrari et con.spici fruclus est. Qiiis eain , quam nulli osleuderet, induit purpunmi? QiMsposuii secrelom inauro dapeni! Quis , siih aliciiju- arboii-s ruslicie projeclns uni- bra, luxuria; sua! pompiim soins explicuity N'emo oci.lis suis taulus est , ne pauconinuiuidcm et famlliuriuiii; sid apparalum viliuruni .«uoroiii pro niiido lui ba? speclantis expandit. Ha est : irii;:wiienliiin est omnium in (jUiT? iusa- niinus, ,ndmi;-:itoret cmirr-ii'. » rom il; i-r: nnisfllîcies, 49 770 SE NE QUE inirateurs de nos folles dépenses sont les sujets ([iii nous provoquent a les faire. Empêchez que nous ne les fassions voir, vous empêcherez que nous n'ayons envie de les faire; l'ambition, le luxe et l'orgueil ne demandent que le tlicàtre. Pour les guérir, il les faut cacher. Ainsi , si nous sommes engagés dans le tumulte des villes, ayons auprès de nous quelque personne qui nous conseillera, rt qui rabaissera l'estime que l'on fait des grandes possessions, pnr les louanges qu'il donnera a celui qui est riche de peu , et qui mesure le bien par la nécessilé de l'usage ; qui vantera le repos que l'on emploie "a l'étu.le et le plaisir (juil y a de se reti- rer dfs occupations étrangères pour s'attacher a son devoir, coulre l'opinion de ceux qui élèvent si haut le pouvoir des grands et la faveur du peuple; qui fera connaître que ces hommes , qui sont heu- reux au jugement du peuple, tremblent sur le faîte de leur grandeur qui les étonne , et qu'ils ont des sentiments de leur condition bien diffé- rents de ceux qu'en ont les autres. Car ce que l'on estime une élévation leur paraît un précipice qui les trouble et les effraie autant de fois qu'ils re- gardent la profondeur du lieu <|u'ils occupent. Comme ils considèrent les différentes manières dont ils peuvent tomber d'un poste si élevé , ce qu'ils avaient recherché avec tant de passion leur fait peur, et leur félicité , qui les rend incommo- des "a tout le monde, leur devient insupportable. C'est alors qu'ils estiment le rcp's et la liberté, qu'ils haïssent l'éclat, et qu'ils méditent leur re- traite tandis que leur prospérité dure encore. C'est alors qu'ils philosophent par crainte , et que, dans une fortune chancelante, ils prennent des résolu- tions assurées. Car il est certain que l'adversité rétablit la raison que la prospérilc nous avait Atée, comme si la bonne fortune et le bon sens étaient des choses incompatibles. EPITRE XCV. Que 1rs préceptes seuls , sans les maximes générales de la pliilosopliie ne peuvent rendre la vie lieurense. — La médecine a multiplié les remèdes à mesure que l'intem- pcrancc a multiplié les maladies. Vous désirez que j'exécute présentement ce que j'avais remis 'a un autre jour, et que je vous dise si cette partie de la philosophie qui concerne les préceptes, et laquelle les Grecs appellent n«/satv£- T(x>iv suffit pour la perfection de la sagesse. Je sais bien que vous ne seriez pas fâché quand je m'en ex- cuserais; mais je vous conlirmemapromessccncore plus efficacement, et je ne veux pas que la parole que je vous ai donnée demeure sans effet. Souve- nez-vous de ne plus demander ce que vous ne vou- drez p:is obtenir ; car nous demandons quelquefois avec empressement des choses que nous refuse- rions si elles nous élaicnt offertes. Que ce soit lé- gèreté ou flatterie, c'est de quoi on nous doit pu- nir en nous accordant notre demande. Quelque- fois nous faisons semblant de vouloir ce que nous I ne voulons pas. Un homme apportera une longue j histoire écrite en lettres menues, et pliée déliealc- I ment, lequel, après l'avoir lue presque entière, 1 dira : Je cesserai si vous voulez. On répond aussi- j lut. Lisez! lisez ! et ce sont des gens qui voudraient di'j'i qu'il se lût. ^■ous demandons aussi quelque- ! fois une chose, et nous en disons une autre. Nous ne disons pas même la vérité quand nous prions si ne ostcndaraus , effeceris. Anibitio , et luxuria , et ini- | potenlia , sccnam desidcrant ; .sanabis ista , si absconderis. Itaqiie, si in medio uibiiim fremilu collocali sinnus , stet : ad latus monilor, et conti-a laudaiores ingoniium patri- moiiiuruni laudet parvo divitem , et usu opes nietientem. Contra illos, ([ui graliani ac potcntiani aitolluiit, olium ipse suspiciat tradiluni litleris, et aiiiuium nb e\lernis ad sua rcversum. Ostcndal es constituiione vulgi beatos, in isto invidiosofastigiosuotrenientes et attouitos , longeque [ aliam de se opinioncni habentcs, qiiam ab aliis liabelur. Nam , quœ aliis excelsa vidcntur, ipsis prœiupta sunt. i Itaque exanimanlur, et trépidant, quoties despexerunt in 1 illud magnitudinis suïe i)ra?ceps. Cogitant enim varios ca- ; sus, et in sublinii maxime lubricos : lune appetita formi- dant, et, quœ illos graves aliis reddit, gravior ipsis feli- ; citas incubât : tune laiidant otium lene et sui juris; odio est fulgor, et fiiga a rébus adhucstanlibus qua?ritnr : tune dcuiuai ^i(lc.^s philosophantes nietu, et a?gra! forlunac sana consilia. ISani , quasi ista inter se contraria sint, bona fcirtuna, et mens bona; ila nielius in malis sapimus; ' •ecunda rectum aufenint. Valc. EPISTOLA XCV. SOLIS PB^CEPTIS VIBTeTEM NON GIGNI POSSE : NECESStUl ESSE DECBETl. Pelis a me , ut id , quod in diera suum diieram debere differri , representcm , et scriliam tibi , • an liaec pars philosophiae, quam Graeci ^a^jaivfrcioiv Tocant , nos prae- ceptivam dicinms, satis sit ad consummandam sapien- tiam. n — Scio te in bouam partem acceplurum , si ncga- vcro. Eo magis promitto , et \erbum publicum perire non patior : « Postea noli rogare , quod impetrare noiueris. • Interduui enim obnixe pctimus id, quod recosaremus, si quis (ifferret. Ha?c sivc levitas csl , sive vernilitas , pn- nienda est promittendi facilitate. Multa videri ïolumus Telle, sed noiumus. Kecitalor historiamiugentem attulit, minutissime scriptam, arctissime plicalam, et. magna p;ir!e perlecla : «Desinam, inquit, si Tultis. » Acclama- tur : « Recila, recili! • ab bis, qui illum obmutescerc illico ciipiunt. Saepe aliud volumus , aliud optamus , et veruui ne diis quideni dicimus r sed dii aut non exau- ÉPITllKS A LUCILIUS. 771 les dieux , aussi ne nous c^auconl-ils pas, et ils ont pilic de noire faiblesse. Pour moi , je n'en au- rai point à voire égard , et je me veux venger de vous par une longue lettre , laquelle si vous lisez à regret, dites en vous-niêmes :Jc me suis atlirc cet ennui. Comparez-vous à ces maris qui épou- sent , après une longue recherche, des femmes qui les font enrager ; à ces avares, qui sont tourmentés par les richesses qu'ils ont amassées avec beau- coup de peine; à ces ambitieux , que les honneurs acquis par leur industrie fatiguent par mille im- ix)rtunités , et à ceux enfln qui se font les auteurs de leurs propres disgrâces. Mais, pour commencer sans d'autre préam- bule : La vie heureuse, disent-ils, consiste dans les actions vertueuses. Or, les préceptes conduisent aux actions vertueuses. Ils suffisent donc pour ren- dre la vie heureuse. Toutefois, ces préceptes ne conduisent pas toujours aux actions vertueuses, mais seulement lorsque l'esprit est docile et qu'il n'est point prévenu de mauvaises opinions. De plus , quoique l'on fasse bien , on ne sait pas pré- cist'ment que l'on fait bien; car, si Ven n'est de longue main instruit et dressé par la raison , on ue saurait observer toutes les circonstances néces- saires, et connaître en quel temps, avec qui et comment on doit agir. C'est pourquoi l'on ne se porte pas aux choses honnêtes d'une volonté ab- solue et invariable, mais Ton regarde autour de soi, et l'on hésite. Si les actions honnêtes, disent- ils, viennent des préceptes , les préceptes sufdsent pour rendre la vie heureuse. Or, l'un est vrai ; l'autre, par conséquent, l'est aussi. Nous répon- dons que les actions honnêtes procèdent des maxi- mes générales aussi bien que des préceptes. Ils ré- pliquent : Si les autres :iris se contentent de leurs préceptes, la sagesse se doit aussi eonleiiler des siens, car elle est l'art qui condnit la vie. Or, est-il que l'on fait un pilote en lui disant : Remue ainsi le gouvernail, abaisse ainsi la voile, prends de celte façon le bon vent, évite, de celle-ci, le vent contraire, reçois-le ainsi quand il n'est ni contraire ni favorable? Les préceptes forment do même les autres artisans. Pourquoi donc ceux qui enseignent l'art de bien vivre ne feront-ils pas la , même chose? — Tous ces arts ne s'appliquent qu'à certains instruments qui servent à la vie, et non pas h toute la vie en général. De l;i vient que di- vers accidents les peuvent retarder, coninic l'es- pérance, le désir et la crainte. Mais l'art qui fait profession de conduire la vie ne peut être diverti de son exercice ]!Our (jnelque chose qui arrive, puisqu'il sait lever les difliculiés et détourner tous les obstacles. Votdez-vous voir comme cet art est différent de tous les autres? Dans les autres on excuse pins aisément une faute qui se fait volon- tairement, que si c'était par hasard; en celui-ci c'est un grand crime quedc faillir volontairement: comme, par exem|ile , un grammairien n'aura pas honte de faire un solécisme, s'il le fait dedes- .sein formé ; il en rougira, s'il le fait par ignorance. Lu médei ingontem epislolam inipincani ; '|iiam ta si infitus lc|;rs, diciio : Ego niibi boc ronlravi ! lequc ioter illo» numera , quos tnor, magno diicl.n ambitii , tnr- quet; inter illo.^, qiiDs dititiac.per summum acqui>it» sudorem . maie liul)rnt ; inter lllos , quos honores . null.i non arle atqae opéra petili , discruciant ; et ca'tcros nialo- rum «lorum cuinpolcs. Sed ut , omiiH) principio, rem ipsam aggrediar : • Beala, inquiunt, vita constat ex aciionihus redis; ad actioncs recias pra'cepla perducimt : erRo ad beataui vi- tam pra'cepla sufficlunt. • — Nonsemper ad aciiones rec- tas prafcepla perducunt , »ed quum obsequeiis inpenium esl : aliquaodo rru>lr.i admovqutur, si aniniiim opinionos obsident prava-. Deioile, eliam >i recte faciunt, nesciunt facerc se recte. Non jiotest enim qiiisquam , nisi ab initio formatus et Iota ralione compositus, omncs cisequi nu- méros, ut sciai, quando oporleal, et in quantum, et cum quo , et queniadmodum. Qaare non potcst totu animo ad honcsla conari, ne ronstanler quidem, aut lit)cnler; ■ed rcspiciit, sed lia>silabil. — • Si hooesla, inquit, actio ei pra-ceptis venit, ad healam »ilam praecepla abnnda sunt : alqui est illud : crgo et hoc. • — Ilis respondemus : acliunes honestas et pra-ceptis lieri, non tantum praeceptis. « Si alla; , inquit , arles contenla' sunt pra-ceplis , eon- tenla erit et sapientia; nani et ha'c ars vit» est. Atqni gubernatorem facit ille, qui pra?cipit : Sic niove guber- naculum, sic vcta submilte, sic secumlo vente utere, sic adverso résiste, sic dubium comuiunemque tibi vindica. Alios quoquc arlilices pra'Cepta confirmant : ergo in hoc idem polerunt arlifices vivendi. » — Omnes isla; artes circa instrumenla vita- occupnla; sont, non circa totam Tilaiii. Ilaque niulla illas inliibent e\sirinsccus , et ini- pediunt ; spes, cupiditas, timor. At hîPC, qua; arleni ïila' professa est. nulla re , (juo minus se cierceat , velaii potest ; discuiit enini impedimenta , et tractât obslanti:i. Vis scire qnam dissimilis sit aliiirum artium condilio, et hujus? In illis cicusatius esl, volunlate pcccare, quam casu ; in bac, niaxima culpa est, sponle dclinqucre. Quod dico, taie est. C.raminaticus non ernbescet sotnccisnn) , si sciens fecil; erubescel, si ncsciens. Medicus; si dcficere a-gnim non intcllisit, quantum ad arlcin majiis pec(al, quam si se inlelliRerc dissimulai. At in bac arle Vivendi , turpior TOienliiim rnliia e-l. AJjico unnc, (|Uod nrles il). 772 ■ SENÈQCE. gles générales. C'est pourquoi, dans la médecine, il y a une secte d'Hippocraie, une aulrc d'Asdé- j.iade, ctencoreuneautredeTliéinison. D'ailleurs, il n'y a point de science conteinpialive sans maxi- mes générales, que les Grecs appellent lo-uxu-c et nous axiomes, comme l'on en trouve dans la géo- métrie cl dans l'astronomie. Or, la philosophie est coiilcmplalive cl active, elle passe de la spé- tiilalion à l'aclion ; et vous vous trumpez si vous croyez qu'elle ne propose que des occupalions vul- gaires. Klle aspire bien plus liant. J'ex.imine, dil- clle, tout le monde; je ne puis m'arrûicr dans la ioinpa|;nie des hommes pour les persuader ou dis- suader par mes conseils. Je suis appelée "a des choses plus (jrandes et plus relevées. ; J'exaiiiine d'ahord les dieuï , le.s éléments ; Coinbicu grands sont les deux, quels SdUt leurs moiive- D'oii la niitiire f lit et nourrit toutes clii SIS; [nieiils; Leur Hu et leur retour, et leurs niétaïuorphoses, comme dit Lucrèce. Il s'ensuit donc que la philo- sophie , étaut contemplative , doit avoir ses maxi- mes générales. Mais quoi! Ne sail-on pas que personne ne fera jamais l)ien les choses , s'il n'est instruit par la raison "a remplir parfailemenl tous ses devoirs , ce qui n'arrivera pas à un hoinme qui n'a pour conduite que les préceptes qu'il a reçus : car ce qui se donne par parcelles est toujours fai- ble, et, pour ainsi dire, ne saurait prendre ra- cine. Mais les maximes établissent et conservent notre tranquillité ; elles embrassent toute la vie et la nature de toutes choses. 11 y a la même diffé- rence entre les maximes et les préceptes de la phi- losophie qu'entre les éléments et les corps. Le» corps dépendent des éléments, et les éléments sont la cause eflicienle des corps et de toute autre chose. La sagesse des anciens , dit-on , enseignait seulement ce qu'il fallait faire ou ne pas faire , et les hommes alors étaient beaucoup meilleurs ; car depuis qu'ils sont devenus savants, ils ont cessé d'être bons, leur vertu simple et ingénue s'étant changée en une science obscure et subtile, qui apprend "a di.-pnter plutôt qn"a bien vivfe. J'avoue, comme vous le dites , que cette sagesse des anciens fut, au commencement, rude et grossière, ainsi ijUe tons les aiilres arts qui se sont polis et subti- lisés par succession de temps; mais, comme le vice n'était pas monté si haut, et ne s'était pas étendu si largement , il n'était pas encore besoin de puis- sants remi'des. Un petit remède pouvait guérir de petits défauts: mais il faut maintenant que les |)réservalifs suient d'autant plus forts que la con- tagion du mal est plus dangereuse. La médecine, autrefois, ne consistait qu'en la connaissance de quelques herbes propres pour arrêter le sang, ou pour consolider les plaies; elle est venue ensuite à celte multiplicité de remodes que nous avons. 11 ne faut pas s'étonner si elle avait moins d'occu- pations lorsque les corps étaient encore fermes et robustes, etqu'ilsétaient nourris de viandes com- munes, sans arliGce ni dé^uiseaients ; mais, de- puis qu'on les est allé chercher plutôt pour irriter l'appétit que pour le conlenter, on a inventé en même temps une inDnité de sauces pour exciter la gourmandise; de sorte que ce qui servait autrefois quociue plerapqne, iino ex omnibus liberjlissima; , ha- l)ent décréta sua, non tantuin pra-cepla, sicut medicina. Jtaque ;dia est Hippocratis secta, alla Asclepiadis, alla Themisoiiis. l'rœterea nulla ars conteniplativa sine de- crelis suis est, qua; Gra'ci vocant «y/ioret, nobis vel dé- créta licet appeltare, vel sciia, vel placita ; cjua; in geo- raetria ( t in aslrononiia invenies. Philosopliia autem et contemplativa est, et activa; spécial simul ,agilque. Erras enim ,si illmi putastanlum terrestres opéras proinitiere; allius spirat. Totuni , inquit , mundimi scrntor, nec nie intia conlubcrnium morlale contineo , siiadere vobis , ac dissuadcic coutenla; magna me vocant, supraque vus posita : >am lilii de sninma caeli ratione, Deumqiie, Disserere incipiam, et rerum piimoidia pandam; Unde omuis nalura creet res , aiiclet , alatqne , yuoqiie eadcm rursus nalura perenipta resolvat, lit ait Lucrclius. Scquilur ergo, ut, (|uum contcmplativa sit, habeat décréta sua. Quid ? quod lacieuda quoque ne- mo rite obibit, nisi is , cui ratio crit Iradila , qua in qua- (jue re omnes oflicioruin numéros cxsequi possit ; quos non servabit, qui iu rera prœcepla acceperit, non in nmue. Iniliecillasunlpor se, et,utitadicain,sineradice, qua' partibus daiitur. Decrela sont, qua; muniant, quae sccuritatem nostram lranquillita!cnique tueaalur, qus lotam vitam, totamquc rerum naturam siniul coDlineanL Hoc iulerest in'.cr décréta pliilosopUia; et pra-cepla , quod inter elementa , el meiiibra : h:ec ei iliis depcodeut; illa et hcruui causa; sunt et omnium. « Antiqua, inquit , sapientia n.hilaliud, qaam facieoda ac vitauda, pra'cepit; et tune longe meliores erant \iri : postquam docii prodierunt, boni desunt. Simplei enim illa et aperla virtus iu < bscuram el siilerlem scientiain versa est, doceniurque disputare, n m viiere. » — Fuit sinedubio, ut diciiis, vêtus illa sapientia, quum maxime nasceus, rudis; non minus, quam ca>ters artes, quarum iu processu subtilitas creyil. Sed ne o).us quidem adbuc erat remediis dil:geutibus. ISondum in tautum nequitia surrexerat, nec tam laie sesparserat : poterant vitiis sim- plicibus obstare remédia simplicia. Nunc necesse est tanto operobiora esse munimeola , quanto valentiora suot quibus peiimur. Medicina quundam paucaruui fuit scien- lia herbarum , quibus sisterelur Huens sanguis, vulnera coirent : paulalim deinde in hanc pervenit tam muliipli cem varietateni. ÎNec est mirum , tune illam minus nego- tii habuisse , liimis adbuc solidisque corporibus, et facili cibo , nec per arlcm xoluptatenique corrupto : qui posl- quam cœpit non ad tolleodani , sed ad irritandam ramem ÉPIÏRES A LUCILIUS. 773 de nourriture à des gens arriim's n'est plus a présent qu'une cLarge à des cslojiiacs s<"'g«s et remplis. De là procède la pâleur du visage, le tremblement des nerfs affaiblis i)ar le vin, et la maigreur de tout le corps que les crudités rendent plus difficile à rétablir que ne ferait la faim. De là vient aussi la débilite des pieds , un cliancelle- raent perpétuel qui ressemble à la marche des ivrognes, des fluxions universelles, et des enflures d'estomac pour l'avoir chargé de plus qu'il ne peut porter. Delà naissent encore des effusions de bile, la couleur jaunâtre, la sécheresse des membres, l'endurcissement des jointures, le retirement des doigts, l'engourdissement et le tressaillement des nerfs. Oue dirai-je des élounlis'cnienls et des ver- liges , des incommodités qui arrivent aux yeux et aux oreilles, et des ulcères qui se forment dans toutes les parties qui servent à la décharge du corps? Combien de lièvres de diverses sortes, les unes violentes, les autres languides, et les autres qui causent uu frisson et un tremblement horrible de tous les membres! liiifin, il serait difficile de rap|)orler toutes les malarielale, tilubatio; inde in lotam culem humer adrais^us , distcntusque venter, dum mate assuescit plus capere, quam pulerat; inde sulTusio lurida; bilis, et de- color viillus, tabesquc in se putresconliuni , et retorridi digili ar:iculis ol)rige$centibuj, nervorunique sine sensu jacentium lorpor, aut palpiiatio corpomm sine iutermis- «ione vitirantium. Quid capltis TerliKiucsdicam? Quid oculorimi auriumque lormenta, et cerebri eiaestuantis verniinalion»s; et onmia , per quae evoueramur, internis ulceribus af'ecta? lanumerabilia prsterea febrium gê- nera , aliarum impe.u sxvieDtium , atiarum tenu! peste repentium , aliarum cum horrore et multa menibrorum quaisatione venienliuni? Quid alios referam innumera- biles raorbos, supplicia luiuriae? Immnncs crant al) istis maiis , qui nondum se deliciis sotvcrant , qui sibi inipera- bant, sil>i minlstrabant. Corpura opère ac vero laborc durabant, aut cursu defaUgati, aut vcnatu, ant tellure *ertata. E«cipiel)at illos cibus. qui, niai csurientilms , placerc non posset. Ilaque nibil opiis eiat taiii m;;gna niciiicorum supellcclilc , iicc toi fcrranienlis, alque pyii- dil>us. Siuipli'X crat ex causa simplici valetudo; niuU(i.s niorbos mutta fercuta fecerunt. Vide, quantum rcnim perunam pulam Irmsituranim permisceat luxnna, ter- rarum marisque vastatrix ! !Veces^ep^t itaque interset 'm diversa dissideant, et housta mate digeranlui-, aliis alio nilentibus. ISec mirum , quod inconstans variusqiie ex discordi cibomorbus c^t, elillaex contrariis nalu-a- par tilms in cumdem compulsa redundant. Inde tain nmilo œgrotamus génère , quam vivimii»-. 'M.ixinius illc mcdico- rum ,et hujns scienliascondilor, « TcMniiiis neccapillosde- Uuere, dixit , nec pedcs laborare. • Aiqui et capillis desli- tuuntur, et pedibus œgras sunt. Non mutata fcuiiiiaruui natura , sed vila est : nam quum viroruui liceiiliam xqua- verint, corporum quoque viriliiim inci)mmi)da œqiia- runt. Non minus pcrvigilant, non minus polant, cl olcQ et mero vires provoiaml; aeque invilis injjesta viscerilHis per os reddunt, et vinum onme vomitu rcnieiiunlnr; «"que nivem rodunl, solatium .^tomachi ajsluantis. Libi- dini ïcro ne maribus quidem cednnt : pati nala" ( dii ill,is deaeque maie perdant I ) adco pervcrsnm commenta.' gc- nus impudicitiae, viios ineunt. Quid crgo miraDdum est. l'ordre de la ualure. N est-il pas cloonanl que le plus grand mcdecio du monde et le plus versé dans les connaissances de la nature se trouve men- teur, y ayant aujourd'hui tant de femmes gout- teuses et chauves? Elles ont perdu, par leur dé- bauche, le privilège de leur sexe; et, parce qu'elles ont quitté la retenue des femmes, elles sont devenues sujettes aux maladies des hommes. Les médecins, autrefois, ne donnaient pas si sou- vent de la viande et du vin pour fortifier le pouls. Us ne savaient pas vider le mauvais sang et guérir une longue maladie par les bains ou parles sueurs. Us ne faisaient point de ligatures aux bras et aux jambes pour attirer aux extrémités la force du mal, qui était enfermée au-dedans. 11 ne fallait pas se mettre en peine de tant de sortes de re- mèdes, y ayant si peu de maladies. Mais, aujour- d'hui, combien de maux et d'indispositions! C'est l'inlérêt que nous payons de tous les plaisirs que nous avons pris avec excès et sans raison. Vous étonnez-vous qu'il y ait tant de maladies? comp- tez combien vous avez de cuisiniers. Toutes sortes d'études cessent. Les professeurs des arts libéraux n'ont que fort peu d'auditeurs : les écoles de rhé- torique et de philosophie sont presque vides; mais les cuisines de ces prodigues sont bien remplies. Combien y voyez-vous de jeunes gens occupés? Je ne parle point de ces malheureux esclaves , réser- vés pour la chambre a d'autres emplois, quand le festin est achevé. Je ne dis rien de ces troupeaux de jeunes garçons, rangés suivant leur pays et leur teint, afin qu'on les trouve également frais, que leur premier poil soit tout pareil, que leurs cheveux se ressemblent, el que les frisés ne se bÉNÈQUE. mêlent point avec ceux qui ne le sont pas. Je passe sous silence tous ces boulangers et pâtissiers , et ces ofûciers qui servent sur table aussitôt que le signal en est donné. Bons dieux ! combien de gens sont occupés pour le ventre d'un seul homme 1 Ne croyez-vous pas que ces champignons, que j'appelle un poison délicieux, engendrent des in- commodités secrètes, quoique leur malignité n'é- clate point sur l'heure? Ne croyez-vous pas qu'en été la neige dessèche et durcisse le foie? Pensez- vous que les huîtres, dont la chair est baveuse et nourrie de fange, ne nous laissent pas quelque pesanleur ? Que cette sauce si rare, appelée garum, qui se fait du sang pourri de quelques méchants poissons, ne blesse point les entrailles par son acrimonie salée. Estimez-vous que cette corrup- tion , que l'on avale toute brûlante, se puisse étein- dre dans l'estomac sans lui faire mal? (Juel dé- goût n'a-t-on pas de soi-même lorsque les crudités et les indigestions reviennent à la bouche! Car il faut que vous sachiez que ces sortes d'aliments se pourrissent et ne se digèrent point. Cela me fait souvenir du platsi fameux d'Ésope, où ce prodigue, qui courait à sa ruine, avait rais tout ce que les plus dépensiers et les plus splen- didcs avaient coutume de manger en un jour. Il y avait des nacres, des surmulets désosses, avec quantité d'huîtresentrecoupéesdecancres marins. On se lasse de manger chaque viande 'a part; on veut confondre tous les goûts ensemble, el faire sur la lable ce qui se doit faire dans l'estomac; nous verrons bientôt que l'on servira les viandes toutes mâchées. N'est-ce pas déjà quelque chose qui en approche qu'un cuisinier ôle les écailles et maMimimi medicorum , ac natuicB perilissimuin , in men- (tacio preniti, quum tôt feniiucBpodagricaccalTa'que sint? Beneficium sexus suis viliis perdidcrunt ; et, quia lenii- uani exuerunt , danmata' sunt niorbis virilibus. Anliqui niedici nesciebant dare cihuni sa'pius, et vino fulcire ve- nas cadentes; nesciebant sanguinem niittere , et diutiuam .Tgrotaliouem l)alneo sudoril)usque laxare; nesciebant, crurum vinculo l)rachiorum(|ue , latentem virn , et in me- dio sedentem, ad extrenia revocaic. Non erat necesse, «•ircumspicerc niulta auxilionim geneia, quum csseiit periculoriini paucissinia. jXunc vero quain longe proces- seruntmala valeludinis? Has usuras voluptalum pendi- mus, ultra modum fasque concnpitaruni. Innumerabiles esse morbos non niiraberis; coquos nuniera. Cessai onine studium; et liberalia profcssi, sine ulla frequentia , de- sertis angulis pra-sident. In rhetorum ac pbilosophorum scholis soliludo est;atquamcelel)i-esculina;sunll Quanta eirca nepotum focos juveutus preniil I Transeo puerorum •iifeliciuiii gregcs, quos, post transacla convivia, aliœ rubiciiii conlunieliae cxspectant. Transeo agniina exoleto- I ii^ii . per natiooes coloresque descripta , ut eadem om- uij'iis levilas sit , eadem priinœ niensura lauuginis, ea- dem species capillorum; ne quis, oui rectior est coma, crispulis misceatur. Transeo pistorum turbam , transeo niinistratoruni , per quos signo dato ad infercndam coDuani discuiritur. Dii boni , quentuni honiinuiii unus Tenter exerce t! Quid? tu illos bolelos , vnlupiarium veuenuni, nibil occulti operis judic;îs facere , elijui si pra'sentanei non fuerunl? Quid tu iliani a?slivani uiTcni non putas ralluni jecinoribus obducere ? Quid ? illa ostrea , ineriissimam carnera cœuo saginalam , nihil exisiimas limosa; gravitatis inferrc ? Quid ? illud So- ciorum garum , pretiosam malorum pisciuni saniem . non credis urere salsa tabe prapcordia ? Quid illa purulenta , et quaî tanlum non es ipso igné in os transferimtur, ju- dicas sine noia in ipsis visceribus exstiugui? Quani ftKdi itaque pestilentesque ructus sunt ! Quantum fastidium sui, cxbalantibus crapulam veterem 1 Scias putrescere sumpta, non concoqui. Memini fuisse qnondam in sermone nobi- lem patinnm , in quani , quidquid apud lautos solet diem ducere, properansin damaum suum popina congesserat: veneriae spoodilique , et ostrea eatenus circumcisa , qna eduntur, intervenientibus distinguebanlurechinis; tolam destricti sine uUis ossibus muUi constraveraut. Piget jact EPITKES A LUCILIUS. 775 les os, el qu'il ne laisse rien a faire aux dents? Ce serait irop de peine d'aller goûter de tous les plats, qu'on met tout ensemble dans un bassin et "a une même sauce. Pourquoi porterais-je la main sur une seule chose? J'aime mieux qu'il y en ait plu- sieurs ensemble, et que ce qu'on pourrait diviser en plusieurs mets se trouve uni et ramassé en un seul. Ceux qui disent que ces profusions se font par vanité el pour acquérir de la réputation doi- vent savoir qu'on se soucie moins de la montre et de l'apparence que de l'estime des connaisseurs qui savent ce que les choses valent. On met en- semble et 'a une même sauce tout ce qu'on servait autrefois séparément. On mêle et on cuit les huî- tres avec des cancres de mer, et les nacres avec des surmulets, et tout cela est confus et brouillé comme les matières qui se rendent par le vomis- sement. De toutes ces viandes, ainsi mélangées, il naît une infinité de maladies différentes et com- pliquées , contre lesquelles la médecine a été obli- gée de s'armer par plusieurs sortes de remèdes cl de régimes. J'en dis de même à l'égard de la phi- losophie. Elle était autrefois plus simple, lorsque les vices étaient plus légers el plus faciles à guérir. Mais, aujourd'hui, il faut qu'cilecmploie toutes ses forces contre un renversement si général de toute la morale. Encore si l'on pouvait chasser lo mal par ce remède. Mais les crimes ne sont plus par- ticuliers, ils sont devenus publics. I.'ou punit le meurtre qu'un homme fait ; el qiic dira-t-on des guerres et de ces massacres que nous appelons glorieux parce qu'ils détruisent des nations en- tières? Il est vrai que l'avarice el la ciuautén'ont point de bornes ; mais elles sont moins pernicieuses et moins barbares quand elles s'exercent comme à la dérobée par les mains de quelques particu- liers. On commet des crimes par arrêt du sénat et par ordonnance du peuple, et l'on commande au public ce que l'on défend aux particuliers. Ce qui serait puni de înort étant fait en secret, reçoit des louangos quand il est fait aux yeux de tout le monde. N'esl-il pas honteux que les hommes, dont le naturel a été créé si doux , se plaisent à verser le sang les uns des autres; qu'ils entreprennent des guerres et les transmettent a leurs successeurs) vu que les animaux vivent en paix , quoique sau- vages el destitués de raison ? Ces débordements si puissants et si étendus ont rendu la philosophie plus longue et plus diflicilc, et l'ont obligoo de ra- masser autant de force qu'il en était venu "a ses ennemis, il était aisé de reprendre ceux qui bu- vaient un peu trop , ou qui ciicrchaient les viandes délicates. Il n'y avait pas grand peine "a remettre dans la sobriété des gens qui ne s'en étaient guère écartés. Maintenant, pour ctiasser le mal qui nous oppresse, 11 nous faut employer la force avec l'adresse. On cherche la volupté de toutes parts; il n'y a point de vice qui se contienne dans ses bornes. La profusion se convertit en avarice; on a oublié l'honnêteté naturelle; on no trouve rien de hon- teux pourvu qu'il soit utile. L'homme qui porte le caractère de la vérité , riiomino , dis-je, est main- tenant égorgé par le plaisir cl par le divertisse- ment : autrefois on se faisait scrupule de l'instruire à attaquer et à se défendre ; mais aujourd'hui on «se siDgiila; coguiiliir in unuiii sapores; in cœna fit, quod fieri débet salure in ventre : cispecto jain ut nian dacata poriantur. Quantulo autcm boc minus est, testas eicerpere ati|uc ossa, et deotiuni opéra co<|uiini fungi? Grave est lusuriari persiogula : omnia senul, et in eum- dem sapnrern versa , ponanlur. Quare ego ad iinaiii roui maoum porrigani? plura veuiant siuiul; mutturum fer- culiiruni oruamcnta coeant d cohaTeant. Sciant prolinus bi , qui jactationem ex istis peti et );l.>ri un aiebant, non ostendi ista, scd tonscienliit dari. l'ariler sint, qiia- dis- poni soient, uno jure pcrfusa : niliil iiilcrsit : ostrea, ecbini , spondyli , mulli, perturbât! concuclique pouaii- tur. — Non esset confasior vomentium cibus. Quiimodo ista perpleia tunt, sir ex istis aon sin);ulares niorbi iias- cuatur, sed ineiplicabiles, divers!, iimiti formes : adver- sus quos et medicina armare secœpit multigeneribus ob- serrationibus. Idem tibi de pbilosophia dico. Fuit aliquando simpli- cior inter minora peccanlcs , et levi quocpie cura remedia- biles : adversus tantara niorum eversionem omnia eo- nanda suDl. Et utinam sic denique loes ista vindicetur! Kooprivatim solum, ted publiée furimus, Hondo Iioua. Qiicniadniodum piimuni miliiiae ïinciiliini est religio, et signoi-uin amor, et dcsc- rendi nefjs; lune deintc f.icile cetera exiguntnr nian- danturque jusjurandHm adaclis : ita iu liis , quos Telis ad beatara vitam perduceie, prima fundamenta jacieuda sunt.et insiimanda virtus. Hujus quadam superstitions tencantur ; banc ament; cum liac vivere velint, sine hac noliut. Quid ergo! non quidam sine iDftitutione snbtili erase- runt prol)i, magnosquc profeclus asseeiili sont, dum nudis lantuMi pracepiis oljscquuntur? — Fateor : sed felis illis ingenium fuit, et salutaria in Iransitu rapnit. Nam, ut Jii immnrtales nullani didicere rirtutem, cumomniediti. et pars naturae coriun est , bonos esse; ita quidam ei ho- minibus, egregiam sortit! indolem , in ea , qua; tradi so- ient, perveniunt sine longo nugisterio; et tionesta com- pleïi sunt, quum primum audicre; unde islatam rapa- cia virtutis ingénia , vel es se fertilia. At illis aut hebelibus et obtusis.aut mala cnnsueludine obsessis, diu rubigo animoruni effricanda est. Ca?tf rum , ut iUos in bonnm pronos citius educil ad snmma , et hos imbfcUliores adju- vabit, malisque opinionibuseslratiet, qui illis philosopbia: placita tradiderit; quae quam siot neccssaria , sciticet vi- deas. Quïdam insideut nobis, quai nos ad alla pigros, ad alla temeraiios faciunl. Nec ba;c audacia rcprimi po- test, nec illa inertia snscitari, n'si causas eorum extoian- lur , falsa admiratio , et falsa formido. Ilaec nos quamdiu possident, dicas licet : • Hoc patri prîestare debes, hoc lit)eris, hoc amicis, hoc hospitibus. » Tentantcm avari- tia retinebit : sciet pro patria pugnandum esse; dissuade- bit linior : sciet pro amicis desudandum esse ad eitre- nium usque sudorem ; sed delicicE vetabuut ; sciet in uio- rem gra\issimum esse genus injuria; pellicem; sed illun» libido in contraria impingit. Nihil ergo proderit dare prip- cepla nisi prius amoveris obstantia prœceplis; non magis. qiiam proderit arma in conspeclu posuisse propiusqu* ÉPITRES A LUCILIUS. 77T cntioD , aussi liien que Je présenter ou mettre des armes auprès d'une porsomie qui ne voudrait pas y porter les mains pour s'en servir. Il faut donc mettre l'âme en tilierlé, avaut que de lui donner des préceptes. Supposons qu'nn homme fasse ce qu'il doit . il ne le fera pas toujours, et ne le fera pas également, parce qu'il ne soit pas pourquoi il le fait; il pourra faire tyielquo chose de bien par hasard ou par routine, mais il n'aura pas la règle ca main [tour dresser son action et pour savoir si elle est droite. Celui qui n'est bon que par hasard ne peut pas répondre qu'il le sera toujours. De plus, les préceptes vous apprendront peut-êlre à faire ce que vous devez, mais non pas à le faire comme vous le devez , sans quoi ils ne sauraient vous conduire à la vertu. Vous direz : Je fais ce que je dois. Je laccorde; mais c'est peu de chose , parce que le mérite n'est pas tant en l'action qu'eu la manière de la faire. Qu'y a-l-il de plus criminel que de manger en un repas le revenu d'une année d'un chevalier romain? Qu'y a-t-il qui mcrile davantage la ré- pcéheusiou du censeur que ces folles dépenses que l'on donne, comme parlent ces débauchés, h son inclination et 'a son plaisir? Cependant il y a de bons ménagers qui ont mis cinquante mille écusen un festin fait en I honneur des dieux. Ainsi l'on voit qu'une même dépense est condamnée quand elle est faite pour le plaisir, el n'est point blâmée quand elle est faite par raison. Car, en ces occa- sions, on considère plus un légitime sujet de dé- pense que le plaisir de la bonne chère. On avait envoyé à Tibère un surmulet d'une prodigieuse grandeur ( pourquoi ne dirais-je pas combien il pesait, afm d'en donner envie aux gourmands?) on dit qu'il pesait cinquante livres : il commanda (ju'on le portât vendre au marché. Mes amis, dit- il, je suis le plus trompé du monde si Apicinsou Octuviiis n'aelièlent ce poisson. La chose réussir, au-del'a de ce qu'il en avnit espéré; ils le mar- chandèrent, et encliéririMil l'un sur l'aHlrc. Oct;i. vius l'omporla, et fut loué de ses compaijnons , pour avoir acheté (|ualre cenis livres un poisson que César avait fait vendre, et qu'Apicius n'avait ose acheter. Cette dépense était honteuse en la^ personne d'Oclavins; elle ne l'était pas an regard de celui qui avait prcmieicmeni acheté le poisson pour l'envoyer à César. Je ne voudrais pas pour- tant le disculper, mais cnUn il l'avait trouvé si be.iU qu'il l'avait jugé digne d'être présente à l'empereur. Si quelqu'un demeure auprès de son ami malade, je le loue; mais s'il fait cela pour l'espérance de quelque legs, c'est un vautour qui atlend la charogne. Une même action est tantôt honnête et tantôt deshonnête; il faut voir pourquoi et comment elle a été faite. Or, toutes choses se feront avec approbation, si nousnousat- tachoiis à l'honnêleté, et que nous croyons qu'il n'y a point d'autre bien dans le monde. Tout le reste n'est bien que pour un jour; il faut donc embrasser une opinion ou un sentiment qui re- garde toute la vie : et c'est ce que j'appelle maxime. Tel que sera ce sentiment, telles seront aussi les pensées et les actions, et par conséquent toute la vie. Quand on veut régler le temps on ne s'arrête guère aux parties. Al. Brutus, dans le livre qu'il a intitulé (/e« Z)e- t»OH'«, donne quantité de préceptes aux pères, aux admovisse, uisi luarae manua eipediuntur. Ut ad pra;- cepta, qua daious, possitanimusire , solvendus c.tt. Pu- temus aliquem facere qtiod oportet ; noQ facicl asjidiie, Doafaciet «equaliler: Dc&cieteuiinquareraciat. Aiiqua Tel casu. Tel eiercitatione , ciiliuot recla; ted non crit in manu régula, ad quain ciig;iiilur, cui credat , ncla esse quae fecit. Mon proaiittet se talem la perpetuum, qui casu bonus est. Ueinde , prsstabuDt tibi fortasse prxcrpta , ut quod oportet facias ; non prseslnbunt ut , queiuaiJnioduni opor- tet : et , si boc non praestant , ad virtutein non pcniucunt. Faciet quod oportet monitus ; concedo : sed id paruni est, quoniam qoidem non in facto laus e>t , sed in eo , queni- adinodum Gat. Quid est cœna sumptuosa flagiliosius, cl cqueslreni ccnsutn consunjente? Qud tain dignum ccn- loria no:a , si quis, ut isti ganeoues loquuntur, sibi hoc et genio suo pra-stet? et loties tamen sestcrtio adilialis cœnx frugalissiinis Tiris constlterudt. Eadem res , si gula; datur, turpisest; si baoori,reprcbensionpmefrugit. Non eaini luiuiia , sed impensa solcinnis est. Mulluin ingcnlis formie (quare auteni non pondus adjicio, tt aliquoruui giilam irrilo? qnaluor pondo et ad selibrani fuisse aie - bant) Tiberius Capsar, missum sibi , quum in macellum deferri et venire jussisset : « Aniici , inquit , omnia me fallunt , nisi istum inulluni aut Apicius enierit , aut P. Oc- tavius. Il Ultra spr m illi conjectura processit : licilali sunt; vieil Oclavius, et ingentcni consoculus est inler suos gln- riain, quum quinque .seslerliis oiuisset pisccin, queni Capsar vendidcrat, neApicius quidenienierat. ISunierarc tantum Oclavio fuit turpe : iiani ille, qui enicrat, ut Ti- l)erio niiltercl (quanquam illuni quoquercprelicnderiin, aduiirams est rem , qua pulavit Ca'saiem di{.'nuni. .Aniico a-gro aliquis assidet; probauuis ; al, hoc si heredilatis causa fjcit, vullurest, cadaver exspeclat. K.adeni aut turpia siint , aul honesta : refcrl quare iut quiMunduiodiim fiant. Omnia aniem lionesle lient , si horie^lo nos addixcrimus , idque uuuni in iibushunianis lionum judicaverimus, quaxiuc ex eo sc peisuasio fuerit, talta eruot, qua; agenlur, qitx co- gilahuntur . qualia autem ha'C fuerint, talis vita eril. la parliculas suasisse , totum ordinant't parut» est. M. Brutus in eo libro, quem ntpi Kx^mmoi; inscripsit, dat luulta 778 SÉiSÈQili:. enfants et aux frères; mais pcrsouiie ne les sau- rait bien accomplir s'il n'a quelque but auquel il les rapporte. Il faut donc nous proposer le souve- rain bien pour notre fin, et tourner de ce côté- là toutes nos actions et toutes nos paroles, comme ceux qui sont CD mer dressent leur navigation sur <|uel<|ue étoile. La vie est incertaine et vague, si elle n'a point de but arrêté. Mais, pour s'en pro- poser quelqu'un, les maximes sont nécessaires. Vous m'avouerez ( comme je pense ) qu'il n'y a rien de plus vilain qu'un liomrae, lequel, toujours craintif, chancelant et douteux , avance tantôt le (lied et le relire tantôt. Cela nous arrivera en loutes rencontres, si l'on ne nous arrache ce qui nous retient et nous empêche d'ajjirde toutes nos forces. On enseigne communément comme il faut adorer les dieux. Mais défendons d'allumer les lampes aux jours de fête, parce que les dieux n'ont pas besoin d'êlre éclairés , et que les hommes n'ai- ment pas à sentir la fumée. Abolissons cette cou- tume d'aller saluer les images des dieux au malin, et de s'asseoir aux portes de leurs temples; ces sortes d'honneurs ne plaisent qu'a lambilion rem iadidlt inutuum, et socialiiles fecit; illa tequum juxtumque coniposuit : ex illius constitutKne oiiscrius e^t ouccre , qiiam Ixdi ; ex illius imperio paralse sunt juvantis inaiius. Isie versus et in pecture , el in ore sit : Homo «um , liununi Dibil a me alienum pato. > Hal>eamus! In commune aali sonius. Societas nostra la- piduni tornicatioDi simillinia est; qua; casura , nisi inri- cem obslarent , boc ipso sustiaetur. Voil deos bominesquc, dispiciamus quomodo rcbus sit utendum. In supervacuum praniepta jactavimus , nisi illud prxcesserit , qualem de quacuroque re babere debea- nius opiniouem , de paupertate , de dit itiis , de gloria , de ignominia, de patria, de etsillo. A^stimeraus singula , f.ima remota; et quxramus , quid sint, non quid vo- ctsntur. Ad Tirtutes transeamus. Praecipiet aliquis , ut pruden- tiam uiagni lestimcuius , ut forlitudineui complectamur; temperantiam amemus; juslitiam ,si fleri polest, propiu eli^im , quam caeleras , noliis applicemus. Sed nibil age- tur, si ignoramus quid iit virlus; una sit , an plures ; separalSB, an inncïcP; an, qui unam babet, et cœteras babe.1t; qno inler se différant. Non est necesse fabro de fabrica qna?rere , qutid ejus initium , qnis nsus sit; non magis quant pantomime, de arte saltiindi. Omnes istîB artes se iciunt, nibil deest ; non cnini ad tolani pertinent vitam. Virlus et aliorum scienlia est, et siii. Disceiuluni deipsaest.ut ipsa discalur. Aciio recta non eril, nisi recta fuerit volunlas : ab bac enim est aciio. llursus , vo- luntas non erit recta , nisi liabitus animi reclus fuerit : ab hoc enim est yoluntas. Habitus porro aninii non erit in optiroo, nisi lolius vitae leges percepeiit, el, quid de quoque judicandum sit , exegerit; nisi res ad veruin rede- gerit. >on contingit tranquillitas , nisi iuiniulabile cer- tumque judicium adcptis : ca;leri decidunlsubinde , elre- ponuntur, etinter missa appelitaque alternis fluctuantur. Causa usque jactalionis est , quod nihil liquet incerlis- simo regiraine utentibus, lama. Si vis eadem semper Telle , vera oportet vclis. Ad verum sine decretis non per- venilur ; contincnl vilam. Bona et mala , honesla et tur- 780 SKNKQUE. tes et les injustes, la piété, Timpiété, les vertus et l'usage des vertus , les commodités , la réputa- tion , les charges , la sanlé, les forces , la beauté , et la subtilité des sens. Tout cela veut être estimé selon sa valeur, pour savoir le compte que 1 on en doit Aiire. Jlais on estime certaines choses plus qu'elles ne valent , et l'on s'y trompe si fort que celles qu'on prise davantage, comme les ri- chesses, la faveur, l'autorité, ne méritent pas d'être estimées une obole. Vous n'en sauriez con- naître la valeur, si vous ne regardez la règle qui les compare et les estime entre elles. Comme les feuilles ne peuvent demeurer vertes, si elles ne sont atlacliées "a une branche d'où elles tirent leur nourrilnie, de même les préceptes étant seuls perdent leur force, car ils veulent être soutenus. Davantage, ceux qui rejettent les maximes généra- les, ne prennent pas garde qu'ils les établissent en voulant les ruiner. Car que disent-ils en effet? Que les préceptes instruisent assez de quelle nia- ■ nière on doit vivre, et que partant les maximes , c'est-à-dire les dogmes de la sagesse sont super- flus. Mais ce discours même est un dogme, comme si je disiiis maintenant qu'il faut quitter les pré- ceptes et s'attacher seulement aux maximes géné- lales, je donnerais un précepte en disant qu'il faut quitter les préceptes. H y a des choses qui ont besoin des avis de la philosophie, d'autres de ses preuves , et d'autres encore qui sont tellement embanassécs, qu'à peine les peut-on éclaircir avec beaucoup de travail et de siibliliié. Si les preuves sont nécessaires , les maximes le sont aussi, parce qu'elles établissent la véiilé par la I force des preuves. Il se trouve des choses qui sont ' en évidence, d'autres qui sont obscures. Les évi- dentes tombent sous les sens, les obscures sont hors de leur portée. Comme la raison n'est pas occupée aux choses évidentes, et que son princi- pal emploi est en celles qui sont obscures, il faut apporter des i)reuves pour éclaircir ces obscuri- tés, ce qu'il est impossible de faire .'ans les maxi- mes. Ces maximes sont nécessaires. Ce qui fait en nous le sens commun, fait aussi le sens parfait, savoir : la connaissance des choses qui sont cer- taines, sans laquelle notre esprit est toujours flot- tant. Par conséquent , les règles générales sont nécessaires , puisqu'elles arrêtent et lixent nos opinions. Enlin, quand nous avertissons quel- qu'un de considérer son ami comme soi-même , et de penser que son ennemi peut devenir son ami, afin d'exciter son amour et de modérer sa haine , nous ajoutons ordinairement que cela est juste et honnête. Or, est-il que la raison sur laquelle les maximes sont établies comprend tout ce qui est juste et honnête; pariant la raison est nécessaire, sans laquelle rien ne peut être juste ni honnête. Mais il tant joindre l'un et l'autre ensemble, car les branches ne peuvent vivre .^^ans la racine, et la racine se conserve parce qu'e le produit au-de- hors. Chacun sait combien les mains sont néces- saires; on voit manifestement le service qu'elles nous rendent; le cœur, toutefois, dont les mains reçoivent la vie, la force et le mouvement, est ca- ché. J'en puis dire autant des préceptes; ils sont évidents; mais les maximes de la sagesse sont ca- chées. Comme il n'y a que ceux qui sont initiés pia, justa etinjusta, pia etimpia, virlutcs ususque vir- tutum, rerum coinmodarum possessio, exisliniatioacdifî- nilas, valeludo, vires, forma, sagacitas sensuiira; ha?c omnia ajstiniatorem desiderant. Scire liceat , quanti quid- que iii ceusuni dcferendura sit. Falleris cnim , et pluris qucedaiii, quani sunt, putas; adcoque falleris, ut, qua; masinia inler nus habeutui', diviliï, gralia , potentia, .sestertioiHininioajsliiiianda sint.IIoc ncscies, nisi consti- tiitionoiii ipsaiii ,quaisla inter so ajstiinanlur, inspexeris. Queniadiiioduin fi)lia virere i)cr se non possunt; raiiium desiderant, cui inhaTcant, ex que trahant succum : sic ista pra'cepta , si sola sunt, niarcent; infigi Tolunt secta\ Pra'tcrea , non intelliguut lii , qui décréta tollunt , eo ipso conflrmari illa , quo tollunlur. Quid enim dicunt? praeceptis vitam satis explicari ; superflua esse décréta sapienliae, id est, dogmata. Atvjui hoc ipsuui , quod di- cunt, decretum est : tam, hercules, quam, si nunc ego dicereni, recedendum esse a pracepîis vclut supervaculs, utendum esse decretis , in hase sola studium conferendum, hoc ipso , quo negarem curanda esse prœcepla , pra'cipe- rem. Quœdain admonilionem in philosophia desiderant, qua;dam probationeni , et quideni nnilla , quia invotuta sunt, Tixque suniraa diligentia ac suninia sut)tililate ape- riunlur. Si probationes necessariae sunt , necessaria suot décréta, qua verilateni argumentis colligunt. Quasdam a(ierta sunt, qua?daui obscura. Aperta, qua? sensu coni- pri'henduntur, quaî menioria ; obscura, quœ extra ha»c sunt. tfatiu aulcni non impletur manifestis; niajor ejui pars pulchriorque in occoliis est. Occulta probationem csigunt , probatio non sine decretis est ; necessaria ergo décréta sunt. Quac res coniraunein sensum facit, eadem perfeclum, certa rerum persuasio, sine qua si omola ia aninio Datant, necessaria sunt décréta, quas dant animis iuQexibitc judicium. Dcnique quum mnnemus aliquem , ut aniicuni eodem babeat loco , quo se; ut ex inimico co- gitet fleri posse aniicuni ; in illo amoreiu incitet, in hoc moderctur odiuni; adjicimus : > juslum est et honestuni.» Justum aulem honestuinqiie decretoruni Doslrorum cod- tinet ratio; ergo haec necessaria est, sine qua oec illa sunt. Sed utraque junganius : nanique et sine radiée inutiles rami suot; et ipsae radiées bis , qus genuere, adjuvantur. Quantum utibtatis manus babcant, nescire nutli licet; aperte juvant : cor, illud quo manus vivunt, ex quo im- petum suniunt , quo movenlur , lalet. Idem dicere de prasceptis possum : aperta sunt ; décréta vero sapientis in at>dilo. Siciitsanctioiasacrorum tantnm ioitiati srtuol , ÉPURES A LLCILIUS. 781 dans les mystères qui en saclienl les secrets , de môme l'on ne communique les vérités caciices qu'aux personnes qui ont entrée dans le sanctuaire de la pliilosopliie; mais toutes sortes de gens ont connaissance des préceptes et de semblables in- truclions. Pusidoniiis estime non-seuleraent que les prc- C'ptes sont iiétcssaires, mais que la persuasion, la consolation et l'exhorlalion le sont aussi. Il y a iijoulé encore la recherche des causes que nous pouvons appelcrétunolo;;!'', puisque lesprairmai- riens, qui sont les inaiires de la langue latine, nuturiseut, par leur exemple, l'usage de ce mot. Il dit que la description de chaque vertu en par- Jiculier serait fort utile. C'est l'éthologie de l'osi- donius; d'autres l'appellent caractère, c'esi-'a-dire la marque essentielle d'une vertu ou d'un vice qui fait connaître la différence qu'il y a entre les choses qui se ressemblent. Cela a le même effet que les préceptes; car eu donnant des préceptes l'on dit : Vous ferez cela si vous voulez être tem- pérant ; en faisant une description, l'on dit : Le tempérant fait ceci, il s'abslifiit de cela. Savez- vous en quoi Ils difl'oreiil'? L'un donne des pré- ceptes de vertus, l'autre eu pré^ellte le modèle. Ces descriptions, a mon avis, ou ces représenta- tions sont fort utiles; car si nous proposons des choses dignes de louange , il se trouvera des gens pour les imiter. Vous croyez qu'il vous sera utile d'apprendre toutes les marques auxquelles on con- naît an bon cheval, afin que vous ne soyez pas trompé quand vous en voudrez acheter un, ou que vous ne perdiez pas votre peine en faisant un ni'iuvais choix : combien est-il plus avantageux de connaître les marques d'une belle âme, les- quelles on peut prendre sur autrui , et puis se les appliquer. Un coursier gënëreui , bien fait , d'illustre race , Des fleuves nienaçauts tente l'onde et la passe ; Il craint peu les dangers, moins encore le bruit; Aime à faire un passage à quiconque le suit : Va parlant le premier, encourage la troupe. Il a tète de cerf, larges lianes , large croupe , Crins Inngs , corps en bon point ; la trompette lui plait: Impatient du frriu, inquiet, sans arrêt. L'on ille lui raidit , il bat du pied la terre, KonQe et ne semble plus respirer que la guerre. Virgile fait, sans y penser, la peintitre de l'hoimiiede cœur. Pour moi, je ne ferais pas un autre portrait d'un grand personnage, si j'avais à représenter Caloo , qui, parmi le tumulte des guerres civiles , ne s'effraya jamais, qui, pour les prévenir, alla le premier attaquer les armées qui s'étaient avancées jusqu'aux Alpes ; je ne lui don- nerais pas un autre visage, ni une autre conte- nance. Ou ne pourrait pousser une affaire plus avant que fit ce grand homme , lequel s'éleva en même temps contre César cl contre Pompée, tan- dis que tout le monde se partageait en faveur de l'un ou de l'autre ; il les défia tous deux et fit voir que la république n'éiait pas enlicreinent aban- donnée. Ce serait peu de chose pour Calon, de dire de lui : Il ne craint point les faux bruits, car il ne s'en étonna point , encore qu'ils fussent véri- tables et tout proches ; il osa bien dire en présence ita in pbilosopbia arcana illa admissis reccplisque in Mcra ostenduntnr; at praecepta , et alia ejusniodi , profa- uis quiique nota sunt. Posidoiiius non tantum praeceptionem ( nihil enim nos hrc Terbo uti prohibel ) , ted ctiam suasionem , et conso- lationem, et eihortalionem necessariam judicat. His ad- jicit causarum iuqulsitioneni , etymologiam ; quam quare dicpre nos non audeamus , quum graminatici , custodes laliui serni.inis , suo jure iia appellent, non vidio. .\it utilem futuram H descriptionem cujusque \irtuti8 ; banc Posidonius ethologiam vocat; quidam characlerismon a|>- pellant, signa cujusque virtutis ac vitii et notas rcddeu- lem , qnibns ioter se similia discriniinenlur. Usée res eanidem ?iro babet, quam pra-cipere. Nani , qui praîci- pit, dicit : Illa faciès, si voles temperans esse. Qui des- rribit, ait : Temperans est, qui illa facit, qui iliis absti- net. Quœris, quid intersit? aller przecepta virtutis dat, aller rieniplar. Descriptiones bas , et (ut publicanoruiii iilar verbn ) iconismos , ci usu esse conOleor. Propona- mus laudanda : invcnietur iniilaior. Putas utile , dari tibi argumenta , pcr quic intelligas nobilem equum , ne fiilla- ris empturti», ne opcram pcrdas in ignavo? Quanio hoc nlilius est, l'iicllentis animi notas nossc, quat ex alio iu se traosferre permiltilur'? • Continuo pecoris gcnf n isi pulhis in arvis Altius ingreditiir, et inullia criira rcpoiiit : rrimus et ire viain, et (luvios teiitare minacc» Audet , et ignoto sese coiimiiltere ponto; Nec vanoï liorret slrepitus : illi ardua cervii, Argutiim(|iie caput, linvisalviis, obesaquelerga Liiiuriatqne tons aniniosum prctus.... Tum. si qua sonuui priH'UÉ arma dedere, Starc loco nescit, mic.it aiiribus, et tremit artus , Collectumquc preniens volvit siib naribus ignein. Dum aliud agit Virgilius noster . desci ipsit virum forlcm : ego ccrie non aliam imaginem magno viro dederim. .'>it j mihi Cato expriniendus , intirfragores bellorura civilium ! impavidus, et primus incessens admotos jaui eieicilus ' Alpibns , civilique se liello ferons obvium; non alium illi assignavcrini vuluini , non aliuni babituni. Altius ccrtc ncMio ingredi potiiit, quam qui siinul contra Cœsarem PompciiMiiquese suslulit . cl, aliis Cusarianas opes , aliis ' Poiiipeianas sibi foventihus, uirumque provocavit, os- leuditiiue aliquas esse et reipublicie partes. Nam paruni est in Catouf, diccie : I iNec vanos horret strcpitus.... I Quidni ? qiuun veros vicniosque non Iiorreat ; quum con- 1 tra dtceiii Icgiones, et gallica auxiba , et mixta bartw- 782 SÉISÈQUE. de dix légions et des troupes auxiliaires des Gau- lois et des Barbares, que la république ne devait point perdre cœur, et qu'il fallait tenter toutes choses pour éviter la servitude , laquelle , en tous cas, serait plus honnête, étant un ouvrage de la fortune , que si elle était volontaire. Combien de vigueur et de courage; combien de fermeté dans ce grand homme , tandis que tout le monde trem- ble de peur. 11 sait qu'il est le seul de qui la con- dition ne court point de risque. Que l'on ne de- mande pas si Calon est libre , mais s'il est avec des personnes libres; de la vient qu'il ne craint ni le péril ni les armes. Après que j'ai admiré la constance d'un si grand personnage qui ne s'ébranla jamais devant les ruines publiques, je prends plaisir à dire : On voit dans ses regards une brillante ardeur, Et dans ses mouvements la fierté de son cœur. Certainement il serait de grande utilité de ra- conter quelquefois quels ont été les hommes ver- tueux, môme de représenter les traits de leur vi- sage. 11 faudrait parler de cette généreuse plaie de Caton, qui lui ôta la vie en lui conservant la liberté; de la sagesse de Lélie et de l'amitié qui fut entre lui et Scipion ; des beaux faits de l'aulre Caton , tant de la ville que de dehors ; des tables que Tubéron fît couvrir de peaux de boucs au lieu de tapis, et de la vaisselle de terre qu'il fît ser- vir au festin qui fut célébré devant le temple de Jupiter? N'était-ce pas consacrer la pauvreté dans le Capitole. Quand je n'aurais que cette action pour le mettre au rang des Caton, ne serait-ce pas assez? Ce fut une censure publique qu'il fit, et non un festin. Que les ambitieux connaissent pea en quoi consiste la gloire, et par quels moyens on la peut acquérir! Rome vit ce jour-la les meubles de plusieurs citoyens, et n'admira que ceux de Tubéron. Leurs vases d'or et d'argent ont été brû- lés et refondus mille fois depuis; mais la vaisselle de terre durera dans tous les siècles. EPITRE XCVr. Il ne faut pas seulement obéir, mnis encore consentir à la Tolonté de Dieu, — La vie de l'homme est une guerre continuelle. Vous vous fâchez , vous vous plaignez d'une chose sans prendre garde que tout le mal qu'il y a n'est qu'à cause que vous vous fâchez et que vous vous plaignez. Si vous en demandez mon sentiment , je ne pense pas qu'il y ait rien de fâ- cheux pour un homme de courage, si ce n'est qu'il croie qu'il y a dans le mondo quelque chose de fâcheux. Car, qui ne peut supporter le moindre inconvénient , devient bientôt insupportable à soi-mônie. Suis je malade? C'est une ordonnance du desiin. Mes esclaves sont-ils niorls? Mes créan- ciers me tourmentent-ils? Ma maison est- elle tombée? M'arrive-t-il des pertes, des blessures, des traverses, des appréhensions? Cela est assez fréquent dans le monde , ce n'est pas grand cas , cela me devait arriver, c'est le ciel qui ordonne ainsi , non pas le hasard. Si vous me croyez quand je vous découvre mon cœur, voici comme je me comporte dans toutes les rencontres fâcheuses. Je consens plutôt que je n'obéis à la volonté de Dieu. rica arma civilibns , vocem liberam mittat , et rempubll- cam bortetur, ne pro Ubertate décidât, sed omnia expe- riatur, honestius in servitutem casura , quam itura ? Quan- tum in illo yigoris ac spiritus , quantum in publica trepi- datione fiducia; est ! Scit se unum esse , de cujus statu non agatur; non enim quaeri an liber Cato , sed an inter li- beros sit. Inde periculoruni gladiorumque contemptus. Libet admirantem Inîictam constantiamviri, inter publi- cas ruinas non labantis , diccre : Luxuriatque toris animosum peclus.,. Proderit non tantum , qualcs esse soleant boni viri, di- cere, formamque eorum et lineamenla deducere; sed , qualesfucrint, narrare, et cxponcre Catonis illud ulti- mum ac fortissimum vulnus . per quod libirtas emisit animam; LaDlii sapientiani, et cum suo Scipione concor- diam ; alterius Catonis domi forisque egregia facta; Tu- beronis ligneos lectulos, quuni in publicum sternerent, haedinasquc pro stragulis pelles , et anie ipsius Sons cel- lam apposita convivis vasa fictilia. Quid aliud est, pau- pcrtatem in Capilolioconsecrare? Ut nullum aliud facluni ejus habeam, quo illuui Catouihus inseraiu , boc parum crcdimus? Censura fuit illa , non rœna. O quam igno- rant homines cupidi gloriie, quid illa .^ii.autquemadnio- dum petenda! Illo die pup'.ilus rmuauus mullorum su|>el- leclilcm spectaTit, uniiis uiira:us t-st. Omnium illorum auiuni argentumque fractuni est, et millies conflatum; at omnibus sœculls Tulieioiiis licti!:a duralmnt. Vale. F.PISTOLA XCVr. 3MMJI PATIFATEB FERENOl. Tamen tu indignaris aliquid , aut quereris ; et non in- tclligis , nihil esse in istis niali, nisi boc unum , quod in- dignaris , et quereris ? — Si me intcrrogas . nihil pnto firo misenim , nisi aliquid esse in reruni natura quod pulet miserum. Non ferani me , qno die aliquid ferre non potero. Maie Taleo?Pars fati esl.Familia decubuit? Fœ- nus offendit? Doums crepuit? Damna , viilnera, lal>ores , nielus incurrerunt? Solet fieri. Hoc parum est; debnit fieri. Decernuntur ista , non acciduut. Si quid credis niibi intimos affeclns nieos fibi quum maiinie dctego; in om- nibus , qua' ad\crsa videntnr et dura , sic formatus snm ; non parco Dco.. sed assentior; ex auimo Ilium, non quia KPITRES A LUCILILS. 783 Je le suis do bon cœur, et non point pnr force. Il ne ra'arrivera jamais rien que je reçoive avec uu visage triste et renfrogne, il n'y aura point de tribut que je ne paie voloutrers; car toutes nos affliclionset nos craintes sont les tributs de notre vie. C'est de quoi, mou cher Lucile, ii ne faut prétendre ni demander aucun privilège. Vous sen- tez des douleurs dans la vessie ; vous ne prenez plus de plaisir à manger; vous vous voyez dimi- nuer tous les jours. Je passe plus avant : vous avez peur de perdre la vie; quoi! ne saviez-vous pas que vous souhaitiez tout cela, quand vous souhaitiez de vieillir. Tous ces inconvénients se rencontrent dans le cours d'une longue vie , comme la poudre , la pluie et la bouc dans un long voyage. Oui, mais je souhaiterais de vivre sans aucune de ces incommodités. Une parole si lâche est indigne d'un homme de courage; voyez comme vous recevrez le souhait que je fais pour vous du plus tendre etdu plus ferme de mon cœur. Que les dieux vous préservent des caresses do la forluue. Demandez-vous un peu si vous aimeriez mieux vivre au cabaret qu'à l'armée, si vous en aviez le choix. Car notre vie , mou cher Lucilo , est une guerre continuelle ; d'oii vient (|ue les hommes qui se tourmentent, qui courent çà et l'a au travers de mille diflicultéj , qui conduisent des entreprises militaires avec beaucoup de dangers, sont estimés des gens de cœur, et portent le titre de colonels et de généraux d'aimées ; mais ceux qui vivent mollement dans le sein de la paix , tan- dis que les autres travaillent, ne passent que pour de vils animaux qui trouvent leur sûreté dans le mépris que tout le monde fait d'eux. ÉPITRE XCVII. Que les siècles passés n'étaient pas moins vicieuï que ceux qui leur ont succédé. — Le crime peut bien ctrc hors de péril, mais non hors d'appréhension. Vous vous trompez , mon cher Lucile, si vous croyez que la dissolution , le mépris de la vertu , et les autres défauts (jue chacun reproche a son siècle , soient le vice do celui-ci. Ces défauts vien- nent des hommes cl non pas des temps; car vous n'en trouverez point qui n'aient été noircis de cri- mes. Et si vous venez à les examiner en particu- lier (j'ai honte de le dire), vous verrez que la licence ne fut jamais plus grande qu'au temps de Calon. Pourrait-on croire que l'on agit par ar- gent dans ce procès où Clodius était accusé d'un adultère, conmiisavcc lu femme do César, durant le sacritite qui se faisait pour le salut du peu- ple, et dont l'entrée était telloment inlerdilo aux hommes que l'on couvrait même les représenta- tions des animaux du sexe masculin 'f On compta de l'argent aux juges , et, ce qui est encore plus vilain , on leur prostitua des dames do la ville, et des jeunes hommes do lionne maison; tellement ijue l'on peut dire que l'alisolution fut plus noire que le crime. Clodius, acrusé d'adultère, Ot un partage d'adultères entre les sénateurs, et ne fut assuré de son salut qu'aprèsavoir rendu ses juges coupables coumîe lui. Voila ce qui se passa, dans cette affaire où Caton avait déposé comme témoin. Je veux rapporter les paroles mêmes de Cicéron , parce que la chose est dillicilc a croire : « Clodius les (it venir, et leur Dt force promesses; il leur necejse c»t, seqaor. Nihil unqnam mihi iocidet, quod tristis eicipiam, quod malo vultu : nulluni tribntum iu Titus conferam. Omnin antem, ad quae grmimus.quoi espavescimus , Iribata vilée snnt. Horum, mi Lucili, ncc iperaveris immunitalem , nec pelieris. Vesicae te dotor inquietaiit ; epuls tueruot parum dulces ; dctrimeuta con- tinua; propius accedam : de capite tiniuisti. Quid tu, Desciebas haec te oplare, quum oplares sencclutera ? Om- nia i>la in longa vila sunt, quomodo in tunga Tin et pul- vi» et lutuni et pluvia. — Sed yolebani tivere , can-rc la- nien incomusodis omnibus I — Tani effcminata vos virum dedecct. Viricris, queniadmodum hocvotum nienm ejci- pias j epo illud niagno animo , non fantum bono facio ; Deque dii , nique dex faciant, ut te forluna in di-liciis hal>cnl ! Ipse te interroga , si quis potestatcni tibi I)ei;s faciat, utrum vclisviïerein macello, an in castris. Atqiii, Vivcre, Luciti, militare est. Itaque hi, qui jacLinlur, et per operosa atque ardua sursiim ac deorsnni eunt , et cx- pcditiones pcriculosissimas obeunt , fortes ?iri sunl , pri- iiiores<|ue castronim; isti , quos putida quies , aliis lalio- nntilius , m.llilcr l.al)ot , turturillie sunt, tuti contumc- liii' c.iuia V;,ii'. EPISTOLA XCVII. ET MJ^C ET OUM FUISSE HILOS : DE VI C0NSCIE!ITI;E. Erras , mi Lucili, si existiriias nostri $a?ciili esse Titium luiuriam et negligenliam boni nioris , et alla , qus obje- cit suis quisquc temporibiis. Iloniinum sunt i»ta, non tem- porum ; nulla a'tas Tacavit a culpa. Et , si a?slimare li- ccnliani cujusque s.TCuli incipias , pudet dicere , nunquam apertius , qiiam corani Catone, peccatum est. Cred:itali- quis pecuoiani esse vci'salani in eo julicio, in quo rcus erat Ctodins ob id aduiterium, quod cum Ca'saris uvore in apcrto commiscrat , viol.iiis religionibus ejus sacrificii, qund pro populo ficridicitur, sic sul)inotis extra conspcc- lum omnibus viris, ut pictunc quoque niasculorum arii- nialium conlegantui*? Alqui dali judicibus numini sunt; et, qnod hacetianmunc paciione turpius est, stupra in- super matronaruin et adolescentulorum nobiliuiii stillarii loco cxacta sunl. Minus criminc,quam absolutione, pec- catum est. Adulterii reus aduKeria diîisit, nec ante fuit de sainte securus, quani similes sui judiccssuos reddi- dit. Ha-c in eo judicio facla sunt , in quo , si nihil aliiid , Cato Icslimcnium dixenit. Ipsa ponam ver()a Circronis, ;84 SÉNÏÎQUl-:. garantit la parole , il les paya. Mais , ô dieux ! !e crime détestable! Il y a des juges à qui l'on fit passer la nuit entière avec de certaines dames , et à qui l'on produisit des garçons de bonne famille pour surcroît de récompense. » Je ne m'arrête pas à l'argent qui fut donne ; ce que l'on y ajouta est bien plus considérable. Voulez-vous la femme do ce jaloux? je vous la donnerai. Voulez-vous celle de ce riche? je vous ferai coucher avec elle. Con- damnez après cela l'adultère, lorsque vous l'au- rez commis. Je vous ferai venir celte belle que vous aimez. Je vous promets une nuit de celle autre; avant qu'il soit peu, vous verrez l'effet do ma pa- role : dans trois jours. Certainement il y a plus de mal 'a distribuer les adultères qu'a les commettre en effet. L'un témoi- gne la passion, l'autre le peu d'estime que l'on a pour une femme. Ces bons juges avaient demande des gardes que le sénat leur avait accordés. Mais cela n'était point nécessaire, s'ils n'avaient point l'intention de condamner; c'est pourquoi Catulus, voyant que Clodius élait absous, leur dit fort 'a propos : « Pourquoi dcmandicz-vous des gardes ? Était-cede peur qu'on n'enlevât votreargenl ?» Ce- pend'anton vit échapper Clodius, qui futadultère devant raccusali(ni, et proslitueur durant le pro- cès, ayant commis plus de crimes pour se faire absoudre, qu'il n'en avait fait pour êUe condamné. A-t-on jamais vu des mœurs plus dépravées que celles de ce tcmps-1'a, où l'impurelés'élail débordée jusque dans les sacrifices et dans les tribunaux ; où durant la procédure extraordinaire qui se fai- sait par arrêt du sénat, l'on commettait descrimes plus énormes que celui dont il s'agissait? La ques- tion était si un homme pouvait être en sûreté après un adultère; et l'on trouva que sans adultère il ne pouvait être en sûreté. Tout cela se passa "a la vue de Pompée et de César, de Cicéron et de Ca- ton ; de ce Caton , dis-je, durant la magistrature duquel le peuple n'osa demander la permission de célébrer les jeux de Flore, où des filles débauchées paraissaient toutes nues. Pensez-vous qu'en ce temps-la les regards des hommes fussent plus sé- vères que leurs jugtments? Tout cela s'est fait et se fera encore ; car la licence des villes peut bien être arrêtée pour quelque temps par la discipline et par la crainte; mais elle ne cessera jamais d'elle- même. 11 ne faut donc pas imaginer que l'impudi- cilé ait 'a présent plus de licence, et les lois moins d'autorité. Car la jeunesse d'aujourd'hui est plus sage (|ue celle de ce lemps-bi, auquel le cou- pable niait l'adultère devant ses juges , et les ju- ges In confessaient devant le coupable; auquel on jouissait d'une femme pour juger une cause; au- (|uel Clodius, ayant gagné la faveur des juges par les mêmes crimes dont il élait accusé, pratiquait des m ircliés de cette nature tandis qu'on lui fai- sait son luocès. Le cruira-t-on , il fut absous d'un adultère par le moyen de plusieurs adultères Il y aura des Clodius en tout temps; mais il ne se trouvera pas toujours des Calons. Nous nous porlons facilement au mal , parce que nous ne manquons jamais de guides, ni de compagnons, et que d'ailleurs le mal même se produit assez sans guide et sans compagnon. Lechemindu vicene va pas seulement eu pente , il tombe en précipice. Et quia res ndem exccdit ( Epistolarura ad Atticiim libre I) : e Arcessivitad se, promisit,intercessit, dédit. Jara vero, o dii boni ! rem perditam I eliam nocles certarum niulie- riim , atqiie adolescenlulorum nobiiiuni introductiones , nonnullis judicibiis pro incrcrdls cumulo fueiunt. » — Kon ïacat de prctio queri , plus iii accessioiiibus fuit. Vis sevcri illius usorem? dabo illaui. Visdivitis? tiujusquo- que tibi pra'Slabo coiicubituin. AduUerium nisi ficeris, damna. 111a forraosa, quant desideras, >eiiiet; illius libi noctcm pi-omiltii, ncc diffère : inlra compereudinalio- nem fides promissi iiiei exsUibit. Plus est distribuercadul- teria, quam facere ; illud est, m^itribus familia; deuun- tiare; hoc, illudere. Ili judices Clo liani a senalu pelie- rant praîsidium , quod non eral , nisi damnaturjs , ncces- sarium, et impetraverant. Itaque elegauter illis Catulus, absoluto reo : • Quid vos, inquit, prirsidiuni a noliis pe- febatis?an, ne uummi vobis eriperentur? » Inler tios lamenjocos, impune tulit ante judicium aduller, iujndi- cio leiio; qui damnationem pejus effugit , quam meruit. Quidquam fuisse corruplius illis nioribus credis , quibus libido non sacris inhibeii, non judiciis poterat; quibus in ea ipsa quœstione, qua; extra ordinem senatusconsulio ciercebatur, plus, quam qujBrebatur , admissum est? Quaerebatur, an post adulterium aliquis possct tutus esse; apparuit , sine adulterio tutum esse n;in possp. Hoc inter Pompeium cl Caesarem, iuler Ciccronem Catonemque commissum est; Caloneui , inquam , illum , que sedeote populus negalur perniisisse sibi postulare Florales joco» nudandarum mcretricum. Credis spectasse tune severius homines, quaui judicassc? Et fient, et facta isia sunt :et licentia urbium ,aliquando disciplina mctuque, nunquam sponle , considct. Non est itaque quod credas, nunc plu- rimum libidini perniissum esse, legibusmiuiraum. Longe euim frugalior hffc juTenius , quam iila , est , quum reus ariuUerium apud juiiices ni'garet.juJicesapudreura con- fitcrcnlur, quum stupruni comraitleretur rei judicaudae causa ; quum Clodius ii.-dem viliis graliosus , quibus no- cens , conciliaturas eserceret in ipsa causac dictione. Cre- datlioc quisquam? qui damnabatur uno adulterio, aliso- lulus est multis ! Omne tempus Clodios, non omne Catones feret. Ad détériora faciles sumus, quia nec aux polest, nec cornes déesse : et res eliam ipsa sine duce, sine comiie, proce- dit; non prouum iter est tautum ad vitia, sed praeceps. Et, quod plerosque incmendabilesfacit, omnium aliamm arlium pcccata artificibus pudori sunt , offenduDtque KPITRES A LUCILIUS. 785 ce qui fait que la plupart des liommcs ne se corri- gent point, c'est qu'au lieu que les fautes qui se commettent dans tous les métiers font déshonneur et préjudice aux artisans, celles qui se font dans le règlement delà vie leur apportent quelque plai- sir. Le pilote ne prend pas plaisir de voir périr son vaisseau , le médecin de voir porter son ma- lade en terre , ni l'avocat de perdre la cause de sa parlie p.ir sa faute; mais, au contraire, tout le monde se,plaît dans son erreur et dans son vice. L'un se plaît dans l'adullcre, et s'échauffe davan- tage par les difficultés qu'il y rencontre; l'autre, dans la fourl)erie ou dans le larcin , sans trouver dans ces crimes rien qui lui déplaise que le mau- vais succès. Tout cela vient d'une mauvaise habi- tude. Mais , afin que vous sachiez que les âmes les plus dépravées ont quelque seniiment du bien, et qu'elles n'ignorent pas tant ce qui est désbon- nête qu'elles négligent de l'éviter, considérez que tout le monde cache ses crimes, et, bien qu'on profite de leur succès, on a soin de les tenir cou- verts; au contraire, une bonne conscience se pro- duit au-dehors, et cherche la lumière, tandis que le vice se cache et craint mûme les ténèbres. C'est pourquoi Épicure dit , 'a mon avis fort 'a propos , que le méchant peut bien se cicher, mais qu'il ne se croit jamais bien caché , ou , si vous l'aimez mieux, de celle manière: Il est inutile au méchant qu'il se cache, puisque cela ne le peut assurer. Il faut donc dire que les scélérats peuvent être hors de péril, mais non pas hors d'appréhension. Je ne crois pas que cela soit contraire 'a l'opinion de notre secte, étant expliqué delà sorie. Pour- quoi? parce que la première et la plus grande peine d'un crime, c'est de l'avoir commis; car, quoique la fortune le favorise et le protège, ja- mais il ne demeure impuni, le châtiment du pé- ché se trouvant dans le péché même. Il est encore suivi d'un second supplice , qui est une crainte continuelle et une déflance de sa propre sûreté; pourquoi aussi voudrions-nous l'exempter de cette punition et ne pas le laisser en suspens? 11 ne faut pas être du sentiment d'Épicure, qui n'admet point dans la nature d'idée de justice, et qui dit qu'il faut éviter le crime, parce que, autrement, on ne peut éviter la crainte, qui en est la suite. Mais il faut le croire quand il dit que les mauvaises actions sont punies par la conscience qui, tour- mentée d'une perpétuelle inquiétude, ne saurait prendre créance en ceux qui lui répondent de sa sûreté. C'est l'argument dont se sert Épicure pour vous montrer que nous abhorrons naturellement le crime, parce qu'il n'y a \mnt, de criminel qui ne craigne , lors même qu'il est en sûreté. La for- tune peut bien le garantir du mal , mais non pas de la peur. Pourquoi? parce que nous portons en nous-mêmes une aversion des choses que la na- ture a condamnées. De la vient que ceux qui sont cachés ne se croient jamais bien cachés, parce que leur conscience les accuse et leur fait voircequ'ils sont, joint que le propre des méchants, c'est de trembler toujours. En vérité, comme il y a quan- tité de crimes qui échappent 'a la connaissance des juges , et qui évitent les peines qui leur sont or- données par les lois, ce serait un grand malheur, si les scélérats ne sentaient pas aussitôt ce supplice naturel et pressant, si la crainte ne prenait pas dans leurs âmes la place du repentir. deerrantcm ; vita; pecca'.a dclfclaot. Noa gaudet navi- gio guliemator everso; non c^adet «gro medicus clalo; non K:iudet orator, si patruni culpa rciis ceciilit : at contra , omnibus crimcn suum voluptati est. Lœtiliir ille adnlterio , in quod irritatus est ipsa dimcultate; lastatur ille circumscriplione furtoqnc; necanle illi culpa , quant culps fortuna, displicnit. Id prava coosurtudine cvcnit. Alioquin, ut scias subesse animis , etiam in pessinia ab- duclis, boni sensum, ucc ignorari turpe, scd nrgligi; I omnes peccata dissimulant , et , quanivis féliciter cesse- rint , fructu illonim ntnntur , ipsa subducunt. At hona conscientia prodire Tult et ron!i;)ici ; ipsas nequitia tene- bras timcl. Elegantcr itaquc ab Epicuro diclum pulo : « Potest nocenti conlingere ni lateat, latendi lides non potest : • aut , si boc modo mclius hune explicari possc judicas sensum : Idco non prc/uest latere pcccantibus, quia latendi etiam si relicitatera habent , fldnciam non ha- bent. Itaest! tutascclera essepossnnt, secnra non possunt. Hoc ego repugnare aects nostrs, si sic eipediatur, non judico. Quare? quia prima illa et niaiima pecran- tiuni est pnena, pcccasse; neciillumsceliis, licctillud Tor- tuoa ctornet mnneribui suis , licrt Incatiir ac viudicel , impnoilnm est , quoniam scclerls in scelere .«upplicium est. Sed nihilomiuus et ha; illaiii sccnndae pœns prcniunt ac sequuntur , tinierc semper, et eipavesccre, et securi- tali difDdere. Quare ego hoc supplicio nequitiani libc- rem? Quare non semper illam in .suspenso relinquani ? Illic dissentiamus cuni Epicuru , ubi dicit: «INibiijus- tnm esse natura , et criuilna vitauda esse , quia vitari mctus non possit. > Ijic consentiamus, mala facinora conscienlia tlagcllari , et plurimum illi tormentorum esse, eo quod perpétua illam sollicitudo urget ac verberat , quod sponsoribus securitatis siixnon potest credere. Hoc enini ipsum argumentum est, Epiciu-e, natura nos a sce- lere abhorrere , quod nulli non etiam inter lula timor est. Mullos fortuna libérât pcena , metu neminem. Quare F nisi quia infixa uobisejus reiarersatio est,quam natura dani- navil? Ideo nunquam fidcs latendi fit etiam latentibus , qnia coarguit illos couseientia , et ipsos sibi ostendit. Pro- prium autcm est noccntium trepidarc. Maie de nobisac- tum erat, quod multa .scelera legem et judicem effugiun et scripta supplicia , nisi illa naturalia et gravia de prae- senlibus solvcreni , et in locum patientiae timor cederet. Val.-. 50 786 EPITRE LCVIII L'unie est plus puissante que la fortune , et se fait une Tie heurcu~eou misérable. — On jouit encore des biens ()UH l'on a perdus, quaud on se souvient de l'utilité qu'on eu a reçue. Ne vous imaginez pas qu'un homme puisse être beureux tandis que sa félicité le tient en suspens. C'est s'appuyer sur un roseau , que de se réjouir d'un bien fortuit. La joie qui vient de deliors sor- tira comme elle est entrée ; mais celle qui se forme au-dedans est solide et (idèle; elle croît et se sou- tient jusqu'à la fin de la vie. Tout ce que le peu- ple admire sont des biens de peu de durée. Quoi ! ne peut-on pas en user avec plaisir? Qui vous le nie? pourvu qu'ils dépendent de nous et que nous ne dépendions point d'eux. Les choses que donne la fortune ne sont bonnes qu'autant qu'on se ['os- sède en les possédant , et que l'on n'est pas incom- modé par les commodités. Cenx-là se trompent , mon cher Lucile , qui croient que la fortune nous donne quelque chose de bon ou de mauvais. Elle nous donne souvent la matière dont nous pouvons faire quelque chose de bon ou de mauvais. L âme est plus puissante que la fortune; elle conduit les affaires comme il lui plaît , et se fait une vie heu- reuse ou misérable. Si elle est mauvaise, elle tourne tout en mal, morne les choses qui étaient bonnes en apparence ; si elle est bonne et inno- cente, elle corrige la maligniié de la fortune, elle adoucit, parla patience, les événements fâcheux, et reçoit agréablement ceux qui sont favdrables. Mais, quoiqu'elle soit prudente, qu'elle fasse ton- SÉNÈQUE. les choses avec jugement , et qu'elle n'entreprenne rien au-delà de ses forces , elle ne jouira jamais de ce bien parfait et consommé qui est au-dessus des menaces de la fortune , si elle ne demeure ferme contre la variété des accidents. Examinez-vous sans vous flatter, ou bien , exa- minez les autres, car on juge plus librement dos affaires d'autrui , vous sentirez et vous avouerez qu'il n'y a rien qui soit utile en toutes ces choses que l'on désire si fort, si vous ne vous préparez contre le caprice du hasard , et la légèreté de la fortune ; si vous ne dites sans murmurer, quand il vous arrivera quelque perle : Les dieux en ont aiiirement ordonné. Ou plutôt, dites ce mot qui me semble bien plus fort et plus propre pour ras- surer votre esprit : Que les dieux m'envoient quelque chose de meilleur. Quand on est ainsi disposé, on ne peut êlre surpris, et l'on se met en cette disposition, quand on considère tout ce que peut la vicissitude, avant que d'en sentir les effets; quand ou jouit de sou bien , de sa femme et de ses enfants, comme si on les devait perdre un jour, et n'être pas plus malheureux pour les avoir perdus. Un esprit qui s'inquiète de l'avenir est misérable . et celui qui se met en peine de sa- voir s'il jouira de ses satisfactions jusqu'à la fin de ses jours , est malheureux avant son malheur. Il n'aura jamais de repos , et la crainte d'un mal à venir lui fera perdre la JDuissaoce d'un bien pré- sent. Or, il est égal de regretler une chose que l'on a perdue, ou de craindre de la perdre. Ce n'est pas que je vous conseille d'être négligent; au contraire, évitez ce qui est à craindre, et don- EPISTOLA XCVni. Bonis EXTBRNIS IVON CO^IFIDE^IDim. Piunquam credideris felicem queniquam ei felicitate suspensuin ! Fragilibus innititur, qui adventitio laetus est : eiibit gaudium , quod intravit. At illud ex se orfum fidèle Drniunique est , et crescit , et ad extremum usque prose- quitur ; cœtera , quorum admiratio est ^ulgo, in diem bona sunl. — Quid ergo? non usui ac Toluptati esse pos- sunl?— Quis negat? sed ita , si illa ej nobis pendent, non ex illis nos.Omniaquae fortunaniiQtueutur,itafruc- tifera ac jucunda (iunt , si qui habet illa , se quoqne ha- bet, necin rerum suarum poteslate est. Errant enim, Lucili, qui aut boni aliquid nobis, aut niati jndicant tri- buere fortunam : materiam dat bonorum ac malorum , et initia rerum apud nos in malura bonumve exilurarum. Valenlior enim omni forluna animus est; in utramque parteniipse res suas ducit, beata?que ac miserae vitœ sibi causa est. Malus orania in malum vertit, eliam quae cum specie oplimi vénérant : reclus atque iulcger corrigit prava furUuia; , et dura atque aspora ferendi scienlia mol- lit; idem(|uc et secunda prale eicipit modesteque, et ad- Terta conslauier acfortitcr. Qui licct prudcns sit, licet eiacto facial cnncla judicio, licet nihil supra vires suaa ientet, non continget illi bouum illud inlegrum , et extra minas positum , nisi certus adversus incerta est. Sive alios observare volueris (liberius enim iuter aliéna judiciom est) , sive te ipsura , favore seposilo , et senties hoc, et confîteberis , nihil ex his optabilibus et caris ntile esse , nisi te contra levitatem casus , rerumque casnm sequeo- tium , instruxeris ; nisi illud fréquenter , et sine querela , inter singula djn;na dixeris : diis aliter visnm est. Imo, mehercules, ut carmen fortins ac juslius repetam, qoo animum luum magis fulcias, hoc dicito , quoties aliquid aliter , quam cogitabas , evenerit : dii melius. Sic compo- sito nibil accidet. Sic auîem componetur , si , quid huma- narum rerum varietas possit , cogitaverit , anlequam sen- serit ; si et tiberos , et conjugem , atque patrimonium sic habuerit, tanqiiam non utique semper habitnras, ettan- quam non fulurus oi> hoc miserior , si bal)ere desierit. Calamitosus est auimus futuri aniius, et ante miserias miser, qui sollicitus est, ut ea , quibus delectatnr, ad extremum usque permaneanl. ISullo enim tempore con- quiescet; et exspectatione venturi prxsentia, quibus frui poterat , amittet. In aequo est autem amissio rei , et timor ;; amittends. ÉPiTRES À LUCILIUS. 787 nez ordre à tout ce qui peut être prévenu par bon conseil. Prévoyez de loin et détournez, si vous pouvez, cequi vous peut nuire, avant(|u"ilarrive. Ce sera un grand avantage en telles occasions de demeurer fcrrae et résolu à tout souffrir. Car, pour éluder la fortune , il la faut supporter dou- cement; elle n"e\cite point de trouble dans une âme qui est tranquille. Il n"cst rien de plus impertinent ni de plus mi- sérable que d'appréhender toujours. Quelle folie d'anticiper son malheur! Enfin, pour dire en uu mot ce qui me semble de ces personnes actives qui se tourmentent sans cesse, elles sont aussi im- patientes devant le mal que dans le mal. Celui-là s'afflige plus qu'il ne doit , lequel s'afflige plus tôt qu'il ne doit. Car la même faiblesse, qui fait qu'il ne saurait attendre le mal , empêche qu'il ne le puisse bien connaître ; son impatience lui fait ima- giner un Iwnheur perpétuel , et se promet que les Ijons succès lui dureront toujours , même qu'ils croîtront avec le temps; et, sans le souvenir de la révolution fatale des choses humaines, il [irétend pouvoir fixer la légèreté de la fortune. C'est pour- quoi j'estime que Métrodore a bien rencontré dans une lettre de consolation qu'il écrit h sa sjpur, sur lamortd'unfilsdoatonatlemlaitbeaucoun. « Tous les biens, dit-il, sont mortels, qui appartiennent à des créatures mortelles. » Il parle de ces biens après lesquels tout le monde court ; car le bien véritable ne meurt jamais; la sagesse et la vertu sont un bien certain et éternel ; c'est le seul avan- tage immortel qui arrive aux humains. .\u reste, ils sont si aveugles et songent si peu où ils sont chaque jour qu'ils s'étonnent , quand ils perdent quelque chose , quoiqu'ils sachent qu'ils perdront tout en uu jour. Tous les bicus dont en vous dit le maître sont chez vous, mais ils ne sont pas à vous ; car il n'y a rien de stable pour celui qui est infirme , d'éternel pource'ui qui est fragile. 11 est nécessaire ou que les choses périssent ou que nous les perdions, et ce nous serait une consolatiiin ( si nous le savions bien prendre ) de perdre, sans au- cun regret, un bien qui est destiné h périr. Quel remède trouverons-nous donc a toutes ces^ perles? C'est de se souvenir des biens que nous avons perdus, et de ne pas oublier le fruit et l'u- tilité que nous en avons reçus. On peut bien nous empêcher d'avoir, non pas d'avoir eu. C'est être ingrat que de n'avoir point de reconnaissance d'un bienfait quand on l'a perdu. La fortune, à la vé- rité , nous ôte la chose, mais elle nous en laisse le fruit que nous perdons par l'injustice de nos re- grets. Dites en vous-mêmes : entre toutes les cho- ses qui paraissent si affreuses, il n'y en a point qui siiient invincibles; elles ont été déjà vaincues plusieurs fois. Mucius a surmonté le feu, Régulus les tourments, Socralc le poison, Ruiilius l'exil, et Caton la mort. Surmontons aussi quelque chose "a notre tour. De plus , les biens qui , par une ap- parence de félicité, attirent les désirs du vulgaire, ont été souvent méprisés par de grands person- nages. Fabricius, étant dictateur, refusa les ri- chesses et les coiidanma étant censeur. Tubéron, estimant que la pauvreté était honorable pour lui, même pour le Capitule, se servit de vaisselle de terredans ce festin public oîi il montra que l'homme Nec ideo prîtcipio tibi negligenliam. Tu vero metucnda déclina; qu:dqu:d conMlio prosijid poirst, prospice; qaodcumque Ixsuruiii est, multu ante, quant accidat, •peculare et averte. In tioc ipsuni tilii plurimuin confé- rât Gducia , et ad tolcrauduiu omnino obfirniata mens. Potest rortunam cavere, qui polpsl ferre; certe in Iran quillo non lumultualur. Piihil est nec niiserius uec stul- tiiu, quant prziioiere. Qus isla demenlia est , malum suum aotecedere? Dcnique, ut brcviter inctudani quod sentie , et islos satagios . ac sihi inutestus descriliaiu tibi ; tani intempérantes in ipsis nii.scriis sunt , quani suut aute illas. Plus dolet quam necetise est, qui aute dolet quani necesse sit. Eadem enim iniirniitatc dolorem mm asti- mat, qua non etspectat. Eadem inteniptraniia fiogit sibi perpetuam fel.c itatem suani, (iuglt sil)i cicscere dcberc quaecumque contigerunt, non tantuni duiare; et, ol>liius bujns pelauri , quo humana jactaniur , sibi uni roituitn- runi cOQStaniiam spondet. Egregie itaque videlur mihi Metrodorus diiisse in ea epistnia , qua sororem , ainisso optimae indolis niio,alloquitur : > Mortale estomne nior- taliuMi bonnm I • De bis loquitur bonis, ad quae concur- ritur : nam illud verum l)onum non inoritur , certum est ■ennpiteraumque, sapientia et virtns : boc anum conliu- git immortale mortaIihn. spei , parrulus : pusilluni teiuporis periit. Causas doloris coaquirimus , et de fortuna etiam iuiquo qiieri Tolunius , quasi ooo sil ju!las querendi cau- sas prxl)ilura. At, niehcrcules, salis m ht jam fidcliaris aaimi balwre, eliam adversos solida uiala, ncduin ad istas umhras aialuruui , quibus ingcniiscunt homioes mo- ris causa. Quod damaoïum oniuiuin maiiniuni est, >i aniicum perdidisses, dauda opéra erat, ut magis gau- deres quod habueras , quaiu niaxercs quod aniiseras. Sed plerique DOD computant , quaola pra'cepeiiot ; quantum gavisi sint. Hoc hal»et inler reliqua mal! dolor iste : non supenacuus taulum , sed ingralus est. Ergo, quod lia- buisti talcin amicuoi , periit opéra? Toi annis, tanla con- junclione vita;, tani familiari studiorum sociclate , nitiil actumesl? Cum aniico effers amiciiiani? Et quid dotes amisissc, si babuisse non prodest?Mihi ciedc, magna pars ei bis, quos amavimus , licel Ipsos casus al)slulerit , apud nos manet. ISoslrum est , quod pra^tcriit, lonipns; nec quidquam est loco luliore , quam qnod fuit. Ingrali adTer.su« pi aecepta , spc futuri , sumus ; quasi non , quod rntoruni est ,si modo successerit ooliis, cito in praterita tran.silnrn;p sil. Anguite fruclns rerum déterminai , qui tanlura prxsentibus laetus est : et Tulura et pralerita dé- lectant; base eispectatione; illa, menioria : sed allerum pendet , et non ficri potest; alterum non potest non fuisse. Quis ergo furor est , certissimo excidere ? Acquiescamus liis, quae jam bausimus; si modo non perforato auimo hauriebamus, et transmittente quidquid acceperat. ■ Innumerabiiia sont eicmpla eorum , qui liberos ju- venes sine lacrimis eitulerint; qui in senatum, autiu ali- quod publicum olllciuni , a rogo redierint , et statim aliud egerint. Nec immerilo : nam, primum, supervacnum est dolere, si nihil dolendo proflcia.^; dcinde, iniquum estqueride eo, quod uiiiaccidit, oniniliris restât. Deinde, desideiii stulta conquestio at, ubi minimum intcrest in- ter amissum et desiderantem : co ilaque a-quiore anime esse del)emus , quod , quos amisimus , sequimur. Bespice celeritatem rapidissimi temporis; cogita brciitateni bujut spatii , per quod cilatissimi currimus; oljserva hunccomi- talum generis humani , eodeni tendentis, minimis inler- vallis dislinctum , etiam ubi maxima v idenlur : quem pulas périsse, prœmissus est. Quid aulcm dcmcntius quam, qaum idem tibi iler euiclicndum sit, (lere cum , qui an- tecessit? Flet aliquis fattum , quod non ignoravit fulu- ruralant, si morleni in boniinr non cogitavil, sil)i impo. 7!)0 plouie d'uue chose qui csl l'aile, et que l'on savait ))ien qui se ferait; que si l'on a cru que riiomme ne dût point mourir, on s'cht trompe lourdement. On a reyret qu'une chose soit terminée, quiùipie l'on ait dit simvent qu'il était impossible de l'em- pôther; car, se plaindre que son ami soit mort, c'est se plaindre qu'il ait été homme. Nous som- mes tous liés à un mcme sort. Qui est venu au monde ne |)eut se dispenser d'en sortir; lespace peut cire di'forent, mais la fln est toujours égale. ) e temps qui coule entre le prem'ier jour cl le dernier est incertain et variable; car si vous considérez la misère de la vie, il est long, et même pour un enfant; si vous en regardez la du- rée, il est court même pour un vieillard. 11 n'y a rien dans la nature qui ne s'écoule et qui ne change plus vite que les saisons. Toutes choses sont agitées et transformées en leurs contraires, par le pouvoir de la fortune; et dans une si géné- rale révolution l'homme ne trouve rien de certain que la mort. On se plaint toutefois de cela seul qui ne Iromi e jamais personne. Mais il est mort étant encore tout jeune. Je ne veu,\ pas dire que l'on est plus heureux de mou- rir bientôt. Voyons seulement le peu d'avantage qu'un vieillard a sur un enfant. Cimcevez bien la vasie étendue du temps, et comparez a son im- mensité ce qu'on appelle l'âge de l'homme , vous trouverez que ce que nous souhaitons et que ce que nous lâchons de prolonger est bien peu de chose. Combien en donne-t-on aux soucis , aux douleurs, aux impatiences, aux maladies, à la crainte et "a l'imbécillité de l'enfance? Le dormir en emporte la moitié. Joignez-y les travaux, les SÉNÊQUE. afflictions et les dangers, vous verrez que l'on ne vit guère même quand on vit longtemps. Mais qui n'avouera pas que ce ne soit une grâce de pouvoir retourner bientôt au lieu de sou origine, et d'avoir fourni sa carrière avant que d'êlre las et fatigué? La vie, de soi, n'est ni bonne ni mau- vaise , elle donne lieu seulement de faire le bien ou le mal. Cet enfant n'a donc perdu que cette liberié qui tourne le plus souvent à notre dom- mage. Il pouvait être prudent et modeste, et votre éducation pouvait le former dans les bonnes mœurs. Mais (ce qui était fort "a craindre) il pou- vait cire semblable "a beaucoup d'aulres. Si vous considérez ces jeunes gens de bonne maison, que la débauche a réduits a servir aux spectacles; si vous regardez encore ces infâmes qui se prêtent l'un à l'autrepour exercer leurs impudicilcs, qui ne sauraient passer un jour sans s'enivrer ou sans commettre quelque insigne méchanceté , vous avouerez qu'il y avait plus 'a craindre qu'à espé- rer. Vous ne devez donc pas aller chercher des raisons pour vous affliger, ni vouloir augmenter une peito légère par un ressentiment affecté. Je ne demande point que vous fassiez un grand effort, et je n'ai pas si mauvaise opinion de vous que vous ayez besoin de toute votre vertu pour cela. Ce n'est pas une douleur, ce n'est qu'une piqûre , et toutefois vous en faites une douleur. Vous auriez fait sans doute un grand progrès dans la philoso- phie , si vous regrettiez tout de bon un eufant que son père connaissait moins que sa nourrice! Quoi ! est-ce que je veux vous rendre insensible et vous persuader de marcher tête levée dans la cérémo- nie des funérailles sans permettre que votre cœur suit. Flet aliquis factum , qnod aiebat non posse non (leri ! Quisquis aliquem queritur mortuum esse, querilur ho- minein fuisse. Onines eadem comiitio deTinsit : ciii na.sci coutii'it, mori restât. Iniervallis dislinguimiir, esilu a>qi;anmr. Une, (juod iuter [liiiiuni dicin et ullinium ja- cet, vai'iiim iiiccrtunique esl : si iiiolcslias a?s;inias, l'tiam puero longuin; si velocitatem , eliani seni angus- luin. Nihil non luhricum et fallax, et omni tempestate jiiobilius. Jactantur cuocta , et in cnnirarium transeunt, jiibente fortuna; et In lanta yolulatione rcrum liumaua- rnm nihil cuiquani , nisi mors, certuin est. ïamen de eo qiicruntur omnes, in quo une nenio decipitnr. » Sed puer decessit 1 — Nondum dico , inelius agi cum eo qui vita defnngitur : ad euni Iranseanius qui conse- nnit;quanlulo vincit infantem? Pioponc temporis pro- tundi vastitalem , et nniversum coniplectere; deinde hoc, qnod œtatem vocamus humanam , compara immense: videbis quam exigunni sit, quod oplamus, qnod exten- dimus. Ex hoc quantum lacrimae, quantum .•solliciludines occupant? Q.ianlum mors, .iniequani vcuiat, oplala? Quantum \aletudo, quantum timor, quantum teneri aut -udcs^aul inut.ies anni ? Diraidium es hoc cdormilur .\iljice labores, luclus, pericula; et intelliges, etiam in longissima vila minimum esse quod Titilur. Sed quis tibi concedet , non melius se habere eum , cui cite rcverli licet , cui ante lassitudinem peractum est iler? Vila nec l>onum nec malum est; boni ac raali locns est. lia nihil ille per- (lidit, nisi aleam in damnum cerliorem. Potuit evadere modestus et prudens; potuit sub cura tua in niellera for- mari : sed ( qudd jusiius timelur) potuit fîeri plurilms similis. Aspice illos juïenes , quos ei nobilissimis domibus in arenam luxuria projecit; aspice illos, qui snam alie- namque llbidinem exercent, mutuo impndici; quorum nullus sine el)rietate, nullus sine aliquo insigni flagitio dies exit : plus timeri quam sperari potuisse , manifes- tum erit. Non dcbes itaque causas doloris arcessere , nec levia incommoda indignando cunmlare. Non horlor, ut nitaris, et surgas : nou tam maie de te judico, ut tibi adïersus hoc totam putem virtuteni advocandam. Non est dolor isie, sed morsus : lu illum dolorem facis. Sine do- biomultum philosophia profecit, si puerura, nulrici ad- huc quam patri notiorem, animoforti desideras! » Quid nimc ergo duritiam suadeo, et in funere ipcu rigere Tultum volo, et animum ne contrahi qaidein p»? ÉPITRES A LUCILIUS. en soil toaché? Nullement. C'est inhumanité, non pas Tertu , de voir porter ses parents au tombeau avec les mêmes yeux qu'on les voyait en vie, et de n'être pas ému lorsque l'on vient à se séparer de ses amis. Mais, supposé que je le défende , il y a des choses qu'on ne saurait empêcher. Les larmes tombent quoiqu'on les retienne, et soulagent le cœur qui est oppressé. Que faire donc? Permet- tons qu'elles tombent, mais ne l'exigeons pas. Qu'elles coulent tant qu'elles voudront de l'affec- tion et non pas de la coutume. Il ne faut rien ajou- ter à la tristesse ; on ne doit point la régler par l'exemple d'autrui. L'ostentation de la douleur est plus incommode que la douleur même. Combien en trouverez-vous qui soient tristes dans le cœur? Ils crient plus haut quand ou les entend. Ils sont tranquilles, ils ne disent mot quand ils sont seuls; mais, s'ils voient venir quelqu'un , ils se remet- tent à pleurer, ils se tirent les cheveux, ils sou- naitent la mort, ils se jettent à bas du lit, ce qu'ils pouvaient faire plus librement quand personne ne les en empêchait : tant il est vrai que la dou- leur ne peut durer, quand elle n'a point de té- moins ! D'ailleurs, nous avons ce défaut de nous régler, en toutes rencontres, sur la pluralité, et ce qu'on a coutume de faire plutôt que ce qu'il faut faire. Nous quittons la nature pour suivre le peuple , qui est un mauvais guide , aussi léger eu ceci qu'en tout le reste. Voit-il un homme résolu dans son deuil , il dit que c'est un cruel et un bar- bare. En voit-il un autre couché par terre , em- brassant le corps du défunt, il dit que c'est un lâche et un efféminé. C'est pourquoi il faut mesu- rer les choses par la raison. 79t Au reste, il n'y a rien de plus impertinent que de vouloir acquérir la réputation par la tristesse, et de chercher l'approbation à ses larmes. Pour moi, j'estime qu'il y en a qui doivent être per- mises à l'honmie sage , et d'autres qui ne dépen- dent pas de sa volonté. J'en ferai voir la différence. Lorsque nous recevons la nouvelle d'une mort qui nous touche, ou que nous embrassons le corps d'un ami décédé, que l'on va consumer par le feu, la nature nous force de verser des larmes, parco que les esprits émus par la douleur remuent tout le corps, et pressant l'humeur dout tous les yeux^ sont environnés, ils la font sortir au dehors et distiller en pleurs. Ces larmes tombent de force, sans que nous les puissions retenir. Il y en a d'au- tres que nous laissons échapper, lorsqu'on nous parle des personnes que nous avons perdues, ou quand il nous souvient de leur conversatiiin , de leurs entretiens et de leurs bons ofOces. Il y a quelque douceur dans cct!e trisletsc qui rcl;'iche et humecte les yeux comme dans la joie. Nous donnons passage aux unes, les autres se le font malgré nous. On n'a donc pas raison de répandre ni de retenir ses larmes, par la considération des personnes présentes, puisqu'on ces occasions il n'y a rien de plus honteux que de feindre. Il faut les laisser couler naturellement, ce qui se peut fairo en demeurant paisible et tranquille. On a vu sou- vent pleurer le sage .sans rien perdre de son auto- rité, et avec un tempérament si juste, que ses larmes avaient quelque chose d'humain et de grand. On peut, dis-je, obéir il la nature, en con- servant sa dignité. J'ai vu des gens d'honneur aux fuérailles de leurs parents , portant leur afflictioa tiorr Minime I Inhumaailas est ista , non virtus , funera uiornm iisdcm ociilis, quilius ipsos, Tidere, nec com- moveriad primani familiariiim dirulsionpm. Puta auteni me yetare; qiiajdam surit .sui juris : encidunl ctiain reli- nentibus lacriins, et aaiiiium profnss levant. Quid ergo est? Permitamus illls cadere, non iniperenius : fliiat quantum afrectus ejecerit, non quantum poscet imilatio. NihII tero mœrori adjiciamus, nec i!lum ad alienuni au- geamus exemplum. Plus ostinlalio doinris exigit, qnam dolor : quotusquisque sibi Iristis est? Clarius , quum au- diuntur, gemuat; et, taciti quicliqiie duin secretum est, quum aliquos Tidere, in flelus novos excilantur. Tune capiti suo mauus ingérant; quod potuerant facere, nullo probibente, lil)erius; tonc morteni comprecantur sibi; tune lectulo detolvuntur. Sine spectatore cessiit dolor. Sequitur nos, nt inaliis rébus, ila in bac quoque, boc vitium, ad plurium exempta componi ; nec, quid opor- teat, sed quid soleat, aspicere. A natura discedimus : populo nos damus , nallius rei bouc auctori , et in bac re, sicut in omnibus , inconstantissimo. Videt aliquem for* tem in luctn suo, impium yocat , et efferatum : videt ali- qnem collabentem, et corpori alTusuro; efreminatum ait, et eoerrem. Omnia itaque ad rationem rerocaada sunt. > Stnitius yeronibil est,quam faniam captare trislitiœ, et lacrimas approliarc; quas judico sapieiili viro alias pcr- missas cadere, alias \i sua lalas. Dicam quid inti>rsit. Quum primus nos nunt'u-; acerbi fiincrs perculit ; (;uura tenemus corpus ecompleiunoslro in ignem tnin.situruni; lacrimas naluralis nécessitas exprimit ; ctspiiitus, irlu doloris impuisus , qiiem.dmoduni lotuni cnrpu.s (luiiti:, i:a oculos , quilius adjacentcm huiiiorélii pei pn mit et expellil. lia; lucrima; per ilisiiini'ni cadnnt i.oleuiilMii nobis. AlicE sunt, qiiibiis exitum dnmns, qunni iiicmora eorum, quos amisinus, reliaclatur; et inest quidd.im dulce trisiilias, quum occurrnnt serniones eoiuiii ju- cundi, couTersalio bllaris, oITiciosa pielas : lune oruli, velut in gaudio, relaxantur. IIls indiilgemiis; illis lincl- mur. Non est itaque, quod lacrimas propter cirium- itantem assidentemque aut conlineas, aut exprimas : nec cessant, nec Quunt unqunm tara lurpiler, quam flnguntur. Eant sua sponle; ire aulem possunt placidii atque compositis. Sa?pe , salva sapienlis auctoritale, Guxernnl; tanto tempcramento, ut illis nec humanitai, nec dignitas deessel. Licet , inquara , naturs otxcqul. 792 empreinte sur leur visage , qui , sans affecter au- cune tristesse étudiée, ne témoigoaieut au deliors que ce qu'ils sentaient au dedans. 1! y a quelque bienséance dans la tristesse que le sage est obligé de garder, et la médiocrité est nécessaire dans les pleurs comme en toute autre chose. Les douleurs des ignorants sont excessives, aussi bien que leurs joies. Il faut souffrir doucement ce qu'on ne peut éviter. Quand la pensée vous viendra que ce n'é- tait encore qu'un enfant, pensez aussi qu'il était ué comme les autres hommes , de qui les jours sont incertains , et que la fortune ne conduit pas toujours jusqu'à la vieillesse, les laissant souvent en chemin. Au reste, parlez souvent de lui, et vous le remetioz en mémoire autant qu'il est pos- sible. Vous le ferez fréquemment, si vous le faites sans chagrin ; car si l'on fuit la conversation d'un homme naturellement triste, on ne peut pas se plaire avec la tristesse effective. S'il vous a dit quelque chose de tendre , s'il a fait autrefois quel- que gentillesse où vous avez pris plaisir, répétez ces choses, et assurez hardiment qu'il aurait ré- pondu à tout ce que l'affection paternelle vous en avait fait espérer. C'est une espèce de cruauté d'oublier ses proches , d'ensevelir leur mémoire avec leur corps, de pleurer beaucoup et de ne s'en souvenir guère. C'est ainsi que les oiseaux aiment leurs petits ; leur amour, qui était violent et in- sensé, s'éteint aussitôt qu'ils les ont perdus. Cela ne convient pas 'a un homme sage, de qui le sou- venir doit durer plus longtemps que le deuil. Pour moi , je ne saurais approuver ce que dit Métro- SEiNÈQUE. dore : Qu'il y a certains plaisirs qui ont de l'al- liance avec la tristesse, et que c'est le temps de les pouvoir goiiter. Je rapporte ses mêmes paroles, et je vois déj'a ce que vous en jugerez. Car, qu'y- a-t-il de moins honnête que de chercher le plaisir dans le deuil, même de se servir du deuil pour trouver le plaisir ? Ce sont ces gens-là qui nous accusent de trop de rigueur, et qui décrient nos maximes comme trop austères, à cause que nous disons qu'il ne faut point recevoir la douleur, ou qu'il la faut chasser bien vite. Mais lequel des deux vous semble le plus incroyable ou le plus in- humain, de ne sentir point la douleur après la perte d'un ami, ou de chercher le plaisir dans la douleur même. Ce que nous enseignons est hon- nête : qu'il ne faut point s'abandonner à la dou- leur, lorsque l'affection fait sortir, et pour ainsi dire, éclore de nos yeux quelques larmes. Mais pourquoi dites-vous qu'il faut mêler le plaisir avec la douleur? C'est ainsi que nous apaisons les jeunes garçons avec un morceau de tartre , et les jeunes enfants en leur donnant la mamelle. Vous ne vou- lez pas même suspendre l'usage du plaisir, tandis que votre fils brûle sur le bûcher, ou que votre ami est aux abois de la mort ; mais vous cherchez encore a chatouiller votre chagrin. Lequel est plus honnête, ou d'éloigner la douleur de votre corps, ou de joindre le plaisir avec la douleur? Je dis non- seulement le joindre, mais le rechercher encore au fort de la douleur. Y a-t-il quelque plaisir qui ressemble à la tristesse? Il nous est permis de tenir cette opinion, et non pas à vous qui croyez qu'il n'y a point d'autre bien dans la vie que le plaisir. graTitate servata. Vidi ego in funere suorum vcren- dos, in quorum ore amor eminebat, remota omni lu- gentiiim scetia. îyihil crat, nisi quod veris dabatur af- fectibus. Est allquis et dolendi décor : hic sapienli servan- dus est; et, qiiemadmodum incaeteris rébus, ita et in la- crimis aliquid sat est. Imprndentium , ut gaudia, sic do- lores exundavere. jEquo animo ejcipe necessaria. Quid incredibile, quid novum evenit ? Quam multis quum maxime funuslocatur! Quam multisvitaliaemuntur! quam multi post luclnra tuimi lugent ! Quotios cogitaveris puerum fuisse, cogita et bomi- nem; oui nihil certi promittitur, queni fortnna non uti- que pciducit ad senectutem, unde visum est, dimittit. Cajterum fréquenter de illo loquere, et niemoriam ejus, quantum potes , célébra ; quae ad te sa-pius revertetur, si eril sine acerbitate ventura. Nemo enini libenter tristi con¥ersatur, nedum fristiliœ. Si quos sermones ejus , si quos quamvis parvuli jocos cum voluptate audieras, sae- pius répète : potuisse illum implere spes tuas , quas pa- terna mente conceperas, audacter affirma. Oblivisci qui- dem suorum , ac memoriara cuui corporibiis efferre , et effusissime flere, meniinisse parcissime, inlmmani animi est. Sic aves , sic ferœ suos diligunt fœtus ; quarum conci- latus est amor, et pane rabidus , scd cuni amissis totus exstinguitur. Hoc prudentem Tirum non decet : meminisse perseveret, lugere desinat. • Illud nullo modo probo , quod ait iictrodorus , ■ esse » aliquam cognatam tristitia» voluptatem; banc esse c;ip- i> tandam in ejusmoili tempore. > Ipsa SIetrodori verba SUbsCripsi. Mr,TpoiSâipo'j ErtoroAûv irpôç rr.v àôsXpr.v de E"oTrv yâft Tf'$ [ Avr7)ff\jyy«v(j^ ] xcov-^, xv xvrr;yETSty xarot ToOrov rtv xatfiàv. De quibus non dubito quid sis sensurus. Quid enim tur- pius, quam captare in ipso luctu Toluptatem , imo per luctum ; et inter lacrimas quoque , quod juTet , quarere f Hi sunt qui nolùs objiciunt nimium rigorem et infamant praecepta nostra duritia , quod dicamus dulorem aut ad- mittendum in animnni non esse , aut cilo eipellendum. Utrum tandem estantiDcredibilius,aut inhumanias, non sentire amisso amico dolorem , an voluptatem in ipso do- lore aucupari? Nos quod prœcipimus, bonestum est : quum aliquid lacrimarum affectus effudcrit, et, ut ita dicam , despumaverit , non esse tradendum animum do- lori. Quid tu dicis? miscendam ipsi dolori voluptatem I Sic consolamur crustulo pueros, sic infantium fletum in- fuso lacte corapescimus. Ne illo quidem tempore, quo filiusardet, autamicus eispirat, cessare pateris volupta- tem! sed ipsuni vis titillare raoerorem. Utrum bonestios dolor ab animo submoTetur, an voluptas ad dolorem quo- ÉPiTRES A ni d'autre mal que la douleur. Quelle alliance peut-il y avoir entre le bieu et le mal? Mais sup- posez qu'il y en ait, c'est maintenant qu'il la faut découvrir, et savoir si la douleur a quelque chose en soi d'agréable et de douj. Il y a dos remciies qui sont salutairesà certaines parties du corps, les quels il ne serait pas honnête d'appliquer en d'au- tres, et la situation de la plaie rend quelquefois in- décent ce qui serait utile et ne serait pas déslion- nôle 'a un autre endroit. N'avcz-vous pas de honte de vouloir chasser le deuil par le plaisir? 1! faut employer un remède plus austère. Dites plutôt que celui qui est mort ne sent point de mal ; car, s'il en sent, il n'est pas mort. 11 n'y a rien, dis-je, qui puisse blesser un homme qui n'est plus ; il se- rait encore, si quelque chose le pouvait blesser. Croyez-vous qu'il soit malheureux , parce qu'il n'est plus, ou parce qu'il est encore quelque part? Il est certain que ce n'est pas à cause qu'il n'est plus, car quel sentiment peut avoir celui qui n'est plus? Ni à cause qu'il est encore quelque part, parce qu'il a évité ce qu'il y a de plus fâcheux eu la mort, qui est de n'être plus. Disons donc à celui qui pleure et regrette un enfant mort en son bas âge : nous sommes tous égaux, jeunes et vieux , quant au terme de notre vie , si on le compare à la durée de l'univers ; car notre portion de cette immense durée est moindre que la plus petite partie qu'on se puisse imaginer, qui ne laisse pas de faire une partie de son tout, lui vérité, le temps que nous vivons n'est presque rien, et cependant notre erreur l'accroît et lui donne une vaste étendue. Je vous écris ceci , non 793 LUCILIUS. pas que je croie que vous attendiez de moi un remède qui viendrait si tard (car je sais bien que vous ne verrez rien dans cette lettre que je ne vous aie dit autrefois) , mais pour vous faire re- proche de vous être oublié vous-même durant quel- ques jours. C'est aussi pour vous exhorter à tenir bon contre la fortune, et à regarder ses traits, non pas comme s'ils pouvaient tomber sur vous, mais encore comme s'ils devaient être décochés contre vous. ÉPITRE C. U parle des livres de Fabianus et des différentes manières d'écrire de son temps. Vous me mandez que vous avez lu avec em- pressement les livresque Fabianus Papirius a com- posés des mœurs civiles; mais qu'ils ne répondent pas "a l'opinion que vous en aviez conçue. Vous blâmez ensuite sa façon d'écrire, ne vous souve- nant pas que c'est un philosophe qui en est l'au- teur. Je veux qu'il soit ainsi que vous le dites, et que ses paroles soient abondantes, mais vagues. Cela ne laisse pas d'avoir de la grâce, et un dis- cours qui coule doucement a quelque beauté qui lui est particulière. Car il est important, 'a mon avis, qu'il coule et ne saute pas. Il y a même de la différence en ce que je vais dire : Je trouve eu Fabianus plutôt un flux qu'un débordement de paroles ; elles sont fécondes, mais sans aucun désordre, quoique avec quelque rapi- dité. Cela fait voir clairement qu'elles ne sont ni étudiées ni travaillées, et qu'elles sont entière- que admittitur? admittitur, dico ? captatur, et quidam ex ipso: • Est aliqua, inqiiit, voluptas coguata tristiii». • — . lllud nobis licet dicere; Tobis quideni nun licet. Unum iMDum noslis , Toluptatem; uuuiu maluni , dolorem. Quaî potest inler bonum et malmn esse cognatio? Sed puta esse;nunc potissimumeruitur? et ipsumdulorcm scruta- mur, an aliquid babeat jucundum circa so et Tolupta- rium? Qaardam remédia, aliis partibus corporis saluta- ria, Telul fœda et indecora, adhibcri aliis nequeunt; et, quod aliubi prodesset sine damno verccundia», id lit ho- nestum loco vulneris. ^on te pudet luctum YOluplate sa- nare 1 Severius ista plaga cuianda est. lllud potius ad- œone , Dullum mali sensum ad cum , qui periit , pervenire; nam si pervenit, non periit. Nulla, in(|uam , eum res lae- dit, qui nuUus est; \ivit, li la;ditur. Utrum putas illi maie esse, quod nuUusest?an, quod est adhuc aliquls? Atqui Dec ex eo poiesl ef tormentum esse , quod non est : quis enira nullius seusus est? nec ex eo, quoi est; cffu- git cnini maximum mortis incnmmodum, non esse. lllud quoque dicamus ei , qui dellet ac desiderat in a;late prima raptum : Omnes, quantum ad brcvitatem œvi , si uni- verso compares, et juTenes et senes,in œquo sumus. Minus enira ad nos ex omni aetate venit , quam quod mi- Dimuin esse quis diierit; qooniam quidem minimum. aliqua pars est; hoc, quod viïimus, proiimum nibilo est : et tamen (o dcmcntiam nostrami) late disponitur. Ha?c tibi scripsi, non tanquam exspectaturus esses re- medium a me tam sérum : liquet enim mibi, te locutum tecum quidquid lecturus es : sed ut casligarem illam exi- guam moram, qua a te recessisti, et in reliquum adbor- larer, contra fortunam loUeres animes, et omnia ejus tela, non tanqnam possent venire , sed tanquam utique estent rentura , prospiceres. » Vale. EPISTOLA C. DE PlriBIO VABllNO PUILOSOPnO JLDICIUU, EJL'SQUE SCRIPTIS. Fabiani Papirii libros , qui inscribiuitur Civiliuui , le- gissc te cupidissime soribis , sed non respondisse exspec- tationi tuie : deinde, oblitus de philosopho iigi , composi- tionem ejus accusas. — Puta esse , quod dicis, et eflundi vcrba , non fingi : primum , babet isla res suam giiitiam ; et est décor proprius oralionis leniterlapsa". Multuni enira intéresse eiistimo, utrum exciderit, autluxeril. Nunc ia hoc quoque, quod dicturus sum, ingens differentia est. Fabianus mibi non effundere videlur orationem, sed fune dere : adeo larga est , et sine perturbatione , non sine cursu tamen , yeniens. lllud plane fatetvM- et prEefert, doo 7t)4 SÈNKQUE. ment do lui. Aussi a-t'il plus soin des mœurs que des paroles, et ce qu'il écrit est pour instruire les âmes , et non pour chatouiller les oreilles. D'iiilleurs, vous n'auriez pas eu le loisir de faire toutes ces observations lorsqu'il parlait; son dis- cours, en gros, vous aurait ravi: mais ce qui plaît étant animé par l'acliun, d'ordinaire a moins de grâce quand il est mis sur le papier. C'est loujours beaucoup d'avoir su plaire "a la première vue, quolqu"a revoir les choses de plus près on y puisse trouver 'a redire. Enfin, si vous me demandez mon sentiment , j'eslirnc ])lus celui qui a emporté l'approbation que celui qui l'a méritée. Je sais bien que ce dernier est plus assuré du succès , et qu'il peut se promettre plus hardiment le suf- frage de la postérité. Après tout, un discours trop recherché ne convient pas à un philosophe. Com- ment se monlreral-il coMSIant et résolu? Conmient fera-t-il épreuve de ses forces s'il craint de dire un mot iniproi>re? Le style de Fabianus n'était pas négligé, mais il était ferme, et vous n'y trouverez rien de bas. Les paroles sont choisies et ne sont point affectées. Elles sont notées, et ne sont point placées contre leur ordre naturel h la manière de ce temps. Encore qu'elles soient populaires et fa- milières , elles ne laissent pas d'être relevées. Elles exprimenides sentiments Jionnôtcs et maguiOques, qui ne sont point serrés comme une sentence , et qui vont plus loin. Nous examinerons ce qui n'est pas assez raccourci, ce qui est d'une belle con- struction, et ce qui n'a pas la politesse d'aujour- d'hui. Quand vous aurez tout considéré, vous n'y trou- verez rien de vide. Quoiqu'il n'y ait point de mar- bres de diverses couleurs, de canaux, de ces ap- partements qu'on appelle la chambre du pauvre, ni rien de ce que le luxe, qui ne se contente pas des ornements ordinaires, y pourrait ajouter; toutefois, comme on le dit communément, la mai- son est belle, joint que l'on n'est pas d'accord quel style est le meilleur. Les uns veulent qu'il suit mâle, sans toutefois être négligé. Les autres le demandent si austère, q'ue s'il se rencontre quelque endroit qui soit plus doux que le reste, ils le changent tout exprès, et coupent les périodes de peur qu'elles ne Gnissent au lieu où on les at- tend. Lisez Cicéron, vous verrez que son style est égal , mesuré, poli , doux et délicat , sans être lâ- che. Au contraire , celui de Polhon a du sel et de la pointe; il saute et vous laisse lorsque vous y pensez le moins. En un mot , tout unit doucement chez Cicéron, et tout tombe brusquement chez Pollion , si vous en exceptez peu de choses qui sont dites d'une même manière et dressées sur un même modèle. Vous diies encore que tout vous semble bas dans Fabianus ; mais je n'y aperçois point ce défaut. Ce qu'il dit n'est point rampant ; il est naturel et d'une suite douce et tempérée; il est uni et non pas ravalé. Il n'a pas , à la vérité, cette véhémence que vous demandez en l'orateur, ni ces pointes et ces surprises agréables des sen- tences. Mais voyez le corps du discours; il est beau , quoiqu'il ne soit point fardé. Vous me direz que son discours n'a rien de grand. Donnez-m'en un que vous puissiez mettre au-dessus de lui. Si vous me nommez Cicéron, qui a fait presque au- tant de livres que Fabianus sur le sujet de la phi- losophie , je vous l'accorderai ; mais une chose esse tractatam, oec dia tortam. Sed ita ut vis, esse crc- damus ; mores ille, non verba composuit, et aniniis scripsil isla, non auribus. Praeterea, ipso diceiite non vacasset libi partes intiieri , adeo te snninia rapuisset : et fere,(|uaB impetQ placent, minus prœstant ad manum relata. Sert illud quoque mullum est, primo aspectu ocu- los occupasse; etiam si contemplatio diligens inventura est quod arguât. Si me inlerrogas, major ille est, qui iudicium abstulit, qiiam qui raeruit : et scio hune tulio- rein esse; scio audacius sibi de futuro promittere. Oralio sollicita philosophum non decet. Ubi tandem crit fortis et conslans, ubi periculum sui faciet, qui ti- met vcrbis ? Fabianus non erat negligens in oratione , sed securus. Iiaque nihil invenies sordidum : electa verba sunt, noncaptata, ncc hujus sa-culi more contra natu- ram suam positu et inversa; splendida tamen, quamvis sumanlur e medio : sensus honestos et magnificos habes, noncoaclos in sentenliam, sed latins dictos. Videbimus quod panim recisum sit, quod parum structura; quod non hujus recentis politura; : quum circumspexeris orania , nnllas videbis angustias inanes. Desit sane varietas mar- morum , et loncisura aquarum cubiculis interfluentium , et pauperis cella , et quidquid aliud luxuria , non conteuta décore simplici , miscet : quod dici solet, domus recta est. Adjice uunc , quod de compositione non constat. Qui- dam illam ïolunl esse ei horrido comptam; quidam u»- que eo aspera gaudent , ut etiam , quae mollius casus ex plicuit, ex industria dissipent, et clausulas abrumpant, ne ad exspectatuiu respondeant. Lege Ciceronem : com- positio ejus una est; pedem curvat lenta, et sine infomia mollis. At contra , PoUionis Asinii salebrosa, et exiliens, et, ubi minime eispectes, relictura. Denique, omnia apud Ciceronem detionnt, apud PoUionem cadunt; ex- ceptis paucissimis, quae ad certum modum, et ad unum exeraplar, adslricta sunt. Humilia praeterea tibi videri dicis omnia, et parum erecla; que vitio carcre enm ju- dico. Mon sunt enim humilia illa , sed placida , et ad animi tenorem quietum compositumque formata ; noc dc- pressa, sed plana. D?est illis oratorius Tigor, stimulique, quos quaeris , et subiti ictus senteuliarum ; sed totuni cor- pus ( fideris quam sit comptum ) bonestum est. Non ha- bet oratio ejus , sed débet dignitatem. Affer, queni Fa- biano possis praepoDere. Die Cicerouem , cujus libri ad philosophiam pertinentes paene totidem sunt, quoi l*»- ÉPITRES A LUCILIUS. 79-> n'est pas pelile pour Cire moindre que la plus grande. Si vous me proposez Asioius Pollion, j'en demeurerai d'accord, après vous avoir répondu que c'est exceller dans uu métier si difflcile que de n'en voir que deux devant soi. Âmenez-moi en- core Livius ( car il a compose des dialogues qui sont autant pour la philosophie que pour l'histoire ; il a même fait des livres esprès de la philosophie ) , je lui donnerai aussi la préséance. Mais considé- rez combien de personnes sont précédées decelui qui n'est précédé que de trois, et des trois plus éloquents hommes du monde. Vous me direz : Il ne remplit pas tous les ca- ractères; son discours n'est pas fort, quoiqu'il soit élevé; il n'est ni impétueux , ni rapide, quoi- qu'il se répande librement; il est pur et n'est pas assez clair. Vous voudriez, dites- vous, que l'on invectivât contre le vice, que l'on parlât hardi- ment contre les dangers, superbement contre la fortune , et aigrement contre l'ambition ; que l'on blâmât la profusion, que l'on exterminât l'impu- dicité, et que l'on ahatlil la tyrannie ; que le lan- gage de l'orateur fût véhément , celui du tragique élevé, et celui du comique vulgaire. Mais voulez- vous qu'un philosophe s'arrête 'a si peu de chose, j'entends à des paroles , lui qui s'attache seule- ment à la grandeur des choses, et que l'éloquence accompagne partout, comme son ombre, sans qu'il y pense ? Ce qu'il écrira , sans doute , ne sera pas toujours exact ni bien lié , chaque mot ne ré- veillera pas. Je l'avoue : il dira mémo beaucoup de choses qui ne porteront point coup, et quel- quefois tout son discours passera sans que per- sonne en soit touché. Mais vous trouverez partout beaucoup de lumières et de grands espaces qui ne seront point ennuyeux. Enfin, il vous fera connaî- tre qu'il est persuadé de tout ce qu'il écrit. Vous verrez que son dessein n'est pas de vous plaire , mais de vous montrer ce qu'il lui plaît. 11 ne cher- che point de louanges, tout est pour le profit et pour les bons sentiments. Il me semble que ses écrits sont de cette nuture-l'a , quoique je ne m'en souvienne pas bien et qu'il ne m'en reste qu'une idée en gros, telle qu'on la peut avoird'une chose dont on a eu connaissance autrefois. Quand j& l'allais entendre j'en jugeais de cette sorte, et que ses discours, quoiqu'ils ne fussent pas de celte extrême vigueur et solidité, avaient assez de force pour animer un jeune homme bien né à le suivre sans lui ôter l'espérance d'en venir à bout. Cette sorte d'exhorlalion me paraît très-efficace; car on rebute la jeunesse quand , après lui avoir donné envie d'imiter un beau modèle, on lui en fait per- dre l'espérance. Au reste, il était abondant en paroles , et son discours, en général , sans louer autrement chacune de ses parties, était magui • fique. ÉPITRE CI. Qu'il est ridicule de faire de longs projets, vu l'incerti- tude et la brièveléde notre vie. — Qu'il faut se défaire du fol amour de la vie, et considérer chaque jour comme s'il était une vie entière. Il n'est jour qui ne nous fasse connaître noirs- néant, et qui ne nous avertisse de notre fragilité, par quelijue occasion qui nous oblige de songer 'a la mort lorsque nous faisons des projets pour une éternité. Vous me demanderez ce que veut dire ce Mani : cedam; scd non statim pusillum est, si qnid maii- nio minus est. Die Asinium Pullionem : cedam , et respon- deamus : In re tanta eminere est , post duos esse. Piomiua adhuc T. Livium : scripsit enim et dialogos, quos non magis pbilosopbia! annuraerare possis, quam historia?, et ei professo pbilosnphiam continei]te< librns. Iluic quo- que dal>o locum; vide tamen , quam ronltos antecedat, qui a tribus vincitur, et tribus eloquenlissimis. Scd non prxslat omnia; non est fortis oratio ejus, quamvis data sit; non est violenta , nec lorrens , quamvis effusa $it:nonestperspicua,scd pura.Desideras, inquis, fonlra vilia aliqnid «spere diri , contra pericula animose, contra forlunam superbe , contra ambitioncm contumc- liodio spatium. Denique illud pracstabit, nt liqueat tibi, illum sensisse quiE scripsit. Intelliges boc actum , ut tu scires , quid illi placeret; non ut ille placeret tibi Ad profcclum omnia tendunt , ad bonam menlem ; non quaeritur plausus. Talia esse scripta ejus non dubilo , etiamsi magis reniiniscor, quam teneo; baeretque mihi color eorum, non ex re- centi conversatione familiariler, sed summatiui , ut solet ex vetere notilia. Quum audirem certe illum, talia niihi videbantur: non solida , sed plena ; qux adolcscenlem in- dolis bons attollerent, et ad imitationem sui evucarent, sine desperatione vincendi : quae mibi adborlatio videtur efflcacissinia ; deterret enim, cui imilandi cupiditalem fecit, ipem abslulit. Cslerum verbis abundabat; sine commendatione parlium siogularura , in uuiversum nia- gnifica». Vale. EPISTOLA CI. DE MODTI! SENECrOniS. Omnis dies, oranis bora , quam nibil snmus, ostendit, et aliquo argumento reccnti admone t fragilitalis oblitos; tum aeterna méditâtes respicere copit ad mortem. — Quid sibi istud principium velit, quicris? Senecionem 796 SÉN coramencemenl : Vous avez connu Sénéciou Cor- neille, chevalier romain, qui vivait splendidement et faisait volontiers plaisir. Il s'était élevé de la poussière et montait déjà bien vite h la grandeur ; car elle croît plus aisément (]u'elle ne commence, et l'argent qui tire un homme de la pauvreté est ordinairement long et dilflcile à gagner. Ce Séné- cion aimait passionnément les richesses, a quoi il élait porté par deux raisons , par l'adresse qu'il avait à les acquérir , et par la science de les con- server, l'une desquelles, toute seule, élait capa- ble de le rendre puissant. Cet homme , grand éco- nome, et qui n'avait pas moins de soin de son bien que de sa personne , m'étant venu voir le malin, selon sa coutuujc, demeura tout le jour auprès de son ami qui était malade et désespéré des médecins ; et , après avoir soupe gaîment, fut surpris d'une forte esquinancie qui lui serra telle- ment la gorge qu-à peine put-il vivre jusqu'au point du jour. Il mourut en peu d'heures, après avoir rendu à ceux qui le visitaient tous les devoirs et toutes les civilités qu'on aurait pu désirer d'un homme en bonne santé. Ainsi , celui qui faisait rouler l'argent sur mer et sur terre , et qui, pour proûtcr des bonnes occasions , s'élait intéressé dans les fermes publiques, fut enlevé lorsque ses affaires étaient en bon état , et que l'argent lui ve- nait de toutes parts. El puis allez planter la vigne el l'olivier. Quelle folie de vouloir disposer tout le temps de notre vie , puisque nous ne sommes pas maîtres du lendemain. 0 la soltise de tramer de longs des- ÈQUE. seins! J'achèterai, je bâtirai, je tirerai proGl, j'exercerai des charges, et, après que je serai las de travailler, je me donnerai du repos dans ma vieillesse, lin vérité, tout est incertain, même aux plus heureux. Personne ne se peut assurer de l'avenir; cela même que nous tenons nous échappe des mains. Un coup de mer vient en un instant rompre la corde qui nous soutenait; le temps court par un chemin qui est réglé , mais qui nous est inconnu. Que me sert qu'il soit certain au regard de la na- ture , s'il est incertain pour moi? Nous proposons des voyages de long cours sur les mers étrangères, d'aller à la guerre et d'obtenir des récompenses qui n'arriveront que bien lard. Nous recherchons des emplois et prétendons nous élever d'une charge 'a l'autre, et cependant la mort esta nos trousses; mais parce que l'on n'y pense jamais que lorsqu'on la voit chez autrui , la nature nous avertit assez souvent que nous sommes mortels , par des exem ■ pies funestes qui, toutefois, ne nous touchent qu'autant de temps qu'ils nous étonnent. Quelle soltise de s'étonner qu'il arrive en un temps ce qui peut arriver en tout autre! Le terme de no- tre vie est fixé par un arrêt immuable du destin , sans que personne sache combien il est proche. Disposons donc notre âme comme si ce jour était le dernier. ^ 'attendons point davantage; soyons prêts tous les jours de rendre à la vie ce qu'elle nous a prêté. Le plus grand défaut que j'y trouve, c'est qu'elle est toujours imparfaite, et qu'il y a quelque partie qui n'est pas achevée. Qui a mis la deruière main à sa vie a'a plus besoin de temps : Corneliuin , equitem Romanum splendidum et officiosum noveras : ex lenui priiicipio se ipse promoverat, et jam illideclivis erat cursus iui caelera. Facilius enini crescit dignilas, quani iucipit. Pi'cri:iij quoque circa pauperta- teni pluriinam niorain habet, dura ex ilia erepat. Ilic etiara Senecio divitiis imiuinehat, ad quas illuni duae rcs ducebaiit eflicaciisima;, et quaerendi, et custodiendi scieiilia ; quarura vel altéra locapletem facere potuisset. Hic homo summaj fi-ugalitalis, non minus patriniooii quam corporis diligens . quum nie ex cousueludinc maue vidissctj quuni per totum dieni amico praviter alfecto, et sine spe jaceuti.usqueinnoctemassedisset; quuiu hilaris cœnassct; génère valetudinis pra'cipiti arreplus, augina, vix conipressum arclalis faucilms spirilum Iraxitin lucem. Intra paucissinias ergo lieras, postquam onuiibus erat saniae valentis ofliciis funclus, decessit. Illc.qui et terra et mari pecuniani agiiabat; qui ad publica quoque, nul- lum reliquens inexpertum genus quaeslus, accesserat; in ipso actu beue cedenliuui reruiu, in ipso procurrentis pecunia; iinpetu, raplus est. lusere nunc, Melibœe, piros ; pone orrtine, vites! Quam stultum est, œlateni disponere ne craslini quidem dominuni ! O ipianla deiïjcntia est spcs loiigas incoban- tiuni ! — Emam, xdiQcabo, credam, eiigam. booorcs geram ; tuni demuin lassam et plenam senectuleni ia otium referam. — Onsnia, mihi crede, etiam felicilius dubia sunt; nihil sihi quisquam de futuro débet proniil- tere ; id quoque , quod tenelur, per manus exit; et ipsaiu quam preiniiuus, horani cisus iocidit. Volvitur lempus, rata quidem legc , sed per obtcurum : quid auteni ad nie, an nalur» certuui sit, quod mihi incerlum est ? Naviga- lioiies lougas, et pererratis littorihusalienis, seros in pa- triam reditus proponimus , militiam , et castrensium la- borum tarda manupretia, procura tiones, officiorumque perofTicia processus ; quum intérim ad latus murs est; qua; quoniam nunquara cogitatur, uisi aliéna , snbinde nobisingeruntur morlalitatiseïenipla.nondiulius, quam dum miramur, ha'sura. Quid aulem slultius , quam mi- raii , id uUo die factum , quod omni potfit Ceri 1" Slat quidem terminus nohis, ubi illum ineiorabilis fatorum nécessitas fixii; sed nciuo soit nostrum, quam prope ver- setur. Sic itaque formeiiius animum , tanquara ad eitrema Tcnlum sit; nihil differamus, quotidie cum vita paria fa- ciamus. Maximum vitse vitium est , quod imperfecla sem- per est, quod in aliud ex alio differlur. Qui quotidie xit;p sua; suinmam manum imposuit, non indiget tempore. Ex EPITRES A LUCILILS. 797 c'est «le ce besoin que procède la crainte de l'ave- nir qui nous ronge l'âme. La misère est esrtrcme, d'être toujours en doute de ce qui peut arriver, et l'on ne saurait conce- voir le trouble dont un esprit irrésolu se trouve agité. Comment donc se garantir de cette per- plexité? Par un seul moyen, qui est de ne point étendre , mais de bien ramasser le temps de sa vie; car celui qui ne proGte point du présent de- meure eu suspens de l'avenir. Mais , lorsque je me suis acquitté de ce que je me devais , mon es- prit étant persuadé qu'un jour et un siècle ne dif- fèrent en rien , il regarde froidement la suite des jours et des affaires, et se rit de la vicissitude des temps. Comment serait-il si troublé par des acci- dents variables et légers, s'il demeure ferme con- tre les choses qui n'ont point de stabilité? C'est pourquoi, mon cher Lucile, hâtez-vous de vivre et faites état qu'autant de jours vous sont autant de vies. Qui peut se mettre dans cette dis- position d'esprit, et considérer chaque jour comme si c'était une vie entière , est en parfaite assu- rance. Ceux, au contraire, qui se promettent de longues années , laissent échapper le présent ei tombent dans un amour passionné de la vie, et dans une crainte épouvantable de la mort, qui est la source de toutes les misères. C'est ce qui a donné lieu au souhait infâme de Mécénas , qui se soumet à toutes les infirmités, à la mutilation de ses membres , et aux supplices les plus rigoureux , pourvu que sa vie lui soit prolongée. Qu'on me rende manchot, cul de jatte, impotent; hac aatem indigentia timor nascitar, et cupiditas futuri, exedens aninmm. Nihil est miserius dubitatione venlen- tinm, quorsus évadant. Quantum sit illud , quod restât, autquale, non collecta mens iaeiplicabiti formidioe agi- tatur. Quo modo efTugiemns hanc votutationeni? uno, ri Tita nostra non prominebit , si in se colligctur : ille enim ex futuro suspendilur, cui irritum est pra>sens. Ll)i vero, quidquid mlhi debui, redditumest, ubi slabilita mens scit nihil intéresse inter diem et séeculum; quid- quid deinceps dierum rerumque venturum est , c\ alto prospicil, et cura mutio risu seriem temporum cogilat. Qoid enim varietas mobilitasque casuum perturbabit, pondeb(i iiunc siiipiilis cursim. Primniu, au sit ali- quod ex distantibus bonum , eliam nunc quirrilur ; et prrs utraque senlentias bal)et. Diinde , clar tas non desiderat ni' llasuflr. pia; polest et unius boni viri jiidicio essecon- tentii : nani omnes bonos boiius imus jnrticat. — « Quid eigo? in(iuit. et fama erit unius hominis cxistimalio, et infamia uniiis malignus sernio? Gloriam quoque, inquit, latins fusani inlelligo; ciinsensum eniui multorum exigit.» — Diversa horum conditio est , et il.ius. Quare? quia, si de me bene vlr bonus sentit , eodem loco sum , que , si omncs boni idem sentirent; omnes enim , si me rogno- 800 me connaissaient, le jugemen t des personnes qui ne sauraient disconvenir, se trouvant toujours sem- blable. Ainsi c'est autant que si tous y consen- taient, parce qu'ils ne pourraient pas avoir une autre opinion. Oui , mais pour la gloire et pour la réputation une seule voix ne suffit pas : je le dis encore; parmi ces personnes la, l'avis d'un seul vaut autant que celui de tous les autres, parce qu'ils le suivraient infailliblement, si on leur demandait leur sentiment. Mais , parmi le commun des hommes, les opinions ne sont pas moins différentes que sont les inclinations. Tout est incertain, léger et suspect. Pensez-vous qu'ils puissent être tous d'un môme sentiment, s'il ne s'en trouve pas un qui en ait un fixe et arrêté? Ceux-l'a aiment la vérité de qui la force est tou- jours égale aussi bien que le visage ; ceux-ci s'a- bandonnent 'a la fausseté, qui n'a jamais de con- formité ni de consistance. Mais, disent-ils, la louange n'est autre cho^e qu'une voix; or, la voix n'est pas un bien. En di- sant que la réputation est une louange que les gens de bien rendent à la vertu , ils n'en rappor- tent pas cette louange 'a la voix , mais "a l'opinion; car quoiqu'un homme de bien juge un autre digne de louange, sans dire mot, il le loue assez. D'ail- leurs il y a différence entre louange et louer; ce- lui-ci a besoin de la voix : d'oii vient que l'on ne dit pas la louange funèbre, mais l'oraison funè- bre, qui ne consiste qu'en un discours ou en un éloge? Quand nous disons que quelqu'un est digne de louange , nous ne lui promettons pas les paro- les, mais plutôt le jugement favorable des hom- mes. Par conséquent, la louange peut procéder SÉNÈQUE. d'une personne qui ne dit mot, et qui lOue un homme de bien dans son cœur . et puis , comme je l'ai dit, la louange se rapporte 'a l'opinion, et non aux paroles qui la manifestent. C'est louer an homme, en effet, que de croire qu'il doit être loué. Quand ce tragique dit que c'est une chose magnifique d'être loué lui-même par un homme qui est loué , il entend par un homme qui est di- gne de louange. Quand le poète ancien dit aussi : La louange nourrit les arts, il ne dit pas louer les arts, car ce serait les corrompre. Il est certain qu'il n'y a rien qui ait tant altéré l'éloquence et les autres sciences qui sont destinées pour l'oreille, que les applaudissements et les acclamations po- pulaires. Il est bien vrai que la renommée de- mande le secours de la voix ; mais l'estime se peut acquérir sans ce secours, et n'a besoin que du jugement. Elle demeure en son entier, soit qu'on parle contre elle, soit que l'on n'en dise rien. Je vous veux dire en quoi l'estime diffère de la gloire La gloire vient du jugement de plusieurs person- nes, et l'estime de l'opinion des gens de bien seu- lement. A qui, demandent-ils, appartiendra celte estime, c'est-'a-dire la louange que les bons don- nent aux bons? Est-ce à ceux qui sont loués , ou "a ceux qui louent? Je réponds : C'est aux uns et aux autres. A moi , premièrement, qui suis loué, et qui, aimant naturellement tous les hommes, me réjouis d'avoir fait du bien et d'avoir trouvé des personnes reconnaissantes de mes bonnes actions. C'est le bien d'autrui d'être reconnaissant, mais c'fist aussi le mien; car je suis de cette humeur, que jeslime le bien d'autrui comme le mien pro- pre , particulièrement celui qu'on reçoit par mon Terint, idem sentient. Par illis idemque judiciiim est; œque vero insistitur ab his, qui dissidere non possiiiit. Tfa pro eo est , ac si omnes idem sentiant , quia aliud sen- tire non possunt. Ad gtoriani aut famani non est satis unius opinio. Illic idem potcst unius sentenlia , quod om- nium; quia omnium, si perrogetur.uuaerit; fiicdiversa di.'simitium judicia sunt, dissimiles affectas; dul)ia omnia invenias, levia, suspecta. Putas tu po.sse unam omnium esse senlentiam ? non est unius nna senti-ntia. Illi placct verum; Tcrilatis una vis, una faciès est : apud lios falsa •sunt , quitms assentiuntur. Tyunquam auteni falsis constan- tia est; variaiitur et dissident. — « Sed laus , inquit, ni- hil aliud quam vox est : vox autem bonum non est. » — Quum dicant, claritatem esse tandem bouorum, a l)onis reddilam; jam non ad vocem referunt, sed ad senlen- tiam. Licet enim Tir bonus laceat, sed aliquem judiret dignum laude esse , laudatus est. Pra^terea, aliud est laus, aliud laudatio : ha'C et Tocem exigit : itaque nemo dicit laudem funebrem, sed laudalionem, cujus oflicium ora- tione constat. Quum dicimus aliquem laude digniim, non Terba ilti benigna bominum , sed judicia promittimus. Ergo laus eliam lacitiest l)enesenlientis, acbnnum TJrum apud se taudantis. Deiade, ut dixi, ad animum refertnr laus, non ad verba , qua; eonceptam laudem egerunt, et in notiliam plurium emittunt. Laudat , qui iaudandom esse judicat. Qnum Tragicus ille apud nos ait , « Magoi- llcum esse laudari a lanJato viro; • laude digno, ait. Et quum ^que antiquus poeta ait, Laus alitartes; non laudationem dicit , quœ corrumpit artes : nihil enim œque et eloquenliam , et omne aliud studiam auribns de- ditum vitiaïit, quam popularis assensio. Fama vocem uti- quedesiderat, claritas non; potest enim citra Tocem con- tingere, contenta judicio ; plena est, non fantum inler tacentes , sedetiam inler reclamantes. Quid iotersit in:er claritatem et gloriam , dicam. Gloria moltonim judiciis constat, claritas bonorum. « Cujus, inquit, bonum est claritas, id est, laustioDo a bonis reddita ? ulrum laudati , an laudantis ? • — Utrius- que : meum , qui laudor; qnia uatura me am.intpm om- nium genidl, et bene fecisse gaudeo , et pratos me inve- nisse virtulum interpreies laetor. Hoc plurium bonnm est, quod grsti sunt; sed et mciim. Itaenim aniinocoffi- ÉPITRES A LUCILIUS. Soi moyen. Voilà le bien do cenx qui louent; car c'est une action de vertu , et toute action de vertu est un bien. Cela ne leur .serait pas arrivé , si je ne ni"étais mis dans cet état : ainsi , c'est un bien de part et d'autre, d'être loué pour son mérite, commec'est un avantage de bien juger, lanl au re- gard de celui qui juge que de celui qui profite du Jugement. Douiez -vous que la justice ne soit un bien tant pour celui qui la rend (]ue pour celui au- quel elle est rendue? Or, il y a de la justice à louer celui qui le mérite; c'est donc un bien com- mun h l'un et 'a l'autre. Nous avons suffisamment répondu à ces chicaneurs; mais noire intention n'a pas élé de débiter des subtilités et de tirer la philosophie de son trône , pmir la jeter dans ces détroits. Il vaut bien mieux aller le droit chemin, que de s'engager dans ces labyrinthes, d'où l'on a bien de la peine à se développer. Car, en vérité, toutes ces disputes ne sont autre chose que des jeux de personnes qui se veulent adroiiement sur- prendre. Monirez-nous plutôt combien il est na- turel à l'homme de porter ses pensées jusqu'à l'in- fini. L'esprit de l'homme est quelque chose de grand et de généreux qui ne souffre point d'autres bornes que celles qui sont communes avec Dieu ; il ne reconnaît pour sa patrie aucun endroit ici- bas, soit Ephèse , Alexandrie ou quelque autre lieu plus spacieux ou plus habité. Sa vérita!)le pa- irie est l'enceinte de tout cet univers, et cette voûte qui enferme les mers et les terres, où l'air unit , sans le confondre , ce qui est mortel avec ce qui est divin, ou tant d'intelligences sont rangées pour y exercer leurs fonctions. Do plus, il ne veut pas qu'on lui donne un terme si court : tous les âges , dit-il, m'appartiennent. Il n'y a point de siècle fermé pour les grands génies, ni de temps impé- nétrable à la pensée. Le jour étant venu qui doit séparer ce qu'il y a chez moi de mortel et de divin, je laisserai ce corps où je l'ai trouvé, et je m'en retournerai en la compagnie des dieux. Je n'en suis pas à cette heure entièrement privé, je suis seulement retenu par la pesanteur de la matière. Ce séjour mortel est comme un prélude d'une meilleure et d'une plus longue vie. Comme le sein de noire mère nous retient neuf mois enfermés afin de nous préparer non pour lui , mais pour le lieu où il nous envoie lorsque nous sommes capa- bles de respirer l'air el de demeurer à découvert ainsi, depuis le bas âge jusqu'à la vieillesse, nous demeurons dans le S( in de la nature pour être en- fantés à une nuire vie et à un état plus avanta- geux qui nuus attend. Nous ne poiivors encore souffrir le ciel ni ses brillants, qu'à une longue dislance, liegardez donc sans peur cette heure fa- tah-, qui est la dernière du corps, et non point lu dernière de l'àir.e. Considérez tous les biens qui vous environnent comme les biens d'une hôtelle- rie où vous -pissez; il faut déloger, et la naiuro fouille ceux qui sortent, conmie ceux qui y entrent. H n'est pas permis d'en emporter davantage que l'on en a apporté. Il en faut même quitter une bonne partie. On vous ôlera cette peau dont vous êtes couvert; on vous ôtera cette chair et ce sang qui se répand dans tous vos membres; enfin , l'on positiu snin , Dtaliorum bonum meum jiidiccni: utique eorum , qaibus ipse sum boni causa. ï;st isliid Inndnnliiim boDum; virtute eniiu gerilur ; omiii» aultni viilutis ac- tio bonum est. Hoc cuiitiiigcre iilis uun potiiisset, aisi Cjio talis essem. lUqiie ulrlusque l>ouiirn est , luerilo l^imlari; lam mebcrcule, quam bcae j'idicas-se, judicaoti" Imnum est, et ejuB, secuiiduiii qiieiii judicaliim e.st. INuinqiiid dubitaa quin justitia pl lial>eiitiii bonum sit , et ejus, cui debilum soliit ? Merentem laudiPC juslitia est : ergo utriusque t>unum e.sl. CaviUatoribus Ulis abun<5c resp(«aderimus. Sed non de- t>el boc uobis esse proputiiuiii , argula disserere , et pbi- losopbiam in bas aiigust a» ex sua m^ij ''lile detrabei-e. Quanio satias est, ire aper.a Via tt recta , qu.nni sibi ipsi Ueius dispoDcre , quos cuni magna niDlostia di l>eas rcle- gcre ? Neque enim quidquam aliud iita' dJNpulal iones snot, quam intcr se peritccapiaiiliuni lusus. Dic polius , quam Daturale sit, ia iuimensum nienteiu suani eilcodcre. Magna et gcnerosa res est huiiianus aniums ; nuilos sibi poni, oisi communes etcuni Deo, terminus [atitur. Pri- inum.bumilem non accipitpatriam Epbesum aut Aleian- driani , aut si quod est etiamnunc frequenlius incolis, la;- tias tectis solum. Patria est illi quodcum(|uc suprema et uoiversa circuitu suo cingit; hoc omnc coDTexuin , intra quod jaceiil maria cjim terris; iutra quod aer, bumanis diïina secemeus , eliam conjungit; in quo disposita tôt uumina in actus suos excubaul. Deinde, arctani ietatem sibi daii non sinit;oiunps, iM(|uit, auni niei sunt; nulluni »a?culuni niagnls ingeniis clusuiii e.'^t , nulluni non cugi- lationi periium tempus. Quuni venent dies ille, qui mii- luni boc diviiii buiuauique secrruat, corpus bic, ubi io- veni , reliiiquani; ipse me diis rcddiiu. >'cc nuuc sine iliis sum, sed gravi leirenoqiie dcliueor carcere. Per bas mortulis ajvi nioras illi nieliori yi{iR longiorique proludi- tur. Queuiadiiiodumnovemiiiensilius lenet nos materniu utérus , et piic[)anit uon sibi , sed illi loco, in queni vi- dcniur emilti , jani iiloiiei sp.riluiu trahere , et in aperlo durare, sic pir bi)c spalium , quod ab iufantia patelin senectu.em , in aliuui ualura; niiiturescimus partuin. Al-a origo nus eispectat, aliiis leruiii status. Pioudum cœlum, uihi ex iutertallo, pati poisuinus. Pruinde intrepidus huram illam d(xre(oriam prospice; non est aninio suprema , sed corpori. Quidquiil circa te jacet rerum, tauquaui bospiuilii bici sarciuas specta ; trnnseundum est. Kicutitredemiieniiialiira , siiul inirau- tem. Non licetplus elferre, quauiiniuleiis; iino cliani ex eo, quud ad vi.ain atlulisti, pirs magna poneiida est. De- trahetur tibi bac circiuiijecla , uovisiimuni vciaineotum tui, cutis ;delra!iclur cnoetsurTusus san^uis discurrem- qnc pcr totura; delraliciilur ossa n(TT:que, flrtnamenta 803 SÉNÈQUK. vous ôtera jusqu'aux os et aux nerfs qui soutien- nent les parties qui ont moins de consistance et de fermelé. Ce jour, que vous appréhendez comme le der- nier de votre vie, est celui de votre naissance pour l'éternité. Laissez celte cliarge; que tardez-vous comme si vous n'étiez pas déjà sorti d'un corps où vous avez demeuré caciié? Vous iiésilez, vous re- culez; ce fut aussi avec de grands efforts que vo- ire mère vous poussa dehors. Vous soupirez, vous pleurez. Quand vous naquîtes, vous pleuriez aussi ; mais on vous le devait pardonner, car vous n'aviez encore nulle expérience. Étant sorti des entrailles de votre mère où vous étiez comme dans une étuve, vous fûtes exposé'a un plus grand air ; vous fûtes manié et froissé par des mains dures et gros- sières. Et tout tendre et ignorant que vous étiez, vous demeurâtes étonné parmi des choses que vous ne connaissiez pas. Maintenant vous ne devez pas trouver étrange d'être séparé de ce dont vous fai- siez auparavant une partie. Laissez librement des membres qui ne vous servent plus de rien. Aban- donnez ce corps , où vous n'habitez que depuis peu de temps. Mais il sera déchiré, écrasé, anéanti ; de quoi vous fàchez-vous? Il en arrive ainsi d'or- dinaire, on jette les peaux qui enveloppent les en- /anls quand ils viennent au monde. Pourquoi les aimez-vous comme si elles \ous appartenaient? Parce que peut-être vous en êtes couvert? Un jour viendra qui vous ôtera cette couverture , et vous retirera de ce ventre vilain et infect où vous êtes logé. Cependant, échappez autant que vous le pourrez; défaites-vous de tout ce qui n'est point nécessaire, et commencez "a prendre des pensées plus relevées. Les secrets de la nature vous seront un jour révélés. Les ténèbres seront dissipées, et la lumière vous environnera de tous côtés. Ima- ginez-vous quelle clarté produiront tant d'astres, qui mêleront leurs lumières ensemble. 11 n'y aura point de nuage qui trouble la sérénité. Le ciel sera partout également lumineux, puisque le jour et la nuit ne sont faits que pour la terre. Vous direz alors que vous avez vécu dans les ténèbres, voyant la lumière toute pleine que vous regardez main- tenant et que vous admirez de loin par les fenê- tres obscures de vos yeux. Que direz-vous de cette clarlé divine quand vous la pénétrerez dans sa source? Cette pensée doit éloigner de notre âme tout ce qui est bas, sordide et criminel; elle nous dit que les dieux sont témoins de toutes nos actions; que nous devons rechercher leur approbation, nous préparer pour le ciel, nous proposer une éternilé. Quand on est bien persuadé, on voit les armées eu bataille, on entend les menaces sans crainte et sans émotion. Pourquoi un homme , qui espère de mourir, ne serait-il pas exempt de toute appréhension, vu même que celui qui croit que l'âme ne dure qu'autant de temps qu'elle remue dans le corps, et qu'elle s'évanouit aussitôtqu'elle en est détachée, fait tout ce qu'il peut pour se rendre utile et considérable après sa mori ? Car, quoiqu'on ne le voie plus, toutefois La Terlu du liéros, sa naissance et sa gloire Se viennent présenter souvent à la mémoire. Si vous considérez le profit qu'apportent les bons exemples, vous trouverezquelesouvenirdesgrands hommes n'est pas moins utile que leur présence. fluidorum ac labentium. Dies iste, qnem ianquam cxtre- mum reformidas, a;terni natalis est. Depimeonus ! quid cunctaris , tanquam non prius quoque , relicto , in quo la- tcbas, corpore exieris? Ha-res, rductaris; tune quoque magno nisu matris expulsas es. Geniis, ploras; et lioc ipsum flere nascentis est. Sed tune debebat ignosci ; ru- dis et imperitus omnium veueras ; ex niaternormn visce- rum calido mollique fomento cmissum afllavit aura libe- rior, deiadeoffenditduraemanus taclus; tenerqne adhuc. et Dullius rei gnarus , oBstupuisti inler ignota. ^'unc tihi non est novuni, separari ab eo, cujus antc p.-!rs fueris: œquo animo mcmbra jam supervacua dimitle, et istud corpus inhabilatum diu poue. Scindetur , obructur , abolebitur. Quidcoutristaris? ita soletfieri ! pereuntsa>pc Telamenta nascentiura. Quid ista sic diligis, quasi tua ? Islis opcrtus es? Veniet, qui te revelet, dics, et ex con- tubernio fœdi atque olidi ventris educat. Ilincnunc quoque tu, quantum putes, subvoli; caris- «]ue cti.im ac necessariis cohare , ut alienus. Jam hinc altius aliquid subliniiusquc medilare. Aliquando nalura; tibi aicana rctegentur , discutietur ista callgo , et lux un- diqiic daia pcicutict. Imaginare tecum, quanlus ille sit fulgor, tôt siderilnis inter se lumen miscentibas. Nulla sercnum umbra lurbabit; a-qualitersplendebitomnecœll latus ; dies et nox aeris iullmi vices sunt. Tune in tenebris yixisse te dices , quunj totam lucem totus aspexcris, quani iiunc, perangustissimas oculorum vias , obscure intueri», et tamen adniiraris illara jam procul. Quid tibi videbitor diviiia bix , quum illam suo loco Tideris? Hebc cogitatio nihil sordidum animo subsidere sinit , nibil humile , niliil ciudele. Deos reruni onmium esse lestes ait; illis nos ap- probari, iilis in futurum parari jubet, et a^ternitatem proponere, quani qui mente concepit, nullos horretexer- citus , non terretur tuba , nullis ad limorem niinis agitur. Quidni non timeat, qui mori sperat? si is quoqae,qui aiiimum tamdiu judicat manere quamdiu retinetur cor- poris vinculo , soluluni statim spargi, id agit , nt etiani post mortem utilis esse possit. Quamvisenim ipse ereptus sit oculis , lamen Multa viri virtus anlmo , muUusque recnnat Geniis honos. Cogita , quantum nobis exempla l>ona prosint; scies ma- goorum f irorum , non minus quam prieseotiam , esse nti- lem memoriani. Vale. ÉPlTKi;S A LLCILIUS. 80.- EPITRE cm. Qu'un homme à lous moments a sujet de se défier d'un antre homme. — Qu'il ne faut point se prévaloir du nom de la philosophie , ni s'éloigner des coutumes qui sont reçues. Pourquoi prenez-vous garde de si près a ce qui peut vous arriver et qui peut aussi ne vous arri- ver pas , comme l'incendie ou la chute d'une mai- son , et d'autres accidents qui viennent purement du liasard? Défiez-vous plutôt et tâchez de vous préserver de ceux qui tâchent de vous surprendre. Ces malheurs sont assez rares, quoique très-fâ- cheux , de faire naufrage ou d'être renversé dans quelque choc ; mais "a tout moment un homme est en danger d'être surpris par un autre homme : c'est ce que vous devez considérer attentivement et vous tenir toujours sur vos gardes, n'y ayant point de mai dans le monde qui soit plus fréquent, plus opiniâtre, ni qui se glisse plus tôt. L'orage gronde avant qu'il éclate; un liâtimcut menace de sa chute avant qu'il tombe ; la fumée paraît avant le feu ; mais le mal qui vient de l'homme est prompt et subit; plus il s'approche plus on a soin de le cacher. Vous vous trompez si vous prenez contiance en l'extérieur de tous ceux qui se pré- sentent à vous; ils ont le visage d'homme et le cœurdebètes sauvages, si ce n'est que le premier effort de celles-ci est plus dangereux "a ceux qu'elles rencontrent; mais elles ne font jamais de mal que la faim ou la crainte ne les y oblige. Au contraire , un homme prend plaisir à faire périr un autre homme. Toutefois, en considérant le danger qu'il y a du côté de l'homme , pensez aussi aux devoirs et aux obligations de l'homme, l'un pour n'être pas offensé, et l'autre pour n'offenser personne. Réjouissez-vous du bien d'aulrui, et soyez fâché de son mallieur. Souvenez-vous de ce que vous devez faire et de ce que vous devez éviter. Que gagneroz-vous en vivant de la sorte? que l'on ne vous trompera pas au moins, si vous ne pouvez empêcher qu'on vous fasse du mal. Mais retirez- vous, autant que vous le pourrez, à l'abri de la philosophie; elle vous conservera dans son sein. Vous serez en repos dans son sanctuaire et plus assuré qu'en tout autre lieu. On ne s'entre-choquô que quand on passe dans un même endroit. Il ne faut pas pourtant tirer vanité de cette même phi- losophie. Bien des gens , pour s'en être glorifiés avec insolence, sont toîiibés eu de grands périls. Servez-vous-en pour corriger vos défauts, et non pas pour blâmer ceux d'autrui. Ne vous éloignez point des coutumes qui sont publiques, et vivez de sorte que l'on ne croie pas que vous voulez condamner tout ce que vous ne faites pas. On peut être sage sans montrer du faste et sans attirer l'envie. KPITIIK CIV. Que c'est une marque de bonté de vouloir bien conser- ver sa vie pour la considération de ses amis. — Les voyages amusent les liduinics et ne les changent pas. — Pour se maintenir en liberté 11 faut mépriser les volup- tés et les richesses. Je m'en suis fui en ma maison de Noraeotan ; savez-vous pourquoi ? C'était alin de quitter la ville, ou plutôt pour me défaire de la fièvre qui m'avait attrapé. Je fis aussitôt mettre les chevaux au carrosse , et je voulus partir, quoique Pauline, EPISTOLA cin. BOMMI ÀB BOHINE PB£CIPrE CiVETiDl'n. Qoid ista circumspicis , quae libi possunt fortasse eve- Dire, ted possunt et non evenire? incidentium dico rui- nam. Aliqua nobis incidunt, non insidiantur : illa potins vide, illa devita, qux nos otwervant, quae captant. Ila- riores sunt casus, etiamsi graves, naufrn^'inni facere, véhicule everti; ab liomine homini quotidianum pericu- lum. Adversus hoc te eipedi , hoc intentis oculis intuere ; nullnm est malum frequentius, nullum pertinacius, nul- lum blandius. Tempeslas minatur , antcqunm siirg»t; crêpant sedificia , antequam corruant; pra>nuntiat fuiiius {Dcendinra : lubila est ei liomine pernicies, et eo dili- gentius tegilur, quo propius accedit. Erras, .'^i istoruni , tibi qui occurrunt, vultibus credis : liominum clfîgies babeot, animos ferarum, niti quod iUarum perniciosior est primus incursus : quos Iraasiere, non quierunt ; nuu quam eniro Ulas ad nocendum , nisi nécessitas , injiiit. Hs aut famé , aut timoré coguntur ad pugoam : homini perdere bominem libel. Tu tamen ita cogita quod ex ho- mine periculuon sit, ut cogites qund sit hominis orHcium. Allerum mluere, ne la-daris; alterum , ne lacdas. Com- niodis omnium heteris, movearis incommodis; et memi- neris quae praestare debeas, quo; cavere. Sic vivendo quid constqiicrisy non, ut ne noceant; sed ne fallant. Quantum potes auiem , in philosopliiara secede ; illa te sinu suo protegel; in hujus sacrario eris aut lulus, aiii tutior. Non aiietant inter se, nisi in eodcm ambulantes. Quid autem? ipsam philosophiam non debebis jactare ; multis fuit periculi causa , insolenler tractata et contuma- cilcr. Tibi vilia delrahat, non aliis eiprobret; non ab- horreat a publicis moribus ; nec hoc agat , ut , qnidquid non facil , dauinare videatur. Licet sapere sine pompa , sine invidia. Valc. KPISTOLA CIV. DE IISVILETUDISE SUi , ET C4BITATE n .SE IXORIS ; IMMI MlT-i PtBBChlJIATIONE 1V0?I SAKilU : CtJl RBISCIS ET MAGMS VIBIS VIVE.VDOI. In Nomentanum mcnm fugi , — qiiid pulas? urbcmt — imo febrem , et (|uidem subrcpeiiteni. Jam manum niihi iujecerat ; prolinus itaque parari vcbiculum jussi , Paulina niea retinente. Medicus initia esse dicebat, motis 51. «ni SÉNÈQUE. ma femme, ftt effort pour me retenir, et que le l'on en trouve assez d'exemples en ces grands médecin jugeât, parrémolion démon pouls, qui hommes de l'antiquité. C'est aussi une marquede était plus fréquent qu'à l'ordinaire , que c'était le bonté fort considérable de se conserver avec plus commencement de l'accès. Il me vint à la bouche de soin dans la vieillesse, voyant l'avantage qu'eu que j'avais ouï dire autrefois à Galion, lequel, au reçoivent les personnes qui nous aiment et que premierassautd'uncflèvrequilesurpriten.^chaïp, nous aimons, quoique la plus grande commodité se remit en mer, criant tout haut que c'était la de cet âge soit d'user de sa vie avec plus d'assu- maladie du lieu et non pas la sienne. Je dis cela à rance et de liberté. D'ailleurs c'est un assez grand Pauline qui, avec empressement, me recomman- dait le soin de ma santé. Car, comme je sais que son salut est attaché au mien , je commence à pren- dre soin de ma conservation , afin de procurer la sienne, perdant ainsi l'avantage de ma vieillesse, qui m'a endurci h beaucoup d'incommodités. Je m'imagine que dans la peau de ce vieillard il y a un jeune homme que l'on veut ménager; c'est pourquoi , comme je ne puis exiger qu'elle ait pour moi plus d'amour et de tendresse, elle exige que j'aie pour moi-môme plus d'indulgence et de pré- caution. Certainement il faut considérer les affec- tions honnêtes, et, quelque raison qui nous presse de sortir de la vie, il y faut demeurer pour le ser- vice de nos amis, quand ce serait avec une peine extrême, puisqu'il est du devoir d'un honnête homme de vivre, non pas autant qu'il lui sera agréable, mais autant qu'il est expédient. Celui qui n'estime point assez sa femme ou son ami pour rester en vie et quitter la résolution d'en sortir, est, 'a mon avis, bien délicat. Il faut que riiomuie ait le pouvoir sur soi de ne point rechercher la mort pour son soulagement, et, s'il a commencé, qu'il s'en départe pour la considération de ses amis. C'est une action de grand courage de vou- loir retourner a la vie pour l'amour dautrui, et plaisir de se voir tellement chéri de sa femme que l'on soit obligé de s'en aimer davantage. Ainsi, l'on peut dire que Pauline ne craint qu'à cause de moi , et que je ne crains pour moi qu'à cause de Pauline ; mais vous voulez savoir quel a été le succès de mon voyage. Dès que je fus hors du mauvais air de la ville et de la fumée des cuisines, qui, lorsqu'on les nettoie, jettent avec la poussière cette puante va- peur qu'elles tenaient enfermée, je sentisdu chan- gement en ma personne. Combien croyez-vous quemes forces augmentèrent, lorsque j'eusaltcint le vignoble? Quand je fus entré dans la plaine, je commençai à manger et me trouvai remis. Cette langueur de mauvais augure , qui paraissait sur mon visage, cessa entièrement, et je commence déjà à étudier à bon escient. Ce n'est pas que le lieu serve de beaucoup à cela, si l'esprit, qui peut être en secret parmi le tracas des affaires , n'a soin de se recueillir. Un homme qui fait choix des pays et qui cherche curieusement son repos, trou- vera partout des occasions qui l'empêcheront. On dit que Socrate répondità celui qui se plaignait de ne s'être point amendé dans ses voyages : o Ce n'est pas sans raison qu'il en est ainsi arrivé, parce que vous vous faisiez compagnie, o Olqu'ilscraitavan- Tenis, cl incertis, et natiiralera turbanlilnis modum. El- ire pcrsevoravi. Illud mitii in oie erat domini mei Gal- lionis , qui , qimni in Acliaia febrem lialiere cœpisset, pro- tiiius navem ascendit, clamiians non corpnris esse , sed loci nioil)um. Hoc ego Pautinas me» disi , quac mihi ya- letudinem meam coramendot. Nani , quuni .-ciam spiri- tuiii illius in meo verti , iuc pic , ut itil consulam , mihi consutere j et , qnum me forliorem seneclus ad mulla red- diderit, hoc lieneficiuiii aetatis amitto. Venit enim mihi in meutem , in hoc sene et a.iotcscentera esse, cui parciiur. Ilaque , quoniam ego ab ilta non impelro , ut uie forlius amet, impelrat ilta a me, ut me ditigintius amem. In- dulgendum est enim hones;is affectilms , et interdum , etiam si prémuni causae , spiritus in honorem suorum vel cum lormento revocandus , et in ipso ore relinondus est; quuni boni) \iro viTendum sit, non qunmdiujuvat, sed qnamdiu oportet. Itte , qui non uxorem , non amicum tanti putat, ut diutius in vita commorelur, qui persévé- rât riujri , deticalus est. Hoc quoque imperct sibi animus, nbi utililas suorum eiigil; nec tantum , si vult mori, sed »i CTpit , intermitlat , et suis se commodct. Ingenlis ani- nii est , ali'na causa ad Titam reveiti ; quod magni vij'i sappc fecerunt. Sed hoc quoque summae bumanitatis eiis- linio, seneclulem suam , cujus maiimus fructus est secu- rior sui tutcla , et vitx usus auiniosior , attentius conser- Tare, si scias aliciii luorutn esse dulce, utile, opiabjle. Hatiet praeterea in se non médiocre ista res gaudium et mrrcedem : quid enim jucundius , quani u\ori tam carura esse, ut propter li 'C til)i carier lias ? Polest itiliam profectioni» ccsserit?— Ut primuin gravilalem urbis excessi , et illum odorem culinarum fumantium , quae motae, quidquid pes- tiferi yaporis oliruerant, cum pulvere effundunt, proli- niis mutalam valetndincm scnsi. Quantum deiode adjec- tuni pulas viribus , postquim vineas attigi ? In pascuum cmissus, cibum meurn invasi. Repetivi ergojamme : non perm.nnsil marcor ilte corporis dubii et maie cogi:?ii- lis : incipio toto animo studere. Non multura ad boc lo- cus confert, nisi se sibi praestet animus, qui sccretura, et in occupationibns mediis, si volet, habebil. At ille, qui rcgionf^ eligit, et oliura captât, ubique , quo dislringa- tiir , ioTeniet. Nam Socratem querenti cuidam , quod ni- EPITUES A LUGILIUS. S(fè tageux^ bien des geasde se pouvoir quitter quel- quefois, car ils ne font que s'inquiéter, s'effrayer et se corrompre eux-mêmes I A quoi sert de tra- verser les mers et de passer de ville eu ville? si vous voulez vous défaire des passions qui vous tourmentent, il faut changer de vie el non pas de lieu. Allez-vous-en à Alliènes, allez à Rhodes, choi- sissez telle demeure que vous voudrez , il vous importe peu de quelle manière on y vive si vous y vivez à la vôtre. Vous mettrez toujours le sou- verain bien dans les richesses, et vous serez réel- lem^-nt affligé d'une pauvreté qui ne sera qu'ima- «inaire. Car, encore que vous possédiez de grands biens, si vous voyez quelqu'un qui en possède davantage, vous croirez qu'il vous manque ce que l'autre aura de plus. Si vous mettez la félicité dans les honneurs, vous serez fâché que celui-ci soit consul pour la première fois, et que l'autre le soit pour la seconde ; vous aurez du chagrin toutes les fois que vous verrez le nom de quelque personne •icrit dans les fastes. Vous serez si ambitieux que vous lie penserez avoir personne après vous. Si vous voyez quelqu'un qui vous précède, vous es- timerez que la mort est un grand mal, encore qu'il n'y en ait poiut d'autre que la peur que l'on en a avant qu'elle arrive; vous vous effrayerez uon-seulement du i)éril , mais encore du moindre soupçon ; vous serez perpétuellement agité de vaines terreurs. Que vous servira D'avoir dans le combat ec<:rté seul la presse Et traversé toute la Gi cce ? La paix même vous fournira des sujets de crainte, et votre esprit, étant une fois consterné, ne prendra plus de conQance aux choses les plus assurées ; car cette habitude de craindre sans au- cun disceruen'.ent nous met hors d'état de nous défendre on fuit le mal , on ne l'évite pas. Au contraire, on est plus exposé aux coups quand ou leur tourne le dos. Vous estimerez encore que c'est un grand mal, et inconsolable de perdis quelqu'un de vos amis; cependant c'est la même chose que si vous pleuriez en voyant tomber les feuilles des arbres qui servaient d'ornement à vo- tre maison. Tout ce qui vous plait ressemble "a une verdure. La fortune en délachera quelque clio;j O quani bcoe cuin quibusduiii agerctur, si a se atKrrureiit I Nuac primuiu se ipsus sollicitant, coituiu- punt , lemlaut. Quid prodest mare trajicere , et urbes niutare? Si vis isia , quibus nrgeris, cffugcre, non aliulii sis oportel, ■ed alius. Puta venis.sc te Alhcnas , puta Khodon : elige arbitrio tuo clvitatem : quid -.A rciii peiùiict, quus il!a mores baljcat? luos alfires. Diviiias jii.licabis bunum : torquc'bil te paupenas, et, qiind est miserriinum , falsa; quanivi« cnim raullum possideas, laïueii, ijuia aliquis plus balH't, taoto tibi videberis dcfici, quanto y nceri.s. Honores judicas bonuiu : maie te balMtbit ille consul factus; illeetiam refeclus; invidebis quoties aliquem in fastissa'pius le(;eris. Tantus erit anibilionis furnr, ut nrnio tihi post te «idealur. si aliquis aoie te fuerit. Maiiniuin niahim judica- bismort('in;quum initia nibilsitmali, ni8i,quodaiiteip- lam est , (iuicri. Eitcrrebunt te non tantum periciila , sed iarsat>eiis; auoquam Sifvliiam in t jrtoiis coutulier- iiio poiies; iDceodeiit libidiaestuas adulterorum sodalilia. Si velis vitiis eiui, longe a vitioru.ii eieniplis receden- dam est. Avarus, corruplor, sa-vus, fraudulentus, mul- tnm nociiuri , si prope a te ftiissenl , iutra te suât. Ad ineliores transi! (;um Caloaibus vive, cum La?lio,cum Tubcroae; quod fi convivcre ctiam Graîcis juvat, cum Socrate , cum Zenone jen&re. Aller te doccbit mori , si oecesse erit, aller, aatequam necesse erit. Vive cum Chry- sippe, cuiri Posi'louio. Hi libi tr.ideut divinorum huma- noru.Tiqiienotitiam : hijubebimlinoporcessc,riectantuni sciteloqui.etinoblcctatlonem audientium vci'ba jaclare, «ed animum indurare, et anvr rsus minas ci'igerc. Ilnm est enim hnjus vitae lluctuaritis et larbida; portus , cvenlura contenmerc, slare Qdeuler, apertum ; tels fortuna: adverso pectorc cx'ipere, non ialitantem, nec teryivcrsantera. Magoanimosnosnalura prodnxlt; et.utquibutdaœ anima- libus feram dedlt,quibusdamsubdolmD,quibusdampa- Tidum, ita nobis gloriosuoi et eiceisum spirllum, quae- rentem ubi honealissime, non ubi tutissime vivat; simil- limum mundo , quem .quantum niorlalibus passibus llcet, teqiiilur smulaturque. Profert se, laudari et adspici crédit. Dommus omnium est, supra omoia est : ilaque niilli se rei submitlit; nihil illi vidctur grave, nibil qnod viruiii incurvel. Terribilcs visu forin.-E. letumtine labosque : minime quidem , si quis redis oculis iutueri illa possit , et tenebras perumpere. Multa, per noctem habita terrori, dies vcrlit ad risuni. Terribiles visu forinœ , letumqiie labosque, egregie Virgilius nostcr. Non re diiit terribiles esse, sed visu; id est, videri, non esse. Quid, inquam, in islis est lam formidabile, quam faraa vulgavit? Quid est, ob- secro te, Lucili, ciir timeat laboreni vir, mortem homof Toties mibi occurrunt isti, qui non jiutant Ceri posse quidquid facerc non possunt , et aiunt nos loqui majora , quam quîe nalura humana sustincal. At quanlo ego da illis melius esistinio? Ipsi quoque bœc possunt facere, «ed nolunt. Denique, quem unquam isla deslituere ten- tanlem ? cui non faciliora apparnere in actu? Non quia difficilia sunt, non audemus;sed, quia non auderaus, difficilia sunt. Si tamen exeinpluin desideratis, accipits Socratera, perpcssitium senem, per omnia aspera jacla- tum; inviclum lamen cl pauperlate, quam graviorem illi domestica onera faciebanl, et laboribus, quos militare* quoqae pertulit, et qui bus ille demi est exerdtas, liv» 808 SÉNÈQUE. iuviiicible aux travaux militaires et aux peines domestiques , soit pour les mœurs de sa femme insolente et criarde, ou pour le libertinage de ses enfants qui étaient indociles et ressemblaient da- vantage à leur mère qu'à leur père. 11 vécut pres- que toujours dans la guerre ou sous la tyrannie , et la liberté lui fut plus cruelle que la guerre et la tyrannie même. La guerre dura vingtans, et la ville fut ensuite abandonnée à la licence de trente tyrans, plusieurs desquels étaient ses ennemis. Sa condamnation fut enfla chargée de crimes atroces: car on l'accusait d'avoir attaqué la religion et cor- rompu la jeunesse en la soulevant contre les dieux et contre leur patrie : cela fut suivi delà prison et du poison. Mais rien ne fut capable d'altérer l'âme de Socrale, pas même d'altérer la couleur de son visage. Il conserva jusqu'au dernier jour de sa vie cette gloire merveilleuse et singulière d'égalilé. Personne ne le vit jamais plus gai ni plus triste une fois que l'autre; il fut toujours égal dans les inégalités de la fortune. Voulez-vous en- core un exemple? Voyez le dernier Calon , contre lequel la fortune se montra plus cruelle et plus opiniâlre. Klle s'opposa partout h ses desseins; elle lui fut même contraire en sa mort ; mais il lit voir qu'un homme de cœur peut vivre ou mourir indépendamment de la forlune. 11 passa toute sa vie dans les guerres civiles ou dans des temps dan- gereux, lorsqu'elles commençaient "a s'allumer. Desorle qu'on pont dire qu'il n'a pas moins vécu danslaservitudeque Socrale, si cen'estque vous pensiez que Pompée, César et Crassus se fussent associés pour maintenir la liberté. Personne, tou- tefois, ne vit jamais changer Caton, quoique la rê- pnbliqne changeât tant de fois. Il se trouva le même en toutes sortes d'états, étant préteur, étant excru du consulat, dans les accusations, dans les gou- vernements, dans les assemblées, 'a l'armée, et ea sa mort. linlin, durant la consternation de la ré- publique , qui voyait d'un côté César, appuyé de six légions aguerries, et de l'autre Pompée, qui avait tant de troupes auxiliaires , il se trouva tout seul t-gal "a ce nombre d'ennemis. Tout le monde s'élant engagé , les uns avec César, les autres avec Pompée , Caion forma un parti de lui seul et de la république. Si vous vous représentez la disposition de ce lemps-l'a, vous verrez d'un côté le peuple et la canaille portés au changement, et de l'autre les sénateurs et les chevaliers, et tous les honnêtes gens de la ville, n'étant resté au milieu que la république et Caton. Vous serez surpris lorsque vous verrez Le fier Agamemnon , Priam le «ourcilleui , Et le Taillaut Achille , eonemt de tous deux. Caton blâme César et Pompée , et tâche de les désarmer. Voici le jugement qu'il porte contre tous les deux. 11 se résout 'a la mort , si César de- meure le maître, et à l'exil , si c'est Pompée. Qu'avait 'a craindre, je vous prie, un homme, le- quel , soit qu'il fût vainqueur ou qu'il fût vain- cu, s'était déj'a condamné "a tout ce que les enne- mis les plus irrités eussent pu ordonner contre lui? Aussi, mourut-il suivant l'arrêt qu'il en avait prononcé. Ne voyez -vous pas en cet exemple que les hommes peuvent supporter le travail? 11 con- duisit une armée dans les déserts d'Afrique, mar- uxorcm cjiis spectes raoribus ferara, lingua petulantem; sive libcroi indociles , et malri quam patri similiores. Sic fere aut la bello fuit, aul in tyrannide, aut in tiber- tate bellis ac tyiannis saîvioie. Viginti et septem annis pugnalum esl; post Dnita arma, triginta tyrannis dois dcdila est civilas, ei quihns pltrique ininiicl erant. ISo- vissima daninalio est subgravissimis noniinibus impleta : objecla (st el religjonum \iolalio, et juventutis corrup- tela, qn.im imnilttere in Deos, in paires. In rempnbli- cani die ns est; post haec carcer, et Yenenum. Ilicc usque eoanininm Si)cratis non niovemnt, utnCTullum quidem miiveiint. lllani niirabileni laudein.et singularem, us- que ad extrenuim servavit : nec hilarioreiu quisquam, nec tr isliorein Socialem vidit ; œqualis fuit in lanta in- a'qualilale fortunœ. Vis alternm eieinplura? Accipe liunc M. Catonem re- censlorein , cum quo et Infestins fortuna egit , el pertina- clus. Cni qninn omnibus locisobslitisset, novissime et in moile; oslendit taraen \lrum forlem posse Invita forluna vivere, invila nioii. Tota illi aetas aut in armis est cxacta oiTilibus, aut in a'tate concipiente jam civile belluni. Et liinc licet dicas non minus, quam Socralem , in servitutc "ïisse; uisi forte Cn.Vompeium, clCsesarem, cl Gras- sum putas lil)ertatis socios fuisse. Nemo mutatum Cato- nem , toiles mutala republlca , vidit : eumdeni se la omni stalu praestitit, in pra-tura, in repuisa, in accusatlooe. In provincia, in concione. in exercitu. In morte. Deni- que in illa relpublicas trepidalione, quum illinc Cssar csset decem leglonibus pugnacissinils subniius, totque exterarum genllum prœsidiis, tiluc Cn. Porapelus, salis unus adversus oniula ; qnum alil ad Caesarem Inciinareat, alii ad Ponipeium; soins Cato fecit aliquas et relpublica; partes. Si animo complecti Tolueris i'.llus imagineni lem- poris , videbis llllnc plel)em etonniem ereclura ad resno- ras vulgum; bine optimales, et equestrem ordlnera , quidquid erat in civitale sancli et clectl; duos in média rellclos rempnblicain et Calonem. Miraberis, inquam, quum animadverteris. Atridem , Priamumque , et ssevum ambobas Achniem : utrumque enim improbat , utrumque exarmat. Hanc fert dentroque sententiam : ait « se, si Ca>sar Ticerit, mori- tnrum; si Pompeius, exsulaturum. • Quid habeat quod timeret, qui ea sibi et tIcIo , et xlctori constiluerat, qoae constituta esse ab hostibus iratisslmis poterant? Pcrilt itaque es décrète suc. Vides, posse bomines iat>oreiii ÉPITRES A LUCILIUS. 809 chaiil lonjoiirs à pied. Ne voyer-voos pas qu'on peut endurer la soif? Il se retira sans bagage , par des montagnes arides , avec les débris de ses trou- pes ; il souffrit la disette d'eau sans quitter sa cuirasse; et s'il se rencontrait quelque fontaine, il buvait toujours le dernier. Ne voyez-vous pas que l'on peut tenir l'Iiouneur au-dessous de soi , aussi bien que l'ignominie? Il joua au ballon dans la place le même jour qu'on lui refusa le consulat. Ne voyez-vous pas que l'on peut ne pas appréhender la puissance des grands? Il choqua loul d'un coup César et Pompée, dans un temps auquel personne n'osait désobliger l'un que pour gagner la faveur de l'autre. Ne voyez-vous pas, enfin, que l'on peut mépriser également la mort et l'exil? Il se résolut de quitter la vie ou son pays, el de faire cependant la guerre. Nous pouvons donc montrer autant decourase en de pareilles rencontres, pourvu que nous vou- lions nous soustraire à la servitude. Mais avant toutes choses, il faut fuir les voluptés. Klles nous énervent, elles nous amolli.ssent, elles exigent une inGnité de choses que l'on ne doit attendre que de la fiirtune. Il faut ensuite mépriser les riches- ses qui sont le prix et le fruit de la servitude. Il faut encore (juilter l'or et l'argent , et tout ce qui embarrasse les maisons opulentes. Apres tout, vous ne pouvez avoir la liberté qu'elle ne vous coûte quelque chose; et, si vous l'estimez beau- coup , vous devez faire peu d'état de tout le rosle. ÉPITRE CV. Pour vivre ea sûreté , il faut éviter l'éclat et ne faire mal à personne. Je vous veux dire ce qu'il faut faire pour vivre en assurance, mais "a condition que vous le re- cevrez comme un régime que je vous donnerais pour conserver voire santé dans le pays d'Ardcc. Si vous prenez garde "a ce qui pousse un homme "a la ruine d'un autre, c'est l'espérance, l'envie, la haine, la crainte et le mépris. Mais ce derniei* est si peu de chose , qu'il tient quelquefois lieu de remède. Il est vrai qu'on foule aux pieds celui qu'on méprise , mais ce n'est qu'en passant , et Ion ne s'amuse guère "a persécuter un liomme dont on ne fait point d'état. Dans un combat, l'on s'al tache "a ce qui fait tête, et l'on passe ce qui est renversé. Le véritable moyen d'éluder l'espérance el les prétentions des méchants, c'est de ne pos- séder rien qui , par son éclat, puisse échauffer leur cupidité ; car tout ce qui brille se fait désirer, encore même qu'il ne soit pas bien connu. Pour se parer de l'envia, il faut se tenir couvert, ne point vanter ses richesses, mais s'en réjouir dans son cœur : quant "a la haine qui procède du rcs- seutiraeiit, on l'évitera facilement, si l'on n'of- fense personne sans sujet. C'est une conduite que le sens commun vous dictera; car bien des gens se sont mal trouvés d'avoir fait le contraire. Il se rencontre assez de personnes qui ont des haines et qui n'ont point d'ennemis. Mais la douceur de voire esprit et la médiocrité de votre fortune em- pêcheront que vous ne soyez haï ni redouté, d'au- pati : per médias Arrics solitiidincs pcdes diuit eierci- tum. Vides , posse tolerare sitini : et iii collibus areiililms, (iae ullis impedimentis, victi ciercilus reliquias traheiis, iaopiam bumoris luricatus tulit; et, quoties aquae fucral occasio, Dovitsimiu bibit. Vides , honurem et iioUiiii posse cuoteiDDi : cudem, quo repuUus est, die ia coiuitio pila lusit. Vides posse non timeri potcnliam suprriuiura : et Pompeium, et Cxsarem , quorum nenio alicrum olfcn- dere aodeliat, oisi ut altenim dcmereretur, siiiiul provo- cavit. Vides , tam murtem posse conteiuni quam exsilium : et eisilium sibi indiiit, et mortcm, et intérim brllum. Possunms itaque adversus isla tantum babcrc eat modo subducerc jugo collum. In primis autem res- puccdc'e sunt voluptates : énervant , et effemin.uit , et mul- tam petunt : mullum autem a fortuna pelendiim est. Deinde s(>ernendiE opes : anctoramenta sunt servitutum. Aonim et argentum , et quidquid aliud felic<"s domos one- rat, relinqualur : non potcst gratis conslare libcrtas. Hanc si magno eiistimas, omnia parro aestimanda sunt. EPISTOLA CV. QUID TITIX SECUUIU ViCtlT. Qux observanda tilù sinl, ut tutior vivas, dicam. Tu lamen sic audias censco isla piœcepta , quoinodo , si tibi pra-ciperem , qua ratione bonam valeludinem in Ardeatino luereris. Considéra, quœ .'•inl, qua' hiiminem in pcvni- cicm homiiiisinsligcnt ; inveniesspeni, iuvidiam, odium, melum, contemptura. Ex omnibus istis adeo levissimum est contemptus, ut niulli in illo , rcniedii causa , delilue- rint. Quem quis contenmil, calciit sine dubio, sod tran- sit. Nenio honiini contemple pertinaciter, ncmo diligpnter nocet. Etiam in acie jacens prieteiitur ; euin sUiiile pug- natur. Speni improboruni vltabis, si uihil liabueris quod cupiditatem alienam etimprobani iiritct, si niliil insigne possédons. Concupiscuntur enini iiisignia , etiiinisi parum nota sunt. Sic vcroinvidiam effiigies, si tenon ingesseris oculis, si bona tua non jnclaveiis, si scieris in siuu gau- derc. Odium aulem ex offensa imc vilabis, neminem la- Cîssendo gratuit i; a quo te sensus commonis tuebilur. Fuit enira boc nmllis periculosiim : quidam odium ha- bucrunt, ncc ininiicun). Illud, ne timearis, prajstabit tibi cl fortuua; mcdiocrilas , et ingenii Icuilas. Euin esse lo 810 SÉNÈQUE. tant plus que l'on saura (luil u"( st pas foit dange- reux de vous choquer. Réconcllicz-vous aisôraent et de bonne foi ; car c'est une cliose fâcheuse d'ê- ire craint au dedans et au dehors de ses serviteurs et des personnes libres. Il n'y a si polit qui ne puisse nuire , outre que celui qui est craint a sujet de craindre , et que personne no peut so rendre en même temps redoutable et assure. Quant au mépris, celui qui voudra bien l'enduroi lui don- nera de telles bornes qu'il lui plaira , ne pr.uvant être méprisé qu'à cause ([u'il le voudra bien être, non pas à cause qu'il l'aura mérité. Le mépris, dis-je, a des incommodités que l'on peut éviter par adresse et par l'amitié de ceux qui ont du itouvoir auprès des grands. H est bon d'y avoir de l'acccs et non pas de l'engagement , de peur que le remède ne soit plus fâcheux que le mal. Ce n'est pas qu'il ne soit meilleur de vivre en repos , et de s'entretenir moins avec autrui qu'avec soi-même. La conversation a je ne sais quelle douceur qui nous flatte et tire dehors notre secret, à peu près comae fait l'amour et le vin. Celui qui l'a ouï ne s'en saurait taire, ni se con- tenter de dire simplement ce qu'il a ouï. S'il ne cèle point la chose, il ne cèlera point aussi l'au- teur, car il trouvera toujours quelqu'un à qui il confiera ce qn'on lui aura confié : supposé qu'il retienne sa laugue et qu'il n'en parle qu'à un seul, c'est comme s'il le disait à tout un peuple ; ainsi , ce qui était un secret devient incontinent un bruit de ville. Croyez-moi , une bonne partie de notre repos et de notre tranquillité consiste à ne point faiie de mal. Les méthanls mènent une vie pleine de trouble et de confusion ; ils ont autaul de peur qu'ils font de mal, et leur esprit n'est jamais en paix. Ils tremblent après une mauvaise action ; ils demeurent en suspens, leur conscience ne leur permettant point de faire autre chose, et les obli- geant de se réfléchir incessamment sur leur cri- me. Qui s'attend d'être puni l'est déjà , et qui l'a mérité s'y attend toujours. Un méchant homme peut bien être en lieu de sûreté , mais il n'est ja- mais en assurance ; car, quoiqu'on ne le voie pas, il s'imagine qu'on peut le voir; il est agité dans le sommeil, et si l'on parle d'un crime, il jette aussitôt la vue sur le sien ; il lui semble que sa faute ne saurait jamais trouver d'asile. KPITRE CVI. Si le bien est un rorps. — Nous avons pour les scii-ncps la même avidité que pour tontes les autres choses. Si je n'ai pas fait sitôt réponse à vos lettres , ce ne sont pas les affaires qui m'en ont empêche. N'attendez pas de moi ces sortes d'excuses , car je suis toujours de loisir, et chacun l'est aussi s'il le veut. Les affaires ne suivent point les hommes, mais les hommes vont au-devant des affaires , s'i- maginant que c'est un grand avantage que d'être occupé. Qui m'a donc empêché de satisfaire sur- le-champ à ce que vous me demandiez? C'est que cela entrait dans le corps de mou ouvrage; car vous savez que j'ai dessein d'écrire la philosophie morale , et d'éclaircir toutes les questions qui en dépendent. Voila pourquoi je doutais si je devais attendre que celle matière vînt en son ordre , ou si je devais la traiter par avance. Enfin , j'ai cru qu'il n'était pas honnête de retenir davantage un tiomines sciant, quem offendere sine periculo possint : reconciliatio tua et facilis iit, et cerla. Timeri aulera tam dorai nioleslura est, qu;ini foiis; tam a servis, quam a liberis. Nulli non ad nocendum salis virium est. Adjice riunc, quod, qui tinietur, timet : uemo potuit terribilis esse secure. Contemptus superest; cujus niodum in sua poteslate l)al)et, qui illum sibi adjunxit; qui contemnitur quia volnit, non quia debuit. Hujus incommodum et artes liona; discutiunt , et amiwtia! eorum , qui apud aliqueni p;>teu!em potentes sunt : quibus applicari expediet, non i niplicari ; ne pluris remediura , quam periculura , coustet. >iliil tanien ïque proderit, quam quicscere, et mini- mum cum aliis loqui , plurinium secum. Est qua:dam ilulcedo seniiouis, quœirrepit, et blanditur; et, non ali- ter quam ebrietas aut ajiior, sécréta producil. Nemo, quod audierit , lacebit ; nemo quantum audierit , loquetur. Qui rem non tacuerit, nontacebitauclorem.Habet unus- quisque aliquem, qui laulum credat, quaulum ipsi cre- dituni est : ut garrulitatem snam cusiodiat, et eontentus sit unius aiiribus, populum faciet : sic, quod modo se- crelumenit, rumor est. Securitatis magna portio est, nihil inique fac»re. Confusam litam el pcrlurbalam im- potentes agunt; tautum metuunt, quantum nocent; nec ullo tempore vacant. Trépidant enim, quum fecerunt; hasrent; conscientia aliud agere non paUlur, ac subinde respondere ad se cogit. Dat pœnas, quisquis exspeclal: quisquis autem meruit , exspectal. Tutum aliqua res in mata conscientia prœstat, nulla securum. Puiat enim se, eUam si non deprehenditur, po.ise deprehendi ; et inter tomnos movetur; et, quoties alicujus scelus loquitur, de suo cogitai. Non satis illi obliteratum videtur, non salis tectum. Nocens habuit aliquando latendi fortuoam; non- quam fiduciam. Vale. EPISTOLA CVI. Ay BOMUM SIT COBPL'S. Tardius rescribo ad epistolas tuas ; non quia districtos occupalionibus sum : banc eicusalionem cave audias : vaco; el omnes vacant, qui volunl. ISeminem res sequun- tur; ipsi illas ampleianlur, et argumentumesse felicilatis occupationem putunt. Quid ergo fuit, quare non proti- nus reseribereni ei, de quo quaerebas? Venielwt in con- textum operis moi ; scis enim , me moralem philosophiam yelleconiplcdi, el omnes ad eam pertinentes quxstionet ÉPITRES A LUCILIUS. 8n homme qui veuait de si loin. Je détacberai doue '?e la suile de plusieurs discours ce que vous dési- rez de moi , et s'il se rencontre quelque chose de ^semblable , je vous l'enverrai sans que vous me le demandiez. Mais savez-vous ce que c'est? Ce sont des choses qui apportent plus de plaisir que de proHt, comme la question que vous me proposez, savoir si le bien est uu corps? C'est un corps, car il agit, elant vrai que ce qui agit est un corps. Or, le bien excite l'âme, la forme et la soutient en quelque manière : parlant , comme ce (|ui est propre au corps et le bien même du corps est corporel , celui de l'esprit doit être aussi corporel ; car il est un corps. Ainsi il faut que le bien de l'homme soit un corps, puisqu'il est corporel. Je me tromperais, si je disais que ce qui le nourrit et qui conserve ou rétablit sa santé n'est pas un corps, par con- séquent sou bien est un corps. Je ne crois pas que vous doutiez que les passions , comme la colère , l'amour, la tristesse ne soient des corps; mais c'est remuer une difficulié dont il ne s'agit pas présentement. Si vous en doutez, prenez garde si elles nous changent le visage; si elles nous rident le front, si elles égaient l'exlérieiir, si elles font quelquefois rougir, quelquefois pâlir. Quoi donc? Pensez-vous que des impressions si manifestes se puissent faire sur un corps, que par un autre corps. Or, si les passions sont des corps, les mala- dies de l'âme , l'avarice , la cruauté , les vices en- durcis et incorrigibles, la malice et toutes ses es- pèces, comme l'envie et la superbe le sont aussi. Jl en est de même des biens. Premièrement, par la raison des contraires, et puis par les mêmes in- dices qu'ils vous donneront. Ne voyez-vous pas le feu itavi, utrurii differremte, an, do- uée suus i»li rei Tcnirct lociis , jus tibi extra ordinein di- cerem : bamanius Tisum est , lam longe Tenicntein non detinere. Itaque et hoc e% ilta série rerum cohajrenliiiin eiccrpani, et si qua eriiut hujusmodi, non quarenli libi nllro mittam.Qua-sinlhsc, iDterrogas?Qua;scire magis juvat, qiiam prodest; sicut hoc, de que quxris : An bo- oum corpus sit? Bonum facit; prodest en i m ; qaod facit, corpus est. Bonum agitât animuni , et qiiodaniniDdo foinint et cunti- net : qux propria suntcorporis. Qnx corporis l)ona suut, corpora sunl; ergoel quaeoniniisuut; nain et liic corpus est. Bonum honiinis necewe esl corpus sit, quuin ipse sit corporalis. Mcnlior, nisi et qua; alunt illud , et qua; Taie- tudinein eju» Tel custodiunt , vcl restiluurit , corpora sunl : ergo et bonum ejus, corpus est. Non puto te dubilaturum an affectus corpora sint (ut uliud quoque, de quo non qua;ris, infulciam), tanquam ira, amor, tristitia : si du- bifcis. \ide an vultum nobis mutent, an froutem adslrin- gant, an facieni diffundant, an ruborem eToctnt, an fu- gent sanguinein. Quid ergo? tani manifestas corpori no- tas credis iniprimi, nisi a corporc? Si affeclus corpora innt; et morbi animorum, avaritia, crudelitas, indurala vUia, et in statum ineincndabilrnn adducta ; ergo et ma- litia , et spccies ejus omncs , malignitas , invidia , super- bia .ergo et boaa, primum, quia contraria istis sunt; deindc, quia eadem tIbi indicia praestabunt. An non vi- des , quiintuni oculis det vigorem fortitudo, quantam in- tentionem prudentia? quantam modestiam et quietem reverentia? quantam serenitalein Ixtitia? quantum rigo- rera severitas? quantum remissionera veritas? Corpora ergo sunt, qus colorem babitumque corporum mutant, quse in illis regnum suum exercent. Omnes autem , quas retuli, virtutes, boua sunt, et quidquid ei illis est. Num- quid est dubium , an id , quo quid tangi potest , corpus sit ? T'aDgere enim et tangi , nisi corpus , nulla potest res > ut ait Cucretius : omnia autem ista, quip diii , non muta- reut corpus, nisi langèrent; ergo corpora sunt. Etiam- nunc, cui tanla vis est, ut impellat, etcogat, etrctineat, et jubeat , corpus est. Quid ergo? non tinior relineiy non audacia iinpellit? non fortitudo immittit et impelum dat? non nioderatio refraenat ac revocat? non gaudium extollit? non tristitia adducit? Denique, quidquid facimus, aut malitia;, aut ïirlulis gerinius imperio : quodimperat cor- pori , corpus est, quod vira corpori affert, corpus. Bo- num corporis corporale est ; bonum bominis , et corpo- ris honum est ■ itaque corporale est. M2 SÉNÈQUE. prévois que vous le (liiez , que c'esl jouer aux échecs el perdre son teni|)s en vaines subtilités. Cela fait l'homme docte el ne le saurait faire ver- tueux. La sagesse assurément est quelque chose de plus ouvert et de plus simple ; il n'est pas be- soin de tant de lettres pour l'acquérir; mais nous prodiguons la pliiiosopliio en choses superflues , de mtime que les autres biens, lit nous avons pour les sciences la même avidité que pour tout ce qui est dans la nature ; nous étudions , mais c'est pour paraître dans l'école, et non pour régler notre vie. ÉPITRli: CVII. Les disgrâces prévues sout moins sensibles. — Il faut suivre sans luurinure les ordres de Dieu. Qu'est devenue votre prudence? Qu'avez-vous f.iil de ce juste discernement et de celle grandeur d'âme (jue vous avez toujours montrée? Vous fâ- chez-vous pour si peu de chose? Vos esclaves ont pris le temps que vous étiez occupé pour s'enfuir. Si ces amis familiers vous ont trompé (car je ne veux pas leur ôter ce titre qu'Kpicure leur a don- né), croyez-vous être diminué en biens pour n'a- voir plus aupics de vous des gens (]ui vous ron- geaient et qui vous rendaient plus souvent de mauvaise liumeur? En cela, je ne vois rien d'ex- traordinaiie , et qu'on ne doive attendie. Je trouve même qu'il serait au^si liiliciile de s'en mettre eu colère que de se plaindre pour de l'eau ou de la boue qui serait rejaillic sur vous en pas- sant dans la rue; la vie ressemble au bain, au peuple et au chemin. Elle est sujette à des muta- tions el à de mauvaises rencontres. Il ne faut pas être délicat pour vivre dans le monde. Vous êtes entré dans une longue carrière , où par nécessité vous choquerez, vous heurterez et vous tomberez. Vous y serez las et fatigué, vous vous écrierez : O mort! Enfin, vous viendrez au bout; mais vous laisserez votre compagnon en un endroit, et vous perdrez votre ami en un autre. Vous ne sauriez' achever un chemin si raboteux sans faire de pa- reilles rencontres; il faut donc se préparer h (ont cela , et se souvenir que l'on est venu Où demeurent, le deuil , le souci , la tristesse, La raouraùte langueur et la froide \ieil!c.-.se. VoiPa ce qui accompagne ordinairement la vie ; on le peut bien mépriser, mais on ne .saurait l'é- viter. Vous le mépriserez, si vous y pensez sou- vent, et si vous prévoyez de loin ce qui peut adve- nir. Car on se présente avec plus de courage quand on est disposé de longue main , et l'on ré- siste plus facilement au mal quand on l'a prévu. Au contraire , lorsque nous sommes surpris , les moindres accidents nous épouvantent et nous Iroublenl. Nous devons donc faire en sorte que rien ne nous soit inopiné; et parce que la nou- veauté rend les disgrâces plus sensibles , ces cou- tinuelles réflexions empêcheront que vous ne soyez apprenti en aucune sorte de mal. Vos es- claves vous ont quitté ; mais d'autres ont volé leurs maîtres , les ont accusés , les ont assassinés, les ont trahis , les ont empoisonnés. Vous ne sau- riez rien dire qui ne soit déjà arrivé. Nous som- mes eu proie "a une infinilé de maux; les uns sont enracinés au dedans de nous, les autres nous Quoniani, ut vnluisti , mnrem gessi tibi , nunc ipse dieaniniilii , (juoddicluruni esse te video. Latruiiculis lu- dimus; in supervacu'i^ sublililas teritur ; non facinnt \m- nos isla , sed doctos. Apcrtior res est sapere, imo sini- plicior. Panels esl ad mcntCT» bonani uti lilteri»;. Sed nos, ut caîlera in suptrvacuuni diffundiiims, ita philosopliiiMn ipsarn. Quimadniodum omuium reruni, sic lilterai'iim (|uui|uc intemperautia laborauius : non vitic, sed scliola; discimus. Vale. EPISTOLA CVIt. FIBJIANDU)! ESSE 4.\rMUM C0.\T111 FOBTUITA ET NECESSARIA. Tjbi illa prudentia tua?ubiin dispiciendis rébus sub- t'litoS?nbi magnitudo? Tarn pusilla reste angit! Servi occupalioncs tuas occasioneni fuga; putaverunt. Si aniici deeipircut ( habeant enim sane nomea, qnod illis noster Epicurus iiijp.osuit, et vocentur), quota pars abessel om- nibus rébus luis? Desuut il'i , (]ni et operam luam couio- rebant, et te aliis molestiim esse credebant. Nihil borum iiisolilum, nihil inespectatum est. Offcndi rébus istis, tam ridieuluui isl, quant qiicri qnod spargaris in pu- blico,aut in(piiiieris in luto. Eadem vlla; conditio est, qua; balnei , lurbœ, itineris : quacdani in te millentur, qujedani incident, Non est cleiitala rcj, vi-.efe. Liusam Tiam ingressus es : et labores oporlet , et arietes , et ca- das , et la.«eris , et exclames : o mors ! Id est , menliaris. Alio loco eomitemreliaques, alioefferes.aliotiinebij.Per ejusmodi offensas cmetienduui est confragosuni hoc iter. Mori me vuU? Praeparcluranimus contra omnia : sciât ie Teoisse ubi tonat fulnien; sciât yeuis&e se ubi Lnctus et ultrices posuere cubiiia Curœ , Pallentcsque habitant Morbi , ti isUsque Senectos. In hoc contubernio vita degenda est. Etfugere isla noD potes , conlemnere potes : conlemnes autem , si sipe co- gitaveris , et futura praesunipseris. INerao non fortius id id , coi se diu composuerat , accessit ; et duris quoque , si prœmeditata erant, obslitit. At contra imparalus, etiam levissinia cxpavil. Id agendum est, ne quid nobis inopi- natumsil; et, quia omnia novilate graviora sunt, hoc cogitati;> assidua pra-stabit, ut nulli sis malo tiro. Seni me reliquerunt! Alium corapilavcrunt , alium accusaverunt . alium occiderunt , alium prodiderunl, alium calcaverunt, alium vencno, alium criniinationn petierunt. Quidquid dixeris, multis accidit. Deinc^ps, quas raulta et varia sunt , in nos diriguntur. Qua-dam in nos fixa sunt, qua;dam vibrant, et, quum maxime veaiunt , ijua-dani in ali s pervcntura . nos stringunt. Nihil mire- ÉPURES A LUCILIUS. 815 viennent du dehors , et ceux mômes qui sont destinés pour autrui nous dounent souvent des atteintes. Ne nous étonnons point des choses pour lesquetles nous sommes nés, nous n'avons pas sujet de nous en plaindre , puisqu'elles sont égales pour tout le^rminde. Oui, je dis qu'elles sont égales ; car celui qui les évite montre bien , en les évitant, qu'il les pouvait souffrir. Oi-, la loi est égale quand elle est faite pour tous en général, quoiqu'elle ne soit pas exercée sur tous en particulier. Résolvons nous donc à la pa- tience, et payons sans répugnance le tribut de notre mortalité. Quand l'hiver amène le froid, il faut trembler. Quand l'été produit les cha- leurs, il faut suer. Quand l'intempérie de l'air altère la santé , il faut être malade. Nous rencon- trons en chemin une bête sauvage , et quelquefois un homme qui est plus dangereux que toutes les bêtes sauvages. Nous perdrons une chose par l'eau, une autre par le feu. Il n'est pas en notre pouvoir de rien changer, mais seulement de nous mettre dans une disposition d'esprit digue d'un bomme d'honneur, pour s'accommoder à la na- ture, et supporter avec courage toutes sortes d'é- vénements. Cette nature gouverne le monde que nous voyons par des mutations continuelles. Après la pluie vient le beau temps; après le calme, la mer se trouble ; les vents régnent l'un après l'au- tre; le jour succède à la nuit. Quand une partie du ciel s'abaisse, l'autre se lève, et l'on peut dire que la perpétuité des choses ne consiste qu'en leurs contrariétés. Notre esprit doit s'accoutumer et obéir à cette loi, sans accuser la nature, croyant que tout ce qui arrive devait ainsi arriver. Car il est bon de souffrir ce que l'on ne saurait corriger, vl de suivre sans murmure les ordres de Dieu, qui est auteur de tous les événements. Ce serait un mauvais soldat, qui suivrait son capiiaine en pleurant. Recevons donc ses commandements avec promptitude et allégresse : suivons le cours Je ce grand monde , (|ui traîne avec lui notre destinée, et parlons 'a Jupiter (jui conduit la machine de la manière que Cléanthe lui parle, avec ces beaux vers que je tournerai en notre langue, à l'exemple de Cicéron, persiinnaiio très-éloquent. S'ils vous agréent, h la bonne heuro, sinon, vous vous sou- viendrez que je marche sur les pas de Cicéron. Père de l'univers , di)iiiinaleur des cicui , Mène rucii, je te suis ù louielieiue, en tous lieux; IVien ne pinl arrêter ti volaulé fatale: Que l'un r(?si.sle ou non, la puissance est égale. Ou lu fais olicir ou de force ou de gréj Les âmes des mutins le suivent ciichainées ; Que sert-il de lutler contre ses destinées ? I.c sage en est conduit , le rebelle entraîné. Parlons et vivons de telle sorte que le destin nous trouve toujours prêts à le suivre. Une belle àme s'abandonne "a la volonté de Dieu ; au con- traire, un cœur lâche lui résiste, et censurant l'ordre de l'univers, il a plus soin de corriger la nature que de réformer sa vie. LPITRE CVIIf. Que la philosophie s'apprend aussi bien dan» la conver- sation (pie dans les livres. — Qu'il faut reporter toute notre Icclurc ii layie heureuse. La question que vous nie demandez est touchant ces choses qu'il faut savoir seulement afin de pou- mur eoruin , ad qocP nati sumns ; quœ ideo nulli qne- i-eada, quia paria sunt omnibus. lia dico, pana sunt; ikiin rtiam.quod effugit aliquis, pati potuit : a[>qiiu:ii au- tem jus est, non quo omnes asi sunt, sed quod omuibus lalum est. Imperelur aequitas aniiiio : et s ne querela nior- lalilatis tribula pendanms. Iliems frigora adducit ; algen- dum est : aeslas calores refert; a?stuandiiin est ; inteni- p«Tic« cali valetudinem tentai; irgrotsnduni est. Et tera nobij aliquo loco occurret , et homo perniciosior feris omnibus. Aliudaqua, aliud ignis eripiel. Ilanc rc- rum rondilloneni mulare non possuraus. Illud possumus, magnum .'.umere auinium et viro bonodignum, quo for- liler forluita patiamur, et natura- consentianins. Natiira aulem hoc, quod vdes , regnum niulaliouibus tempérât. Nubilo serena succedunt; turbantur maria, quuin quie- vcruDt; flant invicem venti; noctem dies sequitur; pars rœli C4in>urgit, pars mergilur; contrariis rerum œtcrni- tas constat. Ad hanc legem animns nostcr aptandus est : liane sequamr, huic pareal; et quaecumque fiunt, de- buisse fieri putet, nec velit otijurgare naturam. Optimum est, pati quod eniendare non possis; et Drum, qno auctore cnnct» proTcniunt, sine murmura- Uoœ comilari. Malus miles est, qui imperatorem geraens sequitur. Quare impigri alque alarres excipiamus impe- ria, nec deseramus huncoperis pulcherrimi cursum, cui quidquid patimur inteitiini esl ; et sic alloquaniur Jovem, cujus guliernaculo moles ista dirigilur, qiiomadniodum <;ieanlhcs noster versibus diserlissiniis alloquitur; quo» mihi in nostrum sermonem niutare permitiitur, Cicero- nis , diserlissimi viri , eiemplo. Si pLicuerint , boni con- sules; si displicuerint, scies nie in hoc sequutuin Cicero- nis exemplum. t)iic me , parens . cclsiqiie dominalor poli , Qnociimque placuit : initia |.arendi niera est : Adsum impiger. Fac noile. comilabor gemcns, Malusque patjar, quod pati licuil tiono, Ducuut vo:entem fata, ouleatem trahunt. Sicvivamus, sic loquamur! paralos nos inreniat fltque inipigros fatum ! Ilic est magnus animus, qui se Deo tra- didit : at contra ille pusillus et dogener, qui obluclalur, etiieordine mundi niale eiistiinat, cl emendarc niavuH Deos. quain se. V;ile. EPISÏOI.A CVIII. QBOMODO AlIDlEMDI SlUT PIIII.OSOPIII. Id, de quo quseris, ex bis est, quap scire, tantum eo. 814 SËNÈQUE. voir dire qu'on les sait. Néanmoins, puisque vous me pressez , et que vous ne voulez pas attendre les livres ou je traite par ordre de tout ce qui ap- partient à la philosophie morale, je vais vous sa- tisfaire présentement. Trouvez boa que je vous dise auparavant comme quoi vous devez régler cette avidité d'apprendre que vous avez, de peur qu'elle ne s'embarrasse d'ellc-môme. 11 ne faut point en prendre ça et là , ni se jeter tout d'un coup sur toutes sortes de choses ; par le moyen des parties, on vient à la connaissance du tout. On doit mesurer la charge avec ses forces, n'embras- sant point davantage qu'on ne peut porter. Pre- nez-en , non pas autant que vous en vondrez, mais autant que vous en pourrez contenir. Or, vous en prendrez aulant que vous voudrez, si vous avez l'âme bien disposée; car plus elle reçoit, plus elle étend sa capacité. Je me souviens qu'Attalus nous en parlait ainsi , lorsque nous étions en son école avec tant d'assi- duité , que nous y venions les premiers et n'en sortions que les derniers. Nous lui proposions même des questions durant la promenade , aux- quelles il répondait si volontiers , que souventes lois il nous prévenait. Il faut (disait-il) que le maî- tre et le disciple n'aient qu'une même intention : l'un, dese rendre utile; l'autre, d'enproûter. Celui qui fréquente les écoles de philosophie doit rem- porter chaque jour quelque profit , et s'en retour- ner ou plus sain ou mieux disposé a le devenir. Il ne faut pas douter que cela ne lui arrive ; car la philosophie a cet avantage qu'efle est utile dans la conversation aussi bien que dans l'étude. Celui qui va au soleil se bâie, quoiqu'il n'y songe pas; et qui entre dans la boutique d'un parfumeur, sent le musc pour peu qu'il s'y arrête. Aussi, est- il impossible que ceux qui conversent avec un phi- losophe n'en remportent quelque fruit , fussent-ils dans la dernière négligence. Remarquez que je dis négligence et non répugnance. — Quoi! n'en avons- nous pas connu qui, ayant fréquenté la philoso- phie durant plusieurs années, n'en ont pas pris la moindre teinture? Oui, j'en ai connu, et ce sont des gens que j'aime mieux appeler domestiques que disciples des philosophes. Les uns viennent pour écouler, et non pour ap- prendre, comme nous allons à la comédie pour le plaisir d'entendre quelque beau discours, quel- que charmante voix ou (juelque histoire facétieuse. Vous trouverez que la plupart de tels auditeurs ne se rendent "a l'école d'un philosophe que comme eu un lieu de divertissement. Leur inten- tion n'est pas d'y laisser quelques défauts et d'y prendre quelque beau modèle pour régler leur vie, mais bien de se faire chatouiller les oreilles. Il y en a pourtant qui y apportent des tablettes , non pour marquer la substance des choses, mais seulement pour recueillir des paroles et les débi- ter àd'autres qui n'en feront pas plus de pro6t. Les uns se laissent émouvoir par un discours ma- gnifique et pompeux , et entrent dans les passions de celui qui leur parle, montrant sur le visage l'allégresse qu'ils ont dans le cœur, à peu près comme ces prêtres de Cybèle qui se mettent en furie au son de la flûle. Les autres sont ravis par la beauté des choses et non par le son des paroles. ut scias, pertinet. Sed nihilominus, quia perlinet et pro- peras, nec vis exspectaïc libres, quos quuui niasinie or- dino , continentes fotani moraleiu pliilosopliiaG parteni statim espediain. lUud taraen prias scribam , queinadmo- dum tibi ista cupiditas discendi , qua Dagrare te video , dirigenda sit, ne ipsa se impediat. Nec passim carpenda sunt , nec avide invadenda universa : per partes perve- nilur ad totum. Aptari onns viribus débet; nec plus occu- pari, quam cui sufOcere possimus. Non, quantum vis, sed quantum capis , hauriendum est. Bonum tantum habe animum; capies, quantum voles. Quo plus recipit ani- mus, hoc se magis laiat. Hsc uobis praecipere Attalum mcmini, quum schulam ejus obsideremus, etprimi veni- remus, et novissimiexiremus,ambulantem quoque illum ^d aliquas disputationes evocareraus, non tantum paratum disceutibns , sed obvium. « Idem, iuquit, et docenti, et discenti débet esse propositum : ut ille prodesse velit , hic proDcere. • Qui ad philosophum venit, quotidie aliquid cecum boni ferat, aut sanior domum redeat, aut sanabi- lior. Redibit autem : ca enim philosophiae vis est , ut non solum studentes, sed etiam conversantes juvet. Qui in solem venit , licet non in hoc venerit, colorabitur ; qui in 4«ngDenta);ta tat)eriiii resederunt, etpaulo diutiuscommo- rsti tunt, odoi'cm seciun loci ferunt; et , qui apud philo- sophum fuerunt, traxerint aliquid necesse est.quod pro- desset etiam negligentibus. Attende, quid dicam : negli- gentibus ; non , repugnantibus. Quid ergo*^ non oovimus quosdam, qui ronttis apud philosophum annis pei'sederiut , et ne colorem quidem duierint ? — Quidni uoverim ? pertinacistimos quidem , et assidues ; quos ego non discipulos philosophorum , sed inquilinos, voco. Quidam veniunt, ut audiant, non ut discant; sicut in tbeatrum voluptatis causa , ad delectan- das aures oratione , vel voce , vel fabulis, ducimur. Mag- nam hancauditorumparlem videbis, cui philosophiscbola diversorium otii sit. Non id agunt , ut aliqua illo vitia de- ponant ; ut aliquam legem vitce accipiant , q.ua mores saos exigant; sed ut oblectamento aurium perfruantur. .\liqui tamen et cum pugillaribus veniunt; non ut res eicipiaot, sed ut verba , qu<£ tam siue prufectu atieao dicant , quam sine suo audiunt. Quidam ad magnificas voces eicitantor, et transeunt in aflectum diceutium , alacres vultu et aoi- mo; nec aliter concitantur, quam soient Phrjgii tibidnis sono semiviri , et ei imperio furentes. Rapit illos insti- gatque rerura pulcbritudo , non verborum inauium so- nitus. Si quid aciiter contra mnrtem dictum est , si quid contra fortunam contumaciter , juvat protinus, quôB au- dias. facerc. Afficiuntur illis : et sunt qnales jnbentur. ÉPITRES A LUCILIUS. 815 Si l'on parle d'arfronter la mort et de résister à la fortune, ils sont prêts a faire tout ce que vous leur dites. Ils sont touchés au dedans et prennent telle forme que vous leur donner, pourvu que cette impression demeure et que le vice de la cou- tume, qui rel)ule tout ce qui est honnête, n'étei- gne pas cette belle ardeur. Enfin , vous en trou- erez bien peu qui portent jusqu'au logis les senti- ments et la résolution qu'ils avaient pris. Il est bien aisé de porter son auditeur à l'amour de ce qui est juste ; car la nature a répandu dans toutes les âmes des semences de vertu qui se réveillent lorsqu'on vient a les remuer. Ne voyez-vons pas comme on se récrie sur les théâtres , toutes les fois qu'il se dit quelque chose qui est approuvé et re- connu pour véritable par un consentement public? S'il manque à l'indigent, l'avare se plaint tout. Un mesquin applaudit toujours h ces vers, et se réjouit du reproche que l'on fait a son vice. No croyez-vous pas que cela serait plus fort, s'il était dit par un philosophe qui mêlât des vers avec des préceptes salutaires, pour les insinuer plus efû- cacement dans l'âme des ignorants? Car comme disait Cléanthe : Tout ainsi que notre souffle rend un son plus clair, passant par le col étroit d'une trompette, et sortant par une plus large ouver- ture, de même la mesure étroite d'un vers donne a nos pensées plus d'effet qu'elles n'en auraient eu sans cela. Ce que l'on avait écouté négligcniineiit et sans aucune émotion , étant dit en prose, cela môme entre dans l'âme comme s'il y était poussé aussitôt qu'on lui a prêté des nombres. On dit beaucoup de choses touchant le mépris de l'ar- gent.^ et on fait de grands discours pour persua- der aux hommes que leurs richesses consistent en la grandeur de leur âme, et non de leur patri- moine ; qu'on peut appeler riche celui lequel s'ac- commodant à sa pauvreté se rend opulent avec peu de chose ; mais cela fait plus d'impression sur les esprits , lorsqu'il est exprimé en langue poé- tique. Qui sait vivre de peu n'a disette de rien. Aussitôt que nous entendons cela ou quelque chose de semblable , nous sommes obligés de re- connaître la vérité; et ceux mêmes qui n'ont ja- mais assez de bien admirent ces sentiments, les approuvent et déclareutla guerre a l'argent. Quand vous les verrez dans cette disposition, pressez et poussez-les avec vigueur , rebattez souvent les mêmes choses , sans vous amuser a des arguments captieux et à des subtilités inutiles. Parlez tout de bon contre l'avarice et contre le luxe. Si vous voyez que vous fassiez quelque proDl et que vous entriez dans le cœur de vos auditeurs , poursuivez avec plus d'effort. Vous ne sauriez croire le fruit que fait un discours qui s'attache au remède, et qui n'a pour but que le bien de ceux qui l'écou- tent. Il est certain qu'il est plus aisé de porter les âmes qui sont encore tendres à l'amour de ce qui est juste et honnête; caria vérité s'empare incon- tinent d'un esprit (|ui est docile et légèrement imbu des fausses opinions, pourvu qu'elle ren- contre un ministre qui la sache insinuer adroite- ment. Pour moi, lorsque j'entendais discourir Attalus contre les désorJres , les erreurs et les maux de la vie , j'avais (luclquefois compassion du riilla anime Torma perninneat, si non impctiim insignem protinus populus, lionesti dissuasor , eicipiat. Pauci illam qaani concepcrant inentein domuiii pcrferre potucrunt. Facile e,st , auditorcm concilare ad cupidlneni recti ; omnibus enini natura fundamenla dodit, sementjue vir- tutum; omnes ad omnia isia nali snmus; quum irrilator accessit, tune illa animl bona, relut sopila, excitantur. Non vides qucniadmodum tlieatra consonent, quoiies aliqua dicta sunt , qux publiée agnoscimus , et consensu vera esse testamur ? Desunt inopiae multa , avaiitiae omnia. In nullum avarus bonus esl, in se pesslmus Ad bos versus ille sordidisslnius plaudit, et viliis suis neri coDvicinm gaudet. Quanto magis hoc judicas eveni- re, quum à philosophe ista dicuntur; quum ealutaribus prxceptis versus inseruntur, edicaciuseadem illa deniis- turi in animum imperitoruni? • ISam, nt dicebat Clcan- tlies , queraadmodum spiritus uoster clariorem sunum reddit , quum illum tuba , pcr longi canalis angusiias trac- tum , poteutiorem novissinio exitu effudit ; sic sensus nos- tros clariures carminis arcta nécessitas eiTicit. » Eadem negligentius audiuntur, miousque perculiunt, quamdiu iolata oraliODC dicuntur; obi accessere nnmeri et egre- giura sensnm rdslrinxcrc certi pedes, eadem illa senten- tia, velut lacerto excussa , loiquelur. De conlemplu pe- cnnias mullii dicnniur , et lon^'itsimis oraliooibiis hoc pro;- cipilur ut homines in aniinu, non in patrimonio, putent esse divitias; enni esse loruplelcin , qui paupertati suae aplatusest, et porvo se divilcm fecit. Magis tamen fe- riuntur animi , quum carniina ejusniodi dicta sunt ; Is minimoegct nmrtalis qui minimum cupit. Quod vult. Iiabet. qui velle qiiod satls e^t potest. Quum ha;c alque ejusmodi audimus.ad confessionem ve- ritatis adducimur. Illi enim, quibus nibil salis est, ad- mirantur , acclamant , odium pecuniae indicunt. Ilunc illorum affecluni quum videris, urge, hoc preme , hoc onera, relictis ambiguitatibus , et syllogismis, et cavilla- tionibus , et cœteris acuminis irrili ludicris. Die in avari- tiam, die in luxuriam : quum piofecisse te videris, et animos audienlium affeceris , insta vehemcntius. Verisi- milc non est, quantum proilciat talis oratio, rcmedio in- tenta , et tota in honum audienlium versa. Faciliime enim tenera concilianlur ingénia ad honesli reclique amorem; et adhuc docilibus leviterque corruptis injicit manum Ve- ritas, si advocatum idoueum nacta est. Ego certe , quum Attalum audirem , io vitia , la erro- 8I(> SÉNÉ genre humain , et je croyais ce pliilosoplie au-des- sus de tout ce qu'il y a de grand dans le monde. Il se donnait le titre de roi, mais c'était, a mou avis , quelque cliose de plus que régner de pouvoir reprendre tous ceux qui régnaient. Quand il se mettait h louer le pauvre, et qu'il montrait que tout ce qui ne servait point à notre usage, était un poids inutile et incommode à celui qui le por- tait, j'ai souvent désiré de sortir pauvre de son école. Mais, quand il entreprenait de blâmer les voluptés et de louer la continence, il me prenait envie de régler ma bouche et de retrancher tous les plaisirs illicites ou superflus. De tous ces préceptes, que j'avais embrassés avec ardeur, il m'en estdemeuréquclquechose que j'ai observé encore depuis que je me suis retiré dans la ville. C'est, mon cher Lucile, ce qui m'a fait renoncer aux huîtres et aux champignons pour toute ma vie. Car ce ne sont pas des viandes, mais plutôt desdélicatesses qui provoquent a mangerdes gens qui sont déj'a rassasiés et qui se chargent l'estomac de plus qu'il ne saurait porter. Mais, comme elles s'avalent facilement , on les rend aussi sans beaucoup de peine. C'est ce qui m'a fait abs- tenir des parfums pour toujours, parce que le corps ne sent jamais mieux que quand il ne sent rien. C'est encore ce qui m'a fait quitter le vin et le bain pour le reste de mes jours , et qui m'a per- suadé que c'était une délicatesscinulile de se des- sécher le corps par des sueurs artificielles. Quant aux autres habitudes que j'avais quittées, elles sont revenues. J'en use toutefois avec une modération qui approche fort de l'abstinence, et que je trouve QUE. plus difficile, étant moins aisé de se retrancher en certaines choses que de s'enpriverentièremenl. Puisque je vous ai déj'a fait connaître comme j'a- vais plus d'ardeur pour la philosophie lorsque j'é- tais jeune que je n'en ai présentement que je suis vieux , je veux bien vous dire comme Socion m'en- gagea dans l'affection que je pris pour Pythagore. Il m'enseignait pourquoi il s'abstint de la chair des animaux, pourquoi Sextius le fit ensuite; l'un et l'autre en avaient différentes raisons, toutes fort belles. Celui-ci disait que les hommes avaient d'autres aliments sans se nourrir de sang , et que l'on s'accouiumait "a la cruauté en prenant plaisir 'a dévorer les viandes. 11 ajoutait qu'on ne pouvait trop retrancher la matière du luxe, et que la di- versité des aliments était ennemie du corps et con- traire 'a la santé. Quant 'a Pythagore, il disait que toutes les choses avaient de l'alliance entre elles, et que, par une communication réciproque, elles passaient en plusieurs et diverses formes. Si vous l'en croyez, l'ârae ne meurt point et ne cesse de subsister que fort peu de temps, tandis qu'elle entre dans un autre corps. Nous verrons quelque jour comme , après un long intervalle et plusieurs domiciles changés, elle retourne dans l'homme. Cependant il a imprimé l'horreur du crime et du parricide: car il se pourrait faire qu'un homme, sans y penser, persécuterait l'âme de son père, et qu'il blesserait ou déchirerait un corps où l'âme de quelqu'un de ses parents serait logée. Socion , après m'avoir exposé cette doctrine qu'il avait appuyée de beaucoup d'arguments : «ne croyez-vous pas, me dit-il, que les âmes sont dis- res, in miila vitae peroranlem , s»pe niiserlus sum gcne- ris liumani , et illum sublimem altiorcnique humauo fas- ligio credidi. Ipse regcm se esse dicebat : sed plus quam regnare niihi Tidebatur , cui liccret tcnsuram agere rcg- nautiuni. Quumverocoiiimendare paupeiialeni cœpeiat, et ostendere , quam , quidquid nsuin excederet , pomlus esset supervacuum et grave ferenl' , sippe esire e schola pauperi libuit. Quum oœperat volnplates noslras Iradu- cere , laudare castuin eorpus , sobriam ineiisani , purani menteni, non lantum ab illicitis voluptatil>us>, sed eliani supcrïacuis; libebat circumscribere gulam et venireni. lude Miihi quaidam permansere , Lucili; niagno eiiiiu in oiiinia iuceplu \ciierain : delude, ad civitatis vitaiii re duclus, ex bene cœplis pauca servavi. Icide ostreis bole- tisqucin oinueui vilain renuntiaium est; nec euiiii cibi , sud ubieclanienia suut , ad edeudum saturos cugemia ; quod gratissiiiium est edacibus , et se ullra , quaui ca- piunt, farcientibus, facile desceusura , facile reditura. Inde iu uinneni vitani unguculo abstiueinus; quoniani optiiiuis odor in cmpore est nnllus. Inde vino careus slo- maelms. Inde in onincnt vilarn balneuin fnginins ; doco- (jnere corpus, atqne exinaniro sudoribus , iuuble siniut dclicaiumque crcdidinnis. Ca'tcra projecia redierunl; ita tameu, ut, quoinin alislineiiliam int. nupi, niodnni ser- Tcm , et quidem abstincnti» proiimiorem , nescio an dif- liciliorem; quoniam quœdamabscinduDturfacilius anima, quam tempera ntur. Qnoniara cœpi tibi eiponere , qnanto majori impetu ad philosopbiam juvenis accesserim, qaam senei pergam, non pndebit fateri , quem mihi amorem Pythagora» inje- cerit Sotion. Dicebat, quare ille anitnalibns abstinuisset , quare poslea Sextius. Dissimilis utrique causa erat,sed nlrique magnifica. Hic bomini satis alimeuloruiD citra sanguinem esse credebat; et crudebtatis consoetudinein ficri , ubi in voluptatem esset adiincta laccratio. Adjicie- bat, contiahfindam materiam esse luinriée; colligebat, hor.re valetndini contraria esse alimenta varia , et nostri» aliéna coi-|ioiibus. At Pythagoras omnium inter omoia cogualioneni esse diceliat, et aliorura commercinm ia abas atqne alias formas transeunliuni. Nulla (si illi cre- d;is) anima interit, nec cessât quidem, nisi lempore eii- guo , durn in aliud corpus transfunditur. Videbimns . per quas temporuni Tices, et qiiando, pererralis plurilnis do- miciiiis, in bomincm revertatur. Intérim sceleris bomi- nilius ac pai ricidii mrtuni fecil, quum possint in parentis animam inscii inonrrert*, et ferro morsnïe violare, si io (|uo cugn»tusali'|uis spiiitnslios| i'arelur. Ha^qaumei- posuisset Soliou , et impie, set argiimenlis suis : • Non ÉPITKES A LUCILIUS. 8i7 tribuées successivement en plusieurs corps, et que ce qui s'appelle mort n'est qu'un passage b uue autre demeure? Ne croyez-vous pas que râiiic d'un homme qui fut autrefois est maintenant logée dans ces animaux qui sont sur terre ou sous les caust? Que rien ne périt eu ce monde , et (|u'ii ne fait que clianRfr de lieu? Que les âmes et les bêles roulent aussi bien que les corps célestes dans des cercles réglés? C'est ce que de grands personnages ont cru. Cependant, suspendez votre jugement, et laissez les choses en leur entier. Car si cette opinion est véritable , c'est une chose innocente de s'élre abstenu de la chair des iinimaux ; si elle est fausse, c'est une action de sobriété. Que por- dez-vous en croyant cela , puisqu'on ne vous Ole que la nourriture des lions et des vautours? Etant persuadé par ces raisons, je commençai de m'abs- lenir de la chair des bêles, et une seule année m'en rendit l'habitude aussi doiice ((ue facile ; il nie semblait que j'en avais l'esprit plus éveillé; mais je ne voudrais pas assurer aujourd'hui que cela fût vrai. Voulez-vous savoir comme je cessai? J'étais encore jeune sous l'empire de Tibère César, lorsqu'on recherchait les religions étrangères, et que l'on prenait pour une marque de superstition l'abstinence qu'aucuns faisaient de certaines vian- des. Mon père, non qu'il eût peur d'aucune re- clierche, mais par uue pure avei'sion qu'il avait de la philosophie , me fit reprendre ma première coulunic,el n'eut pas beaucoup de peine à me persuader de faire meilleure chère qu'auparavant. Altalus estimait beaucoup un matelas qui n'en- fonçait point sous le corps. Le mien , tout vieux que je suis, est de celte sorte; il ne paraît point que j'aie couché dessus. Je vous ai fait ce récit pour vous faire voir avec quelle ardeur les jeunes gens se portent au bien quand quelqu'un les y excite. En quoi, toutefois, il peut y avoir de la faute des maîtres, qui enseignent à disputer, et non pas à bien vivre, aussi bien que des écoliers, qui viennent plutôt a dessein de se polir que de s'amender. De soi te que la philosophie est dégé- nérée en philologie, et l'amour de la sagesse en l'amour des sciences et des lettres. C'est pourquoi il importe beaucoup de dresser son intention (|uan(l on entreprend quelque chose. Par exem- ple, celui (|ui veut être grammairien ne lit pas ce beau vers de Virgile : Le temps fuit, et jamais ne se ppul rappeler, pour savoir qu'il faut être vigilant, el que si nous n'usons do diligence , nous demeurerons derrière ; que le temps passe et nous fait passer bien vile ; que nous sommes emportés sans y prendre garde; que nous remettons toutes choses à l'avenir, et que nous nous endormons sur le bord d'un pré- cipice; mais il le lit pour apprendre que quand Virgile parle de la vitesse du temps, il use de ce mot : // fuit . La plus belle saisoD fuit toujours ta première; Puis la foule des raaui amène le cli.igrin , Puis la triste vieillesse , et puis l'heure dernière Au malheur des niorlels met la dernière main. Celui qui veut être philosophe rapporte ces mêmes vers à la lin qu'il prétend; il voit que jamais Vir- gile ne dit : Le temps va ; mais qu'il fuit, qui est credis, inquit, animns in-nliarorponi alquealia dcscribi? et migrationf m esse , quod diciuius morlcm ? ÎVon cred)s, in bis pecudibus . ferisve , aut aqua uiersis , illum quon- dam hnniinis aniiimm morari? ÎSon credis, nihil perirc in hoc mundo, s( d mutare regionem? ncc tanluiii «rles- tia per ccilos ciicuitus verti , sed aninialia quo(|ue per vices ire, et aniuos perordinem aei? Magni isla crcdide- runt viri. Itaque judiciuni quidem tuum snstiae ; cœlcrum omnia tibi intégra serva. Si vera sunt isla, abstinuisse animalibus innoccntia est; si Tilsii , fnigalilas est. Quod iilic crudclitatis tus daœnnm est? AlimcnUi tibi Iconum et Tulturum eripio, • His iustinctMs, abstinere animalibus cœpi; et,anno peracto, non tintum facilis crat niilii consucludo, sed dolcis. Agiliorem mihi aiiimiun esse credebam; iiec libi hodie allirniavcrini , an fueiil. Qiia'ris , quomodo desie- rini? In Tiberii Ca'saris princiiiatum juvénile Icmpus incidcrat : alienigena tum siicia movcbanlnr, et inier argumenta superstitionis poiiebatur quorumilam anima- liam sbstinenlia. Paire itaqne meo rogantc, qui calum- nbni timebat, non philosuphiani odirat ad pri^linani COmne^udinem redii; nec difficulter mihi , ut insumus , K'iicli demum intcUigamus. Primus quisque , tanquam oplimus, dies placeat, et redigatur in nostrum. Qt:odfugil, orcupandum est. Hoc non cogitât ille , qui grammatici oculis carmen istud legit, ideo < optimum quonique primum esse diem, • quia subeuot morbi, qnia scnectus premit , et adbuc adolescentiamcogilantibus su- pra caput est : scd ait , Virgilium semper una ponere « morbos et scnectulem. • Non, mehercules , immerito ; senectus enim insanabilis morbus est. Prœterea , inquit , boc senectuti cognomeu posuit, tristcm illam vocat : , Subeuut morbi , tristisque senectus. Non est quod mireris , ex eadem materia sois qiiem- que studiis apta colligere. In eodem pralo bos berham quaîrit, canis leporem , ciconia lacertum. Quum Cieero- nis libros de republica prendit hioc pbilologus aliquis , bine grammaticus , bine philosophis deditus ; alius alio curam suam mittit. Pbilosopbus admiratur , i contra jus- titiam dici tam multa > potuisse. Quum ad banc eamdem lectioncm pbilologus accessit, boc subnotat : t Duos ro- manos reges esse , quorum altcr patrcm non habet, aller matrem : • nam de Servit maire dubitatur ; Anci pater Dullus; îsuraae nepos dicitur. Prsterea notât, « cum, quem nos dictatorem dicimus et in historiis ita nomioari legimus , apud antiques magistrura populi Tocatum. • Hodieque id exstat in Auguralibus libris ; et testimoniiim est , quod , qui ab illo nominatnr , • Magister equitaoi • est. ^que notai , < Romulum périsse solis defeclioae : ÉPURES A LUCILIUS. 819 mis an peuple. Féneslella croit aussi que cela se trouve Tcriflé par les livres des pontifes. Quand le grammairien entreprend d'expliquer ces livres-la, il met, premièrement , dans ses observations , que Ciccron dit reapse pour reipsa, qu'il dit aussi sepse pour seipse. Ensuite il passe aui mots que l'usage du temps a changés , comme en cet endroit où Ci- céron dit : Ce bout de la carrière; ce que nous appelons aujourd'hui crelam, qui signiGe borne, les anciens l'appelaient calceni , qui veut dire le lalon ou le bout du pied. Après, il fait un recueil des vers d'Ennius, et principalement de cens qu'il a écrits de Scipion l'Africain : A (|ui jamais l'amt ni l'ennemi Pi'a pa payer le bienfait qn'à demi. Par là il reconnaît que ce mot opéra, qui veut dire labeur, signiCait, au temps passe, auxi- lium, qui veut dire secours ou bienfait; car il dit que l'ami ni l'ennemi n'a pu rendre "a Scipion le bienfait qu'il en avait reçu. Il s'eslime encore heureux d'avoir trouvé pourquoi Virgile s'est avisé de dire : Sar lai tonne du ciel la grande et vaste porte. Il dit qu'Ennius l'a emprunté d'Homère , et Vir- gile d'Ennius. On voit encore celle épigramme d'Ennius dans ces mêmes livres que Cicéron a écrits de la république : Si quelqu'un |)cat entrer dans le séjour des dicui , La vaste porte des cicui A moi seul s'ouvrira. Mais, de peur que, sans y penser, je ne fasse moi- même l'orateur et le grammairien , je vous avertis que tout ce que nous entendons ou lisons chez les philosophes se doit rapporter au dessein que nous avons de parvenir a la vie heureuse. Ne nous at- tachons point 'a certains mots vieux ni "a des mé- taphores et à des façons de parler qui sont mau- vaises. Recevons plutôt des avis salutaires et des paroles pleines de force et de courage pour les con- vertir en des effets. Apprenons de manière que ce qui n'était qu'un discours devienne ensuite une action. Certainement je ne connais point de gens qui fassent plus de tort "a la société civile que ceux qui ont appris la philosophie comme un métier, et qui vivent autrement qu'ils n'enseignent qu'on doit vivre; car, étant sujets "a tous les vices qu'ils condamnent, ils portent partout où ils se trouvent l'exemple d'une discipline inutile. Un précepteur de cette sorte ne me servirait pas davantage qu'un pilote sujet au vin qui rendrait gorge durant la tempête. C'est alors qu'il faut tenir ferme le gou- vernail , malgré les secousses des flots; qu'il faut lutter contre la mer et abaisser les voiles que les vents s'efforcent d'enlever. En quoi me peut ai- der un capitaine de navire étonné et vomissant? Or, il n'y a point de navire si fort agité de la tempête que notie vie. Il n'est donc pas question de bien parler, mais de bien conduire. Tout ce que l'on dit et ce que Ion étale devant le peuple est emprunté d'autrui. Platon l'a dit, Zénou l'a dit, Chrysippe, Posidonius, et un nombre incroya- ble de pareilles gens. S'ils veulent montier qu'ils 1 sont "a eux, qu'ils fassent ce qu'ils disent. Après proTOcationem ad populum ctiam a regil)us fuisse : • id ita in pontifieallbus libris aliqui putant, et Feuestclla. Eosdem llbros <;uum f;rammaticns explicuit, primum TCrba prisca , reapse dici a Cicérone , id est , reipsa , in comraenlarium refert ; nec minus sepse, idcst, seipse. Deindc transit ad ea, qux consuetudo sapculi mulavit; lampiam ait Cicero , • Quoniam sumus ab ipsa caice ejus interpellatione revocati : • hanc,quam nuncincirco cre- tam Tocamus, calcem aotiqui dicebant. Deinde Knnianos colligit versus, et in priniis illos de ATricano scrip os : Cui nemo civis neque hotti» Qnivit pro (actis reddere opéra; preiiiun. Ex co se ait intelligere , apud anliquos non tantum anii- liam signiflcasse operam , sed opéra : ait enim , neminem potuisse Scipioni , neque civem , neque hoslem, reddere opers prelium. Felicem deicde se putat, quod iaveneril, node TÙam >it Virgilio dicere : Qiietn super ingeni Porta tonat cxli Eonium boc ait (iomeni subripuisse; Ennio Virgilium. Ene enim apud Ciceroneni in bis ipsis de republica hoc •pigramma Ennii : Si (as cndo plagas œlestum ascendcre cu'qnam ; Hi suli cœli iii.iiiiiia pi>rla patct. Scd nect ipse, dunialiudafio, tuphilologum autgram- maticumdclal)ar,il!ud adnioneo, auditioucm philosopho- rum leclionemque ad proposiium beils; vita» Irabendam : non ut verl)a piisca aut ficla captemus , et translaliones improbas Tipurasque dicendi , sed ut profutura prœccpta, et niagnificas V(x:es , et animosas , qua; mox in rem trans- fcrantur. Sic isla discamus , ut , qua; fuerunt verba, sint opéra. Nullos autem pcjus mercri de omnibus mortalibus judico , qu;im qui pbiloi^opbiam , velut aliquod artiflcium vénale , didicerunt; qui aliter vivunt, quam >ivendum esse prsecipiunt. Exempta enim seipsos inulilis disciplina; circnmferunt, nulli non vitio, quod insequuntur, ob- noiii. Non roagis mihi potest quisquam talis prodesse prxceptor, quam gubernator in tempestate nauseabun- Hus.Tenenduraest, rapienic (luctu , gubernaculum ,luc- tandum cum ipso mari , cripienda sunt vento vêla : quid me potest adjuvare reclor navigii attonilus etvomitans? Quantoniajoreputas vitam tempes'atejaclari.quamullain ratem? tVon est loquendum, scd gulicrnandum. Oniuia , qus dicunt, quse turba audiente jactant, aliéna suât. Diiit i!la Plato,dixit Zenon, diiit (^brysippus, et Posi- donius , et ingcDS agmen tôt ac talium. Quomodo pro- bare possiot sua esse, monstrabo : faciant, qua; dixe- rint. Quoniam, qu.c voluorani nd le pr f.'rre, jani di^i, 820 in'Clre expliqué de ce que j'avais à vous dire, je TOUS réserve une loUre tout entière pour satis- faire a ce que vous désirez de moi , de peur que voire esprit, étant déjà fatigué, ne se rebute d'une matière difficile , qui demande des oreilles atten- tives cl curieuses. ÉPITRE CIX. Si le sage est ulile au sage. — Qu'il faut négliger la sub- tilité des questions inutiles pour s'altacher à l'étude de la vertu. Vous voulez savoir si le sage est utile au sage. Nous disons que le sage est rempli de toutes sor- tes de biens et au comble de ses désirs. On de- mande donc si quelqu'un pourrait être utile 'a un homme qui possède le souverain bien. Il est cer- tain que deux hommes de bien sont utiles l'un "a l'aulre, parce que vivant ensemble dans l'exercice continuel de leurs vertus , ils se maintiennent dans l'état de la sagesse qu'ils ont ac(juise; ils dé- sirent tous deux avoir un compagnon avec qui ils puissent discouiir et conférer. Ceux qni savent lutter s'exercent entre eux et se tiennent en ha- leine. Le musicien s'excite en la compagnie d'un autre musicien , et comme le sage s'excite de lui- même , il sera aussi excité par un autre sage ; car il est nécessaire que sa vertu soit dans l'action. Mais encore, quelle utilité le sage apportera-t-il au sage? 11 lui donnera du cœur et lui fera con- riuilrc les occasions de faire quelque bonne action. De i)lus , il lui communiquera ses pensées et lui apprendra ce qu'il aura trouvé de nouveau; car il y aura toujours quelque découverte à faire , et du champ pour exercer les esprits. Le méchant SÉNËUUE. nuit au méchant ; il \» rend encore plus manvai», en irritant sa colère et sa crainte, en flattant son chagrin, et en approuvant ses plaisirs. Aussi les méchants sont-ils perdus depuis que leurs vices se sont mêlés ensemble, et que leur malice s'étant assemblée a formé comme un corps. Ainsi , par la raison des contraires, un homme de bien doit être utile à un homme de bien. De quelle maniè- re, direz-vous? 11 se réjouira , il le conflrmera dans son assurance , et leur satisfaction s'augmen- tera par la réflexion qu'ils feront sur leur tran- quillité mutuelle. De plus , il lui donnera la con- naissance de certaines choses; car le sage ne sait pas tout, et quand il le .saurait , il y a des chemins plus courts qu'on lui pourrait montrer pour con- duire ses desseins avec moins de peine. Le sage se rendra ulile non-seulement par ses forces, mais encore par celles de celui même qu'il voudra ai- dci. Ce n'est pas que, demeurant tout seul, il n'agisse selon toute sa capacité ; il ira son Irain ; mais c'est aider un homme, que de l'animer pen- dant sa course. Parlant, vous voyez que le sage est utile au sage et encore à soi-même. Vous me direz : Si vous ôtez 'a l'un ses forces et ses bonnes qualités , l'autre ne fera plus rien. Ainsi vous pourriez dire que le miel n'a point de douceur ; car celui qui en mange doit avoir la lan- gue et le palais disposés h ce goût pour le trouver bon et n'en être pas offensé , comme font quelques malades (]ui le trouvent amer. Il faut, en un mot, qu'ils soient tous deux en tel état que l'un puisse apporter de l'utilité , et que l'autre la puisse re- cevoir. Mais on réplique : Il est aussi peu possible de profiter 'a un homme qui possède le souverain nunc dcsiderio tuo satisfaciara , et in allcram epislolain i;itegrum, quodexegeras, tiansferani ; ne ad rcra spino- !.am, et auribus crcctis curiosisque audiendam, lassus accéda». Vale. EPISïOLA CIX. iN .Sapiens saiienti, et quomodo, rBO.^lT. An «sapiens sapieiiti prosit , » scire des'.deras. — Dici- raus , plénum oinni bouo esse sapientem et sununa adep- tnra : quoniodo prodesse aliquis possit sun)nHim babenti bonum, qua;ritur. Piosunt intcr se boni ; exercent eniui Tirlutes , et sapientiiini in siio statu conlinent : desiderat uterque ali(|uein , cum quo conférât , cum quo quaerat. Peritos luctandi usus exercet; inusicuni, qui piria didi- cit, miini't. Opus est et «ipienti agit^itioue virtutuni : ila , queniadnioduai ipse se iiiovot, sic niovelur ab alio sa- piente. Quid sapiens sapienli proderil? impetumilli dabit, nccasioae.s iicliouum honeslaïuni ronunonstrabit. Prœler naec,aliqnas Ciigitailones suas exprimct; docebit, qua; luvcnerii. Semper cnini etiam sapiiuii restabit quod in- ven at, cl (jiio animns ejus e\currat. Malus malo nocet; b;:il quoque prjorem iiani, uictus incitaudo, tristitia; assentiendo , Tolnptates landando : et tune maiime latx>- rant mali , nbi plurimura vitia niiscuere , et in unam col- lata nequitia est. Ergo, ex contrario, bonus lx>no pro- deril. — Quomodo? iuquis. — Gaudium illi afferet, fidu- ciam confirmablt , ex conspeclu muluae tranquillitatis crescet ulriusque lœtitia. Prneterea quarumdam illi rerum scientiara tradet : non enim omnia sapiens scit : etiam si sciret, breviores vias reruin aliquis excogitare posset, et bas indicare , per quas facilius totum opus circumferlur. Prodtrit sapienti sapiens, non suis viribus, sed ipsius queni adjuvat. Potest quideni ille, etiam reliclus sibi , ex- plicare partes suas ; utetur propria veloiitate : sed nihil- oniinus adjuvat etiam currentem horlator. iSon prodest sapienti sapiens , sed sibi ipse ; hoc scias. Detrahe illi vim propriam, et ille nihil agit. Uno modo dic;)s licet, non esse in nielle duUedine:n : naui ipse ille, qui est, débet ita aptatus lingua palatoque esse ad bujusniodi guslum , ut ille lalis sapor eiim capiat , non olfendat : suut enim quidiim , quibus morbi vilio mel amarum videatur.Opor- tel ulrumque talem esse , ut et ille prodesse possit, et bic pi'ofuturo idooea materia sit. • lu summum , iaquit , producto CJiorem caleficri $o- É PITRES A LUCILILS. &2i bien , que d'échauffer une chose qui a atteint le dernier degré de chaleur. Quand un laboureur est fourni de tous ses ustensiles , en va-t-il demander à un autre? Un soldat bien armé cherche-t-il en- core des armes quand il marche au combat? Le sage ne le fait pas aussi, car il est suflisammont pourvu et muni contre tous les accidenis de la vie. Quant a ce que vous dites , que ce qui est au dernier degré de chaleur n'a point besoin qu'on réchauffe davantage, parce qu'il contieot en soi toute sa chaleur , à cela je réponds : Qu'il y a grande différence entre ces choses que l'on com- pare ensemble. Premièrement, la chaleur est tou- jours une, mais l'utilité est diverse. De plus, la chaleur, pour être chaude, n'a pas besoin qu'on y ajoute de laclialcur; mais le sage ne se peut maintenir dans les bonnes habitudes qu'il s'est acquises , s'il ne communique avec quelques amis qui lui ressemblent. Joint que toutes les vertus ont de l'inclination 'a s'unir et "a se lier ensemble, ce qui fait qu'une personne qui aime les bonnes qualités de son compagnon , et qui lui fail goîiter les siennes, est toujours utile. Les choses qui ont du rapport à notre humeur nous plaisent particu- lièrement, lorsqu'elles sont honnêtes et capables de donner cl de recevoir de l'approbation. Car enfin il n'y a que le sage qui ait l'adresse de mouvoir l'esprit du sage, comme il n'y a que l'homniequi puisse mouvoir l'esprit de l'homme qui est rai- sonnable. Mais parce qu'il faut avoir de la rai- son pour pouvoir donner du mouvement "a la raison ordinaire , aussi , pour mouvoir la raison parfaite , il faut avoir une raison qui soit parfaite. On dit que ces choses-là sont utiles, qui nous fournissent les moyens nécessaires ou conniiodes h l'usage de la vie, comme l'argent, le crédit et la protection. En quoi peut-on dire qu'un fou est quelquefois utile à un honnête homme? Mais être utile s'entend exciter une âme aux choses qui sont selon la nature, ou par sa propre force, ou par celle de la personne que l'on exriie ; ce que l'on ne peut faire sans y trouver de l'avantage , puisqu'en exerçant la vertu d'autrui , on exerce aussi la sienne, supposé même que l'on en vcuilla exclure le souverain bien ou ce qui le peut pro- duire. Vous trouverez encore d'autres occasions où les sages sont utiles les uns aux aulics : car il est bien doux à un sage de rencontrer un autre sage, étant certain qu'un homme de bien aime naturellement ce qui est bon, et qu'il s'y attache comme a soi-même. Mais pour appuyer cet argu- ment, je suis obligé de passer de cette qiieslion "a une autre. On demande si le sage , voulant prendre quel- que résolution , doit appeler du conseil; ce qu'il est contraint de faire p^ir nccessilé dans les affaires civiles et dompsti(|ues que je pourrais appeler temporelles et passagères. En telles occasions, il a besoin du conseil d'autrui, comme il aurait besoin d'un médecin, d'un pilote , d'un avocat , ou d'un procureur. Il est donc vrai que lo sasje est quel- (jucfois utile au sage par le conseil (lu'il lui donne: il le sera de même dans ces malières grandes et siiblinies, comme j'ai déjà dit, lorsque, dans une conférence parliculière , il lui coniniuniquera sou esprit et ses pensées. D'aillenis, il est naturel de chérir ses amis et de se réjouir du succès de leurs aclions comme si c'étaient les noires : si nous eu perTaciimn est ; el in suinnmm porducto bonum superra- cuus est qui prosit. ]Nijn](|iiid inslriictiis oiuiUhus roLus agricola , ab alio iiistrui quu'r t ? ?3tis cst.iiniplius arma desi- deral? Er^o nec sapeiis : sitis eaim Tila; iostruclus, sa- lis armatus est. • — Ad bac respondco : et, qui in sum- mo est cilore,ilIi opus est adjecto olore, ut summum teneat, — Scd ipse se , inquit , calor cootioet. — Prinuim multum interett iiiler ista , qiia; comparas. Calor enini UQUS est; pnide.sse variiiin es!. Deinde calor non ad|UTa- tur adjeclione ciloiis, ut cakat : Sapiens nun potest in bahilu sux mcniis slare, nisi ainicos aliquos similes »ui admiiit.cum qiiibus virlutes suas communicet. Adjice nunc, quod omnil)us inicr se virtutibus amicitia est. Ita- que pi'udesl, qui virtules nlicujus pares suisi>mat, aman- dasquc invicem prxstat. Simiiia délectant; uti(|ue ubi bo- Desla sunt, et probare ac probari aciunt. Etiamuuuc, tapienlii animam perile movere nenio alius potest, quam fapiens; sicut honiinem movere ralionaliter non potest, Disi bnmo. Quomodo ergo ad rationem mofcndam ra- tione opus est; sic, ut moTeatur ratio pcrfecta , opus est ratioae perfecla. Prodesse dicunlur el qui média nobis largiuDtur, pecuDiam, gratiam, incolumilatem, alia in usus vita; cara aut neccssaria; in bis dicctur eliam slultut prodesse sapienli. Prodesse autemest. aninnim secunduni nùturani movere virlute sua , ut ejus qui moveliitur. Hoc non sine ipsius quocjue, qui prodent, boii;i fiet : uecessu cslenim, alienam virtuteui exercendu exerceat et suani. Scd , ut removeas ista , qua; aut sunnua buna suut , aut summorum efficlentia , nibilom nus prodes.se inter se sa- pieules possunt. Invenire cuini sapiculem , sapienli per se res exspectanda est : quia natura boiiuni onnie carum est bono; et sic quisquc cousilialur bono, queniadmodum sibi. Necesse est ex bac qusstione, arguincnli causa, in al- teram transpam. Quaeritur enim,«an delibeialurus sit sapiens? an in consilium aliquem advoialuru:>? • quod' faccre illi necessarium est, quum ad ba'c civilia et domes- lica venitur, et, ut ita dicani , niorlalia. In bis sic illi opus est alieno consilio , quomodo nicdieo , quomodo gu- bernatore, quomodo advocato, et lilis ordinalore. Pro- derit ergo sapiens aliquando sapienli ; suailtbit cnim. Sed in iUis quoque niagnis ac divinis , ut diximus, couimuni ter boncsta Iraclando , et aninios cogitalionesque misccndo utilisent. Prïterea secunduni naluiani est et iiniicoscom- plecti, fl «Miicorum aciu, ut suo pi'oprioqnc, latltri. 822 usions autrement, la vertu qui se pertectionne par l'exercice, s'éteindrait bientôt dans nos âmes. F.Ile veut qu'on règle bien le présent , que l'on (wurvoie à l'avenir et que l'on délibère avec ap- plication d'esprit. Il est sans doute que celui qui appellera du conseil , se démettra plus facilement de toutes choses ; il doit donc prendre un homme sage, ou qui soit fort avancé dans la sagesse, pour l'assisler utilement de sa prudence dans les dé- libérations qu'ils formeront ensemble. Car on dit que les hommes voient ordinairement plus clair dans les affaires d'autrui que dans les leurs; ce qui arrive particulièrement à ceux qui se laissent aveugler do l'amour - propre , et qui perdent le discernement de ce qui leur est utile à la vue du péril, lis commencent à bien raisonner, quand ils sont rassurés et que rien ne les (rouble plus. Ce n'est pas qu'il n'y ait des choses que les sages re- marquent mieux en autrui qu'en eux-mêmes. Outre lous ces avantages, le sage trouvera encore en la compagnie du sage celte satisfaction qui est douce et fort honnête, d'avoir les mêmes inclina- lions et les mêmes antipathies en toutes choses. C'est pourijuoi ils agiront toujours de concert dans l'exécution de leurs bons desseins. Je me suis acquitté , mon cher Lucile , de ce que vous m'aviez demandé , quoique j'en aie trai- té dans la suite des livres que j'ai composés de la philosophie morale. Mais souvenez-vous de ce que je vous ai dit souvent, qu'en tout cela nous ne cherchons qu'a exercer la subtilité de nos es- prits. Je reviens toujours h ce point. De quoi me sert cela?Me rendra-t-il plus constant , plus juste et plus modéré? Je ne suis pas en état de prendre SENEQUE, de l'exercice ; j'ai encore besoin de médecin. Pour- quoi m'cnseignez-vous une science qui est absolu- ment inutile? Vous m'aviez promis de grandes choses et je n'en vois que de petites; vous m'aviez promis que je demeurerais intrépide quand je me verrais environné d'épées et le poignard sous la gorge. Vous disiez que je ne m'étonnerais pas quand je verrais des feux allumés autour de moi , et mon vaisseau emporté bien loin par la violence d'une tempête subite. Faites donc que je n'aie plus d'estime pour les plaisirs ni pour la gloire. Vous m'apprendrez a résoudre ce qui est diffi- cile, à distinguer ce qui est ambigu, 'a cclaircir ce qui est obscur, après que tous m'aurez appris ce qui est nécessaire. EPITRE ex. Que le plus grand malheur d'un bomme est de n'avoir point ta paix a?ec soi-mènie. — Que nous craignons, sans examiner ce que nous craignons. Je vous salue de la maison de Nomentan , et vous souhaite le repos d'une bonne conscience, c'est-'a dire que les dieux vous soient propices et favorables, comme ils le sont à qui s'est rendu propice à soi-même. Laissons à part l'opinion de quelques-uns qui croient que chacun de nous a un dieu pour pédagogue, mais un dieu du dernier ordre, et tiré du peuple des dieux , comme parle Ovide. Souvenez-vous pourtant que nos anciens, qui ont vécu dans cette persuasion , étaient de la secte Stoïque; car ils ont assigné 'a chacun de nous un Génie ou une Junon. Nous verrons quel- que jour si les dieux ont assez de loisir pour Nam, nisi lioc fecerimus, nevrrlusquidem noijis perma- iiebit, quas excrcendo se usu Talet. Virtus autem suadet praesentia bcne collocare, in fulurum consulere, delibe- rare, etintendere animum : facilius inlendet esplical)!!- (|ue, qui aiiquemsibi assumpserit.Qua'iilitaque autper- lectum virum, aut prolicientcm , vicinumque perfeeto. Pioderitauteniilleperfectus, si consiliumcominuni pru- denlia juTerit. Aiunt homines plus in alieno negolio vi- liere , quam in suo ; hoc illis evenit, quos amor sui ex- (Secat , quibus(pie dispectum utilitatis tinior m periculis cxcutit. Incipiet sapere securior, et extra metum posilus. Sed nihilominus quœdam sunt , quae eliani sapientes in alio, quam in se, diligentius -vident. Pra.'terea illud dul- clssimum honeslissimumque, idem Telle atque idem nolle, sapiens sapienti prœstabit : egregium opus pari jiigo ducet. Persolïi, quod exegeras , quanquaui in ordiue reruni erat , quas moralis philosophia; voluminibus complecli- mur. Cogila, quod soleo fréquenter libi dicere, in istis nos nihil aliud , quam acumen , exercere. Toiies cnini illo revertor ; Quid ista nie resjuvat? fortioiem faciet, jus- tiorem, temperatiorem? Nondum cxerceri vacat; adliuc UieOico mibi opus est. Quid me docos scienliiiin inutilem ? Magna proœisisti ; eiigua video. Dicebas intrepidum fo- re, eliam si circa me gladii micarent , etiam si mucro tan- gereljugulum; dicebas securum fore, etiam si circa me flagrarent incendia , etiam si subitus turbo toto navera meam mari raperet. Hoc mihi praîsia intérim , ut xotup- tateni , ut gloriam rontemnam ; postea docebis implicita sokere , ambigua dislinguere , obscura perspicere : nmic doce qnod necesse est. Valc. EPISTOLA ex. VANJk OPTiBI, Tini TI.1IEBI : nEXEDIU» 1 FBILOSOPBII PETEHniM. F.x Nomentano nieo te saluto, et jubeo habere men tem bonara , hoc est , propilios deos omnes ; quos babet plaçâtes et faventes , quisquis sibi se propitiavit. Sepone in prassentia , quae quibusdam placent : Unicnique nos- trum pasdagoguni dari Deum, non quidem ordinarium, sed huncinferioris nota», ex corum numéro quosOvidins ait de plèbe deos. lia tanien boc seponas volo , ut memi- neris , majores nostros , qui crediderunt , Stoïcos fuisse ^ singulis onim et Genium et Junonem dederunt. Postea videbimus , an lanlum dits vacel , ut privatoroiu negotia ÉPIÏRES A LUGILIUS. 823 prendre soiu des affaires des particuliers : cepen- dant, soit qu'un dieu, soit que le hasard nous gouverne, sachez que le plus grand malheur que vous puissiez souhaiter à un homme, c'est de n'avoir pas la paix avec sui-même. Il n'est pas besoin d'implorer la colère des dieux contre un méchant homme qui mérite d'être châtié ; ils lui sont contraires, je vous assure, quoiqu'il semble quelquefois qu'ils prennent plaisir "a l'élever. Pre- nez garde de bien près et considérez ce que les choses sont en effet et non pas en apparence , vous trouverez qu'il uous arrive plus de mal par les bons que par les mauvais succès. Combien de fois a-t-on vu qu'une grande disgrâce a été la cause et le commencement d'une grande fortune? Combien de fois une uouvelle élévation , reçue avec beau- coup de joie , a-t-ellc ouvert un précipice , et fait tomber subitement de son poste celui qui semble y être flxé? Au reste, cette chute n'aurait rien de mauvais si vous considériez le terme au-delà duquel la na- ture ne pousse personne. Il est proche ce terme oîi toutes choses aboutissent; il est proche, tant à l'égard du riche, qui est chassé de ce monde-ci , que du misérable qui en est délivré; mais nos craintes l'éloignenl et nos espérances l'ctendenl. C'est pourquoi, si vous êtes saj;e, vous mesurerez toutes choses par la condition des hommes ; et vous retrancherez , par ce moyen , la matière de vos joies aussi bien que celle de vus craintes. Mais pourquoi veux-je restreindre ce mal , puisque personne n'a sujet de rien craindre? Ce sont tou- tes choses vaines et fantastiques , qui nous émeu- vent et qui nous étonnent. Personne n'a encore examiné ce qu'il y avait de véritable, et l'un fait passersa crainte dans l'esprit de l'autre. Personne, dis-je, n'a encore osé s'approcher de ce qui le troublait pour connaître précisément la natnre et la raison de sa crainte. De là vient que l'on donne créance 'a un fantôme vain , parce que sa fausseté n'a point été découverte. Arrêtons seulement nos yeux , et nous verrons bientôt que l'on craint des choses qui ne durent qu'un moment, ou qui .'■onl, incertaines, et quelquefois hors d'aucun péril. Lo désordre de nos esprits est tel que le représente Lucrèce : L'homme a peur ca plein jour comme un enfant la nuit. Quoi ! ne sommes-nous pas plus fous que les pe- tits enfants d'avoir peur en plein jour? Mais vous vous trompez, Lucrèce, nous nous sommes faits partout des ténèbres. Nous ne voyons rien du tout, ni ce qui nous est nuisible, ni ce (]ui nous est pro- litabie; nous no faisons que courir durant toute notre vie sans nous arrêter jamais, et sans pren- dre garde où nous mettons le pied. Jugez quelle folie c'est do courir quand on no voit goutte; ce qui fait qu'il nous faut revenir de plus loin ; car, ne sachant pas oîi nous allons , nous ne laissons pas de nous avancer brusquement vers la fin que nous nous sommes proposée. Mais il y a un moyen de recouvrer la clarté si nous voulons, c'est en ac(]uérant une connais- sance parfaite des choses divines et humaines, en les repassant dans notre esprit, en examinant ce qui est bon , ce qui est mauvais , ce qui en porte procurarent ; intérim illod scito, live assignat! samus, «ive neglecti et forluna; dali , nulli te possc impreeari quidquam gravius, quam si imprecatus fueris , ut se lia- beat iratum. Sed non est, quare cuiquam, qucm pœna potaveris dignuni , optes , ut infestes deos habeat ; tiatHt , inquam , eliam si videlur eorum cura et favore produci. Adbit>e diligentiam tuam , et intuere, quid sint i-es nos- | trœ , non quid vocentur ; et scies plura luala contiiigere DObis , quam accidere. Quotics enim felicitatii et causa et initium foil, quod calaraitas vocabatur? Quoties raaRna gratulatione excepta res gradam sibi struiit in prœceps , etaliquem jam eminentem allevavit etianinunc , tanquani ibi adbnc staret , unde tuto caderet ? Sed ipsum illud ca- dere non babet in se mali quidquam , si eiitum spectes , nitra quem natura neminem dejecit. Propeest rerum om- niam terminas : prope est , inquam , et illud , unde felii rjicitar, et illud , unde infelii eroittitur. Nos utraqae ei- tendimus; et longa , spe ac raetu, facimus. Sed , si tapis , omnia humana conditione metire : si- mnl , et quod gaudes , et quod time» , contrabe. Est au- tem tanti , nihil diu gaudcre , ne quid diu limeas. — .Sed qoare istuc malum astringo?— Non e.st , quod quid- quam timendnm putes. Vana sunt ista , quae nos luorent, quœattonitos habent. Nemo nostnim , quid vcri rsset , ejcussit; sed nietum alter altcii tradidit. Nemo ausus est ad id , quo perturbabatur , acecdere , et naturani ac t>o- uuni limoris sui nossc. Itaque res falsa et iuanis babet adhuc lldem , quia non coarguitur. Tanti putcinus oculos iotendere; jam apparcbit, quam l)revia , quamincerta, quam tuta limeaiitur.Talisestanimorumnosti'orumcon- lusio , quulis Lucrelio visa est : Nam veluli pueri trépidant, atque omnia cicis In tenebris nietuuut; ila nos in luce timemus. Quid crgo? Non omni puero stulliores sumus , (pii in luce timemus? Sed falsum est , Lucreti , non linienms iu Incc 1 omnia nobis fecimus lenebras; nihil vidfmus, ncc quid noceat, ncc quid expédiât; tota vita incursilamus; necob hoc resislimus , aut circumspectius pedem ponimus. Vi- des autem , quam sit furiosa res, in tenebrisinipetus. Al, mebercules, id agimus, ut lonpius revocandi simus ; et , quam ignoremus quo feramur, velocilcr taiiien illo, quo inlendimus , ire perseveramus. Sed lucescere , si vclimus , polest. Uno autem modo potest, si quis banc humanorum divinorumque nolitiam scientiamque accepcrit; si illa se non perfuderit, sed in- fecerit; si eadem , nnamvis sciât , rctractaverit, et ad s« sappe rclulerit ; si quéesicril , qiia^ sint bons, quop ma!a. Hii SÉNÉ lo nom à faux , et eu recliorchaiit toutes les tlioscs qui concernent la vertu, le vice et l'ordre de la Providence. L'esprit humain a trop de viva- dlé pour se renfermer dans ces bornes. Il veut encore voir au-dePa du monde; il veut en savoir l'origine et le terme; il veut connaître "a quelle fin les corps supérieurs roulent avec tant de vitesse. Mais nous l'avons détourné de ces hautes con- templations pour l'attacher a. des ohjels ravalés et déshonuêtes, et pour le soumettre à l'avenir, afin que , négligeant le monde et les dieux qui le gouvernent, il cherchât dans les veines de la terre les occasions de sa perle, pour ne s'être pas con- tenté de ce que la terre avait devant ses yeux. Car enfin, Dieu, qui est notre père commun, a mis proche de nous tout ce qui pouvait servir à noire bien. Il l'a donné volontiers sans altendro que n(uis le cherchassions. Mais ce qui nous iionvait nuire il l'a caché bien avant dans la terre. Nous ne pou- vons nous plaindre que de nous-mêmes. Nous avons tiré dehors ce qui pouvait causer notre perle, malgré la nature, qui l'avait soigneusement cache. Nous avons abandonné notre âme à la volupté, quoique le moindre penchant qu'on puisse avoir pour elle soit un commencement de toutes sortes de maux. Nous l'avons ensuite engagée dans l'ara- bilion , dans le désir de la gloire, et d'autres semblables vanités. Qu'est-ce donc que je vous conseille maintenant de faire? Rien de nouveau; car ce ne son!, jioint de nouvelles maladies où il faille inventer des remèdes. Examinez seule- ment en vous-même ce qui est nécessaire et ce qui est superflu : vous trouverez partout ce qui est nécessaire ; mais il vous faudra chercher le QUE. superflu "a tous moments et avec tous vos soins. Au reste, il ne faut pas que vous vous estimiez beaucoup pour mépriser les lits dorés elles meu- bles enrichis de pierreries; car, quelle vertu ya- t-il à mépriser ce qui est superflu? Vous pourrez vous admirer lorsque vous ne ferez plus d'état des choses nécessaires. Ce n'est rien de grand en votre personne que de pouvoir vivre sans un appareil royal et sans désirer des sangliers du poids de mille livres, des langues de phénicoptères , et tant d'autres extravagances du luxe, qui ne veut plus qu'on lui serve les animaux entiers, mais senle- nieul ce qu'il en trouve de meilleur et de plus friand. "Vous pourrez encore vous admirer, lors- que vous ne refuserez pas le pain bis, que vous croirez que l'herbe n'est pas faite seulement pour les bêtes , et qu'elle sert encore 'a l'homme dans la nécessité; quand vous saurez que les extrémités des arbres peuvent remplir un ventre affamé; au lieu que nous les garnissons de choses précieuses, comme s'il les pouvait conserver longtemps. Il le faut remplir sans choix, car qu'importe quelle chose on lui donne , puisque aussi bien perdra-t-il ce qu'on lui donnera? Vous prenez plaisir à voir servir par ordre ce que l'on a pris avec beaucoup de peine sur la terre et dans la mer. L'un vous semble meilleur quand il est maugé tout frais; l'antre (piand il a élé nourri et qu'il crève de graisse. Vous aimez l'odeur et la fumée que l'on donne aux viandes par artifice. Mais, quoiqu'elles soient bien apprêtées et diversement assaisonnées, elles auront toutes un même goïit aussitôt qu'elles seront entrées dans votre estomac. Je me souviens qu'Attalus se faisait admirer quibus tioc lalso sit nomcn adscriptum ; si quïsierit de lioneslis , de lurpibus , de providentia . Ncc inlia liaec liu mani ingenii sagacitas sistilur : prospicerc et ultra mun- dum libct,quoferatur,iinde surrexerit, in quem cxitura tanta rerum velocitas properet. Ab hac diîina conlcin- Iilalione abduclum animiim in sordida et humilia per- traiiinu.'i , ut avaritia; servirot , ut , reliclo mundo lernii- uisqucejus , et dominis cunctn versantibus, tenam rima- retur , et (|uœreret , quid ex illa niali effoderel , non con- tentns «blatis. Quidquid nobis bono futuruni erat, Deus et parens uoster in proiimo posuit. Nouexspectavit inqui- siliiincm nostram, sed ultro dédit : nocitura altissime pre.s- sit. Nihil nisi de nobis queri possumus : ea , quibus peri- remus, nolente rerum natura et abscondenle, protuli- mus. Addiximus animum voluptali; cuiindulgere initium omnium malorum est. ïradiditnus ambitioni etfama;, caeteris , ocque vanis et inanibus. Qnid ergo nunc te hortor ut facias ? Nihilno\i ; nec enim novis malis remédia quïruntur : sed boc primum , 'it teonm ipsedispicias, quid sit neccssariuni , quid su- pprvacunm. Nccessaria tibi ubique occurrcnt : supervacua Hsemper, et toto anirao, qua^rrnda snut. >on est au- icm quod te nimis laudes, si contempseris aareos lectos, et geanneam supellectilem : quae est enim virtus , super- vacua contemnere ? Tune te admirare, quum contempse- ris necessaria. Non magnam rem facis, quod vivere sine regio apparatu potes; quod non desideras milliarios apros. ncc linguas phœnicoplerorum , et alla portenta luxuriae , jani tota animalJa fastidientis , et certa membra ex singa- lis eligentis. Tune te admirabor, si non contempseris ctiara sordidum panem; si libi persuaseris, herbas, ubi neccsseest, non pecori tantum, sed homini, nasci;si scieris, cacumina arborum expleraentum esse ventris; in. quem sic pretiosa congerinius, lanquara recepta servan- tem. Sine fastidio implendus est. Quid enim ad rem per- linet , quid accipiat , perditnrus quidquid acceperil ? Dé- lectant te disposita, qua; terra manque capiuntur; alia eo gratiora , si recentia perferuntur ad mensam ; alia , si, diu pasta etcoacta pinguescere, Qunnt.ac vix saginam continent suam. Deleclat te nilor horum , arte quaesitus. At , raehercules , ista sollicite scmtata varieque condita , quum subierint venlrcm , una alque eadem fcedilas occu- pabit.Vis ciborum voluptatem contemnere? exitum specta. Atlalom meroini cum magna admiratione omnium hax ÉPURES A LUCILIUS 825 d'un chacun quand il disait que les richesses l'a- vaient longtemps abusé. J'étais, disait-il, surpris de leur éclat partoutoù je les rencontrais; je m'i- maginais que ce que je ne Toyais pas n'était pas moindre que ce qui me paraissait. Mais je vis, un jour de cérémonie, toutes les richesses de Rouie étalées , l'or et l'argent gravé, et, ce qui est en- core plus précieux , des peintures exquises, et des vesles qui venaient de pays fort éloignés. On voyait, d'un côté, quantité do jeunes esclaves fort beaux et fort propres; d'autre, un grand nombre de femmes et tout ce que pouvait la fortune d'un grand empire qui faisait comme une revue de ses richesses et de sa puissance. Mais , à quoi sert tout cela, dis-je 'a part moi , sinon pour exciter lacon- voilise des hommes, qui n'est que trop échauffée d'elle-même? Que veut dire cet argent que l'on fait Voir avec tant de pompe? Est-ce pour appren- dre l'avarice que l'on s'assemble de la sorte? Pour moi , je suis assuré que je m'en retourne avec moins de convoitise que je n'en avais apporté. Je méprise les richesses, non parce qu'elles sont su- perflues, mais parce qu'elles sont peu de chiise. Avez-vous remarqué que la montre de celle ma- gnificcnte, quoiqu'elle marchât Icnlemeiil et dans un bel ordre, a passé en peu d'heures. l"uut-il que ce qui n'a pu nous occuper un jour entier nous tienne occupés tout le temps de noire vie? » l'uis il ajoutait : « Tout cela semblait aussi peu nécessaire aux propriétairesqui lepossédaient, qu'auxspecla- teursqui le voyaient passer. C'est pourquoi, quand quelque chose de pareil vient me frapper la vue , quand je vois une maison superbement meublée, une troupe d'esclaves bien velus, et une litière conduite par des porteurs bien fails; je dis en moi-même : Qu'est-ce que tu admires? De quoi t'étonnes-tu? Ce n'est qu'une vaine pompe; ce sont des choses que l'on montre, et dont on ne jouit pas; elles ])assent, tandis qu'elles plai- sent. Cherche plutôt les véritables richesses. Ap- prends à te contenter de peu et prononce cou- rageusement cette parole : Pourvu que j'aie du pain et de l'eau, je veux contester de la félicité contre Jupiter. Mais, de grâce, contestons-la-lui^ sans cela ; car, si c'est une chose honteuse de faire consister le souverain bien en l'or et en l'argent , il n'est guère plus honnête de le faire con;ister en du pain et de l'eau. Mais, que ferai-je si cela vient à manquer? Etes-vous en peine d'un remède a votre disette? Souvenez-vous que la faim termi- nera bientôt voire faim en vous délivrantdela vie. Autrement , que vous importe si c'est pour beau- coup ou pour peu de chose que vous soyez con- traint de servir; ou, combien de choses la for- tune vous dénie, puisque le pain et l'eau même dont vous avez besoin sont en la disposition d'au- Irui. Or, cclui-l'a n'est pas libre, contre qui la for- tune peut quelque chose, mais celui contre qui elle ne peut rien ; ainsi , vous ne devez rien dési- rer, M vous voulez porter le déli a Jupiter qui ne désire rien. » Voil'a ce qu'Altalus nous disait et cjne la iialure dit à tout le monde. Si vous y faites souvent réflexion, cela est capable de vous rendre heureux en effet, et non point en apparence, à voire jugement même, et non pas 'a l'opinion d'autrui. dicere : • Diu mihi , ioquit, iniposuerc divilix : stupe- bani, iil>ialiquitl ei illis aliu ali|iicaliolcco rul^crat eiis- tiiiial>am «Iniilia esse , quic lutereot. bis, quie osteade- reotiir. Sed in qucdaui apparatu fidi totas opes urbis, cxiatas et auro et argeiito , et bis qus prelium auri ar- gcDtique vicerunt; exquisitos colores, et vestes, ultra non tantum Dostrum, sed ultra linem hoslium advcctas : bine puprnrum perspicuos cuitu atque furma grcges, biuc fe- minarum; etalia, quae, res suas recognosrens , summi iiiiperii fortuna protulerat. Quid hoc est, iaquam, aliud, quamirritare cupidilates boniinum per scindtatas?Quid (ilii Tult ista prcuniœ pompa? Ad disccndam aTaritiam coDTeninnus. At , mehercules, minus cupiditatis istiuc ef- fero, quamatliiliram. Contempsi divitias, non, quia sn- pervacus, sed quia pusilte sunt. Vidistine quam intra paucas boras ille ordo, qiiamTis lentus dispositusi|UC , transierit? Hoc lotam vilani nostrani ocrupabit, quod totum diem occuparc non potuit? Accessit illud quoque : lam supervacuae milii visie sunt babrntibus , quam fuc- ruut spvctantilius. Hoc ilaquc ipse mihi dico , quotics taie aliquid praestrinicrit ocnlos mecs , quoties occurrit domus tplendida , cohors culla scivoruin , li-ciira tormosis im- posita calonibus ; « Qaid miraris? quid stupcs? Pompa est ! OstenduDlur istse res , non possidentur ; et , dura pla- cent , transeunt. Ad veras potius te converte divitias , disce parvo esse contentus ; etillam vocem magnus atque animosus eictama : Habemus aquam , habemus | olcotani; Joïi ipsi de felicitate controversiaui facianms I • — Fa- ciauius , oro te, eliam si ista defuerint 1 Turpe est , bea- tam \itam in auro et argento reponere : aeque turpe , ia aqua et polenta. — Quid ergo faciam , si ista non fuerint? — Quaeris, quod fit reniediuin inopia;? Faincm famés finit. Alio<|uin, quid intercst, magna sint , an eiigua , quac servire te cogunt? Quid rcfert, quantum sit, quod til)i possit negare fortuna? Ha.'c ipsa aqua et polenta in alienum arbitrium cadit; liber est auiem non in quem parum licet fortunae, sed in quem niliil. lia est! nihil de- sideresoportet, si vis Jovem provocare nihil (le>idcran- tem. • — Ha-c nobis Altalus disit : natura dixil oninil)Us. Qua; si voles fréquenter cogilare , id âges , ut sis felix , non ut viiiearis ; et ut tibi videaris , non oliis. Vale. 82(5 SÉNÉQUE. ÉPITRE CXI. De la différence qui se trouve entre un sophiste et un véritable philosophe. Vous me demanderez comment on appellerait en latin un sophisme. Plusieurs ont lâché de lui assigner un nom ; mais il ne lui en est point de- meuré. Peut-être que, comme la chose n'était point en usage ni reçue parmi nous, on en a aussi rejelé le nom. Celui, toutefois, que Cicéron lui a donne, est assez juste. Il l'appelle caviilalio ou chicane ; un homme qui s'y attache pourra bien proposer de subtiles et de jolies questions , mais elles ne serviront de rien pour les mœurs; car on n'en devient ni plus constant, ni plus modéré, ni plus parfait. Au lieu que celui qui s'applique "a la philosophie pour corriger ses défauts relève son courage , se rend assuré , invincible , et paraît plus grand "a tous ceux qui s'en approchent ; ce qui arrive aux grandes montagnes , lesquelles on trouve moins haules quand on les regarde de loin, et fort élevées quand on en est prés. Il arrive ainsi, mon cher Lucile , "a uu vériiable philosophe qui procède par des raisons solides , et non par des arguments captieux ; il est debout sur un lieu cmincnt, toujoursgrand et admirable; mais d'une véritable grandeur. 11 ne s'élève point sur ses pieds, et ne marche point sur le bout des doigts, comme font ceux qui veulent paraître pins grands qu'ils ne sont. Il est content de sa grandeur propre. Pourquoi ne le serait-il pas, puisqu'il est crii jus- (pi'au point oii la fortune ne saurait jilus attein- dre? Il est donc au-dessus des choses humaines, puisqu'il est égal et toujours le même en quelque état qu'il se trouve, soit que sa vie coule douce- ment ou qu'elle soit traversée de disgrâces et de difûcuités. Ces subtilités , dont je viens de parler, ne sau- raient produire une telle constance que celle-l'a. L'esprit s'en joue, mais il n'en profite pas ; elles décrédident et ravalent la philosophie ; ce n'est pas que je vous défende d'en user quelquefois, pourvu que ce soit lorsque vous aurez du temps à perdre. Elles ont toutefois cela de mauvais que , s'élaut insinuées avec quelque douceur, elles en- gagent et arrêtent l'esprit par le faux éclat d'une doctrine délicate. Cependant il y a tant de choses importantes qui demandent notre application , et tout le temps de la vie suffit a peine pour appren- dre seulement "a la mépriser. Quoi donc , pour la bien conduire , me direz-vous, c'est un second ou- vrage qui vient ensuite. Il est vrai, car jamais personne n'a bien conduit sa vie qu'il ne l'ait mé- prisée auparavant. EPITRE CXII. Qu'il est malaisé de redresser et de corriger les longues et les mauvaises babiludes. Je voudrais certainement que l'on pût dresser et former votre ami comme vous le désirez. Mais il est désormais bien endurci , ou plutôt (ce qui est encore plus fâcheux) bien amolli et gâté par ses longues et mauvaises habitudes. Je veux vous don- ner un exemple tiré d'un exercice où je m'occupe quel(|uefois. Toutes les sortes de vignes ne sout pas bonnes a greffer ; car celle qui sera vieille e» affamée , celle qui sera faible et trop menne :iù EPISTOLA CXI. SOPUISniTIIlUS VEBiJI OPPONIT PDILOSOPBIIH. Quid Tocenlur latiue sophismata , qua;sisli a nie. — Multi tenlavcrunt illis nonien imponere, uullum ba;sit ; lidclicet, quia rcs ip.sa non recipiebatur a nobis, nec in usu crol, noniini quoque repngnalum est. Aptissimuin t:iinen vidctm- niihi , quo Ciccro usus est : cavillationes loral; (;uibiis quisquis se Iradidit, quaesliunculas quidem vaft-a.s ncctit , cœlerum ad \il3m iiihil proficit, neque for- tuirfit.neque tempeniritior, neque elalior. Atille.qui philo-sophlam in remcdiuni suum exercuit , ingens lit ani- nio, plenus fiducia' , inessuperabilis , et major adeunti. Quod in aiagiiis e\enit inonlibus , quorum proceritas mi- nus iipparet longe intuentibus; quum accesseris , tune inanifcstiwii fit, quam in arduo sunima sint : talis est, mi Lucili , ïcrus, et rébus, non artiflciis, philosophus. In edito stat, admirabilis , celsns , magnitndinis vera;. Non eisurgit in plantas , nec summis ambulat digitis , eorum uiore,qui niendacio staturam adjuvant, longioresque , quam sunt,videiivoluat : contcntuscst magniludino sua. Qiiidui contentus sit eo usquc crevisse, quo manum for- tuua non poirigit ? F.rgo el ^uIlra huniana est , cl par sibi in omni statu rerum ; sive secundo cursu vita procedit , sive fluctualur per adversa ac diflîcilia. Hanc constantiam cavillationes istœ , de quibus paulo ante loquebar , prae- stare non possunt. Ludlt istis animas, non proficit; et philosophiam a fastigio suo deducit in plannm. Nec te pro- hibuerim aliquando ista agere; sed tune, quum voles ni- liil agere. Hoc tamen habent in se pessimum : dulcedinem quamdam sui facinot, et animum specie snbtilitatis in- ductum tenent , ac morantur ; quum tanta rerum mole» vocet, quum vil tola vita sufBciat, ut boc unum discas , vitam contemnere. — Quid regere? inquis. — Secandum opus est : nam nemo illam bene reiit , nisi qui con- tempserat. Vale. EPISTOLA CXII. DESPEBiT DE QUODIM LDCIUI ÀMICO BEFOBMXNDO , VETUI AUSOBCM et VITIOBDB , vins IXEMPLO ILLATO. Cupio , mehercules , amicum tuum formari , nt deside- ras, et institui : sed valde duras capitur; imo potins, quod est moleslius , valde mollis capitur, et consueludine mala ac diutina fractus. Volo tibi einoslro arlificioexem- plum referre. Non quolibet insitionem vilis palitur : si vêtus et eicsa est , si infirma gracilisque , ant non red- ËPITRES A LUCILIUS. 8-27 recevra point la greffe , ou ne la pourra point nourrir; ainsi elle ne prendra point ses qualités en sa nature. C'est pourquoi nous avons coutume de la couper hors de terre , afin que si elle ne re- prend la première fois, on puisse tenter encore la fortune , et la greffer dans la terre une seconde. Celui que vous me recommandez par votre lettre n'a plus de force ni de vigueur ; il s'est abandon- né aux vices qui l'ont tellement flétri et endurci , qa'il ne peut plus recevoir la raison, la cultiver ni la nourrir. Oui, mais c'est une chose qu'il souhaite. N'en croyez rien , je ne veux pas dire qu'il vous ment ; il pense en avoir envie, il est dégoûté du luxe , mais il le rappellera bientôt. Il dit qu'il est rebuté de sa manière de vivre. Je n'en doute pas, car qui n'en serait rebuté? Voilà comme quoi les hom- mes ont en même temps de l'amour et de l'aver- sion pour leur vie. Attendons donc 'a porter notre jugement, qu'il nous ait fait voir que le luxe lui est en horreur ; car, pour le présent, il n'y a en- tre eux qu'uu peu de mésintelligence. EPITRE CXlll. Si les Tcrtas sont des êtres animés. — Il faut cuItiTer la vertu sans en espérer de récompense. Vous voulez que je vous mande mon sentiment touchant cette question qui est agitée parmi les Stoïciens : Si la justice , la constance, la prudence et les autres vertus sont des animaux. Ces subtili- tés, mon cher Lutile , font croire "a tout le monde que nous exerçons nos esprits en choses vaincs , et que nous employons notre loisir en des ques- tions qui n'apportent aucune utilité. Je ferai tou- tefois ce que vous désirez , et je vous exposerai ce qu'en pensent nos philosophes, après vous avoir dit que je suis de contraire avis. Vous saurez donc que ce qui a mu les anciens a faire cette question, est qu'il est certain que l'âme est animal , puis- qu'elle fait que nous sommes animaux , et que les animaux en ont tiré leur nom. Or, la vertu n'est autre chose qu'une âme disposée d'une certaine manière. Elle est donc animal. De plus la vertu agit : or, on ne peut agir sans mouvement ; si la vertu a du mouvement , lequel ne compte qu'à l'animal , elle est donc animal ; mais si la vertu est animal, elle contient en soi la vertu même. Pourquoi non , puisqu'elle se possède elle-même. Comme le sage fait toutes choses pour la vertu , ainsi la vertu les fait par elle-même. Par consé- quent , disent-ils, tous les arts, toutes nos con- naissances et nos pensées sont animaux. Il s'en- suit encore que plusieurs milliers d'animaux sont logés dans la petite capacité de notre cœur, et que nous sommes chacun plusieurs animaux, ou que nous contenons plusieurs animaux. Voulez-vous savoir quelle réponse on fait à ce- la? Supposé que chacune de ces choses-l'a soit ani- mal, ce ne serait point pourtant plusieurs ani- maux. Pourquoi? Je vous le dirai, pourvu que vous m'écouliez avec toute la subtilité de votre es- prit et toute votre attention. Tous les animaux doivent avoir chacun leur substance particulière. Mais toutes ces choses-l'a n'ont qu'une seule âme: c'est pourquoi elles peuvent bien être des choses singulières, et non pas plusieurs choses en même temps. Par exemple , je suis animal et homme , piet surculnm , aut non alet, nec applicaliit sibi, nec in qualilatemejus naluramque transiliit. Itaque solemus su- pra terrani prxcidere, ut, si non responderit> tenlari posslt secunda fortuna , et ilerum repetita infra terrani inseratur. Ilic, de quo scribis et mandas, non tiabet vi- res : indnisit vitiis; simul et emircuit, et induruit. Non potest recipere rationeni , non potest nutiire. — At cupit ipse. — Noii credere '. !S'on dico illum menliri tibi , putat te cupere. Stomacbuni illi fecit luiuria; cilo tamen cum illa redibit in gratiam. — Sed dicit se ofTendl vita sua. — ISoa negnTerIm : qnis enim non ofTendilur? Hominesvi- tam suam et amant simul , et oderunt. Tune itaque de illo feremus senteDtiam , quum fidem nobis fecerit, invisam jam tibi esse luiuriam : nuuc illls maie convenil. Vale. EPISTOLA CXIII. M VIITCTES Sm l^lMiLU : OIS SPEBKE.^DIS ESSE DISPUTA- TIOSES. Desideras tibi scribi a me , quid senliam de bac qua;- iUone jactata apud nostros : • An justitia , an Tortitudo , pmdcntia , ca?tersque ïirtnles, animalia sint? » — Hac lublilltate efTicimus , Lucili carissime, ut eiercere inge- Bium inter irrita vidcamur, et disputatinnibus nibil pro Tuturis otium terere. Faclam, qnod desideras; et, quid nostris videalur, esponam. Sed me in alla esse senlentia profileor. Puto qusdam esse, quœ deceantpboecasialum palliatumque. Quae sint ergo, qua; autiquos nioTerinti dicara. « Animum constat animal esse , qunm ipse eniciat ut sinms animalia , et quum ab illo animalia nomen boc traie- rint; virtus autcm niliil aliud est, quamanimus quodani- modo se habcns : ergo animal est. Deinde : virtus agit ali- quld ; agi autcm nibil sine impetu potest : si iinpelum bn- bet,qui nulli est nisi animait, animaient. — Si animal est, iuquit, virlus; hal)et ipsa virlulem. — Quidni ba- beat se ipsam? Quomodo sapiens orania pcr virtu:cm ge- rit, sic virlus perse. — £rgo,inquit , et onmesarles ani- maba sunt, et omnia, qua; cogitamus . quaeque mente complectimur. Sequitur ut mnlta niillia animaliuro babi- tent in bis angustiis pcctoris, et siugiili nuilla simns ani- malia , aut uiulta habeamus animalia. — Qua.>ris, quid adversus istuc respondeatur ? Unaquaeque ex istis res ani- mal erit, niulta animalia non erunt. Quare ? Dicam , si mibi accomniodaveris subtilitatem et intentionem tuam. Singula animalia singulas debent liabere substantias; Ista omnia unum animum habent : itaque singula esse possunt. m SÉKÈ vous ne direz pas que je suis deux choses. Pour- quoi? Parce qu'eilcs-nesont pas séparées; ainsi je dis que pour être deux, l'un doit ôtre séparé de l'autre. Tout ce qui est un, quoique de diverses pièces, tombe sur une même nature; et partant' il est un. Mon âme est animal , et je suis un ani- mal ; nous ne sommes pas toutefois deux animaux. Pourquoi? Parce que mon âme est une partie de moi-même, et que l'on ne compte pour un que ce qui subsiste par soi. Mais, lorsqu'il est membre de (luelque chose, il ne peut être une autre chose. Pourquoi? Je vais vous le dire. C'est parce que pour être quelque autre chose, il faut être à soi , propre "a soi , tout à soi , parlait en soi. Je vous ai déj'a déclaré que j'étais d'un autre sentiment ; i;ar si cela avait lieu, non-seulement les vertus .•seraient animaux , mais les vices et les passions qui leur sont opposées, comme la colère, la crain- te , la tristesse et le soupçon le seraient aussi. Cela s'étendrait encore bien plus loin. Toutes les opi- nions, tontes les pensées seraient animaux, ce (ju'on ne doit nullement admettre; car tout ce que riionime fait n'est pas homme. Qu'est-ce, dira-t- on , que la justice? C'est une qualité particulière de l'âme. Partant, si l'âme est animal, la justice l'est aussi. Nullement, car ce n'est qu'une habi- tude et une certaine disposition de l'âme. Une même âme peut se changer en diverses Dgures ; mais elle ne devient pas un différent animal au- tant de fois qu'elle fait de différentes actions, et ce qu'elle fait n'est point aussi animal. Si la justice , la constance et les au'res vertus sont animaux, cessent-elles de l'être quelquefois QUE. pour recommencer de l'être, ou le sonl-elles tou- jours? Il est certain que les vertus ne perdent point leur être. Il faut donc qu'il y ait un grand nombre , voire une inOnité d'animaux logés dans l'âme. Ils répondent qu'il n'y en a pas un grand nombre , parce qu'ils sont tous liés et attachés en- semble , comme membres et parties d'un tout. Ainsi nous nous Qgurons l'âme comme une hydre qui a plusieurs têtes ; chacune d'elle combat a part et peut nuire d'elle même. Et toutefois il n'y a aucune de ces têtes qui ne soit un animal , mais bien une tête de l'hydre qui ne fait qu'un seul animal. Personne, en parlant de la Chimère, ne dira que le lion ou le dragon soit cet animal ; ils n'en sont que les parties ; mais les parties ne sont point des animaux. Qui vous oblige donc de con- clure que la justice soit animal? Elle agit , disent- ils, et apporte du profit. Or, est-il que tout ce qui agit et apporte du profit a du mouvement , et que tout ce qui a du mouvement est animal ; cela se- rait vrai, si ce mouvement venait d'elle-même; mais il est emprunté et vient de l'âme. Tout ani- mal demeure jusqu'à la mort ce qu'il était au com- mencement. L'homme ne cesse point d'être homme (ju'il ne soit mort; il en est de même du cheval et du chien , car ils ne sauraient se transformer en autre chose. La justice , c'est-à-dire l'âme qui est douée d'une certaine qualité est animal. Je le veux croire. La constance encore, c'est-à-dire l'âme qui a celle qualité est animal; quelle âme entendez- vous? Celle qui était justice, un peu auparavant arrêtée dans ce premier animal , ne peut passer dans un autre animal , étant obligée de rester dans multa esse non possunt. Ego et animal sum et tiomo , non Lîmen duos esse nos dices. Quare? Quia separati debent esse; ita dico, aller ab alteio débet esse didnctus, ut duo suit. Quiilquid in uno multiplex est, sub unam naturam cadit : Itaqde uiiuin est. Et aniiiius meus animal est, et egoanimalsiiin;duolamen non sun^us. Quare? quia ani- mus inei pai-s est. Tiiuc aliquid per se nunierabilur, quum per se stiibit; ubi vcro alterius nicnil)nini erit , non polcrit videri aliud. Quare? Dicam : quia, quod aliud est, suuui oportel esse, et proprium, et totura , et intra se absululum. » Ego in alla esse nie sententia professus sum. Non enim lantuui virtules animalia erunt, si hoc recipitur; sed op- posila quoque illis villa et afiectus , taiiquam ira , tinior, luctus, suspicio. Ultra res isia procedet ; omnes senten- tia! , onines cogitatioues animalia eiunt ; quod uullo modo recipiendum est. IVou euini, quidquid abhomine fit, ho- nio est. — Jiistitia quiJ est? inquit. Aniinus quodammodo se liabeus. Itaque, si animus animal est, et justitia.— Minime I ba;c enim liabitus animi est, et quajdam vis. Idem auinius in varias figuras converlilur, et non loties animal aliud est, quoties aliud facit; nec illud , quod fit •b animo , auimal est. SI justitia animal est , si fortitudo , si aclerx virtules; utrum desinnnt animalia esse sub- inde, ac rursusincipiunt, ansemper snnl? Desinere vir- tules non pussunl. Ergo mnlta animalia, imo ianuaiera- bilia inbucaiiimo versanlur. — Non sunt, inquit, mulla; quia es. iiuu religata sunt, et partes unius ac membra sunt. — Talem ergo faciem animi nobis proponimus , quaiis e>t hydra», multa habenlis capita, quorum unum- qiuidque per se pugnat, per se nocet. Atqui Dullam ex illis capitibus animal est, sed animalis caput ; csierum ipsa unum animal est. Nemo in Cbimsra )eoDem animal esse dixit, aut draconem; hm partes erant ejus; parles aiilem non sunt animalia. Quid est , quo colligas, justi- tiim animal esse? — Agit, inquit, aliquid, et prodest; quod autem igit ^aliquid , et prodest, impetum babet; quod autem impetum liabet, animal est. — Verum est , si suum impetum habet; suum autem non babet , sed animi. Omne animal , donec moriatur, id est , quod coe- pit : bomo , donec moriatur , bomo est ; equus , equus ; canis, cauis : tiaiisire in aliud non potest. Justitia , id est, animus quodammodo se habens , animal est ! Credamus. Deinde, animal est fortitudo, id est, animus quodam- modo se habens! Quis animus lille qui modo justitia eratf Tenetur in prioreanimali ; in aliud animal transire c' noa ÈPITRES A LUCILIUS. 829 celui où elle s'est premièrement logée. D'ailleurs, une seule âme ne peut être à deux animaux , moins encore à plusieurs. Mais si la justice, la constance, la tempérance et les autres vertus sont des animaux, comment n'auront - elles qu'une seule âme! Il faut que chacune d'elle ail son àrae ou elles ne sont point animaux. Car un seul corps ne peut appartenir à plusieurs animaux, comme ils en demeurent d'accord. Quel est donc le corps de la justice? C'est l'âme. Quel est le corps de la constance? C'est encore l'âme. Mais un même corps ne peut pas être 'a deux animaux. Une même âme, disent-ils, prend l'habitude de la justice, de la constance, de la tempérance. Cela se pour- rait faire , si la justice était dans une âme en un temps et la constance en un autre, ou si la tem- pérance ne se rencontrait jamais avec la constance; mais les vertus sont ordinairement toutes ensem- ble. Comment donc feront-elles autant d'animaux, n'y ayant qu'une seule âme qui ne peut faire qii'un seul animal ?EnGn, il n'y a point d'animal qui suit partie d'un autre animal. Or, la justice est une partie de l'àme, elle n'est donc pas un animal. Mais c'est se tourmenter inutilement d'une chose dont personne ne doute ; et il y a plus de raison de se fâcher qu'on la mette en dispute que d'en vouloir disputer. Pour connaître qu'un ani- mal n'est point partie d'un autre animal, regardiz tous les corps qui sont dans le monde, ils ont chacun leur couleur, leur ligure et leur grandeur particulière. Entre les raisons qiii font admirer l'industrie de ce divin architecte, celle-ci me pa- raît bien considérable , que de tant d'ouvrages qu'il fait il n'y en a point qui se ressemblent, et que les choses qui nous paraissent semblables s« trouvent fort différentes quand vous venez a les confronter ensemble. Il a fait tantdesortesde feuil- les, et cependant il n'y en a pornt qui n'ait sa mar- que particulière. Il a fait tant d'animaux, et tou- tefois ils ne se ressemblent point les uns aux autres. Il y a toujours quelque différence; il a voulu que les choses qui sont particulières fussent aussi diffé- rentes et inégales. Or, vous dites que toutes les vertus sont égales ; elles ne sont donc pas des ani-^ maux. Il n'y a point d'animal qui n'agisse de soi- même. Or, la vertu ne fait rien d'elle-n)êrne, mais parle moyen de l'homme. Tous les animaux sont raisonnables comme les hommes , comme les dieux , ou irraisonnabics comme les hèles. H est certain que les vertus sont raisonnables, mais elles ne sunt ni hommes ni dieux; elles ne sont donc point animaux. Il n'y a point d'animal rai- sonnable qui fasse rien qu'il ne soit pren)ièrcment excité par quelque objet; il s'y porte ensuite, puis le consentement qu'il y donne pousse plus avant cette première motion. Je vais vous dire en quoi consiste ce consentement. Quand je vois qu'il faut que je marche, alors je me résous 'a marcher. Quand je me suis proposé et que je trouve à propos de m'arrêter, alors je m'arrête; mais cette sorte de consentement ou d'approbation ne se rencontre point dans la vertu ; car imaginez-vous que la prudence soit animal, comment donnera-t-elle son consentement? Si vous dites : Il faut que je marche ; c'est la nature qui fait cela; car la prudence, qui donne le con- seil, non pour soi, mais pour l'utilité de celui qui licet : in eo illi , ia qno primnm esse cœpit , perseveran- duni est. Pra^terea , iiam animus duoram esse animaliuni nou potest, multo miaui pliirium. Si justitiii, fortitudo, teniperaatia , cxteiceqiie virtules aaimalia suut ; quo- inodo unum aoimuiii habeimnt ? Singulos tialieaut opor- tet, sut non sunt animalia.Non poiest ununi corpas plu- rium animalium esse; liocet ipsi fatentur. Justiti» quod est corpus? animas. Quid? fortitudinis quod est corpus ? idem animus. Atqui unum corpus esse duorura anima- linm non potest. — Sed idem animus, inquit, justitix ba- bitum induit, etforttudiiiis, et temperantiae. — Hoc (îeri posset , >i , qno tempore justitia est , rorlitudo non esset; qoo tempore fortitudo est , teniperantia non esset. Nunc vero omnes virlutes simul snnt. lia quomodo bingula enint animalia, quum unus animus sit , qui plus, quam unum animal , non potest facere? Denique uullum animal pars est alterius aniniiilis; justitia autem pars est animi : non est ergo animal. Videor mitii in re confessa perdere operam. Magis eniin indignandum de isto, quam'dispntandum est. Nul- liitn animal alterius pars est. Circumspice omnium cor- porn; nulli non «-1 rolnr proprius est, et figura nu , et magniludo. Inler citera, propler quae niirabile divini arliOcis ingcniuni est, hoc quoque exislimo esse , qnod in tanla copia rerum nunquam in idem incidit : etiam, quae similia \identur, quum contuleris , diversa suut. Tôt fecit gênera foliorum, nullum non sua proprietatc signa- tum : tôt animalia; nulli œaguitudo cum altero conve- nit, utiqiie aliqiiid interest. Eiegit a se, ut,quxalia erant. et dissimilia esscnt, et iraparia. Virtutes omnes , ntdicilis, pares sunt; ergo non sunt animalia. Nullum non auinial per se aliquid agit; virtus autem per se nihil agit, sed cum homine. Oninia animalia aut rationalia sunt, ut homines, ut dii; aut irrationalia , ut fera;, ut pecora : ïirtutes utique rationales sunt; atqui nec homi- nes sunt, nec dii : ergo non sunt animalia. Omnc ratio- nale animal nihilaglt, ni.si primum specie alicujus rci ir- ritiilum est , deinde impctiuii cepit , deinde assensio con- firmavil hune impttum. Quid sit assensio, dicara. Opor- tet me ambnlare : tune denium anibulo , quum hoc mihi dixi, et approbavi haric opinionera mcam. Oportet me scdere; tnnc dcmum sedeo. Ilaec assensio in virlute non est. Puta enlm prudenjam esse; quomodo assentictur • Oportet me ambularc? » Hoc natura non recipit : pru. 850 la possède , ne peut ni marcher ni s'arrêter. Elle ne peut donc donner aucun consentement. Or, ce qui n'en est point capable n'est point animal rai- sonnable ; et si la vertu était animal , elle serait sans doute un animal raisonnable. Or, elle n'est pas un animal raisonnable. Elle ne peut donc pas être animal. Si la vertu était animal , le bien serait animal , puisque le bien consiste dans la vertu , comme nos stoïciens en demeurent d'accord. On dit : C'est bien fait de défendre son père ; c'est bien fait d'opiner sagement et de juger juridiquement, parlant ces deux bonnes actions sont animaux. Enfin , l'on en viendra "a un tel point d'extrava- gance, que l'on ne pourra plus s'empêcher d'en rire. On dira encore : C'est bien fait de se taire à propos, et de faire un bon repas ; par conséquent, le silence et le manger sont animaux. J'avoue que je me laisse chatouiller, et que je me fais un divertissement de ces subtilités imper- tinentes. Disons encore : Si la justice et la con- slance sont animaux, il est certain que ce sont animaux terrestres; mais tout animal terrestre est sujet au froid , "a la faim , "a la soif; il s'ensuit donc que la justice peut être morfondue, la con- stance affamée, et la clémence altérée. Ne puis-je pas demander 'a ces philosophes quelle figure ont ces animaux? si c'est d'un homme, ou d'un cheval , ou d'une bête sauvage? S'ils leur donnent une fi- gure ronde , comme celle que l'on donne "a Dieu , j'aurai droit de demander encore si l'avarice , si la folie, si la vanité, si l'ambition sont rondes , puisque ce sont animaux. S'ils les font rondes, aussi bien que les autres, je leur demanderai si SÉNÈQUE. une promenade, faite avec raison , est animal ou non. Il faut qu'ils en demeurent d'accord nécessai- rement, et qu'ensuite ils disent que la promenade est un animal qui a la figure ronde. Mais ne vous imaginez pas que je sois le premier d'entre nos stoïciens qui parle selon son sens et sans l'auto- rité d'autrui. Cléanthe et Chrysippe ne convien- nent pas ensemble de ce que c'est que la prome- nade. Cléanthe dit que c'est un mouvement qui vient de l'âme, et qui s'étend jusqu'aux pieds. Chrysippe est d'avis que c'est l'âme même qui se remue. Pourquoi donc n'usera-t-ou pas de sa lu- mière naturelle, 'a l'exemple du même Chrysippe, pour se moquer de tous ces animaux que le monde pourrait "a peine contenir. Ils répondent : < Quoi- que les vertus soient animaux , elles ne sont point, toutefois, plusieurs animaux; et, comme une seule personne peut être poêle et orateur, de même les vertus sont animaux, et ne sont pas pourtant plusieurs animaux. On voitencore qu'une même âme est juste , prudente et courageuse pour avoir en soi des dispositions capables de toutes ces vertus. » Ainsi il n'y a plus de question entre nous ; nous voil'a d'accord ; car j'avoue que l'âme est animal ; je verrai après quelles conséquences j'en dois tirer. Cependant je dénie que les actions de l'âme soient animaux; car, s'il y a du bien dans un discours fait avec prudence , tout bien étant animal , on doit dire que la parole est ani- mal. S'il y a du bien dans un vers, tout bien étant animal , on doit dire que la parole est ani- mal. Ainsi , ce vers : Je chante un héros et la gaerre , dentia enim ei , cujus est , prospicit , non sibi. Nani nec ambulare potest, nec sedere; ergo assensionem non ha- bet : quod assensionem non liabet, rationale au nul non «si. Virtus si animal est , ralionale esl : lalionale aulcni non est; er^'o nec animal. Si virtus animal est; virlus au- tem bonum omne est :omnebonum animal est. Hoc nos- tri fatentur. Patrem servare , bonum est; et senteutiam prudenler in senatu dicere , bonum est ; et juste decer- nere , bonum est; ergo et patrem servare animal est ; et prudenler senlentiani dicere , animal est. Eo usquc res eïcedet , ut risum tenere non possis. Prudenler lacère, bonum est; cœnare bene, bonum est; ita et tacere et cœ- nare animal est I Ego , mehercules , titillare non desinam , et ludos mihi ex istis subtilibus ineptiis facere. Justilia et fortitudo , si animalia sunt, cerle lerrestria stmt. Omne animal terres- tre algel, esurit, sitit; ergo justilia algel , forliludo esu- rit , sitit clemenlia. Quid porro? non interrogabo illos , <)uam figuram habeant isla animalia? hominis, an cqui , an ferae? Sirotiindara illis, qualem Dec, dederinl for- mam , quaeram , an et ararilia , et luxuria , et dementia «que rotunda! sint l sunt enim el ipsif animalia. Si bas quocue corrotundavcrint , etiamnunc inlerrorabo , a» prudcns ambulalio animal sit. Necesse est cnnfilearilur; deinde dicant, ambulationem animal esse , et quidem ro- lundum. ÎSc putes aulem, meprimumex noslris, non ex pra'scripto loqui, sed meae sententiae esse; inter Clean- thera et discipulum ejus Chrysippum , non conTenit, qnid sit ambulalio. Cleantbes ait, spiriinm esse a principaK usqne in pedes permissnm; Chrysippus, ipsum princi- pale. Quid est ergo , cur non ipsins Chrysippi exemplo sibi quisque se Tindicet , et ista tôt animalia , quoi muD- dus ipse non potest capere , derideat ? Non sunt, inquit, virtules multa animalia, et tainen animalia sunt. Psam , quemadmodnm aliquis et poeta est, et orator, et lamen unus; tic virtules isls animalia sunt, scd multa non sunt. Idem est animus, et animnsjQstos, el prudcns, et forlis; ad singulas Tirlules quodammodo se haben.s. — Sublata est qna'slio; convenit nobis. Nam et ego intérim fateor, animum animal esse ; postea visa- rus, quam de istare sententiamferam: actionesejus aai- nialia esse nego. Alioquin elomnia verba erunt animalia, et oumes versus. îiara , si prudens sermo bonum est , bo- num aulem omne animal est; sermo ergo animal est. l'rudens versus, bonum est; bonum antem omne animal est ; versus ergo animal est. Ita, Arma vinimqnecano. r EPITRES A LUCILIUS. 831 est un animai , et l'on ne peut pas dire qu'il soit rond , car il a six pieds. En vérité , tout cela n'est qu'un enchaînement de sottises , et je n'en puis plus de rire , lorsque je me présente qu'il faille qu'un barbarisme, un solécisme et un syllogisme soient des animaux , et que je leur donne, comme un peintre , un vi- sage et des traits qui leur conviennent, et cepen- dant nous disputons de ces bagatelles d'un air sourcilleux et d'une mine renTrognce. Je ne sau- rais m'écrier , en cet endroit , avec Cécilian : 0 les tristes impertinences ! car elles sont risibles. Que ne traitons-nous phitc^t de quelque matière qui nous soit utile et salutaire? Que ne cherchons- nous la vertu et les moyens delà pouvoir acquérir. Ne lâchez point à me persuader que la constance soit animal ; mais faites-moi concevoir que , sans elle, nul animal ne peut être heureux, que l'on ne peut s'affermir contre les événements de la for- tune qu'eu les adoucissant par la pensée avant qu'ils se présentent. Qu'est-ce que la constance? C'est un rempart h la faiblesse humaine qu'on ne saurait abattre, et celui qui s'en pourra couvrir demeurera ferme contre les assauts de celle vie; car il se défendra par ses forces et de ses propres armes. Je veux ici vous rapporter ce qu'en dit Posi- donius : « ^e vous imaginez pas que vous puissiez jamais être assuré avec les armes de la fortune ; il faut la combattre avec les vôtres; tout ce qui est fortuit ne vous saurait armer contre elle. Aussi voit-on que nous sommes bien armés contre nos ennemis , et toujours nus et désarmés contre la fortune. Alexandre ravageait et faisait fuir devant lui les Perses, les Ilyrcaniens, les Indiens et tons les antres peuples qui habitaient l'Orient, jusqu'à la mer océane; mais, ayant tué l'un de ses amis et perdu l'autre, il fuyait la clarté du jour, pleu- rant tantôt son crime, et tantôt son malheur. De sorte que le vainqueur de tant de rois et de tant de nations se trouva vaincu par la colère et par la tristesse; car il avait pris plus de soin de se rendre maître de toutes choses que de ses passions. Ohl que la folie des hommes est grande de vou- loir étendre leur domination au-del'a des mers, et- de se croire heureux pour avoir conquis, à main armée, une infinité de provinces. Ils voudraient encore en ajouter d'autres, ne sachant pas que c'est un grand empire, dont chacun peut faire la conquête, que de régner sur soi-même. Qu'ils m'apprennent combien la justice est une chose excellente et divine, qui ne regarde que l'utilité d'autrui, et ne désire autre chose que de servir "a tout le monde; qu'elle ne fait rien par ambition, ni par vanité, mais pour se plaire à elle-n)ême. Surtout que chacun se persuade et dise en soi-même : Il faut que je sois juste sans en espérer aucune récompense. Je veux qu'on dise encore : Je suis obligé de ciiliiver cette belle vertu ,sans aucune considération de mes intérêts parti- culiers. Car, en faisant une action de justice, on ne doit prétendre autre chose que d'être juste. Souvenez-vous de ce que je vous disais un peu au- paravant : Il ne sert de rien que beaucoup de per- sonnes sachent que vous êtes juste. Qui fait pu- blier sa vertu ne travaille pas pour la vertu , mais pour la gloire. Vous ne voulez être juste que pour en recevoirde l'honneur; cependant je vous assure aninuil est; qaod non possant rotunduin dicere, quam lei pedrs halieat. — Teitoriuiu, ioquis, totum mebercules istiidest, quudquimi maxime agitur. DIssilio risu, quum mihi propoDo, solœcismum animal esse, et barbarisnium, et tyllogitmum , et aptas illis faciès, tanqaam pictor, as- ligDO. Use disputamus , attractis sopercitiis , fronte mgosa. Tion possuni lioc loco dicere illud Caeciliauum : i O Irii- tesiaepiias I • — Kidiciilae sunt. Quio itaque polius aliquid atile Doliis ac saliitare tractamus, et qiierimus, quo- inodo ad ïirlules \éaire possimus, quœ nos ad illas ïia sdducat. Doce me , non an fortitudo animal sit; sed nul- lum animal felix esse sine fortitudioe, nisi contra fiirtulta coDTaluit, et omnes casus, antequam eiciperet, medi- taudo prsddmuit. Quid est fortitudo ? munlmentum bii- mans imbecillitatisinexpugnabile; quod qui circumdedlt ■U)i, secunia in bac Tita> obsidione perdurât : utitur eoim (Ula viribus, suis telis. Hoc loco tibi Posidonil nostri re- lerre sententiam toIo : c Non est, quod unquani fortuna; armis pûtes este te lulum : tuis pugna contra ipsam. For- tuna non armât. Itaque contra hostes instructi , contra ip- tam Inermes sunt. • Alexander quidem Persas , et Hyr- canos et Indos , et quidquid gentium nsque in Oceanum extendtt Orieus , vastabat, fugabatque; sed ipse, modu ucciso aroico, modo amisso, jacebat in tenebris, alias scelus , alias desiderium suum mœreus : victnr lot reguni atque populorum , irae trislitixque succubuit : id enini egerat, ut omnia potius haberct iu potestate, quam af- fectus. 0 quam magnis homines tenentur erroribus, qui jus duminandi trans maria cupiunt permittere; felicissi- niosque se judicant , si mullas per milites provincias ob- tinent, et novas «eleribus adjungunt; ignari, quod sit illud ingens, parque Diis, regnum I Imperaresibi, maxi- mum imperium est. Doceat me, quam sacra res sit justi- tia, alienum bonum spectans, nibil ex se pelons, nisi usiim sui. Nibil sit illi cum ambitione famaque ; sibi pla- ceat I Hoc ante omnia sibi quisque persuadeat : Me jus- lum esse gratis oporlct I Paruni est ! adhuc illud persua- deat sibi : Me in banc pulcberrimani virtutem ultro etiam impendere juvet ; tota cogilalio a pri?atis commodis quam longissime aversasil! Non est, quod specles , quod sil juslœ rei praemium majus , quam jusiam esse. Illud adhuo tibi afOge, quod paulo ante dicebam : Nibil ad rem per- tinere , quam multi œquitatem tuam noverint. Qui virto wnrnmr^n^ftf 832 SÉNÈQUE. que souvent il faut être juste aux dépens tlo sa ré- putation. Alors, si vous le savez bien prendre, le mauvais bruit qui procédera d'une bonne action vous donnera un plaisir secret. EPITRE CXIV. Le langage des hommes a d'ordinaire du rapport à leurs mœurs. — Le corps étant affaibli par les délices devient incapable de l'usage des plaisirs. Vous nie demandez d'où vient qu'en de cer- tains temps la manière de parler s'est corrompue , et comment les esprits se sont portés a ces défauts de s'expliquer tantôt avec des paroles enflées , et tantôt avec des paroles douces et languissantes, comme si l'on disait une chanson ; pourquoi, quel- quefois, on a estimé les discours hardis et qui n'a- vaient rien de vraisemblable, et quelquefois ceux qui étaient coupés et sentencieux, qui donnaient plus "a deviner qu'à entendre; pourquoi, enfin, il s'est vu un siècle on l'on usait de métaphores indifféremment et sans aucune discrétion. C'est ce que l'on dit souvent et qui est passé en pro verbe chez les Grecs : Oii a toujours parlé connue on a vécu. Mais, comme les actions de cha(|uo particulier suivent ses paroles, il arrive quelque- fois que la façon de parler se rapporte 'a la façon de vivre que le public a mise en usage. Lorsqu'une ville s'est relâchée de la discipline et s'est jetée dans les délices , vous le ciumaissez par la mol- lesse du langage, non de deux ou trois particuliers, mais du général qui l'aura reçue cl approuvée. L'esprit et l'âme ne prennent point de différentes teintures. Si l'âme est saine , paisible et tempé- rante, l'esprit sera sérieux et retenu ; si l'une e*t corrompue, l'autre est incontinent infecté. Ne voyez-vous pas que quand l'âme est languissante on traîne le corps et on porte lâchement les pieds? Quand elle est efféminée, sa mollesse se reconnaît "a la marche. Si elle est prompte et vigourensc on hâte le pas. Si elle est en fureur, ou si elle entre en colère ( ce qui approche de la fureur ), le mou- vement du corps se trouble, on s'emporte, on ne marche pas. Ne croyez-vous pas que ces choses arrivent à l'esprit, d'aulant plus qu'il est tout pénétré de l'âme qui le forme et qui lui donne la loi. On sait comme Mécénas a vécu sans qu'il soit besoin de le dire ; on sait quelles étaient ses déli- catesses et ses pnimenades , comme il affectait de se montrer et de faire éclater ses vices. Eh quoil son discours n'clait-il pas aussi mou que sa per- sonne? ses paroles n'étaient-elles pas aussi pom- peuses que ses habits, sa suite, sa maison et sa femme? C'était, en vérité, un grand génie, s'il eût suivi le droit chemin , et s'il n'eût pas évité de se faire entendre par une manière de parler qui se ressentait de sa mollesse; c'est pourquoi vous trouverez son langage embarrassé , licencieux , va- gue, comme d'un homme qui est ivre. Quand vous lirez les discours de Mécénas, ne vous sou- vieodra-t-il pas quec'estceluiquiavaitcoutumede marcher dans la ville sans ceinture, et qui don- nait le mot du guet en cet état quand il comman- dait dans Home en l'absence de César? Que c'est celui qui, rendant la justice et haranguant le peu- ple, avait la tète enveloppée d'un manteau à l'ex- ception des oreilles , eu la manière qu'on repré- tem suam publicari Tult, non virluti laborat, sed gloria?. Won vis esse justus siiie gloria? At, mehercules, saepe justus esse debebis cuui iufamia. Et tuuc, si sapis, mala opinio bene parta delectat. Yale. EPisïOLA exiv. EL0QCEMI£ COBBUPTELAH E COBEUPTIS MOHIBDS OBTiH ESSE. Quarc quibusdam temporibus provenerit corrupli ge- neris oralio, quœris; et.quomndo in quitdam Tilia incli- uatio ingeniorum facta sit, ut aliquando inllata explicatio vigeret, aliquando infracla, et in morem cantici ducta? Quare alias sensus audaces, et fidera egressi , placuerint; allas alu-uptœ senlenlia' , et suspiciosa; , in quibus plus intelligendum esset, quam audiendum? Quare aliqua aîtas fuerit, quse translatiouis jure ulereturinverecunde? — Hoc, quod audire vulgo soles, quod apud Grœcos in proverbiuni cessit : «T:dis liominibus fuit oratio, qualis vita. «Quemadmoduni autem uniuscujusque actiodicenti similis est, sic genus dicendi aliquando imitalur publicos mores. Si disciplina civitatis laboravit, et se in delicias dédit, aigumentum est hixuria; publicap, orationis lasci- via : si m- do non in «no ant inaltero fuit, sed approbnla est et recepia. ^'on potest alius esse ingenio, alius animo color. Si illesanusest, si compositus, gravis, teraperans; ingonium quoque siccura ac sobriuni est : illo ïitiato, hoc quoqne afflatur. INon vides , si animus elanguit , trahi menibra , et pigre moveri pedes ? si ille elfeniinatus est, in ipso incessu apparere niollitiem? sit ille acer est et ferox, concitari gradum?si furit, ant, quod furori si- mile est, irascitur, turbatum esse corporis motum, nec ire , sed ferri ? Quanlo hoc magis accidere ingenio potas, quod totum animo pcrmiitum est? ab illo fiagitur, illi paret, inde legem petit. Quomodo Mœcenas Yixerit, notiusest, quam nt nar- rari nunc debeat; quomodo ambulaverit, quam delicatus fuerit, quam cupierit videri, quam vitia sua latere no- lucrit. Quid ergo? non oratio ejus «que soluta est, quam ipse discinctus ? non tam insigniia illius verba sunt , quam cuUus , quam comitalus , quam domus , quam uxor? Magni vir ingenii fuerat, si illud egissct via recliore, si non vi- tasset intelligi , si non eliam in oralione difllueret. Vide- bis ilaque eloquentiani ebrii hominis, involutam, et er- rantem , et liceutiae plenam. >!a;cenas , de cultu suc. Quid tiirpius , Amiic- s 1^ isque lipa coniantibus vides ut alveum ÉPURES A LUCILIUS. 853 ïoiile le riclie fugitif dans la comédie? Celui qui , au forl des guerres civiles, lorsque toule la ville clait en rumeur et en armes, marchait par la rue, suivi de deux eunuques plus liommes toutefois que lui? Celui qui épousa mille femmes et n'en eut jamais qu'une? La construction bizarre de ses paroles négligées et si contraires h l'usage, faisait assez voir la singularité et la dépravation de ses mœurs. Il ne laisse pas de s'acquérir la réputation d'un esprit fort doux, n'ayant jamais répandu le sang, ni commis la moindre violi'uce, et l'on peut dire que la licence élait la seule marque de son autorité; mais il ternit celle gloire' par la dissolu- lion de son langage extravagant et monstrueux, qui fil juger que c'était mollesse et nuii pas douceur. A voir les ambages de son discours, le détour de .'•es paroles, et leur sens quelquefois sublime, mais le plus souvent énervé, il n'y a personne (|ui ne croie que l'excès de son bonheur lui avait fait tourner la tète; ce qui arrive ordinairement p;ir le vice du siècle, ou par le défaut de la personne. Nous \ oyons aussi que quand les richesses ont lùtroduii le luxe eu quelque emlniil , on devit ut plus curieux en habits, on cherche de beaux ameublements, puis on a soin de se loger au lar- ge , de revêtir de marbre les appartements , et de marbre d'outre-mer; de dorer leurs couvertures, et de faire correspondre la propreté du pavé à l'éclat du lambris. De l'a on vient 'a la raagniUcencc de la table ; et pour lors on cherche 'a se signaler par quelque noiive:iulé, en rcnveisaut l'oidre nc- cuuiumé, en servant il l'entrée ce qu'on douu.iit auparavant 'a l'issue , et à l'issue ce qu'on donnait à l'entrée. Quand l'esprit s'est dégoûté des choses qui sont ordinaires, il affecte ensuite de parler d'une nouvelle façon , il rappelle de vieux mots et les met en usage. 11 en invente de son caprice; il en prend de son autorité d'une langue iucoimue ; il croit que tout ce qui est à la mode donne d(î l'ornement , comme les métaphores hardies et fré- quentes. Il y a même des gens qui entre-coupent le sons et qui s'imaginent avoir bonne grâce de cacher leurs pensées et de tenir l'auditeur en sus- pens. D'autres, la font durer et l'éteudent trop au long. Il y en a qui ne tombent pas dans ces défauts, que tout homme qui se propose quelque chose de considérable doit éviter; mais ils l'ont voir qu'ils y ont beaucoup de pente. C'est pour- (]iioi partout où vous verrez (juo l'on aimera ce bîiigage corrompu , ne doutez pas que les mœurs n'y soient dépravées. Comme le luxe des festins et des habits est une maroue de la débauche d'une ville, la licence du langage, quand elle est fréquente, l'est aussi du relâchement des esprits. Il ne faut pas vous éton- ner (jue celte corruption soit reçue parmi les gens (lu comnmn et (ju'elle passe jusqu'aux personnes de (jualiié ; car ils ont les mêmes seniiraents et no siiiit différents qu'en leuis habits. Étonnez-vous plutôt qu'on ait de l'estime pour les choses qui sfint vicieuses et pour le vice même. Cela s'est fait lie tout temps. L'on a toujours tu de l'indulgence pour les beaux esprits. Citez -moi lequel vous voudrez de ces grands hommes qui nous ont pré- lintribns arf nt , vcrsoque vado remittant hortos. — Qui,! ? (i quis feminir cirro crispata; labns coluinbatur , inci- pilque stispiraris, ut cervice l;iia fcratiir nec more. — Tyraoni irre:iie'Jial)ilii factio riiuanlur e|)ulis, l.n(;er.a- que teutant domos , et sœpe indrlcm exigunt. — Geiiiiim fejto vil suo testem, leuuisTe Cereris fila, et crepaccni tnolam, focum mater aut u\or iiivestiunl.»— Non slatiiii, i|iium baec legeris, lioc libi occurret , bunc esse , qui so- lutisluiiMsiii IJrhespmiierincesscril? (nau.ctianiquuin al>sonlisCa'8aris pai tilius fungeretur , siKimni a discincto pL-tclialur : ) huiK- e-se, qui in Irilinmli, in roslris.in omiii putilic» crtu, sic apparucrit, ut paUi» velaretur tauut, exclusif ulritii<|uc aurilius, non aliter, quiiin in MIrno divite fuEili>i sileiit? luinc esse, cui tune maxi- me civilihus hellis strcpcnlil){is, et sol I ici a urhc et ar- ni:ita, coraitatus hic fiiiTit in pulijico, spadoncs duo, inagiii tamen viri quain ipse? hune esse, qui nxoreni niil- lirs dn\it, quuni unain liabuent? Ha-c verl>a tain iin- _prol>e structa , taiti negligentcr al)jecia , tani C(!nlra con- luetndinem omnium posita, oslendunt, mores qnoquc non minus uovos et pravos et singiilares fuisse. Maxiina laus ilti tribuilnr mansuctndiuis : pepercil gladio, sanguine alistinuit; nec ulla alia re, quid pcssct, quani lici-nti^j os- leodii. Ilanc ipsam laudem suam corrnpit istis orationis ponentuiiissiMia; delicils : apparet enim niollem fuisse, non inilcm. Hoc ist:p ambages cnmpositionis, hoc verba liansve.su, lioc stusus, magni ijuidcm sa'pe, seJ ener- vali (luin exeunt, cuivis nianifesiuni facieut, niolum ilti f('licit»tc uimia caput ; qui.d viliuni bouiiuis interdiuu esfc, inlcrdum temporis, solit. Lbi luxnriam late felicits fudit, luxus priinum corpn- runi essediligentiorincipit :dtindesupellectili laboratur; dt'inde in ipsas duitios iuipcndiuii' cura , ut in laxitateni ruris excnnarit, u! puriees adicili^ trans raarii ni.irnio- ribus fulgeaut, ut tecta taricutur auru, ut lacuuarilius pavimenloruni respondeat nilor; deindead cœnas lauli- tia tiansfcrtnr, et illic cennnendatio ex novitatc et sollii ordinis commniatiouc captalur, ut cj ,qu£B incindere ca;- n ni soient, prima ponaniur, ut.qux' advenicutibus da baiitur, excunlilius denlur. Qimm assuevit animus fasti dire quse ex more sunt, cl illi pro sordiilis solita sunt, etiani in oratione . quod nuvuni csl , qua-ril : et modo an- tiqua verba at<|ue exuleta rcvocal ac piofei t ; modo lingil ignola, acdellectit; niudo id, (luod nu|)er increbiiit, pro cullu habttur, audiix Irauslaii,» ac lret|ueus. Sunt, qui sensus pra'cidant, et tiiuc grali:un sperent, si senlcntii» pepcnderit, et audienli suspicioueni sui fecerit : sunt, qui illos detineant et porrigant. Sunl, qui non usque ac vitia nuus aliquis inducit, sub quo tune eloqueoi lia est : caeteri imitantur, et alter alteri tradunt. Sic Sal< lustio vigenfe, amputais senteutix, et verba ante eispee tatum cadeotia, et obscura brevitas, fuere pro cultu Arrunlius, virraree frugalilatis, quihistorias belli Puaia ÉPITRES A LUCILIUS. 855 sorte que celte phrase, ([iii est rare chez Sallusle , se rencontre souvent et presque partout dans Aronce. En voici la raison : C'est que l'un la pre- nait quand elle se présentait, et que l'autre fal- lait chercher quand il s'en voulait servir. Vous voyez par là ce qui arrive quand on se propose des défauts pour exemples. Sallustea dit : Aquis liiemantibus , pour signifier que les eaux étaient bien froides. Aronce , au premier livre de la guerre de Carthage, n'a pas manqué de dire : Repente hiemavit tempeslas, pour exprimer que la tempête était soudain devenue bien grande. En un autre endroit : Totus hiemavit annus, vou- lant dire qu'il avait fait froid toute l'année. Puis en un autre lieu : Ltde sexaginla ojierarias levés, prceter mililem et necessarios naiitanim, liiemantc Aquilone misit. Pour dire au fort du vent, il en- voya soixante vaisseaux de charge , outre les sol- dats et la chiourme. Enfin , il ne cesse d'employer ce mot "a tout propos. Salliiste a dit encore en certain lieu : Inter arma civilia œqui lioniqite fa- mas petit. Il cherche dans la guerre civile dos rc- putalious d'un homme de bien, au lieu de la répu- tation au singulier. Aronce ne s'est pu empûclicr de racllre aussitôt dans son premier livre : Ingénies essefamai de Regulo. Les répulaiions (au lieu de la réputation) de KcguUis étaient giaiidos. Ainsi, TOUS voyez que ces sortes de défauts qui viennent d'imitation ne sont point des marques de rclàclie- nicnl ou de corruption ; car on ne saurait con- naître l'inclination d'une personne que par les choses qui lui sont propres et naturelles. Si un homme est colère, son expression sera violente ; s'il est ému , elle sera plus pressée ; s'il est volup- tueux, elle sera molle et languissante. Le lan- gage de Mécénas et de tous ceux qui s'écartent du chemin ordinaire par dessein et non par hasard , ressemble, a mon avis, 'a ces gens qui se tirent des poils de la barbe, ou qui se l'arraclient entiè» rement ; qui se rasent le dessus et le dessous des lèvres^ et iHissenl croître le reste ; (]ni prennent des manleaux de couleur bizarre et des habifs dé- labrés, ne voulant rien faire qui puisse échapper a v la vue des hommes. Ils les provoquent et les obli- gent de se tourner vers eux ; ils ne se soucient pas qu'on les blâme , pourvu qu'on les regarde. Cela vient d'une mauvaise source: car, comme dans le vin , la langue ne bégaie point que la raison ne soil premièrement altérée, de même cette manière de s'énoncer que l'on peut appeler une ivresse d'esprit, ne plaît jamais il personne que l'âme ne soit cliancclante ou troublée. C'est pourquoi il faut avoir grand soin de celte âme, piiis(iiie c'est d"elle que nous tenons le sens, la parole, la con- tenance et le marcher. Tant qu'elle sera saine et vigoureuse, le langage .sera ferme et assuré; mais si elle se laisse une fois abattre, on verra aussi tout le reste tomber en ruine. Les lois n'ont de pouvoir (lu'autant que le roi vit. Notre esprit est un roi : tandis qu'il demeure entier, tout obéit et fait son devoir; s'il vient à chanceler tant soit peu, en même temps tout va en décadence. Car aussitôt qu'il s'est soumis à la volupté, ses talents et ses actions s'affaiblissent ; tous ses efforts sont languissants et sans vigueur. scriptit, fuit Sallustianus , et in illad gcnus nitens. Est apad Sallustiuin : Exercitum argento ftclt, > id est, pecu- nia paravlt. HocArruotius amare cœpit; posultillud om- nibus pagiais. Dicit quodam loco : Fugam nostri fccere. » Alioloco ; «Hiero, rei Syracusanorum , bellurn fecit. « Et alio loco : i Quse audita Pauoimilanos dfdcre Ro:iia- ni» fecere. • Guslurn libi dare volui : tolus hisoontexHur liber. Quaeapud Sallustium rara fuerunt, apud hunc cre- bra suDl et psne continua ; uec sine causa : illc cnim in hsBC incidebat, at hic illa qua?rel)at. Vides autem , quid ■equatur, ubi alicui \ilium pro exemplo est. DiiitSallus- tius : • aquis hiemantibus. » Arruntius in primo libro belli Puoici ait : t repente hiema>it tenipesias. » Et alio loco, quum dicere velU-t, frigidum nnnum fuisse, ait : « totus hiemafitannus. > Etalioluco : « lude sexaginla onerarlas, levés, praeler militemetnecessaiios nautarum, hiemante aquilone misit. • Non desinit omnibus locis hoc verbuni iafulcire. Quodam 1 >co dicit Sallustius : « Inter arma ci- vilia aequi bonique f imas petit. • Arruntius no:i teiiipera- vit, quo minus primo slatim libro poneret : i ingénies esie ramas de Reguli. » Hacc ergo cl rjnsniodi vitia , quse alicui impressit iml- talio , non simt in iicia luxuria? ncc animi corrnpti : pro- pria cnim (ss ' dcbml , et ex ipso nala, ex qnihus tu a»s- times alicujus affectus. Iracundi bominis iraconda oratio est; commoli niniis, incitata ; delicali, tenera et (luxa. Quod vides islos sequi , qui aut vellunt barbara, aut.in- tervellunt ; qui labra prcssius tondent et abradnnt, ser- vata et submissa ca'tcra parte; qui lacernas coloris im- probi sumunt, qui perlucentem togam ; qui noiunt facere quidquam, quod bominuni oculis transire liccat; irritant illos , et in se adverlunl ; volunt vcl reprehendi , dum con- spici : talis est oratio Mœcenatis, omniumque aliorum, qui non casu errant , sed scientes volentesque. Hoc a masno animi malo oritur. Quomndo in vino non an'.e lingna titubât, quam mens ccssit oneri , et inclinata vel perdit) est : ita ista oralio (qnid aliud quam ebrie- tas?) nulli m;ilesla est , nisi auimus laliat. Ideo ille ciire- tur : ab illo .sensus , ab lUo verba oxeunt; ab illo nobis est habitus, vultus, incessus. Illo sano ac valente, oratio quoque rolmsta, fortis, viriliscst : si illn procnbnit, et estera ruinam sequnnlur. Rcge incolinni . mens omnilm» ima est; Amisso, rupere fidem. Rex nostcr est animus : hoc incoinmi , caîtcra manent in officio, parent, obtempérant : qunm ille paulnm vacilia- vit simul dubitant. Qiiuni vcro ccssit voluplati, artfS 53. 83(i SÉNÉ Puisque je me suis sei'Ti de cette coiuparaisoii , je la veux continuer encore. Notre esprit est tantôt un roi et tantôt un tyran. H est un roi , quand il considère ce qui est honnête, quand il prend soin du corps qui a été mis en sa garde , et qu'il ne lui commande rien qui soit bas et honteux ; mais s'il est violent, avare, voluptueux, il acquiert cet infâme et cruel nom de tyran. Alors il est sollicité par les passions les plus fortes, avec quelque plai- sir au commencement, comme celui que reçoit le peuple dans les festins publics, oii, s'étant gorgé de viandes, il s'amuse après à manier ce qu'il ne saurait plus avaler; aussi, quand la débauche a ruiné les forces de ce voluptueux , et que les dé- lices ont pénétré dans ses nerfs et dans la moelle de ses os, il se contente de voir les choses de l'u- sage desquelles il s'est privé par sa trop grande avidité. Dans cet élat, il se rend ministre et té- moin des voluptés d'autrui; mais il n'est pas si satis''ait d'avoir en abondance tout ce qui peut chatouiller les sens , qu'il est chagrin de ne pou- voir faire passer dans son ventre tous ces mets dé- licieux , ni se mêler parmi ce troupeau de garçons et de femmes , et de voir que la faiblesse de son corps fait cesser une grande parlie de sa félicité. N'est-ce pas une manie, mon cher Lucile, que personne ne songe qu'il est mortel, inlirme, et qu'on n'est, après lout, (ju'un seul houniie? Voyez-vous dans nos cuisines ces gens qui courent après tant de feux? Pouvez -vous croire que ce soit pour un seul ventre qu'on apprête "a manger avec tant de bruit? Regardez nos caves remplies quoquc (jus actusquo marteat, et onmis ci languide lluioque (0;iatus est. Quoniam liac similitudine usus sum, perseverabo. Ani- nnis iiosler modo res est, modo lyianiius : rei, quum hnneita intuelur, s lutem coiiimissi s>l)l l'orporis curât, et niliil illi iniperat liirpe, uiliil ^o^didllnl; ul)i vcro im- piteiis, cupidus, delicalus est , transit in nonien detesta- l)iie ac dirum, et fil lyrannus. Tnnc illum eicipiunt af- fectusini[)oteDtes,et instant; qni initio qnidem paudent, utsoli't populus larjjiiione nociluia frustra pleuus , et, quœ non potest hauiire, conirectat. Quum vero inagis ac inagjs Tires niorbus Cicdit, et in niedullas nervosque desccnicre deliciae; conspectu corum , qnilnis se nimia av-dilale inutilein leddidit, lœtus, pro suis voluptatibus lial)et spectaculum alienaruu), subminisirator libidinum feslisque, qnarum usura sibi ingerendo al)stul;t : nec illi tamgratum estabundarejucuiidis, quaniaceibum, quod non oninera illuni apparatum per gulam ventremque Iraflsniittil, quod non cuin onini cxoletornni feminaruni- que lurba convolutatur; inceretjuc, quoi magna pars s'ja? Micitalis, exclusa corpnris angustiis, cessât. Kuni- iiuid en m, mi Lucili, in lioc furor non est , quod iiemo uûstruin nioilalem secogilat? quod nemo imbecilluui? imoiii illo, quod nemo nostrnm uunm esse se cogitai? Adtyice cuHnas noslras , et concurianlcs inler tôt ignés QUF. des vendanges de plusieurs siècles : pouvez-vous croire que ce soit pour un seul ventre que l'on au resserré les vins de tant de provinces et de tant de feuilles? Regardez combien de milliers d'hom- mes labourent la terre, et en combien d'endroits. Pouvez-vous croire que ce soit pour un seul ven- tre qu'il faille semer en Sicile et en Afrique? Cer- tainement nous aurions plus de santé et moins de cupidité, si chacun se voulait contenter de ce qu'il faut pour un seul , et mesurer son estomac qui ne peut pas contenir beaucoup ni le garder longtemps. Mais rien ne vous inspirera mieux la tempérance et la sobriété que de penser souvent à la brièveté et il l'incertitude de la vie. EnGn , quoi que vous fassiez , songez 'a la mort. epitrh: cxv. Que \c. discours est le miroir de Pârac. — Que lïime d'un liinnncde bien a dps liciutés surprenantes. — Que Ion a donué irop de crédit à l'or et à l'argent. Je n'approuve pas, u;ûn cher Lucile, que vous soyez si scrupuleux touchant les paroles et la ma- nière d'écrire. J'ai de quoi mieux occuper vos soius. Avisez "a ce que vous voudrez écrire, et non comment vous le pouvez écrire. Tâchez plutôt a le bien concevoir qu'à le bien débiter, atio que vous puissiez vous lapproprier et le mieux im- primer dans votre cœur. Quand vous verrez qu'un « homme a le discours poli et affecté , sachez que | son esprit s'attache encore à d'autres bagatelles. Une grande âme s'exprime avec moins de délica- coquos : unum videri putas vcnlrcm, cui tanto tamuitu comparatur cibus ! .\dspice vclerana nostra , et plena mul- torum sa;cuIoruni vindemiis liorrea : unum putas videri ventrem , cui tôt consulum regioaumque vina cludunturf Adspice , quoi locis vertalur terra , quoi millia coloaorum arent, fodiant; unum videri pulas ventrem, cui et in Si- ci lia, el in Africa serilur.' Sani erimus,et modica concu- pisccmus, si unusqnisque se numeret, et melialur simnl corpus, sciai quam nec multum capere, nec diu pnssit^ INihil tamcn ôequc tibi profueril ad temperauiiaui omniuni' rerum , quam frequenscogilatio brevis s\i, et hujus io- certi. Quidquid facics, respiee ad mortem. Vale. EPISTOLA CXV. DESCniUIT VIBTCTIS Pt'I.CBBITi;DI\EM : IFiDE l!l ISOBEa niVITUEDM. ISimis aniium esse te cire i verba et compositionem , mi Lucili, noio : habeo majora qnap cures. Quaere, quid scribas , non oa est ornamenluin virile c juciu- nitai. SI ncjlii» animum boni viri liceret inspicerc, c quam pulcbrani f .cicni, quani sanctani , qu ni cv iiiapnincu pla- • idoijue fulgeulem vid^renius; liinc jusiilia, iliinc forli- litiidlnc , hiiic lemperantia prudeniiaque luccntibus I l'raîter bas. friicalitas, et conline:ilia, et lolcrarilia, et lilicralitas comitasque, et (quis credat?) in hoiiiine ra- rum humanitas houuni , s{ilendori'ni illi suuin affuirde- rentl Taniprovidenlia, tnni eleganiia, et es islis magna- olmitas eminentissiina , quantum, Dii \xm\, decoris illi, quantum imndrris gravilatisque addcrent ! quanta esset cum gratia anc!orltas! !Semo illaiii aniahilem, qui non simul ïenerabilem , di -(ri't Si qu-s viderit banc Tac eni , altlorem fulgentiorenique (juani cprniintrr liuinana con- •ueTit, noDoe, vehit nuciiuis occursu.obstiipi fact'is re- •istat, et, ut fas sit vidisse , tacitus prccetur? Tum , evo- cante ipsa vultus lienignilate, produclus adont ac sup- plicet, et diu con'.emplatns muUum eistanteni , siq>raquc mensuram tolitorum iuteroos aspici elataui , oculis , mile quiddam , $ed nibilomioai vivido igné (Ingrantibus; tune deinde illain Virgiliiocstri vocem verens atque attonilus emittat : O : qu.im te memorem . virgo ? namqiie liaiid lilii yu.'Iu.i Murtcilis. nec vox lioniiiioni soii.ii. o De.i i>rte '. Sis fclix , iiustriiinque levés iiiixcuniqu-: labuie.u ! Aderit . leïabitque , si colère eani voluerimus. Coliliir au- teni, non lauroruni opiniis corporibus coulrofi .'atis, nie auro argentoquesusponso, nie iuthesauros stipe infusa; sed pia el reela voiuntate. ISeiiio , inquaui , non auiore cjus arderet , si nobis illani videre contingeret : nunc enini niulta olistrigill.mt , et acii m noslrain aut splendoreulmio rcperculiunl , aut ob- scurilale retinent. Sedsi,queniaiiinodiini visus ocuIoj uiu quibu-idani niedicanienlis acui solel et repnrgari, sic nos .•iciciM auiuii liberare impcdimentis voluerimus , pottri- mus pi rspicere virlulem, ctiam obrutani corporc, cliani paupertate opposita, etiam hnnjilitateel infaniia olijaceii- libus : Cl rnemiis, inquani, pulchriliidinem i.lani, qiianivii sonlido obtec;am. Rursus aqne nialiliani et arumnosi aniuii velernnni peiSfiiieniiis, (| lamvis niultus ciica iJi- >iiiaruni radianliuni splendir inipcdiat, et inluenteni bine honoruni, il me niagn.'ruin poleslaluni, falsa lui verberet. Tune Intel igere nol)is lieebit, quam conteni- ncnda niiremnr, smillimi pueris, quibus omnc ludicrnin in preli) csl. I',)r< nlibus quppe, nec minus fratribus. 858 SÉNÈQUE. a-t-il donc entre eus et nous, comme dit Ariston, sinon que notre folie, qui s'attaclieàdes tableaux et à des statues, est de plus grands frais que la leur: car ils se divertissent avec de petits cailloux bigarrés qu'ils amassent sur le rivage, et nous, nous nepre nons plaisir qu'à de grandes colonnes marquetées que nous faisons venir d'Egypte ou des déserts d'Afrique, pour soutenir quelque portique ou quelque salon capable de recevoir tout un peuple dans un festin public. Nous admirons des murs incrustés de marbre , quoique nous sachions ce qui est dessous. Nous sommes bien aises de trom- per nos yeux. Mais quand nous dorons nos cabi- nets, que faisons-nous autre chose que de pren- dre plaisir au mensonge? car nous savons qu'il n'y a que du bois la-dessous. Au reste, ce ne sont pas seulement les murs et les lambris que l'on enrichit par dehors. La féli- cité même des grands que vous voyez marcher la têle levée, n'est couverte que dune feuille de clinquant. Levez-la , et vous verrez combien il y a de misère cachée sous une écorce si légère. La môme chose qui a fait tant de juges et de magis- trats, est celle aussi qui arrête tous les juges et les magistrats, je veux dire l'argent; car depuis qu'il est devenu en crédit, le véritable honneur a perdu ce qu'il avait de crédit. Nous sommes de- venus marchands , nous achetons , nous nous ven- dons les uns aux autres; nous demandons non quelle est la chose , mais quel en est le prix. Nous sommes tnnlôt bons et tantôt méchants. Nous te- nons le bon parti, tant qu'il y a quelque chose "a proflter, tout prêts d'embrasser le mauvais, si l'on fait notre condition meilleure. En vérité, nos pères ont eu grand tort de mettre l'or et l'argent en si haute estime; le désir que nous en avons con- çu dans le bas âge, s'est accru avec nous. D'ailleurs, les peuples , qui sont contraires en toutes autres choses, se sont accordés en celle-ci; ils admirent l'or, ils le iouhailentii leurs enfants, ils le consa- crent à leurs dieux, comme une marque signalée de leur reconnaissance. EnOn, l'on en est venu a ce point que la pauvreté passe aujourd'hui pour un opprobre et une malédiction, méprisée des riches, et haïe des pauvres mêmes. Et puis les poètes ne manqueront pas d'échauffer tous les jours notre convoitise, par les éloges qu'ils donnent aux ri- chesses , les appelant l'honneur et l'ornement do la vie; ils croient, en effet, que les dieux n'ont rien de meilleur , et que c'est le plus beau pré- sent qu'ils puissent faire aux hommes. Le palais du soleil , porlé sur cent colonaes , Etait tout brillant d'or. Voyez son char : Il avait I essieu d'or et le timon aussi : Les lays étaient d'argent. En un mot, pour marquer le siècle le plus heu- reux , ils l'appellent le siècle d'or. Il se trouve môme dans les poèmes tragiques assez de per- sonnes qui, pour de l'argent, abandonnent leur conscience, leur honneur et leur vie. Que je passe pour fourl)e, liomnae injuste et sans foi Je m'en soucierai peu , tant que j'aurai de quoi. Citoyens , c'est l'or seul qui met le prix aux boinmes. Accumulez sans fin, mettez sommes sur sommes. Vous serez honorés. On dit, a-t-il du bien? praeferunt parvo œre empta monilia. « Quid ergointer nos et illos inteiest, ut Aristou ait, nisi quod nos circa tabulas et slatiias insanimus, carius inepti ? » Illos reperti in iiltore Ciilculi lasYcs, etaliqaid habentesvarielalis, dé- lectant; nos iiiRentiimi maculae columnarum; sive ex *pyptiis arciiis, sive ex Alri^œ solitudinibus advecla», poiticum alic|uam vel capaceni populi coenationem ferunt. Miranmr parictcs tcnui maniiorc inductos; quum scia- nius,quale sit quod absconditur, oculls nostris iniponi- mus. Et, qnum auro tecta perfiiriirans, qiiid aliud quam mendacio g: uiicnms? scimus eniin sub illo auro fœda li- (jna latitare. Nec lantinn parietibus aut lacunaribus orna- iTienlum tenue prœtendilnr; omnium islorum, quos in- ccdere alios vides, bracteata Iclici'.asest. Inspice, et scies, sub isla tenui membraua dignilatis, quantum mali jaceat. Ha!c ipsa rcs, quae tut niagistratus, tôt judices delinet, quœ et magif,tnitus et judices facit , pecunia , ex quo in honore esse cœpit, verns rernm honor cecidit : mercato- resque et vénales invicein facti, quajrinms, non quale sit quidque, sed quanti. Ad mercedeni pii snmus , ad mer- cedem inipii. Ilonesta, quanidiu aliqua illis spes inest, sequimur; in conlrarium transituri, si plus scelera pro- iiiiltent. Adniirationem nobis parentes auri argentique fe- eerunt; et tcneris infusa cupiditas altius sedit, crevitque nobiscum. Deinde tolus papulas, in alla discors , in boc ciinvenit; hocsiispiciunt, hoc suis optant , hordiis, velut rernm humanaruni maxinmm , quum grati ïideri Tolunt, consecraut. Denique eo mores redacti sunt , ut paupertas maIcdic;o probroqne sit, contempta divitibus, inrisa pauperibus. Accedunt deiude carmina poctarum , quae affeciibus nostris facem subdant , quibus difitiae , Teint unicum vita; decus ornamentumque, laudanlur.Nibil illis melius nec dare videntur dii immortales posse, nec ba- berc. Regia Solis erat sublimibus alta columnl», Clara micante auro. Ejusdem currura aspice : Aureus axis erat , temo aurcus, aurea «umma Curvatura rota;, radioriun argenteus ordo. Denique, qnod optimum Tideri volunt saeculum , aureum appellant. Nec apud grscos tragicos desunt, qui lucro innocentiam, salutem , opiuioneni bonam mutent. sine me vocari pessimum. ut dives vocer. An dives , oinnes qua;rimus ; nerao , an l>onus. Non quare, et unde ; quid habeas. tanlum rogaot. Ubicjue taiiti quisque , quantum habuit, tuit. Quid habere nobis turpe sit , quicris ? .\thii. ÉPITRES A LUCILIUS. S39 L'on ne demande pas d'où , ni p^r quel moyen. Il n'est point d'infamie à l'indigence égale : ArriTons, s'il se peut, à noire heure fatale. Étendus sur la pourpre, et non dans un grabat : Toute vie est cruelle en ce dernier ct.it. L'opulence adoucit la mort la plus terrible. Qu'aux nœuds du parentage un autre soit sensible; Pour moi , j'enrernie tout au fond de mon trésor. Si les yeni de Vénus brillent autant que l'or. Je ne lu'élonne pas qu'on la dise si belle , Que tout lui sacrifie, et soupire pour elle. Qu'ainsi que les mortels , les Dieux soient ses amants, etc. Ces derniers vers ayant été récilés dans la tra- gédie dEuripirstabit, quo equidcni nihil majus exislirno : nuuquam te pa^iiilebittui. Ad banc tam snlidam fcliciiatcm, quan) tempestasnutia concutiiit, non perduccnt te apte verba contexta , et oratio fluens leniter. Emt, ut volent; dum animo composilio sua con- stet, dum sit raagnus et opinionuni seturus, et ob ipsa, quac aliis displicent , sibi placens ; qui prorectum suuni vita a-slimct, et tanlumscirese judicet, quantum non cu- pit, quantum non limet. Vale. EPISTOLA CXVI OBJIISO EIPELLtSDOS PiSSE AFPECTUS. • Utrnra satins sit, luodicos liabere affectas, an nul- los, • sa-pc qua'siinm est. Nostri illos expellunt. Ptripi- S4!} SÉAÈQUE. qu'elles soient modérées. Pour moi , je ne vois pas plaisir dans (ouCes les choses qui nous sont néces- coniment une maladie, pour être médiocre, peut saires, non pour les faire rechercher , mais pour être salutaire. Ne craignez point de perdre, je ne nous engager aux actions sans lesquelles nous ne vous ôterai rien de ce que vous ne voudriez pas pourrions vivre. Quand on goûte le plaisir pour avoir perdu. Au contraire, je veux avoir delà com- la seule considération de la volupté, ce n'est plus plaisance pour tout ce que vous désirez, et que | que dissolution et débauche. Arrêtons donc lespas- vous jugez être ulile, néccsaire ou commode à la sions quand elles veulent entrer; car, comme j'ai vie; j'en ôterai seulenicnt les défauts dont vous ; dit , ellesentreotplusaiséraent qu'elles ne sortent, voulez bien qu'elle soit accompagnée. Car, en vous , Laissez aller, direz-vous, ma douleur et mon défendant de désirer, je vous permettrai en même '■ appréiiension jusqu'à certain point. Mais ce point temps de vouloir, alin que vous agissiez hardi- s'étendra bien loin , et ne Unira pas où vous vou- ineut , avec plus de certitude et avec plus de plai- drez. Un homme sage n'est pas obli.!é de veiller sir par conséquent. Pourquoi non? Je dis que sur soi; car il arrête sa tristesse et son plaisir quand vous goûterez mieux le plaisir si vous en êtes le bon lui semble. A nous, qui ne pouvons pas nous retirer si facilement, il est bon de ne pas si fort avancer. Panétius, h mon avis, n'pondit Lien ij propos a un jeune homme qui hu demandait si le sage devait aimer : « Nous parlerons du sage une maître, que si vous en étiez l'esclave. Il est si na- turel (me direzvous) de s'affliger de la perle d'un ami! laissez couler des larmes qui sontsilégilimes: il est naturel encore d'avoir soin de l'estime des hommes et d'être lâche qu'elle nous soit désavan- ' autre fois, dit-il. Cependant il nous faut garder tageuse ; pourquoi m'ôterez-vous cette crainte si honnête d'être en mauvaise réputation ? En vérité, il n'y eut jamais de vice sans excuse. )l n'y en a point qui ne soit, au commencement , timide et facile 'a vaincre ; mais c'est par là qu'il se donne de l'étendue. Si vous lui laissez prendre racine, vous ne l'arracherez pas quand vous vou- drez. Toute pafsion est faible dans sa naissance; elle s'échauffe dès sa sortie , et se fortifie dans son progrès. 11 est plus facile de la rebuter quand elle se présente^ que de la chasser quand elle est en- trée. Qui doute que toutes les passions ne viennent d'une même source? La nature nous a chargés du soin de notre corps ; si nous le traitons trop dé- licatement, c'est uu vice. La nature a mis du vous et moi , qui sommes bien éloignés de cet état de tomber entre les mains d'une passion si in quiète et si furieuse, qui ne tient compte de soi et qui Si' donne entièrement à autrui. » Car, si l'objet que nous aimons nous regarde, nous som- mes altiiés par sa douceur; s'il nous méprise, nous simimes échauffes par son orgueil. Ainsi, en amour, et la facilité et la difûculté sont également préjudiciables. La facilité nous engage, la difO- cuUé nous irrite; c'est pourquoi, connaissant comme nous faisons notre faiblesse, vivons en paix , ne nous commettons point avec les femmes, ni avec les flatteurs, ni avec le vin, ni avec les plaisirs. Ce que Panétius a dit de l'amour, je le dis de tetici tempérant. Ego non video, qnoinodo salubris esse aut ulitis possit ulla mediocrilas morbi. Noli tiiucre ! ui- hil eoruni, quie tibi non fis ncgari, eripio; facileni me, indulgentenique prœl)cbo relms, ad qiias tendis, et quas aut necessarias vite , aut uliles , aut jucundas pulas : de- traham vilium. Nam quum libicupere iuterdixero , velle permittam ; ut eadera illa intrepidus f^icias , ut certiore consilio, ut voliiptates ipsas magis senlias. Quidiii ad te magis peiïentura! sint.si itlls iniperiibis,quam si servies ? Sed naturale est , inquis , ul desiderio luiiici torquear; da jus laciimis tam juste cadeulitms. Naturale est opinio- nibuslioniinuni tangi , et adversis contiistari : qiiaremitii non pennitlas hune tam lioncslum malae opiiiionis me- tum ? — Nulluiu est vilium sine patrocinio ; nulli non ini- tium verecuniiuni est et exoral)ile : sed ab lioc latins fun- ditur. Non obtinebis, ut desinat, si incipere penniseris. Imbecillus est primo omnis atfectus ; deinde ipse se con- cilat, et vires, dum proccdit, parât : c^cludilur facilius, quam expellitur. Quis negat, omnes affecius a quodam quasi nalurali fluere principio? Curam nobis nostri na- f«ra niandavit; sed, huic ubi niniiuni indulseris, vitium . est. Voluptalem natura necessariis rébus admiscuit , non ut iltam petcremns , sed ut ea , sine quibas non possnmus vivere, gratiora nobis illius faceret accessio : si suo ve- niat jure , luiuria est. Ergo intrantilius resistamus , quia facilius, utdtu, non recipiunlur, q-iam eieunt. — Ali- quateuus, inquis, dolere, aliqualenus limere permittel — Sed illud aliiiuatenus longe producitur; nec, nbi vis, accipit fmem. Sipienti , non sollicite custodire se , tutum est; et lacrimas suas et voluptates , ubi volet , sistet : no- bis, quia non est regredi facile, oplinuimestomninonon piogrcdi. Elegan'er mihi videtur Pana?!ius respondisse adolescentulo cuidam quae renti : An sapiens araaturus es- set? « De sapiente, inquit, videbimus : mihi et tibi, qui adliuc a sapiente longe ab.ie en des queslions iiiutiks, vu ijue l,i vie est si coune. Vous m'attirez, et à vous aussi , beaucoup d'af- faires; et vous me jetez, sans y penser, dans un grand embarras, en me proposant des questions où je ne saurais quitter le parti des stoïciens sans les offenser, ni suivre leurs opinions sans trahir ma conscience. Vous me demandez si cet axiome des sloïciensest vcriiable : o Que la sagesse est un bien , mais que ce n'est pas un bien d'être sage. » Je vous exposerai, premièrement, le sentiment des stoïciens, puisque je vous déclarerai le mien. Nos sloïcicns licnnenl que ce qui est bien est corps, a cause que ce qui est bien agit, et que ce qui agit est corps. Tout ce qui est bien apporte du profit; il faut faire quelque chose pour avoir du prolit. Or, ce qui fait quelque chose est corps. Et . comme ils disent (jue la sagesse est un bien , ils sont obligés de dire aussi ([u'elle est nu corps.- Mais être sage, disent-ils, n'est pas de même: cela est incorporel , et survient a une autre chose, c'est 'a-dire à la sagesse; c'est pourquoi il ne fait rien et ne profile de rien ; aussi , quand ils ;liseiit : C'est un bien d'être sage ; ils rapportent cela "a son principe , qui est la sagesse. Écoutez ce qu'on leur répond , avant que je nie relire, et que je me range en un autre parti. A votre compte, leur dit-on, ce ne serait pas un bien de vivre heureux : 11 faut qu'ils répondent soit de gré ou de force , que la vie heureuse est nu bien, et que vivre heureux n'est pas un bien. Ou fait encore cette objection "a nos stoïciens : (I Voulez-vous être sage'? » C'est donc une chose qu'on doit désirer. Or, ce que l'on doit désirer est un bien. Us sont contraints d'altérer les paroles et d'ajouter une syllabe devant ce mot désirer; et, (luoi(iu'clle ne s'accommode pas à notre langue , je l'ajouterai pourtant si vous me le permettez. « On doit, diseut-ils, désirer, expetere , ce qui est bien , et adexpetere , ce qui survient au bien. Quand nous avons obtenu ce Lien , nous ne dési- de omnibas alTeclibus dico. Quantum possumus, nns a lubrico rccedamus; in sicco qiioque paruin forliter sta- mus. — Occurres hoc loco mihi itia pulillca contra Sloi- coc voce : • Mlmis magna promittitis , niniis dura pra-ci- pitisl >'os hoiuuncioncs suinus, omnia nnbis npgarc non possumus : doleblmus, sed parum; conciipiscemus , sed lemperate; irascemur, sed ptacabimur. • — Scis, quare non possumus isLi ?quia , nos possc, non credimus. Iino, mehercules, aliud est in re I Vitia nostra, quia amanius, detendimus; et malunius eicu.-are illa , quam exculeie. Satisnatura bomiui dédit rolioris , si illo utauiur , si vires DOSlras collignmus, ac tolas pro nobis, certe non contra nof , concitenius. Psolle in causa est; non posse prsetendi- lur. Vale. EPISTOLA CXVII. i.i, Qcia SiPie:iTiA bo:et, qui sapit. .Sapieiilia est mens perrecla , vel ad (ummum optiraumque perducla ; ars enim ïitas est. Sa- pereouid est? Non |X)ssum diccre, mens perfecla; sed id.quodcontinpilpci'frclammenlcMi hil>euti. lia allcrum est, mens hona : allerum, quasi habere menteni bonani. Suot, inquil , nalurx corporuni ; lanqu.im, hic bomo est, hic equus : bas deindc scquunlur motus aniiiiorimi enuu- liativi corporum. Ili habcnt propiinm quiddam , et a cor- poribus seduclum : tan(|uam, video Caloncm ambulan- tem; hoc scnsus oslendil , animus crédit. Corpus est, quod video, oui et nculus et animuui intcndi. Dico dcin- de, Cato ambulat. Non corpus, inquit, est, quod nunc kK|Uor; scd cnuuliaiivum quiddam de corporc , quod alii ' efTalum Tocant, alii cnunlialum, alii dictum. Sic, quum dicimus sapienliam, corporale qiiidilam inlelliginnis : quum dicimus, saiHl, de ciirpore loqnimiir. Plurinmm autem inlerest, ulruni illuni dicas, an de ilio. Pulemus in pra?seulia, isia duo esse : nondum cnim, quid mihi videalur, pronunlio : quid proliibei , quo mi- nus aliud quidem sit, sed nihilo minus biiniim? Diccbas paulo ante, alind esse agrntn; aliud, babere agrum. Quidni? in alla enim nalur'aest, qui bnbcl; in alla, quod liabelur : illa (erra esl, hic bomo e>t. Al in hoc, de qiio agilur, cjusdem naluia; suiit ulra(|ue, et qui liabcl sa- pienliam , et ipsa , quœ babi-lur. Pra'lerea iliic aliud est, quod habetur; alius, qui habel; bic in ecidcmesl.et quod habetur , et (|ui babel. Agerjurepossidctur; sapieii- lia nalura ; ille abalienari pntcst et alleii Iradi; ha'c non discedit a domino. Non esl ilaque , quod compares iiiler se dissimilia. Cfpperam diceie , posse isla duo esse, cl la- men ulraquebona : lanquarn etsapienlia , et sapiens duo sunl, et ulrumquc bouum esse concedis. Quomodo nihil obslat, quo miims cl sapientia'oonum sit, et babens sa- pienliam; sicuihilobslal, quo minus et sapienlia bonum sil , et habere sapienliam id est , saperc. Ego in hoc volo sapiens esse, ut sapiam. Quid ergu? non est id bonum.,.. 814 SENÈQUE. Quoi donc? ce dernier n' est-il pas bon sans lequel le premier ne serait pas boa? Vous dites qu'il ne l'audrait point recevoir la sagesse si on nous en défendait l'usage. Quel est l'usage de la sagesse, sinon d'èlrc sage? C'est ce qu'elle a de plus pré- cieux , sans quoi elle serait absolument inutile. Si la gêne est mauvaise, il est mauvais d'être gêné; cela est si vrai qu'elle ne serait pas mauvaise si vous étiez ce qui la suit. La sagesse est l'élat d'une âme parfaite. Etre .sage c'est l'usage d'une àmequi est parfaite. Comment voulez-vous que l'usage de la sagesse nesoil pas bon, puisque sans cet usage la sa- gesse ne serait pas bonne? Je vous demande si l'on \loit désirer la sagesse, vous en demeurez d'accord. Je vous demande si l'on doit désirer l'usage de la sagesse, vous l'accorderez aussi , car vous dites que vous ne la recevriez pas, si l'on vous en défendait l'usage. Ce qu'on doit désirer est bon ; être sage c'est user de la sagesse, comme parler c'est user de l'éloquence, et voir est user de la vue ; par consé- .]uent, être sage, c'est faire usage de la sagesse. Or, l'usagede la sagesse esta désirer. Il estdoncà désirer d'être sage; mais, s'il est'a désirer, c'est un bien. Il y a longtemps que je me fais ce reproche que j'imite ces philosophes en les voulant accii.ser, et que j'emploie inulilement des paroles pour véri- fier une chose si claire. Car, qui pont douter que si le chaud est mauvais, il ne soit aussi mauvais d'avoir chaud? si le froid est mauvais, qu'il ne soit mauvais d'avoir froid ? si la vie est un bien, que c'est un l)ien aussi de vivre. Mais toulesces questions n'occupent que ledeborsde la sagesse, et n'entrent point dans son fort oii nous devons nous réfugier. Que si nous voulons quelquefois prendre le large , nous y trouverons de beaux et grands promenoirs. Nous irons rechercher la nature des dieux ; de quoi se nourrissent les astres ; le cours différent des étoiles; si nos corps suivent leurs mouvements, et si leurs influences font naître et agir nos inclinations; si ce qu'on appelle hasard est attaché 'a certaine loi , el s'il n'y a rien dans le monde qui soit fortuit et téméraire. Je sais bien que tout cela ne forme pas les mœurs , mais il ré- crée l'esprit et 1 élève à la grandeur des choses donton l'entretient. An contraire, ces autres ques- tions le ravalent et l'affaiblissent au lieu de l'affi- ner. Mais, je vous prie, pourquoi se donner tant de peine après une chose qui peut être fausse, et qui sans doute est inutile, vu qu'on la pourrait employer en des sujets plus utiles et plus considé- rables? De quoi me servira de savoir si la sagesse est une chose, et si être sage en est une autre ; si celle-là est bmine , si celle-ci ne l'est pas? Je ne laisserai pas d'agir téméraire:i;ent; ayez la sagesse et que je sois sage, nous serons tous deux égaux. Faites mieux , montrez-moi le chemin pour y par- venir. Uiics-moi ce que je dois fuir et ce que je dois désirer, par quel moyen je pourrai guérir mes faiblesses, et rejeter bien loin tous ces désirs impétueux qui m'emportent et me font aller de travers; comment je pourrai soutenir tant de dis- grâces, et me défaire des maux qui s'attachent sur moi, et de ceux auxquels je me suis volon- tairement attaché. Montrez-moi comme je dois supporter l'affliction sans verser des larmes, et la félicité sans faire pleurer personne; comment je iioe quo nec illud bonum est? Vos cerle dicilis, sapica- tiam, si sine usu detur, accipicDdaiii non esse. Qiiis est usus sapienlia;? Sapcre : hic est iu ill.i prcliosissiniuiii ; iinodetraclo, supei-vacua fit. Si toi-iiieuta niala suut, torqiicri n:alujn est ; a.ieo (|i}idem , ut illa non siiit iiial.i , si, liim orit , profiigiam. Tiihil mibi videtur luipius , qiinni opiare inortcni. Nain si »is »i»ere, qiiiii oplss nuiri? siie non vis, (piid decis ro- gns qiind tihi Dascm.ti dcdiMin: ? Nain , nt rjuandoque moriaris, etiani invito posituin esl; nt quum VDies, in tua manu est. Allcruni t:bi iieirsse est; alterum licl. Tarpissniura his diebiis principinm discpii imlieicules virilegi: • Ita , in';uit, (inainprinnim nioriar ! » Ilonio démens ! (iptss rcni tiiain : • Kn quuinprininin nioiiar !• Portasse intcr tins voces -enex faclus es : alioqni , qiild in mora os ? mmo le tcnct ; cvade , qu;i visum est ! clige quaml^bet rcrum n.itnrae partfm , quam lihi pra'bere exi- luin jubeas ! II.tc ncnipe sunt et ckiiienta , quibus li:c mundus adniinislraïur , aqua , Icrra , spiritiis : uninia isia bm causa; viveuapere ; non , dispu!atinncnlis innnihus snblili^ateni vanissim im agitare. Tôt qu Sua satius est niala , quam aliéna , trartare; se cxcutcre, et videre, quam multarum reruni candidatus sit, et non sulTragari. Hoc est, mi Liicili, egregium , hoc sccnium ac liberum ; niliil petere , et Iota rorluDX comilia transire. Quam pulas esse jucnndum, tribubus vocatis,quum candidati in lemplis suis pendeant, etnilus numaios pro- nuotict, atins per sequeslrem agat, abus eurum niaiius osculis conterai , quibus desigualus contlagendam manum negalurus est; omnes, altouiti, Tocem prieconis eispec- lant; — slare otiosum, et spectare itlas nundinas, nec cmcnlera quidquam,Dec vcDdenlem?Quanlo hic majore gaudio frnllur, qui non pra^toria aut consularia comilia sccunis iiiiuclur, sed magna illa, in quibus alii honores anaivcrsarios peiuut,^lii perpétuas poteslalcs, alii bet- lorum cvcntus |)n)speros 0'iuniph<>si|ue , alii divilias , alii matiimonia ac liberns, alii .s.iluteni suam suoiunique I Quanti animi res est, solurn niliil petere, niilli supplica- re, et dicere ; • Nihil niilii leeum, furluna I Non facio niei libi copiam! scio apud te Calones repclli , Valinios fieri ; niliil nigo I » Hoc est pri\alani facere fortunam. — Licel ergo ba-c invicem scriliere, et hauc integrara seni- per egerere nialcriam , circunispicicnUlius loi milli.i bo- minum iiiquiela; qui, ut aliquid pcstiferi conse(|uantnr , per mata nilunlur iu nialum, pitiiiilquo moi ftigieiida , anl etiani fasiidienda. Cui enini assoculo salis fuit, quod optanti nimium videbalur? !Non est , ul exislimaut bouli- nes, avida félicitas, sed piisilla ; lta(|uc nciiiinem salial. Tu ista credis eicelsa , quia longe ali illis jaces ; ei vcro , qui ad illa perveuil, buiiiilia >unt. Menlior, nisi adtiuc quccril ascendere : istuc, quod tu summum pulas, gra- dus est. Onines aulciii niale halictignoranlia veri. Tan- quam ad bona feruntur, decepli rumoribus : deinde, mala css?, aut iuauia , aut minoi'a quam speraverint. 848 SÉNÈQUE. ou moindres qu'ils ne l'avaient espéré. La plu- L'iioiinclc esl part des liommcs adniircnl ce qui brille de loin , et les choses qui sont grandes passent ordinaire- ment pour bonnes dans l'esprit du vulgaire; mais, de peur que cela ne nous arrive , voyons, je vous prie, qu'est-ce qu'on appelle bien. . On l'a interprété diversement ; les uns l'ont dé- fini d'une façon, les aiilrfs d'une autre. Quel- ques-uns le délinissent ainsi : C'est ce qui invile nos esprits, c'est ce qui nous appelle 'a soi. L'on olijecle aussitôt : Mais s'il nous appelle pour notre ruine? Car vous savez (ju'il v a des maux qui sont flatteurs. Le vrai et le vraisemblable diffèrent en ceci, que le bien est joint avec le vrai; car il ne serait pas bien, s'il n'élait vrai. Mais ce qui nous attire el s'insinue dans notre cœur, il n'est que vraisemblable. D'autres ont défini le bien : C'est ce qui se l'ait dé.sirer, c'est ce qui échauffe l'esprit à sa poursuite. Ou fait encore la mCnie objccliou : H y a bien des choses qui échauf- fent l'esprit, et qu'il recherche pour sa perle. Ceux-là ont mieux rencontré, à mon avis, qui ont dit : Que le bien est ce qui excite le désir de l'âme, conformément à la nature. Et en effet, le 6ien n'est "a désirer que lorsqu'il commence "a être désirable, je veux dire lorsqu'il est honnête, qui est ce que l'on doit parfaitement désirer. Cet endroit me fuit souvenir de vous marquer la différence qui est entre le bien et l'honnête ; il y a quelque chose de commun entre eux qui n'en peut êlre séparé; car rien ne peut être bon s'il n'a quelque chose d'honnête. Le bon aussi est toujours honnête; quelle est donc leur différence? 1 perfection du bien qui rend la félicité accomplie, et change en bien tout ce qu'il lonche; voici comme je l'entends. H y a des choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises, comme une charge soit dans la guerre ou dans la justice, une ambassade. Ces choses étant honnêtement admi- nistrées, commencent 'a être bonnes, et ne de- meurent plus dans un état indifférent. Le bien s'engendre en la compagnie de l'honnêle; mais l'honnêle est bien de son naturel. Le bien vient de l'honnête; mais l'honnête est tel de son chef. Ce qui est bon a pu être mauvais; mais ce qui est honnête n'a pu être que bon. D'autres, enfin, ont apporté celte définition : Le bien est tout ce qui est selon la nature. Écimlez bien ce que je dis. Ce qui est bien est selon la nature, mais il ne s'ensuit pas que tout ce qui est selon la nature soit bien; car il y a beaucoup de choses conformes à la nature, qui sont légères et de si pelile considé- ration qu'elles ne méritent pas le nom de bien. Or, il n'y a point de bien , pour léger qu'il soit , que l'on doive mépriser; car, lant qu'il est petit et léger, il n'est pas bien , et silôt qu'il acquiert la nature de bien, il perd la qualité de petit. A quoi donc reconnaît-on qu'une chose soit bonne? si elle est parfaitement selon la nature et que c'est son véritable caractère. Vous avouez encore qu'il y a des choses selon nature, qui , toutefois, ne sont pas des biens : comment se fait-il que les unes soient biens, et que les autres ne le soient pas? Qui leur a donné une marque différente, puisqu'elles ont louies cela de commua d'être se- lon la nature? C'est seulement la grandeur. adepli ac inulta passi , vident ; majorque pars miralur ex intervallo fallenlia, et vulgo magna pro lionis sunl. Hoc ne noliis qiioquc e\enial, qna'ianins, « quid sit lionum I » Varia ejus intcrpretalio init ; (inivit lioc alius alio modo , alius illiui alits-r exprcisit. Qnidam ita finiunt : « linnuni est, quod invllat aniuios, qiiod ad fc vocal. » Iluic slaliin opponitur : Quid? si invitât (piidem , fcd in perniciem? scis, qiiaiii ninlla mala hlanda sint. Verum, et veriiiiiiile, int r se dffcrnnt i:a : quod bnnnm est, vero jungitur ; non esl enini bonum, nion:j fiunt. Quoddico , taie est. Sunt qua?dt; quum bonnm e.sse cœ- pil, non exiguum esl. Unde agnosciinr bonum? si pcr- fecte secundum naturam esl. — Fatiris, inquis, quod lionum est , s: cimdum naluram esse ; liaec ejus propiietas est : fateris.pt alia secundum natiinieDtât riche II faut emprunter de soi même. — Le nécessaire est toujours prêt, mais le supei-nu est diriicile à recouvrer. Quand j'ai trouvé quelque chose, je n'attends pas que vous médisiez :J'y reliens part. — Je le dis j)our vous. Voulez-vous savoir ce que j'ai trouvé. Ouvrez la main , il n'y a qu "a prendre. Je vous montrerai comme vous pouvez vous faire riche en peu de temps ; je crois que cela ne vous dé- plaira pas. Vous auioz raison, car je vous con- duirai à une haute fortune, par un chemin bien court; mais il vitus faudra fa re quel(|ue emprunt pour établir votre négoce; vous n'aurez pas be- soin d'un courtier (|ui annonce votre billet; car j'ai un créancier tout prêt. C'est ce précepte de Catou : Tu emprunteras de loi-même; pour peu que ce soit, il snfiira; s'il y manque quelque chose, nous le prendrons sur nous-mêmes. Car il est indifférent, mon cher Lucile, de n'avoir point une chose, ou de ne la désirer pas; le point con- siste à ne s'en pas mettre en peine. Je ne prétends pas vous obliger à rien refuser à la nature; elle natnram esse? — Ipsa (cilicet magnitudine. Nec )ioc no- Tuiu est, (|uxdam crescendo mulari. Tiifans fuit, factus est pul)es ; alla ejus proprietas fit : ille enim irrationalis est, bic ratiouali^. Quxdain incremeuto non tantum In majuseipunt, sedinaliud. — IS'onfit ,inqult,aliud, quod aiajus fit : utruni lagenam an dolium impleas vino , nitiil referl; in utroque proprietas vini est : eiiguum mellis pondus , ei magno, sapore non differt. — Diversa ponis eieiupla : iu istis enim eadeni qualitas est; quamvis au- geaiitur, nianent. Qusdaro, amplilicata, in suo génère et iu sua proprictate perdurant; qusdam, post niulta iu- Cicuienla, ultima deniuni ver.it adjeclio; et noviim illis, aliaii:que, quaiu in qua fucrunt, rondiiioneni impriniit. Unus lapis fecii foroicem , ille qui lalera imiinala cu- aeavit, et inteiventu suo vinxii Summa adjeclio qu^Te plurinmm facit, vcl eiigua? Quia nonauget, sed implet. Qua'dam processu priorem eiuunt formant et in novam Iranteunt. Ulii uliquid animus diu prolulit, et, magni- tudiuem ejus srquendo, lassatus est, infinitum cœpit to- eari ; quud longe aliud factura est, quam fuit, quum mag- num vid( retur sed linitum. Eodem modoaliquid difricultcr secari cogitavimns; novissime, crescente difficutlatc, in sccabile invcntum est. Sic ab eo, quod vij et aegre uio- vebatur. processimus ad iuunubile. Eiidem rtitiunc aliquid secunduni naturam fuit; boc in aliam proprietateiu nia- gnltudo sua translulit, et boaum fecit. Taie. EPISTOLA CXIX. DIVITEM ESSE, QUI CLPmiMBUS IJIPF.BIT. Quoties aliquid inveni, non ex8|iccto, donec dicas : in commune! — Ipsc mihi dico. Quid sit, quod invencrim , qua'ris ? siuum taxa , nierum lucruui est I Duccbo , (juo- modo lieri dives celerrime possis ; quod Viilde cupis au dire, necimmrrito : ad maiimas tedivitiascompendiatia ducam. Opus eiit tamen tibi creditore ; ut ntgotiai i pos- sis, a-s alienum f^icias 0()Or;et : sed nnio pcr inlercesson m mutueris, note proienetie nomen tunm jactcnt. Paratum tibi (Tcditurenidabu, Calouianuin illum : « A te niutuuni sûmes. » Quanlulunicumque est, satis erit, si, quidquid deerit, id a nobis petierinuis. Nihil enim, mi Lucili, m- tercst , utrum non desideres , an babeas. Summa rei in utroque est eadrm; non loripii'beris. ^ec illuii prajcipio, 54 i^SO SÉNËQUE. est opiniâire, elle est absolue, elle demande ce qui lui est dû; mais il faut lui faire voir que ce qu'on lui donne au-delà est volontaire et n'est point du tout nécessaire. Avez-vous faim? il faut manger ; la nature ne se soucie pas si le pain est bis ou blanc ; elle n'a soin que de remplir le ven- tre , non pas de le flatter. Avez-vous soif? Il n'im- porte 'a la nature si c'est de l'eau puisée dans un étang, ou rafraîchie dans la neige ; si on la met dans une coupe d'or, de crislal ou de myrrhe ; dans un verre de Tivoli ou dans le creux de la main , pourvu qu'elle étanche la soif. Si vous con- sidérez la fin principale de chaque chose , vous négligerez le superflu. Si vous avez envie de man- ger, prenez tout ce qui se rencontrera, il vous semblera excellent; car on trouve tout bon quand on a faim. Voulez-vous donc savoir ce que j'ai trouvé, qui m'a si fort plu et qui me semble si bien dit? Le voici : Le sage est un grand inquisiteur des ri- chesses naturelles. Vous me repaissez, direz-vous, (l'une viande creuse. Qu'est-ce que cela? J'avais (t(\j"a disposé mes affaires, je regardais dans quel parti j'entrerais , sur quelle mer je traflquerais et (lueilo marchandise j'en ferais venir : c'est se mo- quer des gens de leur prêcher la pauvreté après leur avoir promis des richesses. Quoi, estimez- vous pauvre celui qui n'a faute de rien? 11 en est rililigé, répondrc/.-vous , à sa patience , et non pas il la fortune. C'est donc que vous ne le croyez pas riche, à cause qu'il ne peut cesser de l'être? Ainieiicz-vous mieux en avoir beaucoup que d'en avoir assez? Sachez que quand on en a beaucoup on en désire encore davantage, qui est une mar- que que l'on n'en a pas assez. Mais celui qui en a assez est venu au point où le riche n'arrive ja- mais. Ne sauriez-vous croire que ce soient effec- tivement des richesses , "a cause qu'elles ne fonl proscrire personne, à cause qu'elles ne provo- quent point le fils à empoisonner sou père, et la femme son mari? A cause qu'elles sont en sûreté durant la guerre, et en repos durant la paix? A cause qu'il n'y a point de péril à les posséder, ni de difficulté à les gouverner? Est-ce avoir peu de bien que de n'avoir ni froid , ni faim , ni soif? Jupiter même n'en a pas davantage. En vérité , ce n'est pas peu que d'en avoir assez; car quand on n'en a point assez , on en n'a jamais beau- coup. Alexandre, après avoir vaincu Darius et conquis les Indes, se trouve encore pauvre. Pour s'enrichir, il va chercher des mers inconnues, il jette de nou- velles flottes sur l'Océan, il force, pour ainsi dire, les barrières du monde. Ce qui suffit à la nature ue suffit-il pas à un particulier? Non ! 11 s'est trouve • un homme, lequel, après avoir tout envahi , dé- sirait encore quelque chose : tant est grand l'a- veuglement de nos âmes et l'oubli de notre pre- mière condition , quand nous voyons nos affaires avancées. Un prince , qui naguère était 'a peine possesseur paisible d'un petit coin de terre , n'est pas content d'une conquête de si vaste étendue , à cause qu'il ne trouve plus de pays à son retour pour le subjuguer. Jamais l'argent ne fait ua homme riche, au contraire, il augmente d'autant plus son avidité. En voulez-vous savoir la raison ? lit aliquid naturas neges; contumai est, non polest vinci, suiiin poscit:scd, ut quidquid naturam excedit, scias prccariuinesse, non necessarium. Esurio; edendum est: utrum bic panis sit plebeius, an siligineiis , ad nataram nibil pcrtinet. Illa ventrem non delectari tuU , sed im- plcri. Silio; mrum haec aqua sit, quam es lacu proximo exccpcro , an ea , quam multa nive clusero , ut rigore re- frigerelur aliène, ad natuFfim nihit periiiiet. Illa hoc nnum jubet, sitimexslingui : utrum sitaureurapoculum, an crj slallinuni, an niurrhinum, an Tiliurlinus calix , an maiius coacava, nihil refert. Finem omnium reruin specla; «tsupervacua dimittes. Famés me appellat : ad proxiraa qua'quc porrigatur manus; ipsa mihi comraendabit , (|uodcunique comprehendero. Nihit conlemnit esuriens. Quid sit crgo, quod me delectaTerit , quaeris. — Vide- lurniilii egregie dictum : « Sapiensdivifiarumnaturalium est qua'silor acerriraus. » Inani me, inquis, lance mune- rasl Quid est istud? Ego jamjain paraTerara liscos; cir- cunispicicliam , in quod me marc ncgotiaturus immitte- reni; auod pulilicum agit.ircm; quas arcesserem merces. Dccipere est isliid , docere paupertaleni , quum divitias proii.iscris. — lia lu pauperomjudicas,cui nihit deesl? — Sun, Inq' is , et patientia» su.t ticnelicio , non fortunae. — Ideo ergo illum non jadicas divitem , quia divitiae ejiu de- sinere non possnnt ? Utrum majus : hatiere mnltun , an sa- tis?Quimuttum habet.pluscupit; quod est argumentum, nondum iltura satis habere : qui satis babet, consecuhis est, quod nunquam divitiis contigit, finem. An bas ideo non pulas esse divitias, quia propter illas nemo proscriptusest? quia propter illas nuUi venenum fiUus , nulli uiorimpegit? quia in belle tuts sunt? quia in pace otiosse ? quia nec ha- bere illas periculDsum est, nec operosum disponere? An parum babet , qui tantum non alget , non esnrit , non sitit? Plus Jupiter non babet. Nunquam parum est, qnod satis est; et nunquam mnitumest, quod satis non est. PostDa- rium et lodos pauper est Aleiander Macedo : mentior; quserit, quod snum faciat, scratatur maria ignota, in Ocea- num classes mittit novas, et ipsa, ut ita dicam, mandi claustra pernimpit. Quod naturae satis est, bomini non est I Inventus est, qui concupisceret aliquid postomnia : tanta est caecilas mentium , et tanta initlorum sacrum unicui- que,quum processit, obliyio ! Ille , modo ignobilis an- guli non sine controversia dominus, tacto fine terrarum per snum redilurus orbem , Iristis est. Ncininem pecunia divitem fecit : immo contra , no non iiiajorem sui cupiditatem incussit. Quaeris , cpite sit^ EPITRES A LUCILIUS. 831 C'est que plus on en a, plus on est en état d'en avoir. Après tout, faites venir lequel vous voudrez de ces riches qui sont les Crasstis et les Licinius de notre siècle; qu'il apporte ses registres, qu'il compte tout ce qu'il a et tout ce qu'il espère : a mon jugement , il est encore pauvre ; au vôtre même, il le peut devenir. Mais celui qui sait s'accommoder aux nécessites de la vie , non-seule- ment îl ne sent plus, mais il n'appréhende pas même la pauvreté. Sachez pourtant qu'il n'est pas fort aisé de se réduire au pied de la nature , car le pauvre dont je vous viens de parler peut avoir quelque chose de superflu. Los richesses attirent les yeux du peuple , et l'on est étonné quand on voit sortir d'une maison beaucoup d'argent comp- tant, quand le dehors et le dedans est bien doré, quand les domestiques sont propres et bien faits. Tout cela n'est qu'une félicité apparente et exté- rieure. Celle de l'homme que nous avons soustrait à la puissance du peuple et "a la fortune est solide et intérieure. Car au regard de ces gens a qui l'embarras des affaires donne 'a faux Ip nom de ri- ches, ils ont les richesses comme on dit que nous avons la lièvre, quoique ce soit elle qui nous tienne; nous pouvons dire de môme les richesses les tiennent. EnOn , je n'ai qu'un avis "a vous don- ner, lequel je ne saurais .nssez recommander : c'est dé mesurer toutes choses aux désirs de la nature , laquelle on peut contenter sans qu'il en coûte rien ou fort peu de chose. IN'y mêlez point de luxe, et ne vous souciez pas sur quelle table , daus quelle vaisselle, ni par combien d'écuycrs votre viande sera servie; la nature ne désire que ce qu'il faut pour manger. Pour éteiodre la soif quand elle est bien ardente Demandons-nous à boire en un vase de prix? Et pour rassasier la faim qui nous tourmente Faut-il n'aToir recours qu'aux mets les plus exquis; La faim n'a point d'ambition , elle ne cherche qu'à se remplir, et ne se soude pas de quoi. Mais la gourmandise a cela d'incommode , qu'étant soûle elle tâche de se remettre en appétit . et qu'é- tant désaltérée elle appelle encore la soif, cher- chant plutôt a se farcir le ventre qu'à le remplir. C'est pourquoi Horace a dit fort à propos : Que la soif ne regarde pas dans quel pot ou par quelle main on lui présente à boire. Car si vous croyez qu'il soit de votre honneur que ce soit un beau verre et un échaoson bien frisé, vous n'avez pas soif. C'est une des plus grandes faveurs que la na- ture nous ait faites, que d'avoir ôté le dégoût à la nécessité. On a la liberté du choix dans les cho- ses superflues. Ceci , dit-on , n'a point de grâce , cela me seml)le grossier, cela choque la vue. Mais ce grand architecte du monde, en réglant notre manière de vivre, a eu soin de notre santé, et non pas de nos délices. Ce qui regarde notre nourriture est tout prêt et facile à prendre ; mais ce qui sert à nos délices ne se recouvre qu'avec peine et diflicnité. Servons-uous donc d'un présent si considérable que nous avons reçu de la nature, et soyons persuadés qu'elle n'a jamais plus obligé les hommes, que d'avoir fait qu'ils prennent sans ' dégoût tout ce qu'ils désirent par nécessité. bujof rei causa? Plus incipit h;d>cre posse, qui plus ha- l)et. Ad summam, quem yoles niihi ex his, quorum no- miiia cum Crasso Licinio.|iie numeranlur, in médium li- cet protrabas; afferat censura, et, quidquid hatiet, et quidquid sperat, simul computet : iste , si mlhj credis, pauper est ; si til>i , potest esse. At hic , qui se ad id , quod Dalura eiigit, coniposuit, non tanlum extra sensum est p.iupertalis, sed extra melum.Sed, ut scias, qiuim difO- die am si pertinere ad te judicas, quam crinitus puer, et quam perlucidum tilu poculum porrigat, non sitis. In- ter reliqna, liocnobis pra'slitit natura praecipuum , quod necessitati fastidium excussil. Recipiunt gupervacua di- lectum. — Hoc paruin decens; illud parum laudatum, oculos hoc meos la'dit 1 — Id actum est ab illo mundi con- ditore, qui nobis vivendi jura descripsit, ut salïi esse- mus, non ut delicati. .\d salutem omnia parata sunt, et in promptu : dc'lic;ls oninia misère ac sollicite comparan- tur. Utamnr crgo hoc natura; beneficio , inter magna nu- merando; et cogitomus, nullo nomine meUus illam me- ruisse de nobis, quam quia, quidquid ex necessitate de- sideratur, sine fastidio surailur. Vale. 51. 8S2 SENE El'lTIU. CXX CDiiiment nous ost venue la première connaissance du liien et de ce qui est honnête. — Que l'homme n'est presque jamais égal et pareil à soi-même. Voire Icllre s'est étendue sur pliisiours ques- tions; mais elle s'est arrêtée "a une seule dont vous me denwndcz la résoUition ; savoir : Coranicnt nous est venue la première connaissance de tout ce qui est bon et de ce q;ii est lioniiête. Ce sont deux choses différentes chez les aulres ; mais clnz nous, elles ne sont que séparées. Je vais vous dire ce que c'est. Quelques-uns prennent ce qui est l)ou pour ce qui est ulile ; mais ils en font si peu de cas qu'ils le ravalent jusqu'aux choses les plus basses, et donnent le nom de bon à l'argent, au vin , à un cheval , à un soulier. Ils appellent hon- nête tout ce qui concerne les devoirs et les obli- (;alions légitimes , comme d'avoir soin de son (icre dans la vieillesse, d'assister son ami dans sa pau- vreté, de bien conduire une armée, de donner un bon avis. Il est vrai que d'une seule chose nous en faisons deux ; car rien n'est bon qui ne soit lion- uêle, et ce qui est honnête est pareillement b'>n. Je crois qu'il est inutile de marquer en quoi ils diffèrent, parce que je l'ai dit souver.t. Je dirai donc seulement que nous n'admellons point pour bon ce de quoi l'on peut mal user. Vous savez comme plusieurs font un mauvais usage des riches- ses, des forces du corps et de la noblesse. Mais je reviens au sujet dont vous voulez que je parle; sa- voir comment nous est venue la première connais- sance de ce qui est bon et de ce qui est honnête. La nature ne nous l'a pas appris; car elle nous a bien donné quelque semence des sciences , mais QIE. non pas les sciences mêmes. Quelques-uns ont dit que celle connaissance nous est venue foi- tuitemcnt ; mais il n'est pas "a croire que l'imaire de la vcriu se soit jamais présentée "a personne par hasard ou par rencontre. Pour moi , j'estime que cela vi'nl plulôl de l'observation des choses qui sont souvent arrivées , lesquelles , ayant été re- cueillies et comparées entre elles, notre discerne ment naturel a jugé ensuiie ce qu'elles avaient de bon et d'Iionnêlo par analogie et par rapport. Je ne rejetle pas ce mot d'analogie , et ne le veux point renvoyer à son origine, puis(|n'ii a plu 'a nos grap.iraaiiiens latins de le naturaliser. Je m'en servirai donc, non comme d'im terme toléré, mais comme d'un terme usité, et vous dirai ce que c'est qu'analogie. Nous avions connu qu'il y avait une santé du corps , nous jugeâmes de 1h qn'il y avait aussi une santé de l'âme. Nous avions connu qu'il y avait une force du corps, nous ju- geâmes cnsnite qu'il y avait une force de l'âme. Certaines actions de bonté, de générosité, nous avaient étonnés; nous commençâmes a les admirer comme choses excellentes et parfaites. Il y avait ponriant plusieurs défauts cachés sous la splen- deur de quelque belle action. On les dissimule par une ii,clii\ation naturelle que nous avons d'é- tendre les choses qui méritent louange; car il n'y a personne qui ne porte une action glorieuse au- del'a de la vérité. C'est de tout cela que nous avons tiré l'idée du souverain bien. Fabrice refu.sa les présents du roi Pyrrhus , el crut que le mépris qu'il faisait de son argent valait mieux que sa couronne, i.c médecin de Pyrrhus lui vint offrir d'empoisonuer le roi ; il l'averlit aussitôt de se donner de garde. Ce fut un même trait de géué- EPISTOLA CXX. QUOMODO BOIVI BOSESTIQllE NOTITIi AD SOS PEBVESEIllT. Epistiila tua perpluresquapsliiinculasvagalaest, sed in una conslilit , et Iiauc espediri desiderat : « Quomodo ad nos l)oui honestique notifia pervenerit? » — Haec dno apud alio.; divorsa sunt, apud nos taniuin divisa. Quid sit huc, dicim. Boniiin putant esse aliqni, qiiod utile est: jlaqiie hoc et divitiis , et ei|U0 , et viuo , et calceo nomen iiiipouuut; tanta lit ;ipnd illos boni vililas, et adeo in sirdida uique descendit. Iloneslum putant, cni ralio rccli officii constat; tanquani, pic curalani patris senec- tuleni , aiijiilam smici paupertalem, fortem expeditionem, prudenteni moderaiamijne sententiam. Is!a duo quidem facinius , sed ex uno. ÎSihil est tiouum , nisi quod hones- tum est; (jnod honestum est, utique honora. Supcrva- tuuin jiidico adjitere, q;iod in'.er ista discriminis sit, (]UU!iisa,'pedixermT. Ilncunumdicam, niliilnobis bonuni \ideri, quoqn .s e; ni:,lenti pot^ si : vides autem, diviiiis, uoUililalc, viiibus, quam miilti maie ulanlur. Nuus ergo iid id nvuilor, de (|uo dfsideras dici : • Quomodo ad ii's prima boni honps!i;!ue nolilia pervc- nerit. < Hoc nos natui a docere non poîuit ; seinina nobis scientiae dédit , fcienliam non dedil. Quidam aiunt, no» in notitiain incidisse; quod est incrpdb.iln, Tirtutisaliciii speciem casu nccorri .l qoi^ Tult, inquii, sic euntem sequi ! > dnditquc sein prac- cep«; et non minus sollicitus in illo rapidoalveu ttuiiiinis, atarniatus, quam uttalvusexiret , retenloarnioruin vic- tricium décore , tam tutus rediii , quam i>i pi)n!e veuitset. Hscetejusniodi facta imaginem nobisostenderevirtuti^. Adjiciam, quud mirum fortasse videatur : niula in:er- duni apecieni honesti obtulerunt, et optimum ei contrario nituit. Sunt enim, ut sois, Tirtulil)us vitia conllnii, et perditis qnoque ac lurpibus recti aimilitudo est. Sic nicii lilur prodigus libcralem ; quum plorimuni ialvrsit , titruin <|uis dare sciât, an servare uesciat. Muiti , ini|uani , snni , l.ucili, (|ui u in donant, .^oit proiieiuii': non voco ego lilieraleni, ptcunilica et privata saucle ac ret.giosc iidniinistrantein ; non déesse ei in bis quai tolerandu ciaiit, pUientiam, in hisqua' agenda, prudentiani ; vidi- mns, nt)i trilmendum esset , pli'iia niann diintuin; ubi la- twraiidnin , pertinacem ctolinoviuin , etla»: iliidiiieniciii- pnris aniino BiiWevanteni. Pra'leiea idem eiat semper, et In oinni actu par sibi; jain non consilio Ikmiiis, sed more eo («"rductus, ut mm liinlnm rccle faccre posset, nisi lecle, faccre non possel. Iiilcllexinms in illo pcrfec- tam esse virtntem. Ilanc in panes divisinius : oporteliat cupidilaies rcfrïaari, nielus comprimi, facicuda proti- '854 SÉiNÈQUE. la convoitise , chasser la crainte , prévoir ce qu'on devait faire et distribuer ce qu'on devait rendre h autrui. C'est ce qu'on appela tempérance , force, prudence et justice, et on leur assigna a chacune ses fonctions. A quoi donc avons-nous connu la vertu? A l'ordre qu'elle tient, à sa beauté, à sa fermeté, à l'uniforrailé de ses actions et à sa gran- deur, qui s'élève sur tout ce qu'il y a dans l'uni- vers ; c'est par là que l'on a connu cette vie bien- heureuse qui coule et se passe agréablement, ne relevant du pouvoir de personne, et cela même comment l'a-t-on connu? Je vais vous le dire. On a vu que Cf t homme vertueux et parfait ne murmurait jamais contre la fortune , qu'il ne s'at- tristait point des événements fâcheux , et que , se réputant citoyen et soldat de cet univers, il sup- portait toutes sortes de travaux, comme s'ils lui eussent élé coriimandés; qu'il ne s'affligeait point de ce qui lui arrivait , comme d'un mal tombé sur lui par hasard ; mais qu'il le recevait comme une chose qui lui est envoyée, disant: Cela, tout amer et fâcheux qu'il est, s'adresse a moi; faisons-en notre devoir. Un tel homme parut grand par né- cessité, c'est-à-dire qu'il lui élait impossible de ne le pas être, vu que le mal ne le faisait point gé- mir ni se plaindre de. son sort, il se faisait connaî- tre à tout le monde, comme une lumière qui éclaire dans l'obscurité, et gagnait tous les cœurs par sa douceur et par l'équité qu'il gardait en toutes choses. Il avait une âme enrichie de ces hautes perfections, au-dessus desquelles il n'y a que l'entendement de Dieu, dont une partie s'est écoulée dans le cœur de l'homme. L'homme ne paraît jamais plus divin que lorsqu'il songe qu'il est né pour mourir , et que son corps n'est qu'une hôtellerie qu'il doit quitter aussitôt qu'il est à charge à son hôte. Oui , mon cher Lucile , c'est un témoignage que l'âme vient d'en haut, puis- qu'elle estime petit et bas le lieu qu'elle habite, et ne craint point d'en sortir. On sent bien où l'on doit retourner quand on se souvient d'où l'on est venu. Ne voyons-nous pas combien d'incommo- dités nous tourmentent , et comme ce corps s'ac- corde mal avec nous? Nous nous plaignons tantôt du ventre et de la tête, tantôt de la gorge et de l'estomac. Quelquefois les nerfs et les pieds nous font douleyr; d'autres fois c'est un flux de ventre ou un rhume. En un temps nous avons trop de de sang, en uu autre nous n'en avons pas assez. On nous presse d'un côté , puis d'un autre; et en- fin, on nous jette dehors. C'est ce qui arrive or- dinairement à ceux qui demeurent dans un logis qui ne leur appartient pas. Ncaumoins , quoique nous ayons un corps si caduc , nous ne laissons pas de nous proposer des choses éternelles, et préten- dons durer aussi longtemps que la vie de l'homme se peut étendre, sans êtreconleutsde quelque for- tune ou de quelque puissance (^ui nous arrive. Qu'y a-t-il de plus déraisonnable et de plus im- pudent? Rien ne suffit à des gens qui doivent mou- rir et qui meurent en effet; car nous approchons tous les jours de notre fin , et chaque moment nous pousse au lieu où nous devons arriver. Voyez quel est notre aveuglement. Ce que j'ai dit devoir ave- nir se fait incessamment, et la plus grande partie en est déjà consommée ; car le temps que nous (leri, reddenda dislribui : comprelicndinius temperaii- tiam, forliludinem, prudenliam, juslitiam: ctsuumcui- que dedimiis officiura. Ex quo crgo Tirtiitem inlelleiimus? Ostendit illam no- bis ordo ejus , et decoi-, et constanlia , et omnium intor se aclionum concordja , et niagnitudo super orania effe- rens sese. Ilinc intellecla est i1la beata vita , secundo dc- fluens cuisii, .nibilrii sui tota. Quomodo erpo hoc ipsrnn noliis apparaît? Dicani. Nunquam vir ille perfectus adep- lusque ïirlulcui, foiiuna; maledixit; nunquam acciden- na tristis oxcepit; civeni esse se univers! et mililem cre- dens, labores, vcliit imperatos, subiit. Quidquid incide- rat, non lanqnam malum aspernaliis est, ncc in se casu deiatuin , sed quasi dele(!atuni sibi. Hoc qualecumque est, inquit, nienm est : aspeium est, duruni est; in hoc ipso nayemus operani. INccessario itaquc niagnus apparuit, qui nunquam niagis iuRomuit, nunquam de fatosuo ques- tus est ; ftcit ninllis intellectum sui; et non aliter, quam in tenebris lumen, ellulsit; advertitque in se omnium animos, quum esset plncidusetleiiis, humanis divinisque rébus paiilcr œquus. Habebat iieiloctum animuni, ad >ummam sui adductus, supra quam nibil est, nisi mens Uti, cï qua pars et in hoc pectus niortaie delluxit, quod auuquam magis divinum est, quam ubi mortaliUilera suam cogitât , et scit, in hoc natam bominem , ut vita de- fungerelur; nec domum esse hoc corpas, sed hospitiam, et quidem brève hospitiuni, quod relioqueadum est, obi te graTcm esse hospiti Tideas. Maximum, inquam, miLucili, argumentum est animi ab altiore sedo venientis , si haec, in qaibus versatur, ha- milia judicat et angusta ; si exire non metait. Scit enim , quo exiturus sit, qui, unde Tenerit, meminit. Non vide- nms, quam mulla nos incommoda exagitent, qnam maie nol>is conveniat hoc corpus? Nunc décapite, nonc de ventre, nunc de pectore a faucibus querimm-; alias nervi nos, alias pedes vexant ; nunc dejectio . nanc distillatio; aliquando superest sanguis, aliquando deest ; bine atqae iliinc tentamur, et expellimur. Hoc evenire solet in alieno babitantibus. At nos , corpus tant putre tortiti , nihilo mi- nus aelerna proponiraus ; et , in quantum polesl stas ho- niana protendi, lanluni spe occupamas; nnlla contenti pecunia , nulla potentia. Quid hac re fieri impudentius, quid stultius potest? ISibil satis est morituris, immo mo- rientibus : (|Q0tidie enim propius ab ultime stamus; et illo, unde nobis cadendum est, hora nos omnis impellit. Vide , in quanta cœcilale mens nosira sit ! Hoc , quod fu- turum dico, quum maxime Gt; et pars ejus magna jam facta est : nam, quod viiimus tempos, eo loco est, quo ÉPITRES A avous vécu est déjà au même lieu où il était avant que nous viussions au monde, et nous avons tort de craindre le dernier jour, puisque chacun des précédents ne contribue pas moins à la fin de no- tre vie. Le dernier pas où nous tombons ne fait pas notre lassitude, illa fait connaître seulement. Le dernier jour arrive à la mort, tous les autres y vont; elle nous mine, elle ne nous enlève pas. C'est pourquoi une grande âme, qui sait qu'elle est réservée pour une meilleure vie , a soin de se com- porter sagement dans ce poste où elle a été placée, sans regarder ce qui est autour d'elle, comme lui appartenant, niais comme des choses empruntées, dont elle use , ainsi que fait un voyageur qui veut gagner pays. Si nous voyions un homme de cette force, ne jugerions-nous pas qu'il serait d'une nature extra- ordinaire, principalement s'il faisait paraître, comme j'ai dit, une véritable grandeur? Les qua- lités qui sont effectives subsistent, les fausses ne «lurent pas. Il y en a qui sont laulôt des Yatinieus, tantôt des Catoos. Un jour il leur semble que Cu- rion n'est pas assez sévère, que Fabius n'est pas assez pauvre , ni Tubéron assez sobre et assez mé- nager. Un autre jour ils enchérissent sur les ri- chesses de Licinius, sur les festins d'Apicius, et sur les délices de Mécénas. Tout cela fait lecarac- tèrele plus certain d'un méchant esprit, qui flotte éternellement entre l'affectation de la vertu et l'amour du vice : Tantùt deni cents valets paraissent à sa snite, Pois à dix seulement on la trouve réduite. Il ne parle tantôt que de grands et de rois En termes relevés, et compte leurs exploits; Pois, changeant tout il coup de style et de matière : LUCILIUS. 83S Je ne veux rien, dit-il , qu'une simple salière, Une table à trois pieds, du bureau seulement. Pour me parer du froid, sans aucun oruement. A ce bon ménager, si modesteen paroles. Donnez, si vous voulez, un plein sac de pistoles. Vous serez étonné , l'oyant ainsi prêcher, Qu'il n'aura pas la maille avant que se coucher. Tous ces gens-lh sont tels que celui-ci, dont Horace fait le portrait, lequel n'était jamais égal ni pareil à soi-même, laiil il avait l'esprit vague et changeant. Ce que j'ai dit de ces gens-là, je le puis dire presque de tout le monde. Il n'y eu a point qui ne change de volonté et de résolution chaque jour. Tantôt cet homme d'Horace se ré- sout de prendre une femme, tantôt il veut avoir une concubine; tantôt il tranche du grand sei- gneur, tantôt il fait tout ce que pourrait faire le valet le plus offlcieux; tantôt il s'élève jusqu'à se faire haïr, tantôt il s'abaisse jusqu'à se faire mé- priser; tantôt il prodigue l'argent, tantôt il pilla le monde. Voiei à quoi l'on reconnaît principale- ment un esprit qui manque de conduite. Il paraît d'une façon , et incontinent après d'une autre ; et ( ce que j'eslimc plus vilain ) il n'est jamais pareil à soi- môme. Croyez que c'est une belle chose de ne jouer qu'un seul personnage ; mais il n'y a que le sage qui le puisse faiie. Nous autres nous pre- nons diverses formes. Nous paraissons queliiuefois sobres et sérieux , (|uclqucfois prodigues et pleins de vanité; nous changeons après de masque et nous prenons un rôle tout contraire à celui que nous avons quitté. Gainez donc cela sur vous, que tel que vous aurez résolu d'être vous le soyez jusqu'à la Gn de vos jours. Faites que si l'on ne peut vous appeler par votre nom , on puisse, à tout le erat, antequam viximns. Erramus autera, qui ultimum limcmus diem , quum tantumdem in mortem singuli con- férant. Non ille gradns lassitudinem Tiicit , in quo defeci- mus, sed ille prufitetur. Ad mortem dies eitrcmus per- Tenit,accedit omnis. Carpit nos illa , non corripit. Ideo magnus anlmus, conscius sibi melioris naturae, dat quidem operam, ut in h]C statione, qua positus est, honeste se atque industrie gerat : caeterum nibil borum , qux circa sunt, surnn judicat, sed ut commodatis utitur, peregrinus et properans. Quum aliquem bujns videremus cODstantiae , quidni subiret nos species non usitatx indo- lis; utique, si banc, ut diii, magnitudinem veram esse Ottrndebat xqualilas? Vcri ténor permanet, falsa non durant. Quidam alternis Vatinii , alternis Catones sunt ; et modo parum illis severus estCurius, parum pauper Fabricios, parum (rugi et contentas vilibus Tubero; modo Licinium diviiiis , Apicium cœnis, Ma?cenateni deiieiis provocant. Maximum indicinm est malx mentis, fiuctoatio, et inter simulationem virtutum, amoremque Titiorum , astidna jactatio. Ilabebat axpe duccntos , Scpe decem srrros : nuxlorcges alqac tetrarchas , O'nnia magna , Ijqiiens: modo < Sit raitii mensa tripes, et Concha salis piiri , tt toga qiuc detendciT frigiis , Quainvis crassa , queat ! » — Dccies centena dédisses Unie parco, paucis contenta ; quinque diebus Nil erat in tociilis Omnes isli laies sunt. qnalcm hune describit Horatius Flaccus, nunquam cunidem, ne similcm quidem sibi; adeo in divcrsum atiernit. Multos diii; prope est ut om- nes sinl. Nenio non quotidie et consilium mutât, et vo- tum : modo uxorem vull habere, modo amicam : modo rcgnarevult; modo id agit, nequis sit (ifficiosior servus : modo dilatât se usque ad invidiani; modo subsidit, et contrabitur infra humilitatem vere jacenlium : nunc pe- cuniam spargit, nunc rapil. Sic maxime coarguitur ani- mus imprudens ; alius prodit atque alius, et, quo turpius nibil judico , imparsibi est. Magnam rem pul;i , unum hn- mincm agere. Praeter sapienlcm autcni ncmo unum agit; caeteri multiformes sumus. Modo frugi tibi videbimur el graves, modo prodigi et vani. Mutamus subinde perso- nam, et contrariam ei suminius, quani ciuimus. — Hoc ergoa te exige, ut, qualem institucrispraestare te, talcm usque ad exitum serves. Elfice ut possis laudari ; si mi- 8SC SÉNÉ moins, vous reconnaîirc. C:irtle le! que vous vî- tes hier, on pourrait demander aujourd'hui, ce- lui-là qui est-il? tant il est changé 1 ÉPITRE CXXI. •Si tous les animaux ont un sentiment de leur constitution naturelle. Vous gronderez , je m'assure , si je vous rap- porte une question qui nous a tenus assez longue- ment aujourd'hui , et vous vous éerierez : De quoi sert cela pour les mœurs? Mais je vous amènerai Posiilonius et Archidéraus avec lesquels vous dé- mêlerez ce différend. Vous en jugerez ce qu'il vous plaira, pourvu que vous me permelliez de vous dire que tout ce qui appartient à la morale ne fait p;is les l)onnes niocuis. Une chose sert "a la nourriture de l'homme, une autre à ses exercices, une autre "a le divertir. Elles sont toutes à son usage, et cependant toutes ne le rendent pas meil- leur : il y a diverses manières de traiter des mœurs. Quelquefois on les corrige et on les règle, quelquefois on recherche leur nature cl leur ori- gine. Quand on demande pourquoi la nature a produit l'hoinme, poun|Uoi elle lui a donné le commandement sur les animaux , si vous croyez que l'on ne songe plus aux mœurs, vous vous trompez bien fort. Comment saurcz-vnus quelles mœurs I homme doit avoir, et ce qui lui est le plus avantageux , si vous ne considérez la nature? Vous saurez ce qu'il faut faire et ce qu'il faut évi- ter aussitôt que vous aurez appris ce que la na- ture vous demande. Vous me direz : Je ne veux apprendre qu"a modérer mes désirs et mes crai nies. Otez-moi la superstition; faites-moi voir que la fortune est inconstante et légère, et qu'il ne faut qu'une syllabe pour la changer en infortune. Je vous donnerai pleine satisfaction , j'exhorterai puissamment a la vertu, j'attaquerai ouvertement le vice; l'on aura beau me reprocher l'excès de mon zèle, je ne cesserai point de persécuter la malice, d'arréler les passions violentes , de m'op- poser aux mauvais désirs, et de retrancher les plaisirs qui doivent se terminer par la douleur. l^)urquoi ne le ferais-je pas, puisqu'il est certaiu que les plus grands maux sont les enfants de nos ilésirs, et que ce qui nous fait murmurer aujour- d'hui vient de ce que nous avons autrefois reçu avec l)eaucoup de complaisance. Cependant, permetlez-moid'examiner les cho- ses qui sont un peu éloignées de cette matière. Nous demandions si tous les animaux avaient un sentiment de leur constitution. Il paraît qu'ils ont ce sentiment en ce qu'ils remuent leurs membres avec autant de promptitude et de justesse que s'ils avaient été dressés. En effet, on n'en voit point qui n'aient cette facilite. Un ouvrier manie ses ou- tils habilement. Un pilote conduit sans peine le gouveiyiail. Un peintre qui a beaucoup de cou- leurs devant soi pour tirer un portrait, voit bien- tôt celles dont il a besoin ; il y jette en même temps les yeux et la main. C'est ainsi qu'un animal se s;rt de son corps comme il veut. Nous sommes étonnés de voir des comédiens, lesquels, avec leurs mains, représentent toutes sortes d'actions , et de leurs gestes suivent la vitesse de leurs paroles. Ce que l'art fait en ceux-ci , la nature le fait dans les animaux. Il n'y en a point qui aient de la peine nus, ut agnosci. Dealiquo, quem lieri vidisli, meriio dici potesl : Ilic qui est ? Tanta mutatio est. Vale. EPISTOLA CXXI. OJIMl AMMiLU n*B!!U6 INTELLECT!]»! SU. Litigahis, ego video, quuin lilti bodieruam quaestiun- culain , in (jua satis diu tupsinus, exposuero : ileium eniiH cr3iiial)is. « Hoc ipiid ad mores? » Sed exclama, dmn tibi priniuui al!0^ opponam, cum <;uibus liliges, Posido- nium et Archidwnum (lii judicium accipieni); deinde dicam , non (piidquid inoi'ale est , bonos mores facit. Aliud ad hominem alendum pcrtinet, alrtid ad exercenduni, aliud ad vesticndum , aliud ad docendum , aliud ad delec- tandum. Omnia tanien ad hominem perlimnl, eliam si non omnia meliorem eum faciunt. Stores alla aliler atliu- gunt. Qua»dam iHo.s corriguntet ordinant; quaedani nalu- ram eoium et originem scrutautur. Quuui (pi^ei-o, quare hominem natura produicrit, quare pratuleiitanimalibus caBteris, longe me judicas mores reilquisse? Fatsum est! Quomodo enim scies , qui habendi sint , nisi , quid homini tit optimum, inveneris? nisi naluiam ojus inspeseris? Tune demum intetliges , quid faciendum tibi , quid vitan- daai sit, quum didiceris, qi;id natui-œ tua- debeas 1:ro , inqois, Tolo discere , qnoinodo minus cnpiam, rai- nus time.am : superstitiuncm niibi ewsite; doce, levé e.^se Tauumque hr.c, qnod félicitas dicilnr; unam illi syl- labam facilliine acctdere ! — Desidero tuo satisfaciam , et virtutes exhortabor, et vitia couveibcrabo : licet aliqnis niinium immodei-atumque in bac parle rae judicct , non desislam persequi nequiiiam, et affectus efferalissimos inbibci-e,et voluptales iluras in dolorem compescere, et volisobstrepeie. Quidni? quum maiima malorum opta- verimus, et ex gratutalione uatum sit quidquid oblaqui- mur. Intérim perniilte mihi, ea , quae paulo videntur re- motiora , eiculere. Quarebamus, « An esset omnil)ns animalibus conslitu- tionis suae sensus? • Sensum autem esse , ex eo maiiine apparet, qnod mcmbra apte et expedite movent, non alitt-r, quam in boc erudita. NuUi non partiuin suarum agilitas est. Artifex instrumenta sua tractât ex facili ; rec- lor navis scit gubeniaculum Qectcre ; pietor colores , quos ad reddendam simititudinem mnltos \ariosque ante se posuit , celerrime dénotât, et inter ceram opusque faciK vultu ac manu comment. Se animal in omnem usum sui mobile. Miiari solemus saltandi peritos, quod in omnem signiHcationem rcrum et affectuum parala iUorum est ÉPURES A LUCILIUS. 8,17 ;i remuer leurs raembrts , ni à manier leurs corp'î. Us font promptoment ce à quoi ils sont destinas , ils viennent au monde avec cette science, ils nais- sent tout appris et dressés. On objectera : Les ani- maux remuent leurs membres avec celte adresse, parce qu'ils sentiraient la douleur s'ils les re- muaient autrement, ce qui fait voir qu'ils sont forcés et que ce n'est pas leur volonlé, mais la crainte de la douleur qui les pousse "a mouvoir comme ils le doivent; car un mouvement forcé est toujours lent et tardif; celui qui est volon- taire, toujours agile et délibéré. Aussi bien, loin de se mouvoir par la crainte de la douleur, ils se portent à leur mouvement naturel, quoique la douleur lis retienne. C'est ainsi qu'un enfant i|ui veut demeurer debout et se tenir sur les pieds, commence a essayer ses forces; il tombe et se re- lève autant de fuis en pleurant, jusqu'à ce qu'il ait appris avec douleur ce que la nature désire de lui. Il y a des bètes qui ont i échine dure, les- quelles, étant couchées sur le dos, se tournent, lèvent leurs pieds et les tordent en l'air jusqu'il ce i|a'ellis soient remises en leur assiette nalurelle. Une tortue qui est renversée ne sent point de dou- leur, elle est toutefois inquiète, et ne cess» point de se tourmenter qu'elle ne soit sur les pieds. Il est donc vrai que tous les animaux ont un senti- ment de leur constitution nalurelle, de laquelle procède ce maniement si libre qu'ils ont de tous leurs membres. Kt le plus grand signe que nous ayousqu ils viennent au monde avec cette connais- sance, c'est que nous ne voyons point d animal qui ne sache se servir de tous ses membres. On m'objectera encore : Cette constitution na- turelle (comme vous ledites, vousautres stoïciens) consiste en un certain rapport qu'il y a de l'âme avec le corps. Mais , comuient un enfant pourrait- il comprendre une chose si subtile et si embar- rasst'e qu'à peine la pouvez-vons expliquer? Il faudrait que les animaux naquissent tons philoso- phes pour entendre une délinition qu'une partie des plus savants no saurait concevoir. L'objection serait véritable, si je disais que les animaux en-" tendissent cette délinition. Mais la nature la fait mieux concevoir que la parole. C'est pouiquoi l'enfant dont je parlais ne sait ce que c'est decon- sliiulion naturelle; mais il sait ce que c'est de la sienne. Il ne sait ce que c'est d'un animal ; mais il sait bien qu'il est animal. De plus, il connaît sa constitution obscurément et en gros, comme nous coimaissons que nous avons une âme. Mais, ce que c'e,> t de cette îuv.c , où elle réside , et d'où elle est venue, nous n'en savons rien. Ainsi , l'on peut dire que tous les animaux sentent leur constitu- tion comme nous sentons que nous avons une âme. Car il fuit bien qu'ils sentent ce qui leur fait sen- tir les autres choses. Il faut bien (ju'ils sentent ce qui les conduit et ce qu'ils suivent. Il n'y en a pas i.n (le nous qui ne sache qu'il y a (jHelqiio chose i|ui remue les passions , et qui ne sente quel- que e.'fort au-dedaus de soi. Il ne sait pouitanlce que c'est que cela, ni d'où il vient. Les animaux ont , à peu près coi'.inie les enfants , un sentinicut deV'ur partie supérieure, mais obscur et confus. Vous dites, me répond rez-vous , que tout ani- mal s'accommode d'abord à sa constitution , et que. mjpus , et vcrborum Teloc:t«tPai Res'u» nssequitnr. Quod illu ars prarslat, bis natura. Neino a'gre luoiitur nrtus suos. ueimi in usu lui lia'sit; ad lioc édita protlnus la- ciuul; cum tiacM-ieulia prodeiiiil, iustitula uascunlur. — ide;i, inquit, p.^it. :> suas aulmalia tipti uioveni , quia , si aliler inoViTMil, doloniu seiisura suul. — Ita , ut vos di- citi», coguuiur; iiietus({ue illa in rectum, nun vxluutas, iiiuvel : quud est lalsum. Tarda euiui suut, quic aecessi- late impetiuiitur : agiiitas spdute inutis est. Adeu imteui non adigit illa ad hoc doli>riS tiiiiur, ut ia ualuralem uio- luni, etiaiu prohibeale dolorc, nltaiitur. Sic infans, qui siarc nietlilalur ft firre se assuescil, simul lentare vires suas cœpit, cadit; et cum llelu loties ri surgit, douce se iwr doloreni ad id , quod uatura poscii , cxercuit. .Aniiua- lia qusdain tergi durions, inversa, tauiiliu se torqucut, ■ic («"des ciscTuni et oblii|iiant, douce ad locum repouan- tur. Nulluni iormeatum sentit supinata testudo : inquiéta c«t tamen desiderio naluralis status; nec anie desinitniii, quatere se, quam in pedes conslilit, Ergo oniuibus con- stitutionis suae sensus est, etinde menibroruui tara expe- dita trnctatio : nec ulluni ni,ajus indiciuin habenius, cum liac illa ad vi?endum tenire notitia , qnam quod oullum anima! ad usum sui rude est. Constitatio, inquit, est, ut tos dicitis, principale ani- nii, qiiodam modo se halicnsergn corpus. « Hoctamper- plexuin et suiilite, et voliis i|Uoqtie vil enarrabile, quo- niudu iiifans iuU'llig:t? Oinnia auinialla dialectica na»ct opurlerct, ut istam liuitaineni, magnic parti tiuuiinum tngaoruni obscuraui, lutillipaut. — \erum erat, quod oppunis, siegoabaniiiialibus conslitutiouisfinitlonem in- telligi direrein, non ipsaui c>aistitiitiiincm. Faciliiis na- tura inielligilur, quauienanalur. liaque iufans ille, quid ».it coastilulio, iiouiiovil; constilutioucm suamnovll:et quid sit animal, ncicit; animal esse se i^entit. Pra'terea ipsam consiilutioni'iu suam crasse iutelligit, ctsunima- tim, el obscure. Nosquoque, animuiu habere nos sci- nius; quid sit auiimis, ubi sit, qualis sit, eliiude, nesci- nius. Qualis ad nos perveuit oninii noslri seusus, quam- ïis naturani ejus ignorcmus ac sedem, talis ad oniiiia auinialia constitutionis snae sensus. INccesse est enini id senliaut, pcr quod alla quoque sentiunt : ntcesse esl ejus sen.sum habeant, cui parent, a qiio nguntur. NeiiiOnon es noliis iutclligit, esse aliquid, quod impelus suos nio- veal; quid sitillud, ignorât : et conatum sibi csscscit; qniil sit, aut unde sit, nescil. Siciufantibus quoque, ani- malibusque, principalis partis suae sensus est, non satig dilucidus, uec expressus. Dicitis, inquit, < oojne animal primum coDstitutioai 8S8 l'homme, duquel la constitution consiste à être raisonnable, se veut du bien, non point comme animal , mais comme raisonnable ; car il se doit ai- mer par l'âme qui est la partie qui le rend homme. Comment donc un enfant peut-il s'accommoder à une constitution raisonnable, lui qui n'est pas en- core raisonnable? Tous les âges ont leur constitu- tion particulière; autre est celle d'un enTant , autre celle d'un jeune homme, autre celle d'un vieillard, lis s'accommodent tous à la constitution où ils se trouvent. Un enfant n'a point de dcnls , il se fait à cet état : les dents lui sont-elles venues , il suit encore cet autre état. L'herbe qui doit venir en épis et en grains a unecertaine constitution, quand elle est tendre et qu'elle commence a sortir de terre. Elle en a une autre , quand elle grandit et qu'elle est devenue un tuyau délicat, mais assez fort jiourse soutenir. Elle eu reçoit une autre, quand elle est montée en épi, quand elle jaunit et quand elle durcit, pour être bientôt portée dans la grange. En quelque état qu'elle se trouve , elle s'y forme , elle s"y ajuste. L'âge d'un enfant est autre que ce- lui d'un garçon, et l'âge d'un jeune homme autre que celui d'un vieillard. Je suis, toutefois, le même quej'étais, enfant, garçon, jeune homme. Ce qui fait voir qu'encore que la constitution change l'a- mour de la constitution telle qu'elle est , est tou- jours pareil ; car la nature ne fait pas que je m'aimo comme garçon, jeune homme ou vieillard, mais seulement comme moi-même. Par conséquent, un enfant s'accommode à la constitution qu'il a enfant , non pas à celle qu'il aura lorsqu'il sera jeune homme. En effet, il ne faut pas s'imaginer SÉKÈQUE. qu'à cause qu'il doit passer dans un état plus par- fait, celui où il se trouve ne soit pas selon sa na- ture. En premier lieu, l'animal prend soin de soi- même ; car il doit y avoir quelque chose à quoi tout le reste se rapporte. Je désire le plaisir ; pour qui? Pour moi. J'ai donc soin de moi. Je crains la douleur; pour qui? Pour moi. J'ai donc soin de moi. Si je fais toutes choses pour l'amour de moi, il s'ensuit que je m'aime plus que toutes choses. Cet amour se rencontre dans tous les ani- maux ; il ne leur est pas enseigné, il est né avec eux. La nature nourrit ses productions , elle ne les abandonne pas, et parce que la plus sûre garde est celle qui se fait de plus près, elle a fait cha- cun gardien de soi-même. De là vient, comme je l'ai déjà dit, que les animaux au sortir du ventre de leur mère, aussitôt qu'ils sont éclos, connais- sent ce qui leur est contraire , et se gardent de ce qui leur est nuisible. Ceux mêmes qui sont soumis aux oiseaux de proie craignent leur om- bre , quand ils volent au-dessus d'eux. En un mot, il n'y a point d'animal qui ne craigne la mort quand il est entré dans la vie. Vous me direz : Comment un animal qui vient de naître peut-il avoir connaissance d'une chose qui lui est nuisible ou salutaire ? Il faut savoir premièrement s'il connaît , et non comment il connaît. Or , il est évident qu'il connaît , parce qu'il ne ferait pas davantage s'il connaissait. D'où vient que la poule ne craint point l'oie ni le paon , et fuit le milan qui est plus petit, et qu'elle n'a jamais vu. Pourquoi les poussins ont-ils peur du chat et ne craignent-ils point le chien? Tout cela suae conciliari; hominis autem constitulionem ralionalem esse , et ideo couciliari hominem sibi , nou tanquam ani- mal! , scd tanqnain rationali : ea enini parte sibi caïus est homo , qua bomo est. » Quomodo ergo infans conci- liari constitutioni rationali potest.quum ralionalis non- dura sit? — Unicuique atali sua constitutio est ; alia infanti.aliapuero.aliaseni.Onines ei constitutioni conci- liantur , in qua sunt. Infans sine dentibus est ; buic consti- tutioni sua; conciliatur : enali sunt dentés; huic constitu- tion' concilialur. Nain et illa berba, quae in segetem frugemque Tentura est, aliam constitulionem habet, te- ncra, et vis eniinens sulco; aliam, quum conYaluit, et, molli quidem cnimo, sed qui ferat onussuum , constilit; aliam , quum flavescit , et ad arcam spectat, et spica ejus induruit : in quamcumque coastitutionem venit, eam tuelur , in eam componitur. Alia est a^tas infantis , pueri, adolesccnlis, senis; ego tamen idem sum,qui et infans fni , et puer , et adolescens. Sic , quamvis alia atque alia cnique constitutio sit , couciliatio constitutionis suae ea- dem est. Non enim puerum mibi , aut juvenem , aut se- nem , sed me uatura commendat. Ergo infans ci consli- tutioni snœ conciliatur, quae lune infanti est, non qua; tutura juveni est. Nequc enim, si aliquid illi niajus, in quod transeat, restai; non hoc quoqae, in que nascitar, secundum naturam est. Primum sibi ipsi conciliatur ani- mal ; débet enim aliquid esse , ad quod alia referaotur. Voluptatem peto : cui? mihil ergomei curam ago. Dolo- rem refugio : pro quo ? pro me 1 ergo mei curam ago. Si omnia propler curam mei facio, ante omnia est mei cura. Haec animalibus inest cnuctis; nec inserilur, sed innascitur. Producit fœtus sucs natnra, nonabjicit, et, quia tutela certissima ex proiimo est, sibi quisquecom- missus est. Itaqnc , ut prioribus epistolis diii , tenera quoque animalia , ex materne utero , yel quoquo modo , effusa , quid sit infestum ipsis protious noruut , et morti- fera débitant; umbram quoque transTOlantium reformi- dant obnoiia avibus rapto viveutibus. NuUum animal ad vitam prodit sine metu mortis. Quemadmodum , inquit , editum animal intelleclum habere , aut salutaris , aut morliferae rci , potest?— Pri- mum quxritnr, an intelligat, non quemadmodum intel- ligat. Esse autem illis intellectum , ex eo apparet , quod nibil amplius , si iutellexerint , faciant. Quid est , quare pavoneui, quare anserem gallina non réfugiât, quum tanto minorem, et ne notura quidem sibi , accipitrem ? Quare pulli felem timeaut, caDcm non timeaut? Apparet, ÉPITRES A LUCILIUS. fait voir qu'ils ont une connaissance de ce qui leur est nuisible, laquelle ne vient point d'expé- rience; car ils s'en donnent de garde avant que de l'avoir éprouvé. D'ailleurs , afin que vous ne pensiez pas que cela se fasse par hasard, ils ne crai- gnent que ce qu'ils doivent craindre , et ne l'ou- blient jamais , ayant toujours un soin égal de se préserver de ce qui les peut endommager. Consi- dérez encore qu'ils ne deviennent pas plus timides avec l'âge ; ce qui montre qu'ils ne font rien par usage, mais pour l'amour naturel de leur conser- vation. Tout ce que l'usage enseigne est tardif et divers. Ce qui vient de la nature est prompt et pareil en tous. Si vous voulez pourtant, je vous dirai comment l'animal tâche do connaître ce qui lui est nuisible. Il sent qu'il est fait de chair, c'est pourquoi il connaît ce qui peut couper, brûler ou froisser cette chair; quels sont les animaux qui sont armés pour lui faire la guerre. Il en prend une idée pleine d'horreur et d'aversion , deux choses qui s'entre- suivent toujours. Car, dés lors que l'on a soin de sa conservation , on désire ce qui est salutaire et l'on craint ce qui est nuisible. Nous abhorrons naturellement tout ce qui nous est contraire, et nous faisons, sans y penser et sans dessein, ce que la nature nous enseigne. Ne voyez-vous pas l'adresse des abeilles à bâtir leurs ruches , et le bon ordre qu'elles gardent dans le partage du Ira- vail'!" Ne voyez-vous pas la toile de l'araignée, que personne ne saurait imiter? La difGculté qu'il y a de ranger les lilets les uns tout droits pour soutenir l'ouvrage , les autres en rond , qui se courbent et vont en diminuant, afin d'attraper 859 les petites bêtes pour qui ces rets sont tendus. Elles n'apprennent point cet art , elles le possèdent par droit de nature. De la vient qu'on ne voit point un animal plus savant qu'un autre. Vous voyez aussi que les araignées sont toutes pareilles, et que les trous et les angles des rayous de miel sont tous égaux. Ce que l'arl enseigne est incer- tain et inégal; mais ce que la nature ncus apprend est toujours de même. Il n'y a rien que la nature ait inspiré plus fortement aux animaux que la dé-" fense de leur vie, et la science de la conserver. C'est pourquoi ils commencent à apprendre et à vivre en même temps. 11 ne faut donc pas s'éton- ner s'ils naissent avec les adresses sans lesquelles ils seraient nés en vain : c'est le premier moyen que la nature leur a donné pour entretenir l'a- mour qu'ils ont de leur vie. Ils ne pourraient pas se conserver, s'ils n'en avaient la volonté. Cela seul n'eût do rien servi; mais sans cela tout le reste eût été inutile. Enfln , vous ne verrez point d'animal qui s'abandonne lui-même ni qui se né- glige tant soit peu. Les plus brutaux, et qui sont stupides en toute autre chose, paraissent ingé- nieux pour ce qui concerne leur vie. Vous verrez même que ceux qui sont incapables de défendre les autres , ne manquent pas à ce qu'ils doivent pour leur conservation. ÉPITRE CXXII. Il raille ces gens qui font du jour la nuit, et marque la cause de ce dcrcglement. Les jours commeuceut a diminuer ; ils sont déjà un peu plus courts; mais ils sont assez longs quand illii inesse nocituri sclenllani , non eiperimento collec- Um : uam , antequam possiut experiri , caveot. Deiude , ne hoc casu eiistimes fieri , nec nieluunt alla quani de- beat, nec unquam obliviscaatur hujus tutelx et diligen- tix : aequalis est illis a pernicioso fuga. Pra'terea , non fiunt timidiora Tivendo. Ei quo quidem apparet , non usu illa in hoc pervenirc, sed naturali amore salutis suae. Et tardum est, et ?ariuni, quod usus docet : quidquid na- tura tradit, et sequale ouinibusest, etstatim. Si latnen eiigii, dicam, quornodoomne animal perniciosa intclli- gere conetur. Sentit se carne conslarc ; itaque quum sen- tit, quid lit, quo secari caro, quo uri, quoobteri possit, qna; sint animalia armata ad nocenduni ; horum spccieni trahit inimicani et hostilem. Inter se ista conjuncta sunt : simul enim conciliatur saluti sns quodque, et, qua> ju- vant, illa petit; Ixsura formidat. Naturalcs ad utilla ini- petus , naturales a contrarlis aspernationcs sunt ; sine ulla cogilatidne , qux tioc dictet , sine consilio Ht , quid- quid natura prxcepil. Non vides, quanta sit suhtilitas apibus ad Dn|;euda domicilia ? qnanta dividui lalMris ob- eoodi concordia? Non vides, quam nulli mortalium inii- tabilis illa aranci teitura ? quanti ope ris sit , fila dispone- re , alla in rectum immissa (Irmamenti loco . alla in or- lx!m currcntia ex denso rara? quam minora animalia, la quorum perniciem illa tenduutur, velut retibus implicata teneantur? Nascitur arsisia, non discitnr. Itaque nullum est animal altero doctius. Vidcbis araneorum pares telas, par in favis angulorum onmiura foramen. Incerluni est etina-quale, quidquid ars Iradit ; es œquo venit,quod natura disiribuit. Iliec nihil mai;is , quam tutclam sul et ejus periliam , tradidit ; ideoque etiam sImul incipiunt et discere et vivere : nec est mirum , cum eo nasci illa , sine quo frustra nasccrentur. Primum hoc instrumentuni illis natura contulit ad permanendum iu conciliatione et cari- tatc sui. Non poterant salva esse, nisi vellent : nec hoc per te profuturumerat; sed sine hoc nulla res profuisset. Sed in nullo deprehendes vilitatem sui, ne negligentiam quidem. Tacilis quoque et brûlis, quamvis in caetera tor- pcant, ad vivendum solertia est. Videbis, quse aliis inu- tilia sunt , sibi ipsa non déesse. Vale. EPISTOLA CXXII. C0>'«TB1 EOS QUI KlTUBm inVeilTIINT. Detrimentum jam dies sensit : resiluit aliquantuluui ; 860 on se lève pour ainsi dire en môme tempsque la lu- mière pour se rendre plus homme de bien, et non pas quand on l'attend dans la seule pensée de sor- tir de bon matin. N'cst-il pas honteux d'êlre encore au lit quand le soleil est déjà haut , et de ne s'é- veiller qu'à midi? Il y en a, toutefois, beaucoup chez qui il ne fait pas jour à cette heure-Pa. Il y en a d'autres qui renversent l'usage du jour et de la nuit, et qui ne commencent à ouvrir leurs yeux charges de crapule que quand le jour finit. Il est semblable h ces antipodes dont parle notre Virgile : Vesper leur apparaît quand nous voyons l'aurore. Si leur demeure n'est opposée, du moius leur vie est-elle coniraire à celle de tous les antres. 11 ■se trouve encore des gens qui sont antipodes aux jiutres dans une môme ville, et qui, comme dit Ca- lon, n'ont jamais vu lever ni coucher le soleil. Croyez -vous qu'ils sachent comment il faut le voir? Ils craignent la mort et s'y plongent tout vivants; ils sont d'aussi liiauvais augure que les oiseaux de nuit. Quoiqu'ils passent les nuits en- tières dans le vin , dans la bonne chère et dans les parfums, on peut dire qu'ils ne font pas des festins, mais plutôt le banquet de leurs funérail- les. On ne rend pourtant que de jour les derniers honneurs aux défunts. En vérité, le jour n'est jamais long pour une personne qui est occupée. Prolongeons donc notre vie, qui consisle jjrinci- palement en l'action. Retranchons quelque chose de la nuit et le donnons au jour. On tient dans un lieu obscur et sans se mouvoir , les oiseaux que SÉNÉ QUE. l'on veut engraisser. On voit grossir le corps , et les membres se charger de graisse, aux personnes qui ne font point d'exercice. Aussi , n'y a-t-ilrien de plus vilain que le corps de ces gens qui sont , si j'ose dire, consacres à la nuit. Ils n'ont point d'autre couleur que celle des malades. Ils sont pâles, languissants et portent une chair morte sur un corps vivant. Ce n'est pas encore leur plus grand mal ; car ils ont l'esprit enveloppé de ténè- bres, stupide , offusqué, et toutefois amoureux de son aveuglement. Qui a jamais eu des yeux pour ne s'en servir que de nuit? Voulez-vous sa- voir d'où vient ce dérèglement de haïr la lumière et de ne vouloir vivre que dans les ténèbres? Je vous dirai que tous les vices combattent la na- ture, et qu'ils sont ennemis de l'ordre et de la raison. La dissolution ne prétend pas seulement quitter le droit chemin, mais s'en écarter de bien loin. Ne vous semble-t-il pas que ces gens-la vi- vent contre nature, qui boivent à jeun, qui rem- plissent de vin leurs veines encore vides , et qai ne veulent manger que lorsqu'ils sont ivres? C'est le vice ordinaire des jeunes gens d'aujour- d'hui , qui veulent devenir forts. Quand ils sont près d'entrer dans le bain , ils boivent, ou plutôt, ils ivrogiient avec des gens tout nus, alin de se faire ôlcr la sueur qu'ils ont attirée par des breu- vages chauds et fréquents. De boire après le repas cela est trop comnmn , c'est ce que font les gens de campagne qui n'entendent pas le plaisir. Le vin , disent-ils , est bien plus agréable quand il ne nage point sur la viande , et qu'il pénètre libre- ilatameu, ut libérale adhuc spatiumsit, si quis cum ipso, ut ita dicara , die surgat , officiosior meliorque , quam, si quis illum exspectet, ut luce prima exeat. Turpis, qui alto sole seniisoœnus jacet, cujus vigilia niedio die inci- pit : et adhuc niultis hoc antelucanum est. Sunt, qui offi- cia lucis noctisque perveiterint, uecanlediducant oculos hesterna graves crapula , quam appetere nos cœpit. Qua- lis illorum conditio dicilur , quos natura, ut ait Virgilius, sedibus nostris subdilos e coiitf ario posait , Nosque ubi primus equis Orlens afflavit anhelis , Illic sera rubens acceudit lumiDa Vesper : talis horum contraria omuilius, non regio, sed vita est. Sunt quidam in eadem urbe antipodes, qui, ut M. Cato ait, « nec orienti-m unquara solem viderunt, nec occi- denleni. d IIos tu exislimas scire , quemadniodum viven- dum sit, qui neiciunt quaudo? Et hi mortem liment, in quam se vivi coudiderunt; tam infausti , quam nocturnas aves sunll Licet in vino unguentoque tenebras suas exi- ganl; licet epulis, et quidem in multa fercula discretis lotum perversœ vigilia; tenipus educant; non convivan- tur . sed jusla sibi faciunt. Mortuis certe interdiu paren- tatur. At, mehercules, nullus agenli dies longus est. Ex- tendamus îitam ! hujus et officiura , et argumentum , ac- tus est : circumscribatur noi , et aliquid ex iUa in diem iransferalur ! Aves, quœ conviïiis coiuparantur , ut ini- nsolae facile pinguescant, inobscuro continentur; ita sine ulla cxercititione jacen'.ibus tumor pigrum corpus inva- dit, et suh ipsa uuibia iners sagiua succrescit. Ita islo- rum corpora, qui se tenebiis dicaveruut.firda visuotur. Quippe suspectior illis, quam raorbo pallentibus, color est; languidi et evanidi albent , et in vivis caro uiorticina est. Mue tamen miuimum in illis malurum dixerim. Quanto plus tinebraruni in auimo est ? ille in se stupet , ille caii- gat, iiividel cœcis. Quis unquam oculos tenebrarum causa habuit? Interrogas, quomodo haec animo pravitas liât, aver- sandidiem, et totam vitam in noctem trsusferendi? — Onmia vilia contra naturam pugoant, omnia debitum or- dinem deserunt : hoc est luxurias propositum , gaudere perversis; nec tantum «Jiscederea recto, sed quam lon- gissinie abirc , deinde etiam e coutrario slare. Istinon vl- dentiu- tibi contra naturam virere, qui jejuni bibunt, qui viuum recipiunt inanibus venis , et ad cibum ebrii iraos- euut? Atqui frequens hoc adolescentium vitium est, qui vires excolunt , ut, in ipso pcnc baluei limine , inler nu- dos bibant, imnio poient; ut sudorem , quem moveruat potionibus crebris ac ferveutibus, subinde distriugaut. Post praudium aul cœnam bibere, vulgare est; hoc pa- tresfamilia; rustici faciunt, it verae voluplatis ignari. Me- rum illud détectât, quod non innatat cibo , us est cn-nîe I Non oporlet id facere , quod populiis ; res sordida e«t , nila oc vulpari >ia vivere. Dies publicus relinqua- lur; propr.um cobis ac peculiare mane fiât. Itti vero mihi defunctorum loco sunt: quanlulum enim a finiere absunt , et quidem accrl)0 , qui ad faces et ce- rco! Uïunt? Itanc v lani agcrc eodem tempore multos meminimns, inler qnos et Alilium Bu!am, pra-toriuni j cui post palrinionium ingens consumplnm , Tiberius , paiipertatem conliienli , > Sero, inquit, expcrrccliis es ! • Recitabat Monlanus Julius earinen, tolerabilis poêla, et amicitia Tiberii milus , et frigore. Ortus et occasus li- bentissiuieiiisercljal; itaque.qiiuni indigaarclur quidam, iltuni toiodie ricil.isse, et ne(;aret accedenduin ad reci- taliones ejus, Natla Pinarius ail : « Nunquam possuni li- beralius agere; paralus sum illum audire ab ortu ad oc- casum. • Quum bos versus recit.is»et : Incipit ardentes ptiœbtis producera flammas , Spar;ere s' ruliicunda dios; jam tristis hirundo Argutis reditura ciboa iiiimittere nidts locipit, et molli partitos ore niinistrat; Varus, eqnes romanus, M. Vinicii cornes, cœnarum bo- narum asscctalor , quas improl)itate l'ngua? merebatur , eu'lamavit: • Incipit Butadormirel • Deiude, quum sub- inde recitassct : Jam^tua pastores stabulis armenta locanint Jam dare sopitis nox nigra siienlia terris Incip:t ; idem Varus inquit : « Quid dicit? jam nox est? ibo, et Butam salutabo? n Niliil erat noiius bac ejus vita in cun- trarium circumacta ; quam , ut dixi , multi eodem tempore egerunt. Causa autem est ita vivendi quibnsdam , non quia ali- £«2 SÉNÈQUE. qne charme particulier, mais à cause que ce qui est facile ne plaît pas, et qu'une mauvaise con- science n'aime pas le jour ; joint que ceux qui méprisent ou désirent les choses par la considé- ration du prix qu'elles coûtent, ne font point d'é- tat de la clarté qui ne coûte rien. D'ailleurs ceux qui font de la dépense veulent qu'on parle d'eux durant leur vie ; car, si l'on n'en parle point, ils croient avoir perdu leur argent. De l'a vient qu'ils sont fâchés quand ce qu'ils font n'a point d'éclat et ne fait point de bruit. Il y a bien des gens qui mangent leur bien et qui entretiennent des maî- tresses ; mais pour se distinguer dans un si grand nombre, il faut faire quelque chose de magnifique et de considérable. Dans une ville qui a tant d'autres occupations, on ne parle point d'une pro- fasiou , si elle n'est extraordinaire. Pedo Albino- vanus était un homme qui faisait fort bien un conte; je lui ai ouï dire qu'il était logé joignant la maison de Sp. Papinius , l'un de ces hiboux qui fuient la clarté du jour. J'entendais, disait-il , en- viron les neuf heures du soir le son des coups de fouet, je demandais : Que fait-il? On me disait : C'est qu'il reçoit le compte de sa dépense. J'en- tendais sur le minuit des cris élevés , je deman- dais : Qu'est-ce que cela? On médisait: C'estqu'il exerce sa voix. Deux heures après je demandais : Que signifie ce bruit de roues que j'entends? L'on me disait : C'est qu'il va monter en carrosse. Sur le point du jour, on allait et venait; on appelait les valets, les sommeliers, et les cuisiniers fai- saient grand bruit. Je demandais ce que c'était? On me disait : Qu'il ne faisait que sortir du bain, et qu'il avait demandé à manger. Mais croyez- vous qu'il demeurât tout le jour a table? Non , je vous assure; il vivait trop mesquinement, et ne perdait rien que la nuit. C'est pourquoi Pédo ré- pondit à ceux qui l'appelaient avare et vilain : Vous pouvez dire encore qu'il ne vit qu'à la lueur d'une lampe. Ne vous étonnez pas, si vous trou- vez tant de caractères particuliers dans les vices ; ils sont divers et ont une infinité de visages et d'espèces que l'on ne saurait comprendre. La vertu n'a qu'une seule route. Le vice en a plu- sieurs , et prend souvent de nouveaux détours. 11 en est de même de ceux qui suivent la nature; ils sont ouverts, libres et presque semblables; ceux qui s'en éloignent ne se peuvent accorder avec personne, ni même entre eux. Je crois que la principale cause de cette mala- die vient du dégoût qu'ils ont de la vie commune. Comme ils se distinguent des autres parles habits, par h somptuosité des festins et par la propreté de l'équipage, ils s'en veulent aussi séparer par la disposition des temps. Les vices ordinaires ne sont pas pour des gens h qui l'infamie tient lien de récompense des crimes qu'ils commettent; c'est ce que recherchent tous ces malheureux qui , pour ainsi dire, vivent à rebours. Voil'a pourquoi, mon cher Lucile, il faut suivre la manière de vi- vre que la nature nous a prescrite, et ne s'en point écarter. Ceux qui la suivent, trouvent ton- tes choses prêtes et faciles ; mais ceux qui vont au contraire, font comme ces gens qui rament contre le fil de l'eau. <]uid ciistiment noclem ipsam tiabere jucundius, scd quia niliiljuvat obvium; et gravis mala; conscientiae lux est; et omnia concupiscenli aut contemncnli, prout magno aut parvo ompta sunt , fastidio est liimen gratuilum. Pra»- terea luxuriosi vitani suam esse in sermonibus , dura vi- Tunt , volunt : nam , si tacetur , pcidere se putant opé- rant. lUique malehabent, quotics faciunt quod excidat fama. Multi bona comedunt, miilti arnicas habent : utin- ter istosnomeniuTenias.opus est nontantum Inxiu-iosam rem, sed notabilem, facere. In tam occupata civitate, fabulas vulgaris nequilia non invenit. Pedonem Albino- vanuni narraatcm audieramus (erat autem fabulalor ele- gantissimus ) , habitasse se supra domura Sp. Papinii; is erat ex bac turba lucifugarum. et paneni meus pistor : sed habet villi- cus, sed habet atrien.sis, sed babet colonns. — Malum panem, inquis. — Exspecla ; bonus Octl etiam illum te- nerum tibi et siliginenm famés reddet. Ideo non est ante edeodnm , quam illa imperet. Eispectalm ergo; nec ante edani , quam ut bonum panem haliere cœpero , aut nialum fastidire desiero. rSccessarium est , parro assiiescere. Mnllx difncultates locorum, multae temporum , ctiam lo- cuplelibns el instmctis a nobis uplatnm probibentes oc- current. Qnidquid vnlt , babere uemo potes'. : illud potest, DOlle, quod non babet; rébus oblatis hilaris uli. Magna pars libertatis est bene moratus tenter et contiimelia- pa- ticni. /Bstiniari non potest, qunntani vohipkiteni capiam ex eo , qnod lassiludomea siM ipsa assuescit. Non unctio- nes, non balneum, non ullum aliud remedium, quam tempoils, qnaero. Nara , quod laborcontraxit, quies tollil. IIxc qualiscumqne cœna adiliali jnrimdiorerit. Aliqnod euim experimcntum animi sumpsi subito : hoc enim est siraplicius et Tcrins. !Sam ubi se praeparaïit, et indixit sibi paticntiam, nonxquc apparct, quantum hal)eat veraB Timiitatis : ilia sunt certissinia argumenta , qua; ex tem- pore dédit; si non tantum a'qnus molesta, sed placidns, aspeiit; si non excanduit , non litigavit; si , quod dari de- beret, ipse sibi, non desiderando, supplevit; et cogita- Tit, aliquid consuetudini suae, .sibi nihil déesse. Multa, quam supervacua essent, non intelleximus, nisi quuni déesse cocperunt. Ulebaniur enim illis, non quia dcbe- bamus, sed quia babebamus. Qnam multa autem para- mus , quia alii paraverunt , quia apud plerosque sunt I In- ter causas malorum nosirorum est , quod vivimus ad cxempla; nec ratione componimur , sed consnetudine ab- ducimur. Quod , si pauci facerent , nollemus imilari , quum plurcs facere cœpernnt (quasi honestitts sit, quia frequentius) , scquiniur; et rccti apud nos locum tenet error , ubi publicus factus est. Onmcs jam sic peregri- nantnr , ut illos ISumidaruin prxcurrat equitatus > nt ag 8G4 de la poussière, aOn que l'on sacbe qu'il vient un homme de qualité. Tout le monde a déj'a des mu- lets pour porter ses vases de cristal et dagallie, avec de la vaisselle gravée de la main des meilleurs ouvriers. Il ne serait pas honnête d'avoir des n]cn- l)les qu'il ne fût pasaisc de rompre en les remuant. On lave de liqueur le visage de ces garçiiiis réser- vés pour le plaisir, quand ils vont en campagne, de peur que le lifdc ou le froid ne gâte leur leint délicat. On trouve même "a redire quand les gens de votre suite n'ont rien dans le visage qui mé- rite CCS préservatifs. Il ne faut point prêter l'o- reille "a tous ces gens-l'a ; car ce sont eux qui in- sinuent le vice et qui le portent d'un lieu en un autre. On avoit cru autrefois que les plus dange- reux de tous les honuncs étaient ceux qui ra|)por- taient les paroles; mais en voici q«i portent les vices de tous côtes. Les enireliens sont fort perni- cieux; car, supposé qu'ils ne blessent pas a l'heure même, ils font couler dans noire cœur un venin qui se fait sentir bientôt après. Comme ceux qui ont ouï un concert de musique, emportent dans leurs oreilles l'harmonie dont ils ont été charmés, qui chasse toule autre pensée et ne leur permet pas de songer "a rien de sérieux , ainsi les discours des flatteurs et de ceux qui louent des choses qui ne valent rien , pour peu qu'on les écoute demeu- rent longtemps dans l'esprit. Il n'est pas aisé d'ou- blier un entretien qui nous a plû; il nous fuit, il revient par intervalles dans notre pensée. C'est pourquoi il faut fermer les oreilles aux méchants dès le moment qu'ils commencentà par- ler; car, quand ils ont commencé et qu'ils se voient SÉNÈQUE. écoutés, ils deviennent plus hardis et se donnent enfin la liberlé de dire que la vertu , la justice et la philosophie sont des noms vains qui font du bruit dans le monde, mais que la seule félicité est de vivre doucement, de faire tout ce que l'on veut, et de jonir de son bien. C'est ce qu'on ap- pelle vivre, et se ."iouvenir que l'on doit mourir. Que les jours s'écoulent et que la vie passe sans qu'on la puisse arrêter. Pourquoi doutons-nous de nous satisfaire et de donner à nos sens toutes les sorîes de plaisirs , tao'iis qu'ils sont capables de les goûter et que notre âge les demande ? Quelle raison de vouloir anticiper, par la sobriété, la ri- gueur de la mort, et de nous priver présentement (les choses qu'elle doit nous ôter un jour? Vous n'avez pas le plaisir d'une maîtresse, ni d'un gar- çon qui lui donne de la jalousie ; vous sortez tous les malins à jeun, et vous mangez comme si vous aviez 'a rendre compte chaque jour de votre dé- pense ; ce n'est pas vivre que cela , c'est voir vivre les autres. Quelle folie de se ri'fuser toutes choses et d'amasser du bien pour un héritier, afin de s'en faire un ennemi par une succession opulente! Étant certain qu'il se réjouira de votre mort, d'au tant plus qu'il en profilera. Pour c« qui est de ces gens tristes et sourcilleux , qui sont censeurs de la vie d'autrui et ennemis de la leur, que l'on peut appeler pédagogues publics , n'en faites point de compte, el préférez toujours une bonne vie à une bonne répiiiatiou. Ces paroles ne sont pas moins "a éviter que la voix des sirènes près desquelles L'iysse n'osa passer sans avoir bouché ses oreilles. Elles n'ont pas moins de pouvoir ; elles font oo- men ciirsorum antecedat : Uirpe est , i:uilos cssc , qui occurrenles via dcjiciant, ut qui , honcstuiii honiiueni ve- nire inagao pulvere oslendant. Oniuesjnm niulos halienl, qui crjstallina et raurrhina, et CTlala inaguoinui arliPi- cum manu , portent : turpe est , videri cas le habere sar- cinas totiis , qu.T tuto conculi possint. Ouiniuin pa-dago- gia oblita facie ïchunlur, uc sol, nevc frigus, teueram cutem laedat ; turpe est , ncmincni esse in coniitatu pue- rorum , cujus sana faciès iiiedirjmentum desideret. Horuni omnium sermo vilandus c»t : lii simt, qui vitia tradunt, et alio aliuude tiansfenint. Pessimuni geinisho- rum homiuuni videbalur, qui verl>a gostarent : sunt qui- dam, qui vitia gestaiit. Iliiruni sermo multum nocet : nam, etiamsi non statim officit, semina in animo relin- quit; seiiuiturque nos, eliani quuni ab illis dîscessinius, resurrectunim postia nialum. Qiiemaduioduni, qui au- dierunt sjmptioniam , ferunt srcum in auiilius luodula- tionem illai» ac duloedinini caiiluuiii , quœ cogitaliones impedit, nec ad séria palilur intendi : sic adulatorum et prava laudanlium sermo diutius liœret , quaai audilur; uec facile est, anin)0 dulcem sonuniexeutere : prosequi- tur, et durât, êtes intcrvallo recurrit. Ideo cludenda; sunt aurcs niali.': Yocihu? , et quideni primis : nain qiumi iiiitium fecerunt aduii~$os , alienae vilae cen- sores, suaj bostes, publiées pasdagogos, assis ne feceris I nec dubitavei'is, bonam Tilam, quam opinionem booani, malle 1 ■ lia; voccs non aliter fugiends sunt , qnam iUs qnas Ulysses, uisi alligatus, prxlcrTebi noluit. Idem possnnl: abducant a palria , a parenlibus , ab amicis , a virtuiibus. ÉPITRES A LUCILIUS. 863 •blior les parents , les amis , la verlu , et jetleut les hommes daos une vie hontease et misérable. II vaut bien mieux suivre le droit chemin et se met- tre en état de ne prendre aucun plaisir qu'a ce qni est honnête. Nous en viendrons à bout si nous considérons que toutes les choses qui nous atlirent ou qui nous rebulent sont de deux espèces: celles qui nous attirent sont les richesses, les plaisirs, la beauté, les honneurs et tout ce qui flatte et charme nos sons; celles qui nous rebutent sont la mort, la douleur, l'ignominie, la disette. Il faut donc nous habituer à ne point désirer les unes et à ne point craindre les autres. Soyons-leur toujours contraires; fuyons celles qui nous appelleront, et faisons tête à celles qui nous attaqueront. Ne voyez- vous pas que les postures de ceux qui montent et de ceux qui descendent suut bien différentes? Ceux qui descendent renversent le corps en arrière; ceux qui montent le courbent devant; car de pe- ser sur le devant en descendant , et de se pencher sur le derrière en montant , c'est faire , mon cher Lucile, ce que font tous les gens vicieux; car on va en descendant aux voluptés , et l'on va en mon- tant aux choses dures cl difûciles. En l'un il faut pousser le corps, en l'autre il le faut retenir. Croyez-vous que je veuille dire que nos oreilles n'ont a craindre que ces gens qui fout des pané- gyriques de la volupté , et qui impriment l'aver- sion de la douleur, qui se fait assez appréhender d'elle-même? J'eslime qu'il n'est pas moins dan- gereux d'écouter ces philosophes, lesquels, sous l'autorité de la secte stoïque, font des leçons et des exhortations aux vices ; car ils ont coutume de ■ dire qu'il n'y a que le sage qui sache faire l'amour, et que lui seul sait bien boire et faire bonne chère. II faudrait donc leur demander jusqu''a quel âge on doit aimer les garçons. Mais laissons cela aux Grecs, et prêtons l'oreille à ceux qui nous diront que personne n'est homme de bien par hasard, et qu'il faut apprendre la vertu; que la volupté est une chose basse et méprisable qui nous est con'.raune avec les bêtes; que les deruières et les plus chétivos en sont le plus avides; que la gloire^ n'a rien de (i\e et de solide; qu'elle est un vent qui passe ; que la pauvreté n'est fâcheuse qu''a ceux qui ne la sauraient pas supporter; que la mort môme n'est point un mal ; car, de quoi vous plai- gnez-vous, puisque c'est le droit des gens, et qu'elle égale la condition de tous les hommes? que la superstition est une folle erreur qui craint ce qu'elle doit aimer, et qui offense ce qu'elle ré- vère ; car, quelle différence y a-t-il de nier qu'il y ait des dieux ou de les déshonorer? VoiPa ce (ju'il faut apprendre ; mais le bien apprendre : car en- lin , la philosophie ne doit pas fournir des ex- cuses au vice , et le malade est hors d'espérance de guérir, quand le médecin lui conseille de faire la débauclio. El'irUli CXXIV. Si nous conniissons le ln'pii par sentiment ou par enten- dement.— Le liien ne se rencontre que dans un sujet qui a do la raison. Je puiserai pour vous ctiei les vieux écrivains, Écoutez &euli>aient leurs prccept! s divins; Soye^-leur attentif, même aux clioses légères , Rien chez eux n'est léger. et in turpem vitam miicros tnrpius illidant. Quanto sa- tias est , rectnm sequi limit/^m , et co se per.iuccre , ut ea demum sint libi jucunda, qux hanesta I Quod assequi po- terimus , (i scierinius duo esse gênera rerum , quœ nos aut invitent, aut fugent. Invitant divitia;, voluplates, forma, ambitio, cxtcra bLinda et anidentia : fugnt la- bor, mors, dolor, ignoniinia, victus adstrictior. Ucbcraus itaquc eicrceri, ne hxc timeamus, ne illa cupiamiL. Sola jus aquuiu gcneris huniani. Supcrstitio error iusanus est : ani.indos limet; quos colit, violât. Quid enini ialerest, ulruni Dcos neges,an infamesl ■ Ilœc discenda sunt , inio ediscenda : non débet eicusa- tiones vitio pbiliisopbii suggcrcre. Nullam habelspem salutis sger, quem ad inlemperautiani medicus bortatur. Vale. EPISTOLA CXXIV. CTRBM SF.^StI, Jiy ISTEI.I.ECTt' , tOtlPBFnESDiTCB BOJiCM. Possum mnlla tibi vettTum prœcepta referre , Ni rtfngi» , timii scpio pigii c-.giiosci'i-e curas. «06 Je sais que vous le voulez bien , et que les ques- tions , si subtiles qu'elles soient , ne vous rebutent pas. Il ne conviendrait pas aussi h la beauté de vo- tre esprit de n'embrasser que des matières impor- lantes; mais, comme je loue voire conduite, qui veut tirer proGt de tout et ne peut souffrir les sub- tilités qui ne produisent rien, je donnerai ordre que cela n'arrive pas. On demande si nous con- naissons le bien par le sentiment ou par Tenlen- dement. De Ta il s'ensuit , comme vous voyez , que les enfants et les bêtes en sont incapables. Tous ceux qui mettent le souverain bien dans la volupté estiment que le bien est une chose sensi- ble; les stoïciens, au contraire, qui le mettent dans l'entendement, disent que le bien est une chose intellectuelle. Si nos sens pouvaient juger <\n bien, nous ne refuserions jamais le plaisir, car il n'y en a point qui n'ait des attraits et des charmes ; et , par une raison contraire , nous ne voudrions jamais sentir la douleur ; car il n'y en a point qui ne blesse les sens. De plus , on ne pour- rait Justement blâmer ceux qui aimeraient trop le plaisir, ou qui craindraient trop la douleur. Or, nous condanmons les gourmands et les impu- diques, comme nous méprisons ceux qui n'osent rien entreprendre par la crainte qu'ils ont de la douleur. Et quel mal feraient-ils, je vous prie, d'obéir aux sens, puis(]u'ils sont jnges du bien et du ma! , et que vous avez soumis îi leur direction ce qu'il faut faire et ce qu'il faut désirer? Après tout , c'est la raison qui est la maîtresse , et , comme elle détermine ce qui concerne les moeurs, l'iion- nenr et la vertu , elle doit aussi déterminer ce qui SÉNÈQUE. est du bien et du mal. Les partisans de cette opi- niou-la donnent à la partie inférieure l'autorité de juger la supérieure, quand ils permettent aux sens, qui sont plus tardifs en l'homme qu'en aucun autre animal, de définir ce que c'est que du bien. Que serait-ce, si quelqu'un voulait juger des cho- ses les plus menues par l'attouchement , et non par la vue? C'est au moins le sens le plus subtil et le plus capable de connaître le bien et le mal. Ainsi, vous voyez combien celui qui jugerait du bien et du mal par l'attouchement, s'éloignerait de la vérité, et ravalerait ladignité des choses su- blimes et divines. lis répondent: « Comme toute science doitavoir quelque chose qui soit évident et connu des sens , d'où elle tire son origine et son progrès , de même la vie heureuse a pour fondement et pour com- mencement les choses qui sont manifestes et sen- sibles ; et vous dites vous-mêmes que la vie heu- reuse (ire son commencement des choses qui sont manifestes. » N'ous disons, je l'avoue , que ce qui est selon la nature est heureux , 'se produit au jour et se manifeste incontinent; il s'agit de dé- couvrir ce qui est selon la nature : c'est ce qui ar- rive 'a celui qui ne fait que de naître; ainsi, ce ne .sera pas le bien consommé ; ce sera le commence- ment du bien. Mais, vous autres, vous donnez à l'enfance la volupté, comme étant le souverain bien , et vous voulez qu'un enfant commence au point où un homme parfait doit enfin arriver. En un mot, vous mettez le sommet de l'arbre où doit être la racine. Si quelqu'un s'avisait de dire qu'un enfant, qui est encore dans le ventre de sa mère, Non lefugis au[em , nec iilla te subtilitas abigit ; non est elcgantiaî îuae, tantum magna sectari. Sicut hoc, sic et illud ppûbo, quod oiiinia ad aliquem profectum redigis, pt liiac tantum offcndeiis , ubi summa subtilitate nihil agi- tur : quod ne nunc quidem fieri laborabo. Quaerilur, « Dtrum sensu , an intelleclu , coniprehendatur bonuni ? » Huic adjunctum est, « in mulis animalibus et intaulibus non esse, o Quicunique Toluptatem in summo ponunt , sensibile ju- dlcant bonuin : nos contra intelligibile , qui illud animo damus. Si de bono sensus judicarent, nuUam voluptatem rrjicercmus; nuUa enim non invitât, nulla non deleclat: et, e conlrario, nullum dolorem volentes subiremus; nullus enim non offendit sensum. Praeterea non essent digni reprehensioue , qnibus nimiura voluptas placet , qui- l)ns(|ue summus est doloris timor. Atqui improbamus gulas iic libidini addictos, et contemnimus illos, qui nihil viri- liter ausuri sunt doloris metu. Quid aulera peccant , si sensibus , id est , judicibus boni ac mali , parent ? his enim tradidislis appetitioais et fiig» arbilrium. Sed videlicet ratio isti rei prajpodla est, quemadmodum debeat de vita, queuiadmodum de virtute, de honesto, sic et de bono nu:li.>((ue, conslitui. Nam apud istos vilissiinrp p:trti datur de meliore sententia ; ut de bono pronuntiet sensus , ob- tusa res et tiebes, et in bomine quam in illis animalibos tardior. Quid? si qais vellet, non oculis, scd tactu, mi- nuta discernere? Sublilior ad hoc nulla actes, quam oco- lorum , et intentior, daret bonum malumque dignoscere. Vides in quanta ignoranlia Teritatis versetur, et quam bumi sublimia ac divina projecerit, apud quem de samOM bono raaioque judicat tactus. « Quemadmodum, inquit, omnis scientia atque an aliquid débet habere manifestum , seosuque compreben- sum, e\ quo oriatur et crescat; sic beala vita fundamen- tum et initium a manifestis ducit , et ab eo quod sub sen- sum cadit. Nam et tos a manifestis beatam vilam iaitioin sui capei'e dicitis. • — Dicimus beata esse, qnae secundiun naluram sont : quidautem secundum naturam sit, palam et prolinus apparet, sicut, quid sit integrum. Sed, quod secundum naluram est, quod eontigit protinus nato, noa dico bonura , sed iuiiium boni. Tu summum t>onum , vo- luptatem, infantiae donas; ut inde incipiat nascens, quo consunmialus lionio pervcnit. Cacumenradicislocoponis. Si quis diceret, illuui in materno ulero latenteni , seiu* quoque incerti, tenerum, et imperfectum, etinformem, jam in aliquo bono esse , aperle videretur errare. Atque •ït ÉPITRES tout tendre, imparfait et informé, sent déjà quelque bien , il se tromperait sans doute. Or, combien peu de différence y a-t-il entre un enfant qui Tient de naîlre et cet autre qui est encore un fardeau caché dans les entrailles de sa mère I L'un et l'autre sont également incapables de l'intelli- gence du bien et du mal. Car ua enfant n'est pas plus susceptible du bien qu'un arbre ou qu'une bête. Mais, pourquoi un arbre ni une bête ne sont- ils pas susceptibles du bien? Parce qu'ils n'ont point la raison. Il en est de même a l'égard d'un enfant qui n'a point encore la raison ; quand elle lui sera venue, le sentiment lui viendra en même temps. II y a des animaux sans raison ; il y en a d'autres qui n'ont pas encore la raison. Il y en a d'antres qui ont la raison, mais elle est imparfaite, lis sont tous incapables du bien, parce qu'il ne vient qu'avec la raison. Quelle différence y a-t-il donc entre eux? C'est que le bien n'arrivera jamais à ce qui est sans raison ; ce qui n'est pas raisonna- ble ne peut pas l'avoir tant qu'il demeurera dans cet état. Ce qui n'est qu'imparfaitement raisonna- ble peut bien le prétendre ; toutefois il ne la pas. Oui , mon cher Lucile, je dis que le bien ne se rencontre point dans tous les corps, ni dans tous les âges. Il est aussi éloigné de l'enrance que le dernier l'est du premier, et la lin du commen- cement : par conséquent , il ne peut se trouver dans le corps d'un enfant nouvellement forme, non plus, certes, que dans la semence; car, sup- posé qu'il y ait quelque bien dans un arbre ou dans une plante, il n'en est pas aux premières feuilles qui sortent dehors. S'il y a quelque bien dans le froment, il n'est pas dans l'herbe qui est encore : A LUCILIUS. 867 eu lait , ni dans le brin qui s'est élevé de terre avec une petite feuille, mais dans le grain lorsqu'il est venu en sa saison et en sa maturité. Comme tout ce qui est dans la nature ne monire ce qu'il a de bon que lorsqu'il est dans la perfection , ainsi le bien qui est dans l'homme ne paraît que quand sa raison est parfaite. Je vous veux dire quel est ce bien-là. C'est une âme droite et libre, qui assu jettit toutes choses et ne s'assujettit à rien. L'en- fance est si fort éloignée d'un tel bien , que l'ado^ lescence ne le prétend pas, et que la jeunesse même le peut 'a peine espérer. La vieillesse n'est pas malheureuse si, avec beaucoup de travail, elle arrive au terme où ce bien est manifeste, et se fait mieux comprendre. Vous avez dit, m'objectera-t-on , qu'il y a quel- que bien dans l'arbre et dans la plante; il peut donc y en avoir aussi dans un enfant. Le vérita- ble bien ne se rencontre ni dans les arbres, ni dans les bêles; car, ce bien qu'on leur attribue est impropre et métaphorique. Qui est-ce donc, me direz-vous? c'est seulement ce qui est propre a la nature de chacun ; mais le bien ne loge point dans le corps d'une bête; il appartient à une nature plus parfaite; en un mot, il ne se trouve qu'où est la raison. Voici quatre sortes de natures, sa- voir : l'arbre, l'animal, l'homme et Dieu. Les deux premiers, qui sont irraisonnables, sont d'une même nature; les deux autres sont de différente nature; l'un étant immortel, et l'autre mortel. Or, le bien qui est en Dieu est parfait en sa na- ture , et celui qui est en l'homme se perfectionne par le travail. Les autres sont parfaits dans leur nature ; mais ce n'est pas d'une véritable perfec- qnantulani interest inter enm , qai quum maiime vitam accipit, et illum, qui inaternomm Yiscerum latens oaus est?l]terqae, quantum ad inteliectuni booiacniali, xqoe maturus est; et non magis intans adhuc boni capax est, qoam arl)or, ant mntum aliquod animal. Quare autem bonum in art)ore animalique muin non est? quia nec ratio. Ob boc in infante quuque non est; nani et buic deest. Tune ad bonum perteniet, quum adrationem per- venerit. Est aliquod irrationale animal ; est aliquod nondnm ra- tionale, est rationale , sed imperfectum. Innullohorum bonum : ratio illud secum affert. Quid ergo intcr isia , quae retuli, distat? In eo, qnod irrationale ett, nunquam erit bonum : in eo quod noudum rationale est tune esse l>o- num non potest : in eo, quod rationale est , ted impei fec- tum, jam potrst esse lionum , sed non est. Ita dico, Lu- cili : twnum non in quolibet corpore , non m quallbet eetate invenitur; et tanlum abest ab iofaatia, quantum a primo ullimum, quantum ab initio perfectum : ergo nec in le- nero, modo coalescente , corpusculo est. Quidni non sit? non magis quam in scmiae. Hoc si dicas : < aliquod arbo- rii acsali bnnum novimus : • hoc non est in prima fronde, quae emissa quum maxime solum rumjiit. Est aliquod bo- num trilici : hoc nondum est in herba lacteute, uec quum foliculo se exserit spica mollis, sed (|uum frumenlum a's. tas et débita niaturitas cosit. Quemadmodum omnis u^i- tura l>onum simm , uisi coiisumniata , non profert : ita ho minis bonum non est in honiine, uisi quum illi ratio perfecla est. Quod autem hoc bonum? Dicam : liber animus et erectus.aiia subjiciens sibi, se nulli. Hoc bonum adeo non recipit infantia , ut puerilia non speret, adolesccnlia 'mprobe speret. Bene sgitur cum senectute , si ad illud longo studio inlentoque pervenil, ubi hoc, et bonum, et inlelligibilc est. • Uixisti, iaquit, aliquod bonum esse arboris, aIiquoù>»i. — Quoniam suinus ab ipsa caice ejus iuter- pellatione revocati. — Puisque son inîerpellalioo nous a rappelés des eitrémes liuiiics du sujet. JliiJlE PAGE, COL. 2. , Inexactilvd^. — i DES ÉPITRES A LUCILIUS. ÉpiTUE CXIV, PAGE 833, COL. f. 873 Uicn dans le latin ne ju-iine la qualification de sujet nu fin que FInîrel d.iuae au pilote. Il s'agit tout simplement d uu pilote qui aurait des nausées en mer. ÉpilBE ex, PAGE 8-'.5, COL. \. fnexaclilude. — Ki aliqueni jniii cniinentcm allevavil etii:ni nunc , laiiquam ibi adhiic siar.t u:ide lulo caderet. — Et a fail monter d'un nouveau degré un honmie (iéjà trèsélevé, conune pour l'6:cr d'un rang où la chute pou- vait cire encore sans péril. Même pige, col. 2. Inexartitude. — Uno .nutcni modo potest , si qnis hanc humanonim divinorumque nrtitiani scjcnliam:]ue acce- perit; si illa se non pcrfuderit, sed inficerit; si cadeni. quiniTis sciai , iilraclaveril , et ad se sipe rclulerit. — Il n'y a qu'une manière d'y réussir, c'est de recevoir celle connaissance et cette scienre ries choses divines et humai- nes; c'est non-sculeraent de s'y plonger, niais de s'en pé- uélrer tout entier; c'est de repasser les choses iiicnies qu'on sait, et d y ramener souvent ton esprit. i Même epIteb , page 824 , col. 2, à la fin. Omission. — Vis cihorum vnlnptatem contemnere ? exitum spccla. — Veux-:u iiiépriser la sensualité dans le manger? regarde la fin. ÈpItiie CXni , PAGE 827, col. 2. Omission. — Piilo qua'dai!i esse, qua- deceant phiica- sialum palliatumqiie. — Je pense qu'il e^t certaines opi- nions (|u'il faut laisser à ceux qui portent le manteau et sont chaussés de sandales. Probablement les sioîciens ;re s, qui exagéraient leursecte, et qu'on distinguait à leur p* rare .' (.cla est probable : aiUreuieut les critiques de Séuènue n auraient aucun sei.s. Nous soumettons aux philologues cette difliculté. yuoi qu'il eu s„it, aquU hycmantibus ne duit pas être trajuit uiiiiime il l'a été par Piutrel • Que les • aux élaunt bien froi l,s. si c'était le vrai sens, il serait impossible de couipremlre les imitations d'Arrunlus II n'est pas non plus exact de traduire le repente hiemnvit tempes- tas d'Arr.intius, par ces mots : la tempête était devenue bien grande; c